(Moniteur belge n°193, du 11 juillet 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse procède à l’appel nominal à midi et demi.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressés à la chambre.
« Plusieurs habitants de Tervueren s’adressent à la chambre afin d’être déchargés des logements militaires. »
« L’administration communale et les habitants notables des communes de Morlé et Thismes (Namur) demandent que la chambre intervienne pour faire cesser leurs logements militaires et caserner les troupes dans les villes. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen des pétitions.
« Plusieurs notaires demandent le rapport de la loi du 25 ventôse an X, sur le notariat. »
« Les bourgmestres des communes composant le canton de Quévaucamps (Ath) réclament contre le projet de transporter le chef-lieu de ce canton dans la commune de Bel-Œil. »
- Renvoyées à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur les circonscriptions judiciaires.
« Le baron de Poederlé, propriétaire, domicilié à Bruxelles, se plaint de la violation de l’article 11 de la constitution, en ce que par ordre du ministre de l’intérieur, une partie de sa propriété a été envahie pour la construction du chemin de fer, sans qu’il ait reçu une juste et préalable indemnité. »
M. Liedts. - Parmi les pétitions dont on vient de vous faire connaître analytiquement l’objet, je viens d’en remarquer une d’une propriétaire dont la propriété doit être traversée par le chemin de fer, et qui se plaint des moyens violents que l’on veut employer pour le déposséder.
Personne ne peut être privé de sa propriété sans une juste et préalable indemnité. Si les faits cités sont exacts, ils sont très graves. Dans une circonstance semblable on peut bien passer par-dessus les formes ordinaires ; je proposerai de renvoyer la pétition directement à M. le ministre de l'intérieur.
Sans respect pour les lois et pour l’article 11 de la constitution, on se serait emparé d’un terrain par où doit passer le chemin de fer ; on se serait dispensé d’un jugement provisoire avant de disposer de la propriété. Attendu la gravité de ces allégations, je demande que la pétition soit renvoyée au ministre de l’intérieur.
M. le président donne ici lecture de la pétition.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, je demande moi-même le renvoi de la pétition au ministre de l’intérieur. Le fait énoncé par le propriétaire m’est tout à fait inconnu. Je n’ai point appris qu’on se soit emparé de vive-force d’un terrain de quatre bonniers ni d’aucun autre terrain.
Je serai toujours le premier à appeler toute publicité sur les actes de l’administration pour ce qui concerne le chemin de fer ; je serai toujours le premier à appeler le contrôle de la chambre sur ces actes. Depuis que les travaux relatifs au chemin de fer sont commencés, différentes absurdités ont été publiées par les feuilles ; le gouvernement n’a pas cru devoir y répondre d’une manière officielle ; mais quand des accusations viennent devant la chambre, le gouvernement s’empressera de justifier ses actes s’ils sont justifiables, ou de les réparer si des abus ont été commis par ses agents.
M. le président. - On demande le renvoi de la pétition au ministre de l’intérieur.
M. Dumortier. - Avec demande d’explications.
M. d’Huart. - Il s’agit d’une question sur un objet des plus importants ; il s’agit de la violation du droit de propriété. Si les faits sont vrais, on a lacéré l’article 11 de la constitution. Il faut que la chambre montre toute sa sollicitude pour la conservation de la loi fondamentale, il faut qu’elle demande des explications au ministre dans le plus bref délai, afin de savoir quelles mesures elle doit prendre dans l’intérêt de la constitution et dans l’intérêt de la dignité du pays.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne sais quelle mesure la chambre pourrait prendre dans l’intérêt de la dignité du pays. Je ne m’oppose pas au renvoi de la pétition au ministre ; mais je m’oppose à ce que des explications soient demandées dans le plus bref délai possible. Il se peut que le réclamant soit dans l’erreur ; cependant le bref délai serait préjuger contre les actes de l’administration.
Je demande le renvoi simple. Je ferai observer que s’il y a violation de la propriété, les tribunaux sont là pour juger le fait, et poursuivre les violateurs d’un droit constitutionnel. Les tribunaux même sont, dit-on, déjà saisis de la question, de manière qu’il n’y a rien de très urgent à obtenir des explications. D’ailleurs je les donnerai le plus tôt possible.
M. Dumortier. - J’appuie pour mon compte et de tous mes moyens la proposition de M. d’Huart. Il est vrai qu’elle n’est pas conforme à ce qui se pratique ordinairement en matière de pétitions ; il est très vrai aussi que la pétition repose sur un fait extraordinaire. En effet, on vous signale une des violations les plus graves que l’on puisse commettre contre l’ordre social et contre la constitution. Le ministre nous dit ne pas savoir ce que la chambre peut faire en pareil cas ; eh bien, il faut le lui apprendre ; en pareil cas on peut mettre les ministres en accusation.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Mettez ! mettez !
M. Dumortier. - Voilà ce que l’on ferait en Angleterre et voilà ce que notre devoir nous dicterait de faire.
Il ne faut pas qu’on s’y trompe : la liberté individuelle, le respect des propriétés, la liberté de la presse, la liberté des cultes, toutes les libertés se tiennent par la main. Si vous permettez une fois que l’une soit violée, vous devez vous attendre à la violation de toutes les autres. Je m’étonne que le ministre qui appelle lui-même le contrôle de la chambre sur les actes de l’administration, qui vient de vous dire qu’il est satisfait de voir la publicité s’étendre sur toutes les opérations relatives au chemin de fer, sur tous les travaux qui grèveront si fort le trésor public, je m’étonne qu’après s’être expliqué de la sorte, il s’oppose aux explications dans le plus bref délai possible.
On objecte : Mais ordinairement cela ne se fait pas ; on renvoie les pétitions au ministre qui fait ensuite un rapport. Messieurs, vous ne devez pas ignorer que lorsque vous renvoyez les pétitions aux ministres avec demande d’explications, il s’écoule cinq ou six mois avant d’obtenir réponse ;. voilà pourquoi j’appuie la proposition de M. d’Huart : il ne faut pas que de nouvelles violations de propriété aient lieu envers d’autres citoyens. Le ministre ayant promis promptement un rapport, il est donc disposé à satisfaire la chambre.
M. Jullien. - Si j’ai demandé la parole, c’est pour rectifier les idées du ministre sur les pouvoirs de la chambre. Il a semblé dire que le propriétaire devait s’adresser aux tribunaux, comme s’il déclinait l’autorité de la chambre ; il ne nous appartient pas seulement de faire des lois ; il nous appartient encore de surveiller leur exécution : il n’y a même que le pouvoir législatif qui ait le droit de surveiller l’exécution des lois lorsque le pouvoir exécutif s’en écarte ; c’est là un principe de droit public, c’est pourquoi la constitution nous a donné le droit d’enquête. Eclairés par les enquêtes, c’est à nous à ramener le pouvoir exécutif à l’exécution des lois. Or, il n’y a pas de violation plus flagrante des lois que d’être dépouillé de sa propriété sans indemnité. Nous demandons des explications, pourquoi ? C’est parce qu’il paraît que d’autres propriétaires seront dans le même cas que celui dont la plainte nous est parvenues.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est tout à fait inexact.
M. Jullien. - Je tiens mes renseignements d’une personne qui appartient à la chambre, et à la véracité de laquelle je crois autant qu’à celle du ministre, sans lui faire injure. Si les propriétaires sont dépouillés violemment, il faut que les agents de l’administration n’aient pas reçu d’instructions ou qu’ils en aient reçu de très mauvaises. Le chemin de fer est une superbe entreprise ; mais il faut l’exécuter en respectant les lois. La demande d’une explication prompte est tout à fait justifiée par les motifs exposés par les préopinants et par les motifs que moi-même j’expose.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Ayant dit que je donnerais des explications dans le plus bref délai, il me semblait que tout devait être terminé par là. Si l’on insistait sur le reproche préalable à toute investigation, sur cette prévention contre le ministre, je ne me croirais pas lié par la promesse que j’ai faite. La formule adoptée pour demander des explications est celle qui est mise en usage par la chambre.
La chambre doit, dans cette circonstance comme dans toute autre, compter sur ma promesse ; je serai toujours prêt à soumettre aux chambres tous les actes de mon administration et notamment ceux qui concernent le chemin en fer. J’y suis d’autant plus intéressé que les adversaires de cette entreprise nationale ne manqueront pas d’en entraver l’exécution par tous les moyens possibles. J’appelle le contrôle de la chambre, mais sans partialité et sans précipitation. La plainte a d’autant plus lieu de me surprendre qu’aucune propriété n’a donné lieu jusqu’ici à une difficulté sérieuse, et que tout s’est fait à l’amiable et sans opposition.
C’est pour répondre à une confidence qu’avait reçue M. Jullien d’un de ses collègues, que je donne ces éclaircissements. Ma réponse s’adresse et à M. Jullien et à son collègue.
M. de Muelenaere. - Messieurs, je crois que la discussion actuelle est oiseuse, et je vous avoue que c’est avec peine que j’entends parler d’accusation. En effet, de quoi s’agit-il ? Un habitant de Bruxelles se plaint d’une atteinte portée à sa propriété et signale une violation à l’article 11 de la constitution : M. le ministre présent à la séance déclare qu’il n’a aucune connaissance du fait, et que si une atteinte avait été portée à la propriété d’un particulier, si on avait violé la constitution, ce ne pouvait être que de la part d’un agent inférieur de l’administration, et qu’il se ferait un devoir de redresser l’erreur ou l’abus.
Il me semble messieurs, qu’il ne peut être question ici d’accusation, les ministres ne peuvent devenir responsables d’un fait commis par un de leurs agents inférieurs à leur insu ; tout ce qu’on peut exiger d’eux c’est qu’ils fassent redresser l’erreur ou l’abus.
Lorsqu’on a proposé le renvoi au ministre de l’intérieur avec demande d’explications, M. le ministre a dit qu’il ne s’opposait pas à ce renvoi, et qu’il prenait l’engagement de donner des explications dans le plus bref délai possible, c’est-à-dire dans le délai nécessaire pour prendre les renseignements qui doivent être pris afin que le ministre lui-même s’éclaire ; c’est seulement lorsqu’il aura ces renseignements que M. le ministre pourra donner des explications.
Je le répète, la discussion actuelle n’a aucun but.
M. d’Huart. - Lorsque j’ai demandé le renvoi de la pétition avec des explications dans le plus bref délai possible, je vous prie de remarquer, messieurs, que M. le ministre de l’intérieur n’avait pas dit un seul mot sur la prompte réponse dont on vient de parler. Il s’était exprimé sur la pétition avec une sorte d’indifférence et en avait parlé à la chambre comme d’une chose ordinaire, très simple et semblable au cas que présentent les pétitions qui nous sont lues tous les jours. Voilà pourquoi j’ai demandé des explications dans un bref délai.
Maintenant, puisque M. le ministre déclare qu’il donnera des explications dans le plus bref délai possible, je ne suis pas assez absurde pour réclamer ce que le ministre demande lui-même.
Je répondrai à M. de Muelenaere que personne n’a demandé d’accusation pour le cas dont il s’agit ; l’honorable M. Dumortier, en répondant à M. le ministre de l'intérieur qui semblait en quelque sorte braver la chambre, a dit : Voilà ce que la chambre pourrait faire dans ce cas-là. L’honorable M. Jullien a dit ensuite qu’on pourrait faire une enquête ; mais une accusation n’est entrée dans la tête de personne.
M. le ministre a parlé d’adversaires du chemin de fer : si M. le ministre pense que c’est parce que je suis un adversaire du chemin de fer que j’ai parlé en faveur de la pétition, il se trompe. Je ne vois ici que la constitution, et chaque fois qu’il sera question de l’enfreindre, je m’efforcerai de la maintenir dans toute son intégrité.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne m’adressais pas à l’honorable M. d’Huart.
M. de Renesse. - Je dois dire que des propriétaires de Malines se proposent d’assigner en justice le gouvernement, pour les mêmes faits qui ont été signalés dans la pétition.
M. Jullien. - Ce que vient de dire M. de Renesse prouve l’urgence des explications, et répond aux insinuations auxquelles M. le ministre de l’intérieur s’est livré au sujet des renseignements dont j’ai parlé moi-même. (Aux voix ! aux voix !)
- La pétition est renvoyée à M. le ministre de l'intérieur avec demande d’explications.
M. le président. - La délibération est repris sur l’article 6.
« Art. 6 (du projet du gouvernement). Ne peuvent faire partie des conseils municipaux :
« 1° Les gouverneurs de province ;
« 2° Les membres de la députation permanente du conseil provincial ;
« 3° Les secrétaires-généraux des gouvernements provinciaux ;
«4° Les commissaires de district et de milice ;
« 5° Les employés salariés par la commune ;
« 6° Les commissaires et agents de police et de la force publique. »
« Art. 6 (du projet de la section centrale). Ne peuvent faire partie des conseils de régence :
« 1° Les gouverneurs de province ;
« 2° Les membres de la députation permanente du conseil provincial ;
« 3° Les greffiers provinciaux ;
« 4° Les commissaires de district et de milice ;
« 5° Les militaires et employés militaires appartenant à l’armée de ligne en activité de service ou en disponibilité ;
« 6° Les employés salariés par la commune ou par les administrations dépendantes de la commune ;
« 7° Les commissaires et agents de police et de la force publique. »
Voici les amendements qui sont proposés sur cet article :
Amendement de M. F. de Mérode : « Les ministres des cultes rétribués par l’Etat ou la commune en en fonctions dans la commune. »
M. d’Hoffschmidt propose d’ajouter, aux incompatibilités énumérées à l’article 6 le numéro suivant : « 5° Les ministres des cultes. »
M. d’Huart propose le sous-amendement suivant : « Les ministres des cultes en fonctions dans la commune. »
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je repousserai tous les amendements qui ont été présentés dans la séance d’hier, relativement à l’exclusion des ministres des cultes du conseil communal. J’excepte toutefois l’amendement de M. le ministre de l'intérieur. Dans cet amendement ce n’est pas le prêtre que M. le ministre exclut, mais l’homme salarié par la commune.
