(Moniteur belge n°71, du 12 mars 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure. Il donne lecture du procès-verbal de la séance précédente ; la rédaction en est adoptée. Il fait connaître l’analyse des pièces suivantes envoyées à la chambre :
« Les sieurs Goens et Cie, fabricants, adhèrent à la réclamation des fabricants de Gand en faveur de l’industrie cotonnière. »
« Les huissiers près les tribunaux de première instance de commerce d’Anvers réclament de nouveau contre la disposition du décret impérial du 14 juin 1815, qui ordonne l’établissement d’une bourse commune entre tous les huissiers du ressort du tribunal civil de leur résidence. »
« Le sieur Rainga, notaire et échevin, à Enghien, adresse des considérations particulières au notariat à introduire dans la loi communale ou au projet portant des modifications à la loi organique sur les notaires. »
« Le sieur J. Jausse, propriétaire à Anvers, réclame contre l’élévation du rôle de la contribution foncière. »
« Plusieurs meuniers de la Flandre occidentale se plaignent de ce qu’on plante des arbres de haute futaie dans le voisinage de leurs moulins. »
« Le sieur H.-J. Verrassel, notaire apostolique, réclame le paiement de rentes créées par la ville de Nivelles et hypothéquées sur les chaussées construites par ladite ville.»
« Soixante fabricants et négociants en huile, de la Flandre orientale, demandent que le droit de fl. 9 45 c. par 1,000 kilog. à l’entrée sur les huiles étrangères, soit appliqué à l’huile de baleine. »
« Plusieurs habitants des cantons d’Ath, Leuze, Chièvres, pères de miliciens proposent diverses modifications à la loi relative aux certificats des remplaçants. »
M. Dumortier. - Messieurs, parmi les pétitions présentées à la chambre, il en est une sur laquelle je crois devoir appeler son attention, à cause de son urgence ; c’est une pétition de divers pères de famille d’Ath, de Chiévres et de Leuze qui demandent de promptes modifications à la loi sur les remplacements.
Vous savez, messieurs, que M. le ministre de la guerre a déposé une proposition relative à cet objet. Les conseils de milice vont s’assembler, et si on ne se presse pas, les bienfaits qui doivent résulter de ce projet de loi ne seront pas applicables cette année.
Je prends la confiance de dire à la chambre que, dans la province que j’habite et que j’ai l’honneur de représenter, les remplaçants coûtent jusqu’à 3,000 francs. C’est une charge réellement accablante pour les familles. Cela tient à ce que le gouvernement conserve sous les drapeaux des classes qui devraient être licenciées ; et d’un autre côte, à ce qu’on ne peut remplacer d’une province à l’autre.
Les pétitionnaires signalent ces faits et demandent qu’on y apporte des modifications ; une commission ayant été nommée, je demande à la chambre de renvoyer cette pétition à cette commission et de la prier de faire son rapport dans le plus bref délai. Je pense que cette pétition n’éprouvera pas de difficulté et qu’on s’en occupera avant l’ouverture des conseils de milice. Le sénat va s’assembler, et il est désirable qu’il ait cette loi lors de ses premières réunions.
M. de Robaulx. - N’est-ce pas le 21 que s’ouvrent les conseils de milice ?
M. Dumortier. - C’est le 24 mars, je crois.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je joins mes instances à celles de l’honorable préopinant, car le projet de loi en question donne de grandes facilités à ceux qui ont la faculté de se faire remplacer, et je prie la chambre de prendre en considération les observations très justes qui en ont été faites par l’honorable député de Tournay.
M. Desmanet de Biesme. - A propos de l’interpellation de M. Dumortier, je profiterai de la présence de M. le ministre de la guerre pour lui demander si les circonstances ne sont pas telles qu’on puisse renvoyer définitivement dans leurs foyers les classes de 1826 et 1827. Je sais qu’on en a renvoyé dans leurs foyers, mais ils n’ont pas de congé définitif.
M. Dubois. - Comme membre de la commission nommée pour l’examen du projet de loi, dont il s’agit, j’aurai l’honneur de faire observer que la commission se serait déjà réunie si elle avait été en nombre. Nous ferons, vu l’urgence, inviter les membres absents à s’y rendre. C’est un projet qui ne demandera pas grande discussion : le rapport pourra en être fait en 24 heures et il sera présenté dans quelques jours.
J’ajouterai, pour rassurer les honorables membres qui manifestent la crainte que cette loi n’arrive trop tard pour les miliciens de la classe de 1835, que l’admission des remplaçants n’a lieu qu’à l’époque de la session du troisième conseil de milice, au 16 avril prochain, et que dans tous les cas ces conseils sont autorisés à retarder encore cette admission jusqu’au 1er mai, époque de la session du quatrième conseil. De sorte qu’il est à espérer qu’un temps moral suffisant sera là pour permettre aux intéressés de profiter du bénéfice de la prochaine loi.
M. de Robaulx. - Je prends la parole pour insister sur l’interpellation de l’honorable M. Desmanet de Biesme qui demande s’il est possible ou non de renvoyer les anciennes classes qui sont encore sous les armes. Vous voulez avoir de la sollicitude pour les remplaçants, dont le prix est tellement exorbitant que dans ma province ils s’élèvent à 3,000 fr. Si on libère les classes de 1826 et 1827, il y aura sans doute de ces hommes sortants, disponibles pour les remplacements. C’est la garde civique qui empêche ces remplacements de se faire avec plus de facilité, le fait de retenir sous les armes des miliciens après huit ans de service. Puisqu’on reconnaît qu’il n’y a plus de possibilité de guerre, puisqu’il ne s’agit plus de tours de passe-passe, au moyen desquels on a tiré les 10 centimes, qu’on laisse retourner ces classes dans leurs foyers.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Les miliciens des classes de 1826 et 1827 sont renvoyés en congé illimité dans leurs foyers, ils jouissent de presque tous les droits civils, et par le projet de loi dont il est parlé sont aptes à être substituants ou remplaçants.
En second lieu, les miliciens de la classe de 1828 vont être renvoyés en congé illimité le 15 de ce mois ; et par cette mesure, je rentre dans le chiffre affecté à l’effectif de l’infanterie. Sur les dix classes dont on parle, trois sont en congé illimité, et ne doivent rentrer qu’en cas de dangers. Cinq classes seulement restent qui dans tout état de cause doivent rester, ce sont les classes 1829, 1830, 1831, 1832 et 1833. Les miliciens de 1834 sont chez eux en réserve ; le travail relatif aux miliciens de 1835 n’est pas encore terminé. Ainsi donc les trois classes en congé, les deux en réserve et les cinq qui se trouvent sous les armes, complètent les dix classes dont il est parlé.
M. Legrelle. - Il ne résulte pas moins de ce qui vient d’être dit que les miliciens de la classe de 1826 et 1827 sont dans une position tout à fait exceptionnelle, car à beaucoup d’égards ces citoyens ne jouissent pas de tous leurs droits.
On vous répond qu’ils sont envoyés en congé illimité, mais j’ai cité différents cas dans lesquels la position de ces hommes est tout à fait insupportable. Aucun d’eux, quoique en congé illimité, ne peut former d’établissement avantageux. On craint toujours qu’ils ne soient rappelés sous les drapeaux. Cela leur cause un préjudice réel, Je demande s’il n’est pas de toute justice que la classe de 1826 qui compte aujourd’hui 9 ans de service, soit définitivement licenciée. Non seulement ce sera un acte de justice, mais encore de bonne politique, parce que les miliciens ne croient plus maintenant à un service temporaire, mais à un service permanent.
Rendez donc à la vie ordinaire ces braves gens lorsqu’ils ont fait leur temps et qu’ils peuvent être remplacés par des classes postérieures.
M. Jullien. - Je crois que la motion de l’honorable M. Desmanet de Biesme ne peut recevoir de solution dans cette chambre. La question est de savoir si nous aurons ou non la guerre. Si le cas est affirmatif, il n’appartient pas au gouvernement de licencier ces classes, parce que s’il les licenciait et qu’on ait besoin de soldats, il y aurait lieu à lui adresser des reproches. Si on reconnaît que nous sommes en possibilité d’état de guerre, comme dix fois on l’a fait, il faudrait une loi pour opérer ce licenciement.
M. Desmanet de Biesme. - Je n’ai pas fait de motion d’ordre, j’ai seulement appelé l’attention de la chambre sur les classes de 1826 et 1827.
M. Helias d’Huddeghem. - Je prends la parole pour une autre proposition que celle qui occupe la chambre en ce moment. Soixante fabricants de la Flandre orientale ont présenté à la chambre une pétition tendant à ce que les droits d’entrée de (Erratum au Moniteur belge n°73, du 14 mars 1835 :) 9 florins 45 cents par hectolitre à l’entrée de l’huile de colza et de lin fussent appliqués à l’huile de baleine. Je connais plusieurs pétitions de cette nature qui ont été renvoyées à M. le ministre des finances, je ne vois pas d’inconvénients à ce que celle-ci éprouve le même sort. Je demande donc qu’elle soit renvoyée à M. le ministre des finances.
M. de Brouckere. - Si on prend cette marche, je propose de supprimer la commission des pétitions.
M. Helias d’Huddeghem. - Je ferai observer à l’honorable M. de Brouckere que déjà deux pétitions semblables ont été renvoyées à M. le ministre des finances, et j’insiste pour que celle-ci suive la même filière.
Si cependant la chambre pense que la pétition des négociants en huile doit être renvoyée à la commission des pétitions, je demande qu’elle fasse son rapport le plus promptement possible.
- La chambre adopte cette proposition.
M. Berger. monte à la tribune pour lire un rapport relatif au crédit de 73,000 fr. pour supplément de crédit pour les fonds de non-valeurs, exercice 1835.
- Plusieurs voix. - L’impression ! l’impression !
- L’impression est ordonnée.
M. le président. - Il y a un amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur, et qui est ainsi conçu :
« Il peut (le Roi), pour motifs graves, nommer le bourgmestre hors du conseil. »
Et un autre amendement de MM. Seron et de Robaulx qui s’exprime ainsi :
« Sur une liste de trois candidats pris dans le sein du conseil. »
M. F. de Mérode. - Messieurs, ce qui est libéral en apparence ne l’est pas toujours en réalité. En effet, ce qu’il y a de plus libéral et de plus constitutionnel c’est d’assurer l’exécution des lois. Or, pour que le gouvernement qui est chargé de veiller à cette exécution puisse répondre qu’elle aura lieu dans tout le pays, il ne faut pas le mettre à la discrétion des coteries qui malheureusement peuvent dominer telle ou telle commune. Vous connaissez, messieurs, par de tristes antécédents, les abus qui peuvent naître de l’impuissance du gouvernement lorsqu’il est privé de droits convenables et suffisants en ce qui concerne la nomination des bourgmestres. Des villes importantes du royaume ont été ainsi livrées à des influences très fâcheuses pour l’ordre public.
Ces influences désorganisatrices, favorisées par les dispositions que le gouvernement provisoire a dû prendre à une époque toute spéciale en remettant entièrement à l’élection les nominations des bourgmestres, ont amené des actes que le plus hardi despotisme eût à peine osé concevoir.
Je sais qu’en attribuant au pouvoir exécutif le droit de choisir les bourgmestres parmi les membres du conseil communal, vous remédieriez en partie aux inconvénients graves dont nous avons subi l’expérience. Mais il arrivera fréquemment que beaucoup de membres d’un conseil ne voudront point accepter les fonctions assez difficiles de bourgmestre dans une cité populeuse, et qu’alors le choix du gouvernement soit tellement restreint qu’il devienne réellement illusoire. Or, on conviendra certainement que jamais des droits politiques attribués, soit aux chambres, soit au Roi, ne peuvent être mensongers ; ils doivent être réels et non pas seulement fictifs.
Personne n’ignore, messieurs, qu’un bourgmestre n’est pas seulement un conseiller communal, mais un fonctionnaire chargé de mesures qui le rendent agent du pouvoir, obligé par essence à procurer dans les plus grandes comme dans les plus petites communes du pays l’exécution des lois. Une latitude suffisante pour le choix des instruments dont il a besoin est donc nécessaire au gouvernement, car si vous lui imposez ces instruments, déchargez-le de la responsabilité qui lui incombe comme pouvoir exécutif en vertu de la constitution même ; mais alors vous violerez un des principes les plus fondamentaux du régime constitutionnel, un principe bien autrement conservateur des libertés publiques que le droit d’élection trop absolu qu’on voudrait faire prévaloir aux dépens des véritables intérêts de la société, aux dépens des véritables intérêts d’une liberté solide et durable.
