(Moniteur belge n°51, du 20 février 1835)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à une heure.
M. de Renesse lit le procès-verbal de la dernière séance. Il est adopté.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je suis prêt à déposer sur le bureau le rapport relatif au sieur de Judicibus. Cependant, j’en donnerai lecture si la chambre le désire.
- La chambre ordonne l’impression du rapport.
(Remarque du webmaster : ces explications ont été insérées dans le Moniteur, à la suite du compte-rendu de la séance du jour, dans les termes suivants :)
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, les rapports officiels qui me sont parvenus sur le compte du sieur Dejudicibus et sur l’objet de sa pétition contiennent les détails suivants :
François Dejudicibus, chanoine espagnol, né à Magnano, en Italie , et se disant domicilié à Barcelone, porteur d’un passeport délivré à Barcelone le 5 juillet dernier, a été inscrit au bureau de la police de Bruxelles, le 15 décembre dernier, et le même jour un visa y a été apposé sur son passeport pour se rendre à Ostende, dans les cinq jours.
M. l’échevin chargé de la police de la ville de Gand, informé qu’il se trouvait dans un estaminet nommé la Cour d’Angleterre, un individu qui était depuis plus de 15 jours en ville sans avoir été annoncé à la police, et qui excitait des défiances, chargea un commissaire de police de faire présenter son passeport et, s’il ne se trouvait pas en règle, d’en donner immédiatement connaissance au procureur du roi qui était prévenu. C’était le sieur Dejudicibus.
Le commissaire de police remarqua que le signalement de cet individu différait de celui inséré dans son passeport, notamment en ce que ses yeux étaient d’un noir très prononcé tandis que, d’après le signalement, ils devaient être bleus. Ce signalement était écrit en français.
Dejudicibus, interpellé de justifier de ses moyens en Belgique, exhiba deux pièces de dix florins, une pièce de 5 francs et quelque petite monnaie qu’il avoua provenir d’un secours qu’il avait obtenu de S. M. la Reine.
Le commissaire de police remarqua sur la table plusieurs lettres écrites en mauvais latin par Dejudicibus par lesquelles il sollicitait des secours, et qui étaient encore dépourvues d’adresse.
Pendant que le commissaire de police était là, on rapporta une semblable lettre à Dejudicibus, adressée au supérieur des jésuites à Gand et qui avait été refusée. Il est revenu à la police de Gand, que dans la maison d’un particulier de cette ville, Dejudicibus a prétexté, pour se procurer de l’argent, qu’il était chargé de faire une quête pour un établissement religieux.
On trouva en la possession de cet individu, quelques rabas et autres effets à l’usage des ecclésiastiques, des insignes maçonniques , un dessin à la plume très obscène, dont il se déclara l’auteur, une parodie du miserere, et des couplets à la vierge, toutes pièces de sa façon, contenant des preuves évidentes de son immoralité.
Interrogé sur les motifs de sa présence en Belgique, cet étranger répondit qu’il y voyageait pour voir le pays et qu’il se proposait de se rendre en Angleterre.
D’après les renseignements recueillis par la police municipale de Gand, Dejudicibus a demandé des secours dans beaucoup de maisons et en avait obtenu de plusieurs personnes. Il invoquait chez les uns sa qualité de prêtre et portait alors une perruque avec une tonsure ; ailleurs il invoquait sa qualité de franc-maçon.
M. le procureur du Roi avait appris qu’avant le vol considérable commis chez le sieur Decock de Gand, pendant la nuit du 23 au 24 janvier, un prétendu prêtre s’était présenté chez ce négociant, pour mendier, il présuma que ce pouvait être le sieur Dejudicibus et pensa qu’il pouvait y avoir quelque rapport entre cette visite et le vol dont il vient d’être fait mention. C’est à cette fin qu’il se transporta avec M. le juge d’instruction chez cet étranger pendant que le commissaire de police s’y trouvait ; il prit connaissance des papiers de Dejudicibus, lui adressa quelques interpellations, mais il est faux que M. le procureur du Roi lui ait adressé aucune parole injurieuse ni brutale.
Il est à observer, pour la moralité de cette affaire, que Dejudicibus a déclaré devant M. le juge d’instruction, qu’il avait retardé son voyage pour Londres, par Ostende, parce qu’il attendait des secours qu’il avait sollicités du gouvernement, tandis qu’il est de fait qu’il n’existe aucune demande semblable au ministère de l’intérieur et qu’il avait touché, avant de partir de Bruxelles, le secours de 100 fr. que S. M. la Reine lui avait accordé pour les frais de son voyage.
L’arrêté du 6 octobre 1830 porte, dans son article 3, que les étrangers non munis d’autorisation du gouvernement, qui entrent en Belgique, doivent justifier de leurs ressources, à peine d’être renvoyés chez eux. Dejudicibus était dans le cas de l’application de cette disposition et il n’avait pas obtempéré à l’injonction lui faite par la police de Bruxelles, qui dans le visa du 15 décembre bornait à cinq jours le terme dans lequel il devait être rendu à la frontière. D’un autre côté, conformément aux dispositions en vigueur, tout étranger est tenu, en arrivant à la ville la plus rapprochée de la frontière par laquelle il entre en Belgique, de déposer entre les mains du bourgmestre son passeport étranger en échange duquel il reçoit un passeport belge pour voyager à l’intérieur. Dejudicibus ne s’était nullement conformé à cette disposition. De là, c’est-à-dire, en conformité des dispositions de l’arrête du 6 octobre 1830 et de la loi précitée, le visa limité qui avait été apposé à Bruxelles sur le passeport de cet étranger.
Le juge d’instruction n’ayant rien découvert qui pût fortifier le soupçon résultant de la visite d’un ecclésiastique que l’on présumait être Dejudicibus chez les frères Decoek, peu avant le vol qui y fut commis, le procureur du Roi se borna à ordonner qu’il fût conduit à Ostende, direction qu’il avait lui-même indiquée. On a considéré cet individu comme se trouvant en contradiction aux dispositions que je viens de citer, comme n’ayant pas satisfait au visa apposé sur son passeport.
Ainsi, il résulte des faits ci-dessus signalés que les plaintes du sieur Dejudicibus, sur les procédés de l’autorité publique à son égard, sont dénuées de fondement ; mais pour faire mieux apprécier encore le pétitionnaire, je crois devoir joindre à ce rapport, pour être déposée sur le bureau à l’inspection de MM. les représentants, une lettre écrite d’Ostende par ledit Dejudicibus, au procureur du Roi à Gand ; cette lettre est timbrée à la poste sous la date du 15 de ce mois, son style ne permet pas d’en donner lecture à la chambre.
Je terminerai en faisant remarquer à la chambre que les faits étant étrangers à l’administration générale de la police, il a fallu recueillir les renseignements auprès des diverses autorités qui pouvaient en avoir connaissance ; c’est cette circonstance qui m’a empêché jusqu’ici de lui adresser ce rapport.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le paragraphe 5bis de l’article 87, présenté par la section centrale :
« Des alignements de la grande et petite voirie, conformément aux plans adoptés par l’autorité supérieure, et, sauf recours à cette autorité par les personnes qui se croiraient lésées par les décisions de l’autorité communale. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je me rallie à la proposition de la section centrale à l’exception que j’y proposerai un sous-amendement relatif aux alignements de la grande voirie. Si le collège des bourgmestre et échevins est chargé par la loi de donner les alignements de la grande voirie, il faut bien qu’ils soient soumis à l’approbation de la députation provinciale ; sans cette précaution il pourrait arriver que le collège communal consentît à des empiètements sur la voie publique. Il n’y aurait pas même de sécurité pour les propriétaires, si les alignements n’étaient pas soumis à l’approbation de la députation provinciale.
J’ai l’honneur de proposer d’ajouter au paragraphe 5bis le sous-amendement suivant :
« Néanmoins en ce qui concerne la grande voirie, les alignements donnés par le collège sont soumis à l’approbation de la députation provinciale. »
M. Fallon. - Je ne vois aucun inconvénient à admettre l’amendement de M. le ministre. Cependant, il me semble qu’il vaudrait mieux le reporter à l’article 75, et en faire l’objet d’une disposition supplémentaire à cet article. Ce serait plus régulier dans l’ordre de la loi.
M. Dumortier, rapporteur. - Peut-être sera-ce vainement que je demanderai la parole. Mais je voudrais bien que l’on justifiât cette nouvelle proposition.
Hier, il a été décidé que les plans généraux d’alignement doivent être soumis à l’approbation royale. Quelle utilité y a-t-il à soumettre l’alignement même, qui n’est que l’exécution du plan, à l’approbation de l’autorité provinciale ? Je déclare que je ne comprends pas le but de cette proposition. Il y a encore là-dessous un désir de centralisation.
M. Fallon. - Je persiste à croire qu’il n’y a aucune espèce d’inconstitutionnalité dans le paragraphe de la section centrale. Si par cette disposition l’on excluait tout recours par-devant les tribunaux, il y aurait certainement inconstitutionnalité. Mais, de ce que les particuliers ont la faculté de s’adresser à l’autorité supérieure, je ne trouve pas que l’on exclue l’action du pouvoir judiciaire.
Je voterai donc en faveur de cette proposition.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je regrette que l’honorable rapporteur qui vient d’entrer dans la salle n’ait pas entendu les développements que j’ai donnés à ma proposition, il en aurait compris le but. Autrefois c’était la députation qui donnait l’alignement de la grande voirie. Maintenant ce droit on propose de le conférer à l’administration communale. Je ne m’oppose pas à cette modification. Cependant je désire que l’alignement donné par le collège soit soumis à l’approbation de la députation provinciale.
Il faut une garantie pour prévenir les empiètements sur la grande voirie. Cette garantie, le gouvernement la trouve dans la députation provinciale.
D’autre part, il pourrait arriver que le collège des bourgmestre et échevins eût donné mal à propos une autorisation. Les propriétaires se trouveraient sans garantie suffisante. Il n’y a donc rien que de rationnel dans le sous-amendement que j’ai proposé.
M. Dumortier, rapporteur. - Je ne vois pas la nécessité d’adopter cette centralisation que l’on vous propose. Vous avez admis que les plans généraux de la grande voirie seront soumis à l’approbation royale. Quel besoin avez-vous de soumettre le tracé de l’alignement à l’approbation de la députation provinciale. L’assemblée fera ce qu’elle voudra. Quant à moi, je ne vois aucune espèce d’utilité dans la proposition de M. le ministre.
Si vous n’aviez pas soumis à l’approbation royale les alignements généraux de la grande voirie, je concevrais la nécessité de l’amendement de M. le ministre. Mais je ne comprends pas ce que la députation aura à faire ailleurs que dans le chef-lieu. Comment pourra-t-elle s’assurer que le tracé de l’alignement donné par le collège n’est pas conforme au plan général ? Elle n’ira pas se transporter sur le terrain pour en faire la vérification. Au reste, je ferai remarquer, comme on a déjà fait l’observation dans la séance précédente, qu’il est à regretter que M. le ministre de l’intérieur vienne à chaque séance nous présenter des amendements qui n’ont pas été imprimés. On se plaint de ce que la loi communale n’avance pas, c’est à M. le ministre qu’il faut s’en prendre. Je suis peiné de le voir montrer une défiance inutile, injuste envers les autorités communales, et les représenter comme n’étant susceptibles que de faire des abus.