On a dit, dans la séance d’hier, que puisque les ecclésiastiques ne font pas partie de la milice, de la garde civique, on peut avec autant de raison les exclure du conseil communal. Messieurs, si c’était un service actif que d’être membre du conseil de la commune, je conçois que si les ministres des cultes ont des privilèges, il soit prononcé contre eux certaines exclusions.
Je conçois qu’on ne les considère pas comme des citoyens ordinaires, et qu’on les exclue comme bourgmestre et comme échevins, parce qu’il s’agit là d’un service actif incompatible avec le caractère d’ecclésiastique.
Je conçois encore qu’on prononce contre les membres du clergé l’exclusion des fonctions de gouverneur de province ; mais c’est justement parce que vous prononcez contre ces exclusions, qu’ils ont quelques privilèges dans l’intérêt même de la liberté des cultes.
Je crois qu’il est rationnel que les ministres des cultes puissent faire partie du conseil de la commune.
Je suis, messieurs, assez partisan des faits : le gouvernement provisoire a fortement protégé les libertés, il n’a point voulu de l’exclusion des prêtres du conseil communal. Eh bien, les ministres des cultes n’ont point voulu entrer dans le conseil municipal ; on assure que les évêques leur ont donné l’ordre de ne pas accepter les fonctions qui leur seraient offertes, et des prêtres sentaient leur position délicate dans le sein du conseil.
Ainsi, lorsque l’on parle ici d’exclusions, je ne le conçois pas, puisqu’on ne peut craindre l’abus, puisque les membres du clergé ne veulent pas accepter les fonctions de conseillers communaux. C’est donc, ainsi qu’on l’a dit, une injure gratuite que l’on prête aux prêtres. Il faut des faits pour motiver l’exclusion que l’on demande, et il n’y en a pas ici.
Nous devons être conséquents en tout ; nous admettons des membres du clergé dans cette chambre, et ils peuvent y voter des 80, des 100 millions ; nous les admettons dans les conseils provinciaux où ils votent aussi des millions, et quand il s’agit des conseils communaux, où ils n’auraient qu’à voter sur des sommes beaucoup moindres, sur des sommes qui ne s’élèveraient pas à plus de 100,000 fr., vous prononcez contre eux une exclusion. N’y a-t-il pas là une inconséquence, d’après ce que vous avez décidé ? Je ne soutiens pas qu’il faut que les prêtres siègent au conseil communal, mais je soutiens en principe qu’ils doivent pouvoir être choisis pour y siéger.
On parle du droit canon qui s’oppose, dit-on, à ce que les prêtres fassent partie du conseil municipal : messieurs, ce n’est pas à nous à interpréter le droit canon, c’est aux prêtres à savoir quelles fonctions ils peuvent accepter. L’interprétation du droit canon appartient aux évêques, il n’est pas de notre compétence ; nous ne devons rien connaître en matière religieuse.
On a dit que ce serait une économie, si les curés étaient bourgmestres, si les évêques étaient gouverneurs, et si les archevêques étaient ministres ; c’est là, messieurs, une plaisanterie qu’il est inutile de réfuter.
Quant au parallèle du clergé de France et du clergé belge, on a dit qu’en France, avant la révolution de juillet, les membres du clergé s’étaient associés avec le pouvoir, avec un gouvernement cagot pour détruire toutes les libertés du pays.
En France, messieurs, les prêtres carlistes ont effectivement voulu anéantir la liberté de la presse et les autres libertés ; mais, en Belgique, les prêtres les ont toutes acceptées.
Ils ont demandé le jury, la liberté provinciale et communale, un cens électoral peu élevé ; en France, les membres du clergé ont repoussé ces institutions et en cela les prêtres carlistes ont été d’accord avec les orangistes.
Je le répète, les prêtres ont voulu toutes nos institutions libérales, et je rappellerai que dans le congrès il y a eu des ministres du culte qui ont voté la constitution.
Je voterai seulement pour l’amendement de M. le ministre de l’intérieur.
M. d’Hoffschmidt. - Le principal argument que l’honorable M. Dubus a fait valoir contre l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer, c’est que, dans l’état de notre législation, les ministres du culte, éligibles au conseil communal, ne font pas usage de la faculté qui leur est accordée de siéger dans ce conseil.
Mais, messieurs, la raison en est très simple.
Lorsque les habitants ont été appelés à élire les chefs de l’administration communale, ils ne pouvaient pas supposer que les ministres des cultes pussent être élus membres du conseil communal, car on n’en avait jamais vu faire partie de ces conseils.
Je sens qu’on me répondra que si les habitants ignoraient que les ministres du culte fussent aptes à faire partie du conseil, ceux-ci le sauraient et auraient eu soin de l’apprendre aux électeurs dont ils auraient voulu obtenir les suffrages. Mais vous savez tous que les ministres du culte ont un esprit de corps et beaucoup de tactique.
Ils ont senti qu’il y aurait une loi communale, qu’ils devaient s’abstenir de paraître dans les conseils avant que la loi fût votée pour ne pas, par trop de précipitation, éveiller l’attention sur l’influence qu’ils peuvent exercer et se nuire ainsi pour l’avenir. Voilà, selon moi, les raisons pour lesquelles on voit fort peu de ministres du culte faire partie des conseils communaux.
Si plus tard, dit l’honorable M. Dubus, on s’aperçoit de quelques abus, le législateur pourra y porter remède. Cet argument, selon moi, ne signifie pas grand-chose. Vous savez que pour rapporter une disposition d’une loi, il faut le concours des trois branches du pouvoir législatif, et il suffit de l’opposition d’une seule branche pour empêcher qu’un article soit rapporté.
Voici un autre argument présenté par l’honorable député auquel je réponds. Tout amendement, dit-il, tendant à établir une exclusion que le gouvernement provisoire n’a pas cru devoir prononcer contre les ministres des cultes est une injustice et une injure. Et en effet, l’arrêté du gouvernement provisoire n’a pas établi d’incompatibilité entre les fonctions de ministre du culte et celles de membre du conseil municipal. Mais alors tous les citoyens étaient admis, aucun n’était excepté. Aujourd’hui de nombreuses incompatibilités ont été prononcées. Pourquoi ne pas ranger parmi ces incompatibilités des ministres du culte, par les raisons que j’ai exposées hier ?
Où est, je vous le demande, l’injustice qu’on peut trouver dans cette incompatibilité ? Pourquoi y aurait-il plus d’injustice à la prononcer à l’égard des ministres des cultes qu’à l’égard de tant d’autres citoyens ? L’honorable M. Dubus trouve aussi que l’exclusion est injurieuse pour les ministres du culte ; c’est pour ce motif seul qu’il s’y oppose. En quoi serait-elle injurieuse ? L’est-elle pour les greffiers des conseils provinciaux, pour les militaires appartenant à l’armée ? L’est-elle pour les employés salariés par la commune et pour tous les fonctionnaires exclus jusqu’à présent ? Cette exclusion n’est pas plus injurieuse pour une catégorie de citoyens que pour l’autre. S’il y a injure, c’est quand, sur la proposition de M. Dubus, vous excluez les citoyens qui ne paient pas le cens, sous prétexte qu’ils sont des fauteurs de désordres. Voilà où je vois l’injure.
L’honorable membre, en commençant, s’est armé de l’ironie pour me répondre. Je conçois la chaleur avec laquelle il combattait mon amendement ; mais je lui demanderai s’il croit que le saint zèle qui l’anime l’autorise à dénaturer les expressions de celui à qui il répond (hilarité). C’est cependant ce qu’a fait l’honorable M. Dubus. Vous vous rappelez que, dans la séance d’hier, j’ai dit que si un ministre du culte faisait partie du conseil, la discussion n’y serait plus libre parce que son caractère l’entourait de trop de respect pour que ses collègues osent le contredire quand ils ne partagent pas son opinion.
J’ai cité un exemple ; j’ai parlé d’un conseil, unanime pour prendre une résolution, qui, à l’arrivée du curé et sur sa proposition adopta une résolution contraire sans lui opposer une seule objection. J’ai ajouté que ce curé était aimé et qu’il avait de l’influence. J’ai ajouté cela parce que je n’ai pas voulu dire par là que tous les ministres du culte avaient de l’influence, car il y en a qui se conduisent si mal qu’ils ne peuvent en avoir aucune.
L’honorable membre m’a fait dire, dans sa bienveillance, que le curé avait eu le tort d’employer des arguments auxquels on ne pouvait répondre, d’être un homme judicieux usant d’arguments solides, difficiles à réfuter et rendant à tout le monde des services qui le faisaient aimer.
Vous avouerez qu’il faut qu’il soit bien dénué de raisonnement pour employer de pareils moyens pour combattre mon amendement. Ce qui m’a surtout étonné, c’est qu’il a dit qu’on redoutait les lumières des ministres des cultes. Ce que nous redoutons, messieurs, c’est l’influence du confessionnal, l’influence de la chaire d’où ces ministres lancent l’anathème.
L’honorable député auquel je réponds a dit que si nous redoutions l’influence du curé, nous devrions craindre également celle du riche propriétaire. Mais l’influence que le grand propriétaire exerce est d’une tout autre nature que celle du curé. Cette influence il ne l’obtient que par sa capacité et le bien réel qu’il fait ; il l’a encore à raison des grandes propriétés qu’il possède. S’il est propriétaire du quart, du tiers ou quelquefois de la moitié des biens situés sur la commune, les charges de la commune l’intéressent en raison de ces propriétés, et quand il s’agit de les voter, son opinion doit être de quelque poids. Il n’y a donc aucune analogie entre cette influence et celle que nous craignons de la part des prêtres.
Il y aurait bien d’autres arguments à présenter, mais je n’ai guère l’espoir de voir adopter mon amendement ; je crois que la majorité s’est formée à cet égard ; je me rallierai cependant à celui de l’honorable M. de Mérode.
M. de Foere. - Messieurs, si dans ces débats je prends la parole, ce n’est pas que je sois personnellement intéressé dans la question, je ne suis salarié ni par l’Etat, ni par la province, ni par la commune. Ce n’est pas non plus pour réclamer un privilège en faveur de telle ou telle classe de la société, car je suis ennemi de tous les privilèges ; mais aussi, par la même raison que je repousse tout privilège, je repousse également toutes les exclusions. Aussi longtemps que j’aurai l’honneur de siéger dans cette chambre, je ferai tous mes efforts pour que la liberté ne soit exploitée par aucun parti, pour qu’aucun parti ne parvienne à établir dans le pays des privilèges, des catégories, des exclusions, de l’ilotisme.
Cette déclaration franche et nette répond déjà à une réticence très significative dont s’est servi hier l’honorable député de Bastogne, lorsqu’il a dit qu’il ne s’attendait pas à l’adoption de son amendement et que chacun de nous savait pourquoi. Ce pourquoi, messieurs, est dans la déclaration que je viens de faire. Mes honorables amis et moi nous ne voulons de privilèges pour aucune classe de citoyens, ni pour aucun individu ; mais aussi nous ne voulons pas d’exclusions injurieuses. Nous voulons que la loi soit juste en tout et envers tous.
Le même honorable député dit que les ministres des cultes étaient déjà privilégiés sous plusieurs rapports. Si, avant d’user du terme privilège, l’honorable membre avait ouvert un livre de droit et médité pendant quelques instants, sur la définition du privilège et sur celle d’incompatibilité, il se serait bien gardé de confondre une incompatibilité admise par la législature avec un privilège.
Une incompatibilité légale n’est pas un privilège. Si la loi admet l’incompatibilité de telle classe d’individus et que cette classe soit exemptée de telle ou telle charge, ce n’est pas par privilège pour cette classe qu’on l’exempte ; c’est parce que la législature a cru que, dans l’intérêt de l’Etat, deux fonctions ou deux charges ne pouvaient être exercées concurremment et que, dans ce même intérêt, l’exemption était préférable.
Le même honorable membre, répondant à un honorable député de Tournay, vient de soutenir encore dans la section actuelle que l’exclusion qu’il nous propose ne serait pas une injure. Messieurs, toute exclusion est injurieuse là où il n’y a pas incompatibilité. Elle cesse de l’être quand il y a incompatibilité ; c’est ce que notre honorable adversaire ne cherche pas même à prouver. Son assertion reste donc gratuite et la proposition que nous soutenons demeure intacte.
Cependant le même député avait cité hier un cas particulier pour prouver cette incompatibilité. Messieurs, il n’est aucun membre dans cette chambre qui ne sache que les lois ne sont pas fondées sur des exceptions, sur des faits particuliers, mais sur des faits généraux, sur des faits qui se reproduisent tous les jours ou du moins souvent. Le fait allégué a été bien jugé par l’honorable M. Dubus ; mais il serait vrai, il ne prouverait rien, parce que, comme je viens de vous le dire, les lois ne se fondent pas sur des exceptions, sur des faits particuliers. Ce sont des faits généraux qui servent de base à la législation.
