(Moniteur belge n°59, du 28 février 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Brixhe fait l’appel nominal à une heure.
M. Dechamps donne lecture du procès-verbal de la précédente séance dont la rédaction est adoptée.
M. Brixhe. fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.
« Plusieurs membres de la légion d’honneur demandent le paiement de leur pension. »
« La régence et les habitants de Philippeville, des habitants de Florenne, la régence et les habitants de Walcourt, des habitants de Rognée, Berzée, etc., les régences et habitants des communes de Marienbourg, Fagnolles, Dourbes et Nismes, les régences et habitants de Cul-des-Sarts (sic) et du Bruly, la régence et les habitants de Sclonreux, les habitants de Sourmoy, de Couvin et de Petigny demandent qu’un tribunal de première instance soit établi à Philippeville. »
- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.
M. le président. - Les objets à l’ordre du jour sont le rapport des pétitions et la suite de la discussion du budget des finances. S’il n’y a pas d’opposition, nous commencerons par le budget des finances.
- Plusieurs voix. - Oui ! oui !
« Art. 6. Multiplications de carrés, frais de comptage, etc. : fr. 45,000. »
- Adopté.
« Art 7. Prime pour la fabrication de petite monnaie d’argent : fr ; 30,000. »
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - On pourrait opérer sur ce chiffre une réduction de 10,000 fr., la valeur de l’argent n’étant plus à un taux si élevé qu’à l’époque où le crédit a été demandé. Avec les 20 mille fr. auxquels le crédit se trouvera réduit, on pourra encore faire pour trois ou quatre millions de petites pièces. Et cela pourra suffire pour 1835. D’ailleurs la monnaie sera très occupée par la transformation des cents et demi-cents.
M. Legrelle. - Je suis loin de m’opposer à la réduction proposée par M. le ministre des finances, s’il croit pouvoir la faire. Mais je l’engage à réfléchir sur le manque de pièces de deux francs, un franc, un demi-franc et un quart de franc. Il est temps que nous ayons de la monnaie nationale suffisamment pour nos besoins, et que nous cessions de voir en circulation les pièces hollandaises.
M. le ministre motive la réduction qu’il propose sur la diminution de la valeur de l’argent. Je lui demanderai si dans le courant de l’année une augmentation ne pourrait pas avoir lieu.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Le crédit porté au budget est éventuel. D’après mes prévisions, 20,000 fr. suffiront pour battre de la petite monnaie d’argent pendant le cours de l’année. Je base mes prévisions sur ce que la valeur de l’argent étant diminuée et la prime devant diminuer aussi, avec 20,000 fr. nous pourrons frapper plus de petite monnaie, ce que nous n’aurions pu faire avec les 30.000 fr. si l’argent était resté au taux où il se trouvait à l’époque où le budget a été présenté.
- Le chiffre de 20,000 francs et mis aux voix et adopté.
« Article 8. Magasin général des papiers : fr. 87,000. »
- Adopté.
« Art. 1er. Traitement des directeurs : fr. 80,000 francs. »
M. le président. - La section centrale propose de réduire ce chiffre à 71,000 fr.
M. Dumortier. - Messieurs, il s’est passé dans l’administration des finances quelque chose de fort étrange relativement à l’article actuellement en discussion.
Dans l’origine, le traitement des administrateurs du trésor était fixé à 71,428 francs. Ces traitements sont restés sur le même pied pendant les années 1830, 1831, 1832 et 1833. Au budget de 1834, le gouvernement est venu demander une augmentation de traitement pour les administrateurs du trésor, et, dans le même moment il demandait une allocation au budget de la dette publique pour faire face aux traitements d’attente.
Je rappellerai ici, messieurs, ce que chacun de vous connaît déjà, que sous Guillaume, la banque ayant été caissier-général de l’Etat, on opéra des réductions sur le traitement des receveurs provinciaux, et le roi Guillaume, par une économie fictive, supprima les remises accordées aux administrateurs, augmenta leur traitement fixe, et porta l’excédant comme toelage. Ces toelagen ont fait partie des traitements d’attente.
Le gouvernement demandait donc au budget de la dette publique les moyens de faire face aux traitements d’attente ; et d’une autre part, il demandait à l’article des administrations du trésor une augmentation de traitement. Il est manifeste qu’il y avait double emploi.
Lorsque la section centrale eut examiné attentivement le budget, elle proposa d’augmenter jusqu’à la somme de 80 mille francs le crédit demandé pour les administrateurs, mais avec la condition expresse de répartir l’augmentation entre les administrateurs qui jouissaient d’un toelage. Elle a dit qu’elle n’entendait pas qu’on augmentât le traitement de ces fonctionnaires qui depuis plusieurs années avait été trouvé suffisant. La chambre adopta les conclusions de la section centrale.
Vous auriez cru sans doute que M. le ministre des finances se serait conformé à ce qui avait été décidé par la représentation nationale. Cependant, il n’en fit rien. J’ai vu avec étonnement dans le rapport de la section centrale que cette somme avait été appliquée à une destination toute spéciale, que cette somme, je le dis à regret, avait été détournée de son objet, pour augmenter le traitement des administrateurs du trésor.
Lorsque dans un budget nous voulons établir à des crédits spéciaux une réserve pour que le vote de la législature reçoive son effet, pour que les fonds ne puissent pas être détournés de leur destination, le ministre s’y oppose constamment ; il se plaint de ce que vous voulez mettre des entraves à l’administration, que vous faites une chose insolite, et lorsque par confiance vous ne mettez pas de réserve, votre vote est éludé, votre volonté est comptée pour rien ; le ministre applique, comme il l’entend, des fonds auxquels vous ayez entendu donner une destination spéciale.
Voilà comment les choses se sont passées souvent au ministère des finances ; et, dans la circonstance actuelle, il faut convenir que c’est un véritable abus. J’ai vu dans le rapport de la section centrale que les administrateurs qui jouissaient précédemment d’un toelage avaient déclaré ne pas vouloir toucher la somme que la représentation nationale leur avait allouée et vouloir s’en tenir à leurs droits.
Vous avouerez, messieurs, que c’est une chose étrange que de voir des fonctionnaires invoquer des droits contre la volonté du pays et d’exiger qu’on leur paie ce que le pays ne veut pas leur payer. Si ces fonctionnaires ne voulaient pas recevoir ce que la représentation nationale leur avait alloué, le gouvernement devait laisser le crédit sans emploi. Il devait leur dire : Vous êtes libres d’accepter ou de ne pas accepter, mais la volonté du pays aura son effet. Cette somme restera dans les caisses de l’Etat si vous persister dans un système que le pays n’a pas voulu admettre. Voilà quelle devait être la conduite du gouvernement. Mais la somme votée pour remplacer les toelagen a été appliquée à augmenter les traitements des administrateurs du trésor, malgré la volonté formelle de la représentation nationale.
Quant à moi, messieurs, je suis dans une véritable perplexité. D’une part, je crois que si le gouvernement ne veut pas abandonner les précédents du ministère des finances, notre devoir est de voter la somme proposée par la section centrale ; cette somme est suffisante ; car je ne vois pas de motif pour augmenter des traitements qui, avant et depuis la révolution, ont été trouvés assez élevés.
Cependant, comme il peut se trouver parmi les administrateurs du trésor des anciens possesseurs de toelagen qui, comprenant leur véritable position ne demanderont pas mieux que de toucher la part que leur fait la représentation nationale, on pourrait voter la somme de 80,000 fr., mais en affectant spécialement les 8 mille fr. aux possesseurs de toelagen. Cette somme devra décroître au fur et à mesure du décès des titulaires.
J’ai cru devoir rappeler les faits tels qu’ils se sont passés, non pas à cause de l’importance de la somme qui n’est que de 8 mille fr., mais parce que le ministre des finances s’est abstenu d’exécuter la volonté de la chambre hautement exprimée, et parce que j’ai trouvé extraordinaire que des fonctionnaire se permissent de résister à la volonté du pays, alléguant des droits qui ne peuvent pas exister contre cette volonté.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Ce n’est pas en 1834, comme le prétend l’honorable préopinant, que la chambre a accordé une augmentation de traitement pour les administrateurs du trésor, mais en 1833 sur le rapport de l’honorable M. Dumortier. Dans ce rapport on remarque que ce n’est pas seulement pour remplacer les toelagen que l’augmentation a été accordée, mais aussi pour indemniser les administrateurs des frais de commis. Je vais vous donner lecture de cette partie du rapport, vous verrez qu’il n’y est pas stipulé que la somme doit être exclusivement affecté aux toelagen.
Voici ce que dit ce rapport sur la question :
« Pour ce qui est du chiffre demandé, nous croyons que, vu la suppression des toelagen, il y a lieu d’admettre une majoration sur le crédit alloué l’an dernier, et nous vous proposons de le porter à la somme de 80,000 fr. Mais aussi d’accord avec la première section, nous ne pensons pas que l’Etat doive entrer pour rien dans les frais de commis, qui doivent rester à la charge des administrateurs et dont nous vous proposons la suppression au budget. De cette manière, la majoration sur le traitement des administrateurs du trésor suppléera aux anciens toelagen et à ce qui est demandé pour les commis. »
Vous voyez que ce n’est pas seulement pour les toelagen, mais aussi pour le travail de commis que l’augmentation a été accordée.
En 1834 l’honorable rapporteur de la section centrale avait, il est vrai, un peu rétréci le cercle de ses intentions premières ; il n’a plus voulu que l’augmentation de 8,500 fr. remplaçât et les toelagen et les frais de commis mais que cette allocation ne fût continuée que pour être distribuée entre les anciens administrateurs titulaires de toelagen. Voici comment il s’exprimait à cette époque :
« Traitements des administrateurs du trésor, 80,000 francs. Cette somme a été admise par vos sections ; une seule a regardé les administrations du trésor comme un rouage inutile et en a demande la suppression. Quoi qu’il en soit le ministre ne doit pas perdre de vue que ce crédit se compose de deux dépenses distinctes, l’une ordinaire s’élevant à 71,500 fr., et l’autre extraordinaire montant à 8,500 fr., cette dernière qui n’est qu’un crédit temporaire accordé à ceux qui anciennement jouissaient de toelagen, devra nécessairement disparaître à leur décès, et alors l’article se trouvera réduit à son chiffre primitif de 71,500 fr. »
Ainsi l’intention de l’honorable rapporteur et celle de la section centrale dont il était l’organe étaient de ne distribuer la somme de 8,500 francs qu’aux anciens fonctionnaires qui avaient eu des toelagen. Mais le chiffre a été adopté sans aucune discussion, et rien n’a indiqué que la chambre voulût déroger aux conclusions de la section centrale de l’année précédente, et comme par le vote de l’année précédente le ministre s’était cru en droit de donner à divers administrateurs une part, mais une part très faible, de la somme de 8,500 fr. pour leurs frais de commis, il a usé du crédit en 1834, comme il l’avait fait en 1833
Il est à remarquer que s’il y a distraction en leur faveur, ce n’a été que d’une minime partie de la somme que la section centrale voulait donner aux anciens administrateurs du trésor titulaires de toelagen. D’après l’état joint au rapport, la somme distraite n’est que de 1,600 fr. Les administrateurs du trésor de la province d’Anvers, de Namur, da Limbourg et du Luxembourg, qui n’étaient pas titulaires de toelagen, ont reçu chacun 400 fr. sur cette allocation.
Ainsi, si la chambre, ce qu’elle n’a pas fait, n’avait décidé que la somme de 8,500 fr. serait destinée exclusivement aux anciens administrateurs qui auraient des toelagen, encore n’aurait-on faussé l’intention de la chambre que pour une somme de 1,600 fr.
On remarquera que le directeur du trésor de Liége avait eu une somme de mille fr. dans celle de 8,500 fr., comme titulaire de toelage. Vous savez qu’il est décédé et qu’il a été remplacé par un nouveau titulaire qui n’avait pas droit au toelage. Voyons si cette part de mille fr., dans l’allocation dont il s’agit, lui donnerait un traitement considérable. Il ne faut pas perdre de vue que les administrateurs du trésor sont excessivement maltraités, que leur traitement n’est pas en rapport avec la responsabilité qui pèse sur eux.
La chambre me permettra d’entrer ici dans quelques détails ; je défends des fonctionnaires dont la position doit exciter son intérêt. Je vais établir le petit budget du directeur de Liége, on verra qu’il lui reste bien peu de chose quand il a payé les frais qu’il doit supporter.
- Pour une maison appropriée pour ses bureaux, fr. 800
- Pour le traitement de deux commis, ensemble, fr. 1,800
J’espère que cela n’est pas trop élevé.
- Pour feu et lumière des bureaux, fr. 150
- Pour contribution,, fr. 50
- Pour impressions, papiers, etc., fr. 200
Montant des frais, fr. 3,000
Si nous ne lui avions pas donné une part de 1.000 fr. sur l’augmentation accordée en 1833 et continuée en 1834, il ne lui serait resté que 3,300 fr. pour vivre avec sa famille.
Vous savez quelle responsabilité pèse sur ces fonctionnaires, ils ont des millions à tenir à leur disposition ; le gouvernement est obligé de leur donner toute sa confiance, et s’ils étaient capables d’en abuser ils pourraient le faire pour des sommes très considérables. Jugez, messieurs, si 4,300 fr., y compris l’augmentation de 1,000 fr., sont un traitement trop élevé.
Vous voyez que je n’ai pas cherché à dissimuler le véritable état des choses. J’ai dit qu’en 1834, 1,600 fr. avaient été donnés à quatre administrateurs que j’ai désignés.
