(Moniteur belge n°173 du 22 juin 1834 et Moniteur belge n°174 du 23 juin 1834)
(Moniteur belge n°173 du 22 juin 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à une heure.
M. de Renesse fait l’appel nominal.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal, dont la rédaction est adoptée.
M. de Renesse fait connaître à la chambre les pièces suivantes.
« Trois habitants de Berendrecht réclament une indemnité pour les pertes essuyées par suite de l’inondation du polder Lillo. »
- Renvoyée à la commission des pétitions.
« Le sieur de Tillieux adresse des considérations à l’appui du projet de loi sur la circonscription judiciaire des cantons en ce qui concerne les notaires. »
- Renvoyée à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.
M. Jullien demande un congé de quelques jours.
- Accordé.
M. de Renesse. - Messieurs, déjà l’année dernière plusieurs honorables membres de cette chambre ont prouvé que les travaux à faire aux rives de la Meuse, dans la province de Limbourg, étaient des plus nécessaires pour prévenir les grands désastres qui peuvent résulter des effort que ce fleuve fait presque chaque année à la haute crue des eaux, pour se frayer un nouveau lit, ce qui arriverait indubitablement si l’on ne prenait des mesures contre son envahissement progressif.
La Meuse parcourt la province sur une étendue de 28 à 30 lieues. Le peu d’élévation du terrain, dans la plus grande partie de son cours, et la nature du sol, favorisent singulièrement la dégradation des bords ; pour y obvier, il a fallu presque continuellement dépenser des sommes très fortes en construction de digues et autres ouvrages de défense.
Sous l’ancien gouvernement, le produit de tous les revenus de la Meuse a été imposé à la province, à charge par elle de pourvoir à l’entretien des rives ; cependant, malgré les termes formels de l’article 4 de l’arrêté royal du 17 décembre 1819, la province n’a jamais joui que du droit sur la navigation : le produit de la tenue des passages d’eau ne lui a pas été concédé, malgré les justes réclamations des états provinciaux. Les sommes perçues par la province (environ 20,000 florins par année) n’ont jamais suffi pour couvrir les dépenses de l’entretien des bords de la Meuse ; toujours les moyens ont été au-dessous des besoins ; elles étaient distribuées comme subsides au communes menacées d’inondation.
Depuis notre révolution, il est à votre connaissance, messieurs, que pendant plus de deux années aucune navigation n’a pu avoir lieu par suite de la fermeture de la Meuse à Maestricht : ce ne fut qu’après la convention du 21 mai 1833 que cette navigation put reprendre son activité ; mais par contre la province perdit par cette même convention son droit aux péages établis par l’arrêté royal du 17 décembre 1819.
Il est impossible, messieurs, que la province puisse dans cet état de choses supporter la charge de l’entretien des rives de la Meuse ; c’est dans l’intérêt général qu’elle a dû sacrifier le revenu qui lui avait été accordé à ce but ; il faut donc que la généralité vienne à son secours, et lui accorde chaque année les fonds nécessaires à l’entretien de ce fleuve pour aussi longtemps que le pays en entier jouit des avantages du traité du 21 mai. J’appuie de toutes mes forces la proposition de mon honorable collège M. Olislagers, et j’espère que la chambre voudra l’accueillir favorablement, vu la position toute particulière où se trouve actuellement la province de Limbourg.
M. Olislagers. - Messieurs, je crois que la question qui vous est soumise dans ce moment ne suscitera guère de difficulté ; car vous vous rappellerez, messieurs, qu’à la séance du 15 février dernier, lorsque j’eus l’honneur de présenter l’amendement par lequel je proposais d’allouer au budget de l’intérieur une somme de 50,000 francs pour des réparations urgentes à faire aux rives de la Meuse à Maeseyk et Aldeneyk, les principales objections de ces messieurs qui s’opposaient à ma proposition étaient qu’ils craignaient que ce ne fût un double emploi, vu qu’au mois d’octobre dernier la législature avait alloué une somme de 73,000 fr. pour le même objet sur la proposition de mon honorable collègue et ami M. de Theux. Je dis donc que nos honorables collègues désiraient être éclairés sur ce point : eh bien, je crois que le rapport de M. le ministre ne leur laissera plus aucun doute à ce sujet.
Ces mêmes honorables membres objectaient aussi que si les ouvrages étaient si urgents que je le signalais, il était étonnant que M. le ministre n’eût pas porté l’allocation au budget ; d’après cela ils allaient même jusqu’à dire qu’il était probable que je m’exagérais les dangers :le rapport répond encore à ces objections. Je me flatte donc, messieurs, que la justice qui vous dirige dans toutes vos délibérations vous rendra favorables à la proposition que j’ai eu l’honneur de vous faire en faveur de la province de Limbourg que je représente ici.
En effet, messieurs, la chambre ne s’est jamais refusée à accorder des secours aux provinces qui en ont réclamé ; je ne puis donc croire que vous vous opposerez à ceux que réclame à si juste titre la province de Limbourg qui a tant soutient par la révolution, et pour laquelle on a si peu fait, comme vous l’a fort bien fait observer mon honorable collègue et ami M. Simons dans un lumineux discours qu’il a prononcé à cette chambre l’année dernière, lors de la discussion sur la même matière. Je ne répéterai donc pas ce que cet honorable membre vous a si bien développé alors ; je vous dirai seulement encore quelques mots à l’appui de ma proposition.