Il vient de nous révéler un autre fait : un grand nombre de ministres des cultes se conduiraient de telle manière qu’ils n’exercent aucune influence. Si le fait est vrai, pourquoi les craint-il dans les élections communales ? Dans ce cas ils seront mieux exclus par leur mauvaise conduite que par son amendement. Ils se trouveront, dans ce cas, sur la même ligne que les autres éligibles qui, par leur mauvaise conduite, ne méritent pas la confiance des électeurs. Et si quelques membres du clergé ne méritent pas, selon lui, d’être élus conseillers communaux, pourquoi voudrait-il exclure les autres qui, selon lui encore, le mériteraient ; car, par la position de son objection, il n’y aurait qu’une partie du clergé qui ne serait pas digne de l’élection.
L’honorable M. Jullien a débuté par dire qu’il allait prendre la défense des intérêts sacerdotaux. Cette déclaration de mon collègue de Bruges m’a, je l’avoue, agréablement surpris. (Hilarité.)
A côté de cette surprise, j’en ai éprouvé une autre : je ne concevais pas que quand il ne s’agissait que d’intérêts communaux, M. Jullien pût parler en faveur des intérêts sacerdotaux. Enfin j’ai éprouvé une troisième surprise : M. Jullien, dans une séance précédente et en opposition aux capucins et aux jésuites, a bien voulu admettre que les membres du clergé séculier étaient des ministres de paix et de concorde. Maintenant, il les représente sous des couleurs bien différentes.
Je concevrais que M. Jullien eût voulu exclure des conseils communaux les capucins, voire même les jésuites. Dans ce cas, il aurait été conséquent avec lui-même. Mais vouloir exclure aujourd’hui des hommes qu’il avait dépeints comme des ministres de paix, comme des ministres de concorde, c’est être en contradiction avec soi-même.
Cette contradiction devient plus saillante, lorsque l’honorable membre cherche à justifier son exclusion par le motif que ces mêmes ministres, qui dans son opinion étaient des hommes de paix et de concorde, sont aujourd’hui, selon lui, des agents de désordre. Ils sont tout à coup transformés en artisans de troubles ; selon lui, ils domineront les bourgmestres ; ils attireront sur eux tout le pouvoir communal ; ils sèmeront dans la commune la division.
Ce sont là, messieurs, des lieux communs ; disons mieux, des banalités qui datent de 93, et qui n’ont survécu à cette époque si honteuse pour que dans l’esprit de ceux qui n’ont rien compris aux immenses progrès qu’a faits depuis la civilisation européenne en justice, en tolérance, en paix, en concorde et en fraternité.
Le projet de notre constitution était à peine connu que certain parti déclamait dans le même sens. Le clergé allait tout envahir, tout dominer, tout usurper. La constitution est mise à exécution depuis trois années. Quand on demande à ce même parti : Où sont maintenant ces envahissements, cette domination, ces usurpations ? Il n’a aucun fait à produire pour justifier ses sinistres prédictions. Le clergé est resté dans l’ordre ; il n’a pas même tenté de rien envahir. Comme toute autre classe de la société, il a observé et respecté la constitution et les lois du pays.
Sur quels motifs pourrait-on sainement fonder aujourd’hui des soupçons aussi contraires à l’honneur et aux vrais intérêts du clergé belge, alors que l’histoire atteste qu’il a été toujours l’ami du peuple, que toujours il a été le protecteur de ses libertés et de ses intérêts, que toujours il s’est opposé aux entreprises du pouvoir, à l’oppression de la richesse et de la puissance ? C’est un fait constant, c’est un fait qui résulte de l’examen de nos annales.
Je ne conçois donc pas que dans les temps actuels les accusations de M. Jullien puissent transformer le clergé en brandon perpétuel de discorde et de désunion ou en usurpateur du pouvoir.
La religion, a-t-il dit encore, n’a jamais été menacée que par les entreprises audacieuses de ses ministres. Cette accusation est encore purement gratuite, pour ne dire rien de plus. Le clergé a exercé une influence tout à fait contraire, et c’était sa mission et son devoir. Je ne rétorquerai pas l’assertion de mon adversaire par une récrimination.
Je pourrais dire avec plus de raison que la religion et les Etats n’ont jamais été plus menacés que par les entreprises audacieuses des avocats. (Hilarité.) Chacun de nous défendrait ses assertions contradictoires, et la discussion se prolongerait sans en obtenir aucun résultat, je n’entrerai pas non plus dans une discussion historique sur ce point ; elle nous mènerait trop loin.
Je me bornerai à protester hautement contre les accusations de mon honorable collègue de Bruges, persuadé d’ailleurs que l’esprit du siècle fera justice de toutes ces accusations intolérantes et calomnieuses.
L’honorable M. Jullien a dit que les membres du clergé étaient des citoyens sui generis, des hommes d’une espèce particulière.
La raison qu’il a donnée à l’appui de cette singulière opinion est que les prêtres catholiques sont soumis à une influence étrangère, à la puissance de Rome.
Je ne répondrai que par l’article 16 de la constitution qui a affranchi le gouvernement et l’exercice de la religion de toutes les entraves que les lois antérieures leur avaient imposées. Mais si la constitution a admis cet affranchissement, s’ensuit-il que par cette disposition elle a créé une classe de citoyens à part qui devrait être privée de droits politiques et civils et être constituée en état d’ilotisme ? C’est donc évidemment un langage inconstitutionnel que M. Jullien vous a tenu.
L’honorable M. Brabant est entré, de son côté, dans des incompatibilités canoniques. Je ne discuterai pas la question au fond. Je ne crois pas que de semblables observations doivent diriger le vote de la chambre. Elles ne tendent à rien moins qu’à constituer la chambre interprète et juge des lois canoniques et de leur application.
S’il y avait réellement incompatibilité canonique, ce serait aux évêques du pays, seuls juges dans cette question, à la décider. Nous n’avons pas à nous prononcer sur cette objection. Notre seul point de départ, notre seul droit régulateur, c’est la constitution.
Quant à la question du fond, je crois que l’amendement de M. d’Hoffschmidt et ceux présentés par d’autres membres consacreraient une injustice. Je les rejetterai. Je me prononcerai pour tout amendement qui n’admettra ni privilège d’un côté ni exclusion injurieuse de l’autre.
M. le président. - La parole est à M. Vuylsteke. (La clôture !)
- La clôture est mise aux voix et adoptée.
M. Dumortier, rapporteur. - Je désirerais présenter des observations sur l’amendement de M. le ministre de l’intérieur. Je pense que la clôture n’a été prononcée que sur la proposition de M. de Mérode, à laquelle se sont ralliés MM. d’Huart et d’Hoffschmidt.
M. Pirson. - Messieurs, je demande la priorité pour la proposition de M. de Mérode. C’est celle qui s’écarte le plus du projet de la section centrale.
M. Dubus. - Je ne suis pas de l’avis de l’honorable préopinant. Je pense au contraire que l’amendement de M. le ministre de l'intérieur s’écarte plus du projet de la section centrale que celui de M. de Mérode. En effet, ce dernier tend à exclure des conseils provinciaux une spécialité, tandis que l’amendement de M. le ministre de l'intérieur exclut une généralité.
Il me paraît qu’il faut commencer par mettre aux voix la seconde proposition.
M. d’Huart. - Je crois que M. Dubus est dans l’erreur. L’amendement de M. de Mérode est celui qui s’écarte le plus du projet de la section centrale ; car il tend à exclure des conseils communaux les prêtres salariés par l’Etat ou la commune. La proposition de M. le ministre de l’intérieur, au contraire, propose l’exclusion de toute personne salariée par la commune. Elle n’est que la reproduction, aux expressions près, du paragraphe en discussion. Je demande donc la priorité pour la proposition de M. de Mérode.
M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - Il est évident que ma proposition prononce une exclusion plus large. Il y a d’autant plus lieu à la voter la première, que ceux qui la rejetteront pourront admettre celle de mon honorable collègue, M. le ministre de l’intérieur.
- La question de priorité en faveur de la proposition de M. le ministre de l’intérieur est mise aux voix.
M. le président. - Il y a doute, nous allons passer à l’appel nominal.
M. Dumortier, rapporteur. - Il faut tirer au sort lequel des deux amendements aura la priorité.
M. de Robaulx. - Nous demandons l’appel nominal.
M. le président. - La parole est à M. de Foere.
M. de Brouckere. - On ne peut pas lui donner la parole.
- Un de MM. les secrétaires fait l’appel nominal.
79 membres sont présents.
39 votent la priorité en faveur de l’amendement du ministre de l’intérieur.
40 votent contre.
La priorité n’est pas accordée à cet amendement.
M. le président. - Aux chiffres du résultat de l’appel nominal, vous voyez qu’il n’est pas étonnant que le bureau ait trouvé les épreuves douteuses.
Ont voté pour la priorité :
MM. Bekaert, Coppieters, de Behr, de Laminne, H. Dellafaille, de Longrée, W. de Mérode, de Muelenaere, de Puydt, de Roo, Deschamps, de Sécus, Desmaisières, Desmet, de Stembier, de Theux, Dewitte, Doignon, Dubus, Dumortier, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot, Legrelle, Morel-Danheel, Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, A. Rodenbach, Smits, Thienpont, Trentesaux, Ullens, Verdussen, C. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Zoude, Raikem.
Ont voté contre la priorité :
MM. Angillis, Brixhe, Coghen, Cornet de Grez, de Brouckere, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, de Renesse, de Robaulx, Desmanet de Biesme, de Terbecq, Devaux, d’Hane, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dubois, Dumont, Eloy de Burdinne, Ernst, Fleussu, Frison, Jullien, Lardinois, Lebeau, Liedts, Meeus, Milcamps, Nothomb, Pirson, Quirini, Rogier, Schaetzen, Seron, Simons, Vanderbelen, Vanderheyden, H. Vilain XIIII, Watlet.
M. de Foere s’est abstenu et expose ainsi les motifs de son abstention. - Je me suis abstenu parce que je ne voulais pas d’appel nominal sur une question aussi futile. J’avais demandé la parole sur la position de la question pour renoncer à la priorité, espérant qu’à cet égard j’aurais rencontré l’opinion de mes honorables amis.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. de Mérode ; il est ainsi conçu : « Les ministres des cultes rétribués par l’Etat ou la commune et en fonctions dans la commune, ne peuvent faire partie des conseils communaux. »
Plusieurs membres. - L’appel nominal ! l’appel nominal !
M. de Renesse fait l’appel nominal.
80 membres sont présents.
33 votent l’adoption de l’amendement.
47 votent le rejet.
L’amendement n’est pas adopté.
Ont voté l’adoption :
MM. Angillis, Brixhe, Coghen, Cornet de Grez, de Brouckere, F. de Mérode, W. de Mérode, de Robaulx, Desmaisières. Desmanet de Biesme, de Terbecq. Devaux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny, Dumont, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Fleussu, Frison, Jullien, Lardinois, Liedts, Meeus, Nothomb, Pirson, Seron, H. Vilain XIIII, Watlet, Zoude.
Ont voté contre :
MM. Bekaert, Coppieters, de Behr, de Foere, de Laminne, H. Dellafaille, de Longrée, de Muelenaere, de Roo, Deschamps, de Sécus, Desmet, de Theux, Dewitte, d’Hane, Doignon Dubus, Dumortier, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot, Lebeau, Legrelle, Milcamps, Morel-Danheel, Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, Quirini, A. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Smits, Thienpont, Trentesaux. Ullens, Vanderbelen, Vanderheyden, Verdussen,C. Vilain XIIII, C. Vuylsteke, L. Vuylsteke, Raikem.
M. le président. - Voici l’amendement de M. le ministre de l’intérieur : « Toute personne qui reçoit un salaire ou un subside de la commune. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - On m’a fait apercevoir que cet article excluait les bourgmestres et les échevins. Cette exclusion n’était pas dans mon intention.
M. Dumortier, rapporteur. - L’amendement me paraît en effet incomplet, certaines personnes peuvent recevoir des pensions : par exemple, un ancien secrétaire de la commune peut avoir une pension et être apte à être membre du conseil ; on l’exclurait par l’amendement.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Une pension n’est pas un subside.
M. Dumortier, rapporteur. - Vous me pardonnerez, une pension est un subside.
Je demande que l’on ajoute à l’amendement de M. le ministre de l'intérieur : « à l’exception des pensions. »
M. Jullien. - Il est certain que lorsque la loi parle de subsides, elle veut parler de subsides accordés soit à des bureaux de bienfaisance, soit à des fabriques, par défaut de moyens de ces établissements ; jamais la loi n’a entendu parler d’une pension accordée à un ancien employé, soit à titre gratuit, soit à titre onéreux. Cette pension ne peut être confondue avec les subsides.
M. le ministre a donc eu raison de dire que son amendement n’avait pas besoin d’être modifié. (Aux voix !aux voix !)
M. Dumortier, rapporteur. - J’ai l’honneur de répondre à l’honorable préopinant qu’il s’est complètement trompé ou qu’il n’a pas lu l’amendement.
L’honorable membre dit que les subsides dont il est parlé dans l’article, sont les subsides qui sont accordés aux fabriques d’église : il ne s’agit pas d’établissements auxquels il est accordé des subsides, il s’agit de personnes qui reçoivent des subsides : cela résulte de l’article, il ne faut que le lire. Du reste, si la chambre l’entend comme l’a dit l’honorable M. Jullien. je ne m’oppose pas à ce qu’on aille aux voix ; dans ce cas on pourra revenir sur le paragraphe lors du second vote.