Trop souvent, messieurs, les membres de cette chambre qui soutiennent des opinions contraires à celles qu’adopte la majorité, se donnent mal à propos sur leurs adversaires tous les avantages d’un libéralisme plus complet ; ils leur parlent comme s’ils étaient les ennemis des libertés publiques, comme s’ils se rendaient en quelque sorte les fauteurs d’un pouvoir illimité. Il est un proverbe vulgaire ainsi conçu : « Tout ce qui reluit n’est pas or. » En fait de libéralisme, le clinquant, si on n’y prend garde, peut aussi occasionner plus d’une déception.
N’oublions pas que la tyrannie domestique est la pire de toutes, car elle pèse tous les jours et à chaque instant sur celui qu’elle opprime. Or, cette tyrannie triomphera souvent dans les communes, parce que souvent dans les communes il existe des divisions entre les habitants. Et le parti le plus intrigant et le plus adroit l’emportera sur les hommes moins actifs et plus paisibles. Si le gouvernement a quelque latitude à l’égard des nominations des bourgmestres, il pourra en plus d’une occasion rétablir l’équilibre, il pourra diminuer les mauvais effets de l’antagonisme dont les suites sont si fâcheuses entre les citoyens forcés de vivre constamment en présence les uns des autres.
Ici, messieurs, lorsque nous discutons avec plus ou moins de vivacité, c’est pour des intérêts qui ne nous sont point personnels ; nous retournons dans nos foyers respectifs, nous y devenons entièrement indépendants les uns des autres, étrangers les uns aux autres. En est-il de même à l’égard des conseillers municipaux qui habitent la même commune ? Là on peut se nuire directement, et de telle sorte que les animosités, les haines, deviennent irréconciliables. Selon moi, ce qu’on décore du nom de liberté communale était une fort belle chose dans les temps féodaux, lorsque les communes avaient à se défendre contre les exactions des délégués du prince ou les violences des possesseurs de châteaux fortifiés.
Aujourd’hui qu’est-ce, à bien prendre, que la liberté communale ? Est-ce l’indépendance d’une mauvaise administration qui ruine la ville dont elle gère les intérêts ? est-ce le bon plaisir d’un bourgmestre et de quelques échevins qui manuélisent un de leurs collègues ? En fait de liberté j’estime qu’à notre époque il faut à un pays quelques garanties importantes et générales contre l’arbitraire des gouvernants.
Les garanties que nous possédons dans toute leur plénitude sont la liberté de la presse et de l’enseignement, la liberté des élections, le contrôle des chambres et des états provinciaux, la responsabilité ministérielle, l’inamovibilité des juges. Voilà des pièces d’or frappées au bon coin du libéralisme par notre constitution.
Quant à certaines menues libertés, communales ou autres, dont on fait grand bruit, et que la constitution nous a laissé le droit de resserrer ou d’étendre, conformément au bien-être, à l’ordre public, je les considère comme de la monnaie de billon qui contient plus de cuivre que d’argent ; monnaie qu’il faut bien se garder de répandre à pleines mains, parce qu’elle n’est bonne que pour appoints.
Interrogez les amis de la liberté constitutionnelle, citoyens de pays qui, comme le Portugal et l’Espagne, sortent des liens de l’absolutisme monarchique : ils vous diront que ces contrées étaient naguère aussi riches en franchises communales et privilèges municipaux et locaux, que pauvres de civilisation et de sécurité générale.
Quelques-uns m’ont exprimé leur étonnement de l’importance qu’on attachait à ces prétendues libertés, libertés dont le résultat a été : à Gand, de favoriser pendant plusieurs années les menées des partisans d’une restauration ; à Bruxelles, d’obérer la ville ; à Liège, de prouver ce que peut produire l’arbitraire des coteries.
Messieurs, en insistant pour que vous accordiez au gouvernement, sur la nomination des bourgmestres, autre chose qu’un droit, qui serait quelquefois illusoire et presque toujours insuffisant, je crois défendre les intérêts de la liberté nationale et individuelle contre les intrigues des factions, contre les jalousies étroites et les divisions intérieures des communes ; et c’est par ce sentiment libéral, sentiment à l’égard duquel je ne cède rien à mes contradicteurs, que je ne puis partager leur avis et que j’engage mon collègue, M. le ministre de l’intérieur à substituer les mots : « par exception, » à ceux-ci : « dans les cas graves, » qui rendent son amendement trop vague et trop incomplet.
M. Dubus. - Aux termes de la constitution et du règlement, MM. les ministres ont la parole toutes les fois qu’ils la demandent en qualité de ministres ; je voudrais savoir si c’est en qualité de ministre et comme organe du gouvernement que l’honorable M. F. de Mérode a pris la parole, et a comparé la liberté communale à une monnaie de billon tout au plus bonne à servir d’appoint ?
M. F. de Mérode. - C’est en ma qualité de ministre d’Etat que j’ai pris la parole, et je dois prier l’honorable préopinant de ne pas isoler une phrase de mon discours : si on isole une phrase, elle paraît quelquefois étrange et exagérée, mais si on la combine avec les autres paroles qui ont été prononcées, elle redevient naturelle et toute simple.
M. A. Rodenbach. - Je persiste dans l’opinion que j’ai énoncée, séance du 22 juillet, que le Roi doit choisir les bourgmestres dans le conseil communal.
Les honorables députés de Philippeville et de Soignies demandent que les bourgmestres soient nommés sur une liste de 3 candidats présentés par le conseil. Ce mode de nomination offrirait de grands inconvénients, surtout lorsque dans le conseil plusieurs partis seraient en présence ; cela diviserait le conseil et amènerait des collisions fâcheuses qui nuiraient beaucoup à la bonne administration de la commune ; le primo mihi jouerait aussi un rôle dans le conseil, et l’on verrait souvent des membres se donner leur propre voix.
M. le ministre demande que les bourgmestres puissent être nommés hors du conseil et hors de la commune, pour des motifs graves ; les expressions « motifs graves » me paraissent bien élastiques ; je les crois très mal placées dans une loi. Qui déciderai d’ailleurs le motif grave ?... Serait-ce M. le ministre, M. le gouverneur ? Je suis porté à croire que ce serait presque toujours le commissaire de district ; sans nul doute, une foule d’abus surgiraient d’une disposition aussi dilatoire.
Nous avons encore tous présents à la mémoire les innombrables abus qui ont en lieu sous l’empire et sous le règne de Guillaume. Des chambellans se faisaient nommer maires et bourgmestres de communes où ils ne se rendaient que dans la saison de la chasse, et l’on a vu leurs jardiniers et même leurs domestiques, en qualité d’adjoints ou d’échevins, administrer ces communes. Semblable abus aurait encore lieu si l’amendement de M. le ministre passait ; car des hommes si haut placés ne seraient pas embarrassés de faire décider qu’il y a des motifs graves.
Pour de pareilles raisons et une foule d’autres, je ne puis pas accorder au pouvoir exécutif le droit de choisir les bourgmestres en dehors du conseil communal ; accorder un droit aussi exorbitant, serait outrepasser la juste mesure constitutionnelle et froisser notre pacte fondamental.
Je ne pense pas que, sous un régime aussi libéral que le nôtre, on puisse adopter des articles semblables ; et avec une pareille disposition, qui nous répondra que dans cinq ans, dans dix, des gouverneurs n’imposeraient pas à des communes des bourgmestres de leur façon, voire même leurs commis ou autres créatures ? Pour bien administrer une commune, il convient qu’un bourgmestre jouisse de beaucoup de considération dans le conseil ; car là, comme dans les conseils provinciaux et dans les chambres, il faut nécessairement une majorité. Je le répète, accorder le droit de nommer un bourgmestre hors du conseil et hors de la commune est un droit excessif auquel je ne puis pas souscrire.
Il est rationnel, et je dirai même constitutionnel, que le principal agent d’une commune participe au principe de l’élection populaire ; si un citoyen ne jouit pas d’assez de considération dans sa commune pour se faire élire membre du conseil, c’est que les électeurs, les notabilités ne se soucient pas de l’avoir pour bourgmestre ; enfin, lorsqu’une personne n’a pas la majorité des électeurs, il ne convient pas de la placer à la tête de l’administration. Je l’ai déjà dit, messieurs, et on ne peut assez le redire, quand on ne sait pas capter les suffrages et qu’on n’a pas la confiance publique, il est très difficile d’administrer une commune et d’y faire du bien ; car les hommes sont ainsi faits qu’ils ne veulent même pas le bien contre leur gré.
Ce sont ces divers motifs, messieurs, qui me déterminent à voter contre les amendements de l’honorable M. de Robaulx et du ministre ; mais je maintiendrai l’article 6 de la section centrale qui me paraît le plus rationnel.
M. Verdussen. - L’article 6 tel qu’il a été adopté au premier vote est inexécutable. Il faut, pour être bourgmestre, d’abord un homme qui sache l’être, qui puisse l’être, dont la position sociale soit telle qu’il puisse trouver le temps de l’être ; enfin un homme qui veuille l’être. Il y a dans les plus petites communes sept conseillers ; êtes-vous sûrs de trouver dans ces sept conseillers et le talent et la volonté nécessaires pour être bourgmestre. Que ferez-vous si le gouvernement a fixé son choix sur deux membres qu’il croit aptes à le devenir, et si ces membres n’en veulent pas ? Laisserez-vous cette commune sans bourgmestre ? Votre article est incomplet, car vous ne présentez pas de remèdes à la lacune.
L’amendement des honorables MM. de Robaulx et Seron tend à ce qu’il soit présenté une liste de trois candidats par le conseil communal. Je ne sais comment cette condition peut être exécutable dans les petites communes ; et que serait-ce si nous adjoignions à cet amendement celui de l’honorable M. Doignon ? Est-il possible de prévoir que, dans un si petit conseil, on trouvera trois individus ayant les connaissances nécessaires pour l’état-civil, pour diriger la police et autres choses encore ? Mais, messieurs, je ne m’attacherai pas à réfuter longuement l’amendement de MM. Seron et de Robaulx, parce que je pense qu’il n’aura pas de succès dans l’assemblée.
Pour obvier à l’inconvénient que j’ai signalé tout à l’heure, de l’impossibilité d’exécuter l’art. 6, je ferai sentir la nécessité d’adopter l’amendement présenté par M. le ministre. (erratum au Moniteur belge n°73, du 14 mars 1835 :) Je prévois qu’on m’opposera ce qui existe aujourd’hui, et qu’on me dira que la difficulté de trouver un bourgmestre en état d’administrer ne s’est pas fait sentir lorsqu’on a procédé à la recomposition des régences par suite de l’arrêté-loi du 8 octobre 1830 ; mais je ferai remarquer que la différence entre les deux positions est immense, et surtout en ce que les électeurs, d’après la nouvelle loi, resteront dans l’ignorance au sujet de l’individu sur lequel le choix du Roi se fixera parmi les conseillers élus.
Alors l’élection du bourgmestre était directe ; alors l’attention des électeurs était portée d’avance sur les individus qui voulaient accepter cette magistrature ; alors on avait la facilité de consulter les éligibles pour savoir s’ils accepteraient le mandat qu’on voulait leur confier ; mais aujourd’hui on veut laisser le choix au gouvernement parmi les conseillers ; ainsi les électeurs ne pourront pas dire : Tel individu nous paraît propre à remplir la place de bourgmestre.
Messieurs, si je suis pour l’adoption de l’amendement de M. le ministre, je ne peux cependant m’empêcher de signaler deux défauts qui s’y trouvent. D’abord, le ministre déclare dans son amendement que le bourgmestre pourra, pour des motifs graves, être nommé en dehors du conseil parmi les éligibles. Je crois qu’il y a ici omission, ou que le ministre a besoin de s’expliquer sur ces mots : « parmi les éligibles. » Qu’entend-il par là ? Parle-t-il des éligibles du royaume ?
En ce cas il faudrait repousser l’amendement, car le gouvernement aurait le droit de prendre le bourgmestre où bon lui semblerait. Si l’intention du ministre est de prendre le bourgmestre parmi les éligibles de la commune, il faut l’exprimer clairement. Avec un gouvernement qui peut malheureusement nous arriver un jour, et qui ressemblerait à celui du roi Guillaume, on appliquerait le mot « éligible » dans le sens que je viens de signaler.
Le second vice que je trouve dans l’amendement du ministre vient de l’adoption de l’article 2 de la loi, et dans lequel il est prescrit que les conseils communaux seront composes de 7, 9, 11, etc., membres. Qu’arrivera-t-il si, pour des motifs graves, le gouvernement vient appeler un nouvel individu dans le conseil ? Le nombre des conseillers sera-t-il augmenté ? Le nombre de sept conseillers, par exemple, sera-t-il porté à huit ? Nous aurions alors des bizarreries dans la composition des conseils : une petite commune pourrait être administrée par 8 conseillers, tandis qu’une commune plus nombreuse et voisine ne le serait que par 7 conseillers.