Je déclare que, d’après mes intentions actuelles, qui sont subordonnées toutefois au vote de la chambre, je me propose de distraire de la somme de 8,500 francs 2,600 francs, dont 1,000 francs pour le directeur de Liége et 1,600 francs pour les quatre directeurs dont j’ai déjà parlé. Si la chambre n’admettait pas cette distribution, je la prierais au moins de voter la somme demandée ; elle ne serait alors distribuée qu’entre les anciens titulaires de toelagen. Mais je dois vous avertir qu’en agissant ainsi, vous placeriez les autres administrateurs du trésor dans une très fâcheuse position.
Je vous prie de ne pas oublier que les parties de la somme de 8,500 fr. données aux anciens titulaires de toelagen doivent être soustraites des droits qu’ils pourraient avoir à la totalité de ces toelagen, droits qu’ils invoqueront sans doute lorsque le traité des 24 articles ou tout autre qui en vertu de celui-là aura été mis à exécution, ainsi la somme qu’on paie aux anciens administrateurs, n’est en réalité qu’une espèce d’à compte sur leurs prétentions à un toelage beaucoup plus élevé.
Voilà les observations que j’ai cru devoir présenter sur la question en discussion. Je répète en terminant que si la chambre n’admet pas la distribution que je me propose de faire, je la prie néanmoins de maintenir le chiffre proposé, m’engageant dans ce cas à ne partager l’augmentation de 8,500 fr. qu’entre les anciens titulaires de toetagen.
M. Donny, rapporteur. - Mon honorable prédécesseur, qui vous a fait les rapports sur le budget des finances pendant les trois dernières années, a bien voulu se charger du soin de vous rappeler les faits qui se sont passés jusqu’ici. Je l’en remercie à raison de ses travaux précédents. Il était plus à même que moi de vous retracer ces faits.
Le ministre, en lui répondant, a commis deux erreurs de fait que je crois devoir relever. Il vous a dit : Il est vrai qu’en 1834 la section centrale a déclaré que la somme de 80 mille fr., votée pour les administrateurs du trésor, comprenait 71,500 fr. pour leur traitement ordinaire et 8,500 fr. pour être distribués à ceux des administrateurs qui jouissaient d’un toelagen, en remplacement de ce toelage. Mais, a-t-il ajouté, la chambre ne s’est pas prononcée sur cette déclaration qui n’est que l’expression de la manière de voir du rapporteur de la section centrale.
Messieurs, c’est là une erreur de fait. Voici ce qui s’est passé à la chambre lors du vote de cet article. Chacun de nous, et le ministre comme les autres, avait devant les yeux le rapport de M. Dumortier, ou la déclaration de la section centrale est formellement énoncée et personne, ni député ni ministre, n’a pris la parole pour combattre cette déclaration. Ce n’est pas tout : au moment de voter l’article, l’honorable rapporteur s’est levé et s’est exprimé en ces termes :
« M. le rapporteur. - Je viens renouveler l’observation de la section centrale que j’ai consignée dans mon rapport. L’article dont il s’agit renferme deux crédits, un crédit ordinaire et un crédit extraordinaire. Le crédit ordinaire, de 72,500 francs, est accordé pour les traitements des employés, tels qu’ils ont été fixés sous le gouvernement précédent.
« Il n’y a pas lieu de les augmenter. Quant au supplément de 8,500 fr. accordé aux anciens possesseurs de toelagen, comme ce crédit doit s’éteindre successivement à mesure des décès, je demande qu’à l’avenir il fasse l’objet d’un article spécial. »
Que croyez-vous que le ministre ait répondu à cette observation ? Rien, absolument rien. La chambre a dû croire que le ministre partageait la manière de voir de la section centrale, consignée dans son rapport, et rappelée verbalement par le rapporteur au moment du vote. Et la chambre par son silence a donné son approbation à cette manière de voir. Il n’est donc pas vrai de dire que la chambre n’a pas partage l’opinion de la section centrale sur ce point en question.
La seconde erreur du ministre est celle-ci. Il vous a dit : Les 8,500 fr. ont été donnés pour être distribués entre les administrateurs jouissant d’un toelage. Nous avons fait cette distribution entre eux, à l’exception de 1,600 fr. donnés à quatre administrateurs qui n’ont jamais eu de toelagen. Ces 1,600 fr. ont été distraits de leur destination, mais le reste a été employé de la manière voulue par la législature.
Indépendamment de la différence qui existe entre cette explication et celle donnée à la section centrale, M. le ministre commet ici une erreur de fait. Il y a eu distraction, non pas seulement de 1 600 fr, mais de 8,500 fr., car la législature n’avait pas alloué cette somme pour être distribuée purement et simplement entre ceux qui jouissaient de toelagen, mais pour leur être donnée en remplacement de leurs prétentions.
Ils n’ont pas voulu, dites-vous, accepter ces fonds sous la condition imposée ; s’il en est ainsi, la destination arrêtée par la législature n’a pu s’accomplir : dès lors il ne fallait pas distribuer le crédit voté aux administrateurs toelagistes ; pas plus à eux qu’à ceux qui n’avaient pas eu de toelage. Par votre distribution, vous avez faussé les intentions de la législature, à l’égard des uns comme à l’égard des autres. Ce n’est donc pas seulement à 1,600 fr., mais à 8,500 que monte la somme détournée de sa destination.
Quant à la question de savoir si précédemment la chambre a bien ou mal fait ; si les traitements auraient dû être majorés et s’il convient oui ou non de les élever aujourd’hui, chacun de nous se décidera d’après ce que sa conscience lui dictera. Nous n’avons pas voulu faire autre chose que vous proposer le maintien des décisions prises, et par les sections centrales précédentes et par la chambre. Vous verrez s’il vous convient de revenir sur le vote de l’année dernière.
M. de Brouckere. - Messieurs, il est incontestable que, de tous les fonctionnaires du département des finances, les administrateurs du trésor sont les plus mal payés. Ils ont une besogne considérable et très compliquée, de plus une très grande responsabilité, et lorsqu’ils ont déduit de leur traitement les frais auxquels ils sont entraînés, il leur reste à peine deux, trois et au plus quatre mille francs.
Il y a deux ans, la chambre a jugé à propos d’augmenter de 8,500 fr. la somme destinée à salarier les administrateurs du trésor ; le ministre a distribué ces 8,500 fr. de la manière qu’il vous a indiquée et de là sont venus de la part de deux honorables membres des reproches assez graves.
Je commence par déclarer que je ne partage pas ces reproches, et je vais justifier mon opinion. D’abord, s’il faut en croire les honorables préopinants, le ministre a été contre l’intention de la chambre, en donnant une part de ces 8,500 à des administrateurs du trésor qui ne jouissaient pas antérieurement de toelagen.
On vous a fait observer en 1833 que l’intention de la chambre avait été que ces 8,500 fr. n’avaient pas été employés seulement à dédommager entièrement de la perte de toelagen, mais à payer des frais de commis. Les administrateurs du trésor qui n’avaient pas de toelagen ont tout aussi besoin de commis que les autres. Je ne vois donc pas qu’en 1833 les intentions de la chambre aient été méconnues, et c’est à tort qu’on reproche que 1,600 fr. ont été détournés de ces 8,500 fr. Mais, en 1834, le rapporteur de la section centrale avait restreint ces intentions précédentes et semblait vouloir que les 8,500 fr. ne fussent plus attribués qu’aux administrateurs du trésor ayant eu des toelagen. Le ministre n’a pas répondu, et on a tiré de là la conséquence qu’il avait méconnu les intentions de la chambre.
Le ministre a eu tort de ne pas répondre ; mais, entre ce tort et celui qu’on lui reproche, il y a une grande différence. Et vous conviendrez qu’il eût été fort dur que les administrateurs auxquels il est accordé un minime subside de 400 fr., se le vissent retirer parce que cela entrait dans les intentions du rapporteur de la section centrale. Ce qui n’a pas eu lieu, car M. le ministre a continué ce qui se faisait, et en cela il n’a pas eu tort. Le seul reproche qu’on soit en droit de lui faire, c’est de ne pas s’être expliqué franchement.
Il résulte des paroles des honorables préopinants qu’il y aurait en quelque sorte double emploi à voter ici 8,500 fr. destinés à dédommager en partie de la perte des toelagen, et une somme pour payer les traitements d’attente, stipulée dans le budget de la dette publique.
Il n’y a pas eu double emploi ; car, dans la somme qui est portée pour traitement d’attente, il ne figure aucun administrateur du trésor. Car, si l’intention de M. le ministre n’était pas que cela fût toujours ainsi, il manquerait à la loyauté en ne le déclarant pas.
On s’est fort étendu, parce que les administrateurs du trésor, en touchant leur part dans ces 8,500 fr., n’avaient pas renoncé à un droit qu’ils prétendaient leur appartenir du chef de toelagen accordés par l’ancien gouvernement, et qui montaient pour les uns jusqu’à 3,000 fr. On a été plus loin, on a dit que le ministre ne devait rien ordonner qu’après avoir reçu des porteurs de toelagen toute renonciation à leurs droits pour l’avenir. C’et être bien exigeant, messieurs, que de vouloir qu’un fonctionnaire qui croit avoir des droits à une somme assez forte, y renonce pour toucher, quoi ? Une somme minime de 1,000 à 1,200 fr. Il y aurait, dans cette exigence, peu de générosité, peu de loyauté même.
Si les titulaires se figurent avoir des droits de telle nature, que s’ils les portaient devant les tribunaux, ils triompheraient, il n’est ni loyal, ni généreux de vouloir que, pour une somme très minime, ils renoncent à une autre dix ou douze fois plus considérable. Un gouvernement doit donner à tous leurs fonctionnaires de quoi vivre et remplir honorablement ses fonctions. Si, indépendamment de cela, ces fonctionnaires ont d’autres droits, ils peuvent les faire valoir, et le moins qu’on puisse faire, c’est de leur laisser cette faculté.
Supposez qu’un administrateur du trésor, ayant reçu un toelage, trouve dans l’arrêté du 15 novembre 1831 un article sur lequel il croie pouvoir s’appuyer pour réclamer le paiement de ce toelage, au moins pour les années écoulées, croyez-vous qu’un ministre puisse forcer ce fonctionnaire à renoncer à ses droits ? Quant à moi, si j’étais ministre, je ne le ferais pas, et je crois devoir conseiller à M. le ministre de penser de même. Je voterai donc les 8,500 fr., comme les années précédentes, et si quelque jour on venait encore demander une augmentation à ce subside, que je regarde comme insuffisant, je voterais une somme plus forte. Je ne prendrai pourtant pas l’initiative à cet égard, et j’attendrai que le gouvernement en fasse la demande et je l’appuierai.
M. Jullien. - Pour bien apprécier les reproches que l’on a faits à M. le ministre des finances, il faut bien connaître les faits.
Lorsque l’ancien gouvernement chargea la banque du recouvrement de ses fonds, comme caissier général de l’Etat, la besogne des administrateurs du trésor se trouva fort diminuée et on jugea à propos de diminuer leur traitement. Mais par un acte de justice qu’on ne peut se dispenser de reconnaître dans l’ancien gouvernement, on accorda à titre de toelagen (ce qui, pour ceux qui ne comprennent pas le hollandais, signifie supplément) une addition aux traitements de ces fonctionnaires.
Ce supplément devait durer aussi longtemps que ces administrateurs conserveraient leurs fonctions. C’est à cette occasion qu’on agita en cette chambre, il y a un an et même deux, la question de savoir si on continuerait le paiement de ces toelagen. On faisait valoir pour eux un article du traité du 15 novembre qui mettait à la charge de la Belgique le paiement de ces suppléments.
Cette question fut vivement débattue, on discuta longtemps pour savoir si on devait exécuter le traité du 15 novembre alors que la Hollande ne l’exécutait pas encore. Je crois me rappeler que pour ne pas trancher la question, on admit qu’une somme de 8,500 fr. serait votée. En cela on ne décidait rien, si ce n’est pourtant que cette somme de 8,500 fr. serait payée comme à compte sur le supplément accordé par l’ancien gouvernement. On a présenté à ces titulaires une portion de ce qui leur était dû à titre de toelagen ; ils ont refusé. Un créancier n’est jamais forcé de n’accepter qu’une partie de ce qui lui est dû.
Il fallait laisser tomber en économie cette somme au budget, a-t-on dit. Au lieu de cela, qu’a-t-on fait ? On a attribué cette somme de 8,500 fr. à des suppléments de traitements et non à titre d’économie. Si on a fait cela, on n’en avait pas le droit. Il était juste de distribuer la somme aux administrateurs, mais à titre d’à compte. Sils n’ont pas reçu cette somme comme à compte, ils viendront un jour vous demander un paiement entier, et alors il en résultera un véritable préjudice pour le trésor.
Il n’y a pas de mal que ces fonctionnaires sachent que ce qu’ils ont reçu leur a été donné à titre d’à compte, et qu’un jour on leur décomptera. Donnez-leur ce que vous voulez leur donner, mais vous ne devez pas les forcer à accepter une partie de ce qu’ils disent leur être dû. Si la somme dont il s’agit doit être donnée à titre d’à compte, je voterai pour avec plaisir. Je regarde cela comme un acte de demi-justice. Mais si c’est comme supplément de traitement, qui laisserait les porteurs de toelagen en position de réclamer l’intégralité de leur droit, je me prononcerai dans un sens contraire. Au reste, cela doit se réduire à quelques explications qui, je l’espère, ne souffriront pas de difficultés.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il faut que je me sois bien mal explique pour n’avoir pas été mieux compris.