- L’amendement de M. le ministre de l'intérieur est mis aux voix et adopté, avec la substitution du mot traitement au mot salaire.
Cet amendement formera le n°6 de l’article.
M. le président. donne une nouvelle lecture de l’article.
M. le président. - M. Dubois a la parole sur le paragraphe 4.
M. Dubois. - Messieurs, dit-il, je demande qu’on rédige le paragraphe 4 de la manière suivante :
« Les commissaires de district et de milice et les employés de ces commissariats. »
Je pense que la même raison qui fait exclure les commissaires de district et de milice du conseil communal, doit exister à l’égard de leurs employés. Cette raison même, messieurs, est plus forte à l’égard de ces derniers, car ils peuvent davantage être choisis pour faire partie du conseil communal.
M. de Theux. - J’appuierai l’amendement de l’honorable M. Dubois ; déjà on avait senti sous le gouvernement précédent la nécessité d’établir cette incompatibilité.
Il est certain, en effet, que les employés des bureaux qui sont dans les affaires de la commune à un degré supérieur, ne peuvent comme conseillers communaux être intéressés aux affaires de la commune à un degré inférieur.
- L’article 6 est adopté avec l’amendement de M. Dubois.
M. le président. - la discussion est ouverte sur la loi des céréales, en vertu de la décision prise hier par la chambre.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, je ne vous parlerai ni de Rome, ni d’Athènes pour vous intéresser dans la cause que je défends, n’ayant aucune intention de faire de l’historique ni de vous débiter un discours éloquent.
Je vous parlerai le langage simple et franc d’un cultivateur qui a quelques notions dans cette branche importante, fruits d’une expérience de plus de 30 années ; en un mot, je vous entretiendrai des intérêts matériels de l’agriculture belge ; et, messieurs, faites-y bien attention, les intérêts matériels, dans le moment actuel, se rattachent singulièrement aux intérêts moraux. Voici ce que dit Thouin (extrait d’un ouvrage intitulé : Cours de culture, etc., etc., par André Touin, Paris, 1827) :
« Le premier des agronomes modernes, Olivier de Serres, disait à Henri IV, etc., etc. : Vous parler d’agriculture, sire, c’est vous entretenir de vos affaires.
« Ce vrai roi employait quelques instants de ses journées à lire et à étudier l’ouvrage de de Serres, nommé le père de l’agriculture française. Il avait compris l’importance d’une pareille étude.
« (Suit l’opinion de André Thouin à la suite de ce qui précède.)
« Rien n’est en effet plus digne de fixer l’attention des gouvernements et des peuples que l’art de faire rapporter au sol tous les produits qu’il est susceptible de donner.
« Quelle source plus féconde de richesses et de prospérité pour les nations que l’agriculture ? Avec elle le travail, la tempérance, la santé, l’aisance et toutes les vertus sociales, répandent leurs bienfaits sur les campagnes ; sans elle on ne rencontre partout que la misère et le cortège hideux des vices et des maux qu’elle entraîne inévitablement à sa suite. Que l’on observe les pays bien cultivés et ceux qui le sont mal ; que l’on compare leurs habitants. Il devient dès lors inutile d’énumérer les avantages de l’agriculture : les faits parlent mieux que des phrases. »
Je dirai plus, elle se rattache à une sage politique. Prenez-y garde, en négligeant de vous occuper de cette branche, vous mécontenteriez les trois quarts de la population.
Oui, messieurs, une question de haute importance vous est soumise : j’entends parler de la loi sur les céréales.
C’est, selon moi, une question vitale pour notre beau pays ; sans agriculture prospère, pas de gouvernement en Belgique ; avec elle la Belgique ne peut périr.
Si je devais entrer dans des détails pour le démontrer, je pourrais vous en entretenir pendant plus de quatre heures ; mais je crois inutile de vous répéter ce que j’ai déjà dit sur cette matière, de vous faire part des nouveaux motifs qui viennent à l’appui des arguments que j’ai fait valoir. La grande majorité de la chambre les reconnaît ; en un mot c’est un fait jugé et une vérité qui court les rues.
Tous, autant que nous sommes ici, nous voulons la prospérité du pays. Sur ce point nulle discordance. Mais en quoi nous différons, c’est sur les moyens à employer pour y parvenir.
Une partie de nous croit que c’est en favorisant l’industrie manufacturière, d’autres en favorisant le commerce. Quant à moi, je crois que pour y parvenir, il faut favoriser toutes les branches d’industrie et particulièrement celle qui est la principale et qui est la source de vie de toutes les autres ; celle, en un mot, qui donne à l’Etat le moyen de faire face à ses dépenses, dont notre pays ne peut se passer, et dont l’existence dépend de sa prospérité. C’est assez vous dire, messieurs que c’est de l’industrie agricole que je veux parler, et je suis persuadé que vous m’aviez deviné avant même que j’eusse touché cette corde.
Je l’ai déjà dit, nous ne sommes pas tous d’accord sur la route à suivre pour atteindre le but que chacun de nous veut atteindre. J’en conviens, on peut faire valoir des arguments en faveur du commerce, en faveur de l’industrie manufacturière, à laquelle on voudrait donner la préférence sur l’industrie agricole : selon moi, ces arguments ont été réfutés par divers orateurs qui ont traité cette question avant nous relativement aux pays qui, comme la Belgique, sont essentiellement agricoles.
Les hommes qui ne partagent pas mon opinion sur cette question, pourraient se convaincre en lisant les discussions sur la loi des céréales lorsque les gouvernements anglais et français ont reconnu la nécessité de protéger cette branche d’industrie ; qu’ils lisent les arguments que les diverses opinions ont fait valoir, et ils seront, si pas forcés, au moins entraînés à revenir d’une erreur qui n’en est plus une pour les trois quarts de nos hommes d’Etat. Ces opinions sont consignées au Moniteur universel de France, deuxième semestre de 1819, mois de juillet. La loi est du 16 juillet 1819 ; idem du premier semestre de 1821, mois d’avril, et finalement, Moniteur, premier semestre 1832, mois de mars.
Le résultat de la discussion a fait justice des diverses opinions, puisque les lois protectrices de l’agriculture ont été toutes adoptées à une grande majorité en France et en Angleterre : et remarquez-le bien, messieurs, dans quels pays ces lois ont-elles été adoptées à une grande majorité ? C’est en Angleterre où le sol ne donne qu’environ le tiers de grains nécessaire à la nourriture de ses habitants. C’est en France où le sol ne donne que les trois quarts des grains que la consommation exige (la loi a été admise à la majorité de 282 contre 84.) Et en Belgique, où les produits sont supérieurs à la consommation, on n’adopterait pas une législation de l’espèce de celles adoptées dans les pays où les produits ne suffisent pas aux besoin des habitants, où l’impôt foncier est compris pour un sixième dans les revenus de l’Etat, tandis qu’en Angleterre il l’est seulement d’un quarantième ?
En Belgique, dis-je, on ne prendrait pas des mesures suffisantes pour soutenir l’industrie agricole où l’Etat est intéressé pour environ un cinquième dans la prospérité de l’agriculture ; on l’abandonnerait à sa ruine ? Eh ! messieurs, réfléchissez-y bien, c’est comme si on voulait la ruine de son pays, un désastre général, en un mot, réduire son pays à l’extrême nécessité de disparaître du nombre des nations civilisées : car la misère abrutit, vous le savez, et rend nulles les nations pauvres. D’après ces considérations, peut-on se refuser à se rendre à l’évidence ? Je n’en dirai pas davantage pour le moment sur ce chapitre. J’attendrai que les orateurs qui ne partagent pas mon opinion aient parlé.
S’ils parviennent à me convaincre, je serai le premier à revenir de mon opinion. Si je ne suis pas convaincu, je tâcherai de les réfuter, et j’aime à le croire, ils ne se refuseront pas à revenir à moi, si je parviens à les convaincre. Tous ayant le même but, la discussion sera calme, et les arguments pour et contre, sagement pesés dans la balance de l’équité.
J’ajouterai, messieurs, quelques mots en vue d’abréger les longs discours que je m’attends à voir prononcer, et de résoudre d’avance les arguments de mes contradicteurs.
On vous dira que pour favoriser l’industrie manufacturière et commerciale, il faut favoriser l’arrivage des grains étrangers : ces navires apportent en Belgique pour quelques mille francs et emportent pour des millions, et il ne faudrait pas paralyser cette belle branche de notre industrie par une loi qui prohibe l’entrée des grains étrangers.
S’il en était ainsi, la question deviendrait importante ; mais, selon moi, elle ne devrait pas encore nous arrêter.
Seulement nous aurions à examiner quelles branches d’industrie, dans l’intérêt général, nous devrions sacrifier. Mais, messieurs, je vais vous rassurer et vous prouver que quand même il n’entrerait pas un vaisseau chargé de grains en Belgique, vous ne manquerez pas encore de navires étrangers qui vous importent d’autres denrées que des grains, pour emporter en retour les produits de votre industrie.
Je dirai plus, je dirai que tous ne se chargeraient même pas ; j’en ai la preuve dans le mouvement du port d’Anvers pendant le cours de 1832, où l’on voit par le tableau que je viens d’avoir l’honneur de vous faire remettre, qu’il est entré en céréales, dont nous n’avions que faire, 116,432,818 kilog. de diverses espèces de céréales, pour l’énorme somme de 24,129,893 francs, et que par suite de ces arrivages énormes de grains étrangers, les nôtres sont destinés à être la pâture des charançons ; en d’autres termes, c’est comme si on avait jeté 124,129,893 francs dans les entrailles du mont Vésuve.
Je reviens aux arrivages et à mon calcul sur le mouvement du port d’Anvers, extrait du Journal du Commerce de ladite ville. Je prie la chambre de vouloir écouter attentivement :
Il est entré dans le port d’Anvers, pendant le courant de l’année 1832, 1,256 navires chargées de diverses marchandises. 998 venant des ports anglais et de la Baltique ; que 730 navires étaient chargés de grains : remarquez-le bien, chargés de grains.
Voilà le mouvement des entrées.
Voyons le mouvement de la sortie :
Il est sorti, même année, 1,255 navires, dont 580 chargés de marchandises diverses, 875 sur lest,
Comme il en est entré 730 chargés de grains, je trouve encore qu’il en est sorti sur lest 145. De manière que s’il n’était pas entré un seul navire chargé de grains en Belgique en 1832, pendant le courant de 11 mois (il n’est rien arrivé pendant le mois de novembre) (siège d’Anvers), il serait encore sorti du port d’Anvers 145 navires sur lest ; et vous voyez, messieurs, qu’on ne doit pas craindre de manquer de navires de retour, pour emporter nos produits. Il en fut ainsi pendant notre union avec la Hollande, et l’industrie manufacturière doit se rassurer sur le danger de manquer de moyens d’exportation ; je viens sur ce point de lui donner toute garantie.
J’espère être assez heureux pour lui donner des apaisements sur d’autres points qui pourraient l’inquiéter. Quant aux arguments que je prévois jusqu’à certain point à faire valoir par ceux qui ne partagent pas mon opinion, je crois qu’ils ont été déduits dans les discussions à la chambre de France en 1819, 1821 et 1832 par Strafforello, Latour, de Vatsmenil, le général Tarraire, de Beauséjour, Roux, Gentil, et autres qui ont traité la question en faveur du haut commerce, des manufactures, du consommateur, etc., et dont les arguments ont été victorieusement réfutés et réduits à zéro par les Saint-Géry, les Sesmaisons, Castelbajac, Demarçay, Puymaurin, Guasquel, Gourgue, Ricard, Bron, Villeret, Du Hamel, de Villèle et tant d’autres.
Et pour abréger la discussion, les honorables membres qui se proposent de traiter la question qui nous occupe, pourraient trouver la solution des diverses opinions en lisant les discussions françaises, et la peine de nous répéter ce qui a été dit à extinction, tant en France qu’en Angleterre et en Belgique.
Je finis pour le moment et je me réserve de revenir sur la discussion, si je rencontre des contradicteurs.
Quant au projet qui vous est soumis par la commission d’industrie, je déclare ne pouvoir l’admettre ; mais, vu l’urgence, je dois en adopter le principe comme loi transitoire.
A la discussion des détails, je ferai des amendements aux divers articles de la loi, que je considère ne pas devoir remplir le but que la chambre se propose par la mesure qu’elle croit devoir prendre dans ce moment. J’ai dit.
M. Meeus. - Je me crois obligé, messieurs, de venir combattre la loi qui est en ce moment en discussion, sans m’effrayer de ce qu’a dit M. Eloy de Burdinne dans une autre séance, que les membres du sénat ne voteraient pas l’impôt foncier, et sans m’effrayer non plus des paroles de M. d’Huart qui vous a dit que les cultivateurs sont ceux qui sont le plus attachés à l’ordre de choses actuel, et qu’il fallait surtout les protéger. Malgré ces considérations, je voterai contre la loi et j’ajouterai que je ne pense pas que le sénat, composé de propriétaires, soit dans la disposition de ne point voter l’impôt foncier, parce que la chambre jugerait convenable de ne pas adopter une loi entièrement contraire aux consommateurs, et entièrement favorable aux propriétaires.