Ce n’est pas tout, j’aperçois encore un autre inconvénient. Les auteurs du projet de loi communale se sont attaches à mettre dans le conseil un nombre impair d’individus, et c’est avec raison. Ne laissons pas au chef de l’administration communale une voix prépondérante ; il faut que la division puisse s’établir sans partage quand le conseil est au complet. Sous ce rapport l’amendement du ministre a encore besoin d’être modifié. Je n’en ferai pas la proposition formelle ; je laisse ce soin à M. le ministre de l’intérieur, et j’appuie son amendement quant au fond. Il n’est pas difficile de dire dans l’amendement que le bourgmestre nommé en dehors du conseil sera pris parmi les éligibles de la commune, et que dans ce cas le dernier conseiller nommé fera place au bourgmestre.
M. Gendebien. - Je me propose de repousser l’amendement du ministre de l’intérieur et d’appuyer la proposition de mes honorables amis MM. Seron et de Robaulx, regrettant de ne pouvoir faire mieux, ou de faire conformément à la constitution, puisque hier vous avez passé à la question préalable sur la proposition relative à l’élection directe des bourgmestres. Toutefois, me plaçant dans le cercle étroit que vous avez tracé hier, je tâcherai de prouver que l’amendement ministériel doit être rejeté, et que celui de mes amis doit être adopté.
Messieurs, pour connaître l’esprit de notre constitution, il faut voir ce qui se passait avant la révolution et ce qui s’est passé pendant la révolution.
Avant la révolution nous étions sous l’empire de la constitution des Pays-Bas dont l’article 132 laissait aux régences le soin de dresser les règlements qui les constituaient. « Les régences des villes sont organisées de la manière qui sera adoptée par des règlements que proposeront les régences existantes ou les commissions spéciales nommées par le Roi. Ces règlements sont adressés aux états provinciaux qui les soumettent, avec observations, à l’approbation du Roi. » Ainsi, en vertu de cet article, les régences ont fait les règlements qui ont été publiés en 1817, pour la ville de Bruxelles, si j’ai bonne mémoire ; et pour les autres villes, à peu près à la même époque.
Dans la constitution des Pays-Bas il y avait au chapitre des dispositions transitoires un article où il était déclaré que, au bout de 10 ans, les règlements rédigés par les régences existantes auraient la même force que la constitution elle-même et seraient censés en faire partie. Il paraissait d’après cela que le peuple belge et que le peuple néerlandais avaient toutes les garanties désirables ; c’est qu’on ne voyait pas le piège qui était caché sous cette disposition si libérale en apparence. Avant l’expiration des 10 années, le roi Guillaume fit nommer des commissions pour réviser les règlements, et il arriva par ce moyen précisément au but où tend le ministère actuel, directement et sans transition,
Il y a cependant une grande différence entre la situation du roi Guillaume et la situation actuelle. Le roi Guillaume était un roi imposé ; il n’était pas venu à la condition d’accepter la constitution ; il nous en avait octroyé une ; il n’était pas obligé par la constitution de maintenir les droits reconnus par l’article 108 de la nôtre ; néanmoins le roi Guillaume a été moins loin que notre gouvernement.
C’est en passant en revue ces diverses dispositions que je vais vous prouver que Guillaume, tout despote qu’il était, s’était résigne à exercer moins de despotisme, moins d’arbitraire que notre gouvernement actuel.
Voici la disposition du règlement publié en mai 1817 :
« Art. 36. Nul ne pourra être nommé bourgmestre ou échevin s’il n’est membre du conseil de ville.
« Art. 37. les bourgmestre et échevins sont nommés par le Roi sur une liste triple qui lui est présentée par le conseil ; la première nomination appartient au Roi. »
Le Roi, vous le voyez, était obligé de prendre dans le conseil et de nommer sur la présentation de trois candidats. Eh bien, c’est là l’objet de l’amendement de MM. Seron et de Robaulx ; il n’est pas trop républicain cet amendement, puisqu’il renferme la même disposition que celle du roi Guillaume chassé pour son despotisme.
Ce roi, comme tous les rois, tendait à absorber tous les pouvoirs ; aussi avant l’expiration des dix années il nomma, comme je l’ai déjà dit, une commission qui fit un nouveau règlement. Voici un article de ce nouveau règlement, publié le 19 janvier 1824 :
« Art. 52. Le Roi nomme le bourgmestre et les échevins parmi les membres du conseil. Dans les cas cependant où des circonstances extraordinaires le rendraient nécessaire, le Roi se réserve la faculté de pouvoir nommer aussi le bourgmestre hors du sein du conseil, sauf toutefois que la personne nommée ait les conditions d’éligibilité. »
Ainsi, c’est après dix années de règne que le roi Guillaume a cru pouvoir faire un pas de plus dans la carrière de l’arbitraire et du despotisme, et il n’osa pas aller aussi loin que notre Roi des barricades, après trois années de règne.
- Une voix. - Parlez du gouvernement et non du Roi.
M. Gendebien. - Le gouvernement ou le Roi c’est la même chose pour moi, et je le prouverai au besoin. Veuillez remarquer que si, comme dans les projets du gouvernement, le Roi doit nommer dans le conseil, et si par exception il pouvait nommer en dehors du conseil, cette exception est tout autre que celle présentée par le ministre de l’intérieur. Voici la différence qui existait : c’est que le bourgmestre, nommé par le roi Guillaume dans le conseil, ou en dehors du conseil, était nommé pour six ans, et qu’il n’était pas révocable ; tandis que le bourgmestre, que le gouvernement actuel prétend avoir le droit de nommer, est révocable, destituable à merci et miséricorde, selon le bon plaisir du Roi, et sans qu’il soit besoin d’énoncer les motifs de la révocation.
Quel pas immense fait dans la carrière du despotisme, sous l’apparence de l’indépendance, du patriotisme, du libéralisme ! On ne se contente plus de ce que le roi Guillaume demandait en 1824 ! Cependant veuillez-vous rappeler de combien de plaintes, de combien de sarcasmes ce règlement de 1824 a été l’objet, et ce règlement ne vous suffit plus et vous voulez une exception plus large, une exception qui absorbe la règle, et vous voulez de plus le droit de destituer que Guillaume n’avait pas.
S’il faut en croire M. F. de Mérode, ministre d’Etat, et qui a parle comme ministre, l’amendement du ministre de l’intérieur n’est pas assez large ; il veut encore mieux.
Dans l’article 52 du règlement de 1824, il y a : « Dans les cas cependant où des circonstances extraordinaires le rendraient nécessaire, le Roi se réserve la faculté de nommer le bourgmestre en dehors du conseil. » Ainsi il faut des circonstances extraordinaires. Le ministre de l’intérieur dit autrement : « Néanmoins il peut (le Roi), pour des motifs graves, le nommer en dehors du conseil parmi les éligibles. » Qu’est-ce que c’est que des motifs graves ? Qui les appréciera ? On n’en parle pas : le gouvernement par conséquent sera le maître de décider qu’il y a motifs graves, et de plus il ne sera pas obligé de les mentionner dans l’acte de nomination.
Dans l’arrêté du roi Guillaume renversé six ans après l’avoir rendu, il y avait : « Dans les cas de circonstances extraordinaires qui établiront la nécessité. » Ce qui donne bien moins ouverture à l’arbitraire ; car les circonstances extraordinaires peuvent s’apprécier. Le changement dans la rédaction de l’amendement ministériel est donc plus favorable au despotisme, au bon plaisir. Mais s’il faut interpréter ces mots : « pour des motifs graves, » comme le fait M. de Mérode, ils ne signifient plus qu’une exception ; l’explication du ministre d’Etat est précieuse, c’est-à-dire que « le Roi nommera dans le conseil » sera la règle générale, et que par exception il nommera en dehors.
Qu’arrivera-t-il ? C’est que le Roi nommera en dehors du conseil toutes les fois qu’il le voudra ; toutes les fois qu’il sera obsédé par tel baron, tel gouverneur, tel sénateur, tel député, telle ou telle coterie.
Est-ce bien pour cela que nous avons fait une révolution, une constitution ? Pygmées que vous êtes, vous vous croyez bien forts : le roi Guillaume se croyait bien fort aussi ; il est tombe six ans après son règlement. Il avait dix années de règne lorsqu’il a essayé son despotisme, et à peine en comptez-vous trois. Au premier événement qui remuera l’Europe, il vous arrivera ce qui est arrivé à Guillaume en 1830 : je ne désire pas que ma prédiction s’accomplisse car il se trouvera encore des intrigants pour profiter des mouvements et s’engraisser aux dépens du peuple qui aura fait cette nouvelle révolution.
M. de Robaulx. - C’est vrai.
M. Gendebien. - Revenons maintenant à l’esprit de la constitution.
Pour juger de l’esprit dans lequel elle a été rédigée, il suffirait de faire l’historique des abus qui existaient.
Voici un premier acte du gouvernement provisoire (du 8 octobre) qui a porté un premier remède aux abus et qui indique l’esprit de la révolution et de la constitution qui en est le produit. Mon nom ne s’y trouve pas : j’étais en mission quand il a été rendu ; mais je me suis empressé d’y adhérer, et j’applaudis encore à cette mesure. Voila la différence qui existe entre moi et certains signataires du même arrêté qui le renient, ainsi que beaucoup d’autres principes de notre révolution.
Le considérant de cet arrêté du gouvernement provisoire est remarquable, il est ainsi conçu : « Le gouvernement provisoire voulant pourvoir à la recomposition des régences d’après les principes d’une révolution toute populaire dans son origine et dans son but. …». Signé de Potter, F. de Mérode, C. Rogier, van de Weyer. Je le répète, j’ai donné mon adhésion à ces principes.
Suivant l’article premier de l’arrêté : « Les administrations urbaines et rurales existantes continueront jusqu’à l’élection des magistrats.
« Dans toutes les villes et communes rurales les notables seront immédiatement convoqués pour procéder à l’élection du bourgmestre, des échevins ou assesseurs, et aux conseils de régence au nombre déterminé par le ci-devant gouvernement.
« Sont notables… »
« Sont éligibles tons les citoyens domiciliés dans la commune, Belges de naissance, âgés de 23 ans. »
Voila donc quel était le but et le principe de la révolution ; c’était de faire disparaître les abus : on était frappé de ceux qui existaient ; on voulait les anéantir. Le préambule en dit à cet égard plus que je ne pourrais en dire : « Voulant pourvoir à la recomposition des régences d’après les principes d’une révolution toute populaire dans son origine et dans son but… »
Il n’était pas requis de cens d’éligibilité ; il suffisait d’être né Belge, et d’être âgé de 23 ans et d’habiter la commune.
La constitution a-t-elle renversé les principes de cet arrêté ? Pendant qu’on la discutait, pas un mot ne s’est élevé contre l’arrêté du gouvernement provisoire qui n’a été critiqué par personne. Cet arrêté peut donc servir d’interprète de la constitution.
Voulez-vous savoir dans quel sens la constitution a été votée, et dans quel sens on doit entendre son article 108 ? Ecoutez quelques expressions que je vais rappeler. Elles appartiennent à des hommes haut placés aujourd’hui, et je les ai choisies de préférence. Elles ont été prononcées à l’occasion de la question sur la forme de gouvernement. Elles vous montreront en effet comment on entendait les institutions que le peuple avait conquises et avait droit d’exiger.
M. le baron de Stassart, actuellement gouverneur du Brabant, président du sénat, disait dans la séance du 19 novembre 1830, au sujet de la forme de l’Etat, qu’il voulait « des institutions vraiment libérales, des institutions républicaines, sous un chef héréditaire qui nous en garantisse la durée. » Il ajoutait : « Voilà ce qui doit nous servir de point de ralliement. » Ainsi, de l’avis du gouverneur du Brabant, du président du sénat, du baron de Stassart, il nous fallait des institutions républicaines.
M. Nothomb, secrétaire-général au ministère des affaires étrangères, disait alors : « La monarchie républicaine est l’image la plus vraie de la société. » C’est dans la séance du 19 novembre 1830 que ces paroles se disaient, et tout cela pour obtenir la royauté. Pour atteindre ce but, il fallait la présenter sous les couleurs les plus séduisantes.
M. Lebeau s’est rendu coupable de quelques peccadilles à cet égard ; elles sont sans doute encore présentes à votre mémoire. Mais écoutons M. Ch. Vilain XIIII, représentant du Roi des Belges près des cours d’Italie, et gouverneur à Gand depuis son discours du mois d’avril 1834 :
« Je me prononcerai, messieurs, en faveur de la monarchie constitutionnelle, mais assise sur les bases les plus libérales, les plus populaires, les plus républicaines. »
C’est M. le comte Vilain XIIII qui demande des bases républicaines : alors il ne voulait pas de l’arbitraire ; alors il ne disait pas, comme un ministre d’Etat, que les institutions libérales, que les libertés communales sont de la monnaie de billon.
