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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 15 juillet 1834

(Moniteur belge n°197, du 16 juillet 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre.

« Les avocats et avoués exerçant près le tribunal de Termonde, s’élèvent contre la proposition de MM. Dewitte et Desmet, tendant à partager l’arrondissement de Termonde entre les villes de St-Nicolas et d’Alost. »

- Renvoi à la commission chargée de l’examen du projet de loi présenté par MM. Dewitte et Desmet.


« La régence de Wouldrechtegem demande que la chambre ajourne la discussion du projet relatif à la circonscription judiciaire jusqu’à la session prochaine, afin que les conseils provinciaux puissent être consultés. »

- Renvoi à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.


« Les fabricants de pianos de Bruxelles demandent que les pianos étrangers soient imposés à leur entrée en Belgique d’un droit égal à ceux dont sont frappés les pianos belges à l’étranger. »

- Renvoi à la commission des pétitions.


« Les membres du barreau de Tournay demandent que le personnel du tribunal de cette ville soit augmenté d’une section. »

M. Liedts. - Parmi les pétitions adressées à la chambre, j’en vois une des avocats du barreau de Tournay. ; je demanderai qu’elle soit renvoyée à la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif à l’augmentation des membres de l’ordre judiciaire, car elle est relative à cet objet.

- La proposition de M. Liedts est adoptée.

Proposition de loi relative aux droits sur les céréales

Discussion des articles

Article premier

M. le président. - M. Coghen, rapporteur de la section centrale, est appelé à la tribune.

M. Coghen. - Messieurs, d’après le désir témoigné par plusieurs membres de la chambre, la section centrale s’est réunie pour l’examen des divers amendements déposés.

Quoiqu’il n’y eût pas de décision formelle de la chambre pour le renvoi, nous avons cru faire chose utile en procédant à l’examen de ces amendements.

Les uns ont pour objet le maximum et le minimum sur le froment et le seigle.

D’autres ont pour objet de ne pas augmenter les droits sur l’orge et l’avoine.

Le projet contient, pour le froment, un maximum de 24 fr., tant pour la libre entrée que pour la défense d’exportation.

M. Alexandre Rodenbach propose le maximum à 24 francs pour la défense d’exportation et de 20 francs pour la libre entrée ; tellement que, dans le taux intermédiaire de 20 à 24 francs, à l’entrée et la sortie seraient librement permises.

M. Pirson propose le même système que M. A. Rodenbach, sauf qu’il fixe le maximum pour la défense d’exportation à 25 fr., et qu’il demande une échelle proportionnelle pour les droits, dans l’intermédiaire du maximum et du minimum.

Ce dernier point du système n’ayant pas été adopté, M. Pirson s’est rallié à la proposition de M. A. Rodenbach.

La majorité de la section centrale a maintenu le maximum du projet.

Quant au minimum sur le froment, MM. Eloy de Burdinne et Helias d’Huddeghem ont proposé 16 fr., et M. A. Rodenbach 15 fr. Le chiffre du projet était de 13 francs.

La majorité de la section centrale a rejeté le chiffre de 16 fr. et a adopté celui de 15 francs.

Le projet fixe à 16 fr. le maximum pour le seigle ; M. A. Rodenbach a proposé 15 francs.

La section centrale a été partagée sur cette dernière proposition.

Quant au minimum pour le seigle, le projet le fixe à 8 francs ; M. A. Rodenbach et MM. Eloy de Burdinne et Helias d’Huddeghem ont proposé 9 fr.

La majorité de la section centrale a adopté le dernier chiffre.

Quant aux propositions de M. Frison de maintenir les droits existants sur l’orge et l’avoine, l’avis de la majorité de la section centrale a été de ne pas les adopter.

M. Eloy de Burdinne. - On propose d’autres chiffres que celui de la section centrale ; elle a demandé que l’entrée des grains étrangers fût prohibée à 16 francs pour le froment et elle avait plusieurs raisons pour présenter ce chiffre.

En recherchant quel taux le cadastre avait mis le froment pour établir l’impôt foncier, on trouve tantôt 8 florins 44 cents, tantôt des chiffres plus élevés ; la moyenne de tous ces chiffres est de 20 francs l’hectolitre : en adoptant cette moyenne comme base, il est certain que si on pose à 24 francs le maximum pour prohiber les grains à la sortie, il faut poser à 16 francs le minimum pour prohiber les grains à l’entrée. De cette manière on agira d’une manière égale envers tous, envers le consommateur comme envers le cultivateur.

Ne croyez pas que le cultivateur soit trop favorisé par le chiffre 16 francs. La prohibition à l’entrée, lorsque le blé est à 16 fr. n’empêchera pas le blé de descendre à un prix plus bas. Le commerce est adroit, et il spécule aussi habilement en marchandises qu’en fonds publics ; il saura faire hausser ou baisser les grains afin de favoriser ses opérations : il maintiendra pendant quelque temps le prix des blés à 16 fr. et quelques centimes, afin d’avoir le droit d’en faire entrer pour des millions ; puis, quand il sera bien approvisionné, il jettera ses blés dans la circulation et avilira le prix de votre marchandise.

Quand le blé ne se vend que 12 ou 13 francs, je parle toujours du froment, l’agriculteur ne retire exactement que ses frais de culture, de quoi payer l’impôt et nourrir sa famille : il suit de là que si vous ne prenez pas un taux plus élevé, les manœuvres des spéculateurs vous empêcheront d’atteindre le but que vous vous proposez. C’est dans ce sens que M. le ministre de l’intérieur a raison de dire que la loi ne fera rien. Avec un autre chiffre que 16 francs pour la prohibition à l’entrée, on n’empêchera pas une baisse ruineuse pour le cultivateur ; la loi empêchera seulement l’augmentation du froment au-delà de 24 fr. Songez que le Danemarck, la Saxe, la Pologne, la Russie, peuvent vous envoyer des blés à un très bas prix.

Si vous forcez l’agriculteur à donner son blé au-dessous du prix de culture, il sera dans le même cas qu’un manufacturier, qu’un fabricant de drap auquel on offrirait 6 francs d’une étoffe qui lui en coûte 8, en comptant la laine, la teinture et la main-d’œuvre. Je le répète, en fixant à 15 francs, ainsi que le propose la commission, la valeur vénale du froment pour prohiber les importations, c’est comme si vous disiez aux cultivateurs : Travaillez, donnez-vous beaucoup de peine, on vous remboursera seulement les frais que vous aurez faits ; mais vous n’aurez aucun salaire pour votre labeur.

L’agriculture paie l’impôt à raison de 20 francs ; ainsi il y a une espèce de contrat synallagmatique entre le gouvernement et l’agriculteur relativement aux prix des blés ; et l’agriculture n’est pas trop exigeante en réclamant la prohibition à 16 francs.

On a présenté des calculs singulièrement erronés pour établir le taux moyen des grains. On a recherché quel était le prix du blé en diverses années, et on a pris la moyenne de ces chiffres pour établir la valeur moyenne des grains. Est-ce ainsi qu’un commerçant calcule pour avoir la valeur moyenne de plusieurs sortes de marchandises qu’il aurait reçues ? Le prix moyen établit en ayant égard et au prix de la mesure de chaque sorte, et à la quantité des mesures de chaque sorte. Le prix du blé vaut 20 fr. telle année, 15 fr. telle autre année, 17 fr. une troisième année ; la valeur moyenne des céréales pendant ces trois années ne sera pas le chiffre moyen entre 20, 15 et 17, il faut encore, pour avoir cette valeur moyenne, connaître les quantités des céréales récoltées chaque année.

Il ne faut pas croire, avec certains économistes, que le cultivateur, en vendant son blé 30 francs la mesure une année, a un revenu double de celui que lui donne une autre année où il ne vend son blé que 15 francs la mesure. Je ne ferai pas des calculs pour prouver l’erreur de ces économistes, il suffit de la signaler pour la comprendre.

Je veux que les grains soient à bon marché pourvu que l’agriculteur puisse continuer ses utiles travaux, et en cela j’en ai donné la preuve en présentant mon projet : je l’ai présenté en janvier dernier, et il devait arrêter la hausse. (Bruit.)

Je vois que vous êtes impatients, que vous êtes pressés d’arriver aux voix : je terminerai ici mes observations, me réservant d’émettre mon opinion sur les amendements et les paragraphes de l’article en délibération.

M. le président. - Plusieurs amendements ont été proposés : les uns ont pour objet le maximum et le minimum des prix du froment et du seigle, les autres ont pour objet d’empêcher l’augmentation des droits sur l’orge et l’avoine ; je crois qu’il faut d’abord discuter sur le maximum du prix du froment. Les amendements doivent être mis aux voix avant le projet.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Si l’on discutait d’abord les amendements présentés par M. A. Rodenbach, on préjugerait la question relative au maximum et au minimum ; cependant il serait possible que l’on proposât d’ôter le maximum et le minimum et d’augmenter le droit à l’importation et à l’exportation.

Le système que nous propose la section centrale est tout nouveau pour le pays, il n’existe pas en France ni en Angleterre. Les chambres de commerce que l’on a consultées n’ont pas été d’accord sur ce système ; il en est qui préfèrent la proposition de M. Eloy de Burdinne.

Il faudrait donc savoir si l’on établira un maximum et un minimum, ou si l’on se bornera à l’augmentation du droit à l’entrée sur le froment et sur le seigle.

Je fais cette observation parce que j’ai appris que quelques membres se proposaient de présenter un amendement relativement à la suppression du maximum et du minimum.

M. le président. - Aucune proposition ne m’a été remise dans ce sens ; je ne puis diriger la délibération que sur les amendements présentés.

M. Verdussen. - L’article premier se divise en deux paragraphes. Le premier traite de la modification aux chiffres du tarif ; le second traite du maximum et du minimum ; je demande la division de ces paragraphes.

M. le président. - Le division est de droit quand elle est réclamée.

M. Lardinois. - Pour régler la discussion, il faudrait délibérer d’abord sur les principes compris dans l’article premier. Ainsi, il faudrait savoir avant tout si l’on adoptera le système du maximum et du minimum des prix : la division proposée par M. Verdussen pourra être réclamée quand il s’agira de voter les dispositions de l’article.

M. le président. - Une discussion générale a été ouverte sur le projet de loi ; il y a eu discussion générale aussi sur l’ensemble de l’article premier ; nécessairement il faut en venir à délibérer sur les diverses parties de l’article premier : si l’on demande la parole, on continuera la discussion générale sur l’ensemble de l’article.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’article premier renferme deux choses fort distinctes et susceptibles d’être discutées séparément. Par le paragraphe premier on modifie le tarif des douanes en ce qui concerne le taux du droit à l’importation, à l’exportation et au transit : il est possible que beaucoup de membres tombent d’accord sur ce premier paragraphe ; si l’importation n’était pas frappée d’un droit démesurément élevé, il est probable que plusieurs membres se réuniraient à la proposition.

Un autre point est de savoir si, outre l’augmentation du droit, le tarif renfermera un maximum et un minimum ; ceci est un nouveau système.

L’article pourrait donc être divisé ; on pourrait discuter sur le premier paragraphe sans s’occuper du second. Lorsqu’on serait arrivé au second, on aurait à délibérer sur sa conservation ou sa suppression. Si nous n’agissons pas de cette manière, je crains que la discussion ne dure trop longtemps. En conservant le système actuel, sauf à majorer, vous rentrerez dans cette idée présentée par M. Dumont, qu’il ne faut pas faire varier la législation sur les céréales, qu’il faut que le commerce sache à quoi s’en tenir : une augmentation de droit est une chose appréciable ; il n’en est pas de même d’un changement de système.

M. Lardinois. - D’après l’article du règlement, ce n’est pas le moment de demander la division.

M. le président. - M. Lardinois a la parole sur l’ensemble de l’article premier.

M. Lardinois. - De la discussion générale sur la loi des céréales je pense qu’on peut hardiment conclure qu’il reste debout et dans toute leur force beaucoup d’arguments que les promoteurs du projet n’ont pu détruire. J’en rappellerai quelques-unes sans leur donner le moindre développement parce que la chose me paraît inutile ; car, une fois la loi sur les toiles adoptée, celle sur les céréales doit suivre comme de raison.

Il est constant :

1° Que les importations des grains étrangers en 1831, 1832 et 1833 ont été insignifiantes comparativement à une consommation intérieure, et que leur influence est minime sur le prix de nos marchés.

2° Que le malaise de l’agriculture résulte évidemment de l’abondance des récoltes, et que cette abondance a produit la vileté des prix dont on se plaint.

3° Que la loi proposée ne relèvera pas les prix des céréales, mais qu’elle aura pour effet certain de porter un coup funeste à notre navigation en détruisant le commerce des grains.

4° Que la loi actuelle qui régit la matière protège suffisamment la production des céréales ; puisque le droit sur le froment et le seigle équivaut de 9 à 18 p. c. de la valeur suivant le cours de ces grains. En ajoutant de 10 à 15 p. c. sur les grains étrangers, pour le fret et autres frais, la protection peut alors être estimée de 20 à 33 p. c.

5° Que la consommation annuelle étant d’environ 11 millions d’hectolitres, le droit ancien frappe un impôt indirect sur le consommateur de 20 à 24 millions en faveur de la classe des propriétaires fonciers, et que d’après le nouveau projet cet impôt s’élèvera de 30 à 35 millions.

6° Que cet impôt a pour résultat de faire hausser le prix de la main-d’œuvre et de nuire essentiellement aux manufactures.