M. Gendebien. - Ce n’est pas sur l’amendement de M. le ministre de l’intérieur que je prendrai la parole, mais sur le numéro 5bis présenté par la section centrale. Si je le comprends bien, il me semble qu’il y a une violation à la constitution dans ces mots : « Sauf recours à cette autorité (supérieure) par les personnes qui se croiraient lésées par les décisions de l’autorité communale. »
Je ne sais pas si nous pouvons saisir une autorité administrative d’une décision qui porte atteinte au droit de propriété. Je ne puis admettre cet article, car il constitue une violation à la constitution en ce qu’il saisit l’administration de ce qui est de la compétence seule des cours et tribunaux.
M. Fallon. - J’ai appuyé la proposition de M. le ministre, parce qu’elle me semble rationnelle.
Il existe de plans généraux d’alignement pour la grande voirie dans différentes communes. A Namur, lorsqu’il s’agit de bâtir sur les traverses de la ville, les particuliers, avant de commencer leur construction, demandent l’alignement. Jusqu’à présent cet alignement a été donné aux particuliers par les agents de l’autorité provinciale ou des ponts et chaussées. Aujourd’hui, il serait donné par l’architecte de la ville. Mais un architecte communal peut commettre une erreur dans l’application du plan général d’alignement. Je crois que l’approbation de l’administration communale doit être soumise au contrôle d’une autorité supérieure. Je ne crois pas l’observation de l’honorable M. Gendebien fondée. Il ne s’agit que de l’application du plan général d’alignement. Quand les particuliers réclameront, il faudra bien qu’ils en appellent à une autorité supérieure.
M. Dumortier, rapporteur. - Je répondrai en quelques mots à l’honorable préopinant.
Je désire que la députation provinciale, apprécie l’alignement donné par le collège à cause des erreurs que pourrait commettre l’architecte. Mais si l’architecte commet une erreur, le conseil communal pourra être saisi de la réclamation. Il ne s’agit ici que de l’exécution d’un plan déjà approuvé par une autorité supérieure. Pourquoi faire intervenir ici la députation provinciale ?
L’on a réclamé depuis longtemps contre l’abus auquel la nécessité d’obtenir un alignement de la province donne lieu. Souvent des citoyens dont les maisons étaient démolies ont dû attendre pendant des semaines, des mois, l’alignement sans lequel ils ne pouvaient rebâtir. Je ne comprends pas que l’on puisse appeler le renouvellement d’un pareil abus.
Je ferai remarquer à l’honorable M. Gendebien que dans le système de la section centrale la fin du paragraphe 5bis était nécessaire telle qu’elle est rédigée. Nous avions proposé au n°5 que les plans généraux d’alignement pour la grande voirie fussent soumis à la députation provinciale sans dérogation aux lois existantes en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique. Quand il y aurait eu lieu à expropriation, il aurait donc fallu avoir recours à l’autorité supérieure. Dans notre système il était nécessaire d’accorder ce recours aux propriétaires qui se seraient crus lésés.
Mais maintenant que l’on a morcelé le travail de la section centrale, la phrase qu’a relevée l’honorable M. Gendebien ne semble plus avoir aucun sens. Je laisse à la chambre le soin de juger ce qu’elle doit faire. Je serai pour ma part très disposé à la rejeter. Mais j’avoue que je ne sais plus trop maintenant comment voter. Quand un système est anéanti, scindé comme le nôtre l’a été, il est fort difficile d’en recoudre les pièces et les morceaux.
M. Verdussen. - Je ferai observer à l’honorable M. Fallon qui désire reporter à l’article 75 le sous-amendement de M. le ministre, que l’objet dont il s’agit dans cette proposition est purement administratif, et que l’on attribuerait par ce transfert au conseil communal une disposition qui ne concerne que le collège des bourgmestre et échevins.
M. Fallon. - L’observation de l’honorable M. Verdussen est très juste. Je renonce à ma proposition de transfert.
M. Gendebien. - On paraît vouloir passer sous silence l’observation que j’ai faite. La seule réponse que j’aie entendu faire, c’est qu’il ne s’agit ici que de l’exécution d’un plan, que par conséquent les citoyens ne doivent pas être envoyés par-devant les tribunaux parce que c’est l’autorité administrative qui décidera. C’est précisément parce qu’il s’agit de l’exécution d’un plan général que l’autorité administrative a épuisé la juridiction, et que celle de l’autorité judiciaire commence.
Le conseil communal, la députation, le gouvernement peuvent régler comme ils l’entendent les plans d’alignement. Mais c’est quand tout est réglé que l’intérêt des particuliers commence à naître. S’ils ont à adresser une réclamation contre l’alignement, l’on veut qu’une autorité supérieure, c’est-à-dire administrative en soit saisie.
Mais il s’agit ici de droits de propriété lésés, de droits civils, comme la constitution les a appelés ; consultez-la, elle vous indiquera la seule marche qu’il y ait à suivre. L’article 92 dit : « Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. » On fait reculer ou avancer une maison par un alignement donné par le collège. C’est là un changement au droit de propriété. Il s’agit donc d’un droit civil. La constitution a si bien interdit toute exception, qu’elle dit à l’article 93 : « Les contestations qui ont pour objet les droits politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi. »
Ainsi on a reconnu que pour les contestations relatives aux droits politiques, il pouvait y avoir des cas exceptionnels, mais jamais pour les droits civils. Ici cependant vous faites une exception. Quant à moi je persiste à voir une inconstitutionnalité dans le paragraphe, et je proteste contre son adoption.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Si je comprends bien l’intention de la section centrale, la portée du paragraphe qu’elle a présente n’est rien autre que de donner aux propriétaires la faculté de réclamer lorsqu’ils se croiront lésés par l’alignement donné par le collège. Dans ce sens, la disposition n’a rien que de très constitutionnel et que de très favorable aux garanties qu’exigent les droits de la propriété. On donne aux propriétaires le moyen de faire redresser sans frais l’alignement donné par le collège des bourgmestre et échevins.
M. Jullien. - La question des chemins vicinaux et de tous les objets relatifs à la grande et à la petite voirie a perdu de son importance depuis que l’on a déclaré comme principe dans la constitution que tout ce qui concernait les droits civils était de la compétence des tribunaux. Quand on ouvre un chemin vicinal, maintenant que l’administration ne peut plus être juge et partie en décidant des contestations qui peuvent s’élever entre elles et les citoyens au sujet de l’alignement, depuis que toutes les contestations sont réservées aux cours et tribunaux, vous sentez que toutes les difficultés que suscite l’exécution des plans d’alignement n’ont plus le même degré d’importance.
Mais l’observation de l’honorable M. Gendebien mérite toute l’attention de la chambre, parce que l’on pourrait inférer de la manière dont le paragraphe est rédigé qu’à l’administration seule appartient le droit de décider dans les contestations que pourra susciter l’alignement donné par le collège de régence.
Dire que le recours se fera à l’autorité supérieure, dans le cas où les intéressés se croiraient lésés, c’est donner, ce me semble, exclusivement à la députation provinciale le droit de réformer la décision du collège de régence. L’on pourra en conclure que la loi, en consacrant une exception, a voulu qu’en semblable matière l’autorité administrative fût appelée seule à prononcer. Vous avez saisi l’autorité administrative du recours ; le propriétaire pourra-t-il s’adresser à l’autorité judiciaire ? Il me semble qu’il faut faire attention à cette dérogation aux principes constitutionnels. Si vous admettez la rédaction de la section centrale, vous aurez décidé que l’autorité administrative jugera sans le recours. Comment voulez-vous que le propriétaire, en présence d’une telle disposition, puisse ensuite s’en référer aux tribunaux ?
Il y a eu décision ; si vous voulez lui donner effet, il faut bien que vous lui fassiez produire quelque chose ; et il faut éviter de dire dans l’amendement proposé par M. le ministre de l'intérieur que l’on doit déférer à la députation des états la décision de la contestation entre le particulier et la commune.
Comme cet amendement est improvisé, on ne peut faire ici qu’improviser une discussion.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est imprimé depuis huit jours.
M. Jullien. - Fût-il imprimé depuis huit jours, cela ne fait rien à la difficulté qu’il soulève. Je le répète, l’autorité administrative ne peut statuer sur les plans, sur les alignements sans laisser aux citoyens qui se croient lésés le recours aux tribunaux ; il est impossible de saisir définitivement l’autorité administrative supérieure de semblables contestations.
M. Fallon. - Que l’on dise ou que l’on ne dise pas que le particulier pourra exercer un recours devant les tribunaux contre l’autorité administrative qui aura pris une décision sur un plan d’alignement, ce recours est forcé. Vous avez déclaré que les plans d’alignement de la petite et de la grande voirie seraient soumis au Roi, afin de vous mettre en harmonie avec les lois sur les expropriations pour cause d’utilité publique ; or, ces lois vous disent : un décret doit adopter le plan ; si un particulier a des réclamations à faire contre l’exécution du plan, il passe devant une commission ; et la loi de 1810 le renvoie ensuite devant les tribunaux s’il y a contestation, si la commission ne donne pas satisfaction à ce particulier.
M. Gendebien. - Si l’on veut retrancher du 5bis les mots qui le terminent, je n’ai plus rien à dire : si vous les laissez, vous saisissez l’autorité administrative d’une compétence qu’elle ne peut avoir, vous la rendez juge d’une question de propriété, de droits civils.
Le ministre de l’intérieur vous dit : Le particulier qui se croira lésé par l’alignement, se pourvoira devant l’administration supérieure qui réparera les torts ; mais la constitution a voulu que les tribunaux seuls fussent juges de ces contestations.
D’un autre côté M. Fallon vous dit : Vous pouvez supprimer cet alinéa parce qu’il est tout à fait inutile.
Le ministre de l’intérieur considère comme juridiction l’autorité administrative. Supposons qu’un particulier qui se croira lésé par la décision du collège des bourgmestre et échevins, se présente devant l’autorité administrative supérieure pour obtenir redressement, et qu’il soit repoussé par elle ; que fera-t-il ensuite ? Il s’y présentera avec une chose jugée. On lui dira : Vous avez saisi volontairement l’autorité administrative de la question, elle a prononcé. Les magistrats concevront des scrupules ; ils ne voudront pas se mettre en contradiction avec l’administration ; les corps constitués doivent éviter de se mettre en opposition les uns avec les autres. C’est pour ce motif que la compétence est réglée avec tant de soin. Or, faire prononcer l’autorité administrative pour faire prononcer ensuite l’autorité judiciaire, c’est méconnaître les règles de la compétence.
Si ce n’est pas ainsi que vous l’entendez, si vous saisissez l’autorité administrative du jugement en dernier ressort, vous établissez une juridiction en dehors de la loi ; vous violez la constitution. Choisissez.