M. de Robaulx. - C’est la monarchie qui est de la monnaie de billon !
M. Gendebien. - M. Vilain XIIII disait : « Je rejette la république, parce que, rêve des âmes généreuses, elle me paraît impraticable : une république devrait être composée d’anges, et la société de 1830 ne me paraît pas encore être arrivée à la perfection angélique… »
M. F. de Mérode. - Il avait raison !
M. Gendebien. - Nous verrons bien… M. C. Vilain XIIII continue ainsi :
« Je voterai en faveur de la royauté héréditaire ; à part cette hérédité, il me faut une monarchie aussi républicaine que possible. » (Hilarité.)
Eh bien, cette monarchie aussi libérale, aussi républicaine que possible, nous a, par des escobarderies, enlevé pièce à pièce nos libertés ; elle nous a imposé la loi provinciale que vous savez ; nous lui devrons bientôt la loi communale, qui, au train dont vous y allez, promet d’être tout aussi libérale que la loi provinciale. Fiez-vous après cela aux monarchies républicaines.
Maintenant c’est l’honorable M. Devaux : voici comment il s’exprime : « La monarchie constitutionnelle représentative, telle que je l’entends, c’est la liberté de la république. » Puis il développe cette idée ; il prétend que la monarchie constitutionnelle telle qu’il l’entend donne plus de liberté que la république, et que c’est pour cela qu’il votera pour une monarchie. C’était d’ailleurs le langage de tous les monarchiens.
A présent c’est le tour de l’honorable M. de Theux. (On rit). M. de Theux, pour la seconde fois ministre de l’intérieur, s’exprimait ainsi dans la séance du 20 novembre 1830 : « Notre belle patrie réunira tout à la fois la liberté des républiques, et la force et la stabilité et le repos des monarchies. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La citation est très juste.
Je demande la parole.
M. Gendebien. - Cette citation est très juste, dites-vous ? Vous y adhérez ?
Cependant cette liberté des républiques consiste à donner au Roi jusqu’à la nomination des gardes champêtres. L’administration communale ne peut se soutenir, si le Roi ne nomme le bourgmestre en dedans ou hors du conseil, s’il ne les révoque suivant sa volonté. Voilà la liberté républicaine de la monarchie de M. de Theux ! (On rit.)
J’ai voulu vous citer également l’opinion d’un honorable membre de cette assemblée qui ne fait pas partie de l’administration, mais qui est l’un des plus honorables fonctionnaires de la magistrature judiciaire provinciale ; je suis convaincu que cet honorable membre n’imitera pas ceux dont j’ai cité les paroles, qu’il ne reniera pas, lui, ce qu’il a dit. C’est l’honorable M. Liedts.
Je me bornerai à citer son opinion, mais je pourrais en citer un grand nombre d’autres, car tous les membres du congrès qui ont voté pour la monarchie ont demandé en même temps des institutions républicaines. Ainsi l’honorable M. de Foere (on rit) voulait que le Roi fût responsable et qu’il y eût une haute cour d’équité pour le juger. (On rit.) J’espère que cela est assez républicain. L’abbé Desmet, le clergé, la noblesse, le tiers-état ; enfin tous nos collègues du congrès voulaient des institutions républicaines.
Je me borne à une seul opinion parce que j’en trouve l’expression nette et claire. M. Liedts à son tour dit, dans la séance du 20 novembre 1830 :
« Chacun de nous veut coopérer, autant qu’il est en lui, à poser au pouvoir les limites les plus étroites, à établir un gouvernement dégagé des anciens abus, à faire jouir le peuple de la plus grande somme de liberté possible, à lui donner, en un mot, la constitution la plus large, la plus libérale, la plus républicaine. »
Voilà l’esprit du congrès et de la constitution ! M. Liedts voulait un gouvernement dégagé des anciens abus, et vous voyez qu’aujourd’hui on aggrave ces abus ; il voulait faire jouir le peuple de la constitution la plus large, la plus libérale, la plus républicaine possible, et à coup sûr M. Liedts n’est pas un de ces républicains enragés, n’est pas un homme exalté ; ce n’est point à lui que s’adressent chaque jour des reproches d’exaltation et d’exagération ; c’est l’homme le plus calme, le plus réfléchi qu’il y ait au monde ; et je suis convaincu qu’il se respecte trop pour désavouer son opinion.
Voici enfin venir M. Lebeau ! Je l’ai réservé pour le dernier, parce qu’il touche plus directement à la question qui nous occupe. Bien que les paroles qu’il a prononcées dans la séance du 20 novembre 1830 puissent être considérées comme tant d’autres qui ne ressemblent guère aujourd’hui qu’à des palinodies, je crois devoir les citer. Voici comment il s’exprime :
« Ce qui rattache des esprits généreux à la république, c’est qu’ils reconnaissent dans chacun de ses détails, l’empreinte du principe de l’élection populaire.
« Eh bien, dût cette assertion se présenter comme paradoxale, je n’hésite pas à dire que dans la monarchie constitutionnelle le principe d’élection domine tout. »
Voilà l’esprit de la constitution ! Voilà l’esprit dans lequel son article 108, comme tous les autres, ont été discutés et acceptés !
On n’a accepté une monarchie que comme une nécessité, et seulement à la condition qu’elle serait accompagnée des libertés les plus larges, des institutions les plus républicaines ; en un mot, on a voulu une monarchie républicaine.
On reconnut que dans une république toutes les fonctions devaient être électives, et que c’est pour cela que des esprits généreux la préfèrent à la royauté ; c’est M. Lebeau qui parle ainsi ; cependant on accepte la royauté, parce que tout le monde entend que toutes ses institutions seront basées sur le principe de l’élection populaire.
Eh bien, voyons maintenant ce qu’a voulu la constitution, d’après les principes établis par ses auteurs ; ce sera chose facile que d’en déterminer le sens et l’esprit.
L’article 108 (chapitre IV. Des institutions provinciales et communales) porte : Les institutions provinciales et communales sont réglées par des lois. Ces lois consacrent l’application des principes suivants. 1° L’élection directe sauf les exceptions que la loi peut établir à l’égard des chefs des administrations communales et des commissaires du gouvernement près des conseils provinciaux ; 2° l’attribution aux conseils provinciaux, etc.
Ainsi il y a une différence entre ce que prescrit la constitution et ce que disposait la loi fondamentale des Pays-Bas de 1815. Cette constitution ne liait personne ; cette constitution n’imposait pas le principe de l’élection directe, ni même celui de l’élection indirecte mais ici il y a un principe posé : celui de l’élection. C’est la base indispensable. La loi établit d’abord qu’il y aura élection, et que cette élection sera directe ; elle admet ensuite que la loi pourra établir des exceptions, c’est-à-dire qu’il pourra y avoir des élections indirectes. Ainsi, ce qu’il convient d’examiner, c’est non pas de savoir s’il y aura élection ou nomination, mais de savoir s’il y aura élection directe ou non, car il doit toujours y avoir élection soit directe, soit indirecte.
Evidemment le gouvernement ne peut pas s’arroger le droit de nommer le bourgmestre en dehors du conseil ; car alors il n’y aurait plus élection, il y aurait nomination, et la constitution dit qu’il y aura élection.
En principe l’élection doit être directe ; mais puisqu’ici la chambre a rejeté l’élection directe, elle ne peut s’empêcher d’admettre l’élection indirecte ; sans cela elle irait au-delà de l’exception que la constitution lui a permis de faire par concession spéciale au chef de l’Etat.
La liberté des républiques repose sur l’élection populaire ; tous les membres du congrès ont voulu une monarchie avec les libertés de la république, avec le principe d’élection ; où donc y aura-t-il élection populaire si le Roi nomme même aux fonctions les plus populaires, aux fonctions les plus rapprochées du peuple, celles de l’administration de la commune, s’il nomme à ces fonctions dans le conseil, surtout s’il nomme hors du conseil ; car si vous admettez l’amendement du ministre de l’intérieur, il faut autant donner au gouvernement le droit de nommer toujours en dehors du conseil.
Admettre un tel système, ce serait évidemment violer l’article 108 de la constitution ; car vous posez dans la loi communale la règle inverse de celle de la constitution.
L’amendement présenté par mes honorables amis MM. Seron et de Robaulx est bien plus conforme au texte et à l’esprit de la constitution.
En effet l’élection directe, voilà la règle. Par une concession de la part de la chambre, vous avez admis en faveur du gouvernement une dérogation à ce principe, à cette règle générale. Que reste-t-il à faire ? Il faut, en maintenant ce que vous avez accordé (car vous avez accordé la nomination au Roi), restreindre cette disposition de manière à ce qu’elle cadre autant que possible avec les principes de l’élection populaire ; il faut donc restreindre le choix du Roi plutôt que de l’étendre.
Si vous vous référez aux opinions exprimées par les partisans des institutions monarchiques-républicaines, par ces hommes d’Etat aujourd’hui si haut placés, vous pouvez bien, puisque vous n’admettez pas l’élection directe par le peuple, admettre la nomination parmi les élus du peuple et sur une liste de trois candidats présentés par eux ; vous le devez, à moins de renier à la fois leurs principes et ceux de la révolution.
Cette manière de faire offre assurément bien plus de garanties que ne peuvent en présenter les rapports d’un commissaire de district ; car on sait bien qu’un commissaire de district ne fait pas tout par lui-même. Ainsi ce sera souvent un commis à 600 fr. qui fera le rapport. M. tel ou tel aura recommandé M. tel ou tel, et c’est d’après les recommandations les plus niaises ou les plus plates que sera faite la présentation à la nomination du Roi. Assurément ou trouve bien plus de garanties de bon ordre et de bonne administration dans la présentation de trois candidats par le conseil communal qui est directement intéressé à une bonne nomination.
M. le ministre de l’intérieur, qui demande la nomination dans le conseil avec cette innocente restriction que, pour des motifs graves, la nomination pourra avoir lieu hors du conseil, ose dire que c’est là la concession la plus large que le gouvernement puisse faire. C’est vraiment une dérision. Alors que vous faites au gouvernement la concession la plus large que la constitution vous permette de lui faire, c’est lui qui vient parler de concessions, c’est lui qui ose se vanter de vous faire la plus large des concessions. En vérité, c’est abuser de votre longanimité.
C’est à vous à voir maintenant si vous voulez rentrer dans le régime du bon plaisir, ou suivre les principes de liberté des institutions communales posés par la constitution. Car, voilà l’alternative où vous êtes placés !
Si vous adoptez l’amendement du ministre de l’intérieur, vous accordez au gouvernement plus de pouvoir que n’en avait le gouvernement du roi Guillaume ; Car non seulement le gouvernement pourra nommer le bourgmestre en dedans ou en dehors du conseil, mais il pourra le destituer, pouvoir que n’avait pas le gouvernement de Guillaume.
Ainsi le gouvernement aura des pouvoirs plus étendus sur l’administration de la commune, que s’en était donné, que n’en avait usurpés, si vous voulez, le gouvernement de Guillaume ; et cela quatre ans après une révolution contre les mêmes abus, quatre ans après les professions de foi les plus libérales faites par des hommes aujourd’hui si haut placés, sous une constitution enfin la plus libérale du monde.
Advienne que pourra !
Quant à moi, je voterai contre l’amendement de M. le ministre de l’intérieur, et, pour l’amendement de mes honorables amis Seron et de Robaulx. Je déclare protester d’avance contre toute autre disposition. D’avance je demande que mon vote soit inscrit au procès-verbal.
Car un jour viendra où on pourra y reconnaître les vrais défenseurs du pays !
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne m’attendais pas à entendre, à l’occasion de l’amendement que j’ai eu l’honneur de préposer, exhumer toutes les discussions du congrès sur la constitution du gouvernement en Belgique ; mais heureusement il me sera très facile de prouver que je ne suis pas le moins du monde en contradiction avec mes paroles qu’on a citées. Qu’ai-je dit en effet ? que je voulais « la monarchie avec la liberté d’une république. » Ce que j’ai dit est vérifié : que l’on consulte la constitution et nos lois organiques, et que l’on dise si nous n’avons pas une monarchie avec la liberté d’une république.
Je ne voulais pas plus alors que je ne veux aujourd’hui l’anarchie dans le pays ; c’est pour cela que je voulais une monarchie, je voulais la liberté ; mais en même temps je voulais l’ordre. Ce sont aussi ces deux pensées qui, aujourd’hui, comme au temps du congrès, dominent toute la part que j’ai prise à la confection des lois.