Je bornerai ici mes citations parce que je serais trop long si je devais rappeler toutes les vérités produites contre le projet de loi en question.

L’article premier modifie, dit-on, le tarif des douanes actuellement en vigueur, et soumet le froment au régime du maximum et du minimum.

Je repousse cet article parce qu’à mes yeux cette modification est un fardeau qui pèsera sur le peuple, et qu’en entrant dans le système prohibitif, nous compromettons l’avenir agricole, industriel et commercial du pays.

Je vous ai déjà dit que le tarif actuel protégeait notre culture de céréales d’un droit très élevé ; eh bien ! L’honorable M. Coghen demande par son projet de loi une augmentation de 50 p. c. sur le froment et le seigle sans oublier les douceurs du maximum et du minimum.

Dans ma simplicité j’avais cru qu’un système de douanes modéré, libéral, qui enrichit, était préférable à un système prohibitif qui ruine et bouleverse un pays, et j’avais tiré la conséquence que la loi de 1822 valait mieux que le régime français.

Malgré les critiques dont cette proposition a été l’objet, les raisonnements de mes adversaires ne m’ont pas convaincu que je m’étais trompé ou que j’avais avancé une hérésie en économie politique. J’ai l’habitude, en cette matière, de céder devant les faits, et je rendrai toujours justice à qui de droit, fût-ce même au roi Guillaume.

On a beau vouloir couvrir d’un voile le système prohibitif, sa fatale influence et ses tristes résultats se font cruellement ressentir sur la richesse des nations. Aux Etats-Unis d’Amérique il a fallu s’exposer à la guerre civile pour que la partie du sud obtînt des modifications aux tarifs qui protégeaient outre mesure l’industrie manufacturière.

L’Angleterre abandonne de plus en plus son système restrictif pour entrer dans une voie plus large et plus libérale. Quant à la France, voyez ce qui s’y passe. Un malaise général existe dans les affaires ; on a voulu concilier tous les intérêts, et tout le monde se plaint parce que l’immense majorité de la population y est sacrifiée aux monopoles, aux primes et aux droits protecteurs ; l’industrie manufacturière et agricole y est arriérée parce que toutes les matières premières sont à des prix excessifs. A cette occasion je vous citerai seulement deux exemples.

Vous savez que le fer est à peu près prohibé à l’entrée en France ; cette industrie emploie 150,000 ouvriers, ce qui prouve que le nombre des maîtres de forges est assez restreint ; cependant la protection accordée à ce petit nombre impose à l’agriculture une contribution annuelle de 40 millions de fr. au moins par la différence des prix qu’on paie pour les instruments aratoires.

D’un autre côté l’agriculture est protégée à son tour ; un droit de 33 p. c frappe les laines étrangères ; cela n’empêche pas les fabricants de la Belgique d’acheter assez souvent les laines françaises chargées indirectement de ce droit, et d’en faire fabriquer des draps pour concourir contre les draps français qui jouissent à la sortie d’une prime de 12 p. c. Réfléchissez à ces faits, messieurs, et dites-moi si vous aurez jamais la témérité d’entraîner votre pays dans un pareil labyrinthe dont la France chaque jour fait des efforts pour sortir. N’oubliez pas que l’industrie agricole et l’industrie manufacturière ont fait de grands progrès en Belgique ; que nous avons besoin d’exportations, et que ce n’est pas le moyen de les obtenir que de fermer la porte aux produits étrangers.

La prohibition a été souvent réclamée en faveur des manufactures par la nécessité de protéger les industries naissantes qui auraient été étouffées à leur berceau en permettant l’importation des produits étrangers. Mais ce motif ne peut être allégué pour l’agriculture, car vous savez que cette industrie chez nous a toujours été citée comme la plus perfectionnée du monde.

Les promoteurs de la loi disent qu’ils veulent assurer aux agriculteurs la consommation intérieure, et c’est pour cela qu’ils vont jusqu’à défendre l’importation des céréales lorsque le prix du froment et du seigle a atteint son minimum. D’abord il a été prouvé à satiété que les importations n’avaient qu’une faible influence sur les prix des grains. La preuve en est administrée par le tableau qui vous a été distribué, duquel il conste qu’en trois années on n’a importé que trois millions d’hectolitres, et d’après ce qu’a dit l’honorable M. Rodenbach qui assure qu’il existe actuellement dans les greniers de 35 à 40 millions d’hectolitres.

En adoptant la prohibition à l’entrée, c’est porter gratuitement le coup de mort au commerce des grains, car la spéculation sera impossible lorsque l’on pourra craindre qu’avant l’arrivée de la marchandise dans un des ports du royaume elle pourra y être repoussée parce que le prix sera descendre au minimum.

Et d’ailleurs que craignez-vous ? Si le tarif de M. Coghen était adopté, l’agriculture jouirait d’une protection d’environ 50 p. c. au minimum, en réunissant le droit, le fret et autres dépenses. Avec une pareille avance quelle est l’industrie qui ne pourrait soutenir la concurrence contre les produits étrangers ?

Je ne pense pas que l’honorable M. Coghen a voulu établi une prohibition sur la doctrine professée par un des orateurs partisans du projet de loi, qui nous a débité gravement que la prospérité d’une nation consiste à exporter le plus, et à importer le moins. Cette idée a été reproduite sous d’autres formes par plusieurs orateurs, et notamment par M. de Muelenaere.

Si cette proposition était vraie, elle conduirait à cette conclusion que, pour s’enrichir, il n’y a qu’à expédier au-dehors ses produits, et ne point en rapporter en retour. C’est aussi comme si l’on vous disait que le commerce n’est pas le libre échange des valeurs. Je ne m’arrêterai pas à ces absurdités, parce qu’elles doivent être, dans vos esprits, condamnées aussitôt que prononcées ; car vous savez qu’il ne peut y avoir d’exportations sans importations.

On vous dit encore que lorsqu’un pays a une production surabondante, il faut repousser les produits de même espèce. Avec cette manière de raisonner vous arriverez à proclamer le système prohibitif comme le meilleur à suivre pour la Belgique. Voyons dans ce cas ce qui arriverait.

Vous avez, dites-vous, une surabondance de 10 millions d’hectolitres ; pour qu’ils ne pourrissent pas, vous devrez les exporter et recevoir en échange d’autres produits. L’exportateur ne fixera pas son attention sur les draps ; car en supposant, ce qui se pratique aujourd’hui, que vous parveniez à frauder cet article, il n’en fera pas un retour parce que ce produit français ne peut pour le moment soutenir la concurrence avec les draps belges ; il en sera de même pour plusieurs articles tels que toile, coton, etc.

Mais il achètera d’autres produits qui pourront nuire aux fabriques indigènes, et dans ce cas elles seront en droit de demander la prohibition de ces articles étrangers : que fera-t-on de cette surabondance ? Elle deviendra la pâture des charançons.

Si je combats la prohibition à l’entrée par le même principe, je m’opposerai à la prohibition à la sortie, je considère même cette dernière comme un attentat à la propriété, et il est absurde à un pays d’empêcher l’exportation de ses produits.

Pour combattre cette mesure, je me prévaudrai d’un argument présenté hier par l’honorable M. de Muelenaere. La pesanteur de l’impôt se calcule en raison du revenu national ; il en est de même pour chaque classe de la société, la charge de l’impôt est plus ou moins pesante selon que votre industrie ou votre travail produit un bénéfice ou un salaire plus ou moins élevé.

Ainsi, par exemple, le droit sur les céréales frappant plus spécialement la classe des travailleurs, on le trouvera lourd si le travail est rare, et léger si le travail est abondant, parce que dans ce dernier cas le salaire de l’ouvrier éprouvera une augmentation. Vous voyez donc que tout dépend des circonstances et que vous ne pourrez pas soulager la misère de l’ouvrier en proclamant la prohibition à la sortie des céréales. Cette mesure ne peut être réclamée que par des considérations de sécurité et d’ordre public, et alors c’est au gouvernement à en juger.

D’après ces considérations vous augurerez facilement que je refuse mon assentiment au projet de la section centrale ainsi qu’aux amendements. Mais comme je veux aussi faire quelque chose pour l’agriculture et que la loi est transitoire, je propose une augmentation sur le tarif actuel uniquement pour le seigle et le froment. Voici mon amendement :

(Nous publierons l’amendement de l’honorable membre.)

M. A. Rodenbach. - Messieurs, avant de pouvoir combattre l’amendement de M. Lardinois, il faudrait que cet amendement fût imprimé ; car nous ne savons pas au juste quel est le taux du droit qu’il propose.

M. Lardinois. - Au lieu de 22 fr. 50 qui est le taux du tarif actuel, je demande que le taux de l’entrée du froment soit fixé à 30 fr ; cela fait 7 fr. 50 de différence par 1,000 kilogrammes, cela revient de 25 à 26 p. c. ; pour le seigle, dont le taux actuel est de 15 fr., je demande un taux de 19 fr., ce qui fait à peu près un droit de 20 p. c.

M. le président. - M. d’Huart a la parole pour une motion d’ordre.

M. d’Huart. - Messieurs, je crois que la discussion va s’embrouiller si on ne revient pas à la proposition de M. le ministre de l’intérieur. Pour adopter le tarif proposé par l’honorable M. Lardinois, il faudrait savoir si on classera le froment et le seigle dans un régime spécial ; si la chambre se prononce en ce sens, cela pourra influer sur la proposition de M. Lardinois.

Je demande s’il sera fait une distinction pour le froment et le seigle ; cette question est celle du maximum et du minimum.

Lorsque nous aurons décidé la question, nous examinerons successivement les articles du tarif.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’honorable M. Lardinois présente un tarif nouveau ; lorsqu’on en sera arrivé à la discussion du tarif proposé par la section centrale, on comparera ce tarif avec celui proposé par M. Lardinois, et la chambre se prononcera. M. Lardinois se rapproche du tarif de la section centrale, à part le système du maximum et du minimum qui ne figure pas dans le tarif de l’honorable membre ; cette proposition n’empêche pas la discussion du premier paragraphe de l’article, car il me paraît que nous sommes tous d’accord sur une augmentation de droit. Par ce premier paragraphe vous décidez qu’il aura une majoration aux droits d’importation, d’exportation et de transit. Je demande que la discussion soit ouverte sur la première partie de l’article. Vous verrez ensuite s’il y a lieu à adopter l’augmentation de droit proposée par M. Lardinois.

M. Jullien. - Messieurs, je crois que le moyen de compliquer la discussion, c’est d’adopter la proposition de M. le ministre de l’intérieur. D’abord d’après le règlement, il faut que la discussion sur l’ensemble des articles soit épuisée avant qu’on puisse faire d’autres propositions, telles que celle qui est faite par M. le ministre de l’intérieur. Maintenant l’amendement de M. Lardinois tend à substituer un système à un autre. Dans l’article premier on réclame un maximum et un minimum, tandis que, dans la proposition de M. Lardinois, on veut écarter le maximum et le minimum pour y substituer un droit plus élevé que l’auteur de l’amendement soutient être suffisamment protecteur, qu’il assure remédier à tous les inconvénients signalés à l’occasion de la détresse prétendue de l’agriculture. Un système étant opposé à un autre, il y a nécessité de discuter l’ensemble de l’article ; si je ne veux pas du système de M. Lardinois, je tâcherai de faire prévaloir le système de la section centrale ; si j’adopte le système de M. Lardinois, je tâcherai de le faire prévaloir. Il est donc impossible de scinder la discussion, il faut que l’article soit discuté avec les deux systèmes en présence l’un de l’autre.

Si on suit cette marche, on verra quel système la chambre est disposée à accueillir. Si on adopte le système de M. Lardinois, on débarrassera la discussion du deuxième paragraphe de l’article, c’est-à-dire de la question du maximum et du minimum, question qui en effet embarrasse beaucoup de membres de cette chambre.

M. Eloy de Burdinne. - Il y a des amendements proposés, et en vous les présentant, on rentre dans le fond de la question, ainsi que l’a fait M. Lardinois. Si nous marchons ainsi, c’est le cas de dire que nous ne voulons rien ; cependant nous avons jugé ce fait qu’il faut prendre une mesure en faveur de l’agriculture.

M. Meeus. - Pour ne pas amener dans la discussion le désordre dont a parlé M. Eloy de Burdinne, nous devons nous ranger de l’opinion de M. le ministre de l’intérieur. J’ajouterai qu’avant de discuter le tarif des grains, la question de savoir s’il y aura maximum et minimum devrait être décidée. Dans la pensée de plusieurs membres le tarif des douanes recevra des modifications, soit en plus soit en moins, suivant que le principe d’un maximum et d’un minimum sera ou non adopté.

Pour procéder régulièrement, il faut commencer par asseoir deux principes : l’un, s’il y aura augmentation de droit ; cette question résolue, décider s’il y aura un maximum et un minimum. Quand la chambre aura prononcé sur ces deux questions, nous passerons au tarif et chacun de nous présentera les amendements qu’il jugera convenables, suivant les principes adoptés.

M. le président. - Si la motion d’ordre proposée par M. Meeus était adoptée, elle aurait pour conséquence de fermer la discussion sur l’ensemble de l’article.

Je crois que cette motion est la même que celle qui avait été proposée par M. d’Huart.

M. d’Huart. - J’avais proposé la même motion que M. Meeus ; seulement je n’avais pas posé la première question, celle de savoir s’il y aurait augmentation, parce que je ne pensais pas que cela fît question dans la chambre. Tout le monde est d’accord sur la nécessité de l’augmentation.