Quant à la loi de 1810, je ne sais pas si elle reçoit ici son application ; elle est relative aux expropriations. Il peut se présenter des questions qui ne sont pas des questions d’expropriation ; il peut y avoir contestation pour l’empiètement sur le terrain d’un particulier : l’autorité peut trouver utile de faire élargir une rue et empiéter sur la propriété d’un particulier ; dans ce cas la loi de 1810 reçoit son application administrativement et judiciairement ; ou bien le particulier bâtit et peut empiéter sur la voie publique, dans ce cas ce n’est plus la loi de 1810 qui peut servir de règle. Néanmoins tout cela est du ressort de l’ordre judiciaire, en ce qui concerne les droits de propriété et tout ce qui en dérive.
Dites que le recours administratif est facultatif ; et que c’est sans préjudice du recours à judiciaire, conformément à l’article 92 de la constitution que vous l’établissez, et alors je ne fais plus d’objections ; mais il y a nécessité de le dire.
Je déclare néanmoins rejeter l’article ; c’est à ceux qui l’ont présenté à lui donner une forme constitutionnelle.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je demanderai si, en retranchant la dernière partie de la proposition de la section centrale, on entendrait interdire au propriétaire lésé le recours à l’autorité administrative supérieure contre la décision de l’autorité communale : s’il en était ainsi, ce retranchement serait préjudiciable au particulier. De quoi s’agit-il ? D’un recours purement administratif ; ce qui le prouve, c’est que c’est l’autorité administrative qui prononce en première instance. Le recours est contre la décision du collège des bourgmestre et échevins ; le recours est donc administratif ; si on pouvait décliner la compétence de l’autorité administrative supérieure, on pourrait décliner l’autorité du collège des bourgmestre et échevins. Mais toutes les décisions administratives seront sujettes à recours devant les tribunaux.
M. Gendebien. - Vous ne répondez à rien.
M. Lebeau. - Je crois que les honorables membres qui ont signalé l’inconstitutionnalité de la dernière partie de l’amendement devraient, pour être conséquents, demander la radiation de l’article lui-même ; car si l’autorité administrative supérieure ne peut connaître du recours, l’autorité administrative inférieure ne peut connaître de la matière.
Cependant, je n’ai entendu personne contester à l’administration communale le droit de statuer sur l’application des plans d’alignement ; eh bien, il me paraît rationnel d’admettre l’autorité administrative supérieure, agissant en révision des actes de l’autorité administrative inférieure dans les cas où des particuliers se croient lésés.
Si on rayait le recours vers l’autorité supérieure, il arriverait que chaque particulier n’aurait jamais le moyen de faire redresser rapidement, sans frais, le tort qu’on lui a fait ; il aurait toujours à prendre son recours devant les tribunaux, recours onéreux, et plus ou moins lent.
Je dirai encore, en répondant à l’honorable député de Namur, que si on raie le recours administratif, on décide que la décision des bourgmestre et échevins est souveraine, en ce sens qu’elle ne peut plus être attaquée que devant l’autorité judiciaire et seulement quand il s’agit du droit de propriété.
La constitution ne soumet à l’approbation du Roi les actes de l’administration que dans les cas exprimés dans la loi ; il faut donc que le recours vers l’autorité administrative supérieure soit institué par la loi ; d’où je conclus que ce recours doit être formellement énoncé dans la loi. Ce recours ne peut en aucune façon préjudicier au droit des particuliers, quand il s’agit de propriété, d’avoir leur recours devant les tribunaux.
Je le répète, il faut stipuler le recours administratif parce qu’il ne saurait être sous-entendu, d’après toute l’économie de la loi actuelle.
M. Jullien. - M. le ministre de l’intérieur et M. Lebeau viennent de dire que dès l’instant que vous admettez la compétence de l’autorité administrative en première instance, il y a en quelque sorte nécessité de l’admettre en appel. Voilà un principe que je nie formellement, parce que vous avez déclaré dans la constitution que toutes les contestations qui naissaient de droits civils étaient de la compétence des tribunaux. Eh bien, quand une autorité administrative à laquelle vous avez conféré, en première instance, le droit de statuer sur les chemins vicinaux, blesse les intérêts des particuliers, de quel droit voulez-vous les faire aller devant l’autorité administrative supérieure ? Quand il s’agit du tien et du mien, je n’ai pas besoin pour décider la question de parcourir plusieurs degrés de juridiction devant l’administration avant d’aller devant les tribunaux.
Des citoyens qui se trouvaient lésés par les décisions de l’autorité municipale, et croyaient leurs droits parfaitement fondés, ont déféré ces décisions à l’autorité administrative supérieure en faisant voir qu’il y avait usurpation sur leur propriété par de tel ou tel chemin vicinal ; eh bien, qu’est-il arrivé ?
Il est arrivé que l’autorité administrative supérieure approuvait la décision de l’autorité administrative inférieure. Que restait-il à faire ? Il ne restait qu’à recourir aux tribunaux. Mais là on élevait exception sur exception : Vous avez saisi volontairement l’autorité administrative, disait-on, vous ne pouvez plus vous présenter devant l’autorité. J’ai eu des questions semblables à traiter, et j’ai eu beaucoup de peine à faire triompher les vrais principes.
Dans votre article dites, si vous le voulez : on pourra déférer à l’autorité administrative supérieure les décisions de l’autorité inférieure, parce que de cette manière on pourra obtenir réparation du tort assez promptement ; mais dans le cas où on ne l’obtiendrait pas, laissez le recours aux tribunaux ; terminez votre article de cette manière : ... Sauf recours à cette autorité et aux tribunaux s’il y a lieu. De cette manière vous n’excluez pas la faculté de vous présenter devant l’administration supérieure, et vous n’élevez pas des doutes sur la compétence des tribunaux, doutes qui conduisent à des procès ruineux. Si on sous-amende ainsi la proposition de la section centrale ou celle du ministre, j’en voterai l’adoption.
M. Gendebien. - Un des honorables préopinants a trouvé que nous étions inconséquents avec nous-mêmes ; je tiens à prouver que nous sommes très conséquents.
Cet orateur n’a pas compris l’article en discussion. Ceux qui demandent, a-t-il dit, la radiation du dernier paragraphe reconnaissent la compétence de l’autorité communale ; ils doivent à plus forte raison reconnaître la compétence de l’autorité administrative supérieure ; sans cela il en résultera que l’autorité municipale jugera souverainement.
S’il lisait attentivement l’article objet du débat, il verrait que dans le premier paragraphe, il ne s’agit point de juridictions administratives. Voici les prémisses de cet article :
« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé (paragraphe 5) des alignements de la petite et grande voirie conformément aux plans… »
Il est chargé … de juger ? non ; de faire exécuter les plans ; il n’a aucune juridiction par cet article.
Nous voilà justifiés du reproche d’inconséquence.
Le dernier paragraphe que nous discutons est fort inutile ainsi que l’a dit M. Fallon, et je vais ajouter, sur ce point, aux observations présentées par cet honorable membre.
Si vous le supprimez, dit-on, il n’y aura plus de recours à l’autorité supérieure, et les torts seront redressés lentement et d’une manière onéreuse : c’est là une erreur. Que fera un particulier lésé par la décision de la commune ? Il attaquera devant les tribunaux le collège des bourgmestre et échevins et comme la commune ne peut plaider qu’avec l’autorisation du conseil provincial, il en résultera que celui-ci sera saisi de prime abord de la contestation. S’il trouve que le conseil communal a tort, il refusera l’autorisation.
Ainsi, en retranchant le paragraphe, vous retranchez une chose inutile ; vous ne donnez pas à croire que vous soumettez à l’autorité administrative ce qui appartient aux tribunaux ; et cependant vous donnez indirectement le recours administratif.
Je conclus au retranchement du paragraphe, sans néanmoins rejeter l’amendement de M. Fallon.
M. Fallon. - Je persiste à croire qu’il faut retrancher la réserve qui est faite dans l’article. Nous sommes tous d’accord sur les principes ; nous reconnaissons que si, dans l’application du plan, un particulier est lésé, nous ne pouvons pas lui refuser le recours devant les tribunaux. Toute la question qui nous occupe est donc une question de procédure. Je tiens beaucoup à ménager aux particuliers, comme dernier moyen, le recours devant les tribunaux. La procédure à suivre est réglée par la loi de 1810, et je ne vois pas pourquoi vous y dérogeriez : vous trouvez dans cette loi le recours devant l’autorité provinciale avant d’avoir recours aux tribunaux. Si dans l’application du plan il s’élève une difficulté, elle est soumise à une commission provinciale, et c’est quand vous n’obtenez pas droit par cette commission, que vous recourez devant les tribunaux. Ainsi la procédure est toute faite.
Je le répète, je persiste à demander la suppression du paragraphe. L’observation faite par M. Gendebien doit encore vous déterminer à voter cette suppression, puisque l’autorité provinciale sera toujours consultée pour obtenir l’autorisation de paraître devant les tribunaux.
M. Lebeau. - Je suis fâché de prolonger la discussion ; mais je persiste à croire que la dernière partie de l’article en discussion est indispensable.
Messieurs, en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique, il m’a toujours paru que la contestation devant les tribunaux ne portait que sur la valeur du bien exproprié ; que c’était cette question dont on saisissait les tribunaux, qui constituait leur compétence. Lorsque des questions de cette nature ne sont point soulevées, c’est alors à l’autorité administrative à prononcer, en premier ressort par les régences, et en dernier ressort par le gouvernement.
Remarquez, messieurs, qu’il peut se présenter, dans l’application des plans d’alignement, des questions qui sont tout à fait du ressort de l’autorité administrative. Ainsi on peut prétendre, contre l’opinion du collège des bourgmestre et échevins, que le plan d’alignement s’exécuterait mieux en déviant soit à droite, soit à gauche, de manière à ne prendre qu’une plus faible partie de la propriété d’un individu. Car, en ce qui concerne l’exécution du plan, c’est évidemment l’autorité administrative qui est juge. L’autorité judiciaire ne connaît, en général, que des contestations relatives à la valeur de la propriété dont on poursuit l’expropriation.
Je suppose que l’autorité communale se trompe dans l’application d’un plan d’alignement ; pourquoi serait-ce uniquement l’autorité judiciaire qui connaîtrait en appel de cette première décision ? L’autorité judiciaire serait-elle compétente ? Je ne le crois pas. Il vaut mieux que le particulier ait son recours vers l’autorité supérieure pour lui dire : « L’autorité communale s’est trompée dans l’application du plan d’alignement ; si l’on donne à la voie publique la direction qu’elle doit avoir, il en résultera que quelques parcelles de moins de ma propriété devront être expropriées ; peut-être même cela m’empêchera-t-il de démolir une muraille de mon jardin, une partie de ma maison. » Voilà les questions sur lesquelles l’autorité supérieure devra prononcer en appel, à l’avantage même du particulier.
Maintenant que M. Fallon en dernière analyse soutient que ce recours est toujours ouvert et qu’il est par conséquent inutile de le mettre dans la loi, je crois, quant à moi, que si l’on retranche le paragraphe additionnel, il faudra en tirer une conclusion toute contraire : car cette loi est une loi spéciale, une loi d’attributions communales, et ce n’est que dans certains cas qu’elle soumet les actes de l’autorité communale au recours de l’autorité supérieure. Quand ce recours est inscrit, évidemment l’appel est ouvert devant l’autorité supérieure contre les actes de l’autorité inférieure ; mais quand la loi garde à cet égard le silence, ne peut-on pas en induire que l’autorité administrative inferieure décide souverainement, c’est-à-dire souverainement en ce qui concerne la décision administrative ? car s’il y a lieu à se présenter devant les tribunaux pour une question de propriété ou de valeur, ce recours est toujours ouvert, rien ne peut l’enlever aux particuliers.
