(Moniteur belge n°364, du 30 décembre 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure et quart.
M. Dechamps procède à l’appel nominal.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance précédente, qui est adopté.
M. Dechamps donne lecture des pétitions suivantes.
« La dame veuve Tackaen réclame le paiement d’une rente de fl. 140 au capital de 4,000 florins de change que lui doit la ville de Nivelles, et hypothéquée sur des chaussées. »
« La dame veuve Nicolay épouse Marechal, réclame l’intervention de la chambre au sujet de la pension dont elle jouissait et qui lui a été retirée depuis qu’elle a contracté de nouveaux liens. »
M. Gendebien (pour une motion d’ordre). - Je ne sais pas, messieurs, s’il est bien convenable de discuter la loi qui est à l’ordre du jour, alors que nous n’avons pas même le rapport de la section centrale.
Il me semble qu’il vaudrait beaucoup mieux mettre de côté le projet présenté et nous déterminer a étudier la loi générale pendant la vacance que la chambre se propose de prendre ; on la mettrait en discussion après le retour de l’assemblée. Nous aurons ainsi l’avantage d’avoir une loi complète qui ne sera pas formée de pièces et de morceaux. Nous avons déjà une loi sur l’organisation générale de la garde civique, une sur l’organisation du premier ban et une troisième enfin modifiant les deux premières.
Pour bien discuter cette loi, il faut se pénétrer des deux autres. Cela va amener des discussions interminables. Je persiste donc à croire qu’il faut remettre la discussion à notre retour. Que chacun prenne l’engagement d’étudier chez lui la loi en question ; cela apportera, je crois, une grande économie de temps, et vous éviterez de faire ainsi des lois avec des pièces de rapport que nous aurons bien de la peine à ajuster et à mettre en harmonie.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, l’honorable préopinant vous propose de discuter, au retour de la vacance, la loi générale sur l’organisation de la garde civique. Je ferai observer à la chambre qu’elle est saisie de deux projets de loi, l’un présenté par l’honorable M. de Puydt et l’autre par mon prédécesseur. La première a plus de 200 articles, la seconde 190. Je ne crois pas qu’il soit possible de nous engager dans la discussion de ces deux lois. Le budget doit nécessairement précéder. Je ne suis donc pas de l’avis de l’honorable préopinant. Il faut une loi provisoire ; celle-ci n’est en contradiction avec aucune, ni avec celle du 21 décembre 1830, ni avec celle du 18 janvier 1831. Je pense que la chambre doit maintenir l’ordre du jour.
M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, je ne crois pas que la chambre soit d’humeur à se déjuger du jour au lendemain. Il est incontestable que si vous devez attendre la loi d’organisation générale, il se passera au moins un an. Vous avez d’abord à discuter le budget, la loi communale et le second vote sur cette loi, la loi sur la circonscription judiciaire, celle sur l’instruction publique, la loi provinciale peut-être qui vous reviendra. Je pense donc, messieurs, que la chambre ne peut revenir sur ce qu’elle a décidé avant-hier. Le projet qui est présenté, se compose de 21 articles et peut suffire à tous les besoins actuels.
M. de Brouckere. - Le rapport est-il imprimé ?
M. Dumortier, rapporteur. - J’ai travaillé toute la nuit à ce rapport. Je suis même indisposé des suites de ce travail ; je l’ai envoyé ce matin à l’imprimeur, qui m’a promis de le faire distribuer aux membres avant 10 heures ; dès hier au soir j’ai demandé qu’on leur remît le projet du gouvernement.
M. Rogier. - Je ne crois pas admissible de reculer la discussion. Si c’est le rapport qui nous arrête, il me semble que l’absence de ce rapport n’est pas de nature à entraver la discussion. Cette cause surtout ne doit pas nous entraîner dans le nouveau système proposé par l’honorable député du Hainaut, système qui aurait pour but, pour résultat du moins, de priver en ce moment le pays des ressources de la garde civique.
Je ferai remarquer que la plupart des propositions de la commission se rapporte à celles du projet du ministre. S’il est besoin d’explications, le rapporteur est là, il pourra les donner. Quant à discuter la loi telle qu’elle fut présentée par le ministère précédent, cela n’est pas admissible, Il y aurait inconséquence de la chambre, cette discussion ne durât-elle qu’un mois, de voter d’urgence une augmentation d’impôts, un budget de la guerre, et de s’arrêter pour un projet qui est également d’urgence.
M. Gendebien. - Quant à la question d’urgence, la chambre ne l’a décidée que sous réserve de voir après le rapport, si réellement il y avait urgence. Cela était impossible à juger quand on ne connaissait pas le projet qui n’a pas même été lu. Veuillez bien vous rappeler que les vices que l’on prête à la loi générale sur l’organisation de la garde civique ne viennent que de l’urgence, et j’ose dire de la légèreté qu’on a apportée à la voter. Pour améliorer ce que vous avez fait, vous tombez dans les mêmes fautes, et vous n’attendez pas même le rapport. J’entends dire à chaque instant que la loi du 31 décembre est inexécutable. Si je dois juger des améliorations qu’elle recevra d’après le nouveau projet, par l’examen du projet lui-même, je dois dire qu’elles seront bien minimes, car pour ma part, je ne trouve pas dans ce projet de remèdes au mal dont on se plaint.
En admettant que l’on discutera le projet à la rentrée de la vacance que va prendre la chambre, on verra si vos prétendues améliorations pourront être adoptées, s’il n’y en aura pas d’autres à y ajouter. Veuillez-vous rappeler que les vices principaux de la loi dont on se plaint proviennent d’abord de ce que les légions et les bataillons étant trop nombreux, aucun cadre n’était complet ; ensuite parce qu’au lieu d’appeler la garde civique par compagnies, on ne pouvait appeler les hommes que par bataillons, c’est-à-dire par cantons, de manière qu’il y avait des cantons dépeuplés, tandis que d’autres ne fournissaient pas un homme. Je ne vois pas dans le projet de remède à ce mal. Cependant, c’est le vice essentiel qui coûte à l’Etat d’énormes sommes, et aux citoyens des charges inégales.
Il en est de même pour les gardes sédentaires dont les légions et les bataillons sont trop nombreux. Les villes sont surchargées par là de dépenses considérables. Vous ne présentez pas non plus de remède à cet inconvénient majeur. Que l’on dise que mon but ou le résultat de mes paroles est de priver le pays des ressources de la garde civique, peu m’importe, mes actes sont là pour garantir mes intentions et pour répondre à des accusations téméraires. Je dis et je répète que vous allez faire une loi incomplète. Vous serez obligés de revenir trois ou quatre fois à l’œuvre, et pourquoi ? pour faire une loi incomplète.
Il faut bien peu connaître le mal et la peine qu’un homme, même rompu à l’étude des lois, doit se donner pour en faire une juste application lorsque ces lois sont embarrassées de plusieurs dérogations et amplifications successives ; il faut avoir bien peu de notions sur l’application de ces lois pour discuter et adopter un projet aussi incomplet que celui qui nous occupe, sans le méditer profondément.
Quant à la loi générale sur la garde civique, messieurs, je ne suis pas d’avis qu’elle soit si mauvaise qu’on le dit. Elle est mauvaise, parce que depuis le ministère Sauvage on n’a pas voulu l’exécuter, parce qu’on redoute cette institution toute protectrice de la constitution. On l’attaque si souvent, parce qu’on veut y introduire de petites dispositions ministérielles, telles que l’article 22 du projet de loi actuel, qui donne au Roi le droit de suspendre ou de dissoudre tout ou partie de la garde civique d’une commune ou d’un canton.
M. Dumortier, rapporteur. - J’entends un grand nombre de membres demander à aller aux voix. Je me rallie à cette demande pour ne pas perdre de temps.
M. Gendebien. - Comme je vois qu’il serait inutile de persister dans ma proposition, je la retire ; mais je n’en proteste pas moins.
M. F. de Mérode. - Messieurs, il ne s’agit pas, selon moi, d’établir une garde civique qui sera mobilisée uniquement pour augmenter la force de l’armée.
Vous savez tous ce qui est arrivé en 1831, à l’affaire de Louvain.
Non seulement l’armée, mais la population tout entière voulut venir au secours du pays. Mais alors rien n’était organisé, on arrivait pêle-mêle, sans ordre, sans chefs ; on ne pouvait arriver au but que l’on se proposait, et malgré tout le zèle qu’on déployait, on ne pouvait aider l’armée active.
Il s’agit d’avoir une garde civique tellement organisée que dans tout temps on pût marcher à l’ennemi. Il n’est pas dans ce moment nécessaire de recourir à une loi d’organisation complète. Il faut une loi provisoire qui procurera cet avantage, qu’au cas échéant les efforts des citoyens ne seront pas perdus ; et par le projet qui dans ce moment est soumis à l’examen de la chambre, on pourra atteindre ce but.
M. Gendebien. - L’honorable comte de Mérode vient de dire que si la garde civique en août 1831 n’a pas agi avec ordre, la faute en était à la loi de 1830 ; je ne crois pas que ce soit la faute de cette loi. C’est celle du ministère Sauvage et compagnie. On prétend qu’en adoptant le projet de loi actuellement soumis à notre examen, on parera aux inconvénients qui se sont présentés : qu’on me démontre cette vérité, et alors je conviendrai de l’urgence de le voter.
M. le président. - « Art. 1er. Le Roi pourra changer l’uniforme de la garde civique dans les villes fortifiées ou dominées par une forteresse, et dans les communes dont la population excède 5,000 habitants. Il pourra également le changer dans les communes où cette mesure sera réclamée par le conseil de régence.
« Le prix de l’uniforme d’un simple garde ne pourra dépasser 50 francs. »
- L’article premier est mis au voix et adopté.
M. le président. - « Art. 2. Le nombre des légions, bataillons et compagnies de garde civique, formés en vertu de la loi du 31 décembre 1830, est maintenu.
« Dans les communes où, lors de la formation, le premier ban pas n’a pas été organisé séparément, les compagnies du premier ban viendront en déduction du nombre de compagnies sédentaires. »
- L’article 2 est également adopté.
M. le président. - L’article 3 est mis en discussion.
« Art. 3. Les compagnies du premier ban restent organisées séparément et soumises aux dispositions existantes.
« L’administration communale fournira tout ou partie de l’habillement des gardes de ce ban qui ne peuvent s’habiller à leurs frais.
« Cependant, en cas de mise en activité, l’Etat remboursera à la commune la moitié de la dépense faite par elle, pour l’habillement des gardes qu’elle fournit. »
M. Rogier. - Au paragraphe 2 de cet article il est dit : « L’administration communale fournira tout ou partie de l’habillement ». Il reste bien entendu qu’en cas de mise en activité le ministère de la guerre est chargé de l’équipement. Au troisième paragraphe il est dit : « En cas de mise en activité, l’Etat remboursera à la commune moitié, etc. » Je trouve une addition à faire à ce paragraphe. On voit que l’Etat rembourse la moitié dans le cas de mise en activité. Si cette mise en activité ne dure que quelques jours, il y aurait injustice à faire payer moitié au gouvernement. Il ne le faudrait que dans le cas où cet état de choses durerait 2 ou 3 mois. Je propose donc de dire : « En cas de mise en activité pour un espace de 2 ou 3 mois, l’Etat rembourse, etc. »
M. Dumortier, rapporteur. - Je déclare d’avance à l’honorable député de Turnhout que j’adopte son amendement quant à la demande relative au cas de mise en activité. Nous pensons que cela doit avoir lieu non seulement pour le petit, mais encore pour le grand équipement.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Je reconnais qu’il est juste qu’en cas de mise en activité, et pour deux mois au moins, l’Etat doit payer la moitié de l’habillement. Le grand équipement se compose de l’habit, du pantalon et du schako. Il y a des effets de petit équipement, tels que bas, chemises, etc., qui en tout montent à 36 fr. Je me rallie entièrement à l’opinion de l’honorable rapporteur de la section centrale.
M. A. Dellafaille. - Le paragraphe 2 de l’article en discussion me présente l’occasion de faire remarquer que s’il est adopté tel qu’il est, il entraînera une injustice facile à réparer. Il est dit : L’administration communale interviendra en tout ou en partie dans l’habillement de tous les gardes de ce ban qui ne peuvent s’habiller à leurs frais. Je demande qu’il soit ajouté après « tous les gardes » ces mots : « auxquels le gouvernement aura fait remettre des armes. »
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ne pense pas que l’addition soit nécessaire, et je crains que dans la pratique elle n’amène des inconvénients. Ainsi, par exemple, la garde civique de Bruxelles est armée mais ce n’est pas le gouvernement qui fourni les armes, du moins directement. Des crédits ont été ouverts à cet effet, mais je ne pense pas qu’on puisse dire que les armes aient été fournies directement par le gouvernement à la garde civique de Bruxelles.
Vous voyez donc que la rédaction de M. A. Dellafaille présenterait des inconvénients. Elle est sans utilité, car le gouvernement sera aussi désireux que qui que ce soit d’épargner aux communes des dépenses inutiles.
Je ferai de plus observer qu’aux termes de la loi du 31 décembre 1830, les communes sont tenues de fournir l’habillement aux gardes qui ne peuvent se le procurer à leurs frais.
Comme cet habillement doit être souvent renouvelé à raison de son peu de solidité, c’est une charge assez lourde pour les communes.
Je pense qu’il faut rester dans les termes généraux de la loi et ne pas mettre de condition spéciale pour l’habillement.
M. A. Dellafaille. - Je pense que l’observation de M. le ministre est juste ; mais pour faire cesser l’inconvénient qu’il a signalé il suffit de changer la rédaction de l’amendement et de dire : les gardes qui sont armés.
Tant que le premier ban n’est pas mis en activité, je ne vois pas la nécessité d’imposer aux villes l’obligation de fournir aux gardes un uniforme coûteux. Il vaut mieux alors laisser les fonds dans la caisse.
M. Desmanet de Biesme. - Je ne reconnais jamais l’urgence de faire de mauvaises lois. Et je suis persuadé que celle que nous faisons sera mauvaise parce que, pour la faire bonne, il aurait fallu avoir le temps de revoir toute l’organisation de la garde civique. Aussi je voterai probablement contre le projet de loi.