Je croyais avoir dit que la partie de la somme de 8,500 fr. qui était allouée aux anciens receveurs généraux, à titre de toelagen, était une avance sur une somme beaucoup plus forte qu’ils réclameraient probablement lors de l’exécution des 24 articles. Ce n’est donc pas une augmentation de traitement qu’on accorde aux fonctionnaires dont il est question, : c’est un à compte sur la somme plus forte qu’ils croient leur être due. On a parlé de stipulations, de réserves qui auraient dû être faites. Il n’est pas nécessaire de stipuler avec des subordonnés et si l’on doit un jour leur payer la totalité de leur toelagen, on défalquera tout simplement la somme qu’ils auront reçue et ils s’y soumettront.
D’ailleurs il ne sera rien réglé à cet égard sans l’intervention de la chambre, et elle aura bien soin d’ordonner cette défalcation. Si, dans la répartition de la somme de 8,500 fr. allouée les années précédentes, quelque dérogation à l’intention de la chambre a eu lieu, on doit convenir qu’elle est bien excusable, si l’on considère combien elle est insignifiante puisqu’elle ne s’élève qu’à la somme de 1,600 fr. repartie sur les faibles traitements de quatre directeurs du trésor.
Permettez-moi de vous exposer maintenant quelle serait la position de celui de Bruxelles, si on adoptait la proposition de la section centrale. Son traitement, dans ce cas, se trouverait fixé à 9,500 fr. Je vais évaluer les dépenses auxquelles il ne peut échapper.
Le loyer de ses bureaux dans la capitale doit certes coûter au moins, à cause de leur étendue, fr. 2,000 ;
Un premier commis ayant les connaissances suffisantes en comptabilité, fr. 2,400 ;
Il est à remarquer que les bons employés comptables à Bruxelles trouvent, chez des négociants du second ordre, des traitements plus considérables.
Quatre commis à 800 fr. l’un, fr. 3,200 ;
Feu et lumière, fr. 300 ;
Contribution personnelle résultant des locaux pour bureaux, fr. 150 ;
Impressions, garçons de bureau, fournitures de bureau, fr. 350.
Cela fait une somme de 8.600 fr., et dans cette somme, je ne parle pas de retenue de la caisse des retraites qui est de 5 p. c. sur les traitements au-dessus de 1,200 fr. Il lui resterait donc, si la proposition de la section centrale pouvait passer, une somme de 900 fr. Si, au contraire, le chiffre du gouvernement est admis, ce directeur, qui aura sur les 8,500 fr. une part équivalente à 3,300 fr, ne jouira encore que d’un traitement net de 4,200 fr., rétribution évidemment trop faible pour un fonctionnaire qui, en 1832 par exemple, a eu l’immense responsabilité d’un maniement de 33 millions de francs.
Si j’avais cru pouvoir l’obtenir de la chambre, j’aurais proposé une majoration pour les directeurs du trésor ; mais je ne l’ai point essayé parce que le budget était présenté depuis longtemps tel qu’il est, avant mon entrée au ministère, et que dans l’esprit d’économie où se trouve la chambre, j’ai regarde cette tentative comme inutile.
Je dirai, ainsi que l’honorable M. de Brouckere l’a supposé avec raison, qu’il n’est pas exact que des directeurs du trésor figurent dans le crédit pour les traitements d’attente qui figurent à la dette publique. Les personnes qui ont eu en main les noms des individus qui y participent, ont pu se convaincre qu’il n’y était nullement question de ces fonctionnaires.
M. Dumortier. - Je crois, messieurs, que l’on est dans une grave erreur, relativement à la question actuelle. M. le ministre vous dit que nous voudrions forcer les porteurs de toelagen à renoncer à leurs droits. Ce n’est point là qu’était la question. Quand la législature accorde des fonds spéciaux, dont la destination est de remplacer les toelagen, c’est un abus que de leur en donner une autre. Le ministre ne doit pas plus accorder partie de ces fonds à titre d’à-comptes qu’à titre de suppléments. Un à-compte reconnaît le droit de réclamation, et ce que nous ne voulons pas admettre. Puisqu’on parle avec assurance des droits qu’ont les porteurs de toelagen, je donnerai lecture de l’article du 15 novembre. (Ici l’orateur donne lecture de cet article.)
Maintenant, que l’on vienne présenter une loi qui fut en vigueur avant le 1er novembre 1830, qui consacre des droits en faveur des toelagen ; mais aussi longtemps qu’il n’y aura pas de loi sur cette matière, vous n’aurez pas le droit d’agir sans autorisation. Vous parlez de l’arrêté de 1814 ; il ne consacre pas un mot à cet égard, et cela est tellement vrai que ni l’honorable M. Coghen, ni l’honorable M. Ch. de Brouckere qui se sont succédé au ministère des finances, n’ont cru devoir porter un centime pour les porteurs de toelagen.
Vous savez qu’avec les traitements d’attente les toelagen ont toujours été un objet de scandale. Si vous voulez savoir ce qu’on disait à cet égard au congrès, je vais vous le dire, et j’aime assez à citer ce qui se disait au congrès.
Voilà ce que M. Ch. de Brouckere disait relativement à ces manières masquées de donner de l’argent à des individus. (L’orateur donne lecture de ce passage.) Vous voyez qu’alors on n’attribuait ces faveurs qu’à des hommes dénués de ressources. C’était donc une charité et non pas la consécration d’un droit. Si alors les toelagen étaient regardés comme des abus, on aurait aujourd’hui mauvaise grâce à les faire considérer comme un droit.
Maintenant l’honorable M. de Brouckere a prétendu qu’en 1834, j’aurais voulu, comme rapporteur de la section centrale, revenir sur ce qui avait été fait.
Fallait-il que M. le ministre des finances réduisît le chiffre des toelagen à cause des intentions personnelles du rapporteur de la section centrale ? Le rapporteur de la section centrale, messieurs, est autre chose qu’un député. Quand il parle dans son rapport signé non seulement par lui, mais par le président de la chambre, c’est au nom de la section centrale qu’il parle. Lorsque j’ai demandé comme rapporteur de la section centrale du budget des finances que l’on établît des stipulations sur cette partie de la dépense, ce n’était pas l’orateur qui parlait, c’était la section centrale qui s’exprimait par son organe. Ainsi l’on a grand tort de représenter ce que je disais comme expression individuelle d’un membre. L’opinion que j’émettais avait prédominé au congrès, et à l’époque que je rappelle, on était plus près de la révolution de deux années. L’on était moins porté à s’écarter de ses principes. Toutes les sections avaient repoussé à l’unanimité le paiement des toelagen. C’est ce qui résulte des expressions de mon rapport.
Mais, dit l’honorable M. de Brouckere, comment aurait-on fait renoncer les possesseurs de toelagen à une somme dix fois, douze fois, quinze fois moins forte que celle qui leur était due en vertu de leurs droits ? Qu’ils regardent les toelagen comme un droit acquis, libre à eux. Mais il nous est permis de ne leur rien accorder. Quant à l’assertion que je viens de rapporter, elle prouve que l’honorable M. de Brouckere n’avait pas pris connaissance des documents que nous avons tous sous les yeux. S’il les avait parcourus, il aurait vu que la somme que nous accordons est précisément la moitié de celle que les administrateurs du trésor prétendent leur être due du chef des toelagen.
Ainsi il ne s’agit pas d’une somme quinze fois plus forte, puisque le supplément de traitement porté au budget est la moitié de l’intégralité du toelage que percevait un administrateur du trésor avant la révolution. Je persiste donc dans cette opinion que le ministère précédent a eu grandement tort de distraire des fonds de son budget de la destination à laquelle la chambre les avait affectés. La chambre avait voulu que les fonds s’appliquassent aux toelagen. Consultez les rapports des deux années précédentes. Il est bien formellement dit que la chambre a entendu, en allouant un supplément de traitement aux administrateurs du trésor, leur accorder une compensation du chef de la perte de leurs toelagen.
M. le ministre des finances s’est prévalu de la fin de l’un de ces rapports dans lequel il est dit que le supplément de traitement de l’administrateur du trésor pouvait servir en même temps à suppléer à la dépense que nécessite l’adjonction dans ses bureaux de nouveaux commis. Il en a conclu que l’intention de l’assemblée et des sections avait été différente de celle qui domine le rapport de la section centrale.
Il ne faut pas que la chambre prenne le change. On était venu s’appuyer du fait que l’on a mis en avant tout à l’heure pour démontrer le surcroît de travail imposé à l’administrateur du trésor du Brabant. L’on avait rappelé que cet administrateur avait eu pendant le courant de l’année 1832 une valeur en papier de 33 millions de fr.
L’on avait avancé qu’indépendamment du surcroît de travail qu’avait l’administrateur du trésor, c’était celui qui avait le plus de droit au paiement de son toelage. Tout concourait donc à justifier l’allocation d’un supplément de traitement en sa faveur. Tout cela s’expliquait d’une manière très simple. Vous pouvez, si vous mettez en doute la véracité de mes souvenirs, recourir aux discussions de cette époque. M. Huysmans, administrateur du trésor dans la province du Brabant, avait adressé à la chambre une pétition à l’effet d’obtenir une augmentation de traitement. Cette pétition fut renvoyée à la section centrale. C’était en conséquence de cette pétition, et comme indemnité du chef du toelage qu’il avait perdu, qu’un supplément de traitement fut accordé à M. Huysmans.
Il faut ne pas perdre de vue qu’à cette époque nous avions 130,000 hommes sous les armes ; c’est ce qui faisait que les opérations de l’administration du trésor du Brabant étaient aussi considérables. Il y avait donc des motifs plausibles dans les réclamations de M. Huysmans. Aussi la chambre avait-elle dit : Nous accordons à l’administrateur du trésor dans le Brabant la moitié de l’intégralité de son toelage, à condition qu’il trouve moyen de faire face à ses nouvelles dépenses. Maintenant nous somme loin d’avoir 130,000 hommes sous les armes. Les dépenses de l’armée sont moins considérables. Par conséquent le travail de l’administrateur du trésor est considérablement diminué.
J’arrive à la question qu’ont traitée deux honorables préopinants. Les administrateurs du trésor sont mal traités. Il est inconcevable que ce soient eux qui soient les plus mal traités du département des finances. Lorsque nous étions sous le régime hollandais, je vous le demande, messieurs, que pensions-nous des traitements de cette époque ? Chacun de nous s’élevait contre la hauteur des traitements.
Rappelez vos souvenirs. A-t-on atteint le traitement des administrateurs du trésor d’une seule réduction depuis la révolution ? Non, messieurs. Pas un centime de réduction n’a été fait sur le traitement principal. Ces traitements sont les mêmes que ceux qui avaient été fixés sous le roi Guillaume. N’est-ce là une chose monstrueuse que de venir prétendre que les administrateurs du trésor qui ont les mêmes traitements que sous le roi Guillaume, sont les plus mal traités du ministère des finances !
M. Dujardin, commissaire du Roi. - Vous oubliez les toelagen.
M. Dumortier. - Je prie M. le commissaire du Roi de ne pas m’interrompre. Tous ne jouissaient pas de toelagen. Il n’y en avait que cinq à qui ces traitements fussent payés. Les tableaux officiels sont sous mes yeux. Ils ont été communiqués au congrès, j’en donnerai lecture tout à l’heure.
M. de Brouckere. - Ce n’est pas nécessaire.
M. Dumortier. - Cinq administrateurs du trésor seulement recevaient un toelage lorsque la banque fut créée caissier général de l’Etat ; les places de receveurs-généraux des provinces furent supprimées et furent remplacées par celles d’administrateurs du trésor. L’on comprit que ceux-ci ayant beaucoup moins de besogne, il y avait lieu de faire une réduction très forte sur leur traitement. Cette réduction eut lieu ; mais le roi Guillaume crut devoir allouer à chaque receveur-général devenu administrateur du trésor une indemnité pour la diminution de son traitement. Depuis cette époque quelques-uns sont morts. Ils ont été remplacés par d’autres titulaires qui n’avaient plus de droit à recevoir un toelage.
L’année passée il n’y avait plus que quatre administrateurs du trésor ayant droit à un toelage, celui de Bruxelles, de Bruges, de Mons, de Liège. Ce dernier est décédé.
Il n’y a donc en réalité que trois administrateurs du trésor jouissant aujourd’hui de toelagen.
- Un membre. - Vous avez raison.
M. Dumortier. - Mais oui, j’ai raison.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Pas du tout.
M. Dumortier. - J’ai précisément les documents soumis au congrès : Les administrateurs du trésor qui ont droit aux toelagen sont ceux du Brabant, de la Flandre orientale, de la Flandre occidentale, de Liège et du Hainaut. Quant aux autres, ils n’ont jamais joui de toelagen. Ils ont le même traitement que sous le gouvernement français.
Depuis cette époque, deux administrateurs ont cessé d’exister ou de remplir vos fonctions. Ce sont ceux de la province de la Flandre orientale et de celle de Liége, de façon qu’il n’y a, comme je l’ai dit, que trois administrateurs qui aient conservé des droits à un toelage. Les autres administrateurs conservent le même traitement que sous le roi Guillaume. Je demande s’il est dans l’intention de la chambre d’augmenter des traitements qui sont exactement les mêmes que sous le roi Guillaume.
M. le ministre des finances nous dit que le loyer de la maison occupée par l’administrateur du trésor dans la province du Brabant est de 3,000 fr. Mais si ce fonctionnaire cessait de l’être, il ne coucherait pas sur le pavé. D’ailleurs, la place qu’il occupe est à peu près inutile. L’administration du trésor dans une province n’est plus qu’un véritable bureau d’enregistrement des mandats qui viennent de la trésorerie générale.