Voulez-vous placer le particulier dans l’alternative ou de se soumettre à une décision qu’il croit injuste, ou d’attaquer l’administration devant les tribunaux ? Voulez-vous qu’il n’y ait pas lieu au recours à l’autorité supérieure et qu’il y ait nécessairement un procès pour tous les alignements contestés ? Pour moi, je crois mieux servir les intérêts de ces particuliers en demandant que les actes de l’autorité communale soient soumis à un recours autre que celui de l’autorité judiciaire ; je pense qu’il est dans l’intérêt des particuliers que le recours à l’autorité administrative supérieure soit également ouvert, et dans mon opinion ce recours ne sera pas ouvert s’il n’est formellement stipulé dans la loi que nous discutons, loi qui est en quelque sorte la charte des communes.
M. Jullien. - La matière dont nous nous occupons est comme on peut s’en apercevoir, extrêmement délicate.
La loi du 24 août 1790 avait pris à tâche de séparer les attributions de l’autorité administrative et de l’autorité judiciaire. D’après cette loi, sous peine d’usurpation de pouvoir, l’autorité judiciaire ne pouvait connaître les actes de l’autorité administrative et réciproquement l’autorité administrative ne pouvait connaître des actes de l’autorité judiciaire. Lorsqu’on laissa une fois la confusion s’introduire dans cette partie de la législation, ce fut une véritable anarchie dans les pouvoirs.
Ce fut donc un bienfait réel quand la constitution décida d’une manière absolue que toutes les contestations de droit civil seraient exclusivement de la compétence des tribunaux. On évita ainsi ces longues procédures et ces conflits d’attributions que l’on connaissait avant cette législation.
Maintenant l’honorable préopinant vient de dire qu’il était indispensable, toutes les fois que l’autorité communale avait connu d’une affaires en première instance, qu’elle en connût encore en appel. Encore une fois je répondrai au préopinant que je ne vois pas sur quoi se fonde cette indispensabilité.
Il ne faut pas croire qu’il y ait toujours lieu à expropriation pour l’exécution des plans d’alignement. Il arrive fréquemment que l’administration municipale rectifie l’alignement en faisant restituer des terrains en quelque sorte usurpés sur la voie publique.
J’ai vu l’administration municipale, pour rectifier l’alignement, poursuivre la réparation de ces prétendues usurpations sur la voie publique. Que doit faire alors le propriétaire du terrain prétendu usurpé ? Doit-il recourir par voie d’appel à l’autorité supérieure ? il s’agit ici de droits civils ; ainsi l’appel peut être porté devant les tribunaux.
Mais, dit-on, cette voie est plus ruineuse que l’appel près de l’autorité administrative supérieure. Je n’ai pas dit qu’il ne fallait pas recourir à cette autorité ; au contraire je veux que le recours à l’autorité administrative supérieure et le recours à l’autorité judiciaire soient ouverts au particulier, s’il juge l’un ou l’autre convenable à ses intérêts.
Je conviens avec l’honorable préopinant que si le tort fait à un particulier est évident, il doit espérer que l’administration supérieure le réparera. Je conviens que cette voie est bien moins frayeuse que la voie des tribunaux ; en effet quand la commune est entrée dans cette voie, elle qui paie ses frais de procès avec les deniers de la communauté, elle s’entête d’ordinaire, et le malheureux qui plaide contre elle est obligé de la suivre dans tous les degrés de juridiction.
Je voudrais donc laisser ouverts le recours à l’autorité supérieure et le recours aux tribunaux. C’est dans ce sens seulement que l’amendement de la section centrale peut remplir les intentions de mes honorables amis qui ont débattu la question avant moi.
L’honorable M. Gendebien a dit que toutes les fois qu’une partie lésée aurait cité une commune devant les tribunaux, cette commune devrait nécessairement recourir à l’autorité supérieure pour obtenir l’autorisation de plaider, et que l’administration supérieure examinerait s’il y a lieu ou non d’accorder le pouvoir de plaider. J’appuie cette observation que je trouve très juste. Sans cela le droit de plaider pourrait tourner au préjudice de la justice et du citoyen lésé.
Je crois que ce sera pour le mieux que les deux voies d’appel soient ouvertes, afin que le particulier lésé choisisse de ces deux voies celle qui lui conviendra le mieux.
M. Gendebien. - Dès l’instant qu’on reconnaît la juridiction des tribunaux, il m’importe peu que ce soit textuellement dans la loi. Si la chambre est disposée à adopter l’amendement de M. Jullien, je n’ai plus rien à dire.
M. Dumortier, rapporteur. - Je crois qu’il y a lieu de diviser l’article. Quant à la proposition de M. Jullien, nous sommes, je crois, tous d’accord pour l’adopter. Mais je ne puis pas me rallier à la proposition de M. le ministre de l’intérieur. je demande donc la division.
M. le président. - S’il n’y a pas d’opposition, la proposition de M. le ministre de l’intérieur sera considérée comme disposition additionnelle. (Adhésion.)
- La première partie du n°5bis est mise aux voix et adoptée.
L’amendement de M. Jullien portant sur la deuxième partie du n° 5bis est mis aux voix et adopté.
Le n°5bis ainsi amendé est adopté dans son ensemble.
La disposition additionnelle proposée par M. le ministre de l’intérieur est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La chambre passe au n°12 de la proposition de la section centrale ainsi conçue : « De faire entretenir les chemins vicinaux conformément aux règlements provinciaux. »
M. d’Hoffschmidt propose, par amendement, de rédiger ainsi ce numéro : « De faire réparer annuellement les chemins vicinaux. »
M. d'Hoffschmidt. - Lorsque j’ai proposé mon amendement, je n’ai par ajouté les mots : « conformément aux règlements provinciaux, » parce que j’ai considéré cette addition comme inutile. En effet , si vous l’admettez ici, il n’y a pas de motif pour ne pas l’admettre également aux autres paragraphes de l’article 87, soit au n°3 : « La conservation des établissements communaux. » Il est évident que le conseil devra toujours agir conformément aux lois et règlements. Je ne vois donc pas la nécessité de cette addition ; mais comme elle ne peut pas nuire, je déclare ne pas m’y opposer.
M. Dumortier, rapporteur. - L’addition proposée par la section centrale n’est pas aussi inutile qu’on veut bien le dire ; je la crois au contraire indispensable. Les questions de voirie vicinale pourraient être, sans cette addition, considérées comme questions communales ; les communes pourraient, de ce qu’il n’aurait été stipulé, à cet égard, aucune clause restrictive dans la loi communale, conclure qu’il leur appartient de régler cette matière, tandis qu’il est nécessaire que les communes se conforment aux dispositions des règlements provinciaux. L’addition contestée est donc indispensable.
M. d'Hoffschmidt. - J’ai déclaré que je me ralliais à la proposition de la section centrale.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La disposition proposée par la section centrale est bonne en elle-même, mais elle ne me paraît pas complète ; il n’y a pas en effet que les chemins vicinaux ; il y a en outre les rues, les sentiers, les canaux, les ports, les aqueducs et autres ouvrages d’utilité publique, que les administrations locales sont chargées d’inspecter, de surveiller et d’entretenir. Il serait à désirer que cette disposition fût complétée.
M. Dumortier, rapporteur. - Cela n’est pas nécessaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable rapporteur dit que ce n’est pas nécessaire, parce que la disposition de la loi de 1790 n’est pas abrogée ; mais si les autres objets n’ont pas besoin d’être énumérés, ne peut-on pas en dire autant des chemins vicinaux ? L’observation que j’ai eu l’honneur de faire a uniquement pour objet de prévenir toute interprétation tendant à ce que les objets dont l’énumération a été omise fussent soustraits à la commune pour leur surveillance et leur entretien.
M. Desmet. - Il me semble que les réparations des chemins vicinaux doivent avoir lieu non seulement conformément aux règlements provinciaux, mais encore conformément aux lois ; je proposerai donc par amendement de rédiger ainsi ce paragraphe :
« De faire entretenir les chemins vicinaux conformément aux lois et aux règlements provinciaux. »
M. Eloy de Burdinne. - Je crois qu’il y aurait un peu de danger à se prononcer sur la question de savoir à qui incomberont les frais d’entretien des chemins vicinaux. Je crois la question singulièrement obscure ; elle a été agitée autrefois dans les états provinciaux des différentes provinces. Ils ont adapté chacun en leur particulier dans leurs règlements, les mesures qu’ils ont crues les plus convenables. Mais ces règlements diffèrent tous les uns des autres, de telle sorte que, même en les réunissant tous, il serait difficile de faire un bon règlement.
En effet, dans certaines provinces l’entretien des chemins vicinaux est une charge très onéreuse ; dans les communes frontières ces chemins servent plus à l’étranger qu’à la commune ; il y aurait alors de l’injustice à ce que les frais fussent supportés par la commune. Dans d’autres communes, au contraire, ces dépenses sont loin d'être considérables. Il y a aussi des communes qui sont traversées en tout sens par quantité de chemins vicinaux, tandis que certaines communes rurales n’en ont pour ainsi dire pas.
Je crois donc qu’il est de la prudence de laisser la question en suspens ; les conseils provinciaux aviseront aux moyens d’améliorer les chemins vicinaux et résoudront la question de savoir à qui incombent les frais de leur entretien.
M. Jullien. - Si j’ai bien compris l’honorable M. Eloy de Burdinne, il me semble que la discussion qu’il élève est prématurée. En effet, il ne s’agit pas d’autre chose que de poser le principe, à savoir que l’entretien des chemins vicinaux aura lieu conformément aux lois et règlements provinciaux.
M. Dumortier, rapporteur. - Je ne puis pas admettre la proposition de l’honorable M. Desmet. Je crois que cette matière doit être réglée suivant les besoins de chaque province, et qu’il serait impossible qu’elle fût réglée par une loi générale applicable à toutes les provinces.
M. Desmet. - L’honorable préopinant entend, je crois, que les règlements provinciaux sont toujours conformes aux lois, mais je le prie de remarquer que d’après l’article, ainsi qu’il propose de le rédiger, les autorités provinciales pourraient par leurs règlements déroger aux lois existantes. C’est un droit qu’on ne peut pas leur reconnaître, et je pense que l’on doit adopter mon amendement, ne fût-ce que par prudence.
M. Dumortier, rapporteur. - Si on admet la proposition de M. Desmet, je ne sais ce que deviendront les règlements provinciaux de la province du Hainaut et de la province de Namur, qui diffèrent des lois précédentes sur la matière, parce que la police des chemins vicinaux est considérée comme une affaire exclusivement provinciale.