En effet, à l’époque même de la discussion de la constitution, n’ai-je pas présenté au congrès un amendement qui excluait de l’élection directe les bourgmestre et échevins ? c’est là une vérité frappante et qui fait voir combien il est dangereux de citer des passages de discours isolés, de scinder les opinions d’un orateur. Je crois que cette seule citation de mon amendement suffit pour faire voir comment j’entendais la liberté d’une république.
Après la citation que l’on a faite de diverses opinions exprimées dans le congrès, on est revenu à une comparaison qui m’a singulièrement étonné : on a comparé les institutions du gouvernement des Pays-Bas avec nos institutions, même en ce qui concerne le régime communal.
Mais sous le gouvernement des Pays-Bas, la première nomination de tous les fonctionnaires municipaux fut accordée au gouvernement. Ce fut sous l’empire de cette disposition que parurent les premiers règlements des villes et du plat pays.
Je conviens avec l’honorable préopinant que les premiers règlements des villes présentaient des dispositions plus larges sous certains rapports que celles qui se trouvent dans le projet de loi communale. Mais quoique le gouvernement, à la première nomination, eut lui-même choisi tous les membres de l’administration communale, plus tard il s’aperçut qu’il avait été trop loin dans la confection des premiers règlements ; et les seconds règlements apportèrent des modifications à ce qui avait été accordé par les premiers ; ces règlements sont de 1825.
Ainsi l’on ne peut pas comparer les dispositions des premiers règlements donnés sous l’empire de la première nomination par le gouvernement de tous les fonctionnaires municipaux, avec la loi communale qui a donné pour la première organisation l’élection directe de tous les conseils communaux, et, qui, pour la première nomination astreint le gouvernement aux règles ordinaires.
Mais, dit-on, le dernier règlement des villes avait des expressions moins larges que celles de l’amendement que j’ai proposé. Je ne crois pas que les expressions du règlement des villes eussent une autre signification que mon amendement.
Mon amendement dit : « pour motifs graves ; » le règlement des villes disait : « pour les cas extraordinaires et de nécessité. » Il est évident que cela reviendra au même dans la pratique. En effet, quand y aura-t-il nécessité ? Quand y aura-t-il des circonstances extraordinaires ? Quand dans un conseil communal il n’y aura pas de membre apte à exercer les fonctions de bourgmestre, ou bien quand des membres qui pourraient remplir ces fonctions ne voudront pas les accepter ; et ce second cas se présentera très fréquemment ; car une infinité de citoyens très habiles à exercer les fonctions de bourgmestre, ne veulent pas se charger de ce fardeau. Sous ce rapport évidemment il n’y a pas de différence entre l’une et l’autre disposition.
Mais, dit-on, sous l’empire des anciens règlements, le bourgmestre n’était pas révocable. Je conviens que ce droit de révocation n’était pas littéralement écrit dans les règlements des villes, mais il n’en est pas moins vrai que le gouvernement qui s’était réservé le droit de nomination, croyait avoir aussi le droit de révocation et qu’il en a usé.
On a encore perdu de vue une disposition très importante qui dominait toute l’organisation communale, c’est qu’aux termes des règlements, l’ancien gouvernement avait le droit de les interpréter, de les modifier suivant que les circonstances l’exigeaient. Cela était littéralement écrit dans les règlements. Dès lors, les dispositions relatives aux nominations, aux attributions, etc., n’avaient rien de fixe, et n’avaient pas d’autre valeur que celle que le gouvernement voulait bien leur accorder.
Mais, a-t-on ajouté, d’après la loi fondamentale, les règlements avaient la même force obligatoire que la loi fondamentale elle-même. C’est encore là une erreur : les articles 6 et 7 de la loi fondamentale n’ont nullement cette portée. Ces articles se rapportent exclusivement à l’admissibilité, aux fonctions et au droit de voter : voici les termes de ces dispositions :
« Art. 6. Le droit de voter dans les villes et les campagnes, ainsi que l’admissibilité dans les administrations provinciales on locales est réglé par les statuts provinciaux et locaux. »
« Art. 7. Les dispositions de ces statuts relatives aux droits et à l’admissibilité mentionnés au précédent article, telles qu’elles seront en vigueur à l’expiration de la dixième année qui suivra la promulgation de la loi fondamentale, seront censées faire partie de cette loi. »
On voit donc que les règlements n’avaient la même force que la loi fondamentale que pour l’admissibilité aux fonctions et le droit de voter. Quant aux autres dispositions, celles relatives à l’organisation du personnel et aux attributions, les règlements demeuraient dans les termes simples de règlements d’administration publique ; c’est-à-dire que le gouvernement pouvait les modifier et les interpréter suivant son bon plaisir. Voici la disposition sur laquelle le gouvernement faisait reposer son droit à cet égard : « Dans les cas de doute sur le sens de ce règlement, ou si quelque changement ou interprétation était nécessaire, il y sera pourvu ultérieurement par le Roi. »
Si du règlement des villes on passe au règlement du plat pays, qu’y trouve-t-on ? Là, point d’élection ; le conseil municipal est nommé par la députation des états ; les bourgmestre et échevins sont nommés par le Roi ; le bourgmestre est choisi, comme le Roi le trouve convenable, dans le conseil ou hors du conseil, dans la commune ou hors de la commune.
Après cela, n’est-il pas étonnant d’entendre comparer les anciennes institutions communales (si l’on peut donner ce nom à l’organisation communale antérieure à la révolution qui reposait sur de simples règlements), avec les principes de la constitution et de la loi que nous discutons ?
On est encore revenu sur l’arrêté du gouvernement provisoire qui appelait tous les citoyens à prendre part à l’élection directe des membres de l’administration municipale. Je pense que cette mesure du gouvernement provisoire fut une mesure politique ; mais cette mesure toute politique et de circonstance ne devait pas faire règle pour l’avenir ; c’est ce que le congrès national produit de l’élection directe a formellement reconnu. Dès lors c’est à tort que l’on a recours à un acte antérieur au congrès.
Le même orateur s’appuie ensuite sur la constitution. Selon lui, d’après l’article 108 il faut toujours qu’il y ait élection ; si vous n’admettez pas l’élection directe, au moins, dit-il, devez-vous admettre l’élection indirecte, car l’article 108 ne permet pas qu’il y ait une nomination sans élection.
En lisant cet article, je n’y trouve rien qui puisse appuyer une telle opinion.
De ce que la constitution consacre le principe de l’élection directe pour les conseils municipaux, s’en suit-il qu’il doit y avoir élection indirecte pour les bourgmestres et les échevins ? Evidemment non.
Car indépendamment de l’élection directe, il y avait encore le système de nomination sans élection. En voulez-vous la preuve évidente ? Vous la trouvez dans l’article 108 même de la constitution. En effet, comment pourrait-on supposer qu’il fût venu à la pensée non seulement du congrès entier mais d’un seul membre du congrès que les gouverneurs des provinces dussent être nommés par voie d’élection indirecte. Cependant les gouverneurs de province et les chefs d’administrations municipale sont mis sur la même ligne ; de telle manière que la loi provinciale ayant attribué la nomination des gouverneurs au Roi, la loi communale pouvait lui donner celle des bourgmestres. Au reste jusqu’à présent, l’opinion émise par l’honorable préopinant n’a pas trouvé d’écho dans cette enceinte.
Lors de la première discussion de la loi communale, on s’est attaché à montrer une tendance vers l’absolutisme dans cette institution, et c’est à ce prétexte que lorsqu’il s’est agi de l’organisation du personnel, on a dit : mais au titre des attributions, vous aurez tout ce que vous voudrez, Car si nous émancipons les personnes, nous vous donnerons un grand pouvoir sur les actes.
Quand on est arrivé au titre des attributions, on a dit : les attributions doivent être essentiellement libres, il faut les affranchir de tout contrôle. Si le gouvernement avait eu cette tendance vers l’absolutisme qu’on lui reproche, il n’aurait pas fait autant d’efforts pour obtenir une organisation communale qui fût supportable, qui fût fondée en raison.
En effet, le meilleur moyen d’arriver à un système d’absolutisme, était de laisser dans les institutions communales des germes d’anarchie qui eussent d’ici à peu d’années nécessité une révision de cette loi, révision qui, se faisant sous l’impression des abus auxquels la loi aurait donné lieu, sous l’influence d’un esprit de réaction, aurait fondé un système contraire.
Ce que je dis, messieurs, est prouvé par l’expérience. En effet, toutes les institutions qui avaient été créées en France dans les premiers temps de la révolution, avait faussé le pouvoir communal, en lui donnant une extension qu’il ne pouvait comporter. Qu’en est-il résulté ? Que la nation, fatiguée de cet état d’anarchie, a donné au gouvernement ou lui a laissé prendre un pouvoir d’autant plus absolu, qu’on avait davantage relâché tous les ressorts de l’autorité. Cette conséquence était inévitable. Dans tous les pays, chaque fois qu’on voudra exagérer un principe de gouvernement, il y aura réaction quelques temps après.
Un honorable orateur qui a parlé dans la séance d’hier, a émis des considérations générales sur le système d’organisation municipale. Il a pensé que l’on pourrait laisser davantage aux communes dans l’organisation du personnel, peut-être même dans les attributions, en admettant d’autres garanties telles par exemple que le droit de dissolution des conseils communaux.
Quant à moi, je pense qu’obligé d’opter entre ces deux systèmes, on ne peut pas hésiter à donner la préférence à l’organisation qui laisse moins de portes ouvertes aux abus et ne met pas dans la nécessité de recourir à un remède extrême qui après tout, la pratique l’a prouvé, n’en est pas toujours un. Ainsi, je pense qu’il est beaucoup plus important, pour m’en tenir au cas qui nous occupe, de laisser au gouvernement la faculté, dans certaines circonstances, de prendre le bourgmestre hors du sein du conseil que d’obliger le gouvernement à dissoudre un conseil communal pour trouver dans le produit d’une seconde élection de quoi faire un choix.
Pour déterminer la chambre à ne pas accorder au gouvernement la juste part qu’il réclame dans l’organisation communale, on a différentes fois cherché à effrayer la chambre sur les votes qu’elle a déjà émis, comme si la chambre avait en tous points accordé au gouvernement ce qu’il avait demandé.
Je rappellerai à la chambre les textes primitifs du projet du gouvernement et je les comparerai avec les dispositions adoptées par la chambre, on verra si la chambre s’est laissée entraînée sur une pente si facile des concessions.
Que trouvons-nous dans le projet primitif du gouvernement ? La nomination du bourgmestre hors du sein du conseil, comme le gouvernement l’entendait. La chambre a adopté la nomination du bourgmestre exclusivement dans le sein du conseil, et aujourd’hui nous proposons un système de transaction. Nous ne demandons la réserve de pouvoir nommer le bourgmestre hors du sein du conseil, que pour des motifs graves.
Passant à la nomination des échevins nous trouvons dans le projet du gouvernement la nomination conférée au Roi sans présentation et le droit de révocation sans aucune espèce de motif. Dans le vote de la chambre nous trouvons la nomination sur présentation de candidats par le conseil, et nous trouvons cette nomination irrévocable si ce n’est par la députation des états et pour causes déterminées.
Le projet du gouvernement proposait la dissolution. La chambre a rejeté ce droit de dissolution.
Si on passe à ce qui concerne les fonctionnaires subalternes, les secrétaires et les receveurs, je trouve encore des votes semblables.
Ainsi, vous voyez que la chambre ne s’est pas laissée aller à accorder au gouvernement des pouvoirs excessifs, comme on n’a cessé de vous le dire. Au contraire, je pense qu’on peut dire avec vérité que la chambre s’est peut-être trop laissée influencer par ce qui existe aujourd’hui et qu’elle a peut-être craint trop d’influence de la part du gouvernement. Mais c’est à tort, car il est évident que si nous voulons arriver à une organisation stable, à un état normal, il faut que le gouvernement ait assez d’autorité pour supprimer les abus qui peuvent se rencontrer dans les administrations municipales. Sans la puissance de réprimer ces abus, ou peut dire qu’il y a absence de gouvernement. Aussi la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire, n’a-t-elle d’autre portée que de réprimer les abus qui pourraient naître d’une règle aussi absolue que celle que la chambre a adoptée.
J’ai déjà dit comment j’entendais l’application de l’amendement que j’ai proposé. Cette application ainsi envisagée, ne peut être susceptible d’aucune critique fondée. Mais, dit-on, si le gouvernement use de ce droit, il y aura division, dissension dans le conseil ; il n’y aura pas d’harmonie entre le bourgmestre et le conseil. C’est encore là une pure supposition, car, au contraire, il peut arriver que ce soit le seul moyen de rétablir l’harmonie dans un conseil et dans une commune.