M. Dumont et M. Legrelle demandent la parole.

M. Dumont. - J’aurais quelques observations à présenter sur les divers paragraphes de l’article ; mais M. le président disant que, si la chambre adoptait la motion d’ordre de M. Meeus, la clôture serait censée en résulter ; je demanderai la parole sur l’article même. On n’a discuté jusqu’à présent que la motion d’ordre, et personne n’a guère encore répondu à M. Lardinois.

M. Coghen. - La marche proposée par M. le ministre de l’intérieur me paraît très rationnelle, je pense même qu’on ne peut pas en suivre d’autre. Toutefois, en l’acceptant, je ne pense pas que son adoption ait pour conséquence de fermer la discussion, car sur le second paragraphe et le tarif j’ai beaucoup à répondre à M. Lardinois.

M. le président. - J’ai entendu que l’adoption de la motion d’ordre aurait pour conséquence de fermer la discussion sur l’ensemble de l’article, mais qu’on en discuterait successivement les diverses parties.

M. le président. - En conséquence de la décision qui vient d’être prise, la chambre examinera d’abord s’il y aura augmentation de droit ; en second lieu, s’il y aura un maximum et un minimum ; et en troisième lieu, elle s’occupera du tarif.


Je vais mettre en discussion la première disposition qui tend à établir en principe l’augmentation de droit à l’importation.

Voici cette disposition :

« Par modification au tarif des douanes actuellement en vigueur, les droits d’importation, d’exportation et de transit des céréales, sont remplacés par ceux fixés dans le tableau annexé à la présente loi. »

M. A. Rodenbach. - Je tâcherai de me renfermer dans les décisions de la chambre et de répondre à l’honorable député de Verviers. Je tâcherai de le suivre autant que ma mémoire me le permettra. D’abord, il a dit que les importations sont très faibles en Belgique, qu’il ne faut pas de majoration de droit, attendu qu’il est entré très peu de grains en Belgique. A cela, je répondrai qu’il en est entré 14 millions de kilogrammes, tandis qu’il n’en est sorti qu’un million ; qu’en 1832 il en est entré 17 millions et qu’il n’en est sorti qu’un demi-million ; enfin qu’en 1833 il en est entré 61 millions et qui n’en est sorti que trois millions. Peut-on, je vous le demande, appeler cela une faible importation, surtout quand on voit que les exportations ne dépassent pas 3 p. cent des importations ?

Voilà pour le premier paragraphe.

A son second paragraphe, l’honorable membre auquel je réponds, a dit que la loi n’aurait aucun effet, qu’elle ne produirait absolument rien ; que c’était en quelque sorte une loi qui ne profiterait ni à l’agriculture, ni à personne.

Il me semble que l’honorable député de Verviers n’a pas été conséquent, car il avait dit d’abord que la loi établirait un impôt de 24 millions sur la consommation. Comment est-il possible que la loi soit sans effet pour l’agriculture, et d’un autre côté qu’elle soit un impôt de 24 millions sur la consommation ? J’ai donc raison de dire que l’honorable M. Lardinois n’a pas été conséquent dans ses assertions.

Il a ensuite parlé de la nécessité de faire en sorte que la main-d’œuvre soit au meilleur compte possible, et il a dit que plus le grain serait à bon marché, plus le prix de la main-d’œuvre diminuerait. Déjà M. de Muelenaere a répondu à cette objection ; mais puisqu’on nous ramène sur ce terrain, j’ajouterai quelques mots à ce qu’il a dit.

Il est reconnu, et c’est un vieil adage dans les Flandres, que quand le prix des grains est à un taux raisonnable, tout le monde peut vivre, et que quand il est à vil prix, tout le monde en souffre, l’industriel comme l’agriculteur.

Ce qui prouve que l’excessif bon marché de la vie n’est pas un avantage pour un pays, c’est la situation du royaume de Naples. Dans ce pays où toutes les choses nécessaires à la vie sont à un prix extrêmement bas, quand les lazzaroni ont gagné trois ou quatre sous, ils ne veulent plus travailler. Si la vie animale était à trop bon marché, vos ouvriers deviendraient paresseux.

Messieurs, lorsque l’agriculture ne fait pas un bénéfice raisonnable, le propriétaire ne reçoit pas de fermage ou n’en reçoit qu’un très modique : comment voulez-vous qu’ils achètent des draps, des cotons, et tous les produits de notre industrie ? Comment voulez-vous que le commerce marche ?

Ce serait détruire le commerce que de réduire le prix du froment au taux le plus bas possible. Je ne partage donc pas l’opinion que plus le prix du froment est bas, plus le commerce est prospère et plus la main-d’œuvre est à bon marché. Si le blé était à vil prix, ce serait plutôt une raison pour faire fermer les fabriques.

L’honorable député de Verviers a parlé de nouveau de la France et de l’Angleterre, et il a dit que le système de l’Angleterre était beaucoup plus libéral que le nôtre. Je lui répondrai qu’en Angleterre il n’y a qu’un simulacre de libéralité, car le droit d’entrée sur les céréales rapporte des milliards.

Je ferai ensuite observer qu’en Angleterre la vie animale est de 40 p. c. plus chère qu’en Belgique ; cependant la main-d’œuvre n’est pas 40 p. c. plus chère que chez nous.

On a dit qu’il y avait encore 20 ou 30 millions d’hectolitres de grains dans les greniers. C’est là un chiffre supposé, parce que les statistiques manquent ; nous n’avons pas de chiffre officiel. Mais comme il est entré immensément de grains dans les autres années, cela a empêché les cultivateurs de vendre leurs récoltes.

Le haut commerce a en outre un avantage, en ce qu’il sait donner du crédit aux distillateurs et aux boulangers, tandis que le cultivateur ne peut pas faire de crédit, et fait toutes ses ventes au comptant. C’est encore une des causes qui viennent jeter la perturbation parmi les cultivateurs.

Je reviendrai à l’article premier, pour prouver la nécessité d’augmenter le droit. Tout ce que je viens de vous dire prouve que le droit actuel, qui n’est que 2 fr., est trop faible pour que l’agriculteur puisse y trouver une protection suffisante.

Le second paragraphe relatif au maximum et au minimum...

- Plusieurs voix. - Tout à l’heure ! On ne discute que le premier paragraphe !

M. A. Rodenbach. - La masse de grains qu’il y a dans le pays est la meilleure preuve qu’on puisse donner de la nécessité d’augmenter le droit actuel sur les grains. (Aux voix ! aux voix !)

M. Legrelle. - J’avais demandé la parole ; mais je m’abstiendrai de la prendre, parce que je pense que toute discussion est inutile. Il ne peut y avoir discussion quand il y a détermination prise. L’opinion de la majorité est maintenant arrêtée ; elle l’était même avant que la discussion générale fût close.

Aussi me suis-je abstenu, persuadé qu’en prononçant un long discours je n’aurais fait qu’une chose fastidieuse pour vous, sans espoir d’atteindre le but que je me proposais. Ce n’est pas que de bons arguments m’eussent manqué, mais après les discours lumineux que vous avez entendus et les développements publiés dans l’Emancipation

)- Plusieurs voix. - A la question ! à la question !

M. le président. - Je ferai observer à l’honorable orateur qu’il ne s’agit en ce moment que de la question de savoir s’il y aura ou non augmentation du droit.

M. Legrelle. - Si j’avais abusé des moments de la chambre, je n’insisterais pas pour obtenir la parole. Il me semble que j’aurais raison de prendre part à une discussion aussi vitale.

M. le président. - Ce qui est en discussion est seulement la question de savoir s’il y aura ou non augmentation de droit.

M. Legrelle. - Je pense qu’il serait inconvenant de me refuser la parole. Si la chambre, cependant, partage l’opinion de M. le président...

M. le président. - Je n’ai pas manifesté mon opinion. Je me suis contenté d’annoncer quelle était la question, c’est-à-dire, de rappeler à M. Legrelle qu’il s’agissait de savoir s’il y aurait ou non augmentation de droit.

M. Legrelle. - Je crois m’être renfermé dans la question. Je désire que personne ne s’en écarte plus que je ne m’en écarterai.

Je disais que les arguments n’avaient pas manqué. Si les discours lumineux des honorables adversaires du projet, si le rapport qui a paru dans l’Emancipation, rapport auquel s’est rallié la chambre de commerce d’Anvers, n’ont pas modifié la conviction de ceux qui demandent une augmentation de droit, il me serait impossible de l’ébranler en aucune manière.

Si j’ai pris la parole, c’est que j’ai voulu protester contre ce qui vient d’être avancé par un honorable membre. Il a dit que nous étions tous d’accord sur la question d’augmentation du droit sur les céréales. Je sais que quelques voix isolées du commerce, malheureusement trop peu nombreuses dans le sein de cette assemblée (bruit) ne peuvent exercer de l’influence sur le vote de l’assemblée. Mais au moins, en protestant de toutes mes forces contre le système du maximum et du minimum, j’aurai satisfait à ma conviction, à mon devoir, et je proteste également contre l’opportunité de l’augmentation du droit. Pour ce qui est des autres questions, je me rallierai aux propositions de M. Lardinois. J’aime mieux une loi mauvaise qu’une loi dont le résultat sera de ruiner le commerce des grains en Belgique. (Bruit.)

M. Devaux. - Je ferai remarquer à la chambre qu’un seul membre a parlé sur la question de savoir s’il y aura augmentation du droit sur les céréales, et que voilà qu’on veut clore la discussion. Il y a encore une question à examiner, sur laquelle on n’a pas dit un mot ; celle de savoir s’il y aura augmentation dans le sens d’un droit progressif. Jusqu’ici le projet présenté par M. Eloy de Burdinne, n’a pas été abordé. Aucune discussion n’a eu lieu dans ce sens. Il se peut que certains membres de cette assemblée consentent à accorder une augmentation de droit pourvu qu’il soit gradué. On ne peut donc clore la discussion puisqu’elle n’est pas épuisée.

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Le droit progressif dont l’honorable M. Devaux vient de parler ne change en rien la question, la seule actuellement en discussion, celle de savoir s’il y a lieu d’établir une augmentation de droit sur les céréales. Cette question a été assez longuement débattue dans la discussion générale. Aussi, quoique j’eusse l’intention de parler, je ne me suis pas levé contre la clôture, parce que j’ai cru qu’il était de notre intérêt d’aller en avant et d’abréger autant que possible nos travaux. Je suis d’avis donc qu’il y a lieu de clore une discussion qui a été retournée dans tous les sens.

M. Eloy de Burdinne. - L’honorable M. Devaux vient de parler du système gradué que j’avais proposé d’abord. Mais je l’ai abandonné pour me rallier à la proposition de la section centrale, parce que ce que je veux avant tout, c’est une loi sur les céréales. Mon but était tellement d’avoir une loi, que j’en avais proposé une transitoire, dans la crainte que la chambre ne pût établir un droit définitif.

Je me réserve seulement de parler sur les articles. Mais chacun de nous ne désire rien tant que de terminer nos travaux.

M. d’Huart. - Les observations de M. Devaux ne me semblent pas devoir arrêter la chambre. Il s’agit de savoir si les droits d’importation, d’exportation et de transit sur les céréales seront augmentés, si le tarif actuellement en vigueur doit être changé.

Décidons d’abord si les modifications auront lieu. Puis chacun pourra discuter sur les différents modes par lesquels ces modifications seront amenées. La seule chose sur laquelle nous ayons à voter en ce moment c’est un principe.

M. Dumont. - J’avais demandé la parole pour faire exactement les mêmes observations que M. d’Huart.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois que bien que l’article premier ne fasse pas mention de l’augmentation du droit, son adoption impliquera qu’il y a lieu d’augmenter le droit sur les grains. Partant de ce principe, je demande qu’il soit entendu que l’augmentation du droit ne s’applique qu’à l’importation, que l’on ne préjugera rien sur ce qui concerne le transit et l’exportation.

M. Dumont. - Je ne crois pas que l’on puisse entendre les choses de la même manière que M. le ministre de l’intérieur vient de l’expliquer. Je pense, messieurs, que ce serait revenir sur les mêmes décisions. Il me semble, messieurs, qu’il serait de toute justice que si l’on augmente le droit sur les grains à l’entrée, c’est-à-dire si l’on établit une majoration en faveur des producteurs, l’on établisse également un droit sur l’exportation, c’est-à-dire une majoration en faveur du consommateur.

Si l’on ne suivait pas cette marche, on favoriserait l’agriculture aux dépens des autres branches d’industrie, et comme je l’ai déjà dit, ce que nous devons vouloir, c’est que la loi soit faite dans l’intérêt et du producteur et du consommateur.

M. le président. - Le vote du paragraphe premier de l’article premier ne préjugera aucune de ces questions.

M. Coghen, rapporteur. - Il suffit de lire l’article premier pour se convaincre que le vote que nous allons émettre ne préjugera en rien les questions que les préopinants ont soulevées. (L’honorable rapporteur de la section centrale donne lecture de l’article premier.)

Je suis tellement convaincu de la justice de cet article que je me propose de demander dans la suite de la discussion la diminution du taux d’un droit que je trouve trop élevé.

M. Smits. - On décide implicitement qu’il y aura un changement au tarif actuel. La question n’a pas été suffisamment examinée. (Bruit.) M. Rodenbach a parlé seul. Il y a des orateurs qui désireraient réfuter ses assertions. C’est pour ce motif que je demande que la discussion soit continuée.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et adoptée.

Le paragraphe premier de l’article premier est mis aux voix et adopté.