Cependant je crois devoir combattre l’amendement de M. Rogier, qui veut, que, dans le cas où les gardes civiques ne seraient que deux mois hors de la commune, tous les frais d’habillement fussent à la charge des communes. Je trouve cela souverainement injuste. Vous pouvez avoir une campagne de deux mois. Pourquoi forcer, dans ce cas, les communes à faire les frais de tout l’équipement, alors que l’Etat profite des services des gardes civiques ?
Les communes sont déjà horriblement obérées, et quant à moi, je ne veux pas leur imposer de nouvelles charges avant une discussion plus approfondie que ne peut l’être celle à laquelle nous nous livrons. Je voterai donc contre l’amendement proposé, parce qu’à mon avis, les dépenses auxquelles il s’agit de pourvoir, doivent être supportées par l’Etat et non par les communes.
M. F. de Mérode. - L’observation de M. Desmanet me paraît juste, cependant la question de savoir par qui doivent être supportés les frais d’équipement peut dépendre de circonstances qu’il vous est impossible de prévoir. Selon moi, ce n’est pas maintenant que nous devrions voter une disposition définitive sur cet objet. Si on mettait en activité, d’une manière permanente, le premier ban de la garde civique, par suite d’une attaque inopinée ou de toute autre cause, plus tard on voterait une disposition pour rendre justice à qui de droit.
M. Dumortier, rapporteur. - Il est incontestable qu’il peut y avoir de l’un et de l’autre côté des inconvénients. Sans doute l’Etat doit intervenir dans les dépenses des gardes civiques qui sortent de leurs foyers ; mais, dans les villes exposées aux attaques de l’ennemi, les gardes civiques peuvent sortir par suite d’un fausse alarme : eh bien, dans ce cas, la commune doit supporter seule les frais. Je pense que l’on peut réduire l’amendement de M. Rogier à un mois, et dire que quand la garde civique sera sortie pendant un mois, l’Etat remboursera à la commune la moitié des frais.
Il ne faut pas perdre de vue que nous n’avons pas imposé de nouvelle charge à la commune, car elle existait déjà ; mais nous avons créé de nouveaux moyens d’y pourvoir. Sous le gouvernement hollandais, les schutters qui n’avaient pas le moyen de se procurer leur équipement, le recevaient de la commune. Le congrès a maintenu ce système ; la loi du 31 décembre force les communes d’habiller tout garde civique qui n’a pas le moyen de s’habiller à ses frais. Le nombre des gardes habillés par les caisses communales est très considérable.
Pour moi, qui ai eu occasion de faire exécuter la loi actuellement existante, depuis quatre ans, je puis assurer que celle que nous discutons sera beaucoup moins onéreuse pour les caisses communales.
J’appuie donc l’amendement de M. Rogier, en réduisant le délai à un mois.
M. Rogier. - Je me réunis au sous-amendement de M. Dumortier. Ma proposition n’avait pour but que d’éviter de mettre à la charge de l’Etat la moitié des frais d’habillement de gardes civiques qui ne seraient sortis de leurs foyers que pendant quelques jours.
Je ferai observer que l’Etat fournit déjà tout le petit équipement et la capote.
M. de Brouckere. - S’il y a des inconvénients à adopter la proposition du ministre, il n’y en a pas moins à voter celles présentées par les honorables préopinants. Il pourrait arriver que le premier ban des gardes civiques ne fût pas en activité pendant un mois, et que cependant les habillements fournis par la commune eussent souffert des dommages considérables pendant le lieu de temps de cette activité. La garde civique peut avoir à faire une campagne de quinze jours ou trois semaines, et après cela rentrer dans ses foyers. Je vous demande s’il n’y aurait pas des frais considérables à faire pour renouveler l’habillement de ces gardes : d’après l’amendement, ces frais retomberaient tout entiers sur la commune. Ce serait une véritable injustice.
Je déclare, quant à moi, qu’il m’est impossible de voter en connaissance de cause des lois ainsi improvisées. Le projet ne m’a été remis que ce matin ; je n’ai pas eu le temps de comparer les lois sur la garde civique qui sont très volumineuses. Je me trouve très embarrassé ; je serai forcé de prendre le parti auquel M. Desmanet se propose d’avoir recours, de voter contre la loi.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il est impossible de prendre une mesure applicable à tous les cas. Quelle que soit celle qu’on adopte, il se présentera des circonstances où elle n’atteindra pas le but qu’on se propose. Il faut adopter soit l’amendement de M. Rogier, soit celui de M. Dumortier qui paraît établir une règle générale assez équitable. Si elle ne pare pas tous les inconvénients, ce sera tantôt l’Etat, tantôt les communes qui en profiteront. Il y a une foule de circonstances de cette nature, où il est impossible de trouver une règle absolument juste pour déterminer la part contributive de chacun des intéressés.
M. F. de Mérode. - C’est pour cela, parce qu’il me semblait impossible de prévoir d’une manière juste dans quelle proportion l’Etat et les communes devaient contribuer, que je proposais de ne pas s’occuper de cet objet dans la loi actuelle. Je ne sais pas pourquoi on veut décider à l’avance des choses qu’on ne peut apprécier avec justice que quand les faits sont accomplis. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - Je vais d’abord mettre aux voix l’amendement de M. A. Dellafaille, qui consiste à ajouter au deux paragraphe, après les mots « des gardes de ce ban, » ceux-ci : « qui ne sont pas armés et qui ne peuvent s’habiller à leurs frais. »
M. de Brouckere. - Mais qui fournira l’habillement à ceux qui ne seront pas armés ?
M. A. Dellafaille. - Tant qu’ils ne sont pas armés, il est inutile de les habiller.
- L’amendement de M. Dellafaille est mis aux voix et adopté.
M. le président. - Vient maintenant l’amendement de M. Rogier, sous-amendé par M. Dumortier, qui consiste à ajouter après les mots : « Cependant, en cas de mise en activité, » ceux-ci : « pendant un mois au moins. »
M. Lardinois. - Je demande la parole pour faire une question sur le dernier paragraphe : Entend-on qu’il sera remboursé à la commune la moitié de la dépense primitive, ou estimera-t-on l’état de l’habillement, pour rembourser en concurrence de la diminution de valeur ?
Puisque j’ai la parole, je dirai que je partage l’opinion de quelques honorables collègues sur le danger de faire une loi avec trop de précipitation. Je crains que nous ne fassions au pays le même cadeau qu’en 1830, en votant une loi non pas aussi défectueuse qu’on la suppose, mais qui aurait besoin d’améliorations.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Les termes sont clairs. L’Etat remboursera à la commune la moitié de la dépense faite par elle. C’est la moitié de la dépense faite. Il ne s’agit pas d’estimer l’habillement.
M. Lardinois. - Ainsi, il est bien entendu que si l’habillement est usé aux 7/8, l’Etat remboursera la moitié des 50 fr. dépensés par la commune, c’est à-dire 25 fr.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Oui !
- L’amendement de M. Rogier est mis aux voix et adopté.
L’article ainsi amendé est également adopté.
M. le président. - « Art. 4. La mise à exécution de l’article premier de la présente loi sera précédée de la réorganisation des compagnies sédentaires, et du renouvellement des caporaux, sous-officiers et officiers soumis à l’élection.
« Les nouveaux titulaires seront élus pour un terme de 5 années. »
- Adopté.
M. le président. - « Art. 5. Il sera établi deux contrôles des hommes destinés à composer les compagnies sédentaires, l’un de service ordinaire et de l’autre de réserve.
« Les hommes portés sur ce dernier contrôle ne seront appelés à faire partie de la garde civique que dans des circonstances extraordinaires.
« Les gardes qui peuvent s’habiller à leurs frais sont seuls tenus de concourir au service ordinaire et constituent les compagnies.
« Néanmoins, dans les communes où le nombre de gardes qui peuvent s’habiller à leurs frais, n’atteindrait pas celui de 60 hommes dans chaque compagnie sédentaire, la commune sera tenue de parfaire ce nombre en appelant au service ordinaire ceux des gardes qui peuvent le plus facilement contribuer à leur habillement et qui font partie du contrôle de réserve : dans ce cas, elle devra contribuer pour le surplus. »
M. Desmanet de Biesme. - Quelle est l’autorité qui décidera si les gardes ont ou n’ont pas le moyen de s’habiller ? Il faudrait aussi savoir sur quoi on se basera pour décider cette question.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Cette question sera décidée suivant les règles établies par la loi générale. Il ne s’agit pas d’innover la manière de résoudre cette difficulté. D’après la loi générale, quand les gardes civiques n’avaient pas le moyen de se procurer la blouse, c’est l’administration municipale qui constatait le fait. Il en sera de même à l’avenir, il n’y a de différence que dans la nature de l’habillement.
M. Dumortier, rapporteur- Nous avons donné une garantie aux gardes en établissant à l’article 8 un degré d’appel. Nous avons reconnu que l’administration communale pouvait rendre de mauvais jugements, accorder ou refuser l’habillement aux frais de la commune. Par l’article 8 nous avons admis l’appel au conseil provincial, en faveur des citoyens qui se croiraient lésés par les décisions de l’administration communale. C’est une amélioration qui empêche les abus auxquels pouvait donner lieu la législation actuelle.
- L’article 5 est mis aux voix et adopté.
M. le président. - « Art. 6. Dans les communes où la présente loi sera mise à exécution, les gardes devront se pourvoir de l’uniforme dans le mois après qu’ils en auront reçu l’ordre de leur chef de corps.
« Tout refus, toute négligence, de se conformer à cet ordre, sera puni d’une amende de 60 francs au profit de la commune, qui demeurera chargée de fournir l’uniforme.
« L’officier jugé en retard sera considéré comme démissionnaire. »
M. Rogier. - Je crois qu’il serait nécessaire d’indiquer par qui sera prononcée l’amende de 60 fr. Le conseil de discipline ne peut d’après la loi en vigueur condamner qu’à une amende de un à sept florins. On pourrait étendre la compétence du conseil de discipline et ajouter à l’article, après ces mots : « sera puni, » ceux-ci : « par le conseil de discipline.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Il vaudrait mieux ajouter un quatrième paragraphe ainsi conçu : « Le jugement sera prononcé par le conseil de discipline. »
M. Dumortier, rapporteur. - Je propose de dire : « La peine sera appliquée. »
M. de Brouckere. - Vous verrez que la loi que vous faite sera inapplicable, Voyez ce qui résulte de la rédaction de M. Dumortier. Je concevrais qu’après le deuxième paragraphe, après avoir dit : Tout refus, toute négligence de se conformer à cet ordre, sera puni d’une amende de 60 fr. au profit de la commune, qui demeurera chargée de fournir l’uniforme, on ajoutât : Cette peine sera prononcée par le conseil de discipline.
Mais je ne comprends plus cette disposition si elle est précédée de celle-ci : « L’officier jugé en retard sera considéré comme démissionnaire. »
Il n’y a plus aucun rapport. Si on veut que le conseil de discipline décide que l’officier en retard est démissionnaire, il faut dire : « Le jugement sera prononcé, » car on ne peut pas dire : « La peine sera prononcée, » quand il s’agit de déclarer un officier démissionnaire.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - J’avais proposé de rédiger le paragraphe comme l’indique l’honorable préopinant.
- L’amendement ainsi rédigé : « Le jugement sera prononcé par le conseil de discipline, » est mis aux voix et adopté.
L’article amende est également adopté.
M. le président. - « Art. 7. Dans les localités dont les ressources ne suffiraient pas à l’exécution des dispositions qui précèdent, le gouvernement, après avoir pris connaissance de la situation financière de la commune, pourra autoriser l’administration locale à exiger de chacune des familles aisées dont il est fait mention à l’article 60 de la loi générale, de fournir soit la totalité, soit une partie déterminée du prix de l’uniforme d’un garde. »
- Adopté.
Les articles 8 et 9 sont adoptés.
Ils sont ainsi conçus :
« Art. 8. Les citoyens qui se croiraient lésés par l’application des articles 3, 5 et 7, pourront en appeler à la députation du conseil provincial dans les dix jours de l’avis qui leur en aura été donné.
« Tout membre de la garde pourra également appeler des décisions du conseil de régence, par lesquelles les gardes auraient été indûment portés sur le contrôle de réserve. »
« Art. 9. L’uniforme prescrit par la loi du 31 décembre 1830 reste obligatoire pour les communes qui ne tombent pas sous l’application de l’article premier de la présente loi. »
M. le président. - La discussion est ouverte sur le titre II.
M. le président. - « Art. 10. Les adjudants-majors sont comptables de l’armement, de l’habillement et l’équipement des gardes ; le tambour-major, de ceux des tambours. »
M. Eloy de Burdinne. - Je désirerais savoir si l’intention de la commission est que les adjudants-majors soient responsables de la comptabilité qu’on leur impose.
M. Dumortier, rapporteur. - Cela est incontestable ; car tout comptable est responsable de la gestion. Dans l’état actuel de la législation sur la garde civique, il n’existe aucun officier chargé de la surveillance de l’armement, de habillement et de l’équipement de la garde civique, tellement qu’un matériel considérable appartenant à l’Etat se trouve entre les mains des gardes, et se détériore faute d’un contrôle suffisant. C’est une chose fâcheuse et la commission qui a reconnu qu’il fallait mettre ordre à cet abus a pensé que le meilleur moyen d’y porter remède était de charger les adjudants-majors de cette surveillance.
M. de Man d’Attenrode. - Messieurs, on s’est plaint, à plusieurs reprises dans nos discussions parlementaires du mauvais état des armes de la garde civique. Ces plaintes sont très fondées ; il me semble inutile de m’étendre sur la nécessité de prendre des mesures pour assurer leur entretien. La cause du mauvais état des armes, ce sont les lois qui ont régi la matière jusqu’à présent ; en effet, aucun article n’autorisait les chefs à faire des inspections d’armes, à faire payer des amendes aux gardes qui s’obstinent à ne pas tenir leurs armes en bon état. J’ai cherché à remédier à cette absence de disposition par l’amendement suivant.
(L’amendement présenté par M. de Man d’Attenrode ne nous étant pas parvenu, nous ne pouvons en faire connaître les dispositions.)
M. de Brouckere. - La commission, en établissant les adjudants-majors comme officiers comptables dans la garde civique, consacre une innovation. En effet, dans aucun corps l’adjudant-major n’est chargé de la comptabilité. Il est chargé de tout ce qui est relatif à l’instruction des hommes, à l’exercice, aux manœuvres. Mais jamais il n’a été chargé de la surveillance du matériel. Faut-il admettre cette innovation ? Je ne m’y oppose pas, mais plus tard je crois que l’expérience démontrera les inconvénients qui en résulteront.
M. Dumortier, rapporteur. - Il existe dans l’organisation de la garde civique une foule de dispositions qui ne sont pas admises dans l’armée en ligne, et cela se conçoit. Il ne peut y avoir dans la garde civique des officiers d’habillement et d’équipement. Quels sont donc les officiers qui, les mieux à même de surveiller l’équipement des gardes et le matériel de la légion, peuvent être appelés à les remplacer ? Ce sont les adjudants-majors qui sont chargés de tous les détails du service.
La commission a donc cru qu’elle agirait dans l’intérêt de la conservation des effets d’équipement et du matériel en assimilant les adjudants-majors aux officiers d’habillement de l’armée. Elle a rempli par là une lacune dont les inconvénients se faisaient vivement sentir. Je ne crois pas que personne conteste l’utilité, l’urgence d’une pareille mesure.
M. Gendebien. - Mon intention n’est pas de discuter à fond la loi qu’a rédigée à la hâte la commission. Je vois trop bien qu’il est impossible d’en faire quelque chose de bon.
M. Dumortier, rapporteur. - Signalez les vices de cette loi.
M. Gendebien. - Je sais que l’honorable M. Dumortier a des connaissances transcendantes en matière de législation ; mais il me permettra en cette occasion de douter de l’excellence de la loi à laquelle il a mis la main.
Si j’ai pris la parole, c’est que j’ai voulu prévenir la chambre qu’elle va commencer une deuxième inconstitutionnalité. Elle en a consacré une première en imposant à l’article 5 une charge plus forte à une certaine catégorie de citoyens dans le service de la garde civique en en faisant peser toutes les obligations sur les gardes qui ont le moyen de s’équiper à l’exclusion des autres.
La deuxième inconstitutionnalité que je signale est celle où vous donnez aux adjudants-majors le titre de comptables, ce qui est une chose absurde, irrationnelle, uniquement pour avoir occasion à l’article 11 de conférer la nomination de ces officiers au Roi, ainsi vous voyez ce que dit cet article :
« Les adjudants-majors, le quartier-maître sont nommés par le Roi. »
Il est certain que l’inspection de l’armement et de l’équipement des soldats ne constitue pas une comptabilité ; j’ai seulement voulu prévenir la chambre de ce qu’elle allait voter. Car j’ai la conviction que la loi actuelle ne sera pas exécutable. Je m’expliquerai plus tard là-dessus. Mais allez, faites, puisque vous y êtes ; achevez votre loi.
M. Dumortier, rapporteur. -Si vous pouviez contribuer à nous faire marcher plus vite et mieux, à coup sûr vous avez grand tort de nous priver de vos lumières. Je n’ai pas comme vous le bonheur d’être avocat, d’être législateur…
M. Gendebien. - On s’en aperçoit de reste. Il est plus facile de faire un académicien qu’un avocat.
M. Dumortier, rapporteur. - M. Gendebien prétend que la loi ne sera pas exécutable, qu’il nous le démontre. Rien n’est plus facile que de nous désigner les points qui la rendront inexécutable ; s’il le sait, il a grand tort de ne pas le faire.
Il est facile au bout de quatre années d’exécution de saisir les points faibles de la loi de décembre 1830 sur la garde civique. Il n’est personne qui n’ait été à même d’en apprécier les inconvénients. C’est pour remédier à ces inconvénients que le projet de loi a été rédigé. On est parti des données que fournissait l’expérience.
D’abord l’Etat a là un matériel qui vaut des millions entre les mains des gardes civiques. Cependant personne n’est chargé du contrôle des armes remises à chacun des membres de la milice citoyenne. Il y a bien une liste générale des fusils fournis, mais je le répète, il n’y a pas de contrôle.
Nulle part les armes ne sont poinçonnées. Il sera libre à chaque garde de remplacer le bon fusil de 50 francs qu’il aura reçu, pas un mauvais fusil provenant peut-être du fameux marché de 1831.
Quant à ce qu’a dit le préopinant, que l’on a créé les adjudants-majors officiers comptables uniquement pour les faire nommer par le Roi, c’est là une grave inexactitude, une contre-vérité ; il fallait créer dans les légions des officiers comptables.
Personne n’était plus à même que les adjudants-majors d’être préposé au soin de l’armement et de l’équipement des gardes. En leurs qualités d’adjudants-majors, ils sont rétribués par la loi, il était inutile de créer de nouvelles places d’officiers rétribués, et l’on faisait une économie notable tout en atteignant le but que l’on avait en vue.
On nous dit : Vous ne faites que des inconstitutionnalités. Vous en avez fait une à l’article 5 en n’admettant qu’une classe de citoyens à faire partie de la garde. La seconde inconstitutionnalité consiste à ranger les adjudants-majors parmi les officiers-comptables.
Je crois que l’honorable M. Gendebien serait très embarrassé de nous démontrer ces prétendues inconstitutionnalités. Il faudrait reconnaître que le congrès lui-même, à qui nous devons la constitution, le congrès, dont M. Gendebien était un des membres les plus distingués, aurait été le premier à la violer, car il n’a pas admis tous les citoyens à faire partie de la garde civique. Il en a exclu une grande partie. Qu’avons-nous fait ? Nous avons agi comme cette assemblée. Et nous n’avons pas cru commettre une inconstitutionnalité en n’admettant pas dans les rangs de la garde civique les citoyens de tout âge et de tout sexe. (Hilarité générale.)
M. Gendebien. - Si le système large de M. Dumortier était mis en pratique, cela pourrait chasser l’ennui des casernes et des corps-de-garde. Je regrette que l’honorable député et bourgmestre d’Anvers ne soit pas présent à la séance. Il aurait eu beau jeu de crier à la lubricité. (Hilarité.)
Je soutiens ce que j’ai dit sur l’article 5. Il suffit d’en prendre lecture. Vous imposez la charge de l’habillement à certains citoyens, et vous les forcez de concourir seuls à la formation des compagnies et aux charges du service. Le congrès avait été plus libéral. Il avait admis tous les citoyens dans la garde civique. Mais il les avait divisés par catégories, de tel âge jusqu’à tel âge. Il avait proportionné le service des gardes à leur âge et à leur force physique. Mais si la loi de 1830 établissait des exclusions comme M. Dumortier le prétend, il aurait fallu, ainsi qu’il l’a annoncé, que les hommes et les femmes font partie de la garde civique, puisque celles-ci, considérées comme citoyennes, sont égales devant la loi. Cette conséquence nécessaire serait absurde et détruit par conséquent le système.
Si le congrès avait dit : Les citoyens seuls qui ont le moyen de s’équiper font partie de la garde civique, il aurait consacré une inconstitutionnalité, mais il n’a pas dit cela. Il a admis en principe tous les citoyens à faire partie de la garde civique. Mais il a fait des distinctions entre eux. Il les a classés par catégories d’âge que chaque citoyen est à son tour appelé à atteindre ; il y a donc égalité parfaite.
Quant à l’inconstitutionnalité que j’ai signalée à l’article 10, elle est évidente. En effet, l’article 122 de la constitution établit l’existence d’une garde civique et confère aux gardes la nomination des titulaire de tout grade jusqu’à celui de capitaine inclusivement. Il ne fait d’exception dans cette catégorie de grades que pour les comptables dont la nomination est déférée au Roi.
Or, la commission qualifie de comptables, dans son projet, les adjudants-majors ; c’est uniquement pour que la nomination en puisse être faite par le Roi. Il n’y a pas moyen d’envisager la chose sous un autre point de vue.
Tous les chefs de corps sont chargés de la surveillance de l’équipement et de l’armement des soldats. Si leur surveillance est insuffisante, créez dans les légions des officiers d’armement et d’habillement ; mais ces officiers ne seront jamais considérés comme des officiers comptables. La constitution ne considère comme comptable que l’agent qui manie des deniers. On a voulu que le gouvernement eût une garantie à l’égard des hommes qui sont dans la position d’avoir un maniement de fonds. N’est-ce pas forcer le texte de la loi que de considérer comme comptable un homme qui n’aura pas à rendre compte de l’emploi d’un seul denier ?
Vous surchargez l’adjudant-major en lui imposant l’inspection et la responsabilité des armes et du matériel de la légion. Considérez, messieurs, que les adjudants-majors sont les chevilles ouvrières des régiments.
C’est à peine si, dans les troupes régulières, ils ont le temps nécessaire pour remplir tous les détails de leurs fonctions, et vous allez dans une troupe irrégulière, dont l’instruction et l’organisation sont bien plus difficiles, ajouter d’autres attributions à ces fonctions déjà si multipliées. Dites que dans chaque bataillon ou dans chaque légion il y aura un officier d’armement à la nomination du colonel, ou faites nommer un officier d’habillement par le pouvoir royal, mais parmi les officiers élus. Je le veux bien ; mais, encore une fois, il est évident que la qualification de comptable ne pourra être donnée à cet officier. Je ne puis attribuer cette singulière dénomination qu’au désir qu’a eu la commission de faire nommer les adjudants-majors par le Roi.
Au reste, allez toujours, et je vous garantis que votre loi n’aura qu’une courte durée. Si on nous avait présenté une loi mûrement élaborée, je me serais donné la peine de la discuter. L’honorable M. de Mérode nous a déjà annoncé une nouvelle loi complémentaire sur la garde civique. J’approuve sa prévoyance, toute naïve qu’elle est, et j’espère qu’alors on nous présentera quelque chose de discutable et surtout d’exécutable.
M. F. de Mérode. - Il est reconnu que pour élaborer une loi générale sur la garde civique et sur l’armée, il faudrait un temps considérable. Nous voulons simplement aujourd’hui améliorer ce qui existe par quelques articles ; mais nous ne nous réservons pas moins le droit de discuter une troisième loi qui, cette fois, sera définitive. Nous savons que la loi actuelle est imparfaite. Nous savons qu’on pourra en faire une meilleure. Si j’ai parlé d’une loi définitive, si j’ai reconnu que celle-ci n’était que transitoire, je n’ai pas avoué qu’elle serait inexécutable ; j’ai voulu dire qu’essentielle dans les circonstances actuelles, à cause des améliorations qu’elle introduit à l’ancienne, elle était tout ce qu’elle pouvait être vu le peu de temps que l’on a mis à la faire.
La lenteur de nos discussions contre laquelle je me suis si souvent élevé, retardera le vote d’une loi définitive sur la garde civique, s’en suit-il qu’il faille que nous n’introduisions pas des améliorations à celle qui régit actuellement cette milice ? C’est ce que nous faisons.
M. Rogier. - Je dois déclarer que si j’appuie le projet de loi en discussion, ce n’est pas que je le considère comme parfait. Je crois que M. Gendebien lui-même, malgré toutes ses connaissances en droit, ne parviendrait pas à faire une œuvre parfaite. J’appuie la loi parce que je la trouve utile, nécessaire dans les circonstances où le pays se trouve, parce qu’elle introduit des modifications à la loi générale de 1830, que l’expérience de quatre années a reconnues nécessaires. Quoique l’on ait prédit, et d’une manière positive, cette fois, que la loi sera inexécutable, pour ma part je la considère non seulement comme exécutable, mais comme plus exécutable que ce qui existe aujourd’hui.
Je reconnais très franchement que si l’on a désigné les adjudants-majors comme officiers comptables, ç’a été en grande partie pour pouvoir en attribuer la nomination au Roi.
Il ne faut pas se le dissimuler. Ce mode de nomination est nécessaire.
Je crois qu’il est du devoir de la chambre de donner son adhésion à une semblable disposition. Pour ma part, je ne pense pas qu’il y ait absurdité, comme on l’a dit, à considérer les adjudants-majors comme officiers comptables, alors qu’ils sont chargés de l’armement et de l’habillement.
En fait, il est bon de savoir que les adjudants-majors n’ont jamais été nommés par les gardes, mais bien par le gouvernement. On peut paraître avoir dévié un peu en cela du texte de la constitution. Mais il était tellement indispensable que le gouvernement eût la nomination des adjudants-majors, que personne n’a jamais protesté jusqu’à ce jour contre la manière de procéder à cet égard. Que demande aujourd’hui la commission ? C’est que la chambre confirme ce qui existe. D’ailleurs, en agissant de la sorte, l’assemblée ne violera pas la constitution, qui a voulu, d’après ce qui vient d’être dit, que la Roi eût la nomination de tous les officiers qui devaient réunir certaines conditions de capacité, non exigées pour les autres.
On dit qu’il n’était pas nécessaire d’introduire une législation nouvelle, que la législation existante suffisait. J’ai été, messieurs, de ceux (et cela pour de bonnes raisons) qui n’ont pas regardé la loi de décembre 1830 comme aussi entachée de vices qu’on veut bien le dire. Mais cette loi en laissait subsister que l’expérience nous a dévoilés, notamment en ce qui concerne l’uniforme. Depuis les désastreux événements de 1831, le prestige attaché à la blouse est tombé. Aussi il y a un an que le gouvernement vous a présenté un projet de loi à l’effet de changer l’uniforme de la garde civique. Ce projet, sur la discussion duquel j’insistai à plusieurs reprises, ne fut pas examiné dans la dernière session. Aujourd’hui par le nouveau projet de loi dont vous êtes saisis, il a été pourvu au changement d’uniforme. Vous venez de décider que le Roi pourra le déterminer.
On a voulu également assurer au pouvoir royal la nomination de certains grades d’officiers nécessaires pour la bonne organisation des bataillons et des légions ; on a voulu en troisième lieu fortifier les moyens de discipline dans la garde civique.
Voilà les principales améliorations introduites par le projet de loi en discussion. Je ne dis pas que tout ait été prévu, que les vices de l’ancienne loi aient tous disparu ; mais je suis certain qu’à l’aide des améliorations proposées, la garde civique pourra mieux marcher qu’elle ne l’a fait jusqu’à ce jour.
M. Dumortier, rapporteur. - J’avais demandé la parole pour présenter les mêmes observations que l’honorable M. Rogier. La loi de 1830 laissait peu de chose à désirer. Seulement le temps avait signalé quelques vices auxquels il était nécessaire de porter remède. Par exemple : Rien n’était défini quant aux devoirs des grades. On ne savait s’ils pouvaient être forcés de remplir les obligations de leur grade. Nous avons détruit tout doute à cet égard au moyen de l’article 16. Souvent dans les conseils de discipline, on éprouvait des difficultés à mettre les jugements à exécution ; l’article 20 fixe la législation à cet égard. Un autre vice consistait dans le refus que faisaient certaines communes, de faire face aux dépenses de la garde civique. L’article 21 pare à ces inconvénients.
Vous voyez donc que la loi ne sera pas aussi mauvaise et aussi inexécutable que M. Gendebien veut bien le dire, puisqu’elle se borne à améliorer une loi qui est exécutée depuis 4 ans dans le pays.
M. de Brouckere. - Il m’est impossible de ne pas relever ce qui vient d’être avancé par un honorable préopinant. Vous venez d’entendre M. Rogier poser enfin que si l’on a donné dans la loi aux adjudants-majors la qualification de comptables, ç’a été pour conférer la nomination de ces officiers au Roi. Si telle est la pensée de la commission…
M. Dumortier, rapporteur. - Ce n’est nullement la pensée de la commission. M. Rogier n’en fait pas partie.
M. de Brouckere. - C’est donc la pensée de MM. Rogier et de Mérode.
M. F. de Mérode. - Ce n’est pas du tout la mienne.
M. de Brouckere. - En ce cas c’est la pensée individuelle de M. Rogier. (Hilarité.)
Et bien, je crois que l’honorable M. Rogier a imprudemment révélé le secret de tous les membres de la commission et de tous ceux qui veulent bien appuyer l’article. Il est impossible de rendre l’adjudant-major comptable, sinon par le motif qu’on veut donner au Roi le droit de le nommer. Si ce n’était pas ce motif, on n’établirait pas pour la garde civique ce qui n’existe dans aucun corps.
Mais peut-on donner au Roi ce droit de nomination ? Je n’hésite pas à dire que non. L’article 122 de la constitution porte : « Il y a une garde civique, l’organisation en est réglée par la loi. Les titulaires de tous grades, jusqu’à celui de capitaine au moins, sont nommés par les gardes, sauf les exceptions jugées nécessaires pour les comptables. » C’est-à-dire que les titulaires de tout grade jusqu’à celui de capitaine au moins, sont nommés par les gardes, sauf les exceptions pour les officiers qui, par la nature de leurs fonctions, sont essentiellement comptables, en un mot pour les officiers-payeurs et les quartiers-maîtres ; car ce sont là les seuls officiers comptables.
Si vous conservez le système proposé par la commission qui a examiné le projet et soutenu par M. le rapporteur, il en résultera qu’il suffira de rendre un officier comptable pour enlever sa nomination aux gardes, et qu’elle appartienne au Roi. Ainsi vous pourrez par une disposition nouvelle rendre tous les capitaines officiers comptables, vous pourrez dire : « Les capitaines sont comptables de l’armement, de l’habillement et de l’équipement des gardes de leur compagnie, » et cette disposition serait assurément plus sage, plus logique, que celle que vous prenez relativement aux adjudants-majors. Et bien il résultera de là que la nomination de tous les capitaines appartient au gouvernement. Pourquoi n’en serait-il pas ainsi ? Cela n’a rien de contraire à la constitution, de la manière dont vous l’interprétez. Non sans doute ; mais si ce n’est pas violer la constitution, c’est au moins l’expliquer judaïquement (on rit) ; car évidemment la clause de l’article 122, « sauf les exceptions jugées nécessaires pour les comptables, » s’applique uniquement, je le répète, aux officiers nécessairement comptables, c’est-à-dire seulement aux officiers payeurs et quartiers-maîtres.
Si vous consacrez cette première inconstitutionnalité, vous n’aurez rien à répondre si, les chefs de compagnie ayant été rendus comptables, le gouvernement réclame le droit de les nommer. Voyez, messieurs, si vous voulez entrer dans cette voie d’inconstitutionnalité ; quant à moi je ne le veux pas, je voterai contre l’article ; s’il est adopté, je voterai contre toute la loi.
A ceux qui nous disent que si la loi n’est pas bonne, nous pouvons proposer quelque chose de mieux, je répondrai qu’une loi ne peut pas s’improviser alors qu’elle doit être en harmonie avec un grand nombre de lois. Le rapport de la section centrale a été fait avec beaucoup de rapidité ; c’est à cela que j’attribue ses imperfections. Si la section centrale en un ou deux jours n’a pas pu donner un bon travail, comment voulez-vous que nous fassions mieux, nous, en dix minutes ! Cela est impossible. Aussi ne présenterai-je pas d’amendement ; je craindrais de contrarier des dispositions qui ne me sont pas présentes et que je n’ai pas eu le temps de compulser.
M. Dumortier, rapporteur. - Je répondrai à ce qu’a dit l’honorable préopinant, à savoir que nous avions rendu l’adjudant-major comptable pour donner sa nomination au Roi, que c’est là une inexactitude. La commission n’a pas eu cette pensée ; son but a été de charger un officier de l’inspection des armes. Nous avons cru trouver dans l’adjudant-major, homme payé par la commune, l’homme qu’il fallait pour faire ce service, et nous n’avons pas hésité à admettre cette proposition.
L’honorable préopinant a dit également que nous avons eu en vue d’enlever aux gardes la nomination de l’adjudant-major. Pour dire qu’il s’agit d’enlever cette nomination aux gardes, il faut avoir bien peu de connaissance de ce qui se passe en matière de garde civique ; car, cette nomination appartient non aux gardes, mais aux officiers du bataillon, nous n’avons donc rien enlevé aux gardes.
M. de Brouckere. - Les officiers sont des gardes civiques.
M. Dumortier, rapporteur. - Cela étant, on peut dire aussi bien que tous les gardes civiques sont officiers.
L’honorable M. de Brouckere prétend que donner au Roi le droit de nommer l’adjudant-major, ce serait violer indignement la constitution ; il y a cependant un décret qui contient la même disposition, qui a été rendue par le congrès, décret que l’honorable M. de Brouckere a signé en sa qualité de secrétaire du congrès. Ce décret porte (article 51) que dans le premier ban de la garde civique la nomination des chefs de bataillon et des autres officiers d’état-major appartient au gouvernement. Or, que sont les adjudants-majors ? Il est incontestable que ce sont des officiers appartenant à l’état-major ; donc le congrès a donné la nomination des adjudants-major au gouvernement ; et le gouvernement n’a jamais cessé de l’avoir, depuis ce décret, dans tout le premier ban de la garde civique et même de la garde civique non mobilisée.
On a donc tort de dire que la disposition de l’article 11 du projet consacre une violation de la constitution, puisque la congrès qui a fait la constitution a, par le décret que j’ai cité, laissé au gouvernement le droit de nommer les adjudants-majors.
M. de Brouckere. Je veux informer l’honorable M. Dumortier que je n’ai pas approuvé tous les décrets du congrès, parce que je les ai signés, et que la signature que j’ai donnée comme secrétaire, n’est pas une marque d’approbation. Je crois que l’honorable M. Dumortier le savait assez pour ne pas avancer une assertion aussi bizarre.
Je crois que l’article 11 du projet consacre une violation de la constitution, et j’ai pu le dire ; mais quant aux mots : « indignement, outrageusement violée, » ils ne sont pas de moi ; ils sont de l’invention de l’honorable M. Dumortier.
M. Dumortier. - Vous avez dit « judaïquement. »
M. de Brouckere. - J’ai dit que si on interprétait la constitution dans le sens de votre article 11, ce serait l’interpréter judaïquement. C’est une expression dont on se sert habituellement dans toute discussion ; et même elle ne se prend jamais en mauvaise part. Mais je le répète, les mots « outrageusement, indignement, » sont le propre de M. Dumortier. Je n’ai pas l’habitude de me servir de ces expressions.
M. Gendebien. - L’honorable rapporteur a si bien reconnu que la nomination des adjudants-majors n’appartenait pas au Roi qu’il a proposé de le décider dans l’article 11 ainsi conçu : « Les adjudants-majors et le quartier-maître sont nommés par le Roi, etc. »
M. Dumortier, rapporteur. - Pour le premier ban, la nomination appartient au Roi.
M. Gendebien. - Si vous interprétez la loi du 31 décembre 1830 en ce sens que la nomination des adjudants-majors appartient au Roi, alors la disposition de votre article 11 est au moins inutile.
M. Dumortier, rapporteur. - J’ai donné lecture de l’article 51 du décret du congrès, d’après lequel la nomination de tous les officiers de l’état-major appartient au Roi. Peut-être voudrez-vous prétendre que les adjudants-majors ne font pas partie de l’état-major ; mais ce sera une grande nouveauté.
M. Gendebien. - Remarquez donc que votre article 10 fait partie du titre II, intitulé : « Dispositions communes pour toute la garde civique, » tandis que le décret que vous citez n’est relatif qu’au premier ban ; vous ne pouvez donc pas l’invoquer en faveur de votre projet.
- L’article 10 est mis aux voix et adopté.
M. de Brouckere. - Il faudrait maintenant nommer un comptable pour les fifres.
M. le président. - « « Art. 11. Les adjudants-majors et le quartier-maître sont nommés par le Roi ; le tambour-major par le chef de la légion.
« Ils seront renouvelés lors de la mise à exécution de la présente loi. »
- Adopté.
M. le président. - « Art. 12. Dans les villes où il y a plusieurs légions, le Roi déterminera la composition de l’état-major du colonel en chef. »
- Adopté.
M. le président. - « Art. 13. Aussi longtemps que le premier ban est en activité de service, les officiers, sous-officiers et caporaux ne sont point soumis à la réélection.
« Il sera présenté par le commandant du corps pour chaque grade vacant, quatre candidats parmi lesquels le titulaire devra être élu. »
M. Gendebien. - Cet article consacre une violation de la constitution ; mais c’est bagatelle, au train dont vous y aller. (On rit.)
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je propose de mettre dans le premier paragraphe de cet article, au lieu des mots « est en activité de service » ceux-ci : « restera mobilisée. » Je crois qu’on atteindra mieux le but que se propose la commission, et qu’on évitera tout ambiguïté.
M. de Brouckere. - Je ne puis pas garder le silence sur cet article. Je n’ai rien à objecter au premier paragraphe. On fait bien de dire qu’il n’y aura pas de réélections quand la garde civique sera mobilisée ; ces réélections donneraient beaucoup d’embarras, et la constitution n’ayant pas déterminé la durée pour laquelle se dont les élections, on peut retarder la réélection sans inconstitutionnalité. Mais quand il y a des grades vacants, on ne peut pas changer les conditions d’éligibilité sans violer la constitution. Remarquez que je ne parle pas de la violer indignement ou outrageusement ; mais je dis que cela ne se peut sans violer la constitution.
Quand il y aura un grade vacant, l’on propose qu’il soit présenté, par le commandant du corps, quatre candidats parmi lesquels les gardes civiques choisiront. Mais si un commandant désire faire nommer un de ses favoris, il le présentera avec trois autres candidats sur lesquels ne pourront se porter les suffrages des électeurs, et ainsi il leur forcera la main ; c’est-à-dire qu’il n’y aura plus aucune espèce d’élection pour la garde civique dès qu’elle sera mobilisée, et que le choix des officiers sera laissé au commandant.
Si vous voulez adoptez cette proposition, je ne puis qu’élever la voix contre ; mais je crois et je le déclare consciencieusement ; je crois que c’est là une inconstitutionnalité.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - La constitution ne dit pas qu’il y aura élection directe. Ensuite il est reconnu par tout le monde qu’il y aurait le plus grand danger à abandonner à la garde civique le choix de ses officiers, quand elle est en activité. Ce serait compromettre la vie des hommes, le salut de la compagnie. Je crois que par des motifs aussi graves il faut interpréter la constitution d’une manière plus large. Je crois qu’en adoptant l’élection faite par les gardes sur la présentation que fera le chef du corps de 4 candidats, on ne sortira pas des termes de la constitution.
M. de Brouckere. - Il faut, dit M. le ministre, interpréter la constitution d’une manière plus large ; mais c’est qu’en l’interprétant aussi largement, elle se réduit vraiment à rien.
M. le ministre croit effacer l’inconstitutionnalité de l’article en discussion en cherchant à établir qu’il peut être utile, en ce sens que ce serait compromettre la vie des hommes que d’abandonner à la garde civique le choix de ses officiers quand elle est en activité. Mais si cela est vrai au moment de l’activité, c’est également vrai quelque temps avant. Ainsi voyez l’inconséquence ; peu de jours avant la mise en activité, les gardes civiques même du premier ban éliront leurs officiers ; puis aussitôt la mise en activité, la nomination sera laissée au commandant. Compromettrez-vous moins la vie des hommes, en laissant la nomination aux gardes civiques avant l’activité, que si vous la leur laissez après la mise en activité ?
Si la disposition de l’article 13 était utile, elle le serait également avant comme pendant l’activité, il faudrait donc l’appliquer à toutes les époques, au moins pour ce qui concerne la garde civique.
Je ne sais si ce que j’ai dit convaincra l’assemblée que l’article 13 est sans but utile, ou au moins sans nécessité, et que de plus il consacre une inconstitutionnalité.
M. F. de Mérode. - Il ne s’agit pas maintenant de mobiliser la garde civique, comme nous l’avons fait précédemment pour tenir les hommes constamment sous les armes, ou tout au moins pendant fort longtemps ; alors une disposition analogue à celle en discussion pouvait être très utile. Il s’agit seulement maintenant de pouvoir momentanément recourir à la garde civique, si les circonstances l’exigeaient. Je crois d’après cela que l’article pourrait être modifié, et que peut-être ainsi, il n’est pas parfaitement constitutionnel. Je crois qu’il n’y a pas lieu à restreindre le droit de nomination des gardes civiques. Je dois le dire sincèrement, parce qu’il m’est impossible de ne pas dire ce qui me paraît vrai.
M. le ministre de la guerre (M. Evain). - Le premier ban de la garde civique se composait de 30 bataillons, il a été réduit à 24 bataillons. Les hommes ont été renvoyés en congé illimité ; mais je compte les rappeler dès que le gouvernement aurait besoin de leur service. Il n’y a pas eu dans le premier ban à pourvoir par élection aux grades vacants ; il y avait un excédant d’officiers ; et lorsqu’il y avait des grades vacants, je rappelais à l’activité des officiers de garde civique qui étaient dans leurs foyers.
Je crois que quand le premier ban de la garde civique est mobilisé, il serait fâcheux qu’il fût pourvu aux places vacantes par élection directe de la part de gardes civiques ; je crois que ce serait contraire au bien-être du service.
M. Dumortier, rapporteur. - Je crois que l’on tombe dans une grave erreur lorsqu’on vient prétendre qu’il y a dans l’article en discussion une constitutionnalité. La disposition proposée est sévère ; mais chacun conviendra qu’il faut une disposition sévère lorsqu’il s’agit d’exposer la vie des hommes ; quant à la prétendue inconstitutionnalité de l’article je ne saurais l’admettre.
L’honorable M. de Brouckere dira que nous interprétons judaïquement la constitution, lui qui ne se sert jamais de mots déplacés ; et assurément cette expression n’outrage pas la philosophie et le libéralisme, elle n’offense pas une partie de la population, une classe de personnes ; non elle est modeste et convenable comme tout ce qui sort de la bouche de cet honorable représentant.
Pour prouver la constitutionnalité de l’article que nous proposerons, je citerai le rapport de la section centrale du congrès sur l’article 122 de la constitution. Voici comment s’exprime le rapporteur ; c’est l’honorable M. Destouvelles, un des membres les plus éclairés du congrès.
« On ne peut méconnaître que le principe de l’article 122 pris dans un sens trop absolu entraînerait de graves inconvénients lorsque les gardes civiques sont mobilisées et mises en activité. Car, outre qu’une partie des titulaires choisis par les gardes peut laisser à désirer les connaissances militaires indispensables en temps de guerre, un personnel trop nombreux surcharge le trésor de frais inutiles. »
Ainsi, vous le voyez, messieurs, l’article de la constitution ne doit pas être entendu dans un sens trop absolu.
Personne ne contestera qu’en présence de l’ennemi il serait dangereux d’abandonner entièrement aux gardes civiques le choix de leurs officiers. La disposition proposée peut être sévère, mais elle n’est pas inconstitutionnelle ; elle est indispensable pour que l’on ait la garantie que les officiers ne compromettront pas la vie des hommes sous leurs ordres, ne compromettront pas le salut du pays.
M. de Puydt. - Messieurs, moi qui ai fait partie de la commission chargée d’examiner le projet de loi en discussion, je ne comprends pas le but qu’on a en vue. Je désire une loi qui mette l’organisation de la garde civique en harmonie avec celle de l’armée. Une des plus grandes difficultés c’est que lorsque, par suite de circonstances qui le nécessiteraient, la garde civique arriverait dans l’armée, elle amènerait avec elle une organisation qui ne serait pas celle de l’armée.
Je suppose le cas où, après un combat, les officiers viendraient à manquer, il semblerait que la nomination appartiendrait à la compagnie, et cependant un arrêté donne au Roi la prérogative de nommer les officiers dans l’armée, parce qu’il est chef de l’armée, et, selon moi, cette prérogative n’appartient qu’à lui seul.
Pour lever cette difficulté il faudra donc établir comment la garde civique mobilisée sera mise en harmonie avec l’organisation de l’armée. Je crois qu’il fait renvoyer la solution de cette question à la loi sur la réserve de l’armée, promise par M. le ministre de la guerre. Quant à moi, je me sens dans l’impossibilité de voter, d’une part, parce que c’est inconstitutionnel, et de l’autre, parce que je suis d’avis que l’on doit conserver au chef de l’Etat la prérogative de nommer les officiers faisant partie de l’armée.
M. de Brouckere. - Je crois devoir revenir sur l’inconstitutionnalité évidente à mes yeux.
L’honorable M. Dumortier prétend que vous n’ôtez pas aux gardes le droit d’élection. J’ai déjà prouvé qu’en laissant au commandant du corps l’élection de quatre candidats, c’était lui laisser le privilège de nommer qui il voudrait. C’est égal, dit l’honorable représentant de Tournay, il y a élection.
Supposez que le Roi nomme les ministres sur une liste de quatre candidats présentés par la chambre ; on dira : vous voyez bien que la constitution est respectée, car le Roi nomme sur une liste de quatre candidats. Une pareille raison est absurde. Eh bien, moi, je vous dirai, si l’on interprète la constitution comme il le faut, que les gardes civiques ont droit à l’élection dans toute l’acception du mot, et voilà que dans une nouvelle loi, ce droit d’élection, non restrictif selon la constitution, nous nous empressons de le restreindre. Est-ce là respecter la constitution ou la violer ?
Quant à moi, je n’ai pas de doutes à cet égard. Vous avez entendu tout à l’heure l’honorable compte de Mérode dire avec sa bonne foi ordinaire, que cela était inconstitutionnel. Que l’on pèse l’article 122 de la constitution et l’article 13 du projet de loi que nous discutons et l’on verra si cette inconstitutionnalité n’est pas flagrante.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - L’honorable préopinant a dit qu’il serait absurde que les ministres fussent présentés par une liste de candidats à la nomination du Roi. Ce serait absurde, mais il ne s’en suit pas de là que la demande du projet du gouvernement soit inconstitutionnelle ; l’honorable M. de Puydt a dit qu’il désirait voir présenter la loi sur l’armée de réserve. Dans son opinion, il faudrait organiser l’armée de réserve de manière à attribuer au Roi la prérogative de nommer les officiers. Je ne combats pas son opinion à cet égard, mais en attendant que cette loi soit votée, rien ne s’oppose à ce que l’article proposé dans ce projet soit adopté, car il amènera d’utiles résultats.
M. d'Hoffschmidt. - Messieurs, comme membre de la commission chargée d’examiner le projet de loi que nous discutons, j’ai émis déjà les doutes dont on vient de parler. Je rejetterai l’article 13 ; mais s’il passait je rejetterais la loi. Il serait inouï qu’une assemblée législative donnât l’exemple de l’inconstitutionnalité. La question n’est pas de savoir si la mesure est utile ou non. Nous devons avant tout et quoi qu’il arrive, observer la constitution dont nous sommes les conservateurs.
M. Gendebien. - Il m’avait paru suffisant pour démontrer l’inconstitutionnalité de l’article 13 du projet de loi de lui opposer l’article 122 de la constitution. Je n’ajouterai rien à ce qu’ont dit mes honorables collègues. On s’est retranché dans l’utilité qu’il y aurait d’interpréter la constitution autrement qu’elle ne doit l’être. Quand on veut agiter la question d’utilité, c’est un débat sur un fait. La constitution est inflexible, elle est indépendante de toute question de fait ; il n’est point permis de la faire plier à une question d’utilité ; toutes ces réflexions seraient peut-être recevables s’il s’agissait de faire ou de réviser la constitution, mais elles ne sont d’aucune valeur si on veut la respecter.
M. Dumortier, rapporteur. - Remarquez, messieurs, que chaque article de la loi devient l’objet d’une attaque d’inconstitutionnalité. S’est-il agi de créer des officiers et de donner leur nomination au Roi ? On a dit que c’était inconstitutionnel. Maintenant on parle d’une présentation de la part du chef de corps, c’est encore inconstitutionnel.
Je respecte infiniment la constitution, j’en ai fourni des preuves, j’ose le croire. Parlant de la nomination des ministres, on a voulu argumenter par comparaison. Si l’on veut établir des comparaisons, il faut au moins qu’elles soient plus réelles, plus fondées que celle-là.
De quoi s’agit-il, messieurs ? De savoir si une présentation est inconstitutionnelle, ou si, en d’autres termes, vous avez le droit de restreindre le cercle dans lequel cette nomination doit avoir lieu. Oui, vous avez ce droit et vous en avez déjà fait usage.
En effet, lors de la loi provinciale, qu’avez-vous fait ? Vous avez établi des conditions d’éligibilité ; vous avez d’abord établi qu’il fallait avoir l’âge de 25 ans. Vous avez donc par là restreint le cercle dans lequel les électeurs pouvaient choisir. Quoique la constitution posât dans les termes les plus formels le principe d’élection directe, vous avez interdit la faculté d’élire des personnes n’ayant pas l’âge que vous avez fixé. Vous avez établi d’autres exceptions que ma mémoire ne me rappelle pas. Ce sont autant de restrictions que vous avez apportées au choix des électeurs. La mesure que nous vous proposons est du même genre. Dans la loi communale vous avez admis le même principe, vous avez écarté du nombre des éligibles tous ceux qui n’avaient pas l’âge requis par la loi et de plus, tous ceux qui ne payaient pas le cens que vous avez établi. Là encore vous avez donc restreint le cercle des éligibles.
Plusieurs des honorables membres qui nous accusent en cette circonstance de violer la constitution, ont appuyé une proposition qui excluait les ministres du culte de l’éligibilité au conseil communal. Là l’inconstitutionnalité était plus formelle ; car il s’agissait de prononcer une exclusion contre toute une classe de personnes. On restreignait bien aussi le choix des électeurs. Avez-vous dit que la proposition était inconstitutionnelle ? Non, parce qu’elle vous convenait. Aujourd’hui vous invoquez cette raison parce que la mesure ne vous convient pas. Il n’y a pas plus d’inconstitutionnalité aujourd’hui qu’il n’y en avait alors.
Quant à l’autre article sur lequel on s’est appuyé, article qui déclare tous les Belges égaux, il est incontestable que si on le prenait à la lettre, non seulement les hommes, mais les femmes seraient éligibles, car les femmes sont belges aussi.
M. Gendebien. - Vous feriez bien de consulter le casuiste Legrelle.
M. Dumortier, rapporteur. - Je ne suis pas casuiste, je ne suis pas même avocat, je n’ai jamais fait de consultation.
M. Gendebien. - On s’en aperçoit. (Hilarité.)
M. Dumortier, rapporteur. - La question d’inconstitutionnalité écartée, la première qui se présente ensuite est celle d’utilité. Je crois que celle-là, personne ne peut la révoquer en doute.
Je repousse de toutes mes forces le projet d’organisation de M. de Puydt, qui tendrait à faire du premier banc de la garde civique une espèce d’armée de réserve, parce que dans ce projet je vois une violation manifeste de la constitution, en ce qu’il enlève toute espèce de nomination aux gardes, pour la conférer au Roi. C’est là, je le répète, une inconstitutionnalité que je repousserai de toutes mes forces, car je ne consentirai jamais à accorder à la prérogative royale ce qui appartient au peuple.
Je voterai donc, pour maintenir la garde civique, contre votre armée de réserve que je regarde comme le plus grand vice qu’on puisse introduire dans notre pays.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - On prétend que la disposition proposée est contraire à la constitution, notamment à l’article 122.. Voici cet article : « Les titulaires de tous les grades, jusqu’à celui de capitaine au moins, sont nommés par les gardes. » Vous voyez que dans cet article il ne s’agit pas d’élection directe, que le seul droit conféré aux gardes, c’est de nommer tous les officiers jusqu’au grade de capitaine inclusivement.
Maintenant cet article interdit-il à la législature d’établir des conditions d’éligibilité, ou ne le lui interdit-il pas ? Il me semble incontestable que cet article n’interdit pas d’établir des conditions d’éligibilité pour ceux qui pourraient être nommés. J’en trouve la preuve dans une foule de dispositions de la constitution. Pour l’ordre judiciaire, par exemple, voici ce que porte l’article 99 :
« Les juges de paix et les juges des tribunaux sont directement nommés par le Roi. »
L’article 101 ensuite porte :
« Le Roi nomme et révoque les officiers du ministère public, près des cours et tribunaux. »
Or, dans une loi précédente, dans la loi d’organisation judiciaire, quoique le droit de nommer les juges de paix et les juges des tribunaux appartienne au Roi, d’après la constitution, ainsi que le droit de nommer et de révoquer les officiers du ministère public, près des cours et tribunaux, vous avez créé des conditions d’éligibilité. Il n’est pas permis au Roi de nommer tout individu à la place de juge ; il ne peut pas non plus nommer indistinctement celui qui lui plaît à la place de procureur du roi, près d’un tribunal de première instance, ou de procureur-général près d’une cour d’appel.
Vous avez mis à l’éligibilité des conditions d’âge et de capacité, vous avez déclaré que pour pouvoir être nommé, il fallait avoir fait des études spéciales, qu’il fallait être gradué en droit et avoir pratiqué près d’un tribunal de première instance ou près d’une cour d’appel ; en un mot, vous avez restreint le droit qui appartient au Roi de nommer les juges et les officiers du ministère public ; et vous l’avez fait, sans violer en rien la constitution. Vous avez donc le droit d’établir des conditions d’éligibilité.
Cela est si vrai que si on avait inséré dans la loi des conditions d’éligibilité pour les officiers des gardes civiques, personne ne se serait élevé contre la disposition. Eh bien que fait-on ? On propose de dire que : il sera présenté par le commandant du corps pour chaque grade vacant, quatre candidats parmi lesquels le titulaire devra être élu.
Cette disposition peut paraître sévère, elle restreint de beaucoup le choix des électeurs, le rapporteur lui-même vous l’a dit, mais il n’y a cependant pas d’inconstitutionnalité. Car après tout, les officiers seront nommés par les gardes sur présentation faite par le chef du corps. On satisfait ainsi à la lettre de la constitution, qui veut que les officiers soient nommés par les gardes. Quant à moi, je l’avoue, j’aurais préféré qu’on eût déterminé les conditions qu’il faut réunir pour pouvoir être nommé à un grade. Mais je conçois que la commission pressée qu’elle a été, n’ait pas pu se livrer à toutes les investigations nécessaires pour présenter une disposition complète. Cependant, je ne vois pas d’inconstitutionnalité dans la mesure présentée, car elle n’enlève pas aux gardes le droit de nommer leurs officiers jusqu’au grade de capitaine, elle ne fait que restreindre le cercle dans lequel ils devront les choisir.
M. Gendebien. - Messieurs, on vous a dit que l’article 13 combiné avec l’article 122 faisait tomber le reproche d’inconstitutionnalité que j’adressais à la mesure proposée, et on a ajouté que si le reproche était fondé, la chambre se serait rendue coupable d’une infinité d’inconstitutionnalité. On a cité l’âge de 25 ans fixé pour pouvoir être éligible et électeur, on a cité aussi les restrictions apportées à la nomination des juges et des officiers du parquet, qui est déférée au Roi par la constitution.
Veuillez remarquer que pour l’éligibilité, chaque citoyen arrive à son tour à l’âge de 25 ans, et quant aux conditions requises pour être nommés juges, elles sont toutes naturelles, car si on n’avait pas établi ces conditions, le Roi aurait pu nommer un enfant de dix ans, quelque familier de la cour, son portier même. Est-ce là détruire le droit de nomination qui appartient au Roi ? Non certainement, car tout citoyen peut arriver à l’âge de 25 ans et remplir les conditions requises pour pouvoir être juges ou officiers du ministère public. En Belgique, l’instruction est libre, tous peuvent l’acquérir, nous n’en sommes pas encore au régime allemand, à ce despotisme qui ne permet l’instruction qu’à certaines classes ; en Belgique, toutes les classes peuvent également l’acquérir ; les conditions, loin de contrarier la constitution, rentrent au contraire dans la nature des fonctions laissées à la nomination royale.
Il est de principe en législation que jamais l’exception ni la restriction ne doit absorber la règle. Or, dans le système qu’on propose pour la nomination des officiers de garde civique, la restriction que l’on veut apporter à l’article 122 de la constitution absorbe la règle. C’est une monstruosité en législation que de soutenir que l’exception peut absorber la règle. C’est cependant ce que vous faites, car dans une compagnie, tous les membres de cette compagnie sont éligibles et vous réduisez par votre disposition les éligibles à quatre. N’est-ce pas rendre illusoire le droit de chacun d’être élu et d’élire ? c’est donc absorber la règle.
Voilà la différence immense que l’honorable contradicteur sait aussi bien que nous. Je puis assurer que, devant un tribunal, soit comme avocat, soit dans sa qualité de procureur du Roi, qu’il avait avant la révolution, il n’aurait jamais osé émettre les principes qu’il vient d’énoncer.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois que dans tous les temps et à toutes les époques, j’aurais pu soutenir l’opinion que je viens d’émettre. Je continue à penser qu’il n’y a aucune inconstitutionnalité dans la proposition faite par la section centrale. Il suffit, pour s’en convaincre, de lire l’article 122. Cet article ne confère qu’un seul droit aux gardes, celui de nommer leurs officiers jusqu’à certain grade ; il ne s’explique pas sur les conditions requises pour pouvoir être nommé, vous avez le droit de déterminer ces conditions, les conditions d’éligibilité, comme vous l’avez fait, à l’égard d’une foule de fonctionnaires publics dont la constitution confère la nomination au chef de l’Etat.
Mais, dit l’honorable préopinant, il a bien fallu déterminer les conditions qu’il fallait réunir pour être juge, sans cela le Roi aurait pu nommer des gens de cour, ou même son portier. Cette supposition n’est pas probable. Si je voulais faire des suppositions, si je voulais même présenter des réalités, je dirais que des hommes qui, dans la vie sociale, jouissent de moins de considération que des portiers ont été promus au grade d’officier dans la garde civique. Mais vous savez comment ont été faites les nominations dans certaines localités, vous savez quels individus ont été appelés aux grades, que les gardes ont plus abusé du droit de nommer leurs officiers, qu’aucun pouvoir de l’Etat n’aurait pu le faire.
Mais, dit-on, l’exception absorbe la règle. Je ne suis pas convaincu de cela. Je crois que chacun aura son tour de présentation, s’il y a beaucoup de nominations dans un corps. J’ai dit que j’aurais préféré des conditions d’éligibilité. Je pense que si la section centrale avait eu le temps nécessaire pour mûrir son projet, elle se serait arrêtée à cette proposition qui me paraissait plus utile, plus rationnelle.
Je persiste à dire que la constitution ne confère aux gardes civiques qu’un droit, c’est celui de nommer les officiers. Elle ne s’oppose pas à ce que l’on établisse des conditions d’éligibilité ou une liste de présentation. Vous ne violez pas la constitution en renfermant le droit de nomination dans certaines limites.
M. F. de Mérode. - Ayant partagé plus ou moins l’opinion de ceux qui regardent l’article comme inconstitutionnel, il est nécessaire que je développe ma pensée.
Les conditions d’éligibilité doivent-elles être les mêmes dans une troupe comme la garde civique lorsqu’elle est dans ses foyers et sans solde, et lorsqu’elle est mobilisée et soldée par le trésor public ? Dans ce dernier cas, messieurs, il semble rationnel de restreindre autant que possible le droit d’éligibilité, parce que ce droit est évidemment contraire à un bon service militaire.
Or, messieurs, la constitution a donné aux gardes civiques un droit très large d’élection pour les officiers. L’esprit de l’article, qui consacre ce droit, s’appliquait à une troupe qui faisait un service gratuit, et, non point à une troupe payée. Dès lors, dans le cas où une partie de la garde civique et payée est mise tout à fait sur un pied militaire, dès qu’elle reçoit la même solde que la troupe de ligne, elle doit s’en rapprocher autant que possible pour éviter une dangereuse anomalie ; et alors, en se maintenant dans la rigueur du texte de l’article 122, on ne sort point de l’esprit de la constitution, des circonstances toutes particulières autorisant la législature à interpréter cet article dans le sens le plus restrictif possible du droit d’éligibilité, vu que l’intérêt de la défense du pays l’exige évidemment.
Du moment que la lettre de la constitution ne s’oppose pas à ce que l’article soit adopté, je pense que nous pouvons l’admettre. Nous pouvons nous en tenir strictement à la lettre de la constitution. S’il s’agissait de la garde civique agissant dans ses foyers, je conçois que nous devrions plus rechercher l’esprit de la constitution. Mais la position de la garde civique mobilisée étant toute exceptionnelle en ce qu’elle fait le même service que la ligne, il nous suffit que suivre la lettre ne soit pas agir contre l’esprit de la constitution.
M. Gendebien. - Je crois de mon devoir de député et de citoyen de relever une injure que M. le ministre des affaires étrangères vient d’adresser à la garde civique.
Il a prétendu que les nominations par les membres de la milice citoyenne avaient été indignes de la mission qui leur était confiée. Il ne m’est rien parvenu de semblable à ce que signale M. le ministre.
Je n’ai jamais entendu dire que l’on ait nommé des hommes qui fussent au-dessous des portiers. Je laisse aux gardes civiques à apprécier l’honneur que leur fait M. le ministre en comparant à des portiers les officiers qu’ils ont élus.
Moi aussi je veux bien des conditions d’éligibilité. Vous pourrez exiger que pour être nommé officier, il faille posséder les connaissances militaires nécessaires pour chaque grade. Cela ne serait que très légitime, que très rationnel. Mais autre chose est d’imposer des conditions qui ressortent de la nature même des fonctions ou de porter une atteinte aussi directe au mode même de l’élection, en réduisant le nombre des candidats à 4 individus seulement. Certes, la différence est grande et il ne faut qu’un peu de bonne foi ou au moins de bonne volonté pour la reconnaître.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je proteste contre l’inculpation lancée contre moi par l’honorable M. Gendebien. Selon lui ma pensée aurait été de comparer les officiers de la garde civique à des portiers. Personne plus que moi ne respecte ceux que l’élection des citoyens a nommés à des grades mérités dans la garde civique ; j’ai fait allusion à des abus connus de tout le monde. Je ne citerai personne. Si je voulais révéler des faits, la chambre en serait indignée. (Adhésion générale.)
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je conçois les scrupules qui arrêtent des membres de cette assemblée. Cependant il ne faut pas que l’on s’exagère la portée des dispositions de la constitution. Nous devons les prendre telles qu’elles sont écrites et non pas en forcer l’interprétation.
Les membres qui ont combattu l’article en discussion ont supposé que la constitution consacrait l’élection directe des officiers de la garde civique. Lorsque la constitution consacre l’élection directe, qu’elle ne veut pas qu’il y soit porté la moindre atteinte, elle fait comme elle a fait à l’égard de l’élection des membres de la législature. Elle détermine les conditions d’éligibilité. Lorsque la constitution consacre l’élection directe, mais qu’elle veut laisser plus de latitude aux lois organiques, elle s’exprime comme elle l’a fait pour les institutions provinciales et communales. Elle permet d’établir quelques conditions d’éligibilité. Mais lorsqu’il s’agit de la garde civique, elle ne dit pas que les officiers seront élus directement, ce qui laisse à la législature la latitude d’établir des conditions d’éligibilité. La nomination des officiers de la garde civique par les gardes peut-elle se faire sur présentation de candidats ? Voilà la question à résoudre.
La constitution ne le défend pas. Par conséquent nous pouvons l’admettre sans violer la constitution.
On regrette que la commission n’ait pas eu le temps d’établir des conditions d’éligibilité. Je ferai remarquer que des conditions quelles qu’elles fussent ne seraient pas aussi efficaces que la disposition proposée. Elle est plus utile et ce sous ce rapport d’utilité elle doit mériter la préférence.
M. A. Rodenbach. - Tout le monde est convaincu qu’il y a eu des nominations scandaleuses dans la garde civique. J’ai appris par un honorable députe d’Anvers qu’un homme mal famé était parvenu à prix d’argent à se faire nommer par sa compagnie, qui se dégoûta bientôt de lui, lorsqu’au bout de 15 jours il se fût lassé de lui payer à boire.
A Cachtem (Flandre orientale), on a nommé un ancien soldat inscrit sur le tableau des indigents ; il recevait l’aumône en même temps qu’il commandait sa compagnie. Il faut que le mode de nomination soit changé. Des choses aussi ignobles ne devraient plus se présenter.
M. Liedts. - M. le ministre de l’intérieur vient de dire que l’article 122 de la constitution n’exigeait pas l’élection directe des officiers de la garde civique. Si la chambre ne s’attachait qu’au texte littéral de la constitution, cette interprétation pourrait avoir une apparence de fondement. Mais sur tous ceux qui ont fait partie du congrès, il est impossible de mettre en doute que la constitution ne consacre l’élection directe. Il suffit de lire l’exposé des motifs dont l’article 122 est accompagné.
« Cette force intérieure (c’est de la garde civique qu’il est question), est la garantie que son organisation lui est abandonnée. L’article établit un principe fondamental, celui de l’élection directe des officiers par les gardes. »
Vous voyez donc que le but du congrès était d’établir l’élection directe. On peut certainement, sans violer l’esprit de la constitution, imposer à cette élection des conditions d’éligibilité, parce que tous les citoyens, en se soumettant à ces conditions, sont éligibles. Mais dire que l’on remplit le but de l’article en exigeant la présentation de quatre candidats, c’est interpréter judaïquement l’article 122, et ne pas se conformer à son esprit.
M. Dumortier, rapporteur. - L’honorable M. Liedts a fait un appel aux personnes qui ont siégé au congrès. Je n’ai pas eu l’honneur de faire partie de cette assemblée ; mais je puis connaître les intentions qu’elle a eues dans la rédaction de l’article 122, en parcourant, comme M. Liedts, l’exposé des motifs qui l’accompagne. Voici ce que dit le rapport :
« J’aurai l’honneur de faire observer (c’est M. Fleussu qui parle) au congrès, que l’article du projet avait été discuté dans les sections avant l’adoption de la loi sur la garde civique, et que le vœu de quelques-unes a été rempli par les dispositions des articles 25, 27 et 29 de cette loi. Or, comme ces articles ont déjà subi l’épreuve d’une discussion publique, qu’ils ont obtenu l’assentiment de la majorité de l’assemblée, la section centrale a été d’avis de les faire entrer dans la constitution. C’est d’ailleurs le seul moyen de faire accorder la loi particulière avec la loi fondamentale. »
Il s’agit, messieurs, de prendre en ce qui concerne la garde civique, une disposition analogue à celles que vous avez prise relativement aux élections dans les lois communales et provinciales. Vous ne violerez pas plus la constitution aujourd’hui que vous ne l’avez violée dans ces deux lois.
- Plusieurs membres. - La clôture.
M. Milcamps. - Si la loi qui nous est proposée n’était pas transitoire et temporaire, je concevrais que l’on considérât la disposition en discussion comme violant l’article 122 de la constitution ; et assurément je ne l’adopterais pas dans une loi d’organisation définitive de la garde civique. Mais chez aucun peuple, l’histoire des nations l’atteste, les dispositions temporaires, d’urgence, ne sont jamais considérées comme des violations de la constitution. Les Anglais ont leur habeas corpus, et leur alien-bill ; les Romains avaient leur caveant consules. Ces exemples me porteront à voter pour l’article en discussion. J’ai voulu seulement faire connaître succinctement mon opinion.
M. Gendebien. - Je prie la chambre de se rappeler que l’article 130 de la constitution porte :
« La constitution ne peut être suspendue en tout ni en partie. »
Je ne pense donc pas que cette circonstance, que la loi est transitoire et temporaire, puisse justifier le vote du préopinant.
- Plusieurs membres. - La clôture !
M. F. de Mérode. - Ce n’est pas parce que la loi est transitoire que…
(Les cris : la clôture ! empêchent l’orateur de continuer.)
- La clôture sur l’article 13 est mise aux voix et prononcée.
M. Rogier. - La clôture a-t-elle eu lieu sur l’amendement de M. le ministre de l’intérieur ?
M. le président. - Oui, je ne puis vous accorder la parole que sur la position de la question.
M. Rogier. - J’aurais aussi préféré quant à moi le système proposé d’abord par le gouvernement et qui consistait à imposer des conditions d’éligibilité.
J’aurais quelques doutes sur la constitutionnalité des nominations sur la présentation du commandant du corps. Je reconnais toutefois que cette présentation peut être utile et même nécessaire, alors qu’il y a activité effective du premier ban.
M. Gendebien. - C’est le fonds.
M. le président. - Je ne puis pas laisser l’orateur rentrer dans la discussion.
M. Rogier. - Je voulais éclairer la chambre sur la portée du vote qu’elle va émettre.
- L’amendement de M. le ministre de l’intérieur est mis aux voix et adopté ; le premier paragraphe de l’article 13 ainsi amendé est également adopté.
Le deuxième paragraphe de l’article 13 est mis aux voix ; deux épreuves sont douteuses ; la chambre procède à l’appel nominal ; en voici le résultat :
60 membres sont présents.
1 membre s’abstient.
59 prennent part au vote.
16 répondent oui.
43 répondent non.
La chambre n’adopte pas.
Ont répondu oui : MM. Verrue-Lefranc, A. Dellafaille, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, de Theux, Dumortier, Eloy de Burdinne, Milcamps, Morel-Danheel, A. Rodenbach, Thienpont, Ullens, C. Vuylsteke.
Ont répondu non : MM. Brabant, Brixhe, Cols, Cornet de Grez, Davignon, de Behr, H. Dellafaille, de Meer de Moorsel, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, de Roo, Deschamps, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet, de Stembier, de Terbecq, Dewitte, d’Hane, d’Hoffschmidt, Dumont, Duvivier, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Hye-Boys, Lardinois, Liedts, -Meeus, Vandenhove, Vanderbelen, Vanderheyden, Verdussen, H. Vilain XIIII, Watlet, Pirson, Polfvliet, Raikem, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Smits.
M. le président. - J’invite le membre qui s’est abstenu à faire connaître conformément au règlement les motifs de son abstention.
M. Donny. - Je n’ai pas voulu voter contre l’article, parce que les dispositions qui y sont analogues, me semblent non seulement utiles, mais même indispensables. Je n’ai pas voulu voter pour l’article, parce qu’il me reste des doutes sur sa constitutionnalité.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Messieurs, j’avais déclaré que je consentais à ce que la discussion s’établît sur le projet de loi, tel que l’avait amendé la commission ; maintenant que la demande a été rejetée, je dois revenir aux conditions d’éligibilité et en conséquence je propose la rédaction suivante :
« Amendement de M. le ministre de l’intérieur.
« Nul ne pourra être élu officier s’il ne possède l’une des conditions suivantes :
« 1° Avoir servi dans l’armée comme officier ou sous-officier ;
« 2° Payer, par soi-même ou par ses père et mère, des contributions au moins égales à celles exigées pour être électeur pour la formation du conseil de régence dans la commune à laquelle la garde civique appartient ;
« 3° Etre porté d’office sur la liste des éligibles, par le commandant du corps. »
La première condition de l’éligibilité est de grande importance. La deuxième de payer soi-même ou par ses père et mère les contributions dans la commune où la garde civique est établie, est également une condition très importante. La troisième, être porté d’office par le commandant du corps, a pour objet d’étendre le cercle de l’élection. L’éligibilité ayant lieu de ces trois manières le cercle se trouvera nécessairement étendu. Il n’est personne, je crois, qui puisse contester la nécessité des conditions de l’éligibilité.
M. Desmanet de Biesme. - Cette disposition paraît extrêmement importante ; je demande qu’elle soit imprimée et que la discussion en soit remise à demain.
- Plusieurs membres. - A demain ! à demain !
M. Rogier. - J’appuie la demande de l’impression,, mais je crois qu’il faut continuer la discussion.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je déclare que cette disposition doit faire l’objet d’un article applicable à toute la garde civique.
M. Gendebien. - Je demande que l’amendement soit distribué ce soir afin que nous n’ayons pas à souffrir les mêmes inconvénients que ceux qui se sont présentés pour le rapport.
M. le président. - Nous allons passer à l’article 14.
« Art. 14. Pourront être remplacés, sur la décision du commandant du corps, les officiers qui, trois mois après leur élection, ne connaîtront pas les deux premières écoles, et les sous-officiers qui ne connaîtront pas l’école du soldat. »
M. Gendebien. - Il me semble que l’article 14 ne peut pas être adopté dans le texte qui nous est soumis. Il y a beaucoup trop d’arbitraire dans ce texte. C’est le commandant seul qui peut juger si l’officier est ou non capable de remplir ses fonctions. Je ne crois pas que l’état d’un officier puisse être soumis au caprice d’un chef, d’autant plus que ce chef est l’homme du gouvernement puisqu’il est nommé par lui. Je désirerais que cette élimination ou destitution fût prononcée par une commission d’officiers supérieurs et que des officiers de tous grades fussent appelés à donner tout au moins leur avis. Vous détruisez l’élection par le pouvoir exorbitant que vous donnez au commandant.
M. Desmaisières. - Je viens appuyer les observations de l’honorable préopinant. Je crois avec lui qu’on ne peut pas laisser à l’arbitraire du chef du corps de décider si les officiers et sous-officiers ont acquis dans le temps donné l’instruction voulue par la loi. Je crois qu’il faudrait remettre cette décision à une commission élue par les officiers et sous-officiers du corps. J’en fais la proposition formelle par amendement.
M. Gendebien. - Puisque nous aurons à discuter demain un article renvoyé à la commission, je demande qu’on renvoie également l’article dont il s’agit, afin que chacun puisse présenter les amendements qu’il croira convenables.
- L’article 14 est renvoyé à la commission.
M. le président. - « Art. 15. Le gouverneur et le commissaire de district pourront requérir le service de la garde civique, toutes les fois qu’ils le jugeront nécessaire.
« Lorsque la garde civique sera requise pour faire le service de garnison pendant plus de dix jours, l’Etat sera tenu de solder les sous-officiers, caporaux et gardes composant les détachements de service. »
M. Donny. - Messieurs, je viens combattre le pouvoir extraordinaire que l’article en discussion donne aux commissaires de district.
Je repousse cette disposition d’abord parce qu’elle me paraît inutile. L’article confère au gouverneur le droit de requérir la garde civique. Cela me paraît suffisant. Je ne vois aucune utilité à ce que ce pouvoir exorbitant soit aussi donné aux commissaires de district. Je repousse encore la disposition, parce qu’elle me paraît étendre d’une manière vraiment irrationnelle les attributions des commissaires de district.
D’après la généralité des termes dans lesquels cet article 15, est conçu, la disposition s’étend aux gardes civiques des villes, tout aussi bien qu’aux gardes civiques des campagnes. Or, les commissaires de district n’ont aucune attribution sur la population des villes et leur en conférer une, c’est évidemment étendre le cercle de leurs attributions. C’est ce que je ne crois pas devoir faire, surtout, dans une circonstance aussi importante que celle-ci.
Afin de pouvoir voter contre le pouvoir conféré aux commissaires de district, je demanderai la division du paragraphe.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Je ferai observer que la question soulevée par l’honorable préopinant a été discutée quand nous nous sommes occupés de la loi provinciale et qu’elle a été résolue en sens inverse de l’opinion qu’il vient d’émettre.
L’article 139 du projet de loi d’organisation provinciale, déclare les dispositions des articles 128 et 129 communes aux commissaires des districts, et ces articles confèrent aux gouverneurs le droit de requérir la force publique.
Lors de la discussion de la loi provinciale, vous avez formellement voulu que le commissaire de district eût le droit de requérir la garde civique. Je ne saurais comment concilier la loi actuelle avec la loi provinciale, si vous lui refusiez le droit que vous lui avez conféré dans cette loi.
Je ne vois pas qu’il y ait de graves inconvénients à lui accorder le droit de requérir la garde civique. Je ne pense pas que les commissaires de district abusent du pouvoir qu’on leur donne. Je suis persuadé qu’ils prendront toujours l’avis du gouverneur, à moins de circonstances urgentes et imprévues, où il leur serait impossible de le faire. C’est pour ces circonstances que le droit de requérir la force publique, la garde civique, leur a été conférée par la loi provinciale, ce sont aussi ces motifs qui ont déterminé votre commission à le leur maintenir.
M. Donny. - Mais encore faudrait-il que l’on déterminât quelle sera la garde civique que le commissaire de district pourra requérir, s’il aura le droit de requérir la garde civique des campagnes de son arrondissement et de la ville où il demeure. Voilà ce que la loi ne dit pas.
Si on veut lui donner le droit de disposer de la garde civique d’une ville, par la raison seule qu’il y a sa résidence, je croirai devoir m’y opposer. M. le ministre argumente de la loi provinciale. Je ferai observer que cette loi n’a encore été votée que par une branche du pouvoir législatif, qu’elle pourra subir des modifications et que par conséquent elle ne peut être considérée dans la discussion actuelle comme pouvant nous lier. Je demande donc de quelle garde civique le commissaire de district pourra disposer.
M. Gendebien. - Si la loi dont nous nous occupons devait avoir une longue durée, je regarderais à deux fois avant de donner aux commissaires de district le droit de requérir la garde civique. Mais il s’agit ici d’une loi transitoire et même de courte durée. Le pays lui-même est dans une position toute transitoire par suite des événements politiques et militaires qui peuvent se présenter, je pense donc que, par exception et sans entendre lier mon vote, quand il s’agira de voter la loi définitive, je pense, dis-je, que, vu les circonstances, il est bon d’accorder au commissaire de district le droit de faire prendre les armes à la garde civique, surtout dans les communes voisines de la frontière.
Mais afin d’empêcher qu’il pût en abuser, je voudrais qu’il fût obligé de donner, dans les 24 heures, connaissance au gouverneur des dispositions qu’il a prises.
Il faudrait ensuite diviser le paragraphe en deux, car tel qu’il est rédigé, il est inexécutable. En effet, voici comment est conçu ce paragraphe :
« Le gouverneur et le commissaire de district pourront requérir le service de la garde civique, toutes les fois qu’ils le jugeront nécessaire. »
D’après cette rédaction on pourrait croire qu’il est nécessaire que le gouverneur et le commissaire de district soient d’accord sur la question de savoir s’il y a lieu de requérir la garde civique pour lui faire prendre les armes, ils ne pourraient pas la requérir l’un sans l’autre, tandis que c’est le contraire que vous voulez établir ; car vous voulez que l’un et l’autre puissent la requérir. Pour remplir ce but, il faudrait rédiger ainsi l’article :
« Le gouverneur peut requérir le service de la garde civique toutes les fois qu’il le jugera nécessaire.
« Le commissaire de district aura la même faculté, sauf à en informer le gouverneur dans les 24 heures. »
Je demanderai la permission de dire maintenant un mot sur le troisième paragraphe.
Je lis le deuxième paragraphe de l’article du projet. Il est ainsi conçu : « Lorsque la garde civique sera requise pour faire le service de garnison pendant plus de dix jours, l’Etat sera tenu de solder les sous-officiers, caporaux et gardes composant les détachements de service. »
Je ne veux pas ôter au gouvernement la faculté d’obliger les citoyens à défendre leur ville en cas d’attaque. Mais je ne veux pas que les commandants de place abusent de cette faculté pour forcer, toutes les fois qu’il le jugera convenable, les habitants d’une ville à faire le service de la garnison. Puisque, dans ce cas, la garde civique remplacerait les troupes de l’armée de ligne, elle ferait un service d’intérêt général. Ce serait donc à l’Etat à pourvoir aux frais que nécessiterait ce déplacement de citoyens. Je désirerais que le terme de 10 jours fût remplacé par 24 heures. De cette manière on éviterait l’abus que les commandants de place pourrait faire de cette faculté.
On se rappellera qu’une ville du royaume est restée trois mois sans service de garnison aucun, parce que le bourgmestre a cru ne pas devoir obtempérer aux réquisitions du commandant de la place qui voulait faire garder tous les postes pour la garde civique.
Cette absence de tout service de garnison n’a entraîné aucun fâcheux résultat dans le cas que je cite. Mais cette conduite d’un fonctionnaire aussi raisonnable que le bourgmestre auquel je fais allusion et le résultat négatif de la privation de toute garnison prouvent d’un côté que la charge de faire le service d’une place est onéreux aux communes, et de l’autre, que les prétentions du commandant ne sont pas toujours raisonnables.
Il est juste d’indemniser du temps qu’il perd un citoyen qui fait un service dans l’intérêt général. Je ne sais pas pourquoi les citoyens d’une ville auraient à la fois à subir toutes les chances et les dangers d’un siège et la charge très désagréable et onéreux de monter la garde pendant dix jours, sans l’espoir d’une indemnité quelconque.
M. Dumortier, rapporteur. - Je déclare que je m’oppose à la rédaction du deuxième paragraphe parce que je la regarde comme nuisible et en même temps inutile. Il est inutile parce que la loi générale sur la garde civique a pourvu à cette disposition. C’est à la commune à pourvoir aux dépenses de la garde civique pour les services relatif à l’intérêt communal. A coup sûr, ce n’est pas au moment où nous cherchons à diminuer les dépenses de l’Etat que nous irons lui imposer des dépenses purement communales.
Il s’agit d’appeler à faire le service ordinaire les personnes qui ont le moyen de s’équiper ; nous nous trouvons dans ce cas. Croyez-vous que nous serions disposés à recevoir la solde du soldat pour un service momentané dans la ville à laquelle nous appartenons. Evidemment non. Au surplus, je le répète, il ne faut rien innover à la loi générale qui a pourvu à cette disposition.
En second lieu quelles sont les circonstances dans lesquelles la garde civique peut être appelée à faire un service de garnisons ? Ce sont dans les places fortes et dans les villes menacées par l’ennemi. Personne dans les places fortes n’a plus d’intérêt à garder les fortifications que les habitants eux-mêmes.
Ces fortifications défendent leurs propriétés. Quand une ville a une citadelle, les citoyens ont intérêt à ce qu’elle ne tombe pas entre les mains de l’ennemi. Ce sont les habitants d’une ville qui jouissent des avantages attachés à ce séjour ; il faut bien qu’ils en supportent les chances.
Je vois un honorable député de Namur sourire. Je soutiens que l’habitation offre des moyens d’existence, des ressources plus grandes que ne présente par séjour des campagnes.
Vous ne devez pas dégrever les communes d’une charge qui jusqu’aujourd’hui par le roi Guillaume et depuis la révolution à toujours été exclusivement communale.
Les habitants d’une ville font le service de la garnison quand il n’y a pas de troupes réglées. Ce cas s’est présenté en 1830, parce qu’alors nous n’avions pas d’armée. Il fallait bien que les citoyens montassent la garde et fissent le service de la citadelle. On ne ferme pas une citadelle à clé et l’on ne peut pas dire : Elle sera au premier occupant.
Il peut se présenter un cas semblable. Je suppose que le roi Guillaume nous attaque, ou, comme je le désire fortement, que le gouvernement se décide à aller l’attaquer chez lui.
M. Gendebien. - En avant donc, je ne demande pas mieux.
M. Dumortier, rapporteur. - C’est le seul moyen d’en finir.
Dans cette hypothèse, les habitants de chaque ville devront faire la garde de leurs remparts. Faudrait-il que l’Etat les paie comme de simples soldats ? Faudra-t-il qu’il donne une paie à des soldats qui par leur position honorable, n’en auront pas besoin ? Et d’ailleurs, le trésor public n’aurait-il pas alors assez de charges à supporter sans qu’on lui en impose de nouvelles ?
Songez qu’en 1831 nous avons fait deux emprunts forcés, et en 1832 deux emprunts Rothschild.
Voilà des circonstances difficiles pour le trésor public. Je demande s’il est nécessaire de les faire renaître en imposant des charges à l’Etat, et cela pour le plaisir de dire que l’on donne aux citoyens la paie de caporal, de sergent et de soldat.
Je repousse l’amendement de M. Gendebien, et je demande l’adoption du projet.
M. F. de Mérode. - Je demande aussi l’adoption de la proposition de la section centrale. Lors de la révolution le service de la garde civique s’est fait gratuitement, excepté pour quelques gardes à qui leurs moyens ne le permettaient pas. Le patriotisme doit être le même maintenant. Il n’y a donc pas lieu à allouer une solde aux gardes. Ces observations me paraissent extrêmement justes. Dans les circonstances actuelles, s’il y avait lieu à appeler la garde civique, ce serait l’armée qui irait en avant, et la garde civique ne servirait qu’à la garde des places intérieures. Il est donc inutile, je le pense, de lui allouer une solde.
M. le ministre de l'intérieur (M. de Theux). - Le second paragraphe de l’article en discussion a été introduit comme amendement par la commission. Je pense comme l’honorable préopinant qu’il vaut mieux le supprimer. Car il consacre une innovation que la chambre ne doit pas, ce me semble, adopter.
M. Brabant. - L’honorable M. Dumortier est grand partisan des dépenses à la charge de la commune. Il semble que si l’habitant d’une commune verse des contributions au trésor, il n’est pas frappé par cette contribution et qu’il est dans une position plus favorable s’il verse au trésor que s’il verse à la commune.
Je conviens que d’après la législation en vigueur, le service de la garde civique a été payé par la commune ; mais veuillez remarquer que vous introduirez un changement complet. Jusqu’à présent la garde civique n’avait été requise que par le bourgmestre et seulement dans un intérêt communal. Par conséquent, elle avait dû être payée jusqu’à présent par la commune.
Maintenant on demande que les gouverneurs et commissaires de district soient autorisés à requérir la garde civique ; ils ne la requerront que dans l’intérêt général, dans l’intérêt du gouvernement. Dès lors, c’est celui au profit de qui elle est requise, c’est le gouvernement qui doit la payer. Le changement de rédaction de M. Gendebien relative au service de 24 heures ne me paraît pas devoir être admis. Il pourrait l’être, si tout le monde comprenait la proposition comme il la comprend, comme nous la comprenons nous-mêmes. Mais il est possible qu’on ait affaire à des gens qui ne veulent pas la comprendre. Je pense donc qu’on ne doit pas indiquer la durée du service.
M. Gendebien. - Je m’étonne que l’honorable M. Dumortier ait trouvé absurde ce que j’ai dit ; je ne lui renverra pas l’épithète ; mais je chercherai à prouver que si quelqu’un s’est montré absurde, ce n’est pas moi.
J’ajouterai peu de choses à qu’a dit l’honorable M. Brabant, parce qu’il a dit ce qu’il y avait de mieux à dire. Je relèverai seulement une observation de M. Dumortier. Il veut qu’on oblige à un service gratuit tout ceux qui ont le moyen de s’acheter un uniforme. S’il y a une absurdité, c’est là, sans doute, puisque c’est engager tous les citoyens à faire leurs efforts pour éviter d’être mis dans la catégorie de ceux qui ont le moyen de s’acheter un uniforme. Si vous dédommager les citoyens de la peine qu’ils prennent pour le service public, vous les rendez plus disposés à se joindre aux bons citoyens qui prennent les armes quand cela est nécessaire. Mais vous dégoûtez les citoyens du service, si à la charge de l’uniforme vous ajoutez celle du service gratuit.
M. Dumortier a dit que personne n’a plus d’intérêt à garder une ville forte que ceux qui l’habitent ; mais de même, personne n’a plus d’intérêt à défendre une ville ouverte que ceux qui l’habitent ; ainsi cela ne prouve rien ; ce que j’ai dit est sans doute plus logique ; j’ai dit, et l’honorable M. Brabant a très bien développé cette idée, que quand il s’agit d’un service communal, je comprends très bien que ce soit la commune qui le paie ; mais j’ai dit que dès que les habitants de la commune prennent les armes dans l’intérêt général, il serait injuste de faire supporter à la commune l’indemnité à laquelle ils ont droit.
On vous a dit qu’en cas de guerre il y aurait pénurie pour le trésor, mais alors aussi, il y aura pénurie dans la caisse communale et dans la bourse du particulier, et c’est alors que vous exigerez de lui de plus grands sacrifices. Lorsque le trésor est gêné, c’est parce que le particulier l’est lui-même. Si le trésor n’est pas en position de pouvoir payer immédiatement, il le fera dès que les événements le lui permettront ; et vous consolerez au moins les gardes des sacrifices que vous leur demandez par l’espoir d’obtenir un jour ce qu’ils auront gagné par leurs services. Je ne crois pas que l’on pourra faire à ceci de sérieuses objections. Quant à l’imputation d’absurdité, je m’en suis amplement justifié, il me semble.
M. Rogier. - J’avais d’abord demandé la parole sur le premier paragraphe. Par des motifs tout rationnels, je considérais le service de dix jours comme insuffisants, pour donner une indemnité aux gardes, aux caporaux et aux sergents.
Pour un service qui aurait duré toute une saison, cinq ou six mois, cela eût été faisable, mais dix jours, c’est infiniment trop peu et je ne conçois pas cette proposition. Entend-on qu’on solde le tour de rôle de service ? Je demande ce que sera la paie d’un soldat, d’un caporal ? Je trouve que cela sera par trop faible. L’article 62 de la loi de décembre 1830 impose l’obligation d’indemniser les gardes lésés par le service. Mais c’est à cette condition que la caisse perçoit des amendes.
Je suis grand partisan de la rétribution de tous les services publics, mais je ne pousse pas ce système à l’excès. Partout le service de la grade civique se fait sans être rétribué et si on veut le rétribuer ici, qu’on étende beaucoup plus loin le délai de dix jours.
M. F. de Mérode. - L’honorable M. Brabant a confondu le service qui se fait en dehors et celui qui se fait dans l’intérieur de la commune. Quand un homme fait le service hors de chez lui, il est obligé de faire d’autres dépenses que quand il rentre chaque soir dans son ménage où il trouve toutes ses habitudes. Je ne comprends pas qu’on veuille faire solder par l’Etat tous les services. Ce système nous conduit à un égoïsme que nous ne pouvons admettre quand nous voyons en France les gardes nationaux faire le service gratuitement.
M. Brabant. - J’ai si peu confondu, comme le prétend l’honorable préopinant, le service qui se fait dans l’intérieur de la commune et celui qui se fait à l’extérieur, que toute la distinction que j’ai faite est basée sur l’article 50. J’ai dit qu’il était juste de faire payer par la commune tout service communal et par le gouvernement tout service fait dans l’intérêt de la généralité ; j’ai dit que l’article 50 était insuffisant parce qu’il n’en donnerait qu’autant qu’on était sorti de la commune. J’ai établi la raison pour laquelle un service militaire fait dans la commune, un service de garnison devrait être placé sur la même ligne que celui fait hors de la commune, parce que le citoyen qui est distrait de ses occupations au profit du gouvernement dans sa commune ne souffre pas moins que celui qui est distrait de ses affaires pour aller faire un service dans une commune voisine. Il y a des communes qui doivent faire le service dans des forts placés hors de leur territoire, parce que ces forts les dominent. .
Et bien, les gardes qui feront le service de garnison dans ces forts seraient payés, tandis que quand la forteresse serait dans la commune, il ne le seraient pas. Evidemment ce serait une injustice. J’en reviens au principe que j’ai posé. Si le service se fait au profit de la généralité, la généralité doit payer, si c’est au profit de la commune seule, c’est la commune qui doit payer.
Le système de réquisition par le commissaire de district modifie le système de la loi du 31 décembre 1830. Alors le bourgmestre avait le droit de requérir la garde civique, et il ne la requérait que dans l’intérêt de la commune.
M. Dumortier, rapporteur. - Je pense que l’honorable préopinant se trompe dans l’application du principe que tout service rendu à la généralité doit être payé par la généralité, et tout service rendu à la commune payé par la commune.
Je lui demanderai si lorsqu’un citoyen défend son foyer domestique, la porte de sa maison, les murs de sa ville, il n’agit pas bien plus dans son propre intérêt que dans l’intérêt général. C’est incontestable et la distinction qu’on veut établir est plus subtile que réelle.
L’honorable préopinant nous a reproché une tendance à sacrifier l’intérêt communal à l’intérêt de l’Etat. Je pourrais plutôt prouver qu’il est disposé à sacrifier l’intérêt de l’Etat à l’intérêt communal.
D’après l’article 50, quand un garde civique sort du territoire de la commune, il reçoit des prestations, parce qu’alors il cesse d’agir dans l’intérêt communal, et qu’il agit dans l’intérêt général.
Celui qui a l’honneur de vous parler a plusieurs fois eu l’occasion de faire sortir des détachements de garde civique.
Ces détachements ont toujours été payés comme la troupe de ligne en vertu de l’article 50 de la loi sur la garde civique, parce qu’ils agissaient dans l’intérêt général.
Les communes peuvent payer, puisque les familles dont les membres ne font pas partie de la garde civique, paient une certaine somme annuellement dans la caisse communale en vertu de l’article 62 de la même loi. Il n’y a donc pas nécessité de sacrifier l’intérêt général à l’intérêt communal. La commune a une faculté de recette. Pourquoi la délivrer d’une dépense qui de tout temps a été considérée comme dépense communale ? Ainsi d’un côté la commune recevrait un impôt spécialement affecté aux dépenses de la garde civique, et de l’autre ce serait l’Etat qui pourvoirait à ces dépenses.
Pour que votre proposition fût juste, il aurait fallu nous demander que le tour de rôle fût perçu par l’Etat. Sans cela, à mesure que la commune s’enrichira, l’Etat s’obérera dans la même proportion. Prendre garde de rendre la garde civique tellement dispendieuse que le gouvernement ne se soucie plus d’avoir recours à ses services. De tout temps les citoyens ont veillé à la garde des murailles de leur ville. Avant l’établissement des armées permanentes, les bourgeois s’armaient et se réunissaient en commun pour cet objet. Plus tard, des compagnies de citoyens, connues sous la dénomination de serments, furent affectées spécialement au service des remparts, et toujours les dépenses qui en sont résultées ont été à la charge de la cité.
Remarquez, d’ailleurs, ce qui se passe dans un pays voisin. Dans toutes les villes de France, la garde nationale fait le service intérieur, et les citoyens regarderaient comme une injure qu’on leur donnât la solde des soldats.
M. Gendebien. - L’honorable M. Rogier a dit que ce n’était pas la peine d’indemniser les citoyens qui ne seraient de service que tous les 8 ou 10 jours ; mais qui est-ce qui prouve qu’ils ne seront de service que tous les 8 ou 10 jours ? Il y a peut-être quelque grande ville où il pourra en être ainsi. Anvers par exemple ; encore je ne crois même pas ; je suis persuadé que pour la garde de la citadelle on serait de service plus d’une fois tous les 10 jours, qu’on serait de service tous les 5 jours au moins. Le service sera bien plus fréquent à Charleroy, Marienbourg, Philippeville, Mons même. Bien plus, je défie que la garde civique de Charleroy garde la forteresse et tous les forts (à moins que vous ne vouliez un simulacre de garde), si elle n’est pas de service une fois tous les 2 jours. Vous voyez que ce n’est pas une petite charge.
On a dit aussi que mettre à la charge de l’Etat la solde des gardes civiques de service, c’était enrichir la commune. Singulière manière, vraiment, d’enrichir la commune, que d’empêcher des citoyens de gagner leur journée, laquelle serait de 2 fr. ou 2 fr. 50, et en revanche, de leur donner la paie du soldat pour toute compensation.
C’est, dit-on, enrichir la commune, que de percevoir sur les familles aisées exemptes du service de la garde civique, pour pourvoir aux nécessiteux ; mais vous savez bien que cette disposition de la loi n’est pas exécutée.
M. Dumortier, rapporteur. - Si fait, elle l’est.
M. Gendebien. - Elle n’est pas exécutée partout, elle ne l’est pas à Bruxelles.
- Un membre. - Elle l’est ailleurs, notamment à Anvers.
M. Gendebien. - Elle n’est pas, je le répète, exécutée partout ; mais n’importe, je suppose qu’elle soit exécutée partout ; singulière manière encore d’enrichir la commune que de prendre dans la poche des habitants pour mettre dans la caisse communale. S’il y a quelque chose d’absurde, c’est bien ce que j’ai entendu dire tout à l’heure à cet égard.
On a répondu que le patriotisme des bons citoyens suffirait à tout ; messieurs, c’est une fort bonne chose le patriotisme, mais celui-là ne serait qu’une duperie et chacun s’en apercevra bientôt lorsque les habitants d’une ville forte seront obligés de faire gratuitement le service de garnison tous les 2 ou 3 jours et pendant plusieurs mois, alors que les habitants des faubourgs seront exempts de ce service, et qu’on en sera exempt dans les villes ouvertes, dans toutes les communes voisines, ces hommes seront-ils bien disposés à se faire tuer sur les remparts, le cas échéant, alors qu’ils auront été forcés à servir gratuitement ?
Je dis qu’en bonne justice, le service d’intérêt général doit être à la charge de la localité, le service d’intérêt général doit être à la charge de la généralité. Je ne connais pas de patriotisme qui puisse méconnaître ces règles-là. Un tel patriotisme deviendrait une duperie pour les citoyens qui supporteraient la charge et une injustice de la part de ceux qui l’imposeraient.
M. le président. - Je vais mettre les amendements et l’article aux voix.
M. Gendebien. - Je demande la suppression des mots : « pendant plus de 10 jours. » C’est la seule chose légale et constitutionnelle.
M. Dumont. - Quelle est la portée de la disposition de cet article. Le commissaire de district pourra-t-il requérir la force de la garde civique ?
- Le second paragraphe de l’amendement de M. Gendebien est adopté.
L’autre paragraphe de l’amendement du même membre est rejeté.
M. Gendebien. - Maintenant qu’on a rejeté l’amendement sur mon second paragraphe, je voterai contre la disposition ; car toutes les parties de mon article se liens avec une telle façon que l’une ne peut sans injustice subsister lorsqu’on retranche celle relative à l’indemnité.
- La disposition est mise aux voix et adoptée.
- Plusieurs membres. - A demain !
M. le président. - A quelle heure veut-on fixer l’ouverture de la séance ?
- Plusieurs membres. - A onze heures.
- La séance est levée à 5 heures et demie.