Il est donc évident que des traitements fixés par le roi Guillaume sont restés les mêmes sous le gouvernement soi-disant économique de la Belgique.
En second lieu, la majoration accordée aux administrateurs du trésor ne l’a été que pour remplacer les toelagen. Si ces administrateurs n’ont pas voulu renoncer à ce qu’ils appellent leurs droits, ce gouvernement devait ne pas faire usage du crédit voté par la chambre et ne pas confirmer en quelque sorte ces droits, reconnaître implicitement une dette, en leur allouant un supplément de traitement à titre d’à-compte.
Je pense qu’il y a lieu d’admettre la proposition de la section centrale et si on veut accorder un supplément de traitement aux administrateurs du trésor, de stipuler spécialement que ce traitement leur est accordé à titre d’indemnité du chef de la perte de leur toelagen.
M. de Brouckere. - J’ai dit que, de tous les fonctionnaires dépendant du ministère des finances, les administrateurs du trésor étaient les plus mal payés. S’il faut en croire l’honorable M. Dumortier, en disant cela, j’ai dit une chose monstrueuse. Ce sont la, messieurs, de ces petits reproches à l’eau de rose, auxquels nous sommes habitués de la part de l’honorable M. Dumortier, et qui, en raison de leur répétition, ne font plus aucun effet sur nous. (Hilarité.)
Toute monstrueuse que soit mon assertion, je la répète, sauf à M. Dumortier à réitérer son épithète. Les administrateurs du trésor sont les fonctionnaires les plus mal payés du département des finances. Que répond l’honorable Dumortier ? Vous prouve-t-il qu’ils ont de gros appointements ? Non, il se borne à vous dire qu’ils sont payés comme du temps du roi Guillaume. Or, tous les fonctionnaires étaient monstrueusement payés du temps du roi Guillaume. Donc !
Eh bien, je dis moi, au contraire, que puisque les administrateurs du trésor sont payés comme ils l’étaient dans le temps du roi Guillaume, cela prouve qu’il y avait alors des fonctionnaires mal payés.
A Bruxelles, par exemple, il est évident que l’administrateur du trésor n’est pas assez payé. M. le ministre des finances vient de produire un petit budget d’où il résulte qu’il reste à ce fonctionnaire, tous frais payés, une somme de 900 fr. ; mettons qu’il y ait dans ce calcul un peu d’exagération et portons les bénéfices à 2,000 fr. ; on devra toujours reconnaître que cet administrateur est mal payé, quand on considère le nombre de ses occupations et sa responsabilité, quand on considère qu’en raison de ses fonctions, une hypothèque pèse sur tous ses biens.
L’honorable préopinant a avancé que jamais il n’était entré dans la tête de personne de porter au budget une somme qui mît le gouvernement à même de payer les toelagen ; cette fois la mémoire de l’honorable M. Dumortier, ordinairement si bonne, lui a fait faux bond. Il a cité l’honorable M. Coghen ; je vois cependant que M. Coghen a porté chaque année une somme au budget pour les porteurs de toelagen.
M. Dumortier. - Je n’ai pas dit le contraire.
M. de Brouckere. - Après M. Coghen, M. Duvivier a porté la même somme au budget ; et l’honorable M. d’Huart, s’il croyait l’obtenir, n’hésiterait pas à la demander également ; c’est donc une erreur, un simple oubli de la part de M. Dumortier. Les ministres des finances ont toujours porté au budget la somme nécessaire pour le paiement des toelagen, mais chaque année les chambres l’ont refusée.
J’ai dit que l’on ne pouvait contester aux administrateurs du trésor la faculté de refuser une faible indemnité pour faire valoir les droits qu’ils prétendent avoir à des toelagen s’élevant à 10 ou 12 mille florins : de là accusation d’exagération de la part de l’honorable M. Dumortier ; voyons si elle est aussi fondée que celle de monstruosité qu’il m’a lancée auparavant.
Il y a tel administrateur du trésor qui touchait annuellement un toelage de 3,000 fl. ; ce qui fait pour quatre années 12,000 fl ou 25,000 fr. Eh bien, que lui offrait-on en 1834 ? 2,000 fr., 3,000 fr. tout au plus. Ce ne serait pas le huitième de la somme à laquelle il prétendait avoir droit.
M. le ministre des finances avait dit, en parlant de l’administrateur de Bruxelles, qu’en 1832, 33 millions étaient passés par ses mains ; l’honorable M. Dumortier dit que c’est un cas extraordinaire, et que, pour les années subséquentes, les dépenses seront de beaucoup inférieures : eh bien, je mets en fait que, si dans les années subséquentes les dépenses peuvent différer, elles ne seront pas de beaucoup inférieures. L’administrateur du trésor de Bruxelles paie la liste civile, tous les grands corps de l’Etat, les ministres, toutes les administrations centrales ; il acquitte une foule de dépenses très fortes que l’on ne connaît pas dans les autres provinces ; il acquittera toujours environ le tiers des dépenses du budget.
Vous sentez d’après cela combien est erronée l’assertion de l’honorable préopinant, qu’un employé, ou 2 employés tout au plus, peuvent suffire pour les besoins du service de l’administrateur du trésor à Bruxelles.
J’engage l’honorable M. Dumortier à aller chercher lui-même son indemnité mensuelle chez l’administrateur de Bruxelles ; et il verra qu’il n’a pas qu’un commis, mais au moins 4, sinon 5. D’après cela, je crois avoir justifié ce que j’avais dit en commençant.
Je termine, comme la première fois, en déclarant que je voterai pour la somme demandée par le ministre, et que si plus tard il proposait une augmentation pour les administrateurs du trésor, je voterais une augmentation.
M. Dujardin, commissaire du Roi. - Je n’ai demandé la parole que pour justifier une assertion qui m’a été imputée à crime par l’honorable M. Dumortier.
J’avais dit qu’avant la révolution tous les administrateurs du trésor jouissaient de toelagen, M. Dumortier a répliqué en donnant connaissance à la chambre d’une liste des administrateurs du trésor remise au congrès, et qui n’en contient que cinq. Mais, sous le gouvernement précèdent, il y avait des administrateurs du trésor qui, étant Hollandais, ont cessé leurs fonctions à l’époque de la révolution, et, comme anciens receveurs-généraux, ils avaient des suppléments de traitement.
Ainsi, à l’époque de la révolution, il y avait huit administrateurs du trésor jouissant de toelagen ; un seul n’en recevait pas, c’était l’administrateur du trésor de la province d’Anvers.
M. de Brouckere. - Et celui de la province de Limbourg.
M. Dujardin, commissaire du Roi. - M. Dumortier a dit que cinq administrateurs du trésor seulement recevaient des toelagen ; je le répète, cela est vrai depuis la révolution ; mais, avant cette époque, il y en avait huit ; il n’en reste que quatre aujourd’hui, l’un d’eux étant décédé il y a peu de mois.
M. de Brouckere. - Il y en avait sept seulement.
M. Dujardin, commissaire du Roi. - Je crois être sûr qu’au moins peu de temps avant il y en avait huit.
M. Gendebien. - Mon intention n’est pas d’entrer dans le fond de la discussion ; je dirai seulement que, dans mon opinion, les toelagen sont des indemnités personnelles accordées aux administrateurs du trésor.
Voici comment les choses se sont passées : lorsqu’on a créé une banque, les anciens receveurs-généraux devinrent administrateurs du trésor ; on voulait faire de grandes économies et en même temps favoriser la Banque. Le roi Guillaume, en faisant accorder un tantième à la banque à titre de frais de perception, avait voulu faire croire qu’il y aurait une grande économie ; on commença par supprimer les administrateurs du trésor, mais, sur les réclamations qui s’élevèrent, on rétablit ces emplois en y attachant seulement de faibles traitements, afin qu’on ne s’aperçut pas qu’il n’y avait de bénéfice pour personne, excepté pour le roi Guillaume qui était le grand actionnaire de la banque.
Ce fut alors que l’on arrêta d’accorder des toelagen ; ils furent accordés à la plupart des anciens administrateurs, et cela en raison de leurs besoins ; on les autorisa ensuite en raison du grand nombre d’années de service, en raison de l’âge ou de tels autres motifs que l’on fit valoir. Tant qu’il y a qu’à mon avis les anciens administrateurs du trésor n’ont pas de droit. Mais de ce qu’il n’ont pas de droit, s’ensuit-il qu’il faut tout leur refuser ? ce n’est pas mon avis. Il faut rétribuer chacun selon ses œuvres, il faut payer les administrateurs du trésor en raison de leurs besoins.
Je crois que le traitement des administrateurs du trésor n’est pas mis en rapport avec leurs besoins ; il ne suffit pas d’ailleurs qu’ils soient payés en raison de leurs besoins, il faut qu’ils soient aussi payés en raison de la responsabilité qui pèse sur eux. Car un administrateur du trésor ne peut pas être constamment à son bureau ; il ne peut pas tout faire par lui-même ; il faut qu’il accorde sa confiance à des employés ; ces employés peuvent abuser de sa confiance, commettre des malversations, et cependant il est responsable. Il peut se tromper, on peut le tromper en dehors de ses bureaux ; et cependant il est responsable.
L’administrateur du trésor de Bruxelles est donc, à mon avis, l’un des fonctionnaires les plus mal payés qu’il y ait ; et ce par les raisons que j’ai eu l’honneur de dire. On crut faire des économies ; puis, pour faire taire les réclamations, on accorda des toelagen ; remarquez que ces suppléments de traitement étaient supérieurs au traitement lui-même. A Bruxelles, ils formaient les deux cinquièmes de ce que recevait l’administrateur du trésor. Il en était à peu près de même pour les administrateurs des autres provinces.
Il ne faut pas conclure de ce que j’ai dit, que l’on doive augmenter les traitements des administrateurs du trésor. Non sans doute. Mais le ministère va avoir une occasion de les rétribuer selon leurs œuvres et de faire en même temps une économie. Le traité avec la banque cesse ses effets au 1er juin de cette année. Les administrateurs du trésor pourront être nommés agents de la banque ; il ne peut y avoir aucune difficulté à ce qu’ils réunissent à leurs fonctions celles de receveurs et de payeurs provinciaux. Il leur suffira pour ce surcroît de travail d’augmenter d’un ou de deux employés le personnel de leurs bureaux ; car la besogne faite précédemment, je suppose, par cinq employés de l’administrateur et cinq employés de l’agent de la banque pourra fort bien être faite par les six ou sept employés de l’administrateur réunissant les fonctions de l’agent de la banque.
Il y en aura aussi économie dans le cumul des deux traitements ; car on pourra réduire d’un tiers le traitement précédemment attribué à l’agent de la banque, et d’un tiers aussi le traitement de l’administrateur du trésor ; il y aura ainsi une économie d’un tiers sur le montant de ces deux traitements et néanmoins ce sera une fiche de consolation pour les administrateurs du trésor très mal payés sous l’ancien gouvernement, plus mal payés encore depuis la révolution.
Je crois que le gouvernement saisira cette occasion d’améliorer la position des administrateurs du trésor, et de faire faire en même temps un bénéfice à l’Etat.
Je n’entrerai pas davantage dans la discussion qui me paraît s’être assez étendue.
M. Dumortier. - Je dois répondre à l’honorable M. de Brouckere ; toutefois, sans faire attention à la manière dont il a relevé mes expressions, reconnaissant que cet honorable membre n’emploie jamais envers ses collègues que les termes les plus gracieux, je ne relèverai pas les expressions dont il a bien voulu se servir à mon égard.
L’honorable M. de Brouckere a prétendu que j’aurais dit que l’on n’aurait pas porté les toelagen au budget. Je sais fort bien qu’on les y a portés ; mais quand ils ont été votés, les ministres même ont juge à propos de n’en pas payer un sou.
M. Charles de Brouckere, M. Duvivier, M. Coghen, quand il est ensuite rentré au ministère, aucun de ces honorables ministres des finances n’a cru devoir accorder un centime aux porteurs de toelagen.
Maintenant l’honorable M. de Brouckere fait un singulier calcul pour prouver que la somme votée en faveur des porteurs de toelagen n’est que le douzième de celle à laquelle ils ont droit : il multiplie par quatre le montant de leurs exigences, et conclut de là que la somme qui leur a été offerte n’est que le douzième de celle à laquelle ils ont droit. Mais je ne vois pas cette multiplication par quatre ; il n’y a qu’une somme annuelle à comparer à une somme annuelle.
Voilà, messieurs, les faits tels qu’ils existent. La somme que nous accordons est d’environ 9,000 fr., et la somme accordée autrefois était de 9,000 fl. Qui de nous s’est trompé et a mauvaise mémoire dans la citation qu’il a faite ? Ce n’est pas assurément pas celui qui a l’honneur de vous parler actuellement. Lorsque nous proposons 9,000 fr., c’est proposer la moitié ; et certes c’est fort joli de payer la moitié d’un abus créé par le roi Guillaume.
On a parlé de la responsabilité des agents du trésor ; je ne leur en connais pas, ils n’ont pas de maniement de fonds, ils n’ont que des papiers à manier ; leurs fonctions sont inutiles. Lorsqu’un individu doit obtenir un paiement du trésor, il reçoit une ordonnance de paiement ; cette ordonnance est visée par la cour des comptes ; elle vient ensuite chez le ministre des finances, qui donne un mandat. On peut croire qu’en se présentant à la banque avec le mandat, on sera payé ; point du tout : on va chez l’administrateur du trésor, lequel retient le mandat et donne un bon sur le caissier de l’Etat. Cet exposé prouve l’inutilité de la fonction. Elle a été créée par le roi Guillaume, pour apaiser les réclamations des anciens receveurs-généraux.