M. le président. - La discussion est ouverte sur le deuxième paragraphe de l’article premier.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois, messieurs, que c’est véritablement ici que la discussion peut prendre les développements qu’on lui a refusés à l’article premier. C’est réellement ici que la question présente des rapports importants avec le commerce.

Ainsi, comme on l’a fait remarquer, la section centrale a voulu deux choses : elle a voulu augmenter les droits sur les céréales quant à l’importation ; en second lieu elle a voulu prohiber l’importation et la sortie dans certains cas. Ainsi la section centrale a voulu l’augmentation des droits d’importation et la prohibition dans quelques circonstances. C’est donc la question de prohibition que vous avez à examiner, non une prohibition absolue, mais éventuelle, et soumise à beaucoup de chances qui placeront la spéculation dans les positions les plus fausses.

J’ai déjà fait entrevoir, messieurs, que beaucoup de membres (et j’avoue que je suis de ce nombre), si on se contentait d’augmenter le tarif, consentiraient à adopter cette disposition parce qu’elle ne présenterait pas la même importance que celle qui est relative à l’importation. On peut penser aussi qu’elle aurait de bons résultats relativement au prix des grains ; si vous augmentez les droits à l’intérieur, on peut croire que le prix de nos grains seront augmentés sur nos marchés à l’intérieur.

Quant à la question du maximum et du minimum, elle ne peut avoir une influence sur le prix des grains, et elle préjuge d’autres questions très importantes, qu’à mon avis il est prudent de remettre à une autre époque. En effet, elle introduit dans notre législation commerciale un système tout nouveau, qui serait particulier à notre pays, dont il n’existe d’exemple nulle part, ni en France, ni en Angleterre, ni en Prusse, ni en Hollande.

La Prusse et la Hollande, qui sont des pays voisins avec lesquels nous avons sans cesse à soutenir des luttes commerciales, n’ont point de maximum ni de minimum ; il faut savoir jusqu’à quel point ce système introduit chez nous peut compromettre les intérêts de notre commerce et par suite les intérêts de l’industrie, qui est la mère nourricière du commerce.

Eh bien, je dois déclarer que si j’avais à me plaindre du manque de renseignements et de l’insuffisance des enquêtes pour ce qui concerne l'augmentation des droits protecteurs, pour ce qui concerne la question du minimum et du maximum, nos doutes sont beaucoup plus graves et beaucoup plus motivés, attendu que des renseignements n’ont point particulièrement porté sur ce point, et que lorsqu'ils y ont porté nous n’avons recueilli que les doutes et de l’incertitude.

Cela, messieurs, a été à tel point que lorsque nous avons envoyé le projet de loi aux chambres de commerce, jugés compétents en cette occasion, parce qu’il s’agit d’une question commerciale, les chambres de commerce ont répondu qu’elles donnaient la préférence à la proposition de l’honorable M. Eloy de Burdinne.

Il y avait des doutes, non seulement sur la question de savoir si notre législation pouvait comporter un maximum et un minimum, mais sur celle de savoir quels pourraient être ce maximum et ce minimum, et sur la question de savoir si les droits sur l’importation seraient établis sur une échelle étendue ainsi que le propose M. Eloy de Burdinne, ou sur une échelle plus graduée comme le propose M. Coghen.

Il serait plus sage, messieurs, de s’en tenir à adopter une augmentation de droit raisonnable, et de remettre à une autre époque la question si importante du maximum et du minimum ; s’il fait introduire dans la législation commerciale des grains un maximum et un minimum, je soutiens que la chambre, ainsi que le gouvernement, n’a pas assez de lumières pour prononcer sur la question, ou du moins que ces lumières sont restées sous le boisseau.

Le commerce des grains en Belgique est habitué depuis longues années à un tarif fixe. Si vous adoptez le tarif avec la disposition qu’on vous propose, vous pourrez être entraînés dans un système dont les conséquences seraient inappréciables, et qui pourraient nous jeter dans des embarras très graves.

La question, messieurs, est assez importante pour mériter une enquête qui durerait plus de six mois ; en France depuis plusieurs années on fait des enquêtes, on recueille des renseignements sur le même objet, et il a été reconnu en dernier lieu que malgré les vices dont le système à bascule est entaché, force était de le maintenir attendu que les renseignements recueillis par le gouvernement et la chambre n’étaient pas assez complets, assez concluants pour y mettre la main et qu’en le changeant on pouvait entraîner le commerce et l’industrie dans des éventualités, dont ils pourraient ne pas sortir avec succès.

C’est par les mêmes motifs que la chambre devra sagement ajourner le système proposé par la section centrale, et ne pas adopter des expériences dont on ne peut calculer toute la portée ; avant d’en venir à de telles expériences, il serait indispensable, je le répète, que de nouvelles lumières vinssent éclairer la chambre et le gouvernement.

J’ajouterai qu’il est important d’éviter d’introduire dans nos lois des prohibitions, alors que nous faisons tous nos efforts auprès des autres puissances, pour qu’elles écartent les prohibitions de leur tarif de douanes.

M. Verdussen. - Nous avons vu, messieurs, dans le premier rapport fait par l’honorable M. Coghen sur la première proposition de M. Eloy de Burdinne, que sur sept commissions d’agriculture, trois se sont prononcées pour l’augmentation des droits d’entrée sur les céréales et quatre contre ; que parmi les chambres de commerce huit se sont prononcées contre et cinq pour, de manière qu’il y a eu douze voix contre, et huit pour. Cela prouve, messieurs, combien il est urgent de les consulter aussi sur la proposition du maximum et du minimum sur laquelle elles n’ont pas encore été à même d’émettre leur avis ; et cela vient corroborer ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur sur le danger d’adopter sans un mûr examen un système tout à fait nouveau.

Il me semble que dans cette discussion nous avons trop perdu de vue la corrélation qui existe entre le prix des céréales et les produits de notre sol. Il résulte des documents qui ont été recueillis par une personne qui a suivi pendant plusieurs années le mouvement des récoltes, qu’elles varient d’une année à l’autre de 2 à 5 ; de telle sorte que, dans une année abondante, une certaine étendue de terrain rapporte jusqu’à 100 hectolitres, et n’en donne plus que 40 dans une année stérile ; une année ordinaire en produit environ 70.

Cependant, c’est aujourd’hui pour la première fois qu’on vient de nous dire un mot sur cette différence si frappante et si importante de nos récoltes ; et on nous dit, d’une manière positive, que le prix à 13 fr. est mortel pour le pays, et que celui de 18 francs environ est celui qu’il faut à l’agriculteur, pour être payé de son travail et indemnisé de ses frais. On ne peut en vérité rien fixer à cet égard. En prenant les deux chiffres que je viens de citer, qui représentent le produit d’une année abondante et mauvaise année, pour la même étendue de terrain, et en appliquant ces données au froment que l’agriculteur a à vendre, je trouve que le prix de 12 fr. 60 c. lui suffit pour l’indemniser de son travail dans une bonne année, et lui rapporte, en définitive, autant que le prix de 18 francs dans une année ordinaire.

Cependant vous voyez, messieurs, que le minimum reste toujours fixé à fr. 13 dans le tarif projeté, sans égard pour l’abondance ou la stérilité des récoltes. Je ferai remarquer aussi que c’est toujours la même quantité de grains qu’il faut à l’agriculteur pour ensemencer et pour vivre, et qu’ainsi, lorsqu’il y a excédant, cet excédant est un profit net pour l’agriculture qui en voit augmenter exclusivement la quantité de céréales qu’il a à conduire au marché.

En résumé je pense que nous ne pouvons établir un minimum ni un maximum pour interdire l’entrée ou la sortie des grains ; car nous ne pouvons juger d’avance de la quantité des céréales que produira non seulement ce pays, mais aussi les pays limitrophes, et c’est cette quantité plus ou moins forte qui doit influer sur le minimum et sur le maximum des prix que l’agriculteur peut admettre ou réclamer pour vivre convenablement.

M. Eloy de Burdinne. - Les rapports des commissions d’agriculture ne sont pas toujours l’opinion de leurs membres. Je pourrais, pour justifier cette assertion, raconter ce qui s’est passé à Liége. Je ne veux pas dire pour cela que c’est ainsi qu’ont été faits, mais qu’ont pu être faits les rapports dont on a parlé.

Je faisais partie de la commission d’agriculture de Liége ; nous avions arrêté qu’on prendrait telle ou telle mesure sur le rapport des distilleries, en réponse aux demandes adressées à la commission par le ministre. Eh bien, messieurs, qu’en est-il résulté ? M. le président de la commission, chargé de rédiger le rapport, envoya au ministre tout le contraire de ce que nous avions demandé, tout le contraire ; oui, messieurs, tout le contraire. (M. Meeus et plusieurs autres membres nient.) Je le répète, messieurs, pour convaincre l’honorable M. Meeus qui paraît très incrédule en fait d’agriculture.

Savez-vous ce qu’a dit le président à la réunion suivante ? Il a dit qu’il avait cru mieux faire que nous dans l’intérêt des distilleries.

M. Meeus. - Bah !

M. Eloy de Burdinne. - Oui, M. Meeus, c’est comme cela. Je ne dis pas qu’il l’ait fait méchamment, je suis persuadé qu’il a eu les meilleures intentions du monde.

Au reste, c’est presque toujours comme cela que se font les rapports des commissions d’industrie. Les membres disent leur opinion, et on donne le rapport à rédiger au président ou au secrétaire, qui fait ça à son idée. Comment est-il possible de se rendre compte de ce que sur neuf commissions il y en ait eu trois qui ont donné leur avis dans mon sens ; et quatre dans le sens opposé ? Pour celles qui ont donné un avis contraire à ma proposition, ma réponse est bien simple, c’est que ce sont de gens qui ne connaissent rien à l’agriculture ou bien qui tenaient le plus à faire le commerce des grains qu’à protéger l’agriculture. Les chambres de commerce, je pense, sont à même de connaître ce qui convient au commerce ; et cependant, chose singulière, c’est que, sur les chambres de commerce consultées seulement 5 se sont prononcées contre mon projet, et 8 l’ont admis.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Mais vous prétendez que les rapports ne font pas foi. (On rit.)

M. Eloy de Burdinne. - Oui, pour les commissions d’industrie, mais non pour les chambres de commerce. Le commerce est toujours adroit et ne s’endort pas. Il n’y a que nous, agriculteurs, qui sommes des maladroits ; nous sommes les moutons, nous nous confions aux loups.

Les chambres de commerce font le contraire, elles veulent tout voir avant que rien ne se transmette. Mais nous, bons campagnards francs et loyaux, nous convenons d’un fait, et nous disons au président : Vous rédigerez cela ; et M. le président, toujours avec les meilleures intentions, croit y voir plus clair que les campagnards qui ne savent que cultiver du blé, et il fait un autre rapport.

J’ai cité 1830, j’ai dit qu’à cette époque un dégel subit avait anéanti nos froments dans beaucoup de localités et surtout dans les terres fortes. Eh bien, qu’a-t-on fait ? On a cultivé force pommes de terre et orges, et on a mangé force pommes de terre et orges. Alors, messieurs, la province de Liége a fait preuve de philanthropie ; le seul canton de Waremme presque ruiné sous le rapport des céréales, a conduit plus de cent charretées de pommes de terre aux pauvres de Liége, en pur cadeau. On n’est pas mort de faim.

Dans cette année de 1830, le gouvernement provisoire n’a pas craint de frapper nos grains de prohibition à la sortie. C’est là que j’aurais voulu voir le commerce ; si on l’avait frappé d’une semblable mesure, il n’aurait pas manqué de crier : Vous nous ruinez ! vous nous tuez !

Qu’ont dit les agriculteurs ? Ils ont applaudi à la mesure par patriotisme. Oui, messieurs, parce que c’est chez eux que se trouve le vrai patriotisme. On n’a pas seulement prohibé la sortie de leurs grains, mais on a permis l’entrée des grains étrangers. Il a fallu de l’argent. (Interruption.)

Vous voulez me faire perdre le fil de mes arguments, mais vous n’y parviendrez pas.

J’étais sur le rapport des sacrifices des propriétaires. On leur a demandé des avances, ils ont donné douze millions ; ils ont fait voir qu’ils étaient prêts à faire tous les sacrifices pour soutenir le gouvernement. Je voudrais savoir si, à cette époque, où le gouvernement avait à créer une armée et avait besoin de beaucoup d’argent pour l’habiller, le commerce et l’industrie auraient applaudi à une mesure qui aurait eu pour objet de permettre la libre entrée des draps étrangers et d’interdire la sortie aux draps indigènes, afin d’en avoir à meilleur marché Si on avait fait cela, les industriels auraient crié à la contre-révolution.

Qu’a-t-on fait ? On s’est empressé de diminuer les patentes. On a supprimé l’impôt de l’abattage et je tranche le mot, toutes les absurdités de l’ancien régime. On a prétendu que la suppression de l’abattage avait profité à l’agriculture. Mais je ferai observer que cette mesure a été bien plus à l’avantage des industriels que des campagnards. Car les industriels ne mangent pas seulement du pain trois fois par jour, ils mangent aussi de la viande. Ils l’ont eue à meilleur marché. En supprimant cet impôt, l’Etat a donc fait un sacrifice en faveur de l’industrie.

On a fait bien d’autres sacrifices en faveur des industriels qui ont tant crié et qui crient tant encore. Cependant est-ce l’industrie qui paiera les impôts pour l’agriculture, quand l’agriculture ne pourra plus payer ?

Messieurs, ne traînons pas la loi en longueur si nous voulons qu’elle ait quelque utilité. J’ai entendu dire qu’une masse de grains allait nous arriver, qu’un grand nombre de navires étaient arrivés.