Et c’est avec raison, car les règlements sur cette matière varient selon les localités, ils ne peuvent pas être les mêmes pour la Flandre occidentale que pour le Luxembourg. Dès lors vous ne pouvez pas régler cet objet par une loi : vous seriez obligés d’entrer dans trop de détails pour que votre loi fût applicable dans toutes les provinces, et encore ne feriez-vous qu’une mauvaise loi. Il est impossible de ne pas laisser à l’autorité provinciale le soin de faire les règlements sur la police des chemins vicinaux.
M. Dumont. - La section centrale, d’après ce que vient de dire son honorable rapporteur, aurait voulu donner aux états provinciaux l’attribution de régler cette matière. Je pense que c’est y aller un peu à la légère. Je crois que l’administration provinciale doit avoir une autorité assez étendue pour faire les règlements provinciaux, mais qu’elle doit tenir cette autorité de la loi. Aujourd’hui les autorités provinciales ont la mission de faire des règlements. Mais c’est en vertu des règlements du plat pays qui ont force de loi et qui sont encore en vigueur.
Si on ne veut rien préjuger sur la question, je crois qu’il faudrait dire uniquement « conformément aux lois, » sans parler de règlements provinciaux, puisque ces règlements provinciaux ne peuvent avoir d’effet que quand ils sont conformes aux lois, et qu’en exécutant ces règlements, on agit conformément aux lois. Si vous admettez cette proposition, rien ne sera préjugé, tandis que si vous la rejetez, vous donnez à l’autorité provinciale seule le droit de faire les règlements relatifs à l’entretien des chemins vicinaux.
Je propose donc de dire simplement : « d’entretenir les chemins vicinaux conformément aux lois. »
M. Fallon. - J’appuie les observations de l’honorable M. Dumont. Comme lui, je crois que nous ne devons rien préjuger. C’est pourquoi il me semble qu’il faut aller plus loin qu’il ne propose et se borner à dire que l’autorité communale est chargée d’entretenir les chemins vicinaux, sans parler de lois ni de règlements. Il existe maintenant des règlements sur la matière ; ces règlements continueront à être observés, jusqu’à ce qu’il y soit autrement pourvu. Si vous insérez dans la loi les mots « conformément aux lois, » on prétendra que par cette disposition vous avez abrogé les règlements provinciaux.
Je propose donc, pour ne rien préjuger, de supprimer et les mots « conformément aux lois, » et ceux-ci : « conformément aux règlements, » et de dire simplement : « de faire entretenir les chemins vicinaux. »
M. Dumortier, rapporteur. - Je crois que vous devez nécessairement admettre la proposition de la section centrale. D’abord l’honorable M. Dumont prétend qu’il ne faut rien préjuger. Mais je lui ferai observer que d’après son système sa proposition préjuge la question, car il a commencé par poser en principe que les règlements devaient d’abord être autorisés par une loi. Ainsi vous ne pouvez pas admettre cette proposition.
Maintenant je crois qu’il est facile de montrer qu’on doit trancher la question dans la loi actuelle, s’il y a un doute, car il n’en existe pas pour moi. En effet, les états provinciaux sous le gouvernement précédent ont été investis du droit de faire les règlements relatifs à la voirie vicinale. Sur quoi reposait ce droit ? Je trouve la réponse dans l’exposé des motifs de ces divers règlements. Je tiens en main un arrêté du roi Guillaume approuvant le règlement de la province de Namur. Cet arrêté est fondé sur l’article 146 de la loi fondamentale. Je tiens également l’arrêté approuvant le règlement du Hainaut. Il est basé sur le même principe. C’était l’article 146 de la loi fondamentale qui dominait aux provinces le droit de faire les règlements provinciaux.
La disposition de cet article 146 de la loi fondamentale se trouve reproduite en termes dans la constitution aux articles 31 et 108, qui portent que les intérêts communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux. Il est incontestable que tous les chemins vicinaux sont d’un intérêt provincial ou communal. Là est toute la difficulté, et pas autre part. Jamais on ne viendra prétendre que les chemins vicinaux sont un objet d’intérêt général.
Est-ce à la commune ou à la province à régler cet objet, bien entendu sans l’approbation du Roi, comme elle est requise pour beaucoup d’autres choses ? Nous ne pouvons pas régler par une loi ce qui est exclusivement d’intérêt communal ou provincial. C’est cette question que vous devez trancher, parce que si vous ne la tranchez pas, les communes pourront prétendre que les chemins vicinaux sont un objet d’intérêt local et vouloir régler ce qui les concerne. Mais il est évident qu’un chemin vicinal n’est pas un objet d’intérêt local, car il ne sert pas à une commune seule ; il met en rapport une commune avec une autre, il intéresse donc plusieurs communes, dès lors c’est à la province qu’il appartient de régler ce qui regarde ces chemins. C’est donc aux conseils provinciaux à faire les règlements de la voirie vicinale.
En effet, comment le législateur pourrait-il régler les besoins des diverses localités, savoir les dispositions à prendre relativement à la voirie vicinale dans les pays d’alluvion et dans les pays de montagnes comme le Luxembourg ? Il faut, je le répète, des règlements différents suivant les localités ; vous devez donc de toute nécessité adopter la proposition de la section centrale ; le bon sens vous le prescrirait, si la constitution ne vous en faisait pas un devoir.
M. Dumont. - L’honorable préopinant prétend à tort que ma proposition préjuge la question. Aujourd’hui, la matière est réglée par les règlements provinciaux Si ces règlements existent, c’est que la loi a autorisé l’autorité provinciale à les faire. C’est en vertu de la loi fondamentale qu’ils ont été faits. Il a même été déclaré qu’ils faisaient partie de la loi fondamentale. Je ne pense pas qu’on vienne dire qu’ils ont été abolis avec cette loi fondamentale, par la constitution. C’est encore une loi qui maintient l’existence de ces règlements provinciaux. Ainsi quand on agit conformément à ces règlements provinciaux, je crois qu’il est vrai de dire qu’on agit conformément à la loi.
Je n’ai pas manifesté l’intention de faire entrer dans une loi tout ce que devaient comprendre ces règlements, j’ai seulement dit que l’autorité provinciale devait recevoir de la loi l’autorisation de faire des règlements provinciaux. Je pense qu’il appartient encore à la loi de poser des limites à cette attribution.
Je n’admets pas que les chemins vicinaux soient purement d’intérêt provincial, je pense que l’intérêt général y est pour quelque chose ; par conséquent, l’autorité supérieure doit intervenir dans les règlements relatifs à cet objet. Dans la question de savoir si tel mode de contribution pour l’entretien des chemins n’est pas préférable à tel autre, et dans d’autres questions de ce genre, la loi doit intervenir. Le bon état d’un chemin vicinal intéresse les particuliers et la commune, et ce qui intéresse les particuliers touche à l’intérêt général. Je persiste donc à penser qu’en insérant dans l’article les mots « conformément aux lois, » on n’anéantit pas les règlements provinciaux existants et qu’on ne préjuge pas non plus la question de savoir si les autorités provinciales pourront encore ou non faire des règlements provinciaux.
M. Raikem. - Je demande la parole uniquement pour rappeler la législation existante sur la matière. Dans la discussion qui a eu lieu dans le sein du conseil d’Etat, sur l’article 538 du code civil, il a été reconnu que, d’après la loi des 28 septembre et 6 octobre 1791, les chemins vicinaux étaient la propriété des communes, qu’ils devaient être entretenus à leurs frais, et que ce qui concerne cet entretien rentrait dans les attributions de l’autorité provinciale.
Je pense que les dispositions de cette loi de 1791 ont été publiées dans les départements réunis. Ce serait une chose à vérifier. Mais voici ce que porte la section 6, titre premier, article 2 de la loi des 28 septembre et 6 octobre 1791 :
« Les chemins reconnus par le directoire de district pour être nécessaires à la communication des paroisses, seront rendus praticables et entretenus aux dépens des communautés, sur le territoire desquelles ils seront établis. Il pourra y avoir à cet effet une imposition, au marc la livre, de la contribution foncière. »
L’article 3 de la même section porte :
« Sur la réclamation de l’une des communautés, ou sur celle des particuliers, le directoire du département, après avoir pris l’avis de celui du district, ordonnera l’amélioration d’un mauvais chemin, afin que la communication ne soit interrompue dans aucune saison ; et il en déterminera la largeur. »
Sauf les questions de propriété, ainsi que cela a été résolu par une jurisprudence constante. Je pense que nous avons les dispositions de la loi de 91 pour régler les réparations et la mise en bon état de viabilité des chemins vicinaux et que la disposition de la section centrale ainsi que celle de M. d’Hoffschmidt ne peuvent avoir pour but que de déterminer les autorités qui seront chargées d’exécuter, soit les dispositions de la loi de 91, soit les règlements provinciaux. D’après notre constitution, les règlements pour pouvoir être exécutés, doivent être conformes aux lois.
M. d'Hoffschmidt. - Quand j’ai proposé mon amendement, j’ai prévu les objections qui sont présentées, et c’était pour éviter la discussion actuelle et ne pas préjuger la question que je n’avais pas ajouté les mots « conformément aux lois et règlements. »
J’ai eu un autre motif encore, c’est qu’il ne s’agissait ici que d’une question d’attributions, de savoir si c’était le collège des bourgmestre et échevins ou le conseil qui ferait entretenir les chemins vicinaux. Il est donc inutile de dire que ce sera conformément aux lois et règlements. Vous dites que c’est au collège de régence à faire entretenir les routes ; il va de soi qu’en ne disant pas comment le collège devra les faire entretenir, ce sera conformément aux lois et règlements qu’il le fera. Cependant si vous vouliez insérer quelque chose dans l’article, ce serait de dire : « conformément aux lois ou règlements.» Cela concilierait, ce me semble, toutes les opinions.
M. Verdussen. - Je crois qu’il faut adopter l’amendement de M. Fallon et borner l’article à ces seuls mots : « De faire entretenir les chemins vicinaux. »
On a dit que cet amendement rentrait dans celui de M. d’Hoffschmidt. Je crois qu’il y a une légère différence. M. d’Hoffschmidt propose de dire : « De faire réparer annuellement les chemins vicinaux. » Ce qui impose une obligation qui peut être nécessaire dans certaines communes et ne pas l’être dans d’autres. C’est pourquoi je pense qu’il vaut mieux laisser le mot annuellement de côté.
Je ne crois pas non plus qu’on doive conserver les mots « conformément aux lois » qui à mon avis ne disent rien. Cette expression a été reproduite dans beaucoup de circonstances et la chambre en a fait justice en la reproduisant. Il est de principe que tout doit être fait conformément aux lois et que rien ne peut être établi contrairement ou en dépit des lois.
Quant à ce qu’a dit M. Dumortier qu’il faut laisser dans la disposition les mots « conformément aux règlements provinciaux, » il me semble que cela a une portée extrêmement grande ; car, en maintenant cette addition et en ne disant pas conformément aux lois, il paraît exclure la loi. Il voudrait donc que les règlements provinciaux remplaçassent la loi, car la citation que vient de nous faire l’honorable M. Raikem prouve qu’il y a des lois sur la matière. Au reste, je pense que cette loi de 91 resterait debout, alors même que vous mettriez dans votre article ces mots : « conformément aux règlements provinciaux. » Votre réticence n’abolirait pas une loi existante.