Le sénat n’est pas destructeur, il est plutôt conservateur ; je m’en rapporte à sa sagesse. Je répondrai à M. d’Huart que s’il faut favoriser ceux qui ont fait la révolution, il faut favoriser le peuple qui mange du pain, le matin, à midi, et qui en mange encore le soir.
Je ne m’arrêterai pas aux considérations qu’ont fait valoir les deux honorables membres dont j’ai parlé.
Messieurs, la question dont il s’agit doit être envisagée sous différents points de vue.
D’abord, dans son rapport avec les véritables principes que l’on n’a pas encore examinés dans cette enceinte, parce que c’est toujours à l’improviste que l’on propose des lois pour modifier notre tarif de douane, sans qu’antérieurement la chambre ait posé et assis un seul principe.
J’essaierai, messieurs, d’établir, d’après mon opinion, les véritables principes qui doivent régir la Belgique relativement à notre tarif de douane.
Vous le savez, messieurs, l’école moderne d’économie sociale a surtout enseigné la liberté illimitée du commerce ; je ne pense pas que ce système soit protégé par aucun membre de cette assemblée ; car, ainsi qu’on l’a dit, ce système est une utopie.
Pour que les nations pussent s’entendre entre elles sur la liberté illimitée du commerce, il faudrait d’abord qu’elles pussent s’accorder sur des intérêts de moindre importance.
Il faudrait que la situation de chaque nation fût la même, que la même somme d’impôt pesât sur toutes.
Dans l’état actuel des choses, quand on le considère, on voit que la France, tout en voulant protéger son industrie et son commerce, a fini par faire de sa protection un moyen de remplir le trésor public. C’est assez m’arrêter à un système auquel il est plus doux de rêver, mais qu’il est impossible de mettre à exécution.
Le système prohibitif a eu souvent de très grands partisans. En France, on l’a suivi et on le suit encore en grande partie. On a cru dans ce pays qu’il n’y avait rien de mieux à faire que de frapper de droits prohibitifs tout ce qui venait de l’étranger, pour avoir la consommation livrée à l’industrie du pays.
On a ainsi inconsidérément frappé tout ce qui venait de l’étranger, sans faire la distinction bien simple entre les produits qui se consomment et se détruisent et ceux qui servent d’aliments à l’industrie. C’est ainsi que le gouvernement français a frappé les charbons belges. En frappant ces charbons, au lieu de protéger, il a frappé la France dans son industrie. En effet, les Français peuvent-ils se passer de cette espèce de charbon que nous appelons et qu’ils appellent eux-mêmes charbons de chaudière ? Non, ils ne peuvent pas s’en passer et ils ne s’en passent pas, malgré le droit dont on les a frappés, et le gouvernement perçoit sur ces charbons un droit tel qu’il s’en est fait un revenu. Il en résulte qu’au lieu de protéger l’industrie du pays il la frappe ; au lieu de permettre aux industriels français d’établir leurs produits aux mêmes conditions que ceux des autres nations il soumet ces produits à une augmentation dont il retire le bénéfice. C’est un système vicieux qui doit finir par ruiner les nations, quand les nations voisines ne tombent pas dans les mêmes erreurs.
Mais, me direz-vous ; quel est donc le système qu’il faut suivre ? Ce système me paraît fort simple. Je dirai avec l’honorable abbé de Foere : Il suffit de consulter les règles éternelles de la justice. Il ne faut jamais frapper la généralité au profit d’une minorité.
Pour rendre cette proposition plus sensible, permettez-moi de vous soumettre quelques exemples. Supposons une industrie en Belgique, qui n’exporte pas. Cette industrie produit annuellement un capital de 10 millions. Les consommateurs belges emploient ce capital de dix millions à leur usage. L’Angleterre ou la France découvre un moyen de produire les mêmes objets à meilleur marché, et si vous n’établissez pas un droit protecteur, cette industrie doit tomber, parce que la France ou l’Angleterre livrerait pour huit millions ce que l’industrie belge, à peine de périr, ne peut fournir que pour dix millions.
Il faut nécessairement établir des droits conservateurs en faveur de cette industrie, de manière que le pays voisin ne puisse pas venir détruire un capital réel, car si ce capital n’était plus créé par l’industrie du pays, la consommation irait s’approvisionner à l’étranger, et ce serait un capital perdu. Le pays est intéressé alors à ce que les consommateurs soient frappes d’un impôt ; car, malgré tous les beaux noms qu’on peut lui donner, le droit qu’on établit est un véritable impôt, et ici c’est bien un impôt de deux millions. Mais, par cet impôt de deux millions dont vous allez frapper les consommateurs, vous conservez à la Belgique dont ils font partie et dont la prospérité les intéresse, vous conservez, dis-je, un capital de dix millions ; et en déduisant les deux millions de différence, c’est encore un bénéfice de huit millions.
Etablissez donc des droits conservateurs, je l’admets, La généralité alors ne perd rien. Si elle subit un impôt, c’est pour conserver un capital dans l’intérêt de tous. Mais si imprudemment vous allez élever votre droit, de manière que l’Angleterre ne puisse faire entrer ses marchandises, alors que notre industrie ferait des bénéfices de 20 p. c., que s’en suivra-t-il ? c’est que vous aurez déplacé des capitaux, que vous aurez pris dans la bourse du consommateur, pour la faire passer dans celle du producteur, une somme de…
Si les fabricants créent un capital qu’ils livrent pour 14 millions au lieu de 12, le pays sera-t-il enrichi ?
Vous aurez imprudemment pris deux millions dans la poche des consommateurs pour les verser dans celle de ces fabricants, puisque l’Angleterre ne pouvait fournir ces fabricats que pour dix millions. Suivant ce principe qui est tout naturel, ne frappez le consommateur que pour autant qu’en le frappant vous produisiez un bien réel pour tous. Ce principe une fois admis, il est facile d’en déduire ce que doit être à l’avenir notre tarif de douane et la loi actuellement en discussion.
Je suppose une fabrique produisant à la consommation belge un capital de dix millions. Personne ne peut entrer en concurrence avec cette fabrique. Il n’est donc pas question de lui donner une protection. Il est impossible que la même marchandise vienne de l’étranger, et s’il en vient, c’est dans une proportion si minime, qu’il est inutile d’en parler. Dans ce cas, où l’existence de la fabrique ne peut être menacée, si vous établissez un droit, c’est un privilège pris sur la généralité, c’est faire payer les consommateurs en faveur de quelques fabricants.
Appliquant ce principe qui est le seul sage, le seul raisonnable, à la loi actuellement en discussion, je demande si l’agriculture belge est en danger de crouler, au prix où est actuellement le froment. J’ai vu les années 1822, 23 et 24 ; c’était bien un autre désordre, pour parler le langage des auteurs du projet car ce qu’ils appellent désordre, je l’appelle richesse. Le froment, au marché de Bruxelles se vendait 10 fr., l’avoine 2 fr. et demi, le colza 5 fr.
Avons-nous vu alors les champs incultes ? Que fait à la Belgique que le froment soit à 10, 20, 30 ou 40 fr., pour la partie qu’elle consomme ? Si la Belgique, comme l’a dit M. Eloy de Burdinne et comme je le pense, produit beaucoup plus qu’elle ne peut consommer, vous avouerez que, pour ce qu’elle consomme, le prix est tout à fait indifférent.
Un fermier récolte 100 hectolitres, il en consomme 80 pour la nourriture de sa famille. Peu lui importe pour ces 80 hectolitres que le prix soit de 10, 20, 30 ou 40 fr. Mais il a 20 hectolitres à vendre : pour ces 20 hectolitres, il doit chercher les moyens de les vendre le plus cher possible, Or, ce qui est vrai pour un cultivateur est vrai pour la Belgique entière.
Le revenu de la Belgique, il y a trop longtemps que j’ai fait mes calculs pour donner mon chiffre comme bien positif, mais je crois que le revenu foncier de la Belgique passe 800 millions de francs. Supposons qu’il est de 700 millions. C’est une moyenne prise sur les mercuriales des diverses années, car si on prenait les prix de 1818 où le froment valait 30 fr., il y aurait une grande différence.
Eh bien, si la Belgique consomme ces 700 millions, qu’est-ce que cela ferait à la prospérité du pays, si dans l’intérieur ces 700 millions de capital ne produisaient que la moitié ? S’ils ont produit 700 millions, cette somme est sortie de la poche du consommateur pour entrer dans celle du producteur ; s’ils ont produit moins, le consommateur a payé moins : il n’y a là qu’un déplacement d’écus. Mais, pour les excédents, il faut que la Belgique les vende au prix le plus élevé possible. Mais parce qu’il faut qu’elle vende ses excédents de produits au prix le plus élevé possible, vous voulez frapper le consommateur belge ! Si ceux qui tiennent les grains entendaient leur affaire, ils ne les garderaient pas si longtemps. Mais ils ont la prétention de vendre plus cher que les nations voisines. Cependant, quand les autre nations baissent leurs prix, il faut qu’ils baissent aussi les leurs, s’ils veulent les vendre, et ne pas les voir manger par les charançons, comme dit M. Eloy de Burdinne. S’ils se sont trompés dans leurs spéculations, ce n’est pas un motif pour frapper le consommateur.
Examinons maintenant la loi en elle-même, je ne dis pas dans tous ses détails, parce que je finirais par n’être plus écouté. Si nous recherchons les causes qui produisent les grandes années d’abondance et ensuite des années de cherté, l’histoire est là pour attester que, presque toujours après quatre ou cinq années d’abondance, il est rare de voir cinq années d’abondance de suite ; il a des années de cherté.
Cela provient d’abord de ce que, quand les blés sont élevés, le cultivateur autant que possible force la culture à l’aide d’engrais afin d’en obtenir le plus possible. Il en fait de même pour l’avoine si le prix en est élevé. Enfin il fait produire ce qui rapporte le plus.
Cependant, pendant ces années de cherté que se passe-t-il ? Les malheureux, les ouvriers, au lieu de manger du pain de froment, mangent du pain de seigle. Il se passe alors ce qui a lieu dans tout commerce quelconque. C’est que les prix élevés nuisent à la consommation. Les bas au contraire l’augmentent. Il en résulte que tout d’un coup le pays se trouve regorger de grain, parce que, comme il était trop cher, il ne s’est pas écoulé facilement, parce qu’il n’était pas à la portée de toutes les bourses. Quel est aujourd’hui l’ouvrier qui mange du pain de seigle ? Je ne me rappelle pas en avoir vu un seul qui en fasse usage. Je suis très heureux que cette denrée soit mise actuellement à la portée de tout le monde. Voilà ce que le législateur doit vouloir. Il doit désirer que les produits naturels comme les produits manufacturés soient toujours au plus bas prix possible. Plus la somme des consommateurs sera grande, plus vous aurez rempli votre devoir.
Mais vous croyez favoriser l’agriculture. Vous vous trompez. Si la loi qui est soumise à vos délibérations était acceptée, était votée par vous, messieurs, soyez persuadés que le commerce des grains cessant en Belgique, il arriverait à la première hausse du prix des grains à l’étranger le contraire de ce que nous avons vu en 1826. A cette époque, l’Angleterre et même la France, mais principalement l’Angleterre, eut besoin par suite de mauvaises récoltes d’appeler l’importation d’une grande quantité de grains. Le commerce des grains (et je cite ici un fait que tout le monde est à même de vérifier), le commerce des grains avait pris naissance dans notre pays vers l’année 1821. Avant cette époque il était de peu d’importance.
Il prit un accroissement successivement jusqu’en 1823. Alors qu’il était essentiel de pourvoir promptement l’Angleterre des céréales qui lui manquaient, il fallait que le commerce fût en mesure d’opérer immédiatement des importations considérables. C’est au commerce d’Anvers que les agriculteurs doivent ce débouché qui s’ouvrit à cette époque. Si les négociants de cette ville, négociants qui y sont encore établis, ne s’étaient pas livrés à une spéculation aussi favorable, ce n’aurait pas été la Belgique qui eût approvisionné l’Angleterre. Les grains lui seraient parvenus des ports de Rotterdam et d’Amsterdam. Le fait que je cite n’est pas assez éloigné de nous pour qu’il ne soit présent à votre mémoire.
Cette exportation immense de nos grains fit affluer dans notre pays des capitaux énormes. C’est de ce moment que la prospérité commerciale de la Belgique prit un essor nouveau. Et cette prospérité ne provient pas de ce que l’on a vendu le grain à tel ou tel prix, mais bien de ce qu’on en a vendu des quantités énormes, et de ce qu’il en est résulté des capitaux énormes. Ce n’est pas la consommation intérieure qui avait de l’importance, mais la vente de l’excédent sur la consommation.
Messieurs, vous le savez, le cultivateur belge est dans l’aisance. Il garde ses grains en magasin. Ce n’est pas faire une assertion erronée que de dire que les cultivateurs ont aujourd’hui dans leurs greniers jusqu’à trois récoltes. Font-ils bien ? Font-ils mal ? C’est ce que le temps nous apprendra ; si l’année prochaine la France et l’Angleterre, qui renouvellent périodiquement leurs demandes, éprouvaient une disette, les agriculteurs belges se trouveraient dédommagés de la perte que leur fait éprouver dans ce moment la conservation d’un capital improductif.
Ils recueilleront les fruits de leur attente, parce qu’ils n’auront pas vendu à vil prix comme les autres nations. Est-ce donc là un motif pour frapper les grains étrangers d’un droit excessif ?