On a prétendu qu’il n’arrivait plus de grains par mer. C’est ce que nous a dit l’honorable M. Devaux. Je suppose qu’il est au fait de ce qui se passe.

Mais la Prusse nous a introduit 5 mille hectolitres.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il en est sorti autant !

M. Eloy de Burdinne. - Je demanderai à M. le ministre combien il nous en est arrivé de France. M. Devaux nous a dit que les prix étaient beaucoup plus bas dans certaines localités de France ; alors nous avons dû en recevoir beaucoup.

M. Fleussu. - Je m’opposerai à l’introduction dans notre système de douanes d’un maximum et d’un minimum. Je m’opposerai à plus forte raison à tous les amendements tendant à restreindre l’espace entre le maximum et le minimum, parce que j’y vois une tendance vers les mesures restrictives, et même vers une véritable prohibition.

Je veux autant que tout autre accorder une protection à l’agriculture ; mais de la protection à la prohibition il y a de la marge, il y a de la latitude, et je veux rester dans les bornes de la protection.

Messieurs, si vous vous donniez la peine de faire un rapprochement de la discussion qui eût lieu en mars 1833, avec celle qui nous occupe depuis quelques jours, peut-être seriez-vous effrayés de voir quels progrès rapides nous faisons sans nous en douter, dans le système restrictif. Vous savez qu’en 1833 la Belgique se trouvait sous un régime qui permettait la libre entrée des céréales étrangères et qui prohibait l’exportation de nos grains. Cette mesure avait été commandée par les événements politiques de 1831, et l’agriculture la subissait depuis deux ans et demi.

Mais à la fin, quand on vit qu’on pouvait concevoir quelque espérance de tranquillité dans l’avenir, sachant d’ailleurs que le pays était fourni de denrées, l’agriculture fit entendre des réclamations et demanda la révocation de la mesure prise en 1830. Sur les plaintes qui vous arrivèrent, un honorable représentant, M. Tieken de Terhove, menaça de prendre l’initiative et de proposer lui-même un projet de loi, si le gouvernement ne se hâtait d’en présenter un.

Le gouvernement a satisfait à son devoir. Il nous a présenté un projet qui révoquait les mesures par lesquelles l’exportation de nos grains était défendue. Lorsque ce projet fut examiné dans les sections, celles-ci et la section centrale également ont pensé qu’il ne suffisait pas ; qu’il fallait non seulement révoquer la disposition prise par le gouvernement provisoire, mais qu’il fallait également rétablir le droit existant avant la révolution. J’ai eu l’honneur d’être nommé rapporteur de la section centrale et d’être chargé de défendre ses propositions. Eh bien, messieurs, j’ai dû soutenir une lutte assez vive pour faire rétablir le droit tel qu’il existait avant 1830. Voyez maintenant combien les esprits sont changés et quels pas immenses nous avons faits depuis.

Il y a un an et quelques mois que vous avez décrété la loi à laquelle je fais allusion. Vous n’avez pas même eu le temps matériellement nécessaire pour faire l’expérience de la décision que vous avez prise, et voilà que M. Eloy de Burdinne est arrivé dans cette enceinte vous présenter un projet qui change complètement l’économie de nos lois en matière de douane. Aujourd’hui ce n’est pas un droit simple que nous avons à combattre, c’est tout un système nouveau, c’est un droit de minimum et de maximum. C’est en certains cas une atteinte portée aux droits de la propriété et aux avantages du commerce.

Cependant, messieurs, nous sommes sortis triomphants quand nous avons eu à soutenir la loi contre M. le ministre de l’intérieur. Nous sommes parvenus à faire rétablir le tarif de 1830. A l’époque du mois de mars de 1833, on regardait la loi que nous avons votée comme un véritable bienfait, c’était le rétablissement d’une loi considérée comme une conquête que nous avions faite aux états-généraux sur les intérêts hollandais.

Comment trouvez-vous après cela qu’on vienne vous effrayer de la possibilité d’une disette semblable à celle qui affligea la Belgique en 1817 ! Mais en 1817 nous n’avions point de loi protectrice ; les céréales étrangères n’étaient point imposées à l’entrée. Cette observation répond encore au reproche que certains orateurs adressent aux adversaires du projet de désavouer aujourd’hui les prétentions de la Belgique alors qu’elle était réunie à la Hollande. Il a fallu combattre pour obtenir sur les céréales une loi protectrice quelconque ; cette loi, les efforts des députés belges l’ont obtenue, et c’est cette loi qui a été remise en vigueur en 1833.

Je demande maintenant, messieurs, si l’on a démontré la nécessité de fixer un maximum et un minimum ? Déjà vous venez de décréter le principe d’une augmentation de droit sur les céréales. Je souscris en quelque sorte à votre décision parce que je m’intéresse aux souffrances de la classe agricole. Mais je vous dirai ma pensée tout entière. Je crois que ces mesures que l’on a réclamées en sa faveur n’étaient pas encore nécessaires. Je vous ferai remarquer que depuis 1833 vous avez eu à peine le temps de faire l’expérience de la loi. Depuis cette époque, si les renseignements qui vous ont été communiqués sont exacts, il n’y a point eu ou presque pas eu d’importation de céréales étrangères.

On aurait donc pu dire et soutenir que le tarif que vous avez imposé à l’entrée des grains étrangers suffirait pour protéger l’agriculture. Ce défaut d’importation n’est pourtant pas une conséquence directe du rétablissement d’un droit d’entrée. Je crois qu’il faut plutôt l’attribuer à la dépréciation du prix des céréales dans notre pays. Il faut bien remarquer que vous ne verrez jamais venir des grains étrangers quand les prix ne sont pas élevés. Voyez ce qui s’est passé depuis la révolution. Avant l’année 1833, le prix des grains était élevé ; il est arrivé en grande quantité des grains étrangers. Il y avait cependant déjà une grande masse de ces denrées existant dans le pays, attendu que beaucoup de nos fermiers sont spéculateurs et attendent un moment favorable pour placer avantageusement leur récolte. Mais aussitôt que les prix ont baissé, les grains étrangers ont cessé d’arriver dans nos ports. Voilà comme j’envisage les choses.

Aussi ne trouvé-je point que l’introduction des grains étrangers soit la cause de la dépréciation du prix des grains, mais au contraire, je pense que la dépréciation du prix des denrées est cause qu’il n’arrive plus de grains étrangers. C’est ainsi qu’en économie politique, lorsqu’on voit un effet, il est important d’en déterminer la véritable cause, parce que tout dépend de la base de laquelle on part. C’est ainsi que, loin de trouver que l’arrivage des grains étrangers puisse nuire au pays, je trouve que c’est signe que l’agriculture prospère.

Je crois, du reste, qu’un droit de 3 francs suffira pour empêcher l’importation des grains étrangers, en tant qu’elle pourrait nuire aux grains indigènes. On vous a fait un tableau bien fâcheux de l’état de l’agriculture. Je connais assez la classe agricole, messieurs ; je suis né à la campagne. Savez-vous quelle est la cause de cet état de malaise qui a quelque chose de vrai ? Ce sont les récoltes abondantes des années précédentes, c’est le défaut de débouchés, c’est le prix élevé des baux, qui sont en corrélation avec l’élévation du prix des terres. Or, tant que leur valeur vénale se soutient, peut-on y reconnaître la ruine prochaine de l’industrie agricole ?

Quand l’agriculture est réellement souffrante, le commerce languit, les bras restent oisifs, et je veux bien admettre qu’à ces traits l’on reconnaît le malaise de l’agriculture. Mais je vous demanderai où sont les doléances du commerce. Avez-vous entendu une seule plainte ? Avant la loi du mois de mars 1833, les pétitions affluaient au bureau. Depuis lors, en avez-vous reçu une seule ? Quand une industrie souffre, elle se hâte de recourir à vous pour lui apporter remède, parce que vous entrez à cet égard dans une voie dont vous vous repentirez plus tard, et qu’ayant accueilli les plaintes d’une industrie, vous devez les favoriser également toutes.

Jetez vos regards sur les villes. Remarquez leurs embellissements. Je vous demanderai si ce sont là des signes de détresse. Où sont donc les bras oisifs ? Je sais de bonne part que partout on éprouve un manque. Ce ne sont pas les trois cents ouvriers qu’emploie le gouvernement à la construction de la route en fer, qui ont causé cette disette de bras. Cette disette est telle qu’un maître doit garder dans les campagnes des ménagements vis-à-vis de ses subordonnés, dans la crainte de ne pas leur trouver de remplaçants. Et je vous citerai un fait qui prouvera plus que des raisonnements ce que j’avance.

Dernièrement, des cultivateurs de mon pays se sont adressés à moi pour me prier de faire des démarches auprès de M. le ministre de la guerre, afin d’obtenir qu’on leur envoyât quelques soldats en congé, mission dont je me suis acquitté de grand cœur. Je demanderai si ce n’est pas une belle position pour l’ouvrier que d’avoir du travail à volonté et d’acheter son pain à bon marché.

Je dis donc que le droit avec l’augmentation, dont vous venez de décréter le principe, suffit, que nous ne devons pas adopter un nouveau système dont nous ne connaissons pas toutes les conséquences. Je m’oppose à l’établissement du maximum et du minimum qui tendent à entraver la marche du commerce. Le moment de voter une pareille loi est-il bien choisi ? Vous venez de voter la construction d’un chemin en fer qui établira entre les nations voisines des communications commerciales plus faciles. Vous envoyez à Paris une députation, afin d’obtenir un traité de commerce avec la France. Et c’est dans de pareilles circonstances que vous allez adopter un système de prohibition ! Je ne saurais y souscrire.

Qu’il me soit permis de vous rappeler, à propos de la précipitation avec laquelle nous avons abordé un système tout nouveau, ce qui s’est passé lors de la discussion du mois de mars 1833. Il y avait dans cette loi une disposition qui portait qu’elle ne serait applicable que pour un an. Nous voulions mettre le gouvernement dans la nécessité de nous présenter alors un travail complet sur la matière. Mais cette disposition fut écartée par la majorité de la chambre, par la raison que le temps fixé était trop rapproché pour que le gouvernement pût s’entourer de toutes les lumières nécessaires pour nous présenter un système approfondi. Je demande si les motifs qui nous ont fait ajourner alors la présentation d’une loi définitive sur les céréales ne subsistent pas dans toute leur force, alors que nous n’avons pas laissé au gouvernement le temps de s’entourer de tous les renseignements nécessaires.

(Moniteur belge n°198, du 17 juillet 1834) M. Devaux. - Messieurs, comme lorsque j’ai eu l’honneur de parler pour la première fois dans cette discussion, je me renfermerai autant que je le pourrai dans un examen de faits en vous parlant du maximum et du minimum.

J’avoue cependant qu’en cela je me trouve un peu embarrassé. J’avais souvent entendu proscrire ici les principes généraux et les théories. L’honorable rapporteur de la section centrale a fait allusion aux raisonnements reposant sur de pareilles bases, et les a taxés de rêves creux. J’avais passé condamnation sur les théories, et je ne m’étais occupé que de faits, lorsque l’honorable M. de Muelenaere est venu dans la séance précédente proscrire les chiffres, c’est-à-dire les faits précisés ; car, lorsqu’il s’agit de prix, je connais peu de faits qui ne s’expriment en chiffres. Je vous avouerai, messieurs, que si l’on bannit ainsi du champ de la discussion et les théories et les faits, le terrain en devient un peu étroit ; je crains bien qu’alors il ne reste plus que les lieux communs et les déclamations. Comme je ne suis jamais tenté de m’aventurer sur ce terrain-là, je serai forcé, malgré leur proscription, de revenir encore aux faits pour faire voir ce qui jusqu’ici rend le système proposé par la section centrale inadmissible à mes yeux.

Il y a dans la question du maximum et du minimum deux ou plutôt trois questions. Il y a celle du minimum quant à l’importation des grains, celle du maximum où cessent les droits d’importation ; et celle du maximum où commence la défense d’exportation.

Je m’occuperai d’abord de la première.

Je vois une singulière contradiction dans le système de la section centrale qui établit le minimum. D’abord, la section centrale fixe, pour que le fermier arrive à un résultat qui le paie de ses peines, un prix qui doit être de 17 et 18 francs ; cependant lorsque le prix est inférieur de 2 ou 3 francs, c’est-à-dire lorsqu’à son avis le paysan souffre déjà et que cependant il y a, à son avis, encore quelque appât à l’importation, elle laisse importer moyennant 3 francs de droit ; mais le prix descend-il à 13 francs, et par conséquent, l’importation devient-elle de fait impossible, alors on la prohibe. Cela me prouve, messieurs, que le système de la section centrale repose tantôt sur un principe, tantôt sur un autre ; qu’il n’y a pas d’ensemble ; que c’est un système à tâtons.

Messieurs, j’ai prouvé qu’en 1832, alors que la moyenne du prix des grains a été de 20 francs, l’importation n’a été que le seizième de la consommation de la Belgique. En 1833, lorsque le prix a baissé, les importations n’ont été qu’à 5 jours de consommation de la Belgique ; en 1834, il n’a pas été importé un seul grain par mer ; et l’importation par terre n’a été que de 5,000 hectolitres, c’est-à-dire le quart de la consommation d’un seul jour ; cela prouve que le minimum est inutile, puisque, lorsque le prix baisse, l’importation cesse d’elle-même.

Je dirai tout à l’heure en quoi il me paraît nuisible.