Le mieux, je pense, serait d’adopter la proposition de M. Fallon.
M. Raikem. - Je ne sais si on veut modifier la législation existante. Je viens de voir que les dispositions que j’ai citées tout à l’heure, ont été publiées dans les départements réunis. Voyez comment sont conçus ces articles : la réparation des chemins vicinaux est mise à la charge des communes, mais l’exécution de cette disposition n’est pas attribuée exclusivement aux autorités communales ; ce sera plutôt, d’après notre organisation actuelle aux autorités provinciales.
Il est dit dans l’article : « Les chemins reconnus nécessaires par le directoire de district, etc. » Il n’est pas dit : par l’autorité communale. A l’article suivant encore il est dit : « Sur la réclamation d’une des communautés ou sur celle des particuliers, le directoire du département, après avoir pris l’avis de celui du district, ordonnera, etc. »
Vous voyez que ce n’est pas dans les attributions de l’autorité communale, mais bien de l’autorité départementale que se trouve placée la police des chemins vicinaux.
Je n’ai pas eu le temps de faire des recherches pour voir comment on avait réglé ultérieurement les attributions des diverses autorités, mais je crois que les attributions des directeurs de district et de département ont été conférées non pas aux communes, mais aux préfets et aux sous-préfets. Il ne s’agit donc pas de faire intervenir l’autorité communale même pour l’exécution de la loi de 91, à moins qu’on ne veuille changer la loi. Si on veut l’exécution de cette loi, les règlements doivent émaner de l’autorité provinciale et non de l’autorité communale. Si on voulait attribuer le droit de faire ces règlements à l’autorité communale, ce ne serait plus l’exécution de la loi de 91, mais une nouvelle loi à introduire. Je pense donc qu’il y a lieu de maintenir les mots « conformément aux lois existantes. » Les autorités provinciales feront en vertu de ces lois les règlements pour les réparations à faire aux chemins vicinaux.
M. Dumortier, rapporteur. - Je crois qu’il a pu être dérogé à la loi de 91 par la constitution du gouvernement précèdent et par les règlements qui ont été faits. Je crois que cette loi a été abrogée ou qu’elle a pu l’être par la loi fondamentale des Pays-Bas. Tout ce que je veux maintenir par mon amendement, c’est que le pouvoir législatif a le droit de régler cette matière. Et il me semble que si vous n’admettez pas ma proposition, vous préjugerez que la loi n’aura plus à en s’occuper.
M. Raikem. - C’est pour faire quelques observations sur ce que vient de dire l’honorable préopinant que je prends la parole. Il vous a dit que la loi de 1791 avait été abrogée, ainsi que la loi fondamentale de 1815 et les règlements provinciaux et locaux.
Si cette législation a été abolie, je n’en sais rien. On sait qu’une loi n’est abrogée que par une loi postérieure. Si nous nous trouvons dans ce cas, il faut faire une nouvelle législation sur les chemins vicinaux. Il est dit dans l’article 137 de la constitution : « La loi fondamentale du 24 août 1815 est abolie, ainsi que les statuts provinciaux et locaux. Cependant, les autorités provinciales et locales conservent leurs attributions jusqu’à ce que la loi y ait autrement pourvu. »
Elle consacre donc en ce moment leurs attributions. Mais aussitôt que nous aurons fait une loi provinciale et communale, ces lois remplaceront les statuts provinciaux et locaux. Si donc ces statuts ont dérogé à la loi de 1791 et si la loi de 1815 est également nulle, quand nous aurons abrogé la loi de 1791, la loi fondamentale de 1815 et les statuts provinciaux et locaux, alors nous n’aurons plus de législation sur les chemins vicinaux.
Je n’ai pu apprécier si la loi de 1791 est ou non en vigueur ; car je ne connais aucune disposition qui ait dérogé à cette loi ; il peut s’en trouver, et j’aimerais qu’on me le prouvât ; mais jusqu’à preuve du contraire, je suis autorisé à croire qu’elle existe.
M. Pirson. - Je crois que l’honorable M. Raikem vient de confondre deux choses entièrement différentes, Il ne s’agit pas de statuer si tel chemin sera vicinal ou non. S’il était question de cela, je dirais que cela n’appartient pas à la commune. Il ne s’agit ici que de la réparation des chemins vicinaux.
J’étais administrateur dans le département de Sambre et Meuse quand nous avons dû appliquer en ce pays la loi de 1790. Il y a eu ordre de la part de l’administration départementale, aux communes, d’indiquer les chemins qu’elles entendaient reconnaître comme tels. Ce travail n’a pas été fait sans beaucoup de discussions ; mais enfin il a eu lieu, et aujourd’hui il y a dans les communes des tableaux indiquant que tel chemin est vicinal.
Il s’agit de savoir aujourd’hui qui réparera ces chemins. En supposant encore que les règlements provinciaux fussent anéantis par l’article de la constitution, je n’entends pas que tous les règlements des états provinciaux soient abolis quand une nouvelle organisation provinciale aura lieu. Qu’a entendu la constitution quand elle a dit que les statuts provinciaux étaient abolis ? Elle a entendu les statuts organisateurs, et voilà tout.
M. Raikem. - Je viens rectifier une erreur que m’a prêtée l’honorable préopinant. Je n’ai parlé dans cette séance ni de la reconnaissance ni de l’ouverture des chemins vicinaux, mais de leur entretien, et c’est relativement à cet entretien que j’ai cité l’article de la loi de 1791. Par cet article, il entrait dans les attributions des directoires de département et de district de régler l’entretien des chemins vicinaux, aussi bien que de les faire reconnaître et ouvrir.
J’ai parlé de la loi de 1791 qui ne stipule que sur l’entretien des chemins, tandis que c’est celle de ventôse an XIII qui parle d’ouverture et de reconnaissance de chemins vicinaux. Je n’ai pas soutenu que les règlements faits par les états provinciaux seraient tous abrogés. Je n’ai parlé uniquement que de la loi de 1815 et des statuts provinciaux et locaux qui tombent sous l’article 137 de la constitution.
M. Jullien. - Je ne sais pas en vérité où va cette discussion. Il me paraît à moi que plus on a discuté, plus la discussion s’est égarée. La chose est pourtant bien simple, Tout le monde comprend qu’un chemin vicinal n’est autre chose qu’un moyen de communication d’une commune à une autre. Cela étant posé, il est incontestable que c’est à la province à régler l’entretien des chemins vicinaux, puisqu’ils sont non d’un intérêt communal, mais bien provincial.
La section centrale vous propose ce qui est dans l’essence de la chose. Qui doit faire la réparation ? C’est la commune. Vous ne faites ici que poser un principe incontestable ; je ne veux pas admettre ce qu’ajoute l’honorable M. Desmet, « conformément aux lois et règlements provinciaux. » Le meilleur de tous les partis est d’adopter la proposition de la section centrale, qui à mon sens renferme le plus de justesse.
M. Desmet. - On croit, messieurs, qu’un chemin vicinal est d’intérêt provincial ; on se trompe, et je soutiens qu’il est d’intérêt général : il en est de lui comme des routes. C’est un chemin qui conduit de grandes routes en grandes routes, de passages d’eau aux grandes routes. Il y a un chemin vicinal qui va d’Ostende à Bruxelles, il passe donc par trois provinces. Je ne saurais trop répéter qu’un chemin vicinal est d’intérêt général et non pas d’intérêt provincial ; c’est, à mon sens, ce qu’il est impossible de révoquer en doute.
M. Eloy de Burdinne. - Je ne partage pas l’opinion de l’honorable M. Jullien, qu’il faille adopter pour principe que l’entretien des chemins vicinaux appartient aux communes. La question qui nous occupe est une question très grave. Les provinces du Hainaut, de Liége ont fait différents règlements à cet égard, et elles ont été obligées de considérer leurs règlements comme impraticables. La province de Liège qui en était à son troisième règlement, a déclaré qu’elle s’occuperait bientôt d’un quatrième règlement qui sans doute n’aurait pas été le dernier. Vous voyez donc que rien ne serait plus nuisible que de faire appartenir aux communes l’entretien des chemins vicinaux.
M. Jullien. - L’honorable M. Desmet a dit que la réparation d’un chemin vicinal était d’un intérêt général et non provincial. Il a motivé son opinion sur ce qu’un chemin vicinal ne conduisait pas d’une commune à une commune, mais de province à province. Il en a cité un qui va d’Ostende à Bruxelles. Le principe de l’honorable membre est vrai comme celui-ci que « tout chemin mène à Rome. » Au surplus, je ne vois pas que cela puisse détruire le caractère d’un chemin vicinal ; dans toute législation on a considéré comme chemin vicinal celui qui mène de commune à commune. Il y a des chemins qui ne sont pas dans cette catégorie, mais alors ce sont des routes et non des chemins vicinaux. Je ne vous parle que de chemins qui vont de commune à commune. C’est la loi communale que vous faites. Vous ne parlez que des chemins vicinaux pour les communes, soit que ces chemins aillent fort loin, soit qu’ils s’arrêtent au milieu d’une commune.
Les intérêts des différentes communes réunies, voilà ce qui forme l’intérêt provincial. Vous n’avez aucun danger à consacrer le principe posé par la section centrale, et vous ne courez des risques qu’en cherchant à enchevêtrer cette proposition d’autres règlements et d’autres dispositions.
M. Dumortier, rapporteur. - D’honorables préopinants ont prétendu que les chemins vicinaux étaient d’un intérêt général. Il a déjà été répondu au peu de justesse de ce principe. Il faut remarquer que si ce principe était fondé, les sentiers rentreraient aussi dans la même catégorie. Le mot de chemin vicinal explique sa signification : il conduit de village à village, c’est pour cela qu’il est vicinal. L’honorable M. Desmet a prétendu que dans les Flandres, les chemins vicinaux étaient réparés par les propriétaires riverains, et cela en vertu d’une loi.
Je ne sais si cette loi existe, mais en admettant que ce soit, elle empêcherait la réparation plutôt que de la protéger. Je comprends fort bien qu’en Flandre où il n’y a pas un pouce de terrain qui ne soit en agriculture, on trouve toujours des propriétaires riverains prêts à faire ces réparations, Mais dans la province de Liège où il y a tant de houillères, personne ne se présenterait pour le faire. Vous voyez donc bien qu’on ne peut admettre une disposition qui stipule que c’est conformément à une loi. Dans le Luxembourg, il en sera de même que dans la province de Liége ; enfin cette disposition conduirait aux plus graves inconvénients.
- Plusieurs membres. - La clôture !
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - Il y a 3 amendements sur l’article en discussion. Le premier est de M. Fallon, le second de M. Dumont et le troisième de M. Desmet.
- Celui de M. Fallon qui tend à supprimer les mots : « Conformément aux règlements du conseil provincial, » est mis aux voix. Il n’est pas adopté.
M. Dumont. - Je déclare retirer mon amendement.
M. le président. - Nous allons passer à l’amendement de l’honorable M. Desmet. Il est ainsi conçu : « De faire entretenir les chemins vicinaux conformément aux lois et aux règlements du conseil provincial. »
- Cet amendement est mis aux voix et adopté.