D’ailleurs, si la nomination d’un bourgmestre hors du sein du conseil pouvait amener des divisions dans le conseil, ou une résistance de sa part, le gouvernement étant le premier intéressé à ce que l’administration communale marche régulièrement, n’introduirait pas dans le conseil ce germe de dissension, et il faut supposer aux administrateurs assez de bon sens pour ne pas vouloir se créer bénévolement des embarras Le gouvernement sera d’autant plus circonspect, et pour choisir un bourgmestre hors du sein du conseil, et l’administration provinciale le sera aussi d’autant plus pour le proposer, que c’est assumer une responsabilité plus grande que de dévier de la règle générale. Voilà la garantie fondamentale de la bonne exécution de cette disposition.
Mais, a-t-on dit, cette disposition est injurieuse pour le conseil communal. Si vous dites que pour des motifs graves le Roi pourra nommer le bourgmestre hors du sein du conseil, vous injuriez le conseil de la commune où cette mesure sera prise. Nullement.
Si, par exemple, personne dans le conseil ne veut accepter les fonctions de bourgmestre, ou si l’homme capable de les remplir et en qui le gouvernement croit pouvoir mettre sa confiance n’accepte pas, y a-t-il injure pour le conseil à ce que le gouvernement choisisse le bourgmestre hors de son sein ? Non. Je dirai plus que dans bien des circonstances le conseil serait le premier à réclamer l’application de cette disposition de la part du gouvernement.
Il me reste à répondre deux mots à des observations faites par l’honorable M. Verdussen.
Il s’est demandé si d’après le texte de mon amendement, le bourgmestre pouvait être pris parmi les éligibles aux fonctions municipales ou partout ailleurs ? Evidemment, c’est dans le premier sens que la disposition est présentée. Ce n’est pas seulement parmi ceux qui sont domiciliés dans la commune, parce que dans les communes de 400 habitants et, au-dessous, un tiers des membres du conseil peut être pris hors de la commune, pourvu qu’ils paient le cens dans la commune où ils sont élus. C’est pour cela que j’ai mis dans mon amendement les expressions parmi les éligibles ; elles n’ont pas d’autre signification que les éligibles du conseil communal de la commune dans laquelle le bourgmestre est nommé.
Le même orateur a cru que cette disposition donnera lieu à ajouter un membre de plus au conseil communal, parce que le nombre est fixé par l’article 2 du projet. Mais c’est une erreur.
L’article 2 dit : « Le corps communal est composé de tant de membres suivant la population des communes ; » mais, l’article premier dit : « Il y a un corps communal composé des conseillers, du bourgmestre et des échevins. » Le bourgmestre faisant partie du corps communal, il n’y a pas lieu à augmenter le nombre des membres du corps communal. Ainsi la chambre peut adopter mon amendement, sans rien changer à l’article 2 au nombre des membres du corps communal. Je ferai observer au reste, que la chambre a réservé son vote sur l’article relatif au corps communal, jusqu’après l’adoption de l’article actuellement en discussion.
J’attendrai que d’autres observations soient faites contre l’amendement que j’ai proposé pour y répondre.
M. Jullien. - Messieurs, je me propose de parler contre l’amendement de M. le ministre de l'intérieur et pour celui des honorables MM. Seron et de Robaulx.
Je vous avouerai, messieurs, que si j’avais la conviction que tous les honorables représentants au congrès qui viennent d’être passés en revue par l’honorable M. Gendebien venaient soutenir les mêmes doctrines qu’ils émettaient alors, je renoncerais à la parole, car il serait impossible de soutenir mieux qu’ils ne l’ont fait, la thèse que je m’apprête à défendre. Mais, comme il est possible qu’ils aient changé d’avis, je garde la parole et je vais émettre mon opinion.
Avant d’aborder la question des amendements, j’aurai l’honneur de soumettre à la chambre quelques considérations générales.
D’abord, vous avez dû vous apercevoir que ce qui caractérise particulièrement, aussi bien au second vote qu’au premier, les opinions de MM. les ministres en titre et des ministre d’Etat, ainsi que leurs amendements, c’est une défiance continuelle, véritablement injurieuse contre les corps municipaux.
Messieurs, sur quoi, je vous prie, cette défiance peut-elle être fondée ? On semble craindre que les corps municipaux n’empiètent sans cesse sur le pouvoir royal, sur le pouvoir souverain. Mais ouvrez l’histoire, et vous serez convaincus qu’à toutes les époques, c’est toujours le pouvoir souverain qui a usurpé les franchises des communes. Ce n’est pas seulement le pouvoir royal, mais les grands vassaux, la noblesse, les seigneurs, tous ceux enfin qui pouvaient, par leur puissance, se mettre au-dessus des communes ; et cela a été au point que les rois les plus despotes eux-mêmes se sont trouvés dans la nécessité de rendre aux communes leurs franchises, pour s’en faire un appui contre leurs grands vassaux qui voulaient usurper le pouvoir royal. C’est ce que fit Louis XI dont la mémoire serait plus odieuse qu’elle ne l’est, si on pouvait arracher cette page de son histoire.
Cependant, on vous entretient toujours de la crainte que les communes n’usurpent sur le pouvoir du gouvernement, tandis que le passé qui, pour les gens sages, est la leçon de l’avenir, vous indique que loin de prendre des précautions contre les communes dans l’intérêt du pouvoir central, vous devriez au contraire prendre des précautions contre le pouvoir central envers des communes. C’est précisément le contraire que vous proposez, et en cela vous donnez un démenti patent à l’histoire de tous les temps.
Une autre observation générale vous a été présentée par l’honorable M. Gendebien, c’est sur le principe constitutionnel posé par l’article 108 de la constitution. Evidemment cet article pose le principe de l’élection directe des magistrats de la commune. On a semblé dire que l’honorable M. Gendebien avait prétendu que ce principe était posé d’une manière absolue, et que dans aucun cas on ne pouvait y apporter une exception. Je ne pense pas que telle soit son opinion. Ce ne serait pas la mienne. Je reconnais qu’on peut apporter des exceptions à ce principe. Mais on vous a demandé : D’abord est-on dans le cas de l’exception, et ensuite y a-t-il des raisons suffisantes pour laisser absorber par l’exception un principe aussi solennellement posé dans la constitution de l’Etat que l’élection des magistrats de la commune ? y a-t-il lieu de sacrifier ce principe, car l’exception que vous proposez absorbe le principe. C’est l’observation qui a été émise par l’honorable M. Gendebien, c’est celle que j’émets et c’est aussi la question qui a été agitée lors du premier vote.
Vous avez décidé que le Roi pourrait prendre les bourgmestres dans le sein du conseil municipal. En cela vous n’avez pas violé le principe constitutionnel, et ceux qui ont rejeté l’amendement de M. Seron, lorsqu’ils ont admis la rédaction de la section centrale, ont pensé que c’était le moyen le plus sage de concilier le principe de l’élection directe avec le droit de nomination du bourgmestre conféré au Roi.
Ceux-là ont pensé qu’on faisait au pouvoir une assez large part en lui permettant de nommer les bourgmestres dans le sein des conseils municipaux. Mais cette économie résultant de votre vote est tout à fait dérangée par l’amendement du ministre de l’intérieur.
Il propose par cet amendement de dire que, dans les cas graves, le Roi pourra nommer le bourgmestre au-dehors du conseil. En d’autres termes, savez-vous ce que cela veut dire ? Que le Roi pourra nommer les bourgmestres hors du conseil. Le reste est un petit circuit jésuitique, par lequel on nous ramène à une disposition formellement écartée ; car vous avez formellement écarté la disposition qui permettait au Roi de prendre le bourgmestre dans le sein ou en dehors du conseil, et vous avez décidé qu’ils devaient être pris en dedans.
Le ministre demande que, dans les cas graves, le Roi puisse choisir le bourgmestre en dehors du conseil. Mais qu’est-ce que c’est que des cas graves ? Le ministre a cherché, il est vrai, à l’expliquer ; mais il n’a pas pu le faire. Quand on pose des principes aussi élastiques, aussi généraux, on ne fait rien, car cela ne tient à rien. Si vous disiez : Dans tels cas donnés « le Roi pourra prendre le bourgmestre hors du conseil, » je comprendrais votre proposition et sa portée ; mais il est impossible d’admettre une disposition aussi vague que celle-là : « Dans les cas graves on pourra, etc. » A la première nomination on prendrait les bourgmestres dans le sein des conseils et plus tard, comme le pouvoir a toujours envie de prendre, on fera toutes les nominations de bourgmestre directement, on négligera la première disposition et on n’appliquera que la seconde. On dira : C’est qu’il y a des cas graves ! Qui de vous ira demander au gouvernement quels sont ces cas graves qui ont déterminé le pouvoir à faire les nominations des bourgmestres en dehors du conseil ?
Les chambres ne sont pas accoutumées à montrer autant de fermeté et de dignité. Le Roi serait d’ailleurs autorisé à répondre : Dans ma conscience, j’ai trouvé qu’il y avait des motifs graves, et j’ai usé de mon droit. Voilà comme des garanties constitutionnelles disparaissent devant des dispositions aussi larges que celle que propose le ministre de l’intérieur.
Le ministre a cependant donné un motif pour justifier en quelque sorte cette expression de cas graves. Il a dit : Mais il y a des communes ou l’on ne trouvera peut-être pas de bourgmestre dans le sein du conseil, ou les membres du conseil aptes à remplir ces fonctions refuseront d’accepter la place, et alors que voulez-vous que le Roi fasse ? Je commencerai par répondre à cette objection : Si vous étiez sincères, vous formuleriez cette objection en disposition, et vous diriez : « Dans le cas où les membres d’un conseil refuseraient d’accepter la place de bourgmestre, dans ce cas, qui serait spécial, le Roi sera autorisé à le nommer en dehors du conseil. »
Je concevrais alors que vos craintes ont quelque chose de sérieux. Mais c’est ce que vous vous gardez bien de dire. Quant à moi, je ne suis pas du tout touché des craintes que manifeste le ministre. En effet, dans toutes les grandes villes et dans les principales communes, il y a toujours des hommes qui ambitionnent la place de bourgmestre, et je suis persuadé qu’au lieu d’un ou deux, on en trouverait davantage.
Mais on dira : Peut-être ces individus ne seront-ils pas choisis par les électeurs ? Messieurs, quand les électeurs seront appelés à composer le conseil dans lequel ils savent que le bourgmestre sera pris, soyez persuadés qu’ils auront soin de consulter l’opinion publique et l’opinion particulière de ceux auxquels la place pourra convenir et qui pourront convenir à la place. Voilà ce que vous aurez dans toutes les communes. Quand on saura que le bourgmestre sera pris dans le conseil, soyez persuadés que ceux qui ambitionnent la place et ceux qui sont intéressés à ce qu’elle soit convenablement remplie, chercheront à y entrer ou à y faire entrer tel homme ou tels hommes sur lesquels le Roi pourra fixer avec confiance son choix.
S’agit-il des petites communes, des communes rurales, vous venez d’adopter une disposition qui permet de nommer pour ces communes un certain nombre de conseillers appartenant à d’autres communes, parce que la population y est trop rétrécie. Ainsi, soit que vous envisagiez la question par rapport aux grandes communes ou par rapport aux petites, vous n’aviez pas à craindre qu’on ne trouve pas dans le sein des conseils de quoi nommer un bourgmestre.
Je pourrais dire à M. le ministre que par cette obstination à vouloir directement ou indirectement avoir la nomination du premier magistrat de la commune, il n’entend pas les véritables intérêts du gouvernement. Il y a là aberration, envie de pouvoir qui aveugle tous ceux qui se jettent dans cette carrière. Lorsqu’un bourgmestre appartient au conseil municipal, lorsqu’il est l’élu du peuple, il arrive que, cédant aux instructions des agents du gouvernement, il commet des abus de pouvoir, des vexations contre les citoyens. Si ceux-ci se plaignent, que pourra dire le gouvernement ? Vous l’avez choisi, prenez-vous-en à vous-même ; tandis que lorsque vous nommerez vous-même les bourgmestres, ce jour-là on sera tenté de rejeter sur le gouvernement, et on rejettera en effet sur lui toutes les fautes, tous les excès commis par eux ; et ce sera une justice à rendre au gouvernement que de dire, dans beaucoup de cas, qu’il n’en sera pas coupable.
Ce seront les âmes damnées du pouvoir qui vont toujours au-delà de ce qu’il leur est prescrit de faire, qui auront, par excès d’autorité, influencé les magistrats dont il est question.
Si vous ne les nommiez pas vous-mêmes, vous leur diriez ce que le roi Guillaume disait à ceux qui venaient se plaindre à lui de la loi sur la mouture : « Vous vous plaignez de la loi sur la mouture, mais ce sont vos représentants qui l’ont faite. Vous, ministres, vous répondriez dans le même sens : C’est vous qui l’avez voulu, c’est vous qui l’avez nommé. » Voilà comme je crois que le gouvernement entend mal ses intérêts en voulant avoir à toute force la nomination directe ou indirecte des bourgmestres.
J’en viens maintenant à l’amendement des honorables MM. Seron et de Robaulx. Je dirai, ainsi que mon ami M. Gendebien, que l’amendement de ces messieurs est la reproduction des dispositions de la loi fondamentale. D’après cette loi à laquelle on ne pouvait porter atteinte sans abus de pouvoir, il fallait une triple liste de candidats. Je n’y vois qu’avantages et pas d’inconvénient. Vous avez décidé qu’on choisirait dans le sein du conseil, et vous craignez que le choix ne tombe sur un membre qui ne voudra pas accepter. Cet amendement pare à l’inconvénient, parce que le conseil présentera trois candidats au Roi, et qu’il y en aura au moins un ou deux qui accepteront.
Je défie qu’on me prouve qu’il y ait le moindre inconvénient à accepter cet amendement ; c’est une indication au pouvoir, c’est lui dire : Voilà l’homme agréable au conseil municipal, l’homme populaire, l’homme qu’il faut choisir. Le gouvernement peut-il trouver autre chose dans cette présentation qu’une instruction qui représente les vœux du conseil communal et ceux des habitants ? Là, où les magistrats sont unis, les communes sont bien administrées ; s’il y a dissidence, c’est tout le contraire ; alors, l’administration va de travers, et toujours au préjudice du contribuable. Ceux qui ont administré quelques années de leur vie ne peuvent nier cette vérité.
J’ai entendu tout à l’heure un honorable ministre d’Etat rabaisser les libertés et les franchises communales, en les assimilant à de la petite monnaie ; il nous a dit qu’il y avait dans la constitution des pièces d’or frappées au bon coin, telles que la responsabilité des ministres, etc. La responsabilité des ministres surtout ; mais malheureusement c’est une de ces pièces qui n’ont pas cours. (On rit.) Ce n’est point que je désire une loi sur la responsabilité des ministres. La manière dont ils sont rendus justiciables de la chambre pour les délits et crimes qu’ils pourraient commettre convient mieux que toutes les lois. La responsabilité des ministres jusqu’à présent n’a été qu’un vain mot, et s’ils voulaient nous présenter une loi sur cette responsabilité, ils gâteraient ce que nous avons déjà ; aussi je ne hâterai jamais la présentation de cette loi.
On nous a toujours parlé dans le même sens : si on ne trouve pas de bourgmestres, a-t-on dit, que fera le gouvernement ? Cela est applicable à toutes les questions possibles. Si vous ne trouvez pas d’échevins, de conseillers municipaux, que ferez-vous ? On veut abuser la chambre en cherchant à lui imposer des craintes vagues sur des événements qui ne se présenteront pas. Vous courrez les mêmes risques dans toutes les places que vous offrirez, excepté pourtant pour les places de ministre qui sont toujours très acceptables. (Hilarité.) Permettez-nous de croire qu’il y aura des honorables citoyens qui accepteront les fonctions de bourgmestre. On en trouvera dans ma ville, par exemple, dix pour un, et d’excellents encore.
Si on laissait le choix au gouvernement, on ne trouverait que de ces hommes serviles, bons à tout, excepté à faire le bien de la ville qu’ils sont appelés à administrer. En résumé, je voterai contre l’amendement de M. le ministre de l’intérieur et pour celui de MM. Seron et de Robaulx.
(Erratum au Moniteur belge n°73, du 14 mars 1835) M. de Foere. - Messieurs, je n’entrerai pas dans la voie qui a été battue par les honorables orateurs qui m’ont précédé. Je porterai la discussion sur un autre terrain. J’examinerai la question de savoir si d’après le vote qui a eu lieu hier, et la part vive que le ministère a prise dans la discussion pour faire adopter la question préalable, si, dis-je, eu égard à ces précédents, le retrait de l’amendement du ministre de l’intérieur n’est pas devenu aujourd’hui une question d’impartialité, de loyauté et de dignité ministérielle.
En accordant, par le premier vote, au gouvernement le pouvoir de nommer les bourgmestres, et en restreignant ce pouvoir dans les limites du conseil communal, la chambre avait fait sagement une part du pouvoir au gouvernement et à la nation. Mais, tout en maintenant la part du gouvernement, le ministère vient aujourd’hui, au moyen d’un amendement, l’agrandir considérablement, et atténuer, dans la même proportion, celle de la nation. Il est évident que la partie n’est plus égale dans la discussion.
Plusieurs membres de la chambre, et je me trouve parmi le nombre, auraient préféré l’élection directe des bourgmestres à la disposition de la première partie de l’article 6, si tant est que l’amendement de M. le ministre de l’intérieur puisse venir encore remplacer la deuxième partie du même article.
Quand un amendement se porte sur le mode d’exécution d’un principe adopté, le principe doit être discuté de nouveau, toutes les fois qu’il existe entre le principe et le mode d’exécution une connexité telle que le principe puisse être gravement ébranlé par tel nouveau mode d’exécution.
La première partie de l’article 6 pose en principe la nomination des bourgmestres par le Roi ; la deuxième partie la restreint dans les limites du conseil communal. Or personne ne niera l’intime connexité qui existe entre un principe et son mode d’exécution. Si celui-ci est changé, le principe en est souvent gravement heurté. Les ministres se sont donné beaucoup d’efforts pour conserver au Roi la nomination des bourgmestres, et par conséquent, pour faire adopter la question préalable ; et ils veulent en même temps, élargir considérablement le cercle de ce pouvoir royal et rétrécir celui de la nation.
C’est nier la connexité incontestable qui existe entre le principe et son mode d’exécution. C’est vouloir s’arroger pour eux seuls, dans l’intérêt exclusif du pouvoir exécutif, tous les bénéfices de la discussion. Si le ministère s’arrogeait la faculté de présenter encore des amendements qui ébranlent gravement le principe tel qu’il a été voté ; c’était pour lui une question de loyauté de permettre que le principe fût remis de nouveau en discussion. Il s’est opposé à cette discussion par la question préalable ; il en résulte qu’aujourd’hui il est de la dignité du ministère de retirer son amendement.
Je n’entrerai pas dans le fond de cet amendement. Le pouvoir arbitraire qu’il attribue au gouvernement a été suffisamment signalé dans le cours de cette discussion. Je me bornerai à présenter une observation qui n’a point été faite, sur les inconvénients que M. le ministre de l’intérieur a fait ressortir dans le cas ou ce pouvoir arbitraire ne serait pas donné au gouvernement.
Je suis charmé que cette partie de la discussion me fournisse l’occasion de signaler à la chambre une déviation du principe qui doit constamment diriger toute législature. Les lois sont fondées sur les faits ordinaires et non sur les faits exceptionnels. Je défie tout législateur de porter une loi qui ne présente pas de quelque côté des inconvénients. La question n’est pas de savoir si telle ou telle disposition contient, oui ou non, des inconvénients, mais de quel côté se trouvent les inconvénients les plus graves et les plus nombreux. C’est en déviant de ce principe, en faisant ressortir continuellement des inconvénients qui ne l’emportent pas sur le fond des questions agitées, que la chambre prolonge considérablement ses discussions.
Telles sont les observations que je désirais présenter à la chambre.
(Moniteur belge n°71, du 12 mars 1835)M. le président. - La parole est à M. Desmet.
M. Dumortier, rapporteur. - Je demande la parole pour un rappel au règlement.
Voilà trois orateurs qui ont parlé contre l’amendement ; s’il est des membres qui veuillent le défendre, ils devraient prendre la parole. Il faut entendre alternativement des orateurs pour et contre. MM. Gendebien, Jullien, de Foere, ont combattu la proposition ministérielle ; M. Desmet va la combattre également : entendra-t-on ensuite tous les défenseurs de l’amendement qui viendront terminer le combat par un feu de file ? Je demande que l’on alterne les orateurs pour et contre.
M. le président. - En ce cas la parole est à M. Rogier.
M. Rogier. - Messieurs, c’est avec peine que je vois la discussion, que j’espérais devoir être promptement terminée, prendre une très grande étendue. Probablement le second vote de la loi communale sera acheté par une perte de temps plus grande encore que le premier. Il est certain qu’à voir la tournure que prennent les débats, nous allons rentrer dans toutes les longueurs de la discussion première, comme si la chambre n’avait pas déjà suffisamment examiné, comme si les opinions n’étaient pas déjà définitivement formées.
Quant à moi, messieurs, j’aurais renoncé à la parole, si je n’avais pas cru nécessaire, dans l’intérêt et pour l’honneur de la révolution belge, de relever certaines erreurs échappées à un honorable préopinant qui a prétendu nous présenter le tableau des libertés communales existantes sous le régime du roi Guillaume, et qui prétend que le système que le gouvernement de la révolution voudrait introduire est despotique. M. le ministre de l’intérieur a réfuté en partie les assertions du préopinant ; mais il importe que de telles opinions ne prennent pas racine dans cette enceinte ni dans le pays, et on ne saurait trop en montrer l’erreur.
Il n’est pas exact de dire que le régime hollandais était plus libéral que le régime belge ; rien n’est plus complètement erroné, et je m’étonne que le préopinant ait été puiser dans le gouvernement déchu des moyens de combattre le système que l’on propose.
Pour le gouvernement du plat pays cet honorable membre n’a cité que le règlement des villes ; il a fait abstraction de toutes les communes rurales, lesquelles sont en bien plus grand nombre que les communes urbaines. C’est dans le règlement concernant les communes rurales que vous apprendrez à connaître le système hollandais.
M. Fleussu. - Nous le savons !
M. Rogier. - Vous le savez ; c’est-à-dire M. Dubus le sait ; mais il ne l’a pas dit à la chambre.
M. Dubus. - Je ne sais pourquoi on m’interpelle.
M. Rogier. - J’ai cru entendre que vous disiez : Nous le savons !
M. Dubus. - Ce n’est pas moi qui ai dit cela ; c’est M. Fleussu qui est assis maintenant à mes côtés.
M. Rogier. - Voici quelle était la disposition de l’article 23 de ce règlement : « Les mayeurs sont nommés par le Roi. Les échevins sont choisis parmi les conseillers communaux et nommés par les états-députés sur la présentation du conseil communal. Les conseillers communaux sont nommés par la députation des états. » Ainsi pas l’ombre d’élection. Voilà quel était le régime libéral de 1817 quant à la nomination du bourgmestre, des échevins et des conseils communaux.
En 1824, le gouvernement modifia en certains points un tel système. Mais, encore une fois, l’honorable M. Gendebien s’est borné à rappeler ce qui existait pour les villes ; et il a oublié d’examiner quel était le vrai système hollandais pour les communes rurales. Dans ces communes l’élection ne s’y présente sous aucune forme : Le Roi nommait le bourgmestre dans le conseil ou en dehors du conseil, et par cette seule nomination il faisait de ce magistrat un membre du conseil ; les états-députés nommaient les conseillers.
M. Gendebien. - Et la loi fondamentale ?
M. Rogier. - Nous n’examinons pas la loi fondamentale. Vous voulez soutenir que le gouvernement belge veut un système moins libéral que celui du gouvernement hollandais ; je prouve le contraire.
M. Gendebien. - Je le soutiens encore !
M. Rogier. - Je prouve le contraire par des faits.
M. F. de Mérode. - C’est clair comme le jour !
M. Rogier. - J’apprécie beaucoup l’approbation de mon honorable ami M. de Mérode. Maintenant, examinons le régime de notre révolution, et parlons de l’arrête d’octobre 1830 auquel j’ai donne ma signature.
Je ne sais pas s’il est extrêmement loyal, pour avoir le plaisir de montrer des collègues en contradiction avec eux-mêmes, de rappeler une mesure d’intérêt général commandée par les circonstances. Si l’on employait une pareille tactique à l’égard de l’honorable membre auquel je réponds, il serait facile de le montrer aussi très souvent en contradiction avec lui-même ; mais je trouve de telles contradictions fort naturelles. Si je cite un seul exemple pour opposer M. Gendebien à lui-même, ce n’est pas pour lui en faire un grief. Lorsqu’il s’est agi de donner des croix pour les services révolutionnaires, cet honorable membre a déclaré que de telles décorations ne pouvaient convenir à ses opinions : cependant, un arrêté du gouvernement provisoire a établi ces distinctions avec des marques plus aristocratiques encore ; car il y avait trois degrés de distinctions ; et M. Gendebien a donné son assentiment à l’arrêté.
L’honorable membre a la prétention d’être toujours d’accord avec lui-même ; c’est pour cela que je cite ce fait ; je n’ai pas la même prétention ; je déclare même que mes opinions ont pu être modifiées par la réflexion et par la pratique.
L’arrêté d’octobre était commandé par les circonstances : quoi qu’il en soit, c’était peut-être une faute que d’abandonner au désordre des élections le choix des bourgmestres, et ce n’est pas moi qui en ai fait la première observation. Le gouvernement a mis une confiance aveugle dans les électeurs, et il s’est hasardé à leur abandonner le choix des bourgmestres au risque d’avoir des choix détestables. Si les élections sont le produit du vœu national dans certaines communes, dans d’autres elles ont revêtu de la magistrature des hommes qui ont fait la honte de la nation, qui ont déshonoré le droit électoral, qu’on veut attribuer d’une manière si absolue aux communes.
On a rappelé les opinions diverses qui ont été émises dans cette enceinte relativement aux institutions républicaines ; dans le congrès les institutions démocratiques ou républicaines avaient en effet des représentants en majorité ; aussi l’esprit du congrès est-il passé dans la constitution qui a consacré un grand nombre de principes démocratiques. Je m’en applaudis ; et je soutiens que la loi communale ne fait que mettre en pratique les principes de la constitution et leur donner des développements sages et en harmonie avec son esprit.
Je n’entrerai pas dans une discussion sur la république, sur la monarchie ; mais je me demande ce que cette question peut avoir de commun avec le nouveau système ; je me demande si la question relative à la nomination des bourgmestres et des échevins ne se serait pas présentée de la même manière sous un chef héréditaire, ou sous un chef électif ? Parce que le chef serait électif, faudrait-il que les bourgmestres le fussent aussi ? Je ne pousse pas si loin les conséquences de l’élection ; je pense que dans tous les cas il est indispensable que le bourgmestre soit nommé par le chef de l’Etat ou en son nom.
Il est une chose qui frappe tous les hommes véritablement amis de l’indépendance et de la nationalité belge ; c’est la tendance qui se manifeste aujourd’hui plus que jamais, dans certains esprits, à se retrancher dans la commune sans pouvoir et sans vouloir s’élever au-delà. Tous les efforts des véritables amis du pays doivent tendre au contraire à combattre cet esprit de localité qui réduirait la nationalité belge en une chose purement illusoire, qui affaiblirait de plus en plus les institutions nationales, qui finirait par transformer la Belgique en une multitude de paroisses, et qui l’empêcherait de s’élever au rang de nation où l’appelle la révolution qu’elle a faite.
Ne le perdez pas de vue, ce n’était pas pour conquérir une prétendue indépendance communale que la révolution a eu lieu ; c’était pour conquérir une nationalité que nous n’avions pas. Ce n’est pas moi qui coopérerai à des mesures qui auraient pour but de mettre en pièces notre nationalité : dans cette chambre surtout, cette tendance que je signale se manifeste d’une manière frappante. Que chacun de nous s’interroge, reporte sa pensée sur toutes nos discussions, qu’y verra-t-il ? Presque toujours l’esprit local nous dominer. Je le dis avec franchise, et je n’entends pas faire exception, ni me donner comme exception, il est certain que dans la plupart de nos débats, chacun de nous se présente plutôt comme le représentant de la localité qui l’a envoyé, que comme le représentant de la nation. Il y a véritablement tendance et tendance fâcheuse à se renfermer dans le cercle de la commune, dans ce cercle local que, quant à moi, je ferai tous mes efforts pour briser. Aussi, tandis qu’un certain nombre de membres tiennent le pouvoir central, que je regarde comme le représentant du pouvoir national, dans un état de suspicion perpétuel, pour moi c’est le pouvoir local qui excite mes soupçons et contre lequel je me tiens en garde.
Je n’aime pas le despotisme en haut ; et, dans l’état de nos institutions et de nos mœurs, je ne le crains pas ; mais ce que je crains beaucoup, c’est le despotisme en bas que ne peut atteindre ni le contrôle des chambres, ni le contrôle de la presse. Et je n’entends pas accorder à ce despotisme, des facilités aussi étendues que veulent lui procurer certains membres qui se donnent ici pour les représentants de la nation par excellence...
M. de Robaulx. - Aussi bons que vous, sans trop nous vanter.
M. Rogier. - L’honorable M. Jullien, suppléant au silence de certains membres qui, dans son opinion, auraient dû défendre leur manière de voir, a fait connaître à l’assemblée les raisons qui probablement avaient déterminé ces membres à persister dans les doctrines qu’ils professent, et il a parlé pour eux ; j’aurais mieux aimé qu’il parlât pour lui ; mais puisqu’il a été poli envers d’anciens collègues, je lui rendrai politesse pour politesse.
M. de Robaulx. - Qu’est-ce que cela veut dire ?
M. Rogier. - Cela va devenir très clair. L’honorable M. Jullien a oublié qu’il a été un des auteurs influents du projet de loi soumis actuellement au second vote de la chambre, lui qui l’attaque de ses vives critiques.
Le gouvernement dont on incrimine toujours les intentions a joué un rôle complètement passif dans la préparation du projet de loi ; non seulement il n’a voulu influencer d’aucune manière les membres de la commission qui a rédigé ce projet, mais c’est à peine si le ministère a assisté une ou deux fois à la discussion.
Quoi ! le projet renferme des monstruosités, et M. Jullien a mis son nom au bas ! Il l’a revu d’un bout à l’autre ; non pour y corriger des fautes de langage, car il s’agissait de corriger des fautes d’une bien plus grande importance ! et il a fallu plusieurs mois pour que M. Jullien s’aperçut que la constitution était violée d’une manière évidente par ce projet. Je crois M. Jullien conséquent avec lui-même ; mais je voudrais qu’il fît connaître les motifs qui ont déterminé ses collègues, sinon lui, à présenter au gouvernement un projet de loi si inconstitutionnel.
Quoiqu’il en soit, je suis convaincu que la constitution n’est pas plus violée dans cette circonstance qu’elle ne l’a été dans d’autres, où plusieurs membres ont aussi soutenu qu’elle était méconnue. Je répéterai ce que j’ai déjà eu l’honneur de dire dans la première discussion sans insister longtemps, que je n’attache pas en principe une haute importance à ce que le bourgmestre soit pris hors du conseil, parce que dans mon opinion ce sera la règle générale de la nomination dans le conseil qui sera presque toujours suivie par le gouvernement, attendu que son intérêt le lui commande et que la prudence le lui conseille.
Qu’a-t-on répondu à cette autre supposition qui n’est pas gratuite et qui a été présentée par ceux qui appuient le projet du gouvernement ; à l’impossibilité où l’on se trouverait de prendre le bourgmestre dans le sein du conseil ? On a supposé que tous les membres seront capables et voudront accepter. Quant à la capacité il ne faut pas se borner à considérer les grandes communes ; il faut aussi descendre dans les communes rurales puisqu’elles sont rangées sur la même ligne que les communes urbaines ; or, je ne crois pas qu’il y ait un seul d’entre vous qui puisse soutenir que tous les membres des conseils communaux seront toujours aptes à faire de bons bourgmestres.
Quant à l’exception, je pose en fait que ce sont souvent les seuls capables de bien remplir l’emploi qui refusent de l’accepter. Ceux qui par leur position seraient en état de faire de bons bourgmestres ne veulent pas accepter la responsabilité d’une telle place. Si vous ne trouvez aucun homme capable qui veuille accepter, je demande ce qu’on fera, ou la commune devra s’en passer ou le gouvernement devra prendre parmi les incapables celui qui voudra accepter les fonctions.
Je le répète, je n’attache pas une grande importance à la question comme principe mais en fait, il est indispensable que le gouvernement ait la faculté de choisir dans certains cas hors du conseil. Il suffit d’avoir la moindre pratique des affaires administratives pour se convaincre que cette nécessité existe dans un assez grand nombre de communes et que l’intérêt des habitants exige que cette faculté soit laissée au gouvernement qui d’ailleurs n’a aucun intérêt à en abuser.
M. Jullien. - Je demande la parole pour un fait personnel.
Messieurs, je suis dans la nécessité de répondre à l’honorable préopinant qui a jugé à propos de chercher à me mettre en contradiction avec moi-même, et d’une manière qui m’a paru assez acerbe pour un ancien collègue.
Je dois à la chambre de dire qu’il y a deux ou trois ans le Roi me fit l’honneur de me nommer membre d’une commission chargée d’élaborer les projets de loi d’organisation communale et provinciale. Les membres de cette commission étaient l’honorable M. Barthelemy, (erratum au Moniteur belge n°73, du 14 mars 1835 :) M. Beyts, M. Lebeau, M. de Stassart, M. de Theux et moi. Une loi de l’importance de la loi d’organisation communale a été, comme vous pensez longuement discutée, mais rien n’a été arrêté, et je ne pense pas qu’il existe un procès-verbal des séances de cette commission qui établisse que tel principe a été arrêté définitivement dans la commission.
Ce dont je me souviens, c’est que MM. Baith et Barthelemy sont morts avant que le projet fût achevé.
Il est vrai, comme vient de le rappeler l’honorable M. Rogier, qu’on voulut bien me confier le projet composé de toutes pièces qu’il était, pour y mettre la dernière main. Mais à peine l’avais-je de quelques jours en ma possession, quand M. de Theux me le fit redemander. Je le lui rendis. Je n’ai pas revu en entier, ni même jusqu’au dixième article ce projet à l’élaboration duquel j’avais pris part. On a cherché à faire croire que j’avais changé d’opinion, mais je défie de trouver aucun document qui prouve que j’ai eu à telle ou telle époque sur les dispositions de ce projet une opinion plutôt que telle autre.
Ce projet est d’ailleurs tellement défiguré par les amendements qui y ont été introduits, que ceux qui y ont mis la première main auraient de la peine à le reconnaître. Je ne pense pas que l’argument tiré de ma participation à l’élaboration de ce projet, frappe aussi juste que les arguments de l’honorable M. Gendebien ont frappé sur ceux qui ont émis leurs opinions au congrès.
Là on est venu avec le Moniteur à la main et il était impossible de nier les doctrines qu’on avait émises. Voilà ce que j’avais à dire sur ce qui me regardait personnellement, et je pense en avoir dit assez pour que la chambre me rende la justice que je crois mériter sur cette prétendue tergiversation.
Puisque j’ai la parole, je répondrai quelques mots sur les grands principes de centralisation professés par l’honorable préopinant. Il craint que toutes les communes ne se constituent en autant de petites républiques indépendantes.
Ce n’est pas là ce qu’il doit craindre dans sa sollicitude pour le pouvoir central, mais bien le lien fédératif. Plus les communes s’isoleront les unes des autres pour s’occuper de leurs intérêts de famille, moins le pouvoir central aura d’embarras à craindre de leur part. Je ne sais pas si vous, qui êtes homme d’Etat, vous avez lu Machiavel…
M. Rogier. - Non !
M. Jullien. - Ah ! vous ne l’avez pas lu. (On rit.) Eh bien, je vous apprendrai ce que ce Machiavel, qui se connaissait assez en despotisme conseille aux despotes.
Loin de retrancher aux franchises des communes, dit-il, laissez-les jouer à la petite souveraineté, parce que quand ces bons habitants des communes s’occuperont des petites prérogatives des honneurs du conseil et de leurs magistrats domestiques, ils n’inquiéteront pas le gouvernement. Voilà des maximes qu’un homme d’Etat doit connaître.
Eh bien, vous allez à rebours de ces maximes, vous vous représentez les communes en hostilité vis-à-vis du gouvernement lorsqu’en les isolant et en les laissant s’occuper de leurs intérêts domestiques, vous faites la plus large part au pouvoir pour gouverner sans obstacle.
Je termine là mes observations. D’autres orateurs répondront sans doute aux autres parties du discours du préopinant.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - D’après les dernières paroles de l’honorable préopinant, on pourrait croire qu’il m’attribue plus spécialement l’honneur de la rédaction de la loi communale. Si cette rédaction m’appartenait, j’en réclamerais l’honneur avec plaisir mais je dois dire que l’honorable préopinant y a eu une part très active. C’est un hommage que je me plais à rendre à mon ancien collègue. Je crois pouvoir dire même que nous étions d’accord sur les articles relatifs aux bourgmestres et aux échevins, car je pense qu’il n’y a pas eu discussion sur ce point dans la commission.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je demande la parole.
- M. le ministre présente plusieurs projets de loi. La chambre lui donne acte de leur présentation, en ordonne l’impression, la distribution, et le renvoi dans les sections.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux) présente un projet de loi relatif aux frais des chambres de commerce.
Il est également donné acte de la présentation de ce projet dont l’impression, la distribution et le renvoi en sections est ordonné.
- La séance est levée à 4 heures et demie.