Je sais qu’on a avancé que j’avais eu tort de dire que le prix des grains en 1832 s’était maintenu à 20 fr. On a dit dans un journal (je ne parle de ceci que parce qu’un de nos collègues m’a dit avoir fourni les éléments de cet article) que les prix avaient baissé à la fin de 1833, et que les vaisseaux arrivés à Anvers n’étaient point arrivés dans le commencement de l’année mais en juin, juillet et août. Je sais très bien que les prix n’ont pas été les mêmes pendant toute l’année ; qu’il s’est élevé jusque vers le temps de la récolte, et qu’il est descendu après. Mais ce que j’ai dit, c’est que la moyenne de l’année, malgré les importations, n’était pas descendue au-dessous de 20 fr.

De ce que les plus grandes importations non pas eu lieu dans les cinq premiers mois, s’ensuit-il que la baisse de la fin de l’année doive être attribuée à l’importation ? Non, car c’est au mois de juin que les plus grandes importations ont eu lieu et pendant les trois mois qu’on a cités, juin, juillet, et les premières semaines d’août, le froment s’est maintenu à 11 florins 30, 11 florins 6 et 10 florins 20. Ce n’est que lorsque les récoltes sont venues que le prix a sensiblement baissé. C’est là, chacun de nous le sait bien, ce qui arrive toujours lorsque la nouvelle récolte arrive, et ce qui est arrivé la même année pour des produits qu’on n’importe guère, pour le foin et les pommes de terre, par exemple. Une récolte nouvelle et abondante est une bien autre influence que quelques importations pour faire baisser les prix.

J’avais cité sur le prix des grains du Nord les seuls chiffres qui fussent à ma connaissance ; l’honorable rapporteur a dit que ces chiffres étaient exacts dans le travail de M. Jacob, mais qu’ils étaient erronés dans les mesures françaises du texte français de la Revue britannique. J’aurai l’honneur de répondre à l’honorable rapporteur que j’ai extrait moi-même les chiffres que j’ai cités du texte anglais, et que j’ai fait moi-même toutes les réductions de la monnaie et des mesures anglaises que, dans ces réductions, j’ai toujours eu soin de forcer la fraction en faveur de ceux qui ont sur les prix des grains du Nord une opinion contraire.

Ainsi, pour la réduction de la livre sterling, je ne l’ai évaluée qu’à 25 fr., au lieu de fr. 25-20 ou fr. 25-40 ; ce qui aurait rendu le prix des grains de la Baltique plus élevé encore que je ne l’ai dit. Il en est de même du quarter anglais, que j’ai compté pour trois hectolitres. Le quarter ne fait en réalité que 2 hectolitres et 9 dixièmes ; ce qui encore une fois aurait élevé davantage encore les prix des grains de la Pologne.

Jamais, je crois, messieurs, question d’économie politique n’a été mieux éclaircie par les faits que celle que nous discutons ne l’est en Belgique. En effet, depuis 19 ans nous faisons en Belgique l’expérience d’un système presque libre, ou du moins légèrement restrictif ; et pendant le même temps, à côté de nous, la France a fait l’expérience tantôt du système du minimum et du maximum, tantôt de celui des droits progressifs élevés. Certes, rien ne prouve plus clairement l’impuissance des droits prohibitifs. Quant à la baisse des grains, le fait est que dans la France septentrionale, les grains aujourd’hui se vendent à plus vil prix que chez nous.

On a dit, il est vrai que j’avais tort dans la comparaison de me borner à la France septentrionale, qu’il fallait prendre la moyenne de toute la France, y compris le Midi. Cela me paraît peu raisonnable : la comparaison ne peut se faire qu’entre des terrains qui se trouvent sous les mêmes conditions de productions. Or qu’y a-t-il de commun entre le midi de la France et nous ? Il peut y avoir souvent disette d’un côté et abondance de l’autre. N’est-il pas évident que pour comparer les prix belges aux prix français, il fait choisir les terres qui sont dans la position semblable de climat et de fertilité ? N’est-ce pas une chose reconnue que le prix des grains est toujours beaucoup plus cher dans le midi de la France que dans le nord ? Cela est si vrai qu’on établit tout exprès des marchés régulateurs différents dans le Midi, et que l’échelle des droits pour ces marchés est toute différente, et calculée sur des prix beaucoup plus élevés.

Le moyen le plus exact de comparaison, c’est de comparer le prix moyen des cinq départements français qui sont sur la lisière de la Belgique, avec celui des quatre provinces belges qui sont sur la lisière de la France ; or, d’après les dernières mercuriales des Moniteurs des deux pays, on peut voir que le prix moyen du froment dans nos quatre provinces frontières était de 12 fr. 05 c., et dans les cinq départements limitrophes français, de 12 fr. 04. C’est là une preuve sans réplique que le système prohibitif n’empêche pas la baisse du prix des grains, que la cause en est dans la production abondante du pays, et qu’avec toutes les lois possibles vous ne l’empêcherez pas plus que les droits protecteurs ne l’empêchent en France.

Je sais bien que l’honorable M. Dumont a dit que les faits que j’ai cités n’étaient pas pertinents.

Je m’étonne que le judicieux orateur ne se soit pas aperçu de son erreur. De quoi s’agit-il en effet ? De substituer un système nouveau à un système qui existe depuis 19 ans ; ce qui est pertinent, n’est-ce que d’établir par des faits les résultats bons ou mauvais que ce système a produits, et ceux qu’a produits chez nos voisins un système analogue à celui qu’on veut introduire chez nous ?

Le système en vigueur est établi, sauf quelques modifications, depuis 1815 : il serait difficile de faire l’expérience sur une plus grande échelle ; c’est même une double expérience : nous avons ici l’épreuve et la contre-épreuve ; l’épreuve en Belgique et la contre-épreuve en France.

Quel but s’est proposé la section centrale ? D’arriver à ce résultat de fixer la moyenne du prix du froment à 18 fr., et le prix du seigle à 12 fr. L’honorable rapporteur convient que ces deux prix offrent au cultivateur de quoi le dédommager équitablement de son travail et de ses dépenses : à 24 fr., dit-il, il y a bénéfice immense ; tout ce que l’on doit faire, c’est que la moyenne du froment soit de 18 fr. et celle du prix du seigle de 12 francs. Eh bien, messieurs, quel a été le prix moyen depuis que le système actuel est en vigueur, c’est-à-dire depuis 19 ans ?

Il résulte des tableaux que j’ai en main, que le prix moyen du froment a été de 19 fr. 44 c. et le prix du seigle de 12 fr. 72 c. Ainsi voilà le taux que l’on demande atteint, et même surpassé. Voilà la moyenne fixée entre les gains équitables et les gains immenses.

M. Eloy de Burdinne vous a dit que les moyennes ne signifiaient rien, et que dans les mauvaises années, si une certaine étendue de terrain ne donne 200 hectolitres de froment, il n’en faut pas moins que le cultivateur en mette de côté 100 hectolitres pour la semence et la nourriture de ses ouvriers : comme si la terre produirait une récolte ordinaire de 400 hectolitres. Soit, mais l’honorable membre aurait dû aussi examiner le cas contraire, celui d’une récolte très abondante. Si la terre produit 600 hectolitres au lieu de 400, et que le prix soit réduit de 20 francs à 10, le cultivateur n’a toujours besoin que de 100 hectolitres pour la semence et la nourriture de ses ouvriers ; il lui reste 500 hectolitres à vendre ; si à 20 francs il retirait 6.000 fr. de la vente, ici il en retire 3,000. Ainsi, si d’un côté le gain n’est pas en raison de la hausse, la perte non plus, dans une année abondante, n’est pas en raison de la baisse. La quantité compense le prix non pas entièrement, mais au moins en partie.

Aux chiffres que j’ai cités, on n’en a guère opposé d’autres ; et en cela on a suivi l’idée de M. de Muelenaere, qui est de proscrire les chiffres, c’est-à-dire les faits précisés, mais de s’en rapporter à ce que l’honorable membre appelle les souvenirs de chacun, c’est-à-dire aux faits non constatés ; en restant ainsi dans le vague, on s’expose à subir l’influence de l’imagination, de la prévention.

Sous ce rapport chacun voit un peu les faits au travers de son prisme ; il est plus facile de se tromper sur des souvenirs de ce genre que sur des chiffres.

On parle toujours en général des bas prix de la mer Noire et de la Baltique : à entendre certains orateurs, les prix, dans ces contrées, sont si bas qu’on peut donner le grain presque pour rien. Messieurs, à cela la réponse me paraît simple ; depuis dix-neuf ans, nous sommes soumis au régime actuel, et si les prix de la Baltique, d’Odessa, de la Pologne, de Copenhague, du Danemarck, etc., étaient si bas qu’on le prétend, ils auraient déjà écrasé notre agriculture.

En 19 ans on a eu tout le temps nécessaire pour faire arriver des grains en quantité suffisante pour nous accabler, et la moyenne de nos prix ne serait pas celle que je viens d’énoncer.

Un honorable membre me disait que si cela n’était pas arrivé, c’est que le roi Guillaume ne l’a pas voulu. Messieurs, si absolu que vous supposiez son pouvoir, le roi Guillaume n’aurait pas eu la puissance d’empêcher les négociants de Rotterdam et d’Anvers de spéculer et de faire arriver des blés de la Baltique et de la mer Noire, si leurs prix avaient été aussi bas qu’on le prétend.

Je crois donc, messieurs, que quant à l’importation du froment, elle se trouve impossible quand le prix est descendu à un taux très bas ; par conséquent, le minimum serait sans effet pour l’agriculture.

Je dois dire un mot sur l’assertion de quelques honorables membres, qu’il fallait adopter la loi si on voulait prévenir des catastrophes de toute espèce. Nous avons entendu beaucoup d’assertions semblables au commencement de la révolution. Ne vous disait-on pas que la Belgique était morte, qu’elle n’aurait plus d’industrie, que tout était perdu ? Vous savez ce qui est advenu de ces prédictions. Au commencement de cette session, on vous a fait les mêmes prédictions pour l’industrie linière : si des mesures n’étaient prises, l’hiver ne se passerait pas sans les plus grandes secousses.

L’hiver s’est passé sans que la loi fût votée, et vous savez si les calamités se sont réalisées. Ne pourrait-il pas en être à peu près de même dans l’avenir des prédictions d’aujourd’hui ? déjà les faits ont commencé à en démentir quelques-unes.

M. Eloy de Burdinne, qui a présenté sa proposition au mois de janvier 1834, nous disait à cette époque : « Au taux où se sont vendus les produits de la terre pendant le premier trimestre de 1833, telle propriété qui a été payée 2,000 francs, donnait un droit de mutation à l’Etat de 120 fr. environ ; au taux où les céréales se vendent actuellement, et si ce bas prix se maintient, sous peu cette propriété qui a été vendue 2,000 francs, n’en vaudra plus que 1,000 ; et il en résultera qu’une nouvelle vente de celle-ci ou de toute autre de la même espèce ne donnera à l’Etat, pour droit de mutation, que 60 francs environ au lieu de 120, c’est-à-dire la moitié. »

« Une succession en ligne collatérale, d’une valeur de 100,000 francs en terres, donne en certains cas 10,000 fr. de droits ; par suite du bas prix des céréales, réduite à 50,000 francs, elle ne donne plus que 5,000 francs, En un mot, les droits d’enregistrement et de succession seront réduits déjà, pour l’exercice de 1834, d’un tiers au moins, sinon de moitié, et plus encore en 1835, si le prix des céréales ne reprend faveur. »

Inquiet moi-même de ces prédictions, j’ai prié M. le ministre des finances de me donner quelques renseignements à cet égard, afin de savoir les dangers dont les revenus de l’Etat pouvaient être menacés. J’ai trouvé dans les renseignements qui m’ont été fournis que, pour les 5 premiers mois de l’année 1833, le revenu de l’enregistrement avait été de 9 millions 80 mille fr., et que, pour les 3 premiers mois de 1834, il avait été de 9 millions sept cent mille fr., c’est-à-dire, qu’il a éprouvé une augmentation de plus de six cent mille francs.

Enfin le revenu sur les bières, les eaux-de-vie, les vins, le sucre, et autres denrées dont les habitants des campagnes usent et qui sont soumises à des droits, allait se trouver réduit au tiers.

Quand je consulte les comptes des accises, je trouve sur 9 millions un déficit de 700 mille fr., pour ce qui concerne les eaux-de-vie ; mais c’est le résultat de la loi sur les distilleries : car, sur tous les autres objets sur lesquels l’administration des accises perçoit des droits, il y a partout augmentation. Voilà ce qui me porte à faire justice de tant de prédictions sinistres. Ce n’est pas cependant que je veuille dire qu’il n’y ait pas une certaine gêne, une certaine souffrance qui pèse sur l’agriculture ; mais je dis qu’on l’exagère.

Les inconvénients du minimum sont très grands pour le commerce. On répond à cela : Mais vous avez des entrepôts. Messieurs, qu’est-ce qu’un entrepôt ? C’est un lieu où on a la faculté de laisser la marchandise dans le pays sans payer de droit, sauf à acquitter le droit d’entrée ou de transit, si on livre la marchandise à la consommation ou si on lui fait traverser le pays. Mais, s’il y avait des entrepôts partout, et partout des prohibitions, le commerce pourrait promener ses marchandises d’entrepôt en entrepôt, sans payer de droits il est vrai, mais aussi sans avoir la faculté de vendre nulle part.

Quand les prix sont assez élevés pour que la spéculation soit possible, les commerçants font venir des grains ; ces grains n’arrivent pas à l’instant même, il faut du temps pour le trajet et pour les écouler.

Eh bien, si une baisse survient pendant ce temps qui atteint le minimum, ils ne peuvent plus introduire leurs grains, même à perte ; ils sont obligés de les laisser pourrir ou de les réexporter ou de les faire retourner au pays de production, le minimum leur barre le chemin. C’est un épouvantable malheur.

Lorsque des grains sont arrivés dans un moment de cherté, et qu’une baisse subite survient, établissez des droits si vous le voulez absolument ; faites que le spéculateur ne puisse vendre ses grains qu’à perte, mais ne le forcez pas à tout perdre en l’obligeant de les laisser pourrir dans l’entrepôt. C’est là une extrême injustice, c’est presque une espèce de piège tendu au commerce : cela n’est pas seulement anti-commercial, mais anti-raisonnable.

Que résulterait-il d’un exemple semblable, si quelques années après une disette survient ? quelle confiance inspirerez-vous aux spéculateurs qui seraient disposés à vous fournir des grains ?

Je n’hésite pas à dire que le système de M. Eloy de Burdinne valait infiniment mieux que celui de la commission. Je regrette de trouver, soit dans le discours prononcé par le rapporteur, soit dans son rapport, si peu de motifs pour justifier ce changement de système, d’autant plus que la France et l’Angleterre dont on a tant parlé ne sont plus soumises à ce système. Il a existé en France ; mais sous M. de Villèle et sous l’influence même des grands propriétaires on y a substitué les droits progressifs. Il a également existé en Angleterre, et là aussi on l’a remplacé il y a six ou sept ans par un tarif gradué.

Je demande, en présence de pareils exemples, quels sont les grands motifs qui ont fait adopter ce système repoussé partout, même par les partisans du système restrictif.

En voilà assez sur le minimum je n’ajouterai que quelques mots sur le maximum.

Le maximum est double, il contient deux choses. Il s’applique d’abord à la libre importation des grains et à la défense d’exportation.

Je trouve que c’est une mesure mal conçue que de faire coïncider ces deux changements au même taux du grain. Puisqu’on veut une défense d’exportation, je conçois qu’on en pose la limite à 24 fr. ; mais je ne conçois pas pourquoi il faut que le prix du grain ait atteint ce taux pour permettre la libre entrée des grains à l’étranger.

M. A. Rodenbach a bien senti cette différence. Il a, dans son amendement, laissé le maximum d’exportation à 24 fr., et il en propose un autre pour la libre entrée. Si vous voulez fixer un maximum, c’est dans ce sens-là qu’il faut l’établir.

Tant que le froment reste à 20 fr., le prix est assez élevé. Il est inutile de laisser les droits à l’entrée, vous devez les lever ; il n’y a plus de motifs pour imposer les grains étrangers. Quant à l’exportation, je conçois que vous ne pouvez pas la défendre à 20 fr., et qu’on doive la permettre au-delà de ce taux.

Tels sont les motifs qui me feront voter contre le minimum. Ne croyez pas que lorsque j’ai pris la parole dans le commencement de cette discussion, je me sois fait illusion sur le succès de l’opinion que je défends.

Je savais très bien quelle était à l’égard de la majoration des droits l’opinion de la majorité de la chambre ; je savais aussi quelle peut être en dehors de cette chambre l’opinion dominante sur cette question. Cependant cette considération ne m’a pas arrêté.

J’avoue que si le rejet de la loi dépendait de mon vote, aujourd’hui que l’opinion a été tant excitée dans ce sens par les propositions lancées dans cette chambre, je me demanderais si le rejet n’entraînerait pas un mal moral aussi grand que les inconvénients de son adoption. J’avoue que si j’étais ministre, et que la mesure dépendît d’un arrêté, je me demanderais si un gouvernement peut lutter violemment contre une opinion si forte, contre une erreur si enracinée ; je me demanderais si un gouvernement peut refuser quelque satisfaction même à des erreurs, lorsqu’elles ont ce caractère de généralité ; mais comme je n’ai pas l’honneur de faire partie du gouvernement et que je ne compte pas sur celui d’être cette fois de la majorité, je n’ai dû tenir aucun compte de ces considérations/

J’ai pensé que si la loi doit quelquefois céder aux erreurs populaires, le raisonnement ne doit cependant point perdre l’occasion de les détruire ; j’ai cru qu’en de telles circonstances il pouvait être utile que des hommes auxquels il est impossible de supposer un intérêt soit personnel, soit de localité ou de position, ne gardassent pas le silence et contribuassent chacun pour leur part à rectifier ce qui leur semble une opinion erronée.

J’ajoute que j’y ai été encouragé par le progrès qui s’est fait depuis 1822, progrès qui se manifeste, à mon avis, de plusieurs manières ; non seulement il n’y a plus à ce sujet, parmi les députés de la Belgique de 1834, la même unanimité que parmi les députés des provinces méridionales des Pays-Bas en 1822, mais plusieurs de nos collègues, en votant pour la loi, paraissent n’avoir d’autre but que de donner à l’agriculture une satisfaction quelconque, une satisfaction plutôt morale qu’effective. Ceux qui soutiennent le plus vivement le projet, attendent du système prohibitif des résultats bien moindres qu’on n’en espérait en 1822, et restreignent même son efficacité à de fort étroites limites ; cela me donne la confiance que l’opinion que je crois ici la meilleure ne sera pas toujours en minorité dans cette chambre, et qu’un jour viendra où on reconnaîtra qu’elle n’était pas tout à fait fausse.

(Moniteur belge n°197, du 16 juillet 1834) M. Helias d’Huddeghem. - On a soutenu que le système du maximum et du minimum était nouveau en Belgique. Mais on a oublié sans doute qu’il a existé, dans ce pays, pendant tout le temps de notre réunion à la France, et que c’est à ce régime que notre agriculture a dû sa prospérité, que le prix des terres s’est considérablement accru. Jamais nos cultivateurs n’ont été plus heureux. Le prix des céréales s’est maintenu à un prix très élevé. J’ai sous les yeux une statistique d’où résulte que de 1800 à 1815 le prix moyen du froment a été de 20 fr. l’hectolitre.

J’arrive à la période de notre réunion à la Hollande. On a réclamé à différentes reprises l’introduction du maximum et du minimum. En 1820, le gouvernement a pris en considération s’il fallait établir le maximum et le minimum. Mais, messieurs, un fort parti qui ne s’inquiétait nullement de l’agriculture s’est opposé à cette proposition ; alors on examina s’il ne fallait pas, à l’avantage de l’agriculture, établir un système de crédit foncier à l’instar de celui qui est en vigueur en Prusse.

Les états-généraux se sont encore opposés à cette proposition. Le Roi, dans le courant de 1822, prit l’avis des états provinciaux, et, par arrêté du 7 mars 1822, a nommé une commission pour discuter la matière. Elle a été d’avis qu’il était difficile d’allier la protection de l’agriculture, qui demande l’exclusion des grains étrangers, et l’intérêt du consommateur, qui réclame une liberté illimitée.

Le premier point auquel on s’est arrêté était l’immobilisation des grains. Mais la commission l’a regardé comme tout à fait inadmissible à cause des capitaux énormes qui seraient requis à cette fin, et inadmissible encore sous le rapport des greniers d’abondance qui auraient été très coûteux. On a dit que si le gouvernement se mêlait à faire des greniers de grains, qu’aucun particulier ne voudrait s’exposer à faire le commerce des grains.

L’autre question, s’il ne serait pas désirable de venir au secours de l’agriculture en lui procurant l’occasion de vendre ses produits ou de lui obtenir des avances, ce moyen a été considéré comme impossible dans la pratique ; enfin la commission nommée le 7 mars 1823 s’est finalement arrêtée au système du maximum et du minimum.

Ce résultat a donné lieu aux états-généraux pendant la session de 1825 à une discussion vive, et une majorité hollandaise prononcée contre le principe du maximum et du minimum. C’est, messieurs, au système suivi sous le gouvernement néerlandais que j’attribue la baisse considérable des céréales.

M. Canning, dont la haute sagesse avait apprécié les défauts des diverses lois promulguées sur les céréales, et dont les vues patriotiques embrassaient les intérêts généraux de son pays, sans avoir égard aux prétentions opposées des agriculteurs et des industriels, avait proposé en 1827 diverses résolutions très sages qui, quoiqu’ils échouèrent au parlement, furent reprises par sir Grant, en 1828, avec quelques légères modifications adoptées par le parlement : elles forment la loi actuellement en vigueur sur les céréales.

Le droit protecteur de 24 schillings par quarter de froment commence lorsque le prix courant de cette denrée est de 63 schillings ; les droits d’entrée diminuent à mesure que les prix courants augmentent. Ils ne sont plus que d’un schilling par quarter, lorsque le froment est monté à 73 schillings et au-dessus.

Le terme régulateur 24 schillings 1/3 du tarif protecteur suit, au contraire, une marche croissante dont la raison progressive est égale à la différence entre le nombre 63 schillings et ceux des prix courants inférieurs à ce dernier.

En France, le même système gradué existe quand le froment est à 15 francs l’hectolitre. Le droit d’entrée est à 13 francs 75 centimes ; les droits d’entrée diminuent à mesure que les prix courants augmentent. Ainsi quand le prix est à 14 francs par hectolitre, le droit est à 12 francs et ainsi de suite.

Pour les personnes de bonne foi, je crois qu’il n’y a pas de différence entre l’établissement d’un maximum et d’un minimum, et le système suivi en France et en Angleterre.

M. de Foere. - Les partisans du projet de loi qui nous est soumis, pour soutenir leur opinion, l’ont fondée, en grande partie, sur l’excédant des grains du pays sur la récolte de l’année dernière et sur l’excédant que nous offrira encore la richesse de la récolte actuelle. Si tel est le fait établi par nos adversaires mêmes, je demanderai sur quoi la section centrale se fonde-t-elle, pour nous présenter un maximum et un minimum ? Je le demanderai surtout, alors que la section centrale fixe le droit de protection à 37 fr. 50 c. par mille kil. Je demande quel besoin y a-t-il d’entourer encore ce droit exorbitant de la cuirasse d’un maximum et d’un minimum ? C’est vouloir évidemment détruire les bienfaits de la richesse des récoltes, et empêcher que la nation en éprouve les heureux résultats. Il importe de savoir sur quelle base la section centrale s’est fondée, en nous proposant le système du maximum et du minimum, ainsi que le quantum de ces termes extrêmes. Or, elle nous a laissés à cet égard dans l’ignorance.

D’autre part, un minimum, me semble-t-il, doit être calculé sur les prix auxquels le commerce peut livrer les grains étrangers à la consommation intérieure. Ces prix doivent être comparés aux nôtres. Or, la section centrale ne nous a rien appris à cet égard. C’était cependant là le point dominant de la discussion. Nous, adversaires du projet, nous avons établi ces calculs ; nous les avons pris dans une moyenne de dix et même de vingt années. Il est vrai que M. de Muelenaere a dit que nos chiffres se détruisaient mutuellement ; mais il n’a pas même cherché à prouver son assertion. C’est là, messieurs, trancher la question et non pas la débattre. D’un autre côté, l’honorable rapporteur de la section centrale a reconnu l’exactitude des chiffres du rapport fait par M. Jacobs au parlement d’Angleterre. Or, c’est dans ce document que nous avons puisé nos calculs.

La seule inexactitude que M. Coghen a cru y rencontrer se trouvait, selon lui, dans la mesure du quarter anglais comparée au quintal français ; mais cette erreur, si elle existe, n’affecte pas la mesure du pays. M. Coghen savait fort bien que le quarter anglais équivaut à peu près à trois hectolitres. Il existait donc une base certaine sur laquelle les prix des grains du nord, rendus dans le pays, pouvaient être comparés aux prix des grains du pays, pris, les uns et les autres, dans une moyenne de dix ou de vingt ans. Or, c’est ce que la section centrale n’a pas fait, et ce qui, selon moi, peut seul motiver un maximum et un minimum, ainsi que leurs limites.

Cependant, M. Eloy de Burdinne a évalué le prix des grains étrangers. Mais sur quels grains ses calculs se sont-ils portés ? Sur les grains qui se récoltent sur les bords de la mer Noire. Il vient de nous dire que là ces céréales sont portées au marché à quatre francs l’hectolitre. Mais à quoi bon ce chiffre, alors que les grains d’Odessa, en raison de l’élévation du fret, ne sont pas importés chez nous ? Ses calculs devaient se porter sur les grains étrangers que nous consommons.

Aux véritables causes de la dépréciation des grains que l’honorable député de Liége vient de vous signaler, j’en ajouterai une autre : des fermiers qui vivent dans l’aisance, en spéculant sur la hausse des céréales, ont conservé leurs grains dans leurs granges et sur leurs greniers. Des négociants en grains du pays ont fait la même spéculation. En conséquence, les uns et les autres n’ont pas voulu apporter leurs grains au marché. Le résultat en a été qu’une partie de la production étrangère est venue se substituer à la production du pays et est venue prendre sur nos marchés la place des céréales indigènes. De là, en grande partie, l’excédant dont vous vous plaigniez ; et partout où il y a excédant, il y a nécessairement baisse dans les prix.

Mais à qui la faute de cette abondance et de cette dépréciation qui en a été la conséquence naturelle ? Elle est évidemment à vos propres fermiers, à vos propres spéculateurs qui, non contents des bienfaits dont jouit la société en général par la richesse et l’abondance des récoltes, veulent forcer un état de choses qui est en dehors de leur pouvoir.