La disposition ainsi amendée : « Le collège des bourgmestre et échevins est chargé de faire entretenir les chemins vicinaux conformément aux lois et règlements du conseil provincial, » est mise aux voix et adoptée.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le paragraphe 6 de l’article 87 du projet de la section centrale :
« Le collège des bourgmestre et échevins est chargé… :
« 6° De l’approbation des plans de bâtisse proposés par les particuliers pour la grande et la petite voirie. »
M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, je ne pense pas qu’il y ait incompatibilité entre cette disposition et celles que vous venez de voter. Dans ces premières, il s’agissait de l’alignement de la maison. Maintenant il s’agit de l’approbation du plan de façade. Cette approbation doit être déférée au collège de régence.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je demande si ce collège pourra arbitrairement imposer un plan de bâtisse aux particuliers.
M. Dumortier, rapporteur. - Il n’est pas question d’imposer un plan de bâtisse, mais seulement d’approuver ceux qui sont présentés par les particuliers. Il ne s’en suit pas que l’on puisse imposer un autre plan. J’entends dire que le collège refusera les divers plans qui lui seront proposés jusqu’à ce que l’on ait adopté le sien. Il faudrait supposer les administrations communales bien déraisonnables. Si vous avez de telles craintes, déclarez formellement qu’il n’y a plus d’administrations communales en Belgique et déchirez l’article 108 de la constitution.
M. Desmanet de Biesme. - Je demande la suppression de la disposition. C’est une de celles qui ont donné lieu au plus grand nombre de vexations. Il est très naturel qu’il y ait une autorité qui veille à la construction des façades. Mais je ne voudrais pas que les régences eussent le droit de dire aux propriétaires : Vous peindrez votre maison de telle couleur. Et vous propriétaires qui aviez telle couleur, vous ne pouvez l’employer, parce qu’elle aura déplu non pas à la régence, mais à l’architecte de la ville. Ces messieurs ont quelquefois des idées singulières qui ne sont pas toujours conformes au bon goût. Ce qu’on permet dans telle ville on le défendra dans telle autre. A Gand, il y a une rue dont toutes les maisons ont des fenêtres contrées. Les Gantois trouvent cela très joli. Dans d’autres villes on ne permet pas que les fenêtres soient cintrées.
Il me semble que quand les particuliers n’empiètent pas sur la voie publique, on devrait leur permettre de suivre leur fantaisie. J’en citerai un exemple. M. Nayez, peintre, a fait construire dans la rue Royale sa maison à la manière italienne. Elle peut paraître étrange à certaines personnes ; mais lui trouve que ce mode de construction est préférable pour la distribution intérieure de ses appartements et de son atelier. Il est cependant des villes où on lui aurait défendu une semblable construction. Je ne veux pas que ces vexations se renouvellent, d’autant plus qu’elles portent en quelque sorte atteinte aux droits de propriété.
M. Legrelle. - Il ne s’agit pas de rien innover à ce qui existe. Toujours l’on a été obligé, chaque fois que l’on a voulu faire bâtir une maison dans une ville, d’en faire approuver le plan par l’autorité municipale. Si vous vous départiez de cette règle et si vous laissiez chaque particulier agir à sa fantaisie vous auriez bientôt des villes qui ne ressembleraient plus à rien. (Réclamations.) Je ne sais si la disposition que je défends a présenté des inconvénients. Mais je puis affirmer que jamais à Anvers aucune vexation n’a été commise à cet égard par l’autorité municipale. S’il y a un reproche à faire aux régences, c’est qu’elles ont admis avec trop de facilité les plans de bâtisse qu’on leur a soumis.
La section centrale a pensé qu’il convenait d’attribuer aux régences l’approbation des plans de bâtisse pour la grande et la petite voirie sans distinction. Elle a eu raison, car il y avait une anomalie qu’il importait de faire disparaître. Il fallait, pour bâtir une maison à l’angle de la grande et de la petite voirie que le plan fût approuvé à la fois par l’autorité communale et par l’autorité provinciale.
M. Desmanet de Biesme. - Pour mieux faire ressortir l’absurdité, je ne crains pas de le dire, de la proposition de la section centrale, je ferai remarquer que l’on n’établit pas de distinction entre les grandes et les petites communes. Ainsi, un propriétaire sera obligé, s’il a l’intention de faire bâtir une maison sur la voie publique, d’en soumettre le plan à un bourgmestre qui peut-être ne saura ni lire ni écrire. Je m’oppose à ce que dans les villes cette approbation soit exigée, parce qu’elle peut être vexatoire ; je la repousse pour les campagnes, parce qu’elle est absurde.
Tout le monde sait que les maisons bâties à Bruxelles, à Anvers et dans d’autres villes sous les Espagnols, ont leurs façades terminées par des pignons. C’est le style de l’architecture de cette époque. Si un particulier voulait faire revenir cette mode, il pourrait dépendre d’un bourgmestre, de celui d’Anvers, par exemple, qui ne trouverait pas cela beau, d’en empêcher l’exécution.
Je ne veux pas que les régences puissent exercer une telle tyrannie.
M. Fallon. - J’appuie la proposition de la section centrale. De ce que cette disposition a donné lieu parfois à des vexations, il ne s’ensuit pas qu’elle ne soit utile et même indispensable. Il ne s’agit pas de savoir si des régences ont défendu telle ou telle couleur. La question est qu’il faut prévenir les malheurs que pourrait occasionner la chute d’une façade mal construite au premier ébranlement que causerait une voiture.
L’honorable M. Desmanet de Biesme trouve absurde qu’il faille soumettre dans les campagnes un plan de façade à des bourgmestres qui ne savent ni lire ni écrire.
Je ne crois pas, messieurs, que nous en soyons réduits à avoir en Belgique des administrateurs qui ne sauront ni lire ni écrire. Et quand même n’auraient-ils pas assez de bon sens pour juger de la solidité d’une façade ?
Il faut d’ailleurs éviter que les particuliers n’empiètent sur la voie publique. L’on prétend que c’est porter en quelque sorte atteinte au droit de propriété que d’imposer une façade au propriétaire d’une maison. Le code civil ne contient-il pas des dispositions analogues, quand vous bâtissez sur la limite du voisinage ?
La loi peut bien établir une espèce de servitude quand vous bâtissez sur la voie publique C’est sous ce rapport que la disposition proposée par la section centrale me paraît devoir être admise. Je ne crois pas que les réclamations qui se sont élevées contre l’exécution de cette disposition aient été aussi nombreuses qu’on le prétend. Il n’y a pas de motifs pour supposer que l’administration communale préfère tel plan plutôt que tel autre.
M. Brabant. - Je ne m’opposerai pas à l’adoption de la proposition de la section centrale. Mais je crois que puisque des abus ont eu lieu, il est nécessaire de formuler dans la loi un recours contre une autorité supérieure. Je demande qu’une disposition soit conçue en ces termes
M. Dumortier, rapporteur. - Je ne crois pas nécessaire le recours proposé par l’honorable M. Brabant. Incontestablement, l’approbation des plans de bâtisse est une affaire de famille qui doit se traiter en famille.
Je ne comprends pas à quoi servirait l’intervention du gouvernement. Vous dites que certaines administrations ont été vexatoires. Mais lorsqu’une administration communale, lorsqu’un bourgmestre se livre à des vexations, les citoyens qui l’ont élu ne le réélisent pas. Rien n’est plus favorable au despotisme de ces tyrans au petit pied, que les formalités auxquelles il est nécessaire que les habitants soient soumis dans l’intérêt de tous. Mais le remède aujourd’hui est dans le principe d’élection populaire. Si les bourgmestres se rendent odieux, il y a moyen de s’en débarrasser, en ne les réélisant pas.
Mais, dit l’honorable M. Desmanet de Biesme, l’absurdité de la disposition est manifeste en ce qui regarde les petites communes.
Quant à moi, je répondrai que cette absurdité ne me frappe pas du tout. Je verrai avec plaisir que même dans nos plus petites communes on ne permette pas de bâtir près des grandes routes des masures qui feraient croire à l’étranger que la Belgique est dans un état de pauvreté ; je voudrais au contraire que sur les grandes routes on bâtît des maisons qui fissent croire que la Belgique est dans l’opulence…
Je demanderai à ceux qui veulent combattre l’article : à quoi devons-nous les belles maisons qui ornent nos cités ? à quoi devons-nous à Bruxelles la place Royale ? à la nécessité où les particuliers ont été de soumettre aux communes les plans de bâtisse qu’il fallait faire. Que diriez-vous si un citoyen voulait bâtir sur la place Royale une échoppe avec un toit en paille ? Vous trouveriez cela ridicule ; et c’est ce qui arriverait si les plans de bâtisse n’étaient pas soumis à examen.
Si l’on veut un recours, que ce soit au conseil communal ; ce serait une dérision que d’avoir recours au gouvernement dans ce cas.
M. le président. - M. d’Hoffschmidt demande que les plans de bâtisse ne soient soumis à l’approbation que dans les communes agglomérées de 5,000 habitants et au-dessus.
M. d'Hoffschmidt. - Quelques mots suffiront pour développer mon amendement. M. Desmanet de Biesme vous a fait connaître les inconvénients qui résulteraient de l’examen des plans de bâtisse dans les petites communes ; soumettre ces plans à la régence dans les grandes communes, c’est fort bon il ne faut pas qu’il y ait d’échoppes bâties sur les grandes places ; mais si, dans les communes rurales, vous forcez les habitants à ne construire que de beaux bâtiments, ils ne construiront rien du tout. Dans ces communes ou n’a pas le moyen de faire de belles places avec des maisons uniformes ; chacun y bâtit selon ses moyens ; les uns couvrent en chaume ; d’autres en ardoise et tout système contraire constituerait une véritable vexation.
M. Lebeau. - Je m’opposerai à l’admission de l’amendement de M. d’Hoffschmidt. D’abord il me paraît beaucoup trop large. Si on l’adoptait, en voici les conséquences : à cinq cents pas de Bruxelles, à Schaerbeek, commune isolée, on pourrait bâtir comme on l’entendrait, ce qui ne peut être accordé. Je me réunirai à l’avis de M. Brabant, en sous-amendant sa proposition. Il ne me paraît pas convenable d’ordonner aux petites localités le recours à l’autorité centrale ; mais je demanderai pour elles le recours à l’autorité provinciale.
Dans les petites communes on peut craindre que quelques habitants ne soient tracassés ; que l’on y cherche à satisfaire des ressentiments particuliers, selon les passions qui s’agitent, passions qui peuvent avoir de l’influence dans les élections. Ce que je demande est dans l’intérêt des minorités. Dans les petites communes l’autorité s’y exerce sans contrôle, sans publicité ; on s’y abandonne davantage à ses impressions ; dans les grandes localités l’autorité s’y exerce avec plus de lumières et par conséquent avec plus de dignité. Je demande donc que pour les petites communes le recours devant la députation permanente soit accordé. Ce sera souvent un correctif utile.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je demanderai acte à la chambre de la présentation d’un projet de loi relatif aux barrières. Je le dépose sur le bureau.
- La chambre ordonne l’impression de ce projet.
Une commission nommée par le bureau sera chargée de l’examiner.