La banque coûte à l’Etat environ 300,000 fr. ; cette somme, jointe à celle qui est donnée aux administrateurs du trésor, donne un total de 400,000 fr. à peu près ; on ne dira pas que c’est là faire le service d’une manière économique. Faut-il donc encore augmenter les dépenses et les portera un taux plus élevé que sous le roi Guillaume ? Ni sous le congrès, ni en 1831, ni en 1832, ni en 1833 et 1834, on n’a reconnu la nécessité d’augmenter le traitement des administrateurs du trésor. La somme qui suffisait au service sous le roi Guillaume doit suffire encore aujourd’hui. Je crois qu’il faut adopter la somme proposée par la section centrale ; si les porteurs de toelagen n’en veulent pas, ils y renonceront. (Aux voix ! aux voix !)
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je dois faire remarquer que l’honorable préopinant a commis une double erreur ; il dit que l’augmentation accordée à titre de toelagen aux anciens receveurs-généraux est actuellement de 9,000 fr. ; elle n’est que de 8.500 fr. ; il y a donc erreur de 500 fr. Cette différence n’est pas très forte, j’en conviens. Ensuite il parle de 9000 fl., comme étant la somme allouée avant la révolution pour les mêmes toelagen : c’est de 10,000 florins que se composait ce chiffre ; l’erreur est ici plus considérable.
En répondant à M. de Brouckere, l’honorable préopinant lui a reproché d’avoir établi une énorme différence entre les toelagen que nous proposons de donner aujourd’hui aux anciens receveurs-généraux, et la somme qui leur était allouée de ce chef précédemment ; mais il oublie que les directeurs du trésor qui prétendent avoir droit aux toelagen n’ont rien reçu à ce titre pendant plusieurs années ; que leurs prétentions ne se composent pas d’une seule quotité annuelle, qu’elles renferment au contraire plusieurs sommes annuelles à partir du moment où ils ont cessé de recevoir l’indemnité à laquelle ils disent avoir droit.
Il est à remarquer que depuis longtemps la position des directeurs du trésor a été signalée comme extrêmement défavorable et en dessous de l’importance de leurs fonctions.
En 1832, le ministre des finances a attiré l’attention des chambres sur la nécessité d’améliorer les traitements de ces fonctionnaires. Voici ce qu’il en disait à l’occasion des discussions du budget dans un discours détaillé où les différentes branches du département des finances étaient passées en revue :
« La section centrale a proposé une réduction de 2.250 fl. sur le total des traitements des administrateurs du trésor, et s’est basée sur une moyenne de 3,500 fl. pour le traitement de ces fonctionnaires comptables.
« Je dois vous faire remarquer d’abord, messieurs, que lors de la nouvelle organisation financière au 1er janvier 1824, les places d’administrateur du trésor sont demeurées ce qu’étaient celles des receveurs-généraux avant cette époque, à la seule exception que ces comptables ont eu leur caisse à la banque au lieu de l’avoir chez eux. Du reste, ils sont demeurés soumis aux mêmes écritures, aux mêmes frais de bureau, à la même responsabilité.
« Aussi l’administration d’alors, qui appréciait justement l’importance de leurs fonctions, avait-elle proposé leurs traitements à raison de 8,000 fl. et 10,000 fl., et si le roi ne les a fixés qu’au taux modique auquel vous les avez vus portés dans les budgets de l’Etat sous l’ancien gouvernement, il faut bien le dire, messieurs, c’est parce qu’il a cru que ces fonctions devaient être considérées plutôt comme celles des payeurs de provinces que comme celles des receveurs-généraux.
« Mais, après cette première fixation, il lui restait le pouvoir d’accorder des suppléments. Il en a fait usage à l’égard de plusieurs administrateurs du trésor, ce qui prouve qu’il avait reconnu l’insuffisance de leurs traitements.
« Quant à moi, je partage, je l’avoue, l’opinion de l’ancienne administration à l’égard du traitement des administrateurs du trésor, et je dis que ces fonctionnaires ne sont pas payés en raison de l’importance de leur place, des frais de bureau qu’elle nécessite et de la responsabilité qui pèse sur eux. »
Ainsi, dès 1832 on nous a démontré que les traitements des administrateurs du trésor qui n’avaient pas de toelagen n’étaient pas assez élevés.
On assure qu’il pourrait s’introduire des économies dans cette branche de l’administration financière. Je crois devoir déclarer que les observations présentées par M. Gendebien m’ont paru en général très fondées.
Lorsque les questions relatives à la banque seront traitées, il conviendra d’examiner si le trésor ne doit pas opérer par lui-même la rentrée des revenus, et si par ce moyen on arrivera à des réductions de dépenses. Pour moi, je ne dissimulerai pas que dans mon opinion il y aura en effet économie à ce que le trésor fasse lui-même les recettes.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition du ministre ou le chiffre de 80,000 fr. pour les administrateurs du trésor.
M. Dumortier. - J’ai demandé la division de l’article ; il faut mettre aux voix les traitements d’une part, et les suppléments de traitements d’autre part.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - En mettant l’amendement aux voix, c’est faire la division.
M. Jullien. - Est-il entendu qu’en cas de liquidation des suppléments de traitements ou des toelagen, la somme demandée ne sera considérée que comme une avance ?
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je déclare à l’assemblée que la partie de la somme de 8,500 fr. qui sera donnée aux anciens receveurs-généraux ne sera considérée que comme une avance. S’ils ont droit à une somme plus forte, on examinera leurs prétentions.
M. Jullien. - Je demande qu’il soit fait mention au procès-verbal de la question que j’ai adressée et de la réponse du ministre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - La somme de 8,500 francs n’est pas tout entière applicable aux anciens receveurs-généraux ; il est des administrateurs du trésor qui en auront une partie, qui auront une indemnité ou un supplément de traitement de 400 francs chacun.
Je répète ce que je viens de dire tout à l’heure, que la partie de la somme de 8,500 francs affectée aux anciens receveurs-généraux leur sera donné comme un à-compte sur les réclamations qu’ils prétendent avoir à faire, si ces réclamations sont fondées.
M. Dumortier. - Je demanderai si l’administrateur du trésor à Arlon n’est pas assez payé actuellement. Il reçoit autant que sous le roi Guillaume.
M. Gendebien. - Cela prouve que sous le roi Guillaume cet administrateur n’était pas assez payé.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la somme de 71,500 francs pour le traitement des administrateurs du trésor.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - C’est le chiffre le plus élevé que l’on met aux voix. Il n’y a pas lieu ici à division, puisqu’il n’y a qu’un seul article. Mettez aux voix le chiffre demandé par le ministre, ou 80,000 fr. ; si ce chiffre est rejeté, on adoptera l’amendement. Pour opérer la division, il faudrait changer la rédaction de l’article et dire : « traitements des administrateurs », pour un paragraphe, et « supplément de traitement », pour l’autre paragraphe ; mais la convenance de cette division n’a pas été discutée. Je m’oppose à ce qu’elle ait lieu, parce que je ne veux pas que la somme de 8,500 fr. soit absorbée pour les anciens receveurs-généraux ; je désire donner 2,600 fr. aux administrateurs du trésor qui n’ont pas de toelagen.
M. Dumortier. - On peut mettre aux voix les deux chiffres ; on fera la rédaction après.
M. Gendebien. - Il faut formuler votre proposition.
M. le président. - Voici comment la proposition de M. Dumortier est libellée :
« Supplément de traitement aux anciens receveurs-généraux : fr. 8,500.
« Traitement aux directeurs : fr. 71,500. »
M. Dumortier. - La somme que l’on a toujours allouée aux administrateurs du trésor est 71,500 fr. ; je propose d’y ajouter 8,500 fr. et avec le même titre sous lequel cette somme a été accordée les années précédentes ; en tout, je propose de voter 80,000 fr. ou la somme demandée par le ministre ; mais elle sera votée de manière qu’il n’y aura pas d’abus.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - On n’a pas commis d’abus ; on n’en commettra pas. On a donné connaissance de l’usage qui a été fait de la somme. On a seulement employé 1,600 fr. autrement qu’on ne paraissait le vouloir en 1834.
M. Dumortier. - C’est là un abus !
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Supposons que ce soit un abus ; est-il aussi grand qu’on voudrait le faire entendre ?
Si l’on veut la division, je ne m’y opposerai pas ; mais je demanderai d’autres chiffres. Je demanderai que l’on mette 5,900 fr. aux anciens receveurs-généraux, parce que je veux donner 2,600 fr. en suppléments de traitements à quelques administrateurs du trésor dont les traitements sont insuffisants.
M. le président. - Je vais mettre aux voix le chiffre de 80,000 fr. on en fera ensuite un ou deux articles si l’on veut.
- Le chiffre 80,000 fr. mis aux voix est adopté.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je demanderai d’abord que la chambre veuille bien décider s’il y aura division : dans le cas de l’affirmative je présenterai un sous-amendement en conséquence des observations que j’ai soumises à l’assemblée.
M. Gendebien. - La division est de droit.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Alors je demanderai que le premier chiffre soit 74,100 fr., et que le second soit 5,990 fr. ; les deux font ensemble 80,000 fr.
M. Fallon. - Il est impossible que M. Dumortier puisse persister dans son amendement : il ne faut pas accorder au ministre plus qu’il ne demande ; le ministre ne demande pas 8,500 fr., mais seulement 5,900 fr.
M. Dumortier. - Je n’entends pas accorder au ministre plus qu’il ne demande ; je n’entends lui accorder que la somme intégrale. Depuis dix ans les administrateurs du trésor sont portés au budget pour la somme de 71,500 fr. Je propose d’admettre ce chiffre. Parmi les administrateurs il y en a qui reçoivent des suppléments de traitements ; eh bien, je propose d’allouer 8.500 fr. pour ces suppléments.
Les administrateurs du trésor n’ont pas droit à une augmentation de traitement ; car leur traitement était suffisant sous les Hollandais. Il devrait plutôt y avoir réduction qu’augmentation dans de telles dépenses.
La proposition que je fais est celle qui a été faite et admise deux années de suite.
M. Duvivier. - Il y a longtemps que j’ai saisi la pensée de M. Dumortier : il veut lier le ministre ; il devrait en convenir ; il vient toutefois de le dire d’une manière assez explicite. Il aurait dû commencer par où il vient de finir ; la discussion eût été moins longue.
Il est évident que l’honorable membre ne veut pas que le ministre puisse donner aux administrateurs un supplément de traitement, supplément dont ils ont absolument besoin pour faire marcher leur affaire. Comme je suis convaincu de la réalité du besoin, je voterai le chiffre. Mon vote aura ce sens que la partie de la somme de 8,500 fr. que le ministre pourra donner à ceux qui ont des toelagen, leur sera accordée à titre d’avance. (Aux voix ! aux voix !)
M. Dumortier. - Je n’ai pas dissimulé ma pensée ; je l’ai exprimée dès le commencement. Je ferai remarquer que vous ne pouvez pas adopter la proposition du ministre : ce serait une injustice que d’accorder de suppléments de traitements à ceux qui n’en avaient pas sous le roi Guillaume…
M. Fleussu. - Vous répétez ce que vous avez dit !
M. Dumortier. - Je le répète afin qu’on ne l’oublie pas… Si vous donnez une partie des 8,500 fr. aux administrateurs du trésor, on fera de moins fortes avances à ceux qui ont des toelagen, et vous aurez davantage à payer lors de la liquidation.
M. Duvivier. - Il est vrai que quatre administrateurs du trésor ont impérieusement besoin chacun d’un supplément de 400 fr. Si vous voulez donner la somme entière de 8,500 fr. à ceux qui ont des toelagen, il faut, dans ce cas, voter un crédit supplémentaire au ministre pour donner aux administrateurs ce qui leur est indispensable.
- L’amendement de M. Dumortier est mis aux voix et n’est pas adopté.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la division proposée par M. le ministre.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je n’y tiens pas !
M. le président. - M. le ministre demande 5,900 fr. pour les anciens receveurs-généraux.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Je n’y tiens pas du tout. Je déclare qu’il est totalement indifférent au ministre que mon sous-amendement soit adopté ou ne le soit pas.
M. Dumortier. - Comme j’ai repris l’amendement de M. le ministre, je crois devoir à cet égard me justifier. Je l’ai repris, parce que je ne veux pas que s’il y avait cette année des décès parmi les porteurs de toelagen, on en profitât pour ne pas augmenter les traitements des directeurs du trésor. Sans doute il valait mieux adopter l’amendement que j’avais proposé ; mais, puisqu’on ne l'a pas fait, il vaut mieux admettre la proposition de M. le ministre que de voter la somme en un seul article.
- La proposition de M. le ministre des finances reprise par M. Dumortier est mise aux voix et adoptée ; en conséquence, l’article premier est ainsi divisé :
« Art. 1er. Traitement des directeurs : fr. 74,100. »
« Art. 2. Supplément accordé aux anciens receveurs-généraux : fr. 59,000. » (Remarque du webmaster : c’est bien entendu 5,900 fr. qu’il faut comprendre. Cette erreur typographique a été relevée dans la séance suivante.)