Lors du malencontreux cadeau que le gouvernement précédent fit à la province par la cession de la Meuse, il ne lui fut accordé par arrêté du 17 décembre 1819 que le droit de navigation, à charge de pourvoir à toutes les dépenses d’entretien et de réparation des digues et autres travaux de défense le long du fleuve ; ce droit tel qu’il a été établi ne rapporte annuellement que de quarante-trois à quarante-cinq mille francs, somme qui est loin de suffire à l’entretien annuel qu’exigeraient les ouvrages à faire pour le maintien des rives de la Meuse ; mais au moins elle était suffisante pour subvenir aux dépenses les plus urgentes et empêcher que, par des ruptures de digues, des villages entiers ne fussent ravagés par les eaux.
A la révolution ce léger secours fut encore enlevé à la province par la fermeture de la Meuse, dont la navigation fut interrompue depuis le mois d’octobre 1830 jusqu’au moment du traité du 21 mai 1833 : à cette époque la députation des états de la province s’empressa de rétablir les bureaux de péage pour la perception des droits de navigation ; mais, sur les plaintes du commerce, M. le ministre de l’intérieur invita la députation des états par lettre du 17 août, à la faire cesser provisoirement, sous promesse d’indemniser la province du produit dont elle allait être privée.
Vous voyez donc, messieurs, que si la province n’a pas fait d’ouvrages aux rives de la Meuse depuis la révolution, c’est que les fonds destinés à cet objet lui ont été enlevés. Il y a donc force majeure, et c’est ce qui nous engage à recourir au gouvernement pour obtenir quelque secours, pour empêcher les grands désastres dont la ville de Maeseyk et le village d’Aldeneyk sont menacés.
L’Etat a un grand intérêt à ce que ces ouvrages se fassent, car si la Meuse parvenait à se creuser un nouveau lit, comme elle le menace, le village d’Aldeneyk et quelques centaines de bonniers des meilleures terres et prés seraient transférés sur la rive droite de la Meuse et deviendraient ainsi territoire hollandais. D’après ces considérations, je ne doute nullement, messieurs, que vous n’adoptiez le projet de loi présenté par M. le ministre de l’intérieur.
M. le président. - La parole est à M. de Behr.
M. de Behr. - Je demanderai si on discute simultanément les deux questions.
M. de Theux. - Je pense qu’il serait mieux de discuter ces questions séparément.
M. de Behr. - Je ferai observer qu’il y a des considérations qui s’appliquent à l’une et à l’autre question.
M. le président. - Lorsque la chambre jugera à propos de fermer la discussion générale, on pourra demander la division.
M. de Behr. - Messieurs, la proposition que j’ai eu l’honneur de faire à l’assemblée, conjointement avec d’autres collègues, lors de la discussion du budget de l’intérieur, a pour objet l’allocation à titre d’avance d’une somme de 80,000 francs destinée à des travaux à faire pour arrêter les envahissements de la rivière d’Ourthe dans le bras dit Forchu-Fossé, à Liège ; la section centrale à qui vous avez renvoyé l’examen de cette proposition, l’a accueillie favorablement, et le gouvernement lui a de même donné son assentiment.
Après cette double épreuve, il me restera peu de chose à dire pour justifier la demande dont il s’agit. Le Forchu-Fossé prend son nom de la courbe semi-circulaire qu’il décrit ; il n’est qu’un bras secondaire servant à la décharge ou trop-plein de la branche principale pour le mouvement d’un grand nombre d’usines qui y sont établies. La courbure augmente chaque année par des ébranlements considérables qui s’étendent à la distance de 22 mètres seulement de la branche navigable.
S’ils atteignaient cette branche, la rivière ferait irruption dans le Forchu-Fossé, qui est inférieur de plus d’un mètre au niveau du lit principal. Tout le village de Froidmont serait alors englouti, un terrain considérable enlevé à l’agriculture, la navigation de l’Ourthe interrompue, et les usines privées de leur activité au détriment des nombreux ouvriers qu’elles occupent et qui seraient sans moyens d’existence.
La proposition que j’ai faite tend à prévenir de pareils malheurs, en appelant le gouvernement à pourvoir aux besoins du moment, sauf à faire décider par les tribunaux la question de savoir à qui la dépense doit incomber, ou de l’Etat, ou des usiniers, ou des propriétaires riverains. Vous sentez, messieurs, que cette question donnera lieu à un procès très compliqué, dont on ne peut prévoir ni le terme, ni le résultat.
Pour vous en donner une idée, il me suffira d’indiquer quelques-uns des moyens que les parties intéressées se proposent de faire valoir : les riverains disent que l’Etat ayant perçu les droits de navigation sur l’Ourthe, ainsi que les droits de passage et les revenus de la pêche sur le bras du Forchu-Fossé, était dans l’obligation de faire les dépenses d’entretien d’après le principe d’équité naturelle que celui qui profite des avantages de la chose doit en supporter les charges ; que d’ailleurs les dommages ont pour cause immédiate et nécessaire les digues de barrage des moulins établis sur la branche principale et celle du Forchu-Fossé ; que ces ouvrages ont fait refluer les eaux vers la rive où les éboulements ont eu lieu, et ont engagé par suite la responsