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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 29 juillet 1834

(Moniteur belge n°211, du 30 juillet 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pétitions suivantes.

« Le chevalier de Bruyn, colonel de cavalerie en retraite, adresse des observations sur le projet de loi relatif aux indemnités. »

- Renvoi à la section centrale chargée de l’examen du projet de loi sur les indemnités.


« Le conseil de fabrique de l’église d’Ohain demande que la chambre détermine dans la loi communale si c’est au gouvernement ou aux communes à venir au secours des fabriques d’église dont les revenus sont insuffisants. »

- Dépôt au bureau des renseignements.


« Plusieurs négociants et fabricants de Bruxelles joignent leurs réclamations à celles des fabricants de Gand pour supplier la chambre de venir au secours de l’industrie cotonnière. »

- Renvoyée à la commission d’industrie.


« Plusieurs habitants de Jumet demandent que la chambre déclare incompatibles les fonctions de bourgmestre et échevins avec la profession de brasseur. »


« Le sieur Opsomnen adresse des observations sur le projet de loi communale. »

M. de Muelenaere. - La chambre a ordonné dans la séance d’hier le dépôt au bureau des renseignements d’une pétition analogue, afin que les membres de la chambre puissent en prendre connaissance, je crois qu’elle doit prendre la même décision pour celle-ci.

- Le dépôt au bureau des renseignements est ordonné.

Projets de loi accordant des crédits supplémentaires au budget du ministère de la guerre

Rapport de la section centrale

M. de Puydt dépose le rapport de la commission chargée de l’examen des projets de loi portant demande de crédits supplémentaires présentés par M. le ministre de la guerre.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution.

M. Dubus. - Je demande que la discussion de ce rapport soit fixée à jeudi.

M. Pollénus. - Il me semble que le rapport est assez volumineux. C’est à peine s’il pourra être imprimé et distribué après-demain. Il est donc impossible d’en fixer la discussion à ce jour-là, d’autant plus que d’honorables membres de cette chambre ont appelé sur les demandes de crédit qui en font l’objet les investigations de l’assemblée.

M. d’Huart. - J’appuie la proposition de l’honorable M. Pollénus.

On lit aujourd’hui dans un journal de Bruxelles, aux nouvelles de La Haye, que le roi Guillaume aurait licencié la schuttery qui forme à peu près les 2/3 de l’armée hollandaise. Si cette nouvelle se confirme nous pourrions réduire considérablement notre armée et par suite il y aurait lieu a modifier les projets de loi présentés par M. le ministre de la guerre. Dans quelques jours peut-être, aurons-nous des renseignements plus officiels sur la nouvelle dont j’ai parlé ; et alors peut-être devrons-nous réduire de beaucoup la demande de M. le ministre, laquelle est de 7 millions. Je demande que la discussion soit différée jusqu’à vendredi ou samedi.

M. de Puydt, rapporteur. - D’après les renseignements que j’ai pris, l’impression et la distribution seront terminées demain soir. Quant au licenciement de la schuttery, c’est précisément parce qu’elle forme les deux tiers de l’armée hollandaise, que je crois que nous devons nous défier de cette nouvelle, et ne l’accueillir qu’avec la plus grande réserve. (Adhésion.)

M. Dubus. - Je me rallie à la proposition faite par M. d’Huart, de fixer la discussion à vendredi. La distribution du rapport aura lieu demain soir ; on aura donc tout le temps de l’examiner.

- La chambre consultée fixe à vendredi la discussion des projets de loi présentés par M. le ministre de la guerre.

Proposition de loi visant à fixer le début de l'année budgétaire au premier juillet

Mise à l'ordre du jour

M. Dubus. - Dans la séance du 19 juillet, j’ai demandé la discussion du rapport de la section centrale sur la proposition de M. Verdussen, relative au changement de l’époque du commencement de l’année financière. On m’a fait observer que l’honorable M. Verdussen était absent, et la chambre a décidé que cette discussion n’aurait lieu que lorsqu’il serait de retour. Comme il est présent à la séance, je demande que la discussion du rapport ait lieu jeudi, ou au commencement de la séance de vendredi.

M. Verdussen. - J’adhère pour ce que me concerne à la proposition de M. Dubus. Quant au rapport, j’aurai peu de chose à dire. Dans la position où se trouve la chambre, je me rallierai volontiers à la proposition d’ajournement faite par la section centrale.

M. Jullien. - Vous venez de fixer à vendredi la discussion des crédits supplémentaires ; je ne vois pas pourquoi vous accorderiez maintenant la priorité à la proposition de M. Verdussen. Il est possible qu’elle entraîne une discussion plus longue qu’on ne pense. Je n’ai pas examiné cette proposition ; j’ignore si elle est de nature à faire naître une longue ou une courte discussion.

Toujours est-il que la demande de crédits est urgente, puisque vous en avez fixé la discussion à vendredi. Je demande que la proposition de M. Verdussen soit mise à l’ordre du jour après les crédits supplémentaires.

M. Dubus. - La proposition dé M. Verdussen a pour objet de fixer le commencement de l’année financière au 1er juillet 1835. Sans doute reconnaîtrez-vous l’urgence de s’occuper du rapport que la section centrale a fait sur cette proposition, lorsque vous saurez qu’il conclut à son ajournement. En effet, ajourner réellement la proposition, autant ne pas discuter la question d’ajournement. Il n’est pas probable que cette discussion soit longue ; c’est sous ce rapport que j’ai proposé de la fixer au commencement de la séance de vendredi ou à la séance de jeudi. Il est évident que cette discussion n’occupera pas la chambre pendant plus d’une séance. J’insiste donc pour qu’elle soit fixée à jeudi.

M. d’Huart. - Je ne vois pas pourquoi on viendrait encore interrompre et arrêter par cette discussion le vote de la loi communale. L’honorable M. Verdussen vient d’annoncer qu’il se rallierait à la proposition d’ajournement faite par la section centrale. Si en un instant l’ajournement doit être voté, il faut bien reconnaître qu’il n’y a pas d’urgence à s’en occuper. Dès lors il me paraît bien plus rationnel que l’on continue la discussion de la loi communale.

M. Dubus. - Je ne comprends pas cette opposition qui tend à l’ajournement de toute discussion. Veuillez considérer que si les conclusions de la section centrale tendant à l’ajournement ne sont pas adoptées par la chambre, il faudra que la section centrale vous présente un rapport sur le fond de la proposition. Si vous considérez en outre que c’est au 1er juillet 1835 que d’après la proposition il s’agit de fixer le commencement de l’année financière, vous ne pouvez contester l’urgence de se prononcer au moins sur la question d’ajournement.

M. d’Huart. - Eh bien, qu’on vote de suite sur l’ajournement.

M. A. Rodenbach. - Il n’y a aucun inconvénient à le voter de suite ; c’est une affaire de 5 minutes.

M. Jullien. - Ce ne serait pas régulier ; la proposition n’est pas à l’ordre du jour. Si on est d’accord sur l’ajournement, la chambre le votera aussi bien après-demain qu’aujourd’hui. Je crois que d’après les considérations qu’a fait valoir M. Dubus, sa proposition doit être adoptée.

- La chambre, consultée, fixe à jeudi la discussion du rapport de la section centrale sur la proposition de M. Verdussen relative au changement de l’époque du commencement de l’année financière.

Projet de loi communale

Discussion des articles

Titre I. Du corps communal

Chapitre premier. De la composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section I. De la composition du corps communal
Article 10

M. le président. - La chambre est arrivée à l’article 10. Le projet de la section centrale auquel le gouvernement s’est rallié, est ainsi conçu :

« Les bourgmestre et échevins sont révoqués par le Roi.

« Ils peuvent être suspendus de leurs fonctions par la députation provinciale, à charge d’en donner avis dans les 24 heures au gouvernement.

« La durée de la suspension ne peut excéder trois mois. »


Voici les amendements et sous-amendements présentés sur cet article :

Amendement de M. H. Dellafaille remplaçant l’article 10.

« Les bourgmestres et les échevins peuvent être suspendus de leurs fonctions par la députation permanente du conseil provincial pour cause d’inconduite ou de négligence grave.

« Il sera donné connaissance des motifs de la suspension au fonctionnaire inculpé, qui devra être entendu dans ses moyens justificatifs.

« La durée de la suspension ne pourra excéder trois mois, à moins que le fonctionnaire, atteint par cette mesure, n’ait été mis en jugement.

« Dans le même délai de trois mois, le bourgmestre ou l’échevin suspendu de ses fonctions pourra être révoqué s’il y a lieu. La révocation du bourgmestre est prononcée par le Roi ; celle des échevins, par la députation permanente du conseil provincial.

« Le fonctionnaire révoqué ne pourra être présenté comme candidat pour la place d’échevin pendant les trois années qui suivront l’arrêté de révocation. »


Amendement de M. de Theux.

« Les bourgmestres et échevins peuvent être suspendus de leurs fonctions par le gouverneur ou par la députation provinciale, pour le terme de trois mois au plus, pour cause d’inconduite ou de négligence grave.

« Les échevins peuvent dans les mêmes cas être démis par la députation provinciale.

« Les bourgmestres peuvent être révoqués de leurs fonctions par le Roi. »

Sous-amendement de M. Dumortier.

« L’arrêté de suspension sers motivé sur les faits qui se rapportent aux cas prévus par le présent article. »


La discussion est ouverte sur l’article 10 et les amendements.

M. Desmet. - Messieurs, M. le ministre de l’intérieur vous disait hier qu’il lui paraissait que toute la chambre était d’accord de laisser au gouvernement le pouvoir de révoquer ad libitum les bourgmestres et les échevins ; il avait même l’air d’être un peu étonné de ne point rencontrer de l’opposition dans l’assemblée sur cet immense pouvoir qu’on accorderait si facilement au gouvernement.

En effet, cela m’étonnerait aussi qu’on méconnaîtrait ainsi des principes si fondamentaux, et qu’on laisserait saper avec tant d’indifférence le pouvoir municipal dans ses principales bases.

Si on n’envisageait les bourgmestres et le échevins que comme de simples agents, de simples commissaires du gouvernement, alors aucune difficulté ; ils ne feraient que remplir une commission ; ce seraient seulement des délégués, dont l’autorité supérieure pourrait retirer le mandat qu’il leur a confié, quand il le trouverait bon.

Mais de la manière que nos institutions municipales seront organisées, et doivent l’être en vertu de la constitution, le bourgmestre ne sera pas l’agent unique du gouvernement ; il sera aussi le chef de la cité ou de la commune, et remplira une double fonction, celle du commissaire du commissaire du pouvoir central, celle d’officier municipal ; les échevins en outre ne seront jamais les agents du gouvernement, ils ne seront que les magistrats administrateurs de la commune.

Pour ce qui regarde la nomination des bourgmestres, quoique nous ayons fait un très grand sacrifice sur nos franchises communales, que nous avions droit de conserver, telles que la révolution de septembre nous les avait léguées, cependant nous ne sommes pas sortis des principes, nous avons laissé à la commune sa part dans cette nomination.

Or, comme disait hier l’honorable M. Doignon, lorsque deux parties ont droit de concourir à un acte, il faut au moins qu’il y ait quelque réciprocité, il n’est pas juste que l’un ait sur cet acte toute l’autorité à l’exclusion de l’autre. La commune, ayant le droit d’avoir sa part dans la nomination, doit avoir nécessairement la sienne dans la révocation ; autrement elle se trouverait lésée et tout serait en faveur du pouvoir central ; et ce sera cependant ainsi si nous laissons au gouvernement le droit de destituer les bourgmestres et les échevins quand il le trouvera bon.

Que le ministère soit d’opinion que le droit du gouvernement ne s’étendra pas seulement à la destitution du bourgmestre en sa qualité d’agent du gouvernement, mais aussi à celle d’officier municipal ; c’est-à-dire que quand le gouvernement frappera de destitution un bourgmestre, il le destituera de même de sa fonction de membre du corps municipal, il le fera sortir du conseil municipal et même lui défendra d’y rentrer avant un certain temps, c’est ce que vous a dit hier M. le ministre de l'intérieur dans la réponse qu’il a faite à l’honorable M. Jullien, qui l’avait interpellé sur ce point.

Avec un tel pouvoir où sera l’indépendance de notre pouvoir municipal ? Nous ne devons plus parler des franchises communales en Belgique, elle n’est plus ; et si ce sont là les fruits de notre révolution de septembre, il valait bien la peine de la faire.

Et qu’on ne vienne pas dire que nos ministres actuels seront avares des destitutions, qu’ils n’en feront que très rarement, et quand il y aura de grands motifs, car nous savons qu’ils ont fait leurs preuves à l’égard de l’exercice de ces actes arbitraires, qu’ils les emploient sans le moindre sujet, que seulement vous ne devez pas leur déplaire ou ne pas penser comme eux, pour qu’ils vous privent de vos fonctions, et qu’ils vous frappent d’une destitution, et que la constitution et le serment même ne sont point des freins pour eux.

Si vous laissez donc cet immense pouvoir de la révocation des officiers municipaux au bon plaisir des ministres, vous n’enlevez pas seulement à votre pays une partie des libertés qu’il a droit de conserver, mais vous agirez même contre tous les principes qui, hors des temps de l’arbitraire et du despotisme, n’ont jamais été méconnus ; et ici, je ne ferai que répéter l’opinion d’un célèbre jurisconsulte, qu’on a déjà souvent de fois cité dans cette discussion, et qui fait une première autorité dans cette matière.

Quand Henrion de Pansey se demande quelles sont les places dans les municipalités, il répond : ce ne sont point des commissions, ce sont des charges.

Et quoique ces charges ne soient que temporaires, que la loi fixe le terme de leur durée, qu’elles n’ont point absolument le caractère des offices à vie, elles ne peuvent nonobstant être révocables à volonté, comme le sont les commissaires ; les titulaires des charges ne peuvent être privés de leurs fonctions que par l’échéance de leur durée déterminée par la loi, par la résignation volontaire ou pour forfaiture bien et dûment jugée.

Il y a cette différence entre les charges temporaires et les offices à vie, que la durée des charges est irrévocablement déterminée par la loi et que la mort seule peut enlever les titulaires des offices à l’exercice de leurs fonctions. Ils ont ceci de commun que ceux qui possèdent des charges et les titulaires des offices, sauf les cas de forfaiture, la loi s’engage également à les maintenir dans leurs fonctions, les uns pendant le cours de leur vie, les autres pendant la durée d’un temps déterminé.

Il doit en être des officiers municipaux comme de tous les juges. La loi doit également leur garantir la durée de leurs fonctions, et nous devons nécessairement tenir en principe que, semblables aux juges, ces officiers municipaux ne peuvent être destitués que pour forfaiture, concession et malversation judiciairement constatées.

S’il en était autrement, je le dis encore, si vous laissez dépendre la destitution des officiers municipaux des caprices des ministres, de la colère ou de la jalousie d’un gouverneur, de la fausse dénonciation d’un commissaire de district, vous n’auriez plus du tout de l’indépendance dans le pouvoir municipal, vous n’auriez plus de liberté, vous mettriez entièrement sous le joug d’un pouvoir inique, sous l’absolutisme du gouvernement, vos communes ; car cette arme coupera court à vos franchises municipales, elle seule suffira pour les anéantir et mettre les fonctionnaires municipaux à la merci du pouvoir central.

Vous aurez des municipalités de l’espèce des napoléoniennes, vous n’y trouverez que de vils valets des ministres, qui agiront toujours plutôt pour plaire au pouvoir et satisfaire le caprice des gouvernants que pour agir dans l’intérêt de leurs communautés ; ce sont de telles municipalités qui sous les deux gouvernements précédents ont laissé vider par l’administration supérieure le trésor des communes.

Cependant il faut reconnaître, comme le remarque aussi Henrion de Pansey, que la règle ainsi appliquée dans toute son étendue pourrait avoir de fâcheuses conséquences. L’administration a une marche si rapide et qui porte tellement à l’arbitraire, que les chefs des administrations communales pourraient multiplier les vexations de la manière la plus scandaleuse, si, pour en arrêter le cours, le gouvernement en était réduit à recourir aux formes lentes et solennelles des tribunaux. Il faut un remède plus prompt. Mais ce remède n’est pas nécessairement dans une destitution. La suspension doit suffire et même des formalités sévères doivent en attester la nécessité. Autrement, on ne ferait que substituer l’arbitraire, et ce serait guérir un mal par un autre.

La suspension obvierait donc à l’inconvénient que pourrait présenter la lenteur des tribunaux pour obtenir un jugement contre les administrateurs coupables et les démettre de leurs fonctions ; mais, comme nous venons de le dire, nous devons aussi chercher un moyen pour garantir les officiers municipaux contre l’arbitraire même des suspensions, et Henrion de Pansey croit le trouver dans une disposition de la loi qui autoriserait ceux que le gouvernement aurait suspendus de leurs fonctions, à les reprendre si, dans un temps déterminé, ils n’étaient pas mis en jugement.

De la sorte la marche d’une bonne administration sera assurée et une barrière sera placée contre les vexations des administrateurs communaux et d’un autre côté sera aussi assurée l’indépendance de la commune, et les corps municipaux ne risqueront pas d’être envahis par le pouvoir.

Je repousserai donc les dispositions de l’article en discussion aussi bien celles de la section centrale que du projet du gouvernement, et je ne pourrai jamais reconnaître au gouvernement le pouvoir de révoquer d’après le bon plaisir des ministres les magistrats municipaux, et laisser enlever ainsi à mon pays la plus belle de ses libertés.

M. Dumortier, rapporteur. - Je demanderais que le ministère s’expliquât sur les amendements qui sont présentés. Il s’agit d’une question qui résume quelle sera l’intervention du Roi dans l’organisation de la commune.

M. le président. - M. A. Rodenbach propose le sous-amendement suivant, au premier paragraphe de l’amendement de M. Dellafaille : « Pour cause d’inconduite ou de négligence, ou de non-exécution des lois. »

M. A. Rodenbach. - Tout en appuyant l’amendement de l’honorable M. Dellafaille, j’ai cru y remarquer une lacune. Il est dit dans cet amendement que l’on pourra suspendre le bourgmestre et les échevins, ou bien les révoquer pour inconduite ou pour négligence grave.

Rappelez-vous, messieurs, ce qu’on a dit dans cette enceinte, à l’égard de la régence de Liège, et je crois que vous trouverez que mon sous-amendement remédiera à l’inconvénient de voir la marche du gouvernement entravée par les conseils de régence. Le gouvernement aura beaucoup plus de force, et il pourra marcher constitutionnellement.

M. Pollénus. - Messieurs, je pense que la proposition de M. Rodenbach est tout à fait inutile. De deux choses l’une : ou bien le magistrat dont on parle s’opposera à des lois, dans ce cas il commettra un délit véritable qui sera un fait d’inconduite ; ou bien la non-exécution de la loi résultera de la négligence du magistrat municipal, et ici encore l’amendement de M. Dellafaille sera applicable.

Maintenant je soumettrai à la chambre quelques réflexions sur l’amendement de M. Dellafaille.

Je lis au premier alinéa de cet amendement : « Il sera donné connaissance des motifs de la suspension au fonctionnaire inculpé, qui devra être entendu dans ses moyens justificatifs. »

Je pensais, messieurs, que les motifs de cette disposition étaient puisés dans ce principe qu’il fallait entendre la personne inculpée avant de la condamner. Cependant, d’après l’amendement, la suspension doit être prononcée avant que la personne inculpée ait été entendue. Je pense, messieurs, que dans certains cas il peut y avoir lieu à prononcer une suspension instantanée, mais ces cas sont très rares, et il me semble que le principe de condamner une personne sans l’entendre ne doit pas être posé dans l’amendement.

Un autre inconvénient qui résulte de la proposition de M. Dellafaille, c’est que la suspension devra être prononcée avant de procéder à la révocation ; ainsi on fait dépendre la révocation de la suspension, ainsi l’exercice du pouvoir royal sera subordonné à l’intervention du pouvoir provincial. Il y a dans cette disposition quelque chose qui heurte le principe admis à l’égard de la nomination du bourgmestre et de celle des échevins eux-mêmes.

L’amendement de M. de Theux donne le droit de suspendre au gouverneur ou à la députation provinciale ; je crois qu’il y aurait un inconvénient à ce que la suspension soit prononcée alternativement par l’une ou l’autre autorité de la province ; il me semble qu’il pourrait résulter de là des conflits entre les deux autorités. Si le gouverneur prononce une suspension, que diront les administrations municipales, et les personnes qui se trouveront frappées par ce fonctionnaire ? Elles diront qu’il est fort singulier que le gouverneur prenne une pareille mesure sans le concours de la députation permanente du conseil, ou bien que la députation ne partage pas l’avis du gouverneur.

Il me semble que M. de Theux devrait définir l’autorité qui aura le droit de suspension, et donner ce droit à une seule autorité.

Je n’adopte pas la disposition commune aux deux amendements par laquelle le droit de suspension est donné à une autre autorité que celle à qui vous avez attribué le droit de nomination. Il me semble que la même autorité qui est investie du droit de révoquer doit avoir également le droit de suspendre. Les suspensions comme les révocations seront des faits très rares ; ils seront beaucoup plus rares sous le régime de la loi communale que sous la législation actuelle, puisque le gouvernement pourra prendre des précautions, qu’il ne peut prendre sous le régime actuel.

Je crois que la responsabilité sera beaucoup plus réelle lorsque ce sera le gouvernement qui prononcera la suspension que lorsque la suspension sera prononcée par des autorités intermédiaires. Si la suspension devait se reproduire souvent elle pourrait être prononcée par ces autorités ; mais dans l’état de nos mœurs, ainsi que je l’ai dit, ce cas sera très rare, et le droit de suspendre doit être attribué au gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, les différents reproches que l’on adresse sans cesse au gouvernement à l’occasion de la loi en discussion, me sembleraient, s’ils étaient fondés, devoir être adressés avec autant de justice à la section centrale qu’au gouvernement. Il faut remarquer notamment dans l’article qui nous occupe actuellement, que, sauf quelques dispositions secondaires, le gouvernement est d’accord avec la section centrale.

Je sais très bien que par un phénomène assez bizarre, il se trouve que la section centrale n’a pas ici de plus grand adversaire que son honorable rapporteur lui-même ; mais ce n’est pas une raison pour séparer complètement du ministère la section centrale qui est l’émanation présumée de la chambre, pour ne pas la comprendre dans les accusations qui retentissent dans cette occasion contre le gouvernement.

L’article 10 de la section centrale porte en termes exprès que les bourgmestres et échevins sont révoqués par le Roi ; je crois que la section centrale est ici restée dans les vrais principes et qu’elle est demeurée conséquente avec elle-même.

Je ne puis que difficilement me rendre raison de l’opinion manifestée hier dans cette discussion par un honorable membre de la minorité de la section centrale, opinion résumée dans un amendement que vous avez sous les yeux.

L’honorable M. Dellafaille, dans plusieurs phases de la discussion actuelle, n’a pas méconnu que le bourgmestre est agent du pouvoir exécutif ; c’est parce qu’il en avait cette opinion que l’honorable membre à consenti à la nomination du bourgmestre par le Roi. Mais, messieurs, si le bourgmestre est agent du pouvoir exécutif, il une semble, avec la section centrale, que le pouvoir exécutif doit avoir la faculté de démettre cet agent si ses actes sont de nature à l’entraîner dans une voie où le gouvernement ne saurait le suivre.

Je ne conçois donc pas, à moins que je ne comprenne pas bien l’amendement de M. Dellafaille, que l’on veuille subordonner la révocation du bourgmestre à la suspension préalable par des autorités qui ressortissent au pouvoir provincial.

Ainsi un bourgmestre aura perdu la confiance du gouvernement, ainsi les administrés eux-mêmes, comme cela est arrivé plusieurs fois, viendront demander sa révocation, le gouvernement sera forcé de rester les bras croisés, s’il ne plaît pas à la députation permanente du conseil provincial de suspendre ce bourgmestre !

Je demande à M. Dellafaille, après les prémisses qu’il a posées, si la conséquence qu’il en a voulu tirer est bien logique.

On a posé des principes trop absolus sur le caractère des bourgmestres, on a également été trop loin sur le caractère des échevins. Il n’est pas vrai, et le gouvernement a été le premier à le reconnaître, que le bourgmestre soit un simple agent du pouvoir exécutif. S’il en était ainsi, je ne comprendrais plus comment on pourrait, même sans exception, limiter le choix du bourgmestre dans le conseil communal ; si les bourgmestres sont des agents purs et simples du pouvoir exécutif à l’exemple des commissaires de district et des officiers du parquet, il faudrait les soumettre au même mode de nomination et de révocation que ceux-ci dont l’action engage toujours plus ou moins la responsabilité ministérielle.

Je ne reconnais pas, moi, que les bourgmestres soient des agents purs et simples du pouvoir exécutif ; c’est pour cela que j’admets qu’en règle générale ils doivent être nommés dans le conseil communal.

Mais il n’est pas vrai non plus que les échevins soient toujours purement et simplement agents de la commune. A cet égard je trouve que l’on va aussi trop loin.

D’abord, les échevins suppléent toujours le bourgmestre ; toutes les fois que le bourgmestre est empêché, un échevin le supplée à tous les titres comme agent communal, comme agent du gouvernement ; il le supplée de droit.

Par un effet tout naturel du gouvernement représentatif, nous avons vu l’administration des grandes villes confiée à des échevins : vous avez vu au milieu de vous le bourgmestre d’Anvers, le bourgmestre de Liège, celui de Bruxelles, celui de Namur ; si jamais des motifs d’absence peuvent être accueillis par tout le monde, ce sont ceux qui résultent de la présence dans la représentation nationale. Ces cas peuvent se reproduire. Dans les campagnes il arrive souvent que les bourgmestres n’y résident pas toute l’année ; eh bien, en cas d’absence les droits du bourgmestre sont dévolus à l’un des échevins. Ainsi voilà par la force des choses, l’échevin investi de tous les caractères d’agent du gouvernement en même temps qu’il conserve les caractères d’agent de la commune.

Mais les échevins sont encore les agents du gouvernement dans d’autres cas qui dérivent de leur qualité même d’échevin. Les échevins sont, par la seule force de la loi, officiers de police judiciaire : Lisez l’article 9 du code d’instruction criminelle et il ne vous laissera aucun doute à cet égard. Lisez l’article 11, combinez-le avec l’article 9 et vous verrez que l’échevin agit non seulement en l’absence du bourgmestre, mais qu’il agit encore en concours avec le bourgmestre, selon qu’il est plus diligent, ou selon que des plaintes lui ont été adressées de préférence au bourgmestre. Les articles 14. 15, 21 et 50 reproduisent des dispositions analogues, je ne cite que les principaux articles du code d’instruction criminelle, tous ces articles corroborent le sens que j’ai donné tout à l’heure à l’assimilation des fonctions d’échevin à celles de bourgmestre.

Ce n’est pas seulement comme agent de l’administration générale, ce n’est pas encore comme officier de police judiciaire, c’est encore dans un autre caractère que les échevins ont véritablement des attributions gouvernementales. L’honorable M. Milcamps vous l’a dit : ils sont par cette loi appelés à remplir les fonctions du ministère public ; l’article 144 du code d’instruction criminelle le porte en termes exprès. Ainsi, au défaut du bourgmestre, l’échevin est l’agent du gouvernement, l’officier du ministère public près le tribunal de police.

Mais il est un cas, et c’est le plus général, où l’échevin agit toujours de son propre chef et à l’exclusion même du bourgmestre, comme officier du ministère public. Ce cas est celui de l’article 167.

Si on voulait tirer des conséquences rigoureuses de ces faits, nous dirions que l’échevin comme officier du ministère public, devrait, aux termes de l’article 101 de la constitution, être nommé et révoqué directement par le Roi ; car cet article dit que le Roi nomme et révoque les officiers du ministère public ; mais il ne faut pas tirer des conséquences rigoureuses de ce caractère d’officier du ministère public qui s’ajoute dans l’échevin à la qualité d’agent de la commune. S’il fallait raisonner rigoureusement il faudrait créer deux bourgmestres, deux sortes d’échevins, ce qui serait une source de conflits continuels et un moyen d’épuiser le trésor public.

Toutefois, en présence de ces dispositions législatives je suis autorisé à dire que s’il n’est pas vrai que le bourgmestre ne soit qu’un agent du pouvoir central, il n’est pas vrai non plus que l’échevin ne soit qu’un agent de la commune.

L’échevin est d’ordinaire officier de l’état-civil ; ce ne sont pas là des fonctions purement communales, bien qu’elles n’intéressent en général que les habitants de la commune. Tout ce qui concerne l’état-civil est réglé par la loi et est plus ou moins du ressort du pouvoir central quant à la surveillance. Comme chargé de l’état-civil, l’échevin est sous la surveillance du ministère public et des commissaires de district. La loi provinciale le reconnaît expressément.

Il nous est donc impossible de nous rallier à l’amendement de M. Dellafaille pour autant qu’il n’accorderait pas au Roi la révocation pure et simple du bourgmestre. Je crois en outre qu’il y a de fortes raisons pour admettre avec la section centrale la révocation pure et simple des échevins.

En règle générale, celui qui nomme doit pouvoir révoquer, sans cela le droit de nommer est une prérogative pour ainsi dire illusoire, et qui peut tourner contre la dignité de celui qui l’exerce. Messieurs, le gouvernement quand il nomme un échevin fait un acte d’autorité que la loi lui attribue ; il nomme d’après les renseignements qui lui sont parvenus ; mais si des événements postérieurs viennent établir que la religion du conseil qui a présenté l’échevin a été surprise, que la religion du gouvernement a été également surprise, voulez-vous que le gouvernement maintienne en place un échevin qu’il aurait nommé quand la commune elle-même réclame ? Voulez-vous faire dépendre sa révocation d’une autorité qui est sous bien des rapports désintéressée dans le débat ? Vous ne pouvez contester que dans certains cas le gouvernement peut utilement révoquer un échevin même pour des motifs politiques.

Que penseriez-vous du gouvernement qui aurait droit de révoquer et qui conserverait dans ses fonctions un échevin qui aurait, dans les journaux, avoué sa qualité d’orangiste ? Ceci n’est pas une pure hypothèse.

Je crois qu’il serait dangereux d’accorder aux autorités provinciales le droit de renvoyer pour motifs politiques. Si vous accordez aux autorités provinciales une intervention, elle doit être motivée sur des considérations administratives, sur des faits de négligence ou d’inconduite ; mais il ne faut pas légèrement appeler l’intervention des états députés dans des questions politiques. Il faut, autant que possible, dans l’intérêt de l’harmonie des pouvoirs et de la marche des affaires, conserver à l’administration provinciale son caractère purement administratif.

Pourriez-vous dire qu’on ne peut révoquer un échevin que pour des motifs administratifs ? Pourriez-vous aller jusqu’à dire qu’un échevin qui aurait trompé la confiance du gouvernement et celle de ses collègues, qui, de patriote simulé, se serait plus tard transformé en fauteur de la dynastie déchue, ne pourrait être atteint par le gouvernement ?

Pourriez-vous aller jusqu’à dire qu’un échevin ennemi du gouvernement, je ne parle pas du gouvernement personnifié dans le ministère, mais de l’ordre de choses établi dans le pays, pourrait continuer à scandaliser par sa présence dans le collège une administration qui le repousserait elle-même de son sein ? Je ne le crois pas. S’il en est ainsi, abstraction faite des principes qui attribuent en règle générale le droit de révocation à quiconque est investi du droit de nomination, vous devez accorder au gouvernement le droit de révoquer les bourgmestres et les échevins. Quant à la suspension, qu’on investisse la députation du droit de la prononcer, pour motifs purement administratifs, je ne m’y opposerai pas, ce sera la continuation de l’état de choses qui existe en vertu des anciens règlements.

J’oubliais une objection : On a dit, sentant toute la force de l’argument de M. Milcamps, qui présentait les échevins comme des officiers du ministère public, on a dit que de ce qu’ils étaient membres de l’ordre judiciaire, ils ne devaient pas nécessairement tenir leur nomination du pouvoir royal, et on citait les juges de paix. Mais l’argument manquait de justesse, car les juges de paix sont des officiers de police judiciaire, et il s’agissait d’officiers du ministère public. Qu’on veuille me citer des exemples d’officiers du ministère public élus par le peuple, imposés au pouvoir exécutif. Voilà l’exemple qu’il aurait fallu produire pour détruire l’argument de M. Milcamps.

J’attendrai que M. le rapporteur ait attaqué la proposition de la section centrale, qui n’est que légèrement modifiée par le gouvernement, pour savoir si je prendrai encore la parole.

M. Dumortier, rapporteur. - J’ai beaucoup étudié la loi d’organisation communale. Mes fonctions de rapporteur m’en faisaient un devoir. J’ai trouvé que c’était une loi, je ne dirai pas seulement impolitique, mais une loi liberticide telle qu’elle nous avait été présentée. J’ai trouvé qu’il existait dans cette loi divers points que nous devions tous réprouver, et de ces points il n’en est aucun qui m’ait paru aussi attentatoire à la liberté que celui que nous discutons en ce moment.

Le ministre de la justice vient de trouver étrange qu’on adresse au gouvernement des reproches relatifs aux sacrifices qu’on fait des libertés publiques ; il s’étonne qu’on n’en adresse pas à la section centrale. Je lui demanderai s’il pense que si le gouvernement ne fût pas venu demander le sacrifice des libertés communales, un seul membre de cette chambre se fût levé pour le lui offrir. C’est le gouvernement seul qui a fait entrer la chambre dans la voie où elle est engagée, mais dont j’espère qu’elle saura sortir au second vote.

Quant aux motifs pour lesquels le rapporteur ne défendrait pas les propositions de la section centrale, il est facile de les expliquer. Dans la section centrale, les décisions sur la nomination des bourgmestres et échevins et sur la question qui nous occupe en ce moment ont été prises à la majorité d’une seule voix. Encore y a-t il eu bien des changements dans les opinions et les discours et il a tenu à très peu de chose que la révocation et la suspension ne fussent tout à fait renvoyées de la loi. Je n’en dirai pas davantage, car il ne m’appartient pas de dire ce qui s’est passé dans le sein de la section centrale.

Maintenant, puisque le ministre a témoigné son étonnement de ce qu’on adressait des reproches au gouvernement de la présentation d’une loi bonne tout au plus pour gouverner une colonie comme celle d’Alger, je dirai que je suis navré de voir le sacrifice des libertés dont nous jouissons, proposé par d’anciens membres du gouvernement provisoire, par ceux-là même qui avaient concouru à les établir et cela sans exposé des motifs qui nécessitent un pareil sacrifice, sans énonciation de griefs qui justifient une telle proposition. Voilà, messieurs, le sujet des reproches qu’on adresse au ministère, voilà pourquoi le rapporteur de la section centrale ne vient pas défendre des propositions liberticides.

Messieurs, il est une erreur qui plane sur toute cette discussion ; constamment on s’est trompé sur la nature des fonctions des bourgmestres en Belgique sous notre régime constitutionnel actuel. Le ministre a commencé par présenter le bourgmestre comme agent absolu du pouvoir exécutif. C’est en le présentant sous ce point de vue qu’il prétendait en avoir la nomination non seulement dans le sein du conseil mais où il voudrait.

Maintenant, un peu tard il est vrai, on reconnaît que le bourgmestre n’est pas l’agent exclusif du gouvernement, on sanctionne la résolution prise par la chambre, que le gouvernement doit choisir le bourgmestre dans le sein du conseil. C’est un aveu dans la bouche de M. le ministre de la justice. Je prie la chambre de ne pas le perdre de vue. Si cette déclaration avait été faite plus tôt, elle aurait singulièrement simplifié la discussion.

Pour moi, je demanderai si, par la nature de ses fonctions, le bourgmestre est constitué l’agent du pouvoir exécutif. Si cela était vrai, vous verriez partout les chefs d’administration communale nommés par le gouvernement, suspendus et révoqués par lui, et si ce n’est pas une chose inhérente à leurs fonctions, vous verrez le peuple avoir plus ou moins de part à leur nomination suivant que le gouvernement sera libéral ou despotique.

Eh bien, le roi de Prusse vient d’accorder à ses peuples le droit de nommer les bourgmestres et échevins. En Angleterre, le pouvoir exécutif n’intervient en aucune manière dans la nomination des aldermen ni du lord maire. Aux Etats-Unis le gouvernement n’intervient en rien dans ces nominations. Dans ces pays, on considère les autorités communales comme de simples agents locaux.

Si donc il était exact de dire que le bourgmestre fût essentiellement l’agent du gouvernement, vous ne verriez aucun pays où ces magistrats ne fussent nommés par le gouvernement. Or, cela n’existe pas, donc les bourgmestres ne sont pas les agents exclusifs du pouvoir exécutif.

En France, le gouvernement nomme et révoque les maires et adjoints. Je sais qu’ici le gouvernement désire avoir autant de ce qu’il appelle de la force, qu’en obtient le gouvernement français. Et de son côté, le gouvernement français verrait avec peine établir à ses portes un système d’organisation communale plus libéral que le sien ; aussi, rien que pour lui complaire, on nous dépouillera des libertés communales qui n’existent pas en France.

Quant à la Belgique, il est incontestable que dans l’ordre constitutionnel que le congrès a créé, les bourgmestres et échevins ne sont, en aucune manière, les agents du pouvoir exécutif. L’article 108 de la constitution est formel. Le gouvernement a un commissaire dans chaque province ; mais dans la commune, la constitution n’a établi qu’un chef d’administration communale ; ce chef d’administration communale ne pourrait être l’agent du gouvernement sans renverser le système établi par le congrès national, sans modifier les pouvoirs pondérés dans la constitution.

M. le ministre de la justice prétend que comme officiers de l’état-civil, les bourgmestres et échevins ne sont pas de simples agents municipaux, mais même des agents du pouvoir. Il est conclut que l’on doit accorder au gouvernement le droit de les révoquer ou de les suspendre.

Je m’étonne que lui qui doit connaître la constitution mieux que nous, la connaisse aussi peu. Que dit l’article 109 de la constitution ?

Que la rédaction des actes de l’état-civil et la tenue des registres sont exclusivement dans les attributions des autorités communales. Si donc le bourgmestre ou un des échevins est chargé de la rédaction de ces actes, ce n’est pas comme délégué du gouvernement, mais comme agent communal. Ainsi il est inexact de prétendre que les fonctions d’officiers de l’état-civil dépendent du gouvernement, et qu’elles engendrent le droit monstrueux de révocation ou de suspension.

Mais, prétend-on, celui qui nomme doit pouvoir révoquer, le gouvernement nommant les bourgmestres et les échevins, il devait avoir le droit de les révoquer et de les suspendre.

Messieurs, vous êtes nommés par le peuple et je prie M. le ministre de me dire si le peuple a le droit de vous révoquer ? Les membres des conseils provinciaux et communaux sont nommés par les électeurs, admettrez-vous que quand un conseiller aura déplu aux électeurs qui l’auront nommé il pourra être révoqué par eux ? Voilà pourtant où vous conduirait le système de M. le ministre de la justice. C’est un système fallacieux et rien de plus. Les juges encore sont nommés par le Roi et le Roi a-t-il le droit de les révoquer ? Ces prétendus principes qu’on avance sont des paroles sonores, mais elles n’ont que du son.

Il est de l’essence du mandat à terme de n’être pas révocable. Les bourgmestres et les échevins ne sont pas des employés du gouvernement, mais des magistrats. Il y a entre les fonctions de magistrat et celles d’employé une différence immense.

Le magistrat peut et doit raisonner les ordres qu’on lui donne, tandis qu’un employé est soumis à une obéissance aveugle. Il doit exécuter les ordres qu’il reçoit. Si les magistrats cessaient de pouvoir raisonner sur les ordres qu’ils reçoivent, s’ils devenaient de simples machines à impulsion, si leurs devoirs n’étaient pas fixes et déterminés, vous en feriez de simples agents du pouvoir ; dès lors ils cesseraient d’avoir sur le peuple cette influence si nécessaire pour opérer le bien public. Stipulez donc les cas de distinction si vous ne voulez mettre les magistrats communaux au-dessous des derniers employés.

Vous ne pouvez donc admettre que le gouvernement ait le droit de destituer et de suspendre les magistrats qui n’exécuteraient pas ses ordres, sans poser les cas de destitution, sans leur laisser la faculté d’examiner si ces ordres sont conformes aux lois et à la constitution. Si vous admettiez un semblable système, vous renverseriez l’édifice social il faut que tout magistrat puisse apprécier la nature de l’ordre dont l’exécution lui est confiée. Il ne peut violer la constitution, les lois, pour faire plaisir à un ministère, qui de sa nature est transitoire, qui demain peut-être aura disparu de la scène du monde.

D’ailleurs, qu’est-ce que la révocation ? La révocation est une peine ; personne ne peut le méconnaître. On a voulu établir une différence entre la révocation et la destitution. C’est ici, messieurs, une question purement grammaticale. Aux yeux de tous les citoyens, la destitution et la révocation sont une seule et même chose. Ils n’établissent aucune différence entre les deux noms que l’on donne à l’élimination d’un fonctionnaire public et d’un magistrat communal.

La révocation est donc une peine, c’est une peine administrative. La destitution est une peine d’un ordre différent. Mais, en définitive, elles aboutissent au même résultat. Pourquoi donc refuseriez-vous que la loi stipulât les cas dans lesquels il y aura lieu à révoquer un bourgmestre ou un échevin ? On l’a déjà dit, messieurs, le droit de suspension et de révocation n’existait pas dans les anciens règlements. Le roi Guillaume, le tyran, ne demandait pas ce droit que demandent aujourd’hui les ministres. Il ne l’avait pas ; il n’eût pu sans violer ouvertement la loi fondamentale, révoquer les agents municipaux. Eh bien, c’est après que la révolution a délivré la Belgique du gouvernement qui l’opprima pendant 15 années, que les hommes sortis de cette révolution viennent vous demander de livrer pieds et poings liés neuf mille magistrats à la merci du gouvernement.

D’ailleurs, messieurs, quand le ministère aura fait prévaloir un pareil système, en supposant que vous soyez disposés à le sanctionner de votre vote, trouverait-il en Belgique un seul homme d’honneur qui consentît à accepter des fonctions où l’épée de Damoclès sera incessamment suspendue sur sa tête, des fonctions qui lui seront retirées brutalement du jour où il aura enfreint les ordres du ministère, où il aura refusé de se soumettre à ses caprices ? Tout ce qu’il y a d’hommes d’honneur dans notre pays, qui se respectent, se refusera à plier à de pareilles conditions ; dès lors les fonctions de bourgmestre et d’échevin seront le partage des intrigants et des gens sans aveu.

On a très souvent cité dans cette discussion les actes de Liége. Les pages de l’histoire nous apprennent que toutes les fois qu’un gouvernement a voulu établir l’absolutisme et le despotisme, il a fait tourner à son profit les abus survenus dans l’exercice de droits qu’il voulait anéantir. C’est en suivant ce système que le gouvernement a toujours envahi les libertés du pays, et, qu’il augmente la part d’autorité que le peuple lui avait donnée.

Mais puisque le ministre a porté la discussion sur ce terrain, je n’hésiterai pas à l’y suivre.

Vous savez comment je me suis expliqué à l’occasion du conflit qui s’est élevé entre la régence de Liége et l’autorité supérieure. Vous savez que le premier je me levai dans cette enceinte pour blâmer les actes de la municipalité de cette ville. Vous ne pouvez suspecter mes intentions, puisque le premier j’invoquai le rétablissement de l’ordre et la nécessité de l’appui dont le gouvernement avait besoin dans cette circonstance. Mais voyons ce qui s’est passe en cette circonstance.

Lorsque le ministère actuel est venu devant la chambre exposer les faits et demander la faculté d’employer des mesures qui fissent triompher l’intérêt général, que vous a-t-il demandé ? La nomination du bourgmestre ? Non. La nomination des échevins ? En aucune manière. Le droit de révocation et de suspension ? Pas davantage. Le droit de dissoudre le conseil communal ? Pas le moins du monde. Ce qu’il nous a demandé, messieurs, c’est une simple intervention dans les actes de la commune. Voilà ce qui lui suffisait, lorsqu’il s’agissait de faire rentrer dans l’ordre une régence que l’on ne qualifiait de rien moins que rebelle. N’est-ce pas une chose monstrueuse, qu’aujourd’hui qu’il s’agit de constituer la commune, de fonder un état normal, le gouvernement, je le dirai, le même ministère, vienne vous proposer de lui accorder non plus sur les actes, mais sur les personnes, un contrôle tellement absolu qu’il fera des bourgmestres, des échevins, de simples serviteurs de l’autorité centrale. Je vous prie, messieurs, de réfléchir à cet argument.

Nous avons donné au gouvernement dans le système de la section centrale, si les dispositions du projet qu’elle a présenté sont adoptées, une intervention immense dans les actes de l’administration communale, une intervention telle, qu’aucun pays ne peut nous offrir rien de semblable ; j’entends autour de moi réclamer contre mon assertion. J’en excepte toutefois les pays gouvernés par le despotisme le plus absolu. J’en excepte la Turquie, par exemple. Je suppose bien que l’idée du ministre ne va pas jusque-là. Dans aucun pays constitutionnel, je le répète, rien de semblable n’a jamais existé.

Comment les communes peuvent-elles devenir dangereuses dans un Etat ? De deux manières : activement ou passivement.

Si une administration communale se livre à des actes qui compromettent l’Etat, qui violent les lois existantes, elle est hostile d’une manière active. Dans ce cas, nous avons donné au gouvernement un moyen de la faire rentrer dans le devoir, en lui reconnaissant le droit d’annuler tous les actes quelconques des régences par le fait seul de sa volonté, sans qu’il soit seulement tenu de donner les motifs de son annulation. Vous voyez donc que sous ce rapport les intérêts du gouvernement ont obtenu une part assez large.

Une régence peut devenir hostile à l’autorité supérieure en se refusant à exécuter les lois ou les ordres qui leur sont transmis.

Eh bien, nous avons donné également dans ce cas un pouvoir exorbitant à l’administration centrale. Nous l’autorisons toutes les fois qu’une administration aura refusé d’exécuter un ordre qui lui aura été communiqué par l’intermédiaire du gouverneur, à envoyer dans la commune un agent spécial qui fasse exécuter la loi au lieu et place de l’administration communale. C’est là une faculté qui n’existe dans la loi d’organisation communale d’aucun pays ; qui n’existait pas sous le gouvernement précédent, qui est tout à fait inconnue en France.

Mais une régence peut devenir hostile d’une autre manière en refusant de porter à son budget des dépenses que la loi a déclarées dépenses communales. Dans ce cas nous autorisons la députation provinciale à introduire au budget communal les sommes que l’administration locale aurait refusé d’y porter. Mais dira-t-on, ce droit ne suffit pas. Il peut arriver que la régence refuse de mandater les sommes à payer d’office à son receveur. Nous avons établi que dans ce cas la députation provinciale pourrait mandater elle-même sur le receveur communal. Mais comme il pourrait se présenter le cas où l’administration locale persistant dans son obstination ferait la défense à son receveur de délivrer les fonds, nous avons rendu les personnes mêmes qui la composent responsables du refus de paiement.

Vous voyez donc que nous avons mis à la disposition de l’autorité supérieure les moyens les plus rigoureux, je dirai même, les plus vigoureux pour assurer l’exécution des lois et le maintien de l’ordre. Nous avons été plus loin que le ministère lui-même. Pourquoi ? parce que nous entendions bien que l’on aurait donné une certaine liberté aux personnes puisque nous accordions une surveillance aussi grande sur les choses, parce que la Belgique, selon nous, ne devait pas souffrir que les personnes de ses magistrats fussent soumises aux caprices et aux fantaisies des agents du pouvoir.

Un honorable membre qui m’a précédé dans la discussion en parlant du droit de suspension préalable par la députation provinciale pour combattre l’amendement de l’honorable M. Dellafaille, a prétendu que c’était faire dépendre l’action du pouvoir royal de celle de la députation. Messieurs ce système est une pure doctrine ; parce qu’il ferait regarder les bourgmestres et les échevins comme des fonctionnaires publics sous la dépendance immédiate du gouvernement, tandis que la constitution les a établis chefs de l’administration communale et non pas commissaires du gouvernement près des administrations communales. Ils sont comme en Angleterre, ce sont les maires et les aldermen, à la tête du pouvoir communal

On a prétendu dans la séance précédente que l’article 66 de la constitution donnait au gouvernement le droit de nommer les bourgmestres et les échevins, mais c’est encore là une de ces subversions de toute espèce d’idées que l’on s’est permises dans cette discussion.

Vous n’avez pas prétendu que les maires et les échevins fussent de simples employés. Tous les auteurs sont d’accord sur ce point, quand la raison ne nous indiquerait pas qu’il est impossible de soutenir une semblable thèse.

Les suspensions sont rares, nous dit-on. Et d’ailleurs n’avez-vous pas la responsabilité ministérielle ? Il est possible que le pouvoir soit sobre de suspension ; mais je dis qu’une seule suspension, une seule révocation, suffira pour terroriser tous les fonctionnaires municipaux du pays et les contenir dans les bornes d’où le gouvernement exigera qu’il ne s’écarte pas. Mais il a déjà été répondu à cet argument. La responsabilité ministérielle ne s'applique pas à des cas semblables.

Elle ne s’applique qu’aux crimes de haute trahison et quelques grands crimes ; pour tout autre cas, ce n’est qu’un vain mot, qu’une pure chimère ; la responsabilité ministérielle ne peut servir au ministère que d’un plastron derrière lequel il pare les coups de l’indignation de la chambre. Alors il ne s’en fait pas faute.

Ce n’est pas du reste, messieurs, que je ne fasse le plus grand cas de cette garantie en théorie. (Hilarité.) Comment voulez-vous que j’en fasse cas en pratique lorsque j’ai vu jusqu’à quel point il était possible de l’éluder. Il ne faut pas, messieurs, que la responsabilité ministérielle soit un moyen d’anéantissement de nos libertés publiques. Il ne faut pas qu’elle serve de prétexte pour que l’on nous refuse toute autre garantie chaque fois que nous sommes en droit de l’exiger et cela sous le beau prétexte d’une responsabilité plus chimérique que réelle.

Et comment pourrions-nous avoir foi entière dans la responsabilité, comment pourrions-nous croire qu’elle s’opposerait aux abus du droit de révocation, lorsqu’un ministère a osé violer l’article 36 de la constitution, qui défend de poursuivre un député, pour un vote émis dans cette enceinte, en destituant l’honorable M. Desmet, sans qu’il se soit trouvé une majorité qui ait fait rentrer le ministère dans le devoir.

N’est-ce donc pas une chimère de prétendre que la responsabilité ministérielle donnera la garantie qu’aucune révocation de fonctionnaires municipaux ne sera faite sans motifs légitimes ? N’est-ce pas une dérision amère que de réduire tous nos magistrats en servitude, à cause de la responsabilité ministérielle ? Si tel était son effet mieux vaudrait qu’elle n’eût jamais existé.

D’ailleurs ce que demande le gouvernement dans cette circonstance est tout à fait neuf et ignoré en Belgique. Il est vrai que sous l’empire nous avions des maires et des adjoints soumis à la nomination et à la révocation du souverain ; mais c’était là un système passager, éphémère, ce n’est pas une règle invariable pour la Belgique.

Sous le roi Guillaume, le droit de destitution et de révocation des bourgmestres et échevins ne se trouvait pas dans les règlements. Est-ce à nous à nous montrer plus hostiles aux libertés communales que Guillaume lui-même ? Si le roi Guillaume avait le droit de révocation dans les communes rurales il ne l’avait pas dans les villes ; et encore ne l’avait-il pour les communes rurales que dans deux cas déterminés, celui d’inconduite et celui de négligence grave. Hors ces cas, il n’avait aucun pouvoir.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est inexact.

M. Dumortier, rapporteur. - Vous dites que c’est inexact, c’est-à-dire que vous prétendez que ce droit de suspendre ainsi limité ne préjugeait rien à la faculté de révoquer accordée aux gouverneurs par les instructions. C’est-à-dire que vous mettez de côté l’article 18 du règlement du plat-pays.

Vous vous appuierez sur l’instruction des gouverneurs, mais l’autorisation donnée à un fonctionnaire public ne peut détruire un texte formel du règlement. Les gouverneurs tenaient des instructions le droit de suspendre et de révoquer, mais ils n’avaient ce droit que contrairement à l’article 18. Or, les instructions étaient nulles de plein droit, si elles violaient les règlements qui étaient censés faire partie de la loi fondamentale. Voilà quel était l’état de la législation sous le roi Guillaume.

Si on examine quel était à cet égard le pouvoir du souverain antérieurement à la révolution française, on voit que jamais dans nos provinces le pouvoir n’a eu le droit de destitution et de révocation sur les magistrats de la commune. Je le demande, si le comte de Flandre avait eu le droit de destitution, n’aurait-il pas destitué Artevelde lorsqu’il s’opposait à ses envahissements de pouvoir ? Si Antoine duc de Brabant avait pu révoquer les magistrats de la commune n’aurait-il pas révoqué les échevins qui s’opposaient à ses violations de la loi, qui proclamaient à l’hôtel-de-ville qu’on ne devait pas exécuter les ordres du duc parce qu’ils violaient la loi ? Si les souverains avaient le droit de révocation, aurait-on ordonné le massacre juridique du généreux Aneessens ? Il faut donc reconnaître que ce pouvoir n’existant pas chez nous, il a fallu que le peuple élevât un trône de se propres mains pour se voir ainsi river ses fers.

Maintenant s’il était dans cette enceinte des hommes qui voulussent de plus en plus détruire les libertés de la commune, qui consentissent à l’avilissement, à l’asservissement des magistrats populaires, qui prétendissent les livrer au pouvoir pour faire d’eux un instrument électoral comme on l’a donné à entendre, je leur dirai : Continuez, messieurs, continuez le sacrifice, immolez sur l’autel du pouvoir les libertés publiques conquises par la révolution ; mandataires du peuple qui vous a envoyés pour défendre ses droits, abandonnez, sacrifiez ses intérêts les plus chers et les plus sacrés. Pour moi le sang des victimes de septembre est encore présent à mes yeux ; il me rappelle les efforts qu’a coûtés la conquête de nos libertés. Jamais, non jamais, je ne consentirai à les sacrifier, à les anéantir. Jamais je ne consentirai à immoler tous nos magistrats au bon plaisir du pouvoir.

Eh ! qu’importe à la Belgique d’avoir fait une révolution si un gouvernement despotique succède à un gouvernement despotique. Pensez-vous persuader au peuple que vous êtes en droit de lui ravir ses libertés ? Qu’importent au peuple les hommes qui gouvernent. Est-ce pour eux qu’il a versé son sang aux grands jours du combat ? Pour moi peu m’importe quels sont les hommes ; ce sont les choses que je considère ; c’est pour la liberté que la révolution s’est faite, c’est elle seule que nous devons défendre.

Messieurs, dussent mes paroles tomber comme un plomb sur ce tapis je ne regretterai pas de les avoir fait entendre. Au moins si ma voix n’a pas d’écho dans cette enceinte, rentré dans ma province, si les magistrats d’une commune me rencontrent, derrière moi ils ne pourront dire : « C’est notre représentant, c’est lui qui nous a vendus. » (Mouvement.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Jusqu’à présent l’honorable orateur qui vient de parler ne s’était pas livré contre le gouvernement a cette fougue d’éloquence dont il gratifie la chambre de temps à autre. Aujourd’hui, il a voulu, ce semble, récupérer le temps perdu.

Je ne suivrai pas l’orateur dans les diverses phases de son discours ; je me bornerai seulement à relever quelques passages qui m’ont paru manquer d’exactitude.

D’abord, l’honorable député de Tournay a reproché au gouvernement ses vues liberticides à l’égard des communes, il les lui a reprochées parce que le gouvernement demande la faculté de révoquer des fonctionnaires dont la nomination est dans ses attributions. En ce point mon collègue de la justice a déjà fait remarquer que les intentions liberticides du gouvernement n’appartenaient pas à lui seul, qu’elles étaient partagées par la section centrale ou au moins par la majorité des membres de la section centrale, parmi lesquels, quant à moi, je ne vois pas d’hommes liberticides.

Il y a plus : le gouvernement par une de ces tactiques qui, je m’étonne, a échappé à la pénétration ordinaire de l’honorable préopinant, le gouvernement, par une de ces tactiques infâmes qui lui sont familières, avait présenté à la chambre le projet de loi communale absolument dans les mêmes termes dans lesquels il avait été rédigé par la commission nommée par arrêté royal et dont tout à l’heure je nommerai les membres.

Autre tactique encore familière au gouvernement : le ministre s’est abstenu d’assister aux discussions de la commission qui tenait ses séances dans l’une des salles mêmes du ministère de l’intérieur, ce n’est qu’une ou deux fois seulement que le ministre de l’intérieur a cru devoir assister aux réunions de la commission. Le projet fut donc l’œuvre de la commission ; et tel il a été remis au Roi, tel il a été présenté à la chambre. Cette commission se composait de MM de Stassart, Barthelemy, Devaux, Jullien, Lebeau, de Theux. Notre honorable collègue M. Jullien fut en dernier lieu chargé de la révision générale de la loi, sous le rapport de la rédaction ; je crois pouvoir l’affirmer.

Voici dont de nouveaux complices à joindre aux membres composant le ministère. Mais il en est encore d’autres qui ont des intentions aussi liberticides, et si je devais aller chercher parmi les amis les plus intimes de l’honorable préopinant, il ne serait pas, je pense, médiocrement surpris de trouver chez ces honorables amis les intentions liberticides qu’il condamne si hautement.

Hier j’ai donné connaissance à la chambre d’une lettre d’un fonctionnaire public. Comme je ne cache aucune lettre d’administration, je n’ai pas cru devoir faire un mystère de celle-ci.

M. Doignon. - Je demande la parole.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il en résulte que l’honorable ex-fonctionnaire qui demande la parole, sentait lui-même la nécessité pour le gouvernement de réprimer les malversations, les prévarications de certains bourgmestres dans le district qu’il avait alors l’honneur d’administrer. J’ai donné lecture de cette lettre ; et elle est assez significative. On demandait qu’il fût possible de révoquer certains fonctionnaires communaux, de prendre à leur égard des mesures répressives.

Messieurs, ce n’était que dans l’intérêt du peuple que l’on sentait alors la nécessité de ne pas laisser à la tête d’une commune un homme qui la déshonorait par les condamnations dont il avait été l’objet, par les dilapidations auxquelles il se livrait, un homme qui répandait partout le mécontentement. C’est aussi dans l’intérêt du peuple que le gouvernement insiste pour que vous lui laissiez ce droit.

A la vérité, le gouvernement n’a pas l’habitude de faire résonner si souvent ce mot de peuple ; il n’imite pas certains orateurs qui voudraient faire croire que seuls ils sont pénétrés de tout l’amour que peut inspirer le peuple ; et néanmoins il a pour le peuple une sollicitude aussi vive, un amour aussi sincère que ses défenseurs auxquels il répond.

J’ai déjà dit que dans plusieurs communes le droit de révocation était réclamé comme un bienfait auprès du gouvernement. Dans beaucoup de communes on ne comprend pas que le gouvernement ne soit pas libre de révoquer des fonctionnaires connus pour leurs opinions orangistes ou flétris par leurs dilapidations ; on ne comprend pas que de tels hommes restent en place malgré le gouvernement ; et à l’heure qu’il est, je pose en fait qu’un grand nombre de communes préféreraient à la présentation du conseil le libre choix du gouvernement. En effet, pourquoi le gouvernement placerait-il à la tête de l’administration communale des hommes désagréables aux communes ?

On a été jusqu’à dire que le gouvernement mettait à la tête de la commune des gens sans aveu. Ainsi, voilà les fonctionnaires nommés par le gouvernement accusés par l’honorable préopinant de ne pas être des hommes d’honneur. Ainsi les bourgmestres et les échevins nommés par le gouvernement seront des hommes sans honneur !

Je ne comprends pas, lorsque de toutes parts le pouvoir central se trouve contrôlé, surveillé, critiqué, lorsque de toutes parts les lumières peuvent lui parvenir sur tous les hommes capables de former de bons fonctionnaires municipaux, il arrêterait son choix sur ce qu’il y a de plus mauvais dans la commune pour l’administrer. Dans quel intérêt le gouvernement ne choisirait-il pas ce qu’il y a de meilleur ?

A ne voir même que les intérêts du gouvernement en avant, en admettant qu’il veuille choisir des hommes qui peuvent le servir politiquement, l’intérêt du gouvernement ne serait-il pas de choisir des hommes influents et capables de le servir utilement auprès des administrés ? N’ira-t-il pas choisir parmi les hommes estimés, plutôt que de choisir parmi les hommes méprisés ? Evidemment il en sera ainsi, à moins qu’il ait perdu le bon sens, et je crois qu’on ne lui a pas encore refusé cette qualité, bien que sans doute cela viendra avec les autres reproches.

M. A. Rodenbach. - Et les actes du ministre des finances. (Bruit.)

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ce que vient de dire M. A. Rodenbach me fournira un argument en faveur du système que nous défendons ; il me semble que jusqu’à présent le gouvernement n’a pas été prodigue de destitutions.

Quelques voix. - Ce n’est pas la question.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, dans cette discussion jusqu’ici nous nous sommes abstenus de faire des excursions, soit dans les temps passés, soit dans les pays voisins. Nous pensions que nous faisions une loi pour l’avenir et pour la Belgique, et nous n’avons pas été chercher des exemples ailleurs.

On a beaucoup parlé de la Prusse depuis que la loi communale est commencée ; on a fait entendre des paroles pleine d’admiration pour le gouvernement prussien ; à la bonne heure, a-t-on dit, ce gouvernement-là veut la liberté du peuple ; voilà un ami du peuple ; il n’est pas ennemi des libertés communales comme le gouvernement de la Belgique. Cependant, messieurs, on n’a pas indiqué d’une manière très précise la cause de cette admiration pour le gouvernement prussien ; j’avoue qu’à certains égards j’ai beaucoup de considération pour ce gouvernement mais en ce qui concerne le système communal, je trouve qu’il va beaucoup plus loin que le gouvernement liberticide de la Belgique.

Le gouvernement prussien a daigné octroyer à des communes des pouvoirs qu’il est libre de leur retirer demain ; il s’est réservé le droit de destituer les fonctionnaires municipaux, alors qu’il a bien voulu consentir à ne pas les nommer tous.

Voici d’abord ce que porte la loi communale en Prusse à l’égard des élections :

« Le gouvernement confirme les élections des bourgmestres et des autres membres du magistrat. Il a le droit de s’assurer de la capacité et de la dignité des candidats au moyen d’examen ou de toute autre manière, et d’ordonner une nouvelle élection si la précédente était tombée sur des candidats qui lui semblent indignes. »

Je ne sais, messieurs, si cette disposition serait de nature à être introduite dans la loi que nous discutons ; je demanderai à l’honorable M. Dumortier si elle lui conviendrait. (On rit.) Je continue : « Si l’élection d’un fonctionnaire est retardée par des manœuvres inconvenantes ou par toute autre cause, le gouvernement aura le droit de faire remplir la place vacante par un commissaire aux frais de la ville. »

Je ne crois pas non plus, messieurs, que cette disposition soit très libérale, voici maintenant ce qui est relatif à la suspension et à la démission :

« La suspension, la destitution et la démission forcée des fonctionnaires municipaux sont soumises aux principes établis pour les fonctionnaires de l’Etat. »

Ainsi, messieurs, tous les fonctionnaires municipaux qui sont nommés par l’élection sont soumis aux mêmes principes que les fonctionnaires de l’Etat pour la suspension, la destitution ou la démission forcée ; quant à la dissolution, je ne crois pas encore que ce soit de la disposition qui y est relative que l’honorable M. Dumortier s’emparera.

Voici cette disposition : « Dans le cas où un collège de commissaires persisterait à négliger ses devoirs, qu’il agirait contre l’ordre public, ou qu’il se désunirait, nous en décréterons la dissolution après mûr examen ; nous ordonnerons la composition d’un nouveau collège selon les circonstances et déclarerons les coupables inadmissibles pour toujours ou pour un certain temps à une réélection, sans préjudice des poursuites judiciaires qui pourront, s’il y a lieu, être dirigées contre eux. »

Dans ce système, messieurs, qui comme vous le voyez, est très libéral et très populaire, il y aussi des conditions d’éligibilité qui ne laissent pas d’être fort sévères ; il faut, pour être éligible aux fonctions municipales, être propriétaire d’un immeuble dans l’arrondissement même, dont la valeur pour les petites villes ne peut être au-dessous de 1,000 thalers, et pour les grandes villes au-dessous de 12,000, ou bien posséder un revenu annuel fixe, montant au moins à 200 thalers pour les petites villes, et à 1,200 pour les grandes villes.

En outre, l’éligible doit être chrétien, celui qui n’appartient pas à la religion chrétienne ne peut remplir les fonctions municipales.

Voilà donc, messieurs, à quoi doivent se réduire ces belles paroles d’admiration que l’on a fait entendre en faveur du système communal de la Prusse. Il me semble que ces paroles sont un peu ce que l’honorable M. Dumortier appelait tour à l’heure du son en qualifiant les paroles de mon honorable collègue et ami, le ministre de la justice.

On a parlé du système des Etats-Unis. Messieurs, nous avons pu voir récemment encore combien on fait peu de cas aux Etats-Unis des fonctionnaires, depuis le haut de l’échelle administrative jusqu’au dernier échelon ; ainsi, les partisans de Jackson, ou ses adversaires, seront maintenus en place ou destitués, sans que l’opinion s’en irrite ; et pourtant les Etats-Unis, il faut bien le croire, doivent comprendre, vu leur longue pratique, ce que c’est que la liberté.

Aux Etats-Unis, par exemple, les municipalités destituent jusqu’au balayeur, et le gouvernement jusqu’au simple douanier. Comme le droit électoral descend très bas, en destituant le douanier, on destitue en même temps en quelque sorte les électeurs, pour les remplacer par d’autres électeurs plus favorables au gouvernement.

Je suis fâché, messieurs, de m’éloigner ainsi de l’article en discussion ; cependant la chambre voudra bien remarquer que les observations que je viens de lui soumettre répondent à ce qu’a avancé M. le rapporteur de la section centrale, et se rattachent indirectement à l’article en discussion.

J’ai voulu répondre une fois pour toutes à ces reproches qui pleuvent du banc où siège de l’honorable préopinant, sur nos intentions coupables relativement aux libertés du peuple.

On est tellement passionné contre nous, que souvent on en est aveugle, et que l’on signale des tactiques là où précisément les actes du gouvernement sont le contre-pied des tactiques. On demande pourquoi le gouvernement n’est pas venu, à l’occasion de ce qu’a fait la régence de Liège, réclamer la destitution du bourgmestre et des échevins de cette ville : messieurs, si le gouvernement s’était avisé de faire une pareille demande aux chambres, que n’eût pas dit l’honorable M. Dumortier ! Il eût dit que nous profitions de la circonstance pour nous faire attribuer la nomination des bourgmestres et des échevins.

Il eût même été plus loin, je pense (car lorsqu’on est aussi passionné, aussi partial, tous les moyens sont bons), il eût été jusqu’à dire que le fait de la régence de Liége était l’œuvre du ministère ; je ne sais même si une pareille insinuation n’a pas été produite dans cette enceinte, c’est-à-dire que le gouvernement aurait excité la régence de Liége à une rébellion, afin de remplacer à sa guise les fonctionnaires municipaux. Je suis presque certain que dans l’état passionné où se trouve l’honorable M. Dumortier, il l’a plus d’une fois pensé, qu’il a été tenté de le dire ; tout à l’heure il l’a donné à entendre…

M. Dubus. - Est-il permis de rechercher ainsi quelle est l’intention ? Le règlement porte qu’il n’est pas permis d’accuser les intentions.

M. le ministre ne se contente pas du sens des paroles, il recherche quelle a été la pensée d’un membre qui en ce moment n’est pas présent ; je crois que cela n’est pas conforme au règlement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je voudrais beaucoup que la doctrine que l’honorable préopinant tâche d’introduire dans la chambre y fût admise ; car nous n’avons pas été les derniers à être attaqués dans nos intentions. S’il existe ici d’intrépides scrutateurs des intentions, ce n’est pas sur le banc des ministres qu’ils sont assis, mais bien sur le banc où siègent les trois députés de Tournay. Au reste je serais satisfait d’être rappelé au règlement dans ce cas, bien persuadé que l’occasion ne me manquera pas d’y rappeler à mon tour les honorables membres.

Mais, rentrons dans la discussion de l’article 10. La chambre observera que la section centrale se rapproche beaucoup de la proposition du gouvernement ; elle est d’accord avec le ministère quant à la révocation par le Roi des bourgmestres et des échevins ; mais elle ne veut attribuer la suspension qu’à la députation provinciale : nous croyons qu’une pareille restriction est sujette à des inconvénients. Pour ce qui concerne les rapports du bourgmestre et des échevins avec la députation, je trouve très juste que la députation ait droit de suspendre des fonctionnaires qi ne rempliraient pas leurs devoirs à cet égard.

C’est ce qui existait sous l’ancien règlement. Mais le droit de suspension existait aussi pour le gouvernement ; c'était le gouverneur qui suspendait les fonctionnaires pour tous les actes qui ressortissaient du gouvernement, et où la députation n’avait rien à voir.

Ce cas s’est présenté dans la province d’Anvers. Il s’agissait de suspendre un fonctionnaire qui avait gardé par devers lui les fonds provenant des logements militaires ; la députation des états considérant ce fait comme un fait de mauvaise conduite, a suspendu le fonctionnaire.

Dans une autre commune il existait un secrétaire, dénoncé comme partisan de la famille déchue et comme négligeant de remplir ses fonctions.

Après beaucoup de plaintes, le secrétaire fut suspendu ; la députation donna la main à cette suppression ; mais s’apercevant que cet acte était motivé sur des faits politiques, elle le modifia et voulut que la suspension fût fondée sur la conduite administrative, puisque le secrétaire était accusé à la fois d’orangisme et de mauvaise conduite. La députation comprit parfaitement sa position ; elle admit uniquement la suspension pour faits d’administration. Le même cas peut se reproduire dans d’autres localités.

Messieurs, si le bourgmestre et les échevins négligent les intérêts de la commune, ce sera pour le gouvernement un devoir de les suspendre. Dans cette circonstance les actes du gouvernement seront réclamés par les communes et contrôlés par la presse et par les chambres ; ces actes seront rares et en général frapperont juste. Ils seront dès lors accueillis favorablement par le peuple. Nous lui portons notre part d’intérêt quoi qu’on en dise ; et il ne doit pas être exposé à être administré par des prévaricateurs, par des hommes tels que ceux que signalait M. Doignon en regrettant que le gouvernement n’eût pas entre les mains les moyens de répression de l’ancien gouvernement pour délivrer les communes des mauvais administrateurs/

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je ne m’attendais pas à être cité personnellement dans la discussion qui nous occupe ; cependant j’ai cru entendre qu’un honorable membre avait attaqué des actes émanés de mon ministère ; je demande que ces actes soient désignés pour que je puisse répondre.

M. A. Rodenbach. - Je n’ai pas parlé seulement des actes du ministère actuel, mais des actes du ministère précédent…

M. Coghen. - Je désire que l’honorable M. A. Rodenbach s’explique : ces insinuations ne sont pas parlementaires : quand j’ai fait des nominations, je les ai faites dans l’intérêt de mon pays.

M. A. Rodenbach. - Il s’agit de nominations faites par M. de Brouckere... (Bruit.) Je l’ai dit à M. de Brouckere lui-même... (Bruit, interruption.)

M. Dumortier, rapporteur. - Pendant que j’étais absent, il paraît que le ministre de l’intérieur a fait allusion à ce que j’aurais dit dans des séances précédentes. Il prétend que j’ai insinué que le gouvernement aurait suscité les événements relativement à la régence de Liége ; je n’ai rien insinué de semblable ; je ne l’ai jamais pensé. C’est une inexactitude ; c’est plus que cela.

Maintenant, messieurs, puisqu’on a voulu savoir ma pensée, je la ferai connaître. Je n’ai jamais pensé et je ne pense pas encore que le gouvernement ait fait naître les événements de Liége ; mais je dirai qu’il en a beaucoup profité et qu’il en profite encore beaucoup dans cette discussion : l’impression de ces événements est capable de faire aliéner beaucoup de prérogatives du peuple, prérogatives que l’on ne sacrifierait pas sans cela.

Si c’est là ce qu’on a voulu savoir, le voilà.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est cela ; si M. Dumortier n’a pas fait d’insinuations dans les séances précédentes, il en fait maintenant.

M. Jullien. - Messieurs, accorderez-vous au gouvernement le droit de révoquer à volonté les bourgmestres et les échevins ? Voilà la question principale qui vous est soumise. Avant d’aborder cette discussion, permettez-moi de faire remarquer à la chambre où nous a conduits la déviation outre mesure du principe d’élection directe.

On nous a dit d’abord : D’après l’article 108 de la constitution vous avez le droit de conférer au gouvernement la nomination des chefs de l’administration municipale, et nous n’avons pas craint d’abuser de ce droit. La majorité de la chambre a senti que dans l’intérêt de l’administration il convenait de laisser intervenir le gouvernement dans la nomination du bourgmestre ; vous avez déclaré que le Roi pouvait choisir le bourgmestre dans le conseil communal.

On a cherché ensuite à nous prouver que les échevins étaient des chefs de l’administration municipale pour qu’ils fussent également laissés à la nomination royale ; à une faible majorité la chambre a admis l’intervention du pouvoir royal dans cette nomination.

En tirant les conséquences de ce principe, on vous dit : Puisque vous avez donné au roi la nomination des bourgmestres et des échevins, il doit avoir le droit de les révoquer.

Quant aux conseils municipaux on nous dit aussi qu’ils sont chefs de la commune puisqu’ils peuvent remplacer les échevins, et il faudra donner au Roi le pouvoir de les révoquer. J’ai donné mon vote pour la nomination par le Roi des bourgmestres ; j’ai refusé pour les échevins ; et au second vote je tâcherai de faire revenir la chambre à mon opinion.

On dit que celui qui nomme a droit de révoquer. La nomination par le Roi aux fonctions publiques n’est rien autre chose qu’un mandat. Or, celui qui donne un mandat a toujours le droit de le révoquer. Voilà les principes à l’aide desquels le gouvernement voudrait avoir le droit de révoquer le bourgmestre et les échevins.

Messieurs, ces principes sont faux. Ils sont vrais dans le droit commun, quand il s’agit d’un mandat ordinaire, parce que celui qui donne ce mandat est censé le donner pour qu’il en soit fait usage dans son intérêt particulier. Or, comme nous avons le droit de faire nos affaires nous-mêmes, si on n’exerce pas comme nous l’entendons le mandat que nous avons donné, nous avons le droit de le retirer, pour reprendre la direction de nos affaires. En est-il de même du mandat donné par le chef de l’Etat qui est lui-même le premier sujet de la loi et chargé d’administrer le pays ? Non, car dans ce mandat intervient le pays. Ce mandat n’est pas donné dans l’intérêt de celui qui le confère, mais dans l’intérêt du pays. Il faut alors que le pays intervienne pour retirer le mandat.

Je dois ici rendre justice à M. Doignon, qui dans le discours qu’il a prononcé hier, a très bien développé ces principes, et j’invite la chambre à les méditer. Quand le mandat a été donné dans l’intérêt du pays, aussi longtemps que le pays n’en demande pas la révocation, il doit être maintenu. Voilà quel est le principe général même pour les nominations directes faites par le pouvoir royal. Le pouvoir royal nomme les magistrats, et cependant il ne peut pas les révoquer.

Pourquoi ? parce que la justice est rendue dans l’intérêt du pays, quoique ce soit au nom du Roi. Le Roi nomme les notaires, les avoués, les huissiers, les officiers ministériels, et cependant il n’a pas le droit de les révoquer. Ils sont révocables de la manière dont la loi dispose, dans les cas déterminés par la loi, avec l’intervention de leurs supérieurs. Ainsi, pour les officiers ministériels, les notaires, les chambres de discipline et les tribunaux, sont appelés à connaître les faits qui leur sont reprochés avant qu’on puisse leur retirer leur nomination. Voilà les principes pour les nominations directes.

Ici, la question se présente sous un autre point de vue. Pour le bourgmestre et les échevins, le Roi n’a pas la nomination directe. Que fait le Roi ? Il intervient seulement dans la nomination.

Or, n’est-ce pas renverser tous les rôles, tous les principes, que de faire de la partie intervenante la partie principale ? On intervient à cause de l’intérêt qu’on a, mais l’intérêt d’intervention ne peut rien retrancher de l’intérêt principal. Ici, l’intérêt principal, c’est celui du pays, celui de la commune. Ce n’est pas l’intervention royale qui fait le bourgmestre. Les éléments sont puisés dans l’élection populaire. S’ils n’étaient pas nommés par le peuple, il serait impossible au pouvoir d’en faire des bourgmestres et des échevins.

Cependant, par un renversement d’idées que je ne puis concevoir, voilà le bourgmestre, qui est une émanation du pouvoir populaire, modifié par le pouvoir royal ; voilà l’acte du pouvoir populaire détruit par l’intervention du pouvoir royal. Ces principes ne peuvent s’accorder avec le principe du mandat conféré dans l’intérêt d’un tiers, et encore moins, quand la partie intéressée est intervenante, pour la constitution de l’officier public qu’il s’agit de révoquer de ses fonctions. Je n’admettrai donc jamais la révocation du bourgmestre, et encore moins celle des échevins qui sont tout à fait étrangers au pouvoir exécutif et exercent une véritable magistrature domestique. Je ne crois pas que le pouvoir royal puisse y toucher.

On a argumenté fort longtemps des grands inconvénients, des malversations dont les bourgmestres et les échevins pouvaient se rendre coupables. Mais il est impossible que tout ce qu’on a dit à cet égard ne puisse s’appliquer à tous les fonctionnaires publics en général. Je défie qu’on en cite un seul dont on ne puisse dire : Il peut commettre des crimes, il peut se rendre indigne de ses fonctions. Les bourgmestres et les échevins comme les fonctionnaires de tout rang, sont dans le droit commun.

Tout crime de la part d’un fonctionnaire est évidemment compris dans l’article 166 du code pénal qui punit la forfaiture. La moindre peine pour la forfaiture, c’est la dégradation civile. Ainsi, toutes les fois qu’un fonctionnaire aura commis un délit emportant forfaiture, indépendamment des peines dont le délit est puni, la moindre peine qu’il puisse encourir, c’est la dégradation civile qui emporte de toute nécessité la déchéance de ses fonctions. S’il est vrai que ceux qui sont élus par le peuple et nommés par le Roi puissent être soupçonnés de pouvoir commettre les crimes et délits qu’on a énumérés, les lois répressives leur sont applicables comme à tous les autres fonctionnaires qui cependant ne peuvent pas être révoqués par le Roi.

M. Dellafaille a dit : Mais il faut cependant éviter d’avoir dans les administrations municipales de ces hommes qu’on a vus trop souvent être, dans leur commune, des tyrans au petit pied. (Ce sont ses expressions.) Il faut qu’on puisse les démettre ou les suspendre.

Je vous prie de rappeler vos souvenirs, et si vous vous rappelez que quelques bourgmestres aient été des tyrans au petit pied, soyez persuadés qu’ils étaient les Benjamins du pouvoir, qu’ils tiraient toute leur force du gouvernement, qu’ils étaient tellement liés avec lui qu’ils pouvaient se permettre dans leur commune des actes vexatoires. Voilà ce que vos souvenirs peuvent vous rappeler. On me répondra : C’était sous l’ancien gouvernement. Messieurs tous les gouvernements se ressemblent, ils veulent être obéis ponctuellement, toute désobéissance à leurs yeux est un crime. Ce ne sont pas vos lois ni discours qui les changeront.

Je vous prie de considérer une chose, c’est que la durée des fonctions des bourgmestres et des échevins est limitée à six ans. Vous pouvez en réduire la durée si vous voulez. Mais qu’est-ce que c’est que cela ? En n’adoptant pas la révocation, c’est comme si vous les déclariez inamovibles pendant six ans. Vous avez bien admis l’inamovibilité pour les juges. Il faut pour être destitué, dans la magistrature, qu’on ait commis un crime ou un délit.

Il s’agit de fonctionnaires municipaux dont les fonctions sont temporaires et dont la durée n’excède pas six ans ; je ne comprends pas qu’il faille armer le pouvoir d’un droit de révocation.

Qu’arrivera-t-il si vous accordez au gouvernement un droit de révocation à volonté ? Vous aurez placé tout le pouvoir municipal sous la dépendance absolue du gouvernement. Je doute fort qu’il y ait de ces hommes qui savent se respecter avant tout, dis-je, qu’il y en ait qui soient très enchantés d’accepter des fonctions pour la durée de 6 ans avec la perspective de pouvoir être révoqués à la volonté du gouvernement.

Ce ne seront pas ceux qui auront sacrifié les intérêts de la commune qui seront repoussés de l’administration, mais bien ceux qui les auront défendus. Croyez-vous que c’étaient des délits ou des abus qui les avaient rendus odieux, et indignes aux yeux de leurs concitoyens, qui étaient révoqués sous le précédent gouvernement ? c’était précisément le contraire. Ils avaient défendu les droits de la commune contre le pouvoir exécutif ; ils n’avaient pas voulu céder au pouvoir, aussi longtemps qu’ils étaient dans leurs droits.

Traduits devant les tribunaux mais aussi escortés par la voix publique, deux membres de la municipalité de Maestricht sortirent avec l’approbation de tous les gens de bien. Voilà les hommes qu’il faut avoir la faculté de révoquer au dire du gouvernement.

Prenez garde de tomber dans les mêmes inconvénients : les mêmes causes amènent toujours les mêmes effets.

Messieurs, si la chambre adoptait le principe de la révocation, je crois que c’est l’honorable M. Dellafaille qui en a fait la proposition, il faudrait toujours la faire procéder de la suspension. C’est aussi, je crois, le sens de l’amendement de M. de Theux. Quant aux échevins, du moins, je ne vois pas ce que le gouvernement aurait à opposer à une pareille mesure de précaution. La suspension donne au gouvernement tous les avantages de la révocation, en ce qu’elle le débarrasse d’un fonctionnaire qui lui est hostile, et elle a de plus l’avantage, pendant qu’elle subsiste, de permettre au gouvernement de réfléchir sur les causes de la suspension, d’examiner s’il y donnera suite en prononçant la révocation. Quoi qu’on en dise, la suspension humilie toujours le fonctionnaire qu’elle atteint, et elle lui donne l’occasion de fournir ses moyens justificatifs et de se défendre devant ses commettants, comme devant le gouvernement.

Sous ce rapport je pense que la suspension devrait précéder toujours la révocation.

Dans l’amendement de l’honorable M. Dellafaille que je combats à cet égard, il est dit que le fonctionnaire révoqué (et ceci s’applique particulièrement aux échevins) ne pourra être présenté comme candidat pour la place d’échevin pendant les trois années qui suivront l’arrêté de révocation. Je m’opposerai de toutes mes forces à l’adoption d’un pareil système. Je ne sais pas sur quoi l’on pourrait l’appuyer. Il me paraît renfermer un excès de peine et une injustice révoltante.

Où a-t-on puisé un droit aussi exorbitant ? On est convenu hier (et c’est une déclaration que j’ai provoquée moi-même de la part de M. le ministre de l’intérieur) que la révocation des fonctions de bourgmestre ou d’échevin n’emportait pas révocation de celles de conseiller communal. Or on ne peut prendre que ce que l’on a donné. De ce que le Roi a conféré les fonctions de bourgmestre à celui qui n’était que conseiller communal, il ne peut lui reprendre que le titre de bourgmestre ou d’échevin. Du moment que le gouvernement aura destitué un fonctionnaire à sa nomination, irez-vous punir cet homme qui aura été révoqué souvent sans raison, souvent pour des motifs très honorables ? irez-vous lui imposer la peine de ne pouvoir plus être présenté par ses collègues comme candidat à la place d’échevin, parce qu’il aura plu au gouvernement de l’en croire indigne ?

J’admettrai cet amendement sans difficulté s’il était vrai que la représentation du même candidat pût entraver la marche du gouvernement, si en un mot la liste ne présentait qu’un nom. Alors si le gouvernement révoquait un échevin et que le conseil communal persistât à n’offrir au choix du gouvernement que le fonctionnaire ainsi éliminé, il est évident qu’il serait impossible de pourvoir à son remplacement ; mais il n’en est pas ainsi. La présentation de candidats pour la place d’échevin a lieu sur une liste triple ou quadruple. Si le pouvoir central ne veut pas, comme cela est probable, du candidat déjà éliminé, il lui sera loisible d’arrêter son choix parmi les autres noms de la liste.

Je trouve que l’amendement a un autre inconvénient, c’est qu’il ôte au gouvernement le moyen de revenir d’une erreur ou d’une injustice. Lorsque le gouvernement aura été faussement prévenu contre un échevin, qu’il verra le conseil communal lui représenter comme candidat le même individu et témoigner à celui-ci la continuation de sa confiance, le pouvoir royal devra se dire qu’il a été trompé, parce qu’il sera impossible que l’homme qui n’aura pas malgré sa révocation perdu la confiance de ses collègue ne soit pas l’homme du peuple. Ainsi le système de la section centrale, s’il n’est pas modifié par l’amendement de M. Dellafaille, permet au gouvernement de s’éclairer ultérieurement, de réparer une injustice, moyen qu’il ne conserverait plus si l’inaptitude aux fonctions d’échevin après la révocation était prononcé par vous.

D’un autre côté c’est la seule consolation que vous puissiez accorder à un homme qui a mieux aimé résigner son emploi que de forfaire à ses devoirs ; et pour rentrer dans l’exemple que j’ai déjà cité, je vous prie de remarquer que si une semblable présentation avait été permise lors du procès fait à la municipalité de Maestricht, il n’y aurait pas eu au monde de réparation qui eût valu celle-là.

J’ai lu quelque part que Philippe, roi de Macédoine (et ce n’était certainement pas un roi constitutionnel) (hilarité), accueillit un de ses sujets qui, ayant à se plaindre d’une décision royale, en appela de Philippe endormi à Philippe éveillé. Je n’ai pas vu qu’il se soit fâché de cet appel. Loin de là, la chronique nous apprend qu’il rendit à cette occasion un arrêt tout contraire à celui contre lequel on s’était élevé. Les rois ne doivent pas se montrer plus formalistes que ne l’était Philippe. Ne craignons pas de les éclairer. Je crois, loin de leur faire injure, leur faire honneur en leur offrant l’occasion de revenir sur une décision précipitée, de réintégrer dans leurs fonctions des hommes qu’ils auraient destitués pour des motifs qui plus tard aurait perdu toute leur gravité.

M. le ministre de la justice a dit qu il fallait que les bourgmestres et les échevins pussent être révoqués, parce qu’ils remplissent dans certains cas des fonctions judiciaires. Il a cité à cet égard le code d’instruction criminelle. Comme les bourgmestres et les échevins qui remplacent peuvent être appelés d’après ce code à faire l’office du ministère public, il a conclu que puisque le gouvernement avait le droit de révoquer les officiers du ministère public, ce droit devait s’étendre aux bourgmestres et aux échevins qui pouvaient dans certains cas être revêtus de ce caractère.

Si le code était interprété d’une manière absolue, le gouvernement aurait le droit de révoquer les membres de l’ordre judiciaire, qui, sans être fonctionnaires du parquet, sont appelés à remplacer le procureur du Roi et les substituts quand ils sont empêchés par une cause quelconque. Il est évident qu’il faut que chaque pouvoir trouve dans ses éléments le moyen de remplir des lacunes que l’on ne peut prévoir ni éviter.

Ainsi dans les administrations municipales, si, en l’absence du bourgmestre, la liste des échevins est épuisée sans qu’on puisse remplacer ce fonctionnaire, c’est aux conseillers par rang d’âge de se substituer à lui. Si donc vous appliquez ce raisonnement dans toute son extension rigoureuse, il s’ensuivra que les conseillers communaux seront eux-mêmes des agents du gouvernement puisqu’ils pourront remplacer, dans des cas extrêmement rares, le bourgmestre et les échevins. En vérité, ce système ne mérite pas une réfutation.

Je terminerai par quelques mots de réponse à M. le ministre de l'intérieur.

Il a dit que le projet du gouvernement était l’œuvre d’une commission qui certainement n’était pas, a-t-il ajouté, composée d’hommes à projets liberticides.

Je crois avec le gouvernement que l’ensemble du projet n’est pas contraire aux principes de la constitution et qu’il peut être admis. Quant au reproche que l’on pourrait faire à la commission d’avoir adopté des principes que je suis venu combattre, je dois dire que le travail de cette commission n’a jamais été complété, parce que deux des membres qui la composaient sont venus à décéder. Nous ne nous sommes jamais assemblés pour convenir de la rédaction définitive. Il est vrai que j’ai été chargé de réviser la rédaction du projet, mais on ne m’a pas laissé le temps ; car le dossier me fut retiré au bout de huit jours. Nous ne sommes pas tombés d’accord, je le répète, d’une manière complète sur le principes de la loi communale.

Je ne sais à quoi tient l’objection du ministre de l’intérieur. Il y a eu dans la commission des opinions divergentes. De ce que l’on a été membre d’une commission, il ne s’en suit pas que l’on doive soutenir un projet dont on n’a peut-être pas approuvé toutes les parties dans le sein de cette commission. D’ailleurs, il serait très possible que plus éclairé sur la question l’on eût cru devoir changer d’opinion depuis cette époque.

En conséquence des motifs que je viens de développer, je voterai donc contre l’amendement de l’honorable M. Dellafaille. (La clôture, la clôture !)

M. Doignon. - J’ai demandé la parole pour un fait que l’on peut qualifier de personnel. Je crois que la parole me revient de droit.

M. Dubus. - La question soumise à vos délibérations est d’une importance telle que je ne pense pas qu’il soit dans l’intention de la chambre de refuser la parole aux députés qui veulent motiver leur vote. Je désirerais faire connaître mon opinion en peu de mots.

- La clôture est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - La parole est à M. Doignon pour un fait personnel.

M. Doignon. - Dans la séance d’hier, M. le ministre de l'intérieur a fait emploi d’une lettre qu’il attribue à un fonctionnaire de l’arrondissement de Tournay et d’après les explications qu’il a ajoutées, c’est moi qu’il désigne comme auteur de cette lettre. Il y a plus de trois ans qu’elle a été écrite et si vous en avez écouté la lecture avec quelque attention, vous avez pu voir, messieurs, qu’elle ne conclut rien pour la discussion actuelle.

Dans l’ordre de mes devoirs j’y consultais M. le gouverneur sur ce qu’il y avait à faire à l’égard de fonctionnaires qui prévariqueraient.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Qui prévariquaient.

M. Doignon. - Je n’ai fait que poser des questions, sans rien décider : J’y faisais allusion au bourgmestre dont M. le ministre de l’intérieur a parlé. Ce fonctionnaire était prévenu de concussion, et par la suite il fut poursuivi de ce chef devant le tribunal. Je disais dans cette lettre qu’il fallait bien avoir des moyens de répression contre de tels fonctionnaires, mais ces moyens se trouvent dans notre code pénal ; j’en indiquais aussi un autre tiré de l’article 137 de la constitution qui conserve aux autorités provinciales toutes leurs attributions. Or d’après l’article 18 du règlement du plat pays le droit de suspendre les bourgmestres et assesseurs appartenait aux états députés.

A l’égard du droit de suspendre malgré l’élection directe, je n’ai partagé les scrupules de l’autorité supérieure.