Article 2 (devenu article 3)
M. le président. - La chambre passe à la discussion de l’article 3 (précédemment article 2). Caissier général : fr. 240,000. »
M. Dumortier. - Je demande la parole pour faire remarquer qu’en 1831 l’on a augmenté le tantième du caissier de l’Etat. Cette augmentation était fondée à cette époque ; il y avait pénurie dans le trésor ; on augmenta par ce motif le denier de recettes. Cet état de choses a cessé depuis. Je demande donc que, quand le gouvernement fera un nouveau contrat avec la société générale, si tant est qu’il en fasse un, il exige que le tantième du caissier de l’Etat soit rétabli comme il était sous l’ancien gouvernement. Les choses sont revenues comme elles étaient alors ; le tantième doit donc être réduit au taux où il était.
Je demande que M. le ministre des finances veuille bien répondre sur ce point.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Si, ainsi que le suppose l’honorable préopinant, un nouveau contrat était passé avec la société générale pour continuer le service de caissier général de l’Etat, si tant était, dis-je, qu’un tel contrat fût renouvelé, j’aurais soin de faire valoir les droits de l’Etat, et de chercher à rendre le moins onéreuses possible les charges qui incombent au trésor pour frais de rentrée des contributions (Bien ! très bien !)
- L’article 3 est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. Traitement des employés du service sédentaire : fr. 787,440 fr. » ‘ -
M. A. Rodenbach. - Au chapitre III, contributions directes, douanes et accises, on nous demande un crédit supplémentaire de 350,000 fr. destiné à la création de brigades sédentaires ambulantes, et au rétablissement des inspecteurs de la ligne. J’appuierai ce crédit parce que je suis convaincu que, dans l’intérêt de notre industrie, la ligne de douanes doit être plus compacte, plus resserrée ; car, terme moyen six hommes par lieue carrée ne suffisent point pour protéger efficacement nos fabricats et notre commerce.
On est généralement d’accord que nos lois ne sont pas assez rigides envers ceux qui se livrent à la déplorable industrie de contrebande, industrie toute d’audace et au détriment de notre prospérité industrielle. La législature anglaise est beaucoup plus sévère contre le commerce interlope.
Dans notre pays, nous n’atteignons que le misérable journalier qui, pour gagner quelques francs, passe péniblement des nuits à l’introduction des marchandises étrangères. Nos lois n’atteignent point les maisons de commerce qui se livrent à la fraude, tandis qu’en Angleterre, lorsque les fraudeurs subalternes sont arrêtés et incarcérés, on leur accorde la liberté quand ils peuvent donner des preuves qu’ils ne sont que les instruments de négociants fraudeurs. De cette manière on atteint le grand coupable qui, outre l’emprisonnement, paie souvent le quintuple de la valeur de la marchandises saisie. Ces moyens sont efficaces, et les nôtres n’atteignent pas leur but.
Les employés de quatrième classe sont mal payés ; ils ne reçoivent que 640 fr. de traitement, sur lesquels on leur fait une retenue de 100 fr. pour frais d’instruction et de masse ; il ne leur reste donc que 45 fr. par mois. A la vérité, ils ont 50 p. c. de prime de saisie, mais le gouvernement perçoit le droit sur la marchandise confisquée ainsi que d’autres frais. Les prises devraient être affranchies de droits ou au moins en exempter les saisies dont la valeur ne dépasserait pas 500 fr.
Les contrôleurs n’ont que 8 p. c. sur les primes, c’est trop peu ; les lieutenants principaux n’ont que 5 p. c., et ce sont cependant ces deux classes de fonctionnaires qui supportent la plus grande fatigue ; les inspecteurs en chef ont également 5 p. c. ; ceux-ci n’ont pas des nuits à passer, à courir dans la boue, à endurer l’intempérie des saisons ; il en est qui ne font qu’une tournée toutes les 3 ou 4 semaines et en plein jour ; du reste, ils sont nécessaires pour l’ensemble du service mais comme on se propose d’avoir des inspecteurs de la ligne, on peut espérer que le service marchera mieux.
Pourquoi ne pas avoir dans la Flandre occidentale des contrôleurs, à l’instar des autres provinces ? Autre abus. Quand un contrôleur fait une saisie hors de son contrôle, il ne touche point les 8 p. c. ; ils reviennent au contrôleur voisin qui se trouvait peut-être au lit. Il y a donc à changer dans ce mode de répartition.
Il conviendrait aussi de réorganiser la division des contrôles dans la Flandre, car tel contrôleur a des communes à 3 lieues de sa résidence qui ne se trouvent qu’à une demi-lieue du domicile de son collègue. Il y a même dans le Limbourg des contrôles qui ont 12 lieues d’étendue.
En général, il faudrait plus de douaniers à cheval, parce que la fraude des objets d’une grande valeur sous un petit volume ne se fait que par des cavaliers qui échappent presque toujours aux vaines poursuites des employés à pied.
On l’a dit cent fois, il faut arrêter le scandale de la contrebande qui est en même temps un obstacle à l’amélioration de notre tarif ; car à quoi bon élever le tarif de notre douane si le taux de la fraude n’est tarifé, pour les soieries de France, que de 6 1/2 p. c. de la valeur, franco de Paris à Bruxelles ; tandis que pour introduire nos foulards belges de Bruxelles à Paris, par voie indirecte, le taux est de 18 p. c. de la valeur ? Des maisons de Lille assurent avec garantie l’introduction des tissus de coton à raison de fr. 1 75.
Le prix courant de la fraude est de 14 centimes moins élevés que l’an passé, malgré l’augmentation de nos 10 centimes additionnels. Quant aux blondes, on les livre de Paris à Bruxelles à 4 p. c. de la valeur. A quoi servent alors les traités de commerce, si les nations voisines peuvent ainsi nous inonder de leurs produits ? Enfin, on se demande que fait notre armée douanière de 4,212 hommes.
Je persiste toujours dans mon opinion que, pour remédier à la corruption, il faut déplacer souvent et à grande distance les employés pour empêcher leurs relations intimes avec les fraudeurs ou leurs associés, dût-on même leur accorder une indemnité pour frais de déplacement ; dans les ports de mer, la vérification des marchandises devrait avoir lieu dans l’entrepôt même, et ce en présence de plusieurs employés supérieurs et autres. Finalement, si on veut diminuer la contrebande, il faut que notre rayon de douanes ait au moins trois lieues de profondeur.
Je l’ai déjà dit, et je ne cesserai de le répéter, avant la suppression du second rayon, c’était presque toujours dans la première ligne de douanes que les préposés attaquaient et mettaient en déroule les bandes de fraudeurs. Une fois dispersés les contrebandiers se jetaient ça et là dans la deuxième ligne et ce n’était que dans le second rayon que les douaniers en embuscade dans les fossés, dans les bois, etc., faisaient des prises, par suite du choc qui avait eu lieu en première ligne. Avant cette suppression les fraudeurs avaient 3 à 4 lieues à parcourir pour arriver avec leur charge à destination, tandis qu’à présent ils n’ont plus que 2 lieues de marche ; il s’en suit qu’au lieu de faire, dans une nuit, un seul voyage, ils en font deux. L’on peut m’objecter qu’avec un seul rayon, la ligne est plus compacte ; mais rien ne force l’administration à placer des employés dans la deuxième ligne, l’administration dispose des brigades selon les besoins du service et les envoie où bon lui semble.
Je ne puis pas encore m’expliquer ce qui a pu déterminer les ministres à supprimer le second rayon, qui est tout à l’avantage de la contrebande et ruineux pour notre industrie commerciale et manufacturière. Je me plais à croire que M. le ministre prendra mes observations en considération et qu’il réfléchira mûrement au rétablissement du second rayon, que je réclame de nouveau de toutes mes forces.
M. de Longrée. - Messieurs, le commerce et l’industrie vous réclame protection ; les chambres législatives sont bien résolues à répondre à leur attente, il peut y avoir divergence d’opinion sur les moyens qui peuvent être employés pour y parvenir d’une manière efficace.
M. le ministre des finances, guidé par une sollicitude louable, vous propose de lui allouer une somme de 350.000 fr. pour pouvoir augmenter le personnel de la douane ; ce projet, messieurs, je dois le combattre, étant bien convaincu qu’il ne nous fera pas atteindre le but que nous nous proposons, ou au moins qu’il ne balancera pas par ses résultats le sacrifice de l’allocation qui nous est demandée ; en effet, messieurs, il serait difficile de soutenir que c’est plutôt dans le nombre d’hommes qui forme un corps, que dans son moral, qu’il faut puiser sa véritable force.
Lorsqu’un général d’armée croit le moment arrivé de faire un coup de main, il forme un corps de partisans jamais très nombreux, mais composé d’hommes choisis, non seulement sous le rapport de leur courage éprouvé, mais aussi sous celui de leur bonne discipline et de leur prudence ; le chef qui se trouve à leur tête joint à ces qualités celle d’une intelligence bien reconnue ; eh bien, messieurs, je place le personnel de la douane sur la même ligne ; il doit être considéré comme un corps de partisans en permanence : n’est-il pas vrai de dire, n’est-il pas reconnu que les plus fortes saisies de la fraude se font presque toujours par un très petit nombre d’employés, mais dont le service est très bien dirigé ? Je pourrais messieurs, vous citer nombre d’exemples de ce que j’avance, si je ne craignais d’abuser de vos moments ; du reste cela se comprend, alors que l’on considère que le grand nombre d’employés fait également grand bruit par ses démonstrations, et que c’est précisément ce qu’il faut éviter pour ne pas éveiller le fraudeur plus qu’il ne l’est déjà, lui qui n’épie pas seulement les mouvements des employés, mais qui souvent pousse ses investigations jusqu’à la possibilité de corruption ; ce n’est donc pas dans le trop nombreux personnel de la douane qu’il faut rechercher les moyens de répression de la fraude, mais plutôt dans le choix d’hommes spéciaux, je veux dire de chefs capables, expérimentés, dévoués, et surtout très probes.
Le choix des contrôleurs qui par la nature de leurs fonctions doivent être considères comme l’âme de la douane, doit être très scrupuleux ; malheureusement ce choix n’est pas toujours heureux ; l’on voit passer à ces emplois des hommes qui ne connaissent que le service des bureaux, qui n’ont aucune expérience du service actif, ou qui sont déjà parvenu à un âge qui les rend incapables de supporter les grandes fatigues auxquelles les contrôleurs des douanes sont nécessairement exposés ; ces places devraient être laissées, en perspective d’avancement, exclusivement aux employés du service actif qui, déjà anciens, se distinguent le plus par leur zèle, leur connaissance du métier, leur probité et leur instruction.
En général les contrôles de la ligne sont trop étendus : il y en a de 8, 9 et 10 lieues de parcours ; c’est selon moi un grand inconvénient, parce qu’il devient impossible au contrôleur de tenir un œil vigilant en même temps sur tous les points de son contrôle, de recueillir avec célérité tous les renseignements qui lui sont indispensables pour diriger le service d’une manière efficace, et de pouvoir se transporter rapidement sur les lieux menacés.
Si donc M. le ministre des finances ne nous demandait qu’une somme nécessaire pour la création de quelques contrôles des douanes de plus, je serais très empressé de l’accorder.
La fraude ne se pratique pas seulement par des hommes qui en font leur honteux métier, mais aussi par des fabricants, des négociants, ou des voyageurs qui se sont procurés quelques objets en pays étrangers pour leur propre usage, qui fraudent presque malgré eux, mais qui s’y décident, parce qu’ils ne veulent pas s’exposer aux vexations qu’on leur fait supporter dans certains bureaux ; et si j’en juge d’après ce qui m’est arrivé personnellement au mois d’août dernier, au bureau de Rympts, n’ayant cependant ave moi que des effets de corps, je suis très disposé à croire que leurs plaintes, loin d’être exagérées, sont très fondées.
Maintenant, messieurs, deux considérations majeures corroborent encore l’idée que j’ai conçue, que l’augmentation du personnel de la douane serait pour le moment au moins intempestive, alors que l’urgence ne m’en est pas démontrée, et que dans ma pensée, ainsi que je l’ai fait entendre à l’instant, je suis loin de la considérer comme moyen efficace pour réprimer la fraude.
La première de ces considérations, c’est qu’il est probable que nous aurons la paix un jour ou l’autre, que des économies tant désirées par le pays pourront enfin avoir lieu par le renvoi dans les foyers d’une très grande partie de nos soldats miliciens et que beaucoup d’entre eux, cherchant à se créer une nouvelle source d’existence, ne manqueront pas de solliciter des emplois de la douane, tandis qu’à mon avis ils devront avoir la préférence sur tous autres individus qui réclameraient la même faveur.
La seconde considération, messieurs, c’est qu’en augmentant dès aujourd’hui le personnel de la douane, vous allez créer de nouveaux besoins à la caisse de retraite, qui déjà, vous le savez, n’est que trop obérée, car plus vous aurez d’employés, plus vous aurez de pensions à payer par la suite.
N’agissant, comme toujours, que d’après la conviction que j’ai acquise, mon vote sur l’objet qui nous occupe sera négatif.
M. C. Vuylsteke. - Messieurs, les observations de l’honorable préopinant tendent à repousser la proposition du ministre qui demande une allocation de 350,000 fr. pour renforcer notre ligne de douane. Messieurs, je ne partage pas son opinion ; au contraire, je viens appuyer la proposition du gouvernement allouée par la section centrale, par un double motif : d’abord parce que ce crédit est indispensable pour renforcer notre ligne de douane ; c’est une mesure qui est autant dans l’intérêt public que dans celui du commerce et de l’industrie qui s’exercent loyalement.
Et ensuite par le motif que cette augmentation de personnel ôtera à l’administration tout prétexte de devoir recourir à des mesures que je considère comme extralégales, pour parvenir à réprimer la fraude.