Les grains étrangers ne nous nuisent en rien. L’honorable M. Eloy de Burdinne a dit que la France et l’Angleterre n’ont pas d’excédent de grains. Je conçois très bien que ces nations qui doivent tirer pour leur consommation les grains de l’étranger les frappent d’un droit à l’entrée.
M. Eloy de Burdinne. - C’est trop fort.
M. Meeus. - Je ne doute pas que ce ne soit trop fort pour l’honorable M. Eloy de Burdinne. Je ne doute pas que cet honorable membre ne soutienne la discussion avec beaucoup de talent, et qu’on ne le cite comme ayant victorieusement réfuté les arguments de ses adversaires, absolument comme il nous citait tout à l’heure les orateurs qui ont parlé en faveur de la loi sur les céréales à la chambre française. Je suis persuadé qu’il possède infiniment de connaissances de la matière, mais il ne pourra me faire partager sa conviction qu’un pays ait intérêt à faire payer au consommateur le pain à un prix plus cher afin que le propriétaire puisse mieux louer ses terres aux dépens de l’agriculteur.
L’agriculteur doit nécessairement recouvrer en premier lieu ses frais de labour. Je ne pense pas qu’il puisse lui arriver de ne pas être en état de le faire. En second lieu il faut qu’il paie le fermage annuel des terres à son propriétaire. Dans ce second cas, lorsque les grains se vendent à un prix trop peu élevé, quand le prix des céréales ne permet plus au fermier de remplir les conditions de son bail, c’est au propriétaire à se désister de ses prétentions et à diminuer le prix du fermage.
Aussi longtemps que ne me prouvera pas que l’agriculteur est obligé de payer à son propriétaire une certaine quotité de revenu, je croirai que c’est au propriétaire à subir la réduction que nécessite la position de son fermier. C’est le riche dont le revenu doit subir une diminution, et non pas le pauvre. Car, ainsi que je l’ai dit, le revenu du propriétaire, pour être moins élevé, n’en sera que plus assuré et lui offrira par conséquent plus de garanties de son entier recouvrement ; tandis que si l’on établit un droit sur les céréales, ce sera, en définitive, de la poche du malheureux, de l’ouvrier, que vous tirerez la perception de ce droit.
Messieurs, les mots pour moi sont peu de chose. Lorsqu’en 1825, je crois, on proposa la loi sur la mouture, je vous avoue que je crois qu’elle devait être rejetée parce qu’elle était odieuse au peuple. Vous me direz qu’elle était vexatoire. Mais au moins elle offrait l’avantage d’établir un impôt qui frappait la généralité du pays, tandis que la loi sur les céréales favorisera les propriétaires de terres aux dépens de la masse des consommateurs. Ce n’est pas moi qui vous dirai combien je trouvais l’impôt mouture absurde. Eh bien, l’absurdité que je reprochais à la première, je la retrouve également dans celle-ci.
On m’objectera avec quelque apparence de raison que les députés belges aux états généraux avaient constamment réclamé un droit à l’entrée des grains étrangers, et qu’ils finirent par obtenir que l’on établît le droit assez minime qui existe encore aujourd’hui.
Mais il y avait une raison qui n’existe plus aujourd’hui. Les députés belges cherchaient à atténuer autant qu’il était en leur pouvoir l’injustice des relations commerciales de la Belgique et de la Hollande. Ce dernier pays ne produit pas pour sa consommation une quantité suffisante de grains. La Belgique pouvait les lui fournir.
Lorsque l’on considère les sacrifices auxquels le mariage forcé des deux nations nous a obligés, l’on conçoit que nos représentants aux états généraux devaient tâcher autant que possible d’alléger la charge du fardeau supporté par les provinces belges, et donner aux grains qu’elles importaient en Hollande un prix plus élevé. Voilà comme je conçois qu’une forte majorité a pu voter une loi sur les céréales.
Je vous ferai une observation relative à un tableau que l’on m’a remis à l’ouverture de la séance. Il résulte de ce document qu’il n’est entré en définitive dans notre pays, depuis 3 années, que pour une valeur de 35 millions de francs de grains étrangers.
Si vous établissez une comparaison entre les importations et les produits de la Belgique, vous verrez que les prix des céréales ayant baissé successivement, il deviendra impossible aux pays étrangers de continuer à nous envoyer leurs grains ; et en supposant que les prix restent stationnaires, l’on peut prédire que dans peu les importations de gains seront très minimes. Vous savez que pour faire venir des grains de la Baltique, il faut que l’hectolitre puisse se vendre de 4 fr. et demi à 5 fr.
Je demande quel est le pays où les grains peuvent être produits à un tel prix ? Quoiqu’il en soit je ne verrais encore là qu’une condition pour le cultivateur belge, c’est celle de baisser ses prix ; et je ne verrais là pour la Belgique aucun décroissement de prospérité ; je ne verrais là que plus d’argent dans la bourse des consommateurs et moins dans celle des producteurs, ou moins dans celle des propriétaires. Il est impossible que l’on soutienne qu’un pays soit plus riche parce que la consommation au lieu de payer sept cents millions ce dont elle a besoin, ne le paie que cinq cents millions : il y a alors déplacement de capitaux et rien autre chose. Ce qui fait la richesse de la Belgique par son agriculture, c’est que tous les ans elle a un surcroît de produits dont elle retire dans certaines années des sommes immenses, et dans d’autres des sommes assez faibles.
Pourquoi admettre aujourd’hui la loi proposée, ou toute loi analogue ? ce n’est faire autre chose qu’un déplacement dans le pays même ; c’est prendre dans la poche du consommateur pour mettre dans la poche du propriétaire. Je ne veux plus me servir du mot de cultivateur. Je ne dis pas que le cultivateur ne soit victime des baux élevés. Savez-vous ce que vous avez à faire, messieurs les propriétaires ? c’est de baisser les baux. Si vous n’en avez pas la volonté, vous y serez forcés, parce que le cultivateur veut avoir un bénéfice. Si, par miracle, un pays produisait du grain sans que l’homme y mis son travail, ce jour-là je craindrais que nos champs ne devinssent incultes ; et si vous veniez vous en plaindre, je ferais l’application de ce que j’ai dit.
Je ne veux pas m’étendre davantage sur la loi. J’ai cru devoir développer un système, le seul bon chez toutes les nations par ce qu’il est le résultat des principes de justice. Vous ne pouvez frapper la généralité qu’autant que la généralité trouve un bénéfice. Vous ne pouvez forcer quelqu’un à payer plus cher. On peut frapper la consommation de deux millions, par exemple, pour qu’un capital de dix millions ne soit pas perdu pour la Belgique. C’est là comme il faut entendre les intérêts du pays. C’est le seul moyen de ne pas créer des privilèges par des tarifs de douane, privilège que je repousserai de toutes mes forces.
M. Milcamps. - Messieurs, une législation sage sur le commerce des grains aura toujours, ai-je lu quelque part, un rapport intime avec le sort du peuple.
Le prix de la denrée, disait l’auteur, doit servir à distinguer les moments où il convient de s’opposer à l’exportation des grains ; d’où je crois pouvoir conclure que c’est ce prix aussi qui doit servir à distinguer les circonstances où il convient de s’opposer à l’importation.
Si le gouvernement doit désirer que l’abondance de la denrée et la modération des prix préviennent le désordre et les clameurs publiques, il doit lui convenir aussi que le prix soutenu des denrées rende plus facile le paiement des impositions.
Voilà des idées simples, claires, à la portée de tout le monde, et que chacun, sans être initié dans la science de l’économie politique peut facilement saisir.
Je vois des faits. L’exploitation des terres est dans notre pays l’industrie la plus importante. Elle occupe la plus grande partie de la population. Dans ce moment, l’abondance des céréales, la modération des prix, la perspective d’une bonne récolte excitent les réclamations des exploitants.
J’entends l’honorable M. de Burdinne dire que c’est aux nombreux arrivages des grains en 1832 et 1833 qu’il faut attribuer en partie la baisse de cette denrée. Je l’entends qui dit qu’au prix actuel des grains, les cultivateurs pourront à peine, avec leurs produits, couvrir les frais de culture, et qu’ils devront faire servir les économies des années antérieures au paiement de leurs fermages et contributions.
Cet état de choses me convainc de la nécessité de mesures législatives sur cet important objet.
J’en suis encore plus convaincu lorsque je vois l’honorable M. Coghen, ancien ministre, grand propriétaire et grand industriel, et qui en cette triple qualité peut apprécier les besoins généraux du royaume, se charger de justifier la nécessité de ces mesures législatives.
La loi qu’il nous propose consiste, après avoir consacré la liberté d’exportation de nos céréales, à prohiber l’entrée des grains étrangers, lorsque sur nos marchés le prix du froment sera de 13 francs l’hectolitre et celui du seigle de 8 fr., et à assujettir ces grains à un droit d’entrée, lorsque le prix de la denrée sera de 14 francs, 8 francs et au-dessus.
Cette loi répondra-t-elle aux besoins généraux du royaume ? Ici est toute la gravité de la question.
Depuis quelques jours, dans des entretiens particuliers, j’ai été témoin d’une grande controverse.
Les uns, raisonnant sur les circonstances, soutenaient que l’on devait suspendre la liberté de l’exportation$ lorsque le prix du froment était de 15 à 16 francs et celui du seigle de 9 fr. ; il y a, disaient-ils, vu l’abondance des céréales dans le pays, peu d’espoir de voir promptement ce résultat ; mais la suspension de la liberté de l’importation peut seule le produire. Ils concluaient donc qu’il fallait suspendre l’entrée des grains étrangers du moment que le prix de l’hectolitre de froment était sur nos marchés en dessous de 16 francs et celui du seigle en-dessous de 9 francs et un centime.
Les autres, raisonnant en thèse générale, soutenaient que les prohibitions seraient plus funestes qu’utiles : le commerce des grains prendra tout d’abord une autre direction, l’Angleterre et la Hollande recueilleront les fruits de notre imprudence, et si la rareté de cette denrée se fait un jour sentir, nous devrons alors recourir à grands frais à ces puissances pour notre propre consommation. Sous ce dernier rapport la question a beaucoup de gravité.
Mais la conséquence de ce dernier système, c’est la liberté du commerce des grains ; et cependant de bons esprits, entre autres M. Coghen, reconnaissent qu’il y a des circonstances où il convient de suspendre la liberté de l’importation.
M. Coghen convient du principe et en propose l’application. Il ne s’élève des réclamations que contre l’application qu’il en fait. Suivant cet honorable membre, je l’ai déjà dit, la prohibition ne doit avoir lieu que lorsque sur nos marchés le prix de l’hectolitre de froment est moins de 13 fr. 1 centime et celui du seigle moins de 16 fr. 1 cent., tandis que, suivant d’autres, la prohibition doit commencer lorsque le prix de l’hectolitre de froment est moins de 16 fr. et celui du seigle moins de 9 fr. 1 cent.
Ainsi le principe de la prohibition ne sera pas sérieusement contesté dans cette chambre ; il n’y aura et il ne peut s’élever de discussion que sur son application. Admettra-t-on le chiffre de prohibition proposé par M. Coghen, ou l’élèvera-t-on ? Là est toute la question. C’est sur cette question seule, si nous étions économes de discours, que les débats devraient uniquement porter.
Dans les circonstances actuelles on proclamera vainement les avantages de la liberté du commerce, ou plutôt on s’élèvera vainement contre le système prohibitif ; on objectera vainement que si l’on repousse des marchandises étrangères, les peuples froissés peuvent repousser à leur tout les marchandises qu’on les envoie ; cette théorie, quelque juste, quelque séduisante qu’elle soit à bien des égards, ne produira aucun effet en présence des souffrances de l’agriculture, à la prospérité de laquelle le pays tout entier est et doit être intéressé ; car toutes les classes ont intérêt à ce que les prix des céréales se soutiennent d’une manière convenable. Pour ma part, dans la situation des esprits, j’ai l’intime conviction qu’on ne portera son attention que sur un seul point, le prix de la denrée qui servira de base à la prohibition.
Du moins c’est là qu’après un examen sérieux que j’ai fait du projet de loi, j’en ai aperçu l’objet le plus important. Et si la discussion ne vient pas modifier mon opinion, elle sera pour une élévation du chiffre proposé par l’honorable M. Coghen à la prohibition à l’entrée.
M. Lardinois. - La question des céréales s’est toujours présentée aux yeux des législateurs de tous les pays comme une de ces questions vitales, intimement liées aux intérêts les plus chers de la société. Aussi, avant de la résoudre, elle a besoin d’être longtemps méditée, et il es nécessaire de soumettre à une investigation sévère les principes et les faits.
J’ignore, messieurs, si la marche que nous suivons est celle que réclame cette grave question. J’en doute. Vous avez refusé au ministère un délai de quelques jours pour examiner les avis des chambres de commerce et se préparer à une discussion sur un objet de la plus haute importance, et sur lequel son opinion n’était pas encore définitivement arrêtée. Quant à moi, je le déclare, je suis pris au dépourvu ; j’avais cru qu’on aurait discuté avant tout les lois d’organisation intérieure ainsi qu’il en avait été convenu, et qu’une question aussi immense que celle des céréales ne serait pas traitée ex abrupto, et lorsque l’époque de clore la session est arrivée. Mon but donc, en prenant la parole, est de motiver mon vote plutôt que de concourir à une discussion approfondie.