J’ai déjà professé la même opinion à cette tribune à l’occasion de la pétition de M. Dejaer de Liége ; et si M. le ministre de l'intérieur m’avait écouté avec attention, il saurait que dans le discours que j’ai prononcé à la séance d’hier, j’ai persisté dans cette doctrine. Voici ce que j’ai dit :

« Si la chambre avait conservé l’élection populaire et directe du bourgmestre, j’aurais été le premier à proposer pour la garantie du gouvernement de lui accorder le droit de révocation et de la suspension de ce fonctionnaire dans des cas déterminés, et déjà dans une autre circonstance, dans la fameuse affaire de Liége, j’ai eu l’occasion d’émettre cette opinion. C’est en effet parce que le gouvernement a négligé ce moyen ou qu’il n’a point demandé depuis longtemps à la législature une disposition transitoire sur ce point, qu’on peut dire qu’il a lui-même été cause de quelques écarts dans certaines localités. »

Ainsi, vous le voyez, messieurs, ce que je pensais, ce que je disais il y a trois ans, je le pense, je le dis encore aujourd’hui.

M. le ministre de l'intérieur a bien voulu exhumer un de mes actes ; qu’il me permette à mon tour d’en citer un autre : c’est le rapport que j’ai adressé il y a deux ans à l’autorité supérieure sur le premier projet d’organisation communale. Dans ce rapport je n’ai pas craint de déclarer, avec ma franchise ordinaire, que je désapprouvais hautement le projet d’organisation communale ; j’ai signalé ce projet comme tendant dans son ensemble à asservir les communes. J’ai éclairé, d’après mon expérience, d’après la connaissance que j’ai acquise de la bonté du peuple, que le gouvernement n’avait pas besoin d’un aussi grand pouvoir pour faire marcher les administrations. Cette conviction, que j’avais il y a deux ans, je l’ai encore aujourd’hui ; car elle repose sur l’expérience, elle repose sur des faits.

Du reste je suis assez disposé à admettre le droit de révocation, dès qu’il est entouré de garanties convenables. Je prie la chambre de faire attention qu’il y a une grande différence entre l’amendement de M. de Theux et celui de M. Dellafaille ; en effet…

M. le président. - C’est le fond, la discussion est close. Vous n’avez la parole que pour un fait personnel.

M. Doignon. - J’ai dit.


M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Dellafaille ou celui de M. de Theux, selon que la chambre accordera la priorité à l’un ou à l’autre.

M. Dumortier, rapporteur. - Il me paraît assez difficile de décider lequel des deux amendements, de M. de Theux ou de M. Dellafaille, doit avoir la priorité.

Pour moi, je l’avoue, je ne comprends pas bien celui de M. de Theux. Je ne sais si c’est une faute de rédaction ; mais il y a, ce me semble, dans cet amendement une lacune, une incohérence sur laquelle je désirerais avoir une explication de l’honorable membre. Il détermine les seuls cas dans lesquels la suspension pourra avoir lieu, et il ne détermine aucun cas pour la révocation ; est-ce à dire qu’elle pourra avoir lieu dans tous les cas, ou les cas de la suspension s’appliquent-ils à la révocation ? S’il en était autrement, je refuserais mon vote à l’amendement.

M. de Theux. - Si l’honorable membre avait écouté les développements de mon amendement, il ne l’aurait pas adressé cette question. Dans l’opinion que j’ai soutenue dans le sein de la commission, et dans laquelle je persiste, il y a une distinction essentielle à faire entre la suspension et la révocation. La suspension ne doit jamais avoir lieu que pour un fait blâmable, tandis que la démission peut être donnée en l’absence de tout fait blâmable, et seulement parce qu’il faut que le gouvernement ait une confiance entière dans ses agents. J’ai cité notamment à cet égard les bourgmestres des grandes villes. Je ne crois pas devoir entrer dans de plus longues explications.

M. Devaux. - Puisqu’on demande des explications, j’en demanderai une à l’honorable M. Dumortier sur son sous-amendement. Il veut que l’arrêté de suspension soit motivé sur les faits qui se rapporteront aux cas d’inconduite ou de négligence grave prévus par l’article en discussion. S’il demande que l’on spécifie les cas d’inconduite, il en résultera qu’il y aura des arrêtés assez singulièrement motivés. Quant au cas de négligence grave, je ne sais comment il pourrait fournir les motifs à un arrêté. La négligence est l’absence de faits ; je conçois le fait du mouvement, mais je ne conçois pas le fait du repos.

M. Dumortier, rapporteur. - Mon intention, en présentant mon sous-amendement, a été d’empêcher que le gouvernement puisse user du droit d’épuration, dans l’impossibilité où il sera d’user du droit de dissolution. Comme la chambre a refusé l’un de ces droits, je suppose que son intention est de refuser également l’autre ; c’est pour y pourvoir que j’ai présenté mon amendement.

Maintenant il est incontestable que la suspension ou la révocation d’un bourgmestre aura lieu, non au moyen de la correspondance, mais au moyen d’un arrêté non inséré au Bulletin des lois. Si on trouve de la difficulté à ce que les motifs de la suspension ou de la révocation soient toujours énoncés dans l’arrêté, je consens volontiers à changer la rédaction de mon amendement et à dire : « La suspension sera motivée sur, etc. »

Quant au second point sur lequel l’honorable député de Bruges demande une explication, j’aurai l’honneur de lui faire remarquer que le cas de négligence découle aussi bien de faits que le cas d’inconduite. Je suppose un fonctionnaire qui a commis une négligence en ce qui concerne la tenue des registres de l’état-civil ; cette négligence constitue évidement un fait, il en est de même en toute autre circonstance.

Les motifs sur lesquels mon amendement est fondé sont analogues à ceux qui ont déterminé une disposition des lois sur l’ordre du Lion Belgique et sur l’ordre de Léopold. D’après ces lois, les arrêtés de nomination doivent être motivés. Mais vous avez vu comment ils le sont : on met dans l’arrêté : « pour services rendus » ou tout autre chose aussi vague. Je demande si ce n’est pas éluder les motifs de la loi.

Je veux que les motifs reposent sur des faits déterminés. C’est afin qu’on ne puisse pas supposer à volonté de l’inconduite ou de la négligence que je demande qu’on stipule les faits ; cela est d’ailleurs nécessaire pour que le fonctionnaire accusé puisse se disculper. Je demande que la décision soit motivée comme le sont les jugements des tribunaux.

Je ferai remarquer en terminant que mon amendement s’applique également à l’amendement de M. Dellafaille et à celui de M. de Theux.


- La chambre consultée accorde la priorité à l’amendement de M. H. Dellafaille

M. Jullien. - Je demande la division sur l’amendement de M. Dellafaille, c’est-à-dire la mise aux voix d’abord des quatre premiers paragraphes et ensuite du dernier séparément.

Le dernier paragraphe est celui qui prononce la suspension pour trois ans ; cette peine, cette humiliation, cette espèce de dégradation civique ne me paraît pas devoir être accueillie. Je voterai volontiers pour les quatre premiers paragraphes ; mais si le dernier paragraphe était adopté, je voterais contre l’amendement. Je demande la division qui d’ailleurs et de droit.

M. Dubus. - Je crois que l’honorable M. Jullien demande la division des quatre premiers paragraphes et du dernier. (Oui ! oui !)

M. le président. se dispose à mettre aux voix les quatre premiers paragraphes de l’amendement de M. H. Dellafaille.

M. Dubus. - L’appel nominal ! (Appuyé !)

- Il est procédé à l’appel nominal. En voici le résultat :

Nombre de votants : 69.

Contre, 42.

Pour, 27.

La chambre n’a pas adopté.

Ont répondu non :

MM. Berger, Boucqueau de Villeraie, Brixhe, Coghen, Cornet de Grez, de Behr, de Laminne, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Theux, Devaux, Dewitte, d’Huart, Donny, Dubois, Duvivier, Ernst, Fleussu, Jadot, Lebeau, Milcamps, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, Raikem, Rogier, Simons, Smits, Ullens, Vandenhove, Verdussen, Vergauwen, Vilain XIIII, Watlet, Zoude.

Ont répondu oui :

MM. Brabant, Cols, Dautrebande, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Meer de Moorsel, de Muelenaere, Dechamps, Desmet, de Terbecq, Doignon, Domis, Dubus, Dumortier, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jullien, Liedts, Pirson, Quirini, A. Rodenbach, Thienpont, Vanderheyden, C. Vuylsteke.

M. H. Dellafaille - Comme le dernier paragraphe de mon amendement n’est que la conséquence des quatre premiers, je déclare retirer ma proposition.


- Le paragraphe de l’amendement de M. de Theux est mis aux voix et adopté par division.

M. le président. se dispose à mettre aux voix l’ensemble de l’amendement de M. de Theux.

M. Dumortier, rapporteur. - L’appel nominal ! (Appuyé.)

On procède à l’appel nominal. En voici le résultat.

70 membres sont présents.

52 ont répondu oui.

15 ont répondu non.

3 membres se sont abstenus.

En conséquence, l’amendement de M. de Theux est adopté dans son ensemble.

Aux termes du règlement MM. Doignon, Dubus et A. Rodenbach, qui se sont abstenus, sont tenus de s’expliquer.

M. Doignon. - Je n’ai voulu donner mon vote à l’amendement de M. de Theux parce qu’il reproduit la proposition de la section centrale, d’un autre je n’ai pas voulu refuser mon vote à cet amendement parce qu’il améliore un peu la proposition de la section centrale.

M. Dubus et M. A. Rodenbach déclarent s’être abstenus par ce motif.

M. le président donne lecture du sous-amendement de M. Dumortier.

- Quelques voix. - L’appel nominal !

64 membres étaient présents.

17 ont voté l’adoption.

47 ont voté le rejet.

En conséquence l’amendement n’est pas adopté.

Ont voté l’adoption :

MM. Berger, Dautrebande, de Meer de Moorsel, de Renesse, de Roo, Desmet, de Terbecq, Dewitte, Doignon, Domis, Dubus, Dumortier, Frison, Pirson, A. Rodenbach, Simons.

Ont voté le rejet :

MM. Boucqueau de Villeraie, Brixhe, Coghen, Cols, Cornet de Grez, de Behr, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, Desmaisières, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Theux, Devaux, d’Huart, Donny, Dubois, Duvivier, Ernst, Fleussu, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot, Jullien, Lebeau, Milcamps, Morel-Danheel, Polfvliet, Pollénus, Poschet, Quirini, Rogier, Smits, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Verdussen, C. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, Zoude, Raikem.

M. le président. - Nous allons maintenant passer à un autre article.

Projet de loi portant le budget de l'Etat de l'exercice 1835

Motion d'ordre

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je demande la parole pour signaler un fait à la chambre… Les budgets pour l’exercice 1835 sont imprimés depuis quelques jours ; on pouvait les distribuer à MM. les membres de la chambre ; la distribution n’en est pas faite ; j’ai envoyé demander à l’imprimeur pourquoi il en était ainsi ; il a répondu que la questure avait donné l’ordre de n’en distribuer à personne.

M. de Sécus. - Ce n’est pas moi qui ai donné cet ordre.

M. Dumortier, rapporteur. - Le fait est inexact.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je dis que j’ai envoyé chez l’imprimeur demander des exemplaires du budget, et qu’il a répondu à la personne envoyée qu’il avait ordre de n’en point donner.

M. Dumortier, rapporteur. - Si le ministre déclare que c’est un ordre donné par la questure, je déclare moi pour ce qui me concerne, que c’est une fausseté. (Bruit, interruption.)

M. le président. - Il y a des amendements.

M. A. Rodenbach. - Je retire le mien.

M. le président. - Le fait allégué par M. le ministre des finances est fort singulier ; il serait assez important de savoir par qui l’ordre a été donné.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je parle d’après la déclaration faite par l’imprimeur.

M. Jullien. - Mais peut-on dire qui a donné cet ordre ?

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - On m’a rapporté que c’était M. Dumortier qui l’avait donné.

M. Dumortier, rapporteur. - C’est une fausseté.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - L’imprimeur est Hayez, imprimeur de l’Académie royale.

M. Dumortier, rapporteur. Je vais aller trouver l’imprimeur et il m’expliquera ce fait ; et s’il se trouve qu’un employé de cette chambre se soit permis une pareille chose, je le destituerai sur-le-champ.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - La chambre a été officiellement informée par moi que le budget que je déposais sur son bureau était livré à l’impression depuis plusieurs jours ; l’impression est terminée, car voilà un exemplaire que j’ai obtenu à grand-peine : quant à la non-distribution du budget aux membres de la chambre, je devais déclarer qu’elle n’était pas de mon fait et que j’en étais fort surpris.

Projet de loi communale

Discussion des articles

Titre I. Du corps communal

Chapitre premier. De la composition du corps communal et de la durée des fonctions de ses membres
Section I. De la composition du corps communal
Article 2

M. le président. - On a laissé l’article 2 en arrière. Je proposerai de le rédiger ainsi, en conséquence du vote que vient d’émettre la chambre :

« Art. 2. Les conseillers communaux seront élus directement par les électeurs de la commune. »

M. Dumortier, rapporteur. - L’article dont on a ajourné le vote est celui sur lequel M. de Robaulx a fait une proposition.

- La rédaction proposée par M. le président est mise aux voix et adoptée.

M. le président. - Nous allons passer à l’article 2. (A demain ! à demain !)

- Plusieurs membres quittent la salle.

M. le président. - Nous ne sommes plus en nombre pour délibérer.

-La séance est levée à quatre heures et demie.