Je suis loin d’accuser le ministère d’être sorti des bornes de la légalité, mais des plaintes qui me sont parvenues de la part de mes commettants me portent à croire qu’il existe des abus dans l’administration subalterne par suite d’une fausse application de la loi.
Ces abus consistent dans l’opiniâtreté que mettent les employés à refuser la délivrance d’acquits à caution ou autres documents voulus par la loi aux détaillants, demeurant dans le rayon frontière, qui, ayant introduit des marchandises de l’intérieur du royaume en observant les formalités requises, voudraient les débiter dans ce même rayon.
Cet abus est d’autant plus criant dans mon opinion, qu’il est contraire à la loi, qu’il est attentatoire à la prospérité des habitants, et qu’au lieu de réprimer la fraude, il ne fait que la justifier.
D’après des renseignements que je me suis procurés, les employés subalternes de l’administration de la douane fondent le refus de délivrer les documents nécessaires sur l’article 160 de la loi générale sur les douanes.
Voici ce que porte cet article : « Il ne pourra être délivré d’acquits à caution pour le transport de marchandises manufacturées ou autres, soumises à de forts droits d’entrée (parmi lesquelles doivent être rangées celles qui paient plus de 4 p. c. de leur valeur), ni de celles dont l’importation est prohibée, lorsque ce transport devra s’effectuer en direction intérieure dans la distance déterminée... par l’article 177 (distance qui est étendue dans tout le rayon par la loi du 7 juin 1832), à moins que l’envoi n’ait lieu d’une ville fermée ou place forte, ou bien qu’à l’égard des premières de ces marchandises, il ne soit justifié de l’origine indigène ou de l’introduction légale, sous paiement des droits, suivant les documents qui devront être présentés pour être retirés ou déchargés et remplacés par des acquits à caution. »
Pour ce qui regarde les places fortes ou villes fermées, la disposition est trop claire pour recevoir une fausse application ; mais, relativement à l’origine indigène, l’administration de la douane s’obstine à ne regarder comme telles que les marchandises fabriquées ou manufacturées dans l’intérieur du pays.
Je ne crois pas, messieurs, qu’il faille se rapporter uniquement à la lettre de la loi, je pense au contraire qu’il faut faire marcher l’esprit de la loi de pair avec le texte ; car, selon les principes du droit, celui-là agit contre la loi, qui en observe la lettre, mais en fausse l’esprit.
Ce ne sont pas seulement les matières fabriquées ou manufacturées et plombées sur le métier, qui doivent être considérées comme d’origine indigène mais encore toutes matières quelconques qui se trouvent dans l’intérieur du royaume en deçà du rayon de la ligne de douane. Cela est si vrai, que pour ces objets un simple passavant suffit, je crois. Quant à leur transport dans l’intérieur, et fussent-ils même fraudés, ils sont à l’abri de toute poursuite ou saisie de la part des employés aussitôt qu’ils ont été déposés dans un magasin situé en deçà de la distance voulue par l’article 102 de la loi générale, article qui a été modifié par la loi de 1832 précitée, où il est dit que le pouvoir exécutif tracera le cours du rayon, à la distance au plus d’un myriamètre de l’extrême frontière de terre.
L’introduction légale sous paiement des droits doit être entendue, me semble-t-il, en ce sens que celui qui, ne venant pas de l’intérieur du royaume, et par conséquent pas muni d’un acquit à caution, est tenu de justifier du paiement des droits d’entrée pour ne pas encourir le danger de voir sa marchandise saisie comme introduite frauduleusement. Toute autre interprétation conduirait à l’absurde.
En effet, messieurs, supposez un négociant en gros qui introduise de l’étranger des marchandises quelconques en destination pour Bruxelles ; il déclare ses marchandises au bureau à la frontière, et moyennant un passavant à caution, il franchit le rayon de la ligne : son introduction est légale. Mais ce négociant fait sur commande 50 ou 60 ou plus d’expéditions pour des détaillants qui demeurent dans le rayon de la ligne ; ceux-là prennent à cet effet des acquits à caution dans les bureaux respectifs ; ils ont exactement rempli toutes les formalités voulues par la loi ; les marchandises venant de l’intérieur doivent être considérées comme indigènes, car il n’y a aucune possibilité pour eux de faire constater le paiement des droits d’entrée : le seul acquit de paiement qui subsiste, est entre les mains du négociant expéditeur ; ou bien il faudrait que l’administration des douanes donnât à chaque négociant important des marchandises de l’extérieur, une centaine de duplicata de la quittance du paiement des droits, qui accompagneraient, en cas d’expédition, les lettres d’envoi, ce qui jetterait une perturbation complète dans les affaires.
L’origine indigène est donc suffisamment justifiée lorsque, venant de l’intérieur du royaume dans le rayon de la ligne, le détaillant s’est muni, au premier bureau établi ad hoc, d’un acquit à caution qui lui est délivre conformément à la loi.
L’administration des douanes se retranche toujours derrière cet argument, que ces dispositions sont prises pour empêcher la fraude. Une simple observation fera voir l’inutilité de cette mesure.
Un marchand qui demeure dans le rayon de la ligne y apporte une marchandise fabriquée dans l’intérieur du pays ; il justifie en tous sens de son origine indigène, ainsi que l’entend l’administration : il a rempli le vœu de la loi. Eh bien, cette même marchandise se fabrique dans le pays limitrophe de la frontière à beaucoup meilleur marché. Croyez-vous que la fraude lui sera impossible, parce que la marchandise déposée chez lui est d’origine indigène ? Si ce sont des marchandises non susceptibles d’être plombées ou cachetées, telles que beaucoup d’objets de mercerie et de passementerie, il peut en introduire frauduleusement d’un pays étranger pour les substituer à celles d’origine indigène, à mesure qu’il en a vendu ; il est à l’abri de toute poursuite pourvu que la quantité n’excède jamais celle désignée dans l’acquit à caution. Cette mesure, outre qu’elle est illégale, est, comme vous le voyez, illusoire. Un moyen légal, c’est la surveillance des employés et leur diligence à saisir les objets lors de l’importation un moyen légal, c’est le droit de faire des visites, le droit de vérification, de la contenance de la marchandise confrontée avec l’acquit à caution ou autres documents ; c’est l’exactitude des employés à répéter souvent ces visites domiciliaires qui doivent empêcher la substitution.
Si l’administration a agi en conséquence d’une décision ministérielle, le ministère a outrepassé ses pouvoirs ; il ne lui appartient pas d’interpréter la loi par voie d’autorité, c’est au pouvoir législatif seul qu’est dévolu ce droit, en vertu de l’article 28 de la constitution ; il aurait dû, en ce cas, venir nous soumettre un projet de loi.
Mais je ne pense pas qu’il existe une décision ministérielle sur cet objet, car l’administration des douanes est tellement pénétrée que l’importation de marchandises venant de l’intérieur dans le rayon de la ligne est par elle-même une justification suffisante de l’origine indigène, qu’elle n’a pas encore refusé un seul acquit à caution pour ces sortes de transports ; ce n’est que lorsque la marchandise est arrivée à sa destination qu’elle met l’embargo.
Vous l’avouerez, messieurs, le système suivi est d’une inconséquence choquante : on consent qu’un détaillant fasse ses provisions, qu’il étale ses marchandises, mais on lui défend de les vendre.
L’administration n’a pas réfléchi, sans doute, que cette mesure donne ouverture à la destruction du commerce ; en effet le détaillant n’a chez lui que des capitaux improductifs, il est privé des profits qu’il pourrait en retirer, et cependant le terme de ses crédits s’écoule, il doit satisfaire à ses obligations.
Que reste-t-il à faire au détaillant dans cette position critique ? Voudrait-on qu’il observât scrupuleusement les dispositions prises par l’administration ? Evidemment il n’en fera rien car il n’y aurait là pour lui qu’une ruine certaine. Il ne lui reste donc qu’à débiter ses marchandises, et à les faire parvenir clandestinement à leur destination : c’est sans contredit mettre le marchand dans la nécessité de faire la contrebande car la disposition adoptée est telle, qu’un habitant du rayon, qui achète dans une boutique trois aunes de drap, ne peut le porter chez son tailleur sans s’exposer à les voit saisir, s’il a le malheur d’être aperçu par un douanier. Si je suis bien informé, des saisies de ce genre ont été faites.
Vous voyez donc, messieurs, qu’il est temps de faire cesser cet état de choses. Vous êtes tous d’accord que la loi sur les douanes est arbitraire, et on voudrait la rendre encore plus arbitraire par une fausse application, et par des mesures qui ne subsistent que pour quelques localités.
L’allocation que propose M. le ministre augmentera le personnel de 350 employés ; ce nombre suffira selon lui pour lutter avec encore plus de succès contre la fraude. En outre le gouvernement a en son pouvoir une foule de dispositions que la loi générale sur les douanes consacre pour empêcher la fraude : qu’il en fasse observer toutes les formalités qui sont déjà une grande charge ; mais, du reste, qu’on n’empêche pas les citoyens demeurant dans le rayon de se livrer à leurs affaires pour pourvoir à leur subsistance : ils sont Belges comme les autres.
Je prie M. le ministre de prendre note de mes observations ; la droiture qui le caractérise m’est un sûr garant qu’il fera cesser au plus tôt les abus dont je me plains.
(Moniteur belge n°60, du 1er mars 1835) M. de Roo. - Je ne m’oppose pas à la somme demandée ; mais avant de l’employer, notamment l’augmentation de l’article 3 de ce chapitre, je désirerais connaître si M. le ministre n’a point en vue une réorganisation du service de douanes, qui pourrait se faire sur un pied beaucoup plus économique, et même de séparer cette administration d’avec les autres administrations fiscales, telles que accises, etc., amalgame tout à fait contraire aux intérêts matériels du pays. L’administration des douanes seule mérite une distinction spéciale, elle est assez importante pour cela.
Je désirerais aussi que M. le ministre satisfasse aux promesses tant de fois données par son prédécesseur, qu’il soumettrait sous peu une nouvelle loi en discussion ; cette promesse ne s’est jamais réalisée, et cette loi détestable, décriée, par tout la monde, est néanmoins toujours restée sur pied. Le même ministre reconnut ensuite que notre tarif était en tout point pour l’Etat hollandais, et nécessitait de grands changements. C’est là un aveu formel, que l’organisation et les lois actuelles sont vicieuses. Je lui conseillerai, en tout cas, de vouloir modifier le projet de réorganisation des douanes, fait par un ancien employé supérieur, dans cette partie, et qui contient un plan et des vues très sages et économiques, qui mérite toute l’attention de M. le ministre.
Il est temps, messieurs, que l’on en vienne à un système belgique plus conforme aux besoins publics, et de ne plus rester dans cette ornière hollandaise tout à fait contraire à nos intérêts.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Depuis longtemps le besoin de renforcer le service de la douane se faisait sentir chaque année ; des plaintes dans cette enceinte sur sa fraude qui se commettait à défaut d’une surveillance efficace sur nos frontières. C’est donc pour satisfaire au voeu exprimé dans cette assemblée et protéger autant qu’il est au pouvoir du gouvernement le commerce et l’industrie, que nous devons vous demander une somme de 350,000 fr. destinée à renforcer la douane. Dès que cette somme sera mise à la disposition du gouvernement, la réorganisation de ce service aura lieu.
J’espère qu’elle aura pour effet de réprimer considérablement la fraude. Je ne dis pas pour l’empêcher entièrement ; car vous sentez qu’elle ne peut être complètement extirpée. L’on ne peut que circonscrire de plus en plus son action.
Dans le nouveau projet, il y aura une création de fonctionnaires qui n’existent pas aujourd’hui. On rétablira les inspecteurs de la ligne que l’on a supprimés à tort, et l’on formera plusieurs brigades à cheval. Ces brigades seront très utiles dans certaines provinces où la fraude se fait à cheval ou bien par bandes de 50 à 60 contrebandiers.
L’on conçoit qu’il faut des moyens de répression extraordinaires contre des tentatives qui se font de ces deux manières. Il ne faut pas s’attendre toutefois, ainsi que je l’ai déjà dit, à ce que la contrebande soit entièrement réprimée par la réorganisation que l’on se propose de faire. L’on a cité des articles que l’on passait en fraude au moyen d’une assurance de 6 p. c., des soieries par exemple. Quel que soit le système de douane, que l’on emploiera, tant qu’il existera des droits exorbitants sur des objets de grande valeur relativement à leur poids, et qui se transportent très aisément, la fraude continuera à s’exercer. (Adhésion.)
L’on a dit que les douanes coûtaient excessivement en Belgique. L’on a évalué leur dépense jusqu’à 53 p. c. de leurs produits. Cela est vrai.
Il faut attribuer l’énormité de cette dépense à ce que les frontières de la Belgique sont par leur nature fort difficiles à garder. Cependant il est à remarquer que les calculs que l’on a établis pour prouver que les douanes coûtent jusqu’à 53 p. c. ne sont pas admissibles tels qu’ils ont été présentés. L’on a calculé la dépense résultant de l’augmentation du personnel, et l’on n’a pas tenu compte de celle qu’apporterait dans les recettes une surveillance plus active dans l’exécution plus certaine des lois de douanes, lorsque la ligne sera renforcée.
Un honorable préopinant a appelé l’attention du gouvernement sur le rétablissement de deux ligne de douanes. Je dirai que l’on n’est pas d’accord sur la question de savoir si une ligne forte et compacte n’est pas préférable à deux lignes, qui sont nécessairement affaiblies par l’effet de leur division.