Lorsque Colbert voulut transformer la France en pays manufacturier, il provoqua des lois de douanes restrictives qui nuisirent beaucoup au commerce hollandais. Les états-généraux, par mesure de représailles contre la France et contre l’Angleterre, suivirent un système analogue, mais ils s’aperçurent après plusieurs années d’exercice, que le système prohibitif détruisait la prospérité de la Hollande, et il fut abandonné.
L’expérience des Hollandais en cette matière, messieurs, nous a beaucoup servi, et peut-être malgré nous, pendant notre réunion. C’est à eux que nous devons le système des douanes qui nous régit encore et à la protection duquel notre commerce et la plupart de nos industries ont prospéré. Ces hommes expérimentés savaient que les progrès de l’industrie étaient attachés à la modération des droits, et que le commerce en général ne peut se mouvoir lorsqu’il est environné d’entraves ; ils comprenaient enfin la législation qu’il fallait adopter pour assurer la prospérité des intérêts matériels d’un pays.
Je pense que cette opinion sera partagée par tous ceux qui voudront se dégager de leurs préventions contre nos anciens frères néerlandais. Les lois de douanes sont un bienfait qu’ils nous ont légué ; mais, au train que nous allons, je crains beaucoup que l’intérêt de localité ne parvienne à détruire la poule aux œufs d’or.
De tous côtés, on entend crier : protection au commerce et à l’industrie ! Et la protection se résume en définitive dans le privilège que réclame pour chaque industrie particulière. Si on examine froidement ce qui se passe, messieurs, on ne trouve dans ces diverses prétentions qu’égoïsme et contradiction.
Les uns vous demandent de protéger le commerce maritime et ils veulent entraver de toute manière les importations des grains étrangers qui peuvent si puissamment contribuer à activer notre marine marchande ; les autres veulent la protection de l’agriculture, et ne trouvent pas étrange de frapper d’un droit la sortie des lins et des étoupes ; un troisième, enfin, vous dit gravement que les manufactures qui occupent une population immense méritent une sollicitude toute spéciale du gouvernement, et on le provoque bon gré malgré à faire renchérir les matières premières et à forcer l’augmentation du prix de la main-d’œuvre. C’est, en vérité, messieurs, la tour de Babel, il n’y a plus à s’y reconnaître, et l’on est saisi de pitié et de dégoût à la vue de ces projets de loi qui ruinent l’un sans enrichir l’autre, et qui menacent de détruire la prospérité matérielle du pays.
Je ne dirai pas que c’est aujourd’hui le tour de l’agriculture, mais celui des céréales qui ne font qu’une partie de l’agriculture. Cette partie est bien la plus considérable de la culture, mais pas la plus intéressante ni celle dont les produits ont le plus de valeurs intrinsèques. D’ailleurs, produire des grains est le fait de l’homme sauvage comme de l’homme civilisé ; c’est une industrie qui peut être exercée dans tous les climats et sans aucun effort d’intelligence.
Je fais ces remarques, parce que, dans plusieurs rapports et développements, on a voulu faire considérer la culture des céréales comme absorbant toute l’agriculture, et que d’un autre côté on a voulu lui donner une suprématie marquée sur le commerce et l’industrie manufacturière.
Dans une circonstance semblable je me suis expliqué sur cette prétention, et j’ai prouvé que ces deux dernières sources de la fortune publique, multipliant à l’infini les produits et les valeurs, avaient sur le travail une action immense que ne peut avoir l’agriculture : du reste, il ne s’agit pas de savoir quelle est la branche qui occupe le premier rang et qui mérite la préférence ; nous devons connaître que lorsqu’il y a souffrance dans quelque grande partie de la richesse nationale, elle réagit sur le reste de l’état social, et le malaise devient général ; ainsi il est de l’intérêt de l’agriculture, du commerce et de l’industrie de se porter mutuellement secours, car leur destin les oblige à partager leurs souffrances comme leur prospérité.
Malheureusement, dans la complication des intérêts divers, il est difficile de les concilier et de les harmoniser, et dans ce conflit le législateur doit se féliciter lorsqu’il a pu rencontrer l’intérêt général dans ses décisions. La question des céréales a fait le tourment de tous les pays, et chaque fois la dernière législation était en apparence toujours la meilleure ; mais le problème est encore à résoudre et il est probable que sa solution tient à la liberté du commerce des grains.
Les économistes sont d’accord sur une chose : c’est que de tous les impôts celui sur le blé est considéré comme le plus odieux parce qu’il se prend sur le consommateur, non au profit de la société, mais en faveur d’une certaine classe de producteurs, et que les premières et les plus nombreuses victimes de cette iniquité sont les ouvriers qui doivent vivre d’un faible salaire acquis par un travail pénible. Les propriétaires ne sont pas de l’avis des économistes, messieurs, et je crains bien que le soleil de juillet 1834 n’éclaire pas encore le triomphe de cette opinion généreuse ; mais patience, cela viendra.
Depuis 1814 notre législation sur les céréales a éprouvé plusieurs changements : le droit à l’entrée sur les grains étrangers fut d’abord faible, mais il grandit successivement, et l’honorable M. Coghen nous apprend que ce succès fut le fruit du courage et de l’éloquence des députés belges aux états-généraux. En 1827, le droit d’entrée sur les céréales avait atteint l’apogée qu’on pouvait raisonnablement désirer même pour une année d’abondance extrême. Lorsque la révolution éclata, le gouvernement provisoire n’eut rien de plus empressé que de permettre la libre importation des céréales et d’en défendre l’exportation. C’était à la fois une mesure sage et politique, et personne ne s’avisait de la critiquer ni de s’en plaindre, car alors chacun cherchait à plaire au peuple qui régnait sur la place publique et qui combattait les bras nus pour nos libertés.
Cet état de choses a duré pendant 1830, 1831 et 1832 ; malgré l’abondance des deux dernières années et les nombreuses importations qui eurent lieu, le prix des grains se soutint parce que différentes circonstances en augmentèrent la consommation ; mais, la récolte de 1833 se présentant riche, les agriculteurs en furent effrayés, et après de longs débats ils parvinrent à faire rétablir le tarif de 1827.
C’est ce tarif, sous le régime duquel le commerce des grains se fait, dont on se plaint comme n’accordant pas une protection suffisante à l’agriculture. A cet effet deux propositions ont été faites, l’une par l’honorable M. Eloy de Burdinne, l’autre par M. Coghen comme rapporteur de la commission
C’est en présence de ces deux propositions que vous vous trouvez, messieurs ; la première paraît avoir été coulée par les arguments relatés dans le rapport du 10 juin, fait par M. Coghen au nom de la section centrale et de la commission d’industrie réunies. Je souhaite que l’honorable M. Eloy coule à son tour le projet de M. Coghen ; il y aura ainsi compensation, et le pays gagnera à ces deux défaites.
En supposant que telle pourrait être l’intention de l’honorable membre, je me permettrai de présenter quelques considérations auxiliaires.
Si j’avais à me rallier à un des deux projets de loi, je crois que je donnerais la préférence à celui de la première proposition. J’estime la franchise de l’honorable M. Eloy de Burdinne, il ne va pas par quatre chemins, et il ne veut pas ménager la chèvre et le choux. L’agriculture, vous dit-il, c’est-à-dire la culture des céréales, tient le haut bout parmi les industries en Belgique ; elle remplit abondamment les coffres de l’Etat ; elle est une source de bien pour le commerce et pour les manufactures : protégez l’agriculture.
Je ne conteste pas ces vérités, je sais que l’agriculture fournit sa bonne part pour les besoins sociaux ; mais il faut s’entendre sur la protection que quelques esprits regardent comme synonyme de monopole. Lorsque le prix des grains est à un taux capable de satisfaire un cultivateur raisonnable, il est encore protégé par un droit de 9 à 11 p.c. suivant l’espèce ; et lorsque le froment est à 12 fr. l’hectolitre le droit d’entrée représente 18 p. c. de la valeur, et 17 p. c. pour le seigle lorsque le prix est descendu à 8 fr. l’hectolitre. D’après votre projet vous demandez, dans les mêmes circonstances, un droit à l’entrée de 50 p. c. : mais cette protection ne ressemble pas mal à une prohibition.
L’honorable M. Coghen déplore la détresse de l’agriculture, mais il s’attendrit aussi sur le sort du commerce et des manufactures, et personne mieux que lui n’est à même de se faire une idée de leur pénible situation. En jetant un coup d’œil sur le tarif des grains qu’il présente, il me fait l’effet de ce dieu de la fable qui n’embrassait ses enfants que pour les étouffer. Il propose de fixer le droit d’entrée du froment à 37 francs 50 centimes l’hectolitre et le seigle à 21-40 ; de sorte qu’au cours précité de 12 francs et de 8 francs l’hectolitre, cela fait pour le froment un droit de 30 p.c. et pour le seigle 24 p. c. environ de la valeur.
Ce n’est pas tout, il va encore plus loin, plus loin que l’honorable M. Eloy de Burdinne et même que le système français ; il établit un minimum et un maximum, c’est-à-dire, en certains cas, la prohibition à l’entrée et à la sortie des céréales. Ah ! c’est trop, laissez-nous ; l’aménité de votre langage nous fait mal en présence de ces faits ! Votre proposition nuit à la fois au commerce, à l’industrie, au producteur et au consommateur.
Je préfère en plusieurs points le tarif de M. Eloy ; car s’il sacrifie souvent le consommateur, il est beaucoup de cas où il laisse seulement au cultivateur le prix moyen qui permet une culture fructueuse modérée.
La prohibition ! Mais ce point d’économie politique est jugé sans retour. La prohibition est aussi fâcheuse pour le producteur que pour le consommateur. Elle laisse le commerce dans l’incertitude ; elle produit des intermittences et des alternatives d’importation et de prohibition qui découragent la spéculation, qui est le grand moyen de rétablir l’équilibre entre les bonnes et mauvaises années de récolte. D’un autre côté elle pousse aux approvisionnements extraordinaires dans les entrepôts, et fait baisser les prix outre mesure en versant à l’improviste des quantités énormes de grains sur les marchés intérieurs.
Ces réflexions s’appliquent également au système gradué qui laisse le commerce et la spéculation avec l’inconvénient de l’instabilité des prix. Ce seul motif me suffirait pour rejeter la loi.
Lorsque l’on considère l’état avancé de notre industrie et les besoins réels du commerce proprement dit, on est vraiment effrayé du système prohibitif qui paraît dominer dans cette assemblée. Toutes les grandes industries, armes, coton, toile, draps, productions agricoles, manufacturières, exploitations de toutes natures, etc., ont besoin d’écouler l’excédent de leurs produits ; c’est à l’étranger qu’on doit trouver des débouchés, et chaque jour on ferme davantage la porte aux échanges. Les manufactures et les arts industriels ne grandissent et ne peuvent soutenir la concurrence qu’en produisant à bon marché, et l’on cherche à faire augmenter les matières premières et les denrées de première nécessité. Qu’on me permette de répéter ici une vérité qui paraît triviale à force d’être dite : C’est que le prix de la journée de l’ouvrier suit invariablement le prix des céréales.
J’ajouterai que la prospérité des fabriques qui, réunies, emploient un million et demi d’individus, procure une consommation immense des produits agricoles supérieurs aux valeurs des céréales, tels que houille, fer, garance, vin, huile, lin, viande, etc., etc. Si vous les sacrifiez, vous portez par là atteinte à une grande partie de l’agriculture.
En faisant élever les prix des denrées de première nécessité, vous frappez plus particulièrement la masse pauvre des consommateurs ; vous propagez ainsi la misère, et vous savez qu’elle enfante l’émeute, le pillage et l’assassinat.
Une considération d’ordre public doit aussi vous frapper, messieurs. La société entière est agitée d’un besoin qu’elle ne peut pas encore définir ; on ne peut prévoir quelles convulsions sortiront de la tourmente actuelle, mais ce que nous voyons de plus positif, c’est que les plus grands génies du siècle prêchent des doctrines anarchiques qui commencent à faire trembler ; que partout l’on reconnaît le besoin d’une amélioration sociale, et qu’on proclame cette vérité consolante ; il est injuste de n’accorder pour salaire au travailleur que la continuité de sa misère.
Les gouvernements prévoyants comprennent leur intérêt et celui de la société, en cherchant à améliorer la condition des prolétaires. Ce n’est pas en inscrivant dans les lois des doctrines plus ou moins libérales que l’on y parviendra, mais en les pratiquant surtout pour les intérêts matériels. L’ouvrier anglais s’inquiète fort peu des réformes morales ou religieuses, mais il sait quel bien ferait la suppression de la taxe sur la drèche. Le ministère anglais a commencé par supprimer le droit de fabrication sur la bière, qui s’élevait à 75 millions, parce que c’était un objet que le peuple consomme.
Lorsqu’un pays est régi par de mauvaises lois sur les céréales, le commerce des grains ne tarde pas à s’en éloigner ; alors le gouvernement, dans un temps de disette, doit se résigner à d’énormes sacrifices pour faire venir des blés de l’étranger, et ce remède est souvent inefficace pour secourir des populations affamées. C’est dans le cas de ces disettes que je conçois la possibilité de défendre la libre exportation des céréales.
Sans doute, le pays doit protection à toutes les industries ; mais lui est-il permis et ne serait-il pas dangereux pour la paix publique de frapper de 30 p. c. une denrée de première nécessité ? Les producteurs de céréales réclament une nouvelle protection ; je pense que celle dont ils jouissent est suffisante : je m’explique.