On a souvent invoqué, dans cette discussion, l’exemple de l’Angleterre et de la France. Vous venez d’entendre l’honorable préopinant, M. Helias d’Huddeghem, qui se fonde encore sur la législation céréale de ces deux pays. Eh bien, ni l’Angleterre ni la France ne suivent le système d’un maximum et d’un minimum. Quand ces exemples sont en apparence favorables à nos adversaires, ils nous proposent de les suivre, et quand ils ne leur sont pas favorables, ils nous proposent de ne pas les suivre. C’est admettre un système d’argumentation bien commode, lorsqu’on s’embarrasse peu des contradictions dans lesquelles on tombe.

J’ai dit : « lorsque la législation étrangère leur est en apparence favorable : » je soutiens, quant à la question du fond, que cette législation ne leur est pas favorable. Les deux termes de la comparaison sont loin d’être identiques. L’Angleterre protège les céréales du pays par des motifs évidents de justice. C’est sur l’agriculture que pèsent exclusivement, en Angleterre, l’énorme taxe de la dîme et celle des pauvres non moins énorme. Eu égard au principe incontesté que les charges d’un pays doivent peser, d’une manière égale, sur tous ses habitants, les partis whigs et torys, tous conviennent qu’il est juste que l’agriculture reçoive des compensations. Le conflit, en Angleterre, ne se porte que sur le quantum, sur la proposition de ces compensations. La France n’est pas non plus un terme de comparaison. Son système commercial est à la fois protecteur et financier. Son gouvernement avoue qu’il impose en même temps un impôt sur le consommateur.

La chambre paraît se fractionner depuis peu en satisfactionnaires et protectionnaires. Je me rangerai parmi les derniers toutes les fois que les vrais intérêts du pays me paraitront l’exiger, et jamais je ne me rangerais parmi les premiers, si, dans des cas donnés, comme dans celui-ci, il ne résultait pas de mon vote négatif une augmentation d’un droit que déjà je repousse en totalité.

Pour ce motif, et attendu que j’appartiens à une évidente minorité, je serai disposé à admettre un droit modéré. Mais, je le répète, ce droit, dans mon opinion, est contraire aux vrais intérêts du pays considéré en masse ; il ne peut, comme j’ai tâché de le prouver dans une séance précédente, protéger, en dernier résultat, que le propriétaire seul qui n’éprouve aucun besoin de protection. Ce droit sur les céréales est nuisible à l’immense masse des consommateurs ; il l’est au fermier même, il anéantit, en outre les bienfaits de la richesse des récoltes.

M. Dumont. - La question qui nous occupe est celle de savoir si vous adoptez dans le tarif un minimum et un maximum.

Le premier orateur qui a parlé contre ce système, et c’est surtout dans l’intérêt du commerce qu’il l’a fait, a prétendu que le maximum et le minimum anéantiraient le commerce.

Messieurs, en 1823, lorsque nous avons discuté la loi qui nous régit en matière de céréales, tous les Hollandais ont prétendu aussi que le commerce des grains allait être anéanti ; je pense que notre commerce a été aussi bien qu’avant la loi de 1823, et que même il y a eu progrès.

Le commerce des grains a été libre jusqu’en 1823, et la modification qu’on apporta alors à la législation, loin de nuire au commerce des grains, lui fut avantageuse. Mais je me bornerai seulement à prouver que la mesure n’a pas nui au commerce des grains.

M. le ministre de l’intérieur s’est appuyé d’une opinion que j’aurais émise pour soutenir la fixité du tarif. Je lui ferai observer qu’il ne m’a pas compris ; car, à l’heure qu’il est j’hésite encore si je dois me prononcer en faveur d’un droit fixe ou d’un droit progressif. Ce que j’ai demandé, c’est la fixité de la législation sur les grains.

Je crois que jusqu’à présent nous n’avons pas eu cette fixité. Si le système sous lequel nous vivons avait été reconnu avantageux à la consommation, à l’agriculture et au commerce, je n’en demanderais pas le changement. Mais il n’est pas avantageux au commerce, parce qu’il n’a pas de fixité. Le commerce est exposé à voir les grains frappés de prohibition tantôt à la sortie tantôt à l’entrée.

Je crois pouvoir dire que le gouvernement veut de la prohibition à la sortie, car en 1833, lors de la discussion du projet de loi qui a amené l’établissement du tarif qui nous régit, le gouvernement lui-même sentait qu’il y avait des circonstances où la prohibition à la sortie était nécessaire. Dans sa proposition il réservait au Roi seul le droit de prohiber les grains à la sortie.

La chambre n’a pas admis cette proposition ; mais je pense qu’elle l’a rejetée par le motif qu’elle ne voulait pas que cette mesure pût être établie par arrêté, mais seulement par la loi. Cette proposition était contresignée par deux ministres : le ministre des finances et le ministre de l’intérieur actuel.

Je crois donc que le commerce a préféré savoir quand il y aura prohibition que d’être exposé à des prohibitions qui arrivent tout à coup. Il vaut mieux dès lors tirer de suite le commerce de l’incertitude que de l’y laisser encore pour ne l’en faire sortir que plus tard. Pour avoir déclaré la permanence de la loi, cela n’empêchera pas, quand de nouvelles lumières nous parviendront, d’en profiter et d’introduire dans la loi les améliorations jugées nécessaires.

D’après les calculs de M. Eloy de Burdinne, il vous a été prouvé combien les fermiers souffriraient si les grains étaient à un prix excessif. Pour mieux faire comprendre mon idée, je suppose que la récolte ne suffise qu’à la consommation personnelle du cultivateur et à l’ensemencement des terres ; c’est dans un cas semblable que les mesures prises en faveur de la consommation portent le plus grand préjudice à l’agriculture. Si donc on lui impose des sacrifices à une certaine époque, je vous demanderai si dans une position tout à fait contraire, c’est-à-dire lorsque les prix sont bas, il n’est pas juste de lui offrir des dédommagements.

Je me prononcerai encore pour le minimum. J’ai déjà fait comprendre les avantages que pourra présenter le minimum, et si en propose l’adoption, c’est que je ne crois pas que ce soit l’intention de la chambre comme ce n’est pas la mienne de favoriser une classe de la nation aux dépens de l’autre.

Je ne crois pas que les entraves que l’on dit que le projet apportera au commerce soient réelles. Quand le prix des grains montera à 13 francs, le minimum ne pourra être nuisible au commerce attendu que le commerce ne se livre jamais à l’exportation à un pareil taux. Quand le prix des grains au contraire, sera à 20, on ne peut prétendre que nous voulions gêner le commerce puisque le taux de 20 francs, qui était adopté par l’ancienne loi sur les céréales, nous le portons à 29 francs.

Un honorable orateur qui a été rapporteur de la section centrale est étonné des progrès que nous avions fait dans la voie des prohibitions. Lui-même a détruit son raisonnement en disant qu’il n’avait pour adversaires que la minorité. On ne peut donc conclure de ce qu’il dit que la chambre ait adopté une marche contraire à celle qu’elle a suivie l’année passée.

Si, en 1823, les députés du midi, à l’exception de deux ou trois, mais qui tenaient à une ville de commerce, à la ville d’Anvers, ont été unanimes pour voter la loi, c’est qu’ils étaient dans la persuasion qu’ils ne pourraient obtenir davantage, et ils se sont ralliés au projet du gouvernement par cette raison qu’il vaut mieux obtenir un peu que ne rien obtenir du tout. Je crois me rappeler que les députés du midi ont voulu un système semblable à celui qui existait en France, et qu’ils ont voulu le minimum ; car à cette époque, si je ne me trompe, le minimum existait en France. Je pense que l’opinion en Belgique n’est pas changée depuis 1823.

On nous dit que nous confondons la cause et l’effet ; mais nous convenons qu’en 1833 et 1834 ce n’est pas l’importation des grains qui peut avoir fait baisser le prix les grains.

J’ai déjà dit dans une précédente séance que je ne crois pas que la loi aura de l’effet dans les circonstances présentes, parce qu’il y a dans le pays une quantité considérable de grains étrangers ; mais si la loi n’amène aucun résultat pour cette année, elle en aura plus tard, et nous devons toujours l’adopter.

Chacun voit les choses d’une manière différente. Je me suis permis de dire que je ne trouve pas pertinents les faits posés par M. Devaux. L’honorable membre a fait dépendre la question de celle de savoir si l’agriculture est dans un état satisfaisant : j’admets que l’agriculture soit dans un état prospère, et je veux encore la loi, parce qu’elle propose des mesures non seulement en faveur de l’agriculture, mais en faveur du consommateur.

Relativement à la comparaison qu’on a faite du prix des céréales en France et du prix en Belgique, je dirai que pour que cette comparaison fût concluante, il faudrait supposer que la production des grains étrangers fût la seule cause qui puisse influer sur le taux du prix ; mais il existe d’autres causes. On a cité le prix des départements voisins de la Belgique, qui sont très féconds ; je ne crois pas en effet que nous ayons une province aussi riche en produits que le département du Nord.

Quoi d’étonnant, si malgré le système prohibitif le grain est là meilleur marché qu’en Belgique, c’est qu’il y en a en abondance. En conséquence, je dis qu’on ne peut rien conclure de ce fait.

On dit : gardons-nous d’entrer dans des voies prohibitives. Mais, messieurs, ce ne serait pas le premier pas que nous y ferions, le système prohibitif existe déjà pour les autres industries. Il est fort commode de venir invoquer la liberté du commerce et de plaider contre un système protecteur quand toutes les industries sont protégées et qu’on voudrait en excepter une seule.

C’est précisément parce que la plupart des industries sont protégées, qu’il faut adopter des dispositions qui dédommagent celles qui ont éprouvé quelque préjudice de cette protection.

On a dit que le commerce était prospère, que les ouvriers étaient à l’aise, heureux, tandis qu’en 1833, la chambre recevait des pétitions nombreuses qui attestaient la misère des ouvriers ; et l’on a présenté comme preuve que l’agriculture n’éprouvait aucune souffrance, de la difficulté de trouver des ouvriers.

Je pense au contraire que cette difficulté n’améliore pas la position de l’agriculteur, elle l’entraîne au contraire dans des frais plus considérables. Cette difficulté ne vient pas non plus de la prospérité de l’agriculture, mais du nombre d’hommes retenus sous les drapeaux ; des travaux de canalisation qu’on fait en France pour joindre la Sambre à l’Oise. Le chemin de fer occupe aussi beaucoup de monde. Rien ne prouve que l’agriculture n’est pas en souffrance.

Je suis bien aise d’apprendre que le commerce est très prospère. Il sera alors en position de supporter les sacrifices qu’on lui demande en faveur de l’agriculture.

On a dit aussi que le moment était mal choisi pour établir des mesures prohibitives, alors que nous envoyons des députés vers la France pour tâcher de conclure un traité de commerce.

Si on avait appliqué ces observations au droit de transit, je l’aurais conçu, mais comme nous ne changeons rien au transit, les blés que la France tirait des autres pays et qui transitaient par la Belgique, transiteront de la même manière qu’auparavant.

On a dit : Vous voulez avoir une moyenne de 18 à 20 francs ; voilà votre but dans le système actuel,. Nous avons eu une moyenne plus forte. Mon but n’est pas d’augmenter la moyenne du prix des grains. Je n’ai d’autre intention que d’en empêcher la variation trop grande. Je veux que la loi soit aussi bien faite en faveur de l’agriculteur que de l’ouvrier. Or, l’ouvrier dans les temps d’abondance (c’est un fait connu) ne fait pas d’économie. Si donc vous empêchez les grains de tomber à trop bas prix, pour éprouver ensuite une hausse rapide, vous évitez à l’ouvrier l’effet de ces réactions dont il ne peut profiter. Ceci peut servir de réponse aux arguments que l’on a tirés du projet en faveur des fabricants.

J’ai aussi une observation à faire, relativement au prix des fourrages que l’on dit devoir indemniser le fermier, lorsque le prix des grains est tombé. Je ferai observer que le fermier ne peut vendre la paille résultant de la récolte. (Dénégations.) S’il y a des exceptions, ce n’est qu’auprès des villes où le fermier peut se procurer des engrais. Mais presque tous les baux imposent au fermier l’obligation de conserver la partie pour fumer les terres. Ainsi, l’avantage qui résulterait de la vente des fourrages, quand le prix est trop élevé, est donc nul.

Pour ce qui est des grains entreposés dont on demande l’entrée dans notre pays, je ferai observer qu’il se pourrait qu’il existât en France, à certains moments, un dépôt considérable de grains qui, entreposés, ne trouvât aucun débouché à cause de la hauteur des droits. Les détenteurs de ces grains, ne trouvant aucun moyen de s’en défaire, ne demanderaient pas mieux que de les déverser dans notre pays, et de s’en défaire à quelque prix que ce fût, fût-ce à 40 p. c. de perte, de sorte que les mesures que nous aurions prises seraient complètement inutiles.

Je ferai remarquer encore que la limite de 13 à 25 fr., est assez large, et que la prohibition n’est pas assez forte pour que le commerce en souffre.

On s’est plaint de ce que les cultivateurs doivent garder leurs grains : c’est à tort ; il vaut mieux que les magasins soient remplis pour prévenir l’effet des mauvaises récoltes, et d’ailleurs je crois que les propriétaires attendront toujours pour vendre le moment où les grains deviendront plus rares. A cette occasion, je dirai que je ne crois pas que la récolte soit aussi favorable cette année que les années précédentes. Dans plusieurs provinces le froment est attaqué par un insecte qui le ronge entièrement.

- Il est 5 heures, la séance est levée.