Il y a divergence d’opinions à cet égard. Beaucoup d’anciens chefs dans l’administration des douanes sont portés à croire qu’une seule ligne vaut mieux.
D’ailleurs il est à remarquer qu’en établissant une seconde ligne on placerait une grande partie du territoire dans une espèce de position exceptionnelle, en la soumettant au régime un peu rigoureux que la douane est obligée d’établir dans le rayon réservé ; et dans le doute je crois qu’il vaut mieux se prononcer pour le système qui est le moins gênant et qui se fait sentir moins péniblement aux habitants. (Approbation.)
Un honorable préopinant m’a signalé plusieurs abus commis par des employés subalternes de la douane ; ces faits, s’ils sont vrais (et je ne les révoque pas en doute, car je n’ai pas de motif pour suspecter la véracité de l’honorable orateur), sont de véritables tracasseries, des vexations qui ne doivent pas être tolérées. Je prendrai des renseignements à cet égard. Mais il ne faut pas se dissimuler que les parties intéressées traitent souvent de vexations les précautions sévères, mais indispensables, que l’administration des douanes est souvent obligée de prendre dans l’intérêt du service pour obvier à la fraude.
Si l’on n’apporte pas une certaine rigueur dans sa répression, on introduira les objets fraudés par petites portions au lieu de les introduire par portions plus considérables ; et en effet, si l’on fermait les yeux sur l’entrée de marchandises soumises au tarif circulant par petites parties, les contrebandiers arriveraient par des voyages successifs à faire en plusieurs fois ce qu’ils n’auraient pas osé entreprendre en une seule.
Un autre préopinant a appelé mon attention sur un projet de réorganisation du service de la douane. J’ai compris de quoi il s’agissait. Il faisait allusion à un projet dont le plan m’a été envoyé par son auteur. Ce projet consiste à faire de la douane une administration distincte. Vous comprenez dès lors que l’état-major de la douane (je puis m’exprimer ainsi parce que l’organisation serait presque militaire) absorberait une grande partie de la dépense.
C’est précisément dans cette partie du service que je voudrais au contraire introduire des économies pour augmenter le personnel des employés inférieurs qui concourent le plus activement à la répression de la fraude. Cependant je me hâte de dire que je ne pousse pas le système à l’extrême, puisque j’ai déjà manifesté l’intention de rétablir les inspecteurs des lignes pour surveiller les employés subalternes. Je désire seulement ne pas augmenter inutilement le nombre des employés supérieurs.
L’auteur du projet en question propose, il est vrai, un plus grand nombre de préposés, mais ils seraient si mal rétribués que l’on ne pourrait compter sur eux que jusqu’à un certain point. Lorsque l’homme est placé entre la faim et le devoir, il choisit quelquefois le parti que repousse l’honneur.
A l’appui de ce que j’ai dit, je ferai connaître à la chambre que l’auteur du projet voudrait que l’on donnât des traitements de 360 fr., 480 et 600 fr. par an. Ces traitements sont trop faibles, car les employés de quatrième classe reçoivent actuellement 300 florins, et l’on n’a jamais prétendu que de pareils appointements fussent trop élevés. Le projet en question n’atteindrait donc pas le but qu’on se propose quant aux employés inférieurs, et le traitement des employés supérieurs absorberait une forte partie de la dépense.
Pour appliquer le système dont il s’agit, il faudrait que l’on fît table rase de ce qui existe, or c’est ce que l’on ne pourrait admettre facilement parce que cela apporterait une grande perturbation dans des existences, dans des droits acquis que l’on ne saurait méconnaître sans injustice ; et comment, par exemple, réduire le traitement actuel du plus grand nombre des fonctionnaires subalternes !
L’on a parlé de la révision du tarif des douanes. Je ne prétends pas que ce tarif doive être maintenu.
Le gouvernement fait de cette révision l’objet de son attention. Mais elle est subordonnée aux modifications qui seront apportées dans nos relations commerciales avec nos voisins. Avant de changer notre tarif, il faut connaître le résultat des négociations existantes.
M. de Roo. - M. le ministre des finances a dit que dans le projet de douanes auquel on a fait allusion, les traitements des employés supérieurs absorberaient presque tout le crédit. Il est dans l’erreur. Ces employés supérieurs n’en auront qu’une part bien minime.
M. le ministre vous dit que, d’après ce projet les employés seront plus mal payés qu’ils ne le sont actuellement. Moi, je pense au contraire qu’ils le seront davantage, car ils auront une part plus grande dans le produit des prises. Les employés trouveront dans ce système un encouragement en ce qu’ils seront intéressés dans les prises. Je ne veux pas imposer ce projet à M. le ministre des finances ; j’ai voulu seulement en faire l’objet de ses méditations. Il mérite de fixer son attention. Il renferme des vues très sages et il est l’ouvrage d’un homme qui a occupé longtemps un emploi supérieur en France, dans cette administration.
D’après ce projet le personnel des douanes serait augmenté de 2,000 hommes et le nombre des employés sur chaque frontière pourrait être augmenté de 150 à 170 hommes, tandis que, d’après le projet du ministère, l’augmentation ne serait que de 17 à 20 hommes.
(Moniteur belge n°59, du 28 février 1835) M. A. Rodenbach. - Le ministre vous a dit qu’il pensait qu’il valait mieux avoir une seule ligne de douane forte et compacte que deux lignes, que c’était l’opinion de beaucoup d’anciens employés qu’il avait consultés. Messieurs, moi aussi j’ai consulté des employés : je n’ai pas consulté des employés supérieurs, mais des contrôleurs, et des lieutenants principaux qui, étant constamment en contact avec les fraudeurs, sont mieux à même de juger ce qu’il convient de faire pour les arrêter.
Ces employés m’ont dit qu’il était plus avantageux d’avoir deux rayons qu’un seul. Puisque l’administration est maîtresse de placer ses employés où elle veut, elle n’est pas obligée de les placer à la brigade du second rayon. Maintenant il y a liberté entière ; on peut faire deux opérations de fraude dans une nuit, tandis qu’autrefois on n’en faisait qu’une.
C’est un fait certain que notre commerce et notre industrie ne sont pas protégés. Vingt-quatre membres ont proposé une loi sur les cotons. Cette loi tend à les imposer à raison de 8 à 9 fr., et comme je l’ai déjà dit, dans ce moment, ils arrivent francs de port à Bruxelles, moyennant 1 fr. 75 c. Si la douane est impuissante pour empêcher la fraude, il faut la renvoyer. Elle coûte 4 millions, et je suis convaincu qu’elle est plus nuisible qu’utile à l’industrie. Quant à son rapport, il n’est que de huit millions. J’espère que le nouveau système qu’on nous promet sera meilleur que le système actuel qui est la continuation du système hollandais, et on sait que le système hollandais reposait sur le principe de liberté illimitée du commerce.
On aurait lieu de croire que c’est toujours pour favoriser ce principe de liberté illimitée qu’on a si mal organisé notre système de douane. J’espère, je le répète, que le projet qui nous est promis, au moyen des amendements que nous pourrons y introduire, assurera une protection efficace à notre industrie. (Aux voix ! aux voix ! la clôture !)
M. Dumortier. - Il s’agit ici de tout un système de douane, d’une des questions les plus graves que puisse soulever le budget des finances ; on ne peut pas voter sans examen. Je prie messieurs les clôturistes d’y regarder à deux fois.
Dans l’opinion que je professe, il vaut mieux avoir deux lignes de douane qu’une seule ; le ministre, qui a pris l’avis de plusieurs employés, est d’une opinion contraire, je crois devoir motiver la mienne.
La raison pour laquelle je pense qu’il vaut mieux avoir deux lignes qu’une seule, est qu’il y a plus de profondeur, et que si le fraudeur échappe à la première ligne, il n’échappe pas à la seconde. Les personnes qui habitent la frontière savent comment la fraude se fait. Quand il n’y a qu’une seule ligne, il est facile de connaître où sont postés les douaniers et de passer, tandis qu’on ne peut pas se sauver quand on a passé la première ligne où seront postés les douaniers deux lieues plus loin.
Aussi est-ce presque toujours à la ligne intérieure que les saisies sont opérées, parce que c’est là que sont les dépôts ; on ne les établit jamais à l’extrême frontière. Je pense donc qu’il serait bon de revenir au système qui existait précédemment. J’approuve l’augmentation de personnel que se propose le ministre, et je l’engage à rétablir la ligne de douane en deux rayons. J’approuve aussi son projet d’établir des brigades à cheval ; ce sera, je pense, un moyen de répression très efficace.
L’an dernier, on est venu demander une augmentation de droit sur les toiles étrangères. Cette loi devait accorder au commerce des toiles une protection efficace ; ce commerce devait devenir florissant, pas un fil de toile ne devait entrer sans payer le droit. Mon honorable ami M. Dubus combattit les fauteurs de la proposition. Cependant la loi fut votée. Qu’est-il arrivé ? C’est qu’aujourd’hui, sur la place de Liége, plusieurs membres l’ont vu, les toiles de Saxe se vendent franches de droit, moyennant 6 p. c. de commission.
Puisqu’on a parlé du système de douane et de ses rapports avec l’industrie du pays, je dirai aussi quelques mots sur ce sujet.
Je pense comme M. le ministre des finances que, quoi qu’on fasse, la fraude sera toujours facile en Belgique, parce que nous n’avons pas de frontières naturelles : si nous avions pour frontières le Rhin, le Moerdyck, la Roer, nous pourrions espérer de devenir maîtres de la fraude ; mais notre pays est ouvert partout du côté de la Prusse comme du côté de la France, nous ne pouvons songer à réprimer efficacement la fraude, elle trouve des issues trop faciles. Que résulte-t-il de cette impossibilité d’empêcher la fraude ? Qu’il ne faut pas frapper de droits exorbitants les produits étrangers comme on veut le faire. Voilà la vérité qui découle de ces observations.
Cela prouve qu’on est entré dans un faux système, qu’on a eu tort d’adopter une loi qui ne reçoit pas son exécution, et qu’on a provoqué à la fraude en établissant des droits trop élevés.
Maintenant que cette leçon nous serve. Nous allons dans quelques jours examiner un projet qui concerne une autre industrie. Ne perdons pas de vue les effets de la loi sur les toiles, et tout en accordant une plus grande protection à l’industrie cotonnière, si tant est qu’elle en ait besoin, songeons qu’en admettant des droits trop élevés, nous arriverions à ce résultat qu’on introduirait à raison de 6 p. c. les marchandises qu’on voudrait prohiber à l’entrée. Ceci est d’autant plus important que j’ai vu une lettre adressée à un négociant de Bruxelles, par laquelle on lui offre, dans le cas où la proposition des députés des Flandres serait admise, de lui procurer des marchandises de coton étrangères à raison de 6 p. c. rendues à Bruxelles. Voilà un fait dont j’ai la preuve entre les mains.
Je demande si, en présence de ces faits, il n’importe pas de prendre des précautions quand nous réviserons la législation en ce qui concerne l’industrie cotonnière. Je le répète avec M. le ministre des finances, quoi que nous fassions, on fraudera parce que nous manquons de frontières naturelles. Prémunissons-nous alors contre tout esprit d’exagération, n’offrons pas par des droits exagérés un appât à la fraude, et soyons bien convaincus qu’une loi basée sur ce système aucun résultat.
Avant de finir, je dirai quelques mots sur une industrie qu’on ne protège pas assez, l’industrie du commerce interlope. Les mesures prises ont eu, dit-on, pour objet d’empêcher la fraude ; je suis persuadé qu’il suffira d’avoir appelé sur cet objet l’attention du ministre des finances ; je connais la droiture de ses intentions, pour être persuadé qu’il avisera au moyen de concilier les précautions à prendre contre la fraude avec la protection qu’on doit à cette industrie. Cette industrie est très favorisée par les nations étrangères, nous ne devons pas la favoriser moins en Belgique. Je pense que ce qu’a dit notre honorable collègue M. Vuylsteke est très fondé, que le commerce interlope est entouré de trop d’entraves. Il ne faut pas, sous le prétexte de réprimer la fraude, rendre ce commerce impossible chez nous.
M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Un projet général sur les douanes est préparé, ce projet a même déjà été communiqué aux différentes autorités dans les provinces ; il a soulevé quelques observations qui doivent être méditées et qui donneront lieu à quelques modifications. Dès que cette révision aura été faite, et il est possible de l’obtenir très prochainement, si la chambre croyait pouvoir s’occuper dans un bref délai de cette loi importante et même urgente, je la lui soumettrai. Ceci répondra aux observations des préopinants. On pourra alors examiner s’il convient d’avoir une ou deux lignes de douane.
La question se présentera là nécessairement, et ce sera le moment de la résoudre. Je dois dire, à l’appui de l’opinion que j’ai émise pour une seule ligne de douane, qu’en France on a remarqué que les saisies se faisaient toujours sur la première ligne ou par des brigades ambulantes ; j’ajouterai que le nombre de brigades ambulantes doit être majoré en Belgique d’après le projet de réorganisation dont j’ai parlé tantôt.
M. de Longrée. - On vous a dit que les plus fréquentes saisies se faisaient par les employés à cheval ; moi, je soutiens le contraire ; en France cela se peut, parce que le rayon est plus étendu, tandis que chez nous il est très restreint.
Les hommes qui font la fraude à cheval sont généralement bien montés, tandis que les employés le sont mal. Les employés à pied, au contraire, au moyen des embuscades, sont plus sûrs de leurs coups.
- Plusieurs voix. - A demain à demain !
- La séance est levée à 5 heures moins un quart.