Déjà je vous ai fait remarquer que le droit d’entrée sur le froment et le seigle s’élève de 9 à 20 p. c. de la valeur, selon le prix de l’hectolitre. Ajoutez à cela les frais de transport, de commission, etc., et vous verrez si la concurrence n’est pas possible contre les grains étrangers.
La Belgique consomme annuellement de 11 à 12 millions d’hectolitres de grains, qui à raison de 2 fr. de droit à l’entrée, terme moyen, répond à une prime de 22 à 24 millions que l’on prélève sur les consommateurs en faveur d’une seule classe d’agriculteurs, en admettant que l’étranger puisse fournir à meilleur marché que nos producteurs ce qui est généralement reconnu.
Par votre dernière loi sur les distilleries, vous avez encore sacrifié plusieurs millions d’impôts en faveur de l’agriculture.
Cette loi a de plus une influence funeste sur le moral des ouvriers et des soldats, elle favorise l’ivrognerie par le bas prix du genièvre, et c’est une cause de beaucoup de crimes.
J’estime que l’importation des grains étrangers pour la consommation est dans un rapport de 3 à 100 : du moins c’est le résultat des calculs que j’avais faits sur les importations de 1832, en blé sarrasin, orge, seigle et froment.
D’après ces observations, je crois pouvoir conclure que l’avilissement du prix des céréales n’est pas le résultat des importations, mais la cause doit être principalement attribuée à l’abondance des récoltes.
Je répète que la question des céréales est immense ; je vous ai soumis quelques considérations bien courtes et bien superficielles pour un pareil sujet, mais je n’étais pas préparé pour la discuter sous toutes ses faces. Je désire que l’idée d’augmenter le droit à l’entrée sur les céréales soit abandonnée, parce que dans le cas contraire vous compromettriez évidemment le commerce maritime et les manufactures. D’un autre côté, le peuple qui a fait la révolution en attend les conséquences, et en améliorant son sort sous le rapport matériel que vous pouvez acquitter votre dette à son égard. Si mes prévisions ne se réalisaient pas, si on ne montrait aucune sympathie pour les souffrances du peuple, on pourrait accuser la propriété, qui est si puissamment représentée dans cette chambre, de soutenir un système qui lui assure le privilège de vendre ses produits à des prix élevés, et de faire ainsi un bénéfice odieux au détriment des consommateurs.
J’ai dit.
M. Helias d’Huddeghem. - Est-il bien vrai, messieurs, qu’il suffit d’interroger le commerce pour connaître les besoins et même les vœux de l’industrie agricole et de l’industrie manufacturière ? Je ne pense pas qu’on pourrait le soutenir sérieusement lorsque des faits attestent le contraire, aussi bien pendant les quinze années de notre réunion à la Hollande que depuis notre régénération politique ; en effet, tandis que le haut commerce réclame, dans son intérêt, la plus entière liberté, l’absence de toute prohibition, l’industrie agricole prétend ne pouvoir se soutenir et prospérer sans être protégée par des droits qui lui assurent la préférence sur les produits étrangers dans nos marchés.
C’est ce qui a fait dire à un orateur distingué de la chambre des députés de France :
« Qu’il y a trois intérêts distincts qui doivent être pondérés : l’intérêt agricole, l’intérêt des commerçants et l’intérêt des industriels.
« L’intérêt de l’industriel peut exiger des prohibitions, tandis que l’intérêt du négociant s’y oppose ; l’intérêt du commerçant peut exiger des importations, et ces intérêts peuvent blesser les intérêts de l’industriel et de l’agriculteur. »
Je pense que nous serons d’accord que la prospérité d’une nation consiste à exporter le plus et à importer le moins ; à n’importer surtout que les produits fabriqués ou à fabriquer, qu’elle n’a pas assez abondamment pour sa consommation ; à ne les importer que lorsqu’ils ont dépassé chez elle le prix qu’il coûte pour les produire ou les fabriquer ; autrement le producteur et les fabricants seraient obligés de renoncer, l’un à la culture du sol, l’autre à son genre d’industrie.
C’est en suivant ce système qu’on est parvenu en France et en Angleterre à faire prospérer l’agriculture et les manufactures. Une liberté déréglée du commerce n’amènerait-elle pas infailliblement l’anéantissement de l’une et de l’autre industrie ? Je vais prendre pour exemple l’importation en Belgique des céréales.
Il est inutile d’insister sur un point généralement reconnu. La Belgique produit plus de céréales qu’il n’en faut pour sa consommation : que serait-ce si la liberté du commerce extérieur qui semble aujourd’hui l’utopie de quelques-uns, que serait-ce, dis-je, si la liberté indéfinie du commerce extérieur rendait cette importation permanente ?
Certes notre culture ne peut produire un hectolitre de blé au-dessous de seize à vingt-quatre francs. Eh bien, la Russie, la Pologne, la Prusse nous entourent et épient le moment de nous en offrir à six, huit et dix francs ; et si nous acceptons, il faut que notre culture croule : que deviendra alors notre richesse territoriale ?
L’honorable M. Meeus vous a dit que le fret des grains du Nord revient à 4 ou 5 francs, et je me fonde ici sur un mémoire présenté par les cultivateurs de Groningue en 1825 aux états-généraux : ils exposent que si la baisse des grains continuait, leur état serait déplorable puisque les grains de Lubeck et de l’Occident seraient livrés au marché d’Amsterdam à meilleur compte que ceux provenant de Groningue. Pour prouver leur assertion, ils joignaient un tableau du prix courant des grains du marché de Lubeck envoyé en septembre 1823 ; il résulte de ce tableau que la rasière revenait libre à Amsterdam, fret et tout compris, à 3 florins des Pays-Bas.
Sur quelle base percevra-t-on l’impôt, il faudra diminuer les baux de moitié, de plus peut-être, les impôts devront décroître dans la même proportion.
Quand les prix des grains baissent, les revenus territoriaux diminuent dans la même proportion : avec ce revenu diminuent d’un côté les ressources pour procurer l’amélioration des terres et entretenir tous les bras employés à la culture ; de l’autre, les moyens de consommation des produits du commerce et des manufactures. « Il est évident, disait un membre à la chambre des communes, en 1815, que le manufacturier doit souffrir de la baisse des grains ; car, si par exemple le revenu territorial est diminué de moitié, qu’il consulte ses livres, il faut qu’il se décide ou à restreindre sa vente, ou à diminuer ses prix de moitié, qu’il laisse les bras sans emploi ou qu’il renonce à une partie de ses bénéfices. »
Or, si cette proposition n’est point contestée dans un pays où le tiers seulement de sa population tire directement ses ressources de l’industrie agricole, que ne peut-on pas dire de celui où les trois quarts ne vivent que par elle, où l’autre quart n’est employée, pour la plus grande partie, qu’à la consommation intérieure ? Que si dans un pays où un fermier, d’après des calculs authentiques soumis à la chambre des communes, ne paie pas toutes les contributions, y compris la taxe des chiens, des chevaux et des domestiques de luxe, que de deux jusqu’à cinq pour cent de sa ferme, il montre une si grande crainte de voir diminuer son revenu, quelle compassion ne doit-on pas avoir du malheureux propriétaire qui, d’après notre budget, paie depuis 9 jusqu’à 20 pour cent de son revenu en contribution foncière seulement ?
L’excédant des importations en froment, pendant l’année 1833, n’a été que de 58,141,883 kilogrammes dans nos ports. Mais n’est-ce donc rien que ces cinquante-huit millions ? Cela ne fait-il pas en argent un capital très important, et en conséquence une perte réelle ? L’agriculture apprécie les millions ce qu’ils valent, parce qu’elle sait en tirer profit et les faire fructifier pour la masse de la nation et nullement dans l’intérêt de quelques particuliers.
Un approvisionnement de 15 à 20 millions peut, en se réalisant dans ses mains, devenir l’élément d’un grand accroissement de produits et de nouvelles valeurs.
Du moment qu’une nation conserve forcément des produits qui doivent périr dans ses mains, l’état de ruine commence, et, quel que soit le capital dont elle se trouve privée chaque année. elle agit en sens inverse de ces capitaux qui font pencher la balance du commerce en faveur de certains peuples étrangers.
Si le capital, dont est aujourd’hui privée l’agriculture, est de 15 à 20 millions, cette somme paraîtra sans doute d’une mince importance aux yeux de ceux qui se sont accoutumés à traiter de ces sommes prodigieuses qui figurent aujourd’hui dans le budget. Mais, on ne peut trop le dire, c’est ici un capital productif, un capital qui se serait multiplié à l’infini, comme une nouvelle semence de richesse. Toutes les fois que des circonstances procurent des bénéfices ou des allégements à l’agriculture, sa prospérité se fait promptement remarquer ; c’est une nouvelle époque de développement pour elle.
Il est de l’intérêt du commerce, comme il est dans l’intérêt des cultivateurs et des propriétaires, que les productions soient vendues à leur prix nécessaire ; en obtenant une indemnité convenable de toutes choses, le commerce étend la culture, augmente la masse des richesses renaissantes, la puissance de l’Etat et sa prospérité ; c’est ainsi que son intérêt particulier est entièrement conforme à l’intérêt général, tandis que celui des agents du commerce tend constamment à exciter des mouvements convulsifs dans les prix pour augmenter leur rétribution, qui est le résultat du prix entre la vente de la première main et celui de la revente ; s’il leur est impossible d’augmenter le second, ils font tous leurs efforts pour diminuer le premier, afin de rendre la différence de ces deux prix plus considérable. Si ces moyens sont insuffisants, ils deviennent les instigateurs de fausses mesures, ils égarent l’autorité, font une guerre intestine au commerce national, et détruisent toutes les opérations possibles de l’intérieur ; à l’aide d’une loi de trafic indéfini qui sera constamment la cause d’un vide meurtrier, ou plus souvent d’un superflu ruineux, ils trafiquent avec le nord, sans aucun risque ; ils en reçoivent des masses énormes de grains qu’ils livrent sans cesse en baisse à la consommation, au moment où leur propre patrie se trouve dans une situation désespérante par une grande surabondance, et par l’impossibilité permanente d’exporter ses produits, dont la vilité du prix est au-dessous de celui de la reproduction ; tout entiers à leur trafic, qu’ils regardent encore exclusivement comme une des principales branches de leur politique, malgré que les trois quarts de la population ne vivent que par l’agriculture, ils soutiennent des systèmes dont les principes factices sont contraires à l’ordre physique.
Cette opposition d’intérêts, qui durera tant que la législature n’y aura porté remède, est le principe des dommages que le trafic s’efforce constamment de causer au commerce, et qu’il ne peut manquer de lui faire souffrir, pour peu qu’il continue d’avoir la préférence sur les véritables intérêts du pays.
Quelle serait l’extrême surprise des législateurs s’ils connaissaient tout le dommage que ce système porte à leur patrie, et si on leur désignait en même temps le genre d’atteinte qu’elle porte à la propriété ; cette analyse serait un contraste frappant avec les fausses idées de bonheur et de prospérité dont on les a assourdis pour captiver leurs suffrages.
Pour faire diversion à l’état d’abandon et de misère dans lequel languit l’agriculture, on oppose des opérations brillantes et multipliées du trafic maritime dans les contrées éloignées ; mais un grand étalage de commerce au-dehors, dont les résultats nous restent inconnus, avec un infiniment faible en dedans, ne peut éblouir personne de raisonnable, car il ne peut être que le fruit d’un besoin impérieux et la preuve la plus authentique de la misère ; ces entreprises ne peuvent être que les efforts par où on fait passer le terme de la richesse, pour ne plus revenir au foyer qui devait la reproduire.
C’est à la faveur de ces méprises que l’erreur ouvre un vaste champ à la cupidité du trafic ; elle l’invite pour ainsi dire à spolier l’agriculture sans crainte de réclamations qu’on ne pourrait traiter de séditieuses ; et tandis que celui-ci jouit de son inviolable immunité, il n’est aucun lieu où l’agriculture puisse se soustraire aux atteintes multipliées qu’on porte à la sienne ; elle trouve partout une foule de taxes sur les laboureurs, sur leurs opérations, sur leurs logements, et notamment sur leurs consommations ; elle ne peut parcourir les routes, naviguer sur les rivières ou canaux, sans être soumise à des contributions onéreuses ; les taxes municipales, les octrois l’épient aux portes des villes et l’attaquent sur les marchés.
On ne peut voir sans satisfaction la prospérité des hommes, quelque part qu’elle ait lieu ; mais que cette prospérité soit violemment créée par nous, à nos dépens, par le malheur de 3 millions de Belges, par l’anéantissement de leur industrie, la destruction de leur culture, c’est ce qui est intolérable ; c’est à cela que l’on vous propose de remédier : le remède, nous le pensons, est simple, facile, et sans danger quelconque.
Ayons plus de confiance dans les ressources d’un territoire qui, sevré du commerce des mers pendant tant d’années a accru son agriculture, augmenté sa population en proportion, quadruplé son industrie ; et nous verrons si c’est contre du blé que nous devons échanger nos capitaux les plus précieux, puisque ce sont eux qui retournent immédiatement à la source de toutes richesses.
Laissons ce pénible soin aux peuples déshérités par la nature ; mais, quant à nous, la nature nous a trop bien traités pour abandonner nos propres ressources, qu’il ne s’agit que de développer et de ménager.
- La séance est levée à 4 heures.