M. le président. - Voici l’amendement proposé par M. Brabant : « 6° L’approbation des plans de bâtisse proposés par les particuliers sur la petite et grande voirie, sauf recours à l’autorité provinciale. »
M. Fallon. - Je prends la parole pour appuyer l’amendement de M. Brabant sous-amendé par M. Lebeau, et pour soumettre à l’assemblée quelques nouvelles considérations qui prouveront qu’en supprimant la disposition de la section centrale, on prive les particuliers d’avantages considérables. En effet, qu’un particulier désire empiéter sur la voie publique pour y établir un escalier ; si la régence ne peut accorder l’autorisation, il faudra avoir recours à l’autorité administrative supérieure et aller jusqu’au Roi, puisqu’il s’agira de la concession d’un terrain public : ne vaut-il pas mieux dans ce cas, et pour quelques pouces de terrain, que la régence puisse prononcer définitivement ?
M. Desmanet de Biesme. - J’avais demandé la suppression de l’article ; mais je me rallierai à l’amendement de M. Brabant et à celui de M. d’Hoffschmidt. Il y a un point sur lequel je suis d’accord avec M. Brabant, c’est quand il s’agit de solidité. Il faut en effet surveiller la solidité des constructions ; mais il faut aussi empêcher les écarts des caprices des régences. il y a des architectes dans les régences des villes ; les particuliers qui ne les appellent pas éprouvent mille vexations pour le plan des façades de leurs maisons. On supporte dans ce cas-là beaucoup d’arbitraire, et c’est ce que je voudrais anéantir.
Je n’ai pas dit qu’il y avait dans les campagnes des bourgmestres ne sachant pas lire ; j’ai dit qu’il y en avait sachant à peine lire : ceux-là peuvent-ils juger de la beauté d’une façade ? non ; mais ils peuvent juger de la solidité.
M. Jullien. - Voilà encore une de ces questions qui doivent trouver leur solution dans le droit commun. En droit, les rues les places publiques, les chemins, sont les propriétés des villes, des communes. Cela est incontestable. Il suit de là que toutes les fois que vous voulez bâtir sur la voie publique, il faut vous conformer aux règles de bon voisinage. Quand vous bâtissez près de la propriété de quelqu’un vous ne pouvez pas faire de vues droites, vous ne pouvez pas faire aussi quelque chose qui nuise au voisin ; de même quand vous bâtissez sur le terrain public, vous ne pouvez rien faire contre les intérêts publics. Ce n’est pas seulement sous le rapport de l’emplacement, c’est encore sous le rapport de la sûreté de tous. Sur la voie publique vous ne pouvez pas construire des maisons avec des balcons qui pourraient menacer la vie de ceux qui fréquentent la rue. Voilà les principes sur cette matière, et c’est pour cela que l’on a toujours soumis aux régences les plans de bâtisse.
Cela ne souffre pas de difficultés par rapport aux villes. Quant aux communes rurales, on a prétendu que c’était étendre bien loin le principe que je viens de poser que de le leur appliquer. Cependant il faut dans les communes rurales qu’on puisse observer tout ce qui est de sûreté et d’utilité publique.
Car, soit dans les villes, soit dans les villages, il ne faut pas empêcher la libre circulation des voyageurs ; il ne faut pas compromettre leur sûreté.
J’appuie l’amendement de l’honorable M. Brabant qui consiste à soumettre à la députation provinciale le recours du particulier qui se croit lésé par l’administration communale ; ceci tend à éviter les petites tracasseries, les petites vengeances des officiers municipaux. J’espère que ce cas se présentera rarement ; mais le recours à la députation est une garantie contre les abus qui pourraient avoir lieu. Je donnerai donc ma voix à l’amendement de M. Brabant.
Je crois pouvoir borner là mes observations.
M. Legrelle. - Je viens également appuyer l’amendement de M. Brabant, modifié par M. Lebeau. Je considère que le recours à la députation provinciale est autant dans l’intérêt de l’administration communale que dans celui des citoyens.
Il peut y avoir eu des abus dans quelques communes ; mais je dois faire observer que c’est par erreur qu’un honorable préopinant les a fait dépendre de la volonté du bourgmestre ; en effet la volonté du bourgmestre seul n’est rien ; la décision est prise par le collège de régence.
Je crois, d’après les arguments qu’ont fait valoir les honorables préopinants, qu’il est inutile que je m’étende davantage sur cette matière.
M. Dumont. - Je crois qu’au lieu d’adopter le paragraphe en discussion, il vaudrait mieux s’en tenir à la législation existante. Il me semble qu’il y est complètement inutile de soumettre à quelque approbation que ce soit des plans de bâtisses dans des villages, dans des hameaux isolés. Je conclus donc au rejet du n°6 en discussion.
M. d'Hoffschmidt. - Je reconnais avec l’honorable M. Jullien qu’il importe de ne pas embarrasser la voie publique, de ne pas compromettre la sûreté des voyageurs ; mais à cet égard n’y a-t-il pas les lois en vigueur sur la voirie ? Ne serait à craindre que l’on ne profitât de la disposition proposée relativement à l’approbation des plans pour exiger dans les communes rurales des embellissements aussi onéreux pour le propriétaire qu’ils seraient inutiles.
Je crois donc que l’amendement proposé en faveur des habitants des communes doit être adopté, et que son rejet consacrerait une grande injustice.
M. Gendebien. - Je n’ai pas voulu prendre la parole dans cette discussion, parce que tout en reconnaissant l’exorbitance de la prérogative accordée aux bourgmestre et échevins, je ne puis méconnaître l’avantage qu’il y a de donner à l’autorité municipale le droit de régler les plans de bâtisse. Toutefois, si l’honorable M. d’Hoffschmidt veut réduire son amendement à des communes d’une population moins considérable, je voterai pour son adoption, et par suite pour l’adoption de l’article ; mais je voudrais que cet amendement ne s’appliquât qu’aux parties agglomérées des communes.
Il y a des communes de 100 ou 200 maisons agglomérées, et 100 qui sont éparses au bord des chemins vicinaux ; est-ce qui faudra soumettre leurs plans au collège de régence ? C’est surtout pour les malheureux que je redoute les vexations. Tel bourgmestre qui voudra qu’un malheureux ne s’établisse pas dans la commune, lui imposera un plan de bâtisse que ses faibles ressources ne lui permettront pas d’exécuter, et le forcera ainsi à bâtir ailleurs. Je crois qu’il faut penser à ces inconvénients avant d’adopter la loi.
Cependant, comme je vois que la chambre est disposée à adopter l’article (je conviens d’ailleurs qu’il sera utile dans les grandes villes), je proposerai par amendement d’ajouter à l’article :
« Il (le collège des bourgmestre et échevins) sera tenu de se prononcer dans la huitaine, à partir du jour du dépôt des plans. »
Je crois cette disposition indispensable. Je connais des citoyens qui ont attendu plusieurs mois l’approbation des plans de bâtisse ; il pourra arriver même que l’on refuse cette approbation, parce que ce ne sera pas l’architecte de la ville, ce ne sera pas celui que protège le collège, quelquefois le parent ou l’ami du bourgmestre ou d’un échevin, qui aura fait le plan.
Je crois qu’il faut restreindre le droit exorbitant donné à l’administration municipale ; il est exorbitant, car chacun peut dépenser son argent et bâtir comme il veut, se loger comme il l’entend, sans consulter personne.
Je ne pense pas que l’on puisse se dispenser d’adopter la modification que je propose ; si elle n’était pas adoptée, je ne croirais pas pouvoir voter pour son adoption.
M. Legrelle. - Je demande que le délai soit de 15 jours au lieu de 8.
M. Gendebien. - J’y consens.
M. Legrelle. - Alors je n’ai plus rien à dire.
M. d'Hoffschmidt. - Je modifierai ainsi mon amendement : « Dans les parties agglomérées des communes de 5,000 habitants et au-dessous. »
M. Dubois. - Je propose par sous-amendement de substituer le chiffre de trois mille habitants à celui de cinq mille.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je pense qu’on peut sans inconvénient adopter la proposition de la section centrale amendée par MM. Brabant et Gendebien, car elle n’apporté aucune modification à la législation existante ; elle ne consacre pas l’obligation de soumettre les plans de bâtisse, mais elle suppose que c’est le collège des bourgmestre et échevins qui sera chargé de donner son approbation. Si l’obligation était absolue, illimitée, je pense que la question devrait de nouveau être examinée, car cela serait une espèce d’expropriation, si on écartait un plan de bâtisse.
Ceci suppose un plan de bâtisse régulièrement adopté et de l’exécution duquel le collège des bourgmestre et échevins serait chargé.
M. Gendebien. - Je vous prie de faire attention à une chose, c’est que s’il ne s’agissait pas de la faculté de soumettre une bâtisse à l’autorité communale, il serait inutile de le dire dans la loi ; il n’y aurait pas plus de raison d’en parler que de dire qu’il est permis à un fils de soumettre un plan de bâtisse à son père. Il ne faut pas de disposition législative pour cela. Cependant d’après le texte et toute la discussion, je vois une obligation formelle de soumettre les plans de bâtisse à l’autorité communale. Ainsi que la chambre ne vote la disposition qu’autant qu’elle se croie le droit d’imposer cette obligation.
Je pense qu’il faudrait, si l’on veut que l’amendement de M. d’Hoffschmidt atteigne le but qu’on se propose, restreindre la limite aux communes de 2,000 habitants.
M. d'Hoffschmidt. - J’ai proposé le chiffre de 5 mille habitants, pour faire passer mon amendement plus facilement. Mais je pense que le chiffre de deux mille habitants est préférable. Je m’y rallie.
M. Smits. - Il me paraît que l’obligation de soumettre les plans de bâtisse à l’autorité, ne résulte nullement du paragraphe 6 de l’article 87. Cet article porte : « Le collège des bourgmestre et échevins est chargé de l’approbation des plans de bâtisse proposés par les particuliers. » Ne résulterait-il pas de cette disposition que l’autorité n’aurait de droit d’approbation que des plans qui lui seraient proposés, et nullement sur les autres ? Je pense qu’il faut modifier ainsi cette rédaction :
« Les plans de bâtisse à faire par les particuliers, tant pour la grande que pour la petite voirie , etc. »
M. Legrelle. - Je crois que la section centrale n’a voulu autre chose qu’imposer une obligation. La chambre concevra comme l’a très bien fait observer M. Gendebien, que s’il ne se fût agi que d’une mesure facultative, il eût été inutile de le dire dans la loi. Cependant j’approuve l’amendement de M. Smits, parce qu’il rend mieux la pensée de la section centrale. (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement de M. d’Hoffschmidt modifié par M. Gendebien est mis aux voix et adopté.
Ceux de MM. Brabant, Gendebien et Smits sont également adoptés.
L’article ainsi amendé est mis aux voix : « Le collège des bourgmestre et échevins est chargé de l’approbation des plans de bâtisse à exécuter par les particuliers, tant pour la grande que pour la petite voirie, dans les parties agglomérées de communes de 2,000 habitants et au-dessus ; il sera tenu de se prononcer dans la quinzaine, à partir du jour du dépôt des plans. »
- L’article est adopté.
La séance est levée à 4 heures 1/2.