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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 19 janvier 1835

(Moniteur belge n°20, du 20 janvier 1835)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi trois quarts.

Formation du comité secret

La chambre se forme en comité secret.

Lecture du procès-verbal

La séance publique est ouverte à 3 heures.

M. Brixhe donne lecture du procès-verbal de la précédente séance ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. Dechamps fait connaître l’analyse des pétitions suivantes.

« Le sieur J-P. Becker, père, demande le congé définitif pour son fils, qui s’est enrôlé en 1830 en qualité de sergent pour un terme de deux ans et qui est encore sous les drapeaux. »

« Le sieur J. Debuschere adresse des observations sur la loi relative aux sels. »

« Le sieur Louis Glorieux adresse des observations sur le projet de loi relatif à l’instruction. »

« Quinze brasseurs de la ville de Boom demandent qu’il soit opéré une réduction des droits sur la bière jeune et le vinaigre de bière. »

- Ces pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.


M. Pollénus et M. Rouppe demandent un congé pour motif de sante.

- Accordé.

Projet de loi portant le budget du ministère de la justice de l'exercice 1835

Second vote et vote sur l’ensemble

Les amendements introduits dans le budget de la justice sont successivement confirmés par le vote de la chambre.

La chambre procède à l’appel nominal sur l’ensemble de ce budget ; en voici le résultat :

69 membres sont présents.

2 s’abstiennent.

67 prennent part au vote.

65 ont répondu oui.

2 ont répondu non.

La chambre adopte.

Ont répondu oui : MM. Verrue-Lefrancq, Bekaert, Berger, Van den Wiele, Brixhe, Coghen, Cols, Corbisier, Cornet de Grez, Dams, Dautrebande, de Behr, de Foere, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Puydt, de Renesse, Dechamps, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Stembier, de Terbecq, de Theux, d’Hane, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubois, Dumont, Dumortier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Hye-Hoys, Jadot Lebeau, Milcamps, Morel-Danheel, Polfvliet, Troye, Quirini, Raikem, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Schaetzen, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux, Ullens, Vanderbelen, Vanderheyden, van Hoobrouck, Verdussen, C. Vuylsteke, L.Vuylsteke, Wallaert, Watlet, Zoude.

Ont répondu non : MM. Gendebien, de Robaulx.

Se sont abstenus : MM. Fleussu, Pirson.

M. le président. - Les membres qui se sont abstenus sont invités à vouloir bien faire connaître les motifs de leur abstention.

M. Fleussu. - Je me suis abstenu parce que je n’ai pas assisté à la discussion.

M. Pirson. - Je me suis abstenu parce que je n’étais pas présent lors de la discussion des articles.

Projet de loi portant le budget du ministère de l'intérieur de l'exercice 1835

Discussion générale

M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, si je prends la parole sur l’ensemble, c’est moins pour faire des interpellations que pour faire connaître d’avance les motifs qui dirigeront mes votes lors de la discussion des articles. Et je le déclare, ils n’auront pas tous mon assentiment. Je suis d’avis que nombre de crédits pétitionnés peuvent être ajournés, et je suis d’intention d’en demander l’ajournement, ce que j’ai déjà fait à la section centrale dont j’avais l’honneur de faire partie. Les motifs qui me portent à ne pas consentir à diverses dépenses, au moins pour le moment, je les ai déduits dans la discussion du budget des relations extérieures, lorsque M. le ministre a réclamé un crédit de 20,000 fr. pour ameublement de son ministère.

Sur le rapport de cette dépense je suis satisfait, si les faits sont exacts. J’ai appris que quoique la chambre ait adopté cette proposition, l’honorable M. de Muelenaere n’est pas d’intention d’en disposer pendant le cours de l’année 1835. De manière qu’une cause que je croyais avoir perdue, en résultat j’espère l’avoir gagnée. Je suis persuadé que M. de Muelenaere réserve cette somme pour être mise à la disposition du ministre de la guerre dans le cas d’une agression, agression qui aura d’autant moins lieu que nous serons plus en disposition de la repousser : c’est donc en vue d’augmenter les moyens de faire face aux dépenses en cas de guerre, sans être obligés d’avoir recours à des emprunts, que je proposerai les ajournements des crédits demandés par M. le ministre de l’intérieur pour dépenses que je ne considère pas urgentes et qui peuvent être différées. Ces diverses économies sur tous les budgets donneront un chiffre assez élevé, et qui peut être porté à des millions d’après mes prévisions.

J’attendrai la discussion des articles pour proposer mes observations et demander les réductions, quand on sera occupé à discuter les articles que je crois susceptibles d’ajournement ou de suppression. Pour le moment, je crois inutile d’en dire davantage sur ce sujet.

Au surplus, j’en suis bien persuadé, quand même la chambre adopterait les diverses propositions de dépenses que j’ai l’intention de combattre, à l’exemple de M. le ministre des relations extérieures, M. de Theux ajournera les travaux les moins urgents pour avoir une réserve à reporter aussi au budget de la guerre.

Le cas échéant, j’ai assez de confiance dans sa prudence, et je n’en doute nullement, il ne fera les dépenses de moyenne importance que quand les apparences de guerre seront dissipées ; il en sera de même des autres ministres, leur patriotisme en est le garant, et j’en suis bien persuadé, M. le ministre de la justice n’emploiera les 70,000 francs lui alloués pour la construction d’une nouvelle prison à Vilvorde, que lorsqu’il aura acquis l’espoir fondé que cette somme ne serait pas nécessaire à la défense du pays en cas d’une agression de la part de la Hollande, qui dans mon opinion y pensera à deux fois quand elle nous saura en mesure de lui résister, et sur ce point je suis fort tranquille pour le moment actuel.

Notre armée brûle du désir de prendre sa revanche, elle n’a pas oublié qu’elle fut surprise en août 1831 et que, quoiqu’elle eût à faire face à un ennemi quatre fois plus nombreux, sans une fatalité qu’il est difficile de s’expliquer, mais qui n’est pas sans exemple, elle aurait complètement battu l’année hollandaise et ramené en triomphe la presque totalité de son matériel. On n’ignore pas qu’un corps de cette armée fut mis en déroute, de telle manière que 16 pièces d’artillerie furent abandonnées et auraient été prises si on avait poursuivi, après l’action, le corps ennemi en fuite.

Je n’en dirai pas davantage sur cette malheureuse campagne ; notre position actuelle est tout autre, et je le répète, je ne crains pas une agression ; mais je la craindrais si nous n’étions pas en mesure, et principalement si nous n’avions les fonds nécessaires à la dépense. On ne doit pas oublié que l’argent est le nerf de la guerre ; c’est donc pour ce motif que je demande que le gouvernement soit en mesure de pouvoir en mettre à la disposition du département de la guerre sans trop charger les contribuables sans nécessité, qui d’ailleurs sont disposés à faire tous les sacrifices pour maintenir l’indépendance du pays et repousser une domination étrangère.

On me fera peut-être observer que déjà nous avons pourvu à certaines dépenses en cas éventuel de guerre par une augmentation de 10 centimes additionnels sur tous les impôts. Je répondrai que 7 millions environ que doit produire cette augmentation, augmentés des économies à faire sur nos dépenses, ne suffiraient même pas en cas de guerre. Mais, messieurs, au moment où nous grevons le pays d’une augmentation d’impôt, ne devons-nous pas, pour justifier la nécessité de l’augmentation, provoquer les économies les plus minutieuses sur les dépenses les moins importantes ? Par-là vous ne donnerez pas prise aux ennemis du pays de se prévaloir près de la classe la moins instruite de la nation, en lui faisant apercevoir que le gouvernement impose de nouvelles charges pour faire des dépenses peu importantes et dont on pourrait se passer pour le moment. En un mot comme en cent, je réclame des économies bien entendues et non des mesquineries.

Ces économies tendent à avoir une caisse de réserve en cas de guerre et qui pourra servir plus tard à faire face aux dépenses que nous aurons ajournées si on nous laisse en paix, qui ne sera pas troublée si nous sommes préparés à la guerre. Si vis pacem, para bellum, dit le vieux proverbe.

Quant aux dépenses urgentes et qui sont destinées à produire des améliorations promptes et sensibles, et de nature à satisfaire les masses je serai toujours disposé à les accueillir favorablement, entre autres celles qui donneront des communications à bon marché aux localités qui en manquent. Quand je parle de communications à bon marché, il est bien entendu qu’il s’agit de routes en pierre et non en fer. On sait que je ne suis pas grand partisan de ces sortes de routes (ce qui est peut-être le résultat de mon ignorance sur cette matière) :

1° Parce qu’elles coûtent trop cher.

2° Parce que nos voisins qui traversent notre pays vont si vite qu’on n’a pas le temps de saisir leurs traits.

3° Et finalement pour le motif que par leur rapidité les wagons qui les parcourent s’entrechoquent souvent et donnent la mort aux voyageurs qu’ils transportent, et qui vont ainsi à l’autre monde plus vite que s’ils voyageaient sur nos pavés. (Voir ce qui s’est passé plusieurs fois à St-Etienne.)

J’ajouterai que dans mon opinion ces sortes de communications ne sont pas d’une utilité générale et qu’elles ne rapporteront pas pour leur entretien et payer la rente ; il en est autrement des routes ordinaires.

En finissant, et pour ne pas laisser perdre l’usage d’interpeler MM. les ministres quand on discute leurs budgets, je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il ne nous présentera pas un projet de loi tendant à obtenir une augmentation de fonds à employer à la construction de nouvelles routes, projet de loi dans le genre de celui qu’a soumis à la chambre, il y a près d’un an, l’honorable M. de Puydt, notre collègue.

Si je suis bien informé, c’est l’intention de M. le ministre : ce projet présenté, il resterait à savoir si M. de Puydt voudrait s’y rallier ou non.

La chambre alors déciderait auquel des deux projets on donnerait la préférence.

Pour mon compte, je crois que de toutes les dépenses une des plus urgentes est la construction des communications (je le démontrerai quand nous serons parvenus au chapitre IX, articles routes), et je crois que ma tâche est facile : la majorité de la chambre est convaincue de l’utilité des routes.

M. Doignon. - L’année dernière, j’ai prié M. le ministre de l’intérieur de faire aux chambres un exposé de la situation administrative du royaume depuis 1830. Ce rapport avait été promis pour la session actuelle. Je rappellerai à M. le ministre actuel la promesse faite par son prédécesseur. Cette tâche lui sera d’autant plus facile que tous les rapports des gouverneurs sur l’état de chaque province lui sont maintenant parvenus.

Nous lisons dans le rapport de la section centrale qu’on peut aujourd’hui regarder comme définitivement arrêtées la plupart des dépenses du budget de l’intérieur, parce que trois fois la législature les aurait discutées et sanctionnées.

Pour ma part, je ne puis admettre cette conséquence. Je persiste à penser qu’en général toutes les dépenses de l’Etat ont été portées sur une échelle trop élevée. Depuis quelques années, mes honorables amis, MM. Dubus et Dumortier, ont fait d’inutiles efforts pour faire entrer la chambre dans la voie des économies. D’abord, leurs propositions avaient même ordinairement l’assentiment des sections particulières ; mais, arrivées en séance publique en présence du ministère, elles ont presque toujours échoué.

On pourrait croire, messieurs, que le pays lui-même ne veut pas d’économies puisque la majorité des chambres les rejette constamment. Quel est, messieurs, le membre du congrès qui n’eût pas été péniblement affecté à la vue des chiffres actuels de nos budgets !

Pour nous, quoique nous ayons perdu l’espoir de faire adopter le système d’économie, nous n’en persistons pas moins à protester contre l’élévation des chiffres de tous nos budgets nous croirons toujours que notre premier engagement envers nos commettants est de réduire les dépenses de l’Etat.

Mais plus nous avancerons, plus il deviendra difficile et presque impossible d’introduire des réductions, parce qu’à la longue, des dépenses trop longtemps consenties deviennent des nécessités dont on ne peut plus se passer. Bientôt ces mêmes dépenses ne paraissent plus aucunement excessives, et au moindre retranchement proposé, l’on s’écrie que le service en sera entravé ou désorganisé.

L’on a eu soin de faire remarquer que plusieurs impôts existants avant la révolution sont disparus ; mais ne doit-on pas se rappeler que l’état des choses à cette époque était devenu insupportable, et que c’est précisément pour secouer ce joug que le Belge a fait la révolution ? Veut-on aujourd’hui faire renaître plus tard les mêmes plaintes ?

C’est, d’ailleurs, la maxime la plus fausse que de dire qu’il n’y a point d’inconvénient à augmenter la dépense quand le contribuable peut payer. Lorsque le contribuable jouit de quelque aisance, ce qui n’est même pas vrai dans le moment actuel, lui seul doit en tirer tout le profit, et jamais une semblable raison ne peut légitimer un surcroît de dépenses.

Si, comme le pense aussi notre ancien ministre des finances, M. Coghen, l’Etat est en déficit de 11 millions indépendamment des arrérages de la dette, comment ne voit-on pas la nécessité indispensable d’embrasser un nouveau système à l’égard des dépenses ? D’après notre horizon politique actuel, il est plus que probable que M. le ministre des finances se décidera, suivant la promesse qu’il en a faite lui-même, à faire arrêter la perception de la subvention de guerre de 10 p. c. ; mais, dans tous les cas, je ne consentirai jamais à ce que ce nouvel impôt concourre à couvrir l’excédant de dépenses qui est le résultat d’une mauvaise administration. Ce n’est qu’au moyen d’économies admises chaque année successivement qu'on doit faire disparaître un pareil déficit.

Il paraît que le ministère de l’intérieur a expédie 30 à 40 mille affaires dans le courant de 1834. Je dois rendre justice au zèle infatigable de notre nouveau ministère. Mais ce seul fait démontre à l’évidence que nous vivons toujours et plus que jamais sous le régime de la centralisation. Comment le ministère ne peut-il pas comprendre cette vérité que, dans tout gouvernement représentatif, le pouvoir sera d’autant plus fort qu’il aura moins d’action ! Dans un tel gouvernement, son action trop multipliée produit naturellement des réactions et quelquefois même des résistances. Que l’Etat ait l’œil partout, c’est ce qui doit être ; mais il est de son propre intérêt d’agir le moins souvent possible : qu’il suive en cela l’exemple de l’Angleterre où l’action ministérielle et pour ainsi dire subordonnée à celle du parlement, même dans les affaires de localité.

L’ordre public est aujourd’hui un mot magique dont on se sert toutes les fois qu’on essaie de fausser notre système représentatif ou de porter quelque atteinte grave à nos libertés institutionnelles.

J’ai vu avec le plus vif regret quelques membres des plus modérés de cette assemblée reprocher formellement à M. le ministre de l'intérieur de vouloir asservir les communes. Je me plais à croire qu’au deuxième vote de la loi communale il se montrera plus libéral que son prédécesseur. C’est au ministère actuel qu’il appartient de mettre enfin un terme à ces violations de la constitution dont nous n’avons vu que trop d’exemples sous le ministère précédent.

Le Belge veut être administré avec douceur et selon la justice. Le gouvernement ignore probablement qu’il est encore nombre de fonctionnaires et d’employés au ton dur et hautain envers les administrés comme sous le gouvernement hollandais et qui se plaisent à faire de l’arbitraire. La bonté du peuple belge lui donne droit assurément à d’autres procédés. Il en est encore qui dans le langage comme dans leurs actions, s’étudient à faire regretter l’ancien ordre de choses. Ces observations sont applicables à tous les départements ministériels. La nouvelle organisation administrative nous délivrera sans doute d’une partie, au moins, de ce reste impur de l’administration hollandaise. C’est dans cet espoir que le peuple les supporte en silence et avec patience, et les lois et les magistrats n’en sont pas moins respectés partout.

M. le ministre de l'intérieur doit s’occuper incessamment de l’exécution de la dernière loi sur la garde civique ; je le prierai de la borner au strict nécessaire. Cette institution est très onéreuse pour les habitants. Je verrais avec peine qu’on voulût faire de chaque Belge un soldat comme dans les Etats prussiens. L’habit militaire produit des mœurs militaires, et ces mœurs ne conviennent point comme dans la Prusse au caractère de notre peuple. Il n’est que trop vrai que les corps de garde sont pour notre jeunesse des écoles de démoralisation.

Je repousserai avec M. le ministre de la justice l’absurde inculpation que le ministère actuel serait dominé ou influencé par un parti. Ce prétendu parti serait le clergé catholique. Mais si celui-ci exerçait sur le gouvernement l’influence qu’on lui suppose, le ministère aurait-il presque aussitôt après son avènement envoyé pour gouverneurs de province quelques hommes notoirement connus pour leur peu de sympathie pour la religion de l’immense majorité des Belges, ou plutôt par leur intolérance, déguisée néanmoins sous les dehors de la bienveillance et par cela même plus dangereuse encore ?

L’article 16 de la constitution a consacré la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Si celle-là usurpait les droits de celui-ci, mon serment me ferait un devoir d’élever la voix contre de pareilles usurpations. Pour moi, je suis persuadé que ces suppositions sont imaginaires et inspirées elles-mêmes par l’esprit de parti ou la passion.

Une religion, dont l’origine est toute divine, est assez puissante par elle-même, et elle n’a pas besoin de la protection des gouvernements pour se maintenir et se propager ; elle ne veut que sa liberté et la jouissance du droit commun. Une expérience de plus de 50 ans a prouvé au contraire que, chez nos voisins comme en Belgique, elle a rencontré dans les ministère des coteries anticatholiques, et cet esprit d’intolérance et même de persécutions qui, dans ce siècle, déshonore tant d’hommes de haut mérite.

J’ose assurer que la nation a désapprouvé le ministère actuel d’avoir appelé aux fonctions de gouverneur de province quelques hommes qui, s’ils sont fidèles à leurs antécédents, conspireront dans leur administration contre nos franchises provinciales et communales. Ce fut à mes yeux un acte de faiblesse surpris à un ministère qui venait de naître et qui tremblait encore devant une mesure énergique ; mais j’ai assez de foi dans le courage de nos nouveaux hommes d’Etat, pour espérer qu’ils sauront un jour réparer cette faute. Ce grief ne m’empêchera donc pas de prêter mon appui à leur administration.

Il paraît que la ville de Bruxelles et son arrondissement fourmillent en ce moment de malfaiteurs condamnés et libérés arrivés de l’étranger : il convient donc de faire aussitôt la loi des étrangers, sans attendre la fin de la discussion des budgets comme le proposait dernièrement M. le ministre de la justice. Il y aurait d’autant plus d’imprudence de différer l’adoption de cette loi que, d’après la déclaration de M. le ministre, nous n’avons absolument aucune législation sur la matière et qu’ainsi l’entrée du pays est libre à tout étranger sans aucune distinction ni réserve.

A l’occasion de ces criminels libérés par le pouvoir royal, la chambre me permettra de lui faire observer qu’il conviendrait de régler par la loi, au moins comme en France, le droit du pouvoir exécutif de remettre ou réduire les peines. En France, les lettres de grâce ou de réductions de peines doivent être entérinées par la cour d’assises qui en donne lecture au condamné en audience publique. Celui-ci entend ordinairement une allocution du président de la cour.

Enfin il me semble qu’il faut également se hâter de faire une loi répressive du duel. Depuis même nos dernières discussions, de nouveaux combats ont eu lieu ou se préparent. M. le ministre de la justice a pensé qu’on pouvait attendre sans inconvénient les décisions de la cour de cassation. Mais lors même que cette cour déclarerait que le code pénal est applicable au duel proprement dit, ce que je ne pense pas, comme il est reconnu que les peines portées par ce code sont trop sévères, il faudrait dans tous les cas faire une loi nouvelle. Il n’existe donc aucun motif pour différer plus longtemps la présentation d’un projet de loi sur cette matière.

Y a-t-il rien de plus urgent que d’arrêter l’effusion du sang de nos concitoyens ? D’après la législation des Etats-Unis, toute personne qui se bat en duel, qui provoque, accepte ou envoie un cartel, ou qui sert de témoin ou de second, est déclaré inhabile à toutes fonctions civiles et militaires et est par cela seul déchu de ces mêmes fonctions. En Autriche l’officier qui se bat en duel est dégradé.

Ces peines me paraissent conformes et proportionnées à la nature même du crime : le législateur doit flétrir une action qu’un faux point d’honneur fait regarder comme honorable. Ces dispositions pénales sont sans doute incomplètes, mais elles seraient selon moi un moyen efficace pour prévenir dès à présent le duel dans beaucoup de circonstances.

Il est, je le sais, une espèce d’injure dont on ne peut obtenir la réparation en justice réglée ; mais l’intérêt de l’amour-propre, tout légitime qu’il puisse être, doit se taire vis-à-vis de l’humanité et de l’intérêt de la société.

M. Dumortier. - Messieurs, c’est en vain que chaque année l’on élève la voix pour obtenir la réduction des dépenses de l’Etat. En toute circonstance, et je le regrette vivement, vous préférez aux propositions de réduction faites par les sections centrales que vous avez nommées les demandes de majoration que vient vous faire le gouvernement. Or, à coup sûr, ces majorations auront tôt ou tard une funeste influence sur la situation du pays.

Dans l’opinion que je professe, nous devons profiter des circonstances où nous nous trouvons pour limiter les dépenses au strict nécessaire, écarter tout ce qui n’est pas indispensable pour la formation du budget, en un mot ne voter que des allocations qui ne sont pas susceptibles de remises. Si ce système avait été suivi, si l’on avait réduit les dépenses, la majoration d’impôts que nous avons récemment votée eût été inutile.

Depuis la révolution, nous avons vu chaque année le budget augmenté progressivement. Veut-on nous faire voter une dépense nouvelle ?

On vous la propose à titre de dépense extraordinaire ; et on la présente aux budgets des années suivantes avec un chiffre de plus en plus élevé. C’est ainsi que de budget en budget s’augmente la boule de neige qui finira par devenir une avalanche. (Rires d'approbation.)

Le budget sur lequel nous sommes appelés à voter en ce moment présente (tant par les chiffres proposés par le ministre précédent que par ceux proposés par le ministre actuel) une augmentation de dépenses de plus de 1.200,000 fr. sur le budget de l’année dernière. Pour ma part, je déclare formellement que je voterai contre toute demande d’augmentation, que je voterai pour toutes les réductions qui pourront être proposées, et que je croirai ne pas être de nature à entraver le service public.

Il ne faut pas croire, messieurs, que ce soit en augmentant tous les ans d’un million le budget de chaque département que vous ferez des partisans à notre révolution. Lorsque le gouvernement provisoire qui représentait si bien les besoins de la Belgique, fonda un journal où il devait faire insérer ses actes officiels, il lui donna pour devise : « Liberté, Economie. » Cette devise sera toujours la mienne. Je veux que la Belgique ait toute la liberté compatible avec l’ordre public, toute l’économie compatible avec une bonne administration. Si vous n’entrez pas, messieurs, dans cette voie d’économies, quel avenir réservez-vous au pays ! (Erratum au Moniteur belge n°21, du 21 janvier 1835 :) Pour toutes les personnes qui ont examiné notre état financier, cet avenir est loin d’être rassurant, si toutefois nous devons être condamnés à payer la dette hollandaise. Je ne répèterai pas des calculs que j’ai déjà eu l’honneur de soumettre plusieurs fois à la chambre. Mais il est incontestable que si la Belgique doit payer la dette, son budget dépassera 100 millions. Par conséquent nous devrons augmenter considérablement les impôts du pays.

Quel sera le résultat d’un pareil système ? De nous faire rentrer dans la voie des révolutions. Il ne s’agit pas en effet ici des hommes qui pensent, qui réfléchissent ; le nombre de ceux-ci n’est malheureusement que trop faible. Etait-ce dans des intérêts moraux que le peuple qui seul a fait la révolution avait puisé des griefs contre le gouvernement déchu ? Non sans doute, et son principal grief était l’élévation des impôts et les vexations fiscales que ces impôts entraînaient à leur suite. Si donc vous amenez la Belgique au système financier du roi Guillaume, vous faites renaître tous les éléments de la révolution. C’est ce que le gouvernement ne devrait jamais perde de vue. Lorsque vous demandez à la chambre des augmentations de dépenses, vous préparez un précipice, un gouffre sous vos pieds.

C’est une faute grave que la chambre a commise d’augmenter chaque année le budget des dépenses. Je dois déclarer que je voterai contre la majoration de l,200,000 aujourd’hui sur le budget de l’intérieur, et que je me prononcerai pour les chiffres adoptés dans le budget de l’an dernier.

Je me hâte de dire que j’ai vu avec beaucoup de plaisir M. le ministre de l’intérieur se rallier à la proposition de supprimer un crédit d’un demi-million, sous le titre « hygiène publique. » Comme si, à défaut de cet article du budget, il n’y avait pas d’hygiène publique en Belgique ; en vérité, c’est une honte pour le pays. Cette allocation n’avait d’autre but que de donner de belles rues à quelques grandes villes, et de mettre à la charge de tous des dépenses qui doivent être à la charge des localités.

Indépendamment de ce crédit d’un demi-million, il y a 700,000 fr. de majoration sur le budget de l’année dernière. C’est là ce que je désapprouve. Je désapprouve notamment l’augmentation de deux ou trois cent mille francs proposée à titre de construction de bâtiments. Car, puisque les bâtiments actuels ont suffi jusqu’à présent, pourquoi faudrait-il en créer de nouveaux ?

Il est encore un point sur lequel j’appellerai votre attention. L’an dernier un crédit fut demandé à la chambre pour reconstruire le palais du ministère de la justice ; la chambre a refusé ce crédit ; elle a déclaré que dans les circonstances actuelles elle ne devait pas allouer une somme considérable pour construction de bâtiments dont on pouvait facilement se passer comme précédemment. Malgré une volonté aussi formellement exprimée, ces constructions s’élèvent maintenant. Je demande si les fonds nécessaires n’ont pas été détournés d’un autre article du budget, de celui des fêtes nationales, des fêtes de septembre.

Je ne garantis pas ce fait, je n’en ai pas la preuve ; mais j’ai de très fortes raisons de croire qu’il en a été ainsi. Dans tous les cas, je désire que M. le ministre de l’intérieur veuille bien me dire où ont été pris les fonds employés à cette construction pour l’allocation proposée. Si un ministre était ainsi en droit de détourner les fonds d’un article et de les porter sur un autre, ce serait en vain que nous nous occuperions de discuter et de voter des budgets. Il ne nous resterait qu’à fermer l’enceinte de la représentation nationale.

Et veuillez remarquer, messieurs, que pour obtenir le visa de la cour des comptes relativement à une dépense rejetée par la chambre, on a dû l’induire en erreur. Sans quoi, assurément, la cour des comptes, cette émanation de la représentation nationale, n’aurait pas approuvé la dépense. Ce fait est d’une haute gravité, car la constitution dit formellement (article 116) qu’aucun article des dépenses du budget ne doit être dépense et qu’aucun transfert ne doit avoir lieu.

Je n’en dirai pas davantage. Je le déclare de nouveau : je voterai pour toutes les économies, je voterai contre toutes les majorations proposées au budget. Je ne crois pas que nous soyons dans une position à pouvoir augmenter chaque jour les dépenses de l’Etat. Vous connaissez l’état du trésor, vous savez que dans ce moment nous avons un déficit de 12 millions, qui n’est couvert que par les bons du trésor. Ce déficit augmentera encore par suite du vote relatif à la route en fer, dont la construction aurait dû être abandonnée à des concessionnaires. C’est là une grande faute que vous avez commise. C’est une faute au reste que la chambre commence à reconnaître ; car elle voit bien que ces déficits successifs nous mettront dans la nécessité de créer de nouveaux emprunts.

A cet égard, je dois dire que j’ai été vivement étonné de voir que le gouvernement n’avait pas demandé dans le budget de cette année une allocation pour la construction de la route en fer qui s’exécute actuellement. La constitution est formelle sur ce point ; son article 115 porte : « Chaque année, les chambres arrêtent la loi des comptes et votent le budget. Toutes les recettes et dépenses de l’Etat doivent être portées an budget et dans les comptes. » La route en fer doit donc figurer au budget comme tout autre objet.

Il ne faut pas que le gouvernement pense que la loi votée sur la route en fer le dispense de porter au budget les dépenses qu’elle entraîne. Cette loi est une loi de principe qui est subordonnée à la loi générale du budget. C’est ainsi que vous avez adopté une loi relativement au traitement des membres de l’ordre judiciaire, et que chaque année le gouvernement vient demander l’application de cette loi dans la loi du budget. il doit en être de même relativement à la route en fer. Alors la discussion se renouvellera, et la chambre verra si elle doit perpétuer des dépenses qui sont de nature à mettre le pays dans la situation financière la plus déplorable.

Je me résume. Je demande à M. le ministre de l’intérieur s’il n’est pas vrai que, pour la construction du ministère de la justice, on ait détourné des fonds votés par la chambre pour célébrer, par des fêtes, l’anniversaire de la révolution : en d’autres termes, sur quels fonds a été prise la somme nécessaire pour le rétablissement du palais van Maanen, dépense que la chambre avait rejetée. En second lieu, je demande à M. le ministre de l’intérieur pourquoi le gouvernement ne pétitionne pas de fonds pour la construction de la route en fer ; ou bien s’il s’abstient de toute demande à cet égard parce qu’il serait dans l’intention de ne pas faire continuer les travaux. Ce dont pour ma part je le féliciterais grandement.

M. de Robaulx. - Puisque chacun questionne MM. les ministres, je me permettrai de leur adresser également quelques questions.

J’ai entendu l’honorable M. Doignon qui nous a fort bien expliqué comment la religion catholique n’a aucune influence sur le gouvernement. Pour preuve il nous a cité la nomination d’un gouverneur qui n’aurait, a-t-il dit, aucune sympathie pour la religion catholique. Il a paru vouloir indiquer la nomination du gouverneur de la province de Namur, et faire allusion à l’opinion développée par M. Lebeau devant le congrès national relativement au mariage, dans la discussion de l’article 16 de la constitution. N’est-il pas vrai, M. Doignon ?...

La nomination des gouverneurs comme tous les actes officiers du gouvernement sont dans le domaine de la critique de la chambre, car ces nominations engagent la responsabilité du ministère.

Je ne suis pas plus grand partisan que M. Doignon de M. Lebeau, ni surtout du système qu’il a introduit dans les affaires du pays. A cet égard, lorsque M. le ministre de l’intérieur voudra bien nous donner des explications relativement à cette nomination, je serai curieux d’apprendre si l’on a voulu par là donner un démenti à l’opinion publique qui avait paru avoir quelque confiance dans la retraite du précédent ministère, ou si cette nomination n’est pas due à la reconnaissance toute personnelle de certain personnage, et si par conséquent elle ne doit pas être considérée comme un acte politique du nouveau cabinet.

Quoi qu’il en soit, si cette nomination prouve le défaut d’influence d’un parti que M. Doignon a désigné lui-même, je demande de mon côté que l’on explique la nomination de personnes hostiles autant que Lebeau, sinon davantage, à toutes nos libertés, par exemple, la nomination du gouverneur de Gand. Bien certainement, M. Doignon ne voit pas cette nomination du même œil que celle du gouverneur de Namur.

M. Van Hoobrouck. - Je demande la parole.

M. de Robaulx. - Vous vous le rappelez, messieurs, ce nouveau gouverneur a déclaré qu’il voulait l’arbitraire bien large ou bien vague ; je ne me rappelle pas lequel des deux.

M. Gendebien. - C’est l’un et l’autre.

M. de Robaulx. - C’est l’un et l’autre ; fort bien. Eh bien, lorsqu’un homme a fait une pareille profession de foi politique, et qu’il est ensuite revêtu de la confiance du gouvernement au point qu’il le charge de l’administration de toute une province, je ne puis moi-même guère accorder de confiance au gouvernement, car je suppose qu’il sympathise avec celui qu’il a nommé.

Je ne veux pas trop m’étendre sur chaque nomination, car il va quelque chose de désagréable à s’occuper de questions personnelles. Toutefois on me permettra de témoigner mon regret de ce que d’honorables gouverneurs ont été éloignés de leurs fonctions sans qu’on puisse savoir pourquoi. Nous avons vu des vieillards, rompus aux travaux administratifs, dans lesquels leurs cheveux avaient blanchi, écartés de l’administration sans qu’on leur fît connaître le sujet de leur disgrâce. (Bruit.) Oui, des vieillards ; et si on en doute, j’en citerai un, M. de Puydt.

Quand on a fait une espèce de coup d’Etat, un coup d’Etat de second ordre, il me paraît qu’à l’occasion du budget on doit s’expliquer sur ce qui a donné lieu à de tels changements. Le ministre de l’intérieur doit profiter de l’occasion pour nous donner satisfaction à cet égard.

Un autre point sur lequel je veux appeler l’attention du ministre de l’intérieur, s’il est encore en séance, car je ne le vois plus à son banc…

M. le ministre des finances (M. d'Huart). - Il est sorti momentanément ; mais je prendrai note de ce qui sera dit.

M. de Robaulx. - Je veux, messieurs, vous entretenir des routes. On sait que, dans un pays essentiellement industriel comme la Belgique, tous les moyens de rendre les transports moins coûteux ont une influence éminente à l’étranger pour les échanges du commerce. Jusqu’ici quelques provinces n’ont point à se plaindre sous le rapport des communications. Mais il en est d’autres qui ne sont pas aussi heureuses.

Quoique je ne sois pas député de ces provinces, j’appellerai sur elles la sollicitude du gouvernement. Il s’agit de la province du Luxembourg, d’une partie de la province de Liége, du Condroz, de la Hesbaye, et des Ardennes. Il y a dans ces contrées un espace considérable de terrains qui, manquant de communication, n’est pas livré à l’agriculture. La faute en est-elle au gouvernement, en est-elle aux habitants, ou en est-elle aux députés qui n’ont pas pris assez à cœur les intérêts d’une partie si importante du royaume ? Je ne sais. Est-ce par oubli, ou est-ce parce que l’on ne connaît pas la situation de ces contrées qu’on ne s’en occupe pas ?

J’ai parcouru une partie du Condroz, et je puis assurer qu’il n’y a que le manque de routes qui empêche de rendre ce pays aussi fertile qu’il devait l’être. La fertilité serait aussi grande que dans le Hainaut et d’autres provinces qui prospèrent par l’agriculture et l’industrie. Les contrées que je désigne sont négligées ; elles n’ont pas obtenu ce qu’elles doivent obtenir. Cependant elles concourent comme les autres aux impôts.

Si on envoyait de temps en temps des agents chargés de recueillir des renseignements sur la position des différentes parties du pays, bien certainement on aurait avisé aux moyens d’étendre les bienfaits de l’agriculture dans ces points isolés maintenant du reste du royaume. Quand on a un territoire aussi resserré que le nôtre, qu’on rogne à chaque instant, et qui peut-être va l’être encore par suite de nouvelles transactions diplomatiques, il faut faire usage de tout ce que l’on a.

Je n’en dirai pas davantage sur un objet aussi important, et je passerai à un autre qui ne l’est pas moins.

Je regrette que nous n’ayons pas encore de décision de la commission des mines. Personne n’ignore que, depuis la révolution, on n’a point fait de concession de mines de charbon. Je ne demanderai pas qu’on fasse des concessions pour toutes les mines ; pour celles de fer, par exemple car elles ne donnent lieu qu’à des abus. Je ne parlerai ici que des mines de houille, qui doivent donner lieu à des concessions. Une foule de requêtes sont adressées au ministère de l’intérieur ; il y a d’immenses capitaux rendus inactifs faute d’une loi sur la matière. Je le répète, il y a des sociétés formées pour l’exploitation des houillères, des capitaux immenses qui n’attendent que le moment d’être en activité.

Il y a des demandes qui ont subi toutes les épreuves administratives, et qui peuvent être accordées sur-le-champ : le ministre le dira. Plus nous retarderons de porter une loi pour remplacer le conseil d’Etat en ce qui concerne les mines, et plus le nouveau conseil aura d’affaires à examiner, moins par conséquent il pourra donner d’attention à chacune. Il serait donc forcé de se décider à la légère et sans maturité. Ainsi il y a nécessité de prendre promptement des mesures pour statuer sur les demandes en concession faites depuis longtemps.

Messieurs, j’ai vu avec un certain regret que dans un moment où on nous demande des suppléments de contributions, où l’on reconnaît que nous sommes obérés, on fasse tant de constructions en palais pour des évêques et des archevêques. Je crois que l’on devrait être sobre de pareilles constructions. Je voudrais qu’on les réduisit au simple nécessaire. Ce n’est pas le moment de bâtir des palais, de dépenser beaucoup d'argent en travaux somptueux, quand d’un instant à l’autre nous pouvons avoir besoin de toutes nos ressources. Comment peut-on songer à absorber une partie de nos revenus lorsque les questions les plus graves ne sont pas décidées, celles relatives à notre nationalité et à notre indépendance !

Si vous trouvez que vous avez des fonds disponibles, je les réclamerai dans l’intérêt de l’instruction primaire et secondaire qui n’est pas dans un état florissant, s’il faut en croire les rapports faits plusieurs années de suite.

Si on veut faire des largesses pour la religion je serais d’avis qu’on accordât un traitement suffisant aux vicaires et aux curés, gens dont nous avons besoin dans les communes, qui y exercent un ministère utile ; ceux-là sont le petit peuple parmi le clergé et ne sont pas les mieux partagés.

Voilà les observations que j’ai cru devoir vous soumettre ; je me réserve de vous en présenter d’autres pendant la discussion des articles.

M. Van Hoobrouck. - Messieurs, un honorable orateur, dont l’opinion est d’un très grand poids dans cette chambre, s’est élevé avec une certaine amertume contre la nomination de notre collègue M. Vilain XIIII au gouvernement de la Flandre orientale. L’interprétation qu’il donne aux paroles prononcées dans une mémorable circonstance, lui fait craindre de la part du nouveau fonctionnaire une tendance vers l’arbitraire.

Messieurs, lié avec l’honorable M. Vilain XIIII d’une amitié qui a pris son origine sur les bancs de l’école, qu’une conformité de vues et de positions politiques n’a fait que resserrer depuis, j’ai pu apprécier les sentiments de toute sa vie, et je crois répondre à un devoir de justice et de vérité, en donnant à la chambre quelques explications sur le seul sens qu’on puisse attacher à l’opinion qu’il avait émise dans cette enceinte.

Après une longue et pénible session, vous êtes retournés dans vos provinces ; partout vous avez pu vous apercevoir que les plaies de notre mouvement politique commençaient à se cicatriser ; la confiance renaissait, le commerce et l’industrie avaient pris un notable accroissement, et nos dissensions intestines même s’effaçaient progressivement. Tout à coup le tocsin sonne au sein de la capitale. Une population effrénée se rue sur la propriété de paisibles citoyens et pendant deux jours promène dans la ville son hideux triomphe en présence de l’autorité, impuissante, et ce n’est que lorsque tout est consommé que l’ordre se rétablit.

Veuillez-vous rappeler, messieurs, quelle impression fit sur vos esprits l’annonce de ces fâcheux événements ; vous avez vivement ressenti la honte qu’ils imprimaient à l’intérieur sur notre révolution et le tort irréparable qu’ils nous faisaient aux yeux de l’étranger ; mais qui pouvait en calculer plus certainement les fâcheuses conséquences que celui qui avait eu pour mission spéciale de faire comprendre notre insurrection aux peuples de l’Europe, et de dissiper les préventions qu’elle avait fait naître ?

Est-il étonnant que, dans un instant de généreux abandon, il ait accusé l’inaction du pouvoir et fait un devoir à l’autorité à l’autorité, en cas d’insuffisance des moyens légaux, de recourir à l’arbitraire : non pas à cet arbitraire contre lequel nous avons lutté pendant quinze ans et qu’il a lui-même si courageusement combattu, mais à cet arbitraire exceptionnel qui est parfois une nécessité de position pour les gouvernements ! car tous les publicistes admettent qu’il est pour les sociétés comme pour les individus des devoirs antérieurs qu’ils ne sauraient méconnaître, sous peine d’existence, parce que les plus impérieuses de toutes les lois sont celles tracées par l’instinct de la conservation, et il serait peut-être utile d’examiner si cette nécessité de position n’est pas une maladie organique des corps constitutionnels, à laquelle ceux-ci ont plus sujets en raison même de la libéralité de leurs principes.

Quoi qu’il en soit, la Belgique régénérée n’a pu elle-même échapper à cet ordre de choses. Et si des circonstances peuvent parfois modifier le sens des mots, je dirais que les différentes administrations qui se sont succédé chez nous ont subi cette nécessité.

En effet, messieurs, lorsque le congrès national a prononcé la déchéance des Nassau de tout pouvoir en Belgique, et ainsi puni toute une génération future du crime de leurs ancêtres, qu’a-t-il fait si ce n’est de l’arbitraire ? Lorsque le régent mit hors la loi la seconde ville du royaume, et suspendit l’administration municipale qu’elle s’était donnée en vertu du seul principe qui légitimait le pouvoir suprême entre ses mains, qu’a-t-il fait si ce n’est de l’arbitraire ? Et il n’est personne en Belgique qui ait songé à faire à ces diverses administrations un crime d’avoir cédé à la force des circonstances.

Et si, après les journées des 5 et 6 avril, le ministère, justifiant la nécessité de recourir à des mesures extralégales, était venu vous demander un bill d’indemnité, j’ose affirmer que vous l’eussiez accordé à une immense majorité.

Il faut donc bien le reconnaître, messieurs, il est des vérités que tout le monde comprendra à merveille, mais pour lesquelles il n’est peut-être pas de mots dans le vocabulaire des assemblés délibérantes, et le seul tort qu’en pourrait reprocher à mon honorable ami, c’est d’avoir cru qu’il pouvait sans inconvénient épancher dans cette enceinte son coeur profondément ulcéré.

La position d’un homme d’Etat a cela de pénible qu’on s’empare presque toujours d’un acte isolé de sa vie, d’un parole ou même d’un geste, pour l’envisager sous une seule face, sans tenir compte des antécédents, qui seuls peuvent en expliquer le véritable sens : s’il en avait été autrement envers l’honorable M. Vilain XIIII, déploierait-on aujourd’hui ce luxe de rigueur à son égard ? Accuserait-on de tendance vers l’arbitraire un homme qui a osé braver le roi Guillaume, lorsque celui-ci était encore à l’apogée de son pouvoir et que tant d’autres étaient prosternés aux pieds de l’idole ? Et cependant les suggestions ne lui manquèrent pas à une époque ou les dignités et les honneurs n’étaient pas encore dépouilles de leurs prestiges, et où il fallait quelque courage pour résister à des séductions que tout, jusqu’à l’ambition si naturelle de la jeunesse, favorisait encore.

Mais, depuis qu’on a trouvé le secret de flétrir l’homme public, par cela seul qu’il renonce aux douceurs de la vie privée pour se charger des intérêts de tous, il faut plus que du courage, en sens inverse, pour ne pas reculer devant les dégoûts dont l’on entoure sa position. Messieurs, je le dis avec sincérité et franchise, je ne connais pas de dissolvant plus actif de toute organisation sociale que ce système de déconsidération que nous semblons avoir adopté envers les dépositaires du pouvoir, et ce n’est pas d’aujourd’hui qu’il constitue pour les gens à prévisions l’objet des plus sérieuses craintes pour l’avenir de la patrie.

M. de Robaulx. - Je demande la parole pour un fait personnel.

D’après le discours que vient de lire l’honorable préopinant, il semblerait que je me suis entendu avec lui. Je vous prierai de remarquer que mon opinion a été improvisée et que son discours est écrit, je me hâte de le déclarer, et je veux qu’on le sache bien, je n’ai eu aucune communication avec l’orateur. Mon étonnement est grand de voir dans un discours écrit la réponse aux réflexions que j’ai présentées : on sentait donc la nécessité de se défendre pour se préparer ainsi. Je donne ma parole d’honneur qu’il n’y a eu aucune communication, entre moi et M. Van Hoobrouck dont je ne partage pas les principes car il n’y a peut-être que lui qui osera avoir les mêmes principes que M. Charles Vilain XIIII.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, un honorable député s’est élevé contre la hauteur des dépenses publiques ; il vous a entretenus de la crainte que vous éprouverez en comparaissant devant vos commettants si vous surchargez les contribuables ; mais, messieurs, ce n’est pas en votant des dépenses utiles que vous aurez cette crainte ; vous l’auriez bien plus justement si vous refusiez de consentir à des dépenses réclamées dans l’intérêt général ; dans toutes les questions qui vont être débattues vous n’aurez qu’une chose à examiner, c’est si leur utilité est en rapport avec nos ressources.

Je conviens qu’il serait dangereux d’entrer dans un système de dépenses qui ne serait pas ainsi mesuré ; mais tant qu’il en sera autrement, et tant que les demandes du gouvernement seront utiles au pays, vous pourrez les consentir en toute sécurité. Et c’est dans cet esprit, sans doute, que nous avons entendu d’autres orateurs réclamer de nouvelles dépenses, pour des constructions de routes.

L’honorable député de Soignies qui a fait de telles réclamations a eu tort de penser que le gouvernement n’avait pas connaissance des besoins des localités qu’il a désignées ; ces besoins sont connus de l’administration ; elle ne désire rien plus que d’y pourvoir le plus tôt possible. Mais ce n’est pas avec 800,000 francs, qui forment l’excédant du produit des barrières sur les dépenses d’entretien, que l’on peut entreprendre des routes sur tous les points du royaume à la fois : il faut d’abord appliquer ces fonds à l’achèvement des routes commencées, et en réserver même une partie pour encourager l’esprit d’association qui commence à se manifester chez nous relativement aux entreprises de cette nature.

Un honorable membre désirerait que je présentasse à la chambre un projet de loi ayant pour objet les moyens d’achever le système entier de nos communications intérieures ; la section centrale a émis un vœu dans le même but ; ce voeu pourrait être pris en considération. Je crois qu’il serait possible, en levant un emprunt modique, dont le produit des routes formerait l’intérêt et l’amortissement, d’achever nos communications ; et ce serait là rendre un véritable service au pays. Je suis disposé à accéder au vœu de la section centrale.

J’ai déjà pris un grand nombre de renseignements et sur l’importance des routes à construire pour obtenir un système complet, et sur l’importance de l’emprunt nécessaire à leur construction.

L’honorable député de Tournay a critiqué les allocations demandées par le gouvernement pour l’achèvement ou la réparation de bâtiments nationaux ; cependant je pense que ces demandes sont suffisamment justifiées ; aussi n’ont-elles pas rencontré d’objections sérieuses à la section centrale qui les a adoptées à la presque unanimité.

Le député de Soignies a parle des palais épiscopaux, mais il ne s’agit pas ici de plusieurs palais ; il s’agit seulement d’accorder une somme à la Flandre occidentale pour concourir avec elle à procurer un logement à son nouvel évêque, et cette somme n’est pas considérable. Quant aux autres allocations demandées pour les palais épiscopaux, elles sont peu élevées, comme je le démontrerai lors de la discussion des articles.

L’honorable député de Tournay a encore critiqué la dépense faite à l’emplacement de l’ancien hôtel du ministère de la justice ; je commencerai par déclarer que cette dépense a été ordonnée par mon prédécesseur ; mais j’ajouterai que je ne fais pas cette déclaration pour blâmer cet acte administratif. Il a voulu éviter les pertes que l’on fait chaque année par des constructions éphémères ; il lui a semblé qu’il serait plus avantageux d’affecter une partie du crédit des fêtes nationales, pendant quelques années, à une construction définitive et vraiment utile, et que par là on obtiendrait pour résultat la diminution des dépenses annuelles. La somme employée dans ce but, en 1834, n’est pas considérable et la dépense n’a point été faite d’une manière occulte, puisque l’arrêté a dû être communiqué à la cour des comptes.

Messieurs, vous n’attendez pas de moi que je revienne sur la nomination des gouverneurs de province ; il serait fastidieux d’entretenir encore l’assemblée de cet objet ; nous avons eu assez d’occasions d’exposer notre conduite à cet égard et je crois qu’il convient de mettre fin à une semblable discussion.

M. de Robaulx. - Oui, mettez cela aux oubliettes.

M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable député de Tournay a de nouveau attaqué la construction du chemin de fer ; je n’ai pas à la défendre ; la chambre l’a votée. Selon moi, elle serait utile au pays. Il s’est plaint de ce que l’on n’avait pas porte au budget la dépense pour les travaux de 1835 ; il faut qu’il ait perdu de vue que la loi autorisant la construction du chemin de fer ouvre en même temps un crédit pour cette construction ; et le crédit est ouvert à la seule condition que l’on rendra compte de l’emploi des fonds avant l’achèvement des travaux.

Je ne pense donc pas que cette dépense doive être portée au budget : elle a été votée l’an dernier. Le gouvernement peut user de ce crédit. Il est vrai que l’honorable député compare cette dépense à d’autres qui sont obligatoires et qu’ils résultent, par exemple, de la loi organique sur l’ordre judiciaire. Cette comparaison n’est pas fondée.

Quand la législation a fixé des traitements pour les magistrats, elle n’a pas en même temps ouvert des crédits pour y pourvoir ; il faut donc que le gouvernement demande tous les ans des sommes afin de fournir aux traitements. Dans la loi sur les chemins de fer il y a à la fois dépense autorisée et crédit ouvert ; de sorte qu’il y a autorisation complète pour le gouvernement.

L’honorable député de Soignies a exprimé le désir qu’il fût présenté un projet de loi sur les mines. Il a fait sentir la nécessité de remplacer le conseil d’Etat pour l’exécution de la loi du 21 avril 1810.

Je partage son opinion. Aussi me suis-je empresse de recourir aux lumières de quelques jurisconsultes et de quelques membres de cette chambre, particulièrement versés dans la connaissance de la législation sur les mines, pour les prier de m’aider à préparer un projet de loi qui pût satisfaire aux exigences manifestées dans les discussions qui ont eu lieu déjà sur cette matière.

Le travail est arrivé à maturité ; il est terminé dans la commission ; il a été communiqué à mes collègues ; quand j’aurai leur assentiment, je le présenterai à la chambre ; j’espère pouvoir vous le soumettre dans un bref délai.

Je pense avoir donné des explications sur les principaux points agités dans la discussion, et je crois pouvoir m’arrêter ici.

- De toutes parts. - A demain ! à demain ! l’heure est avancée !

M. Dumortier. - Mon honorable ami, M. Dubus, a demandé un congé. Il vient de perdre son père et il est obligé de s’absenter.

- La chambre accorde le congé.

La séance est levée à quatre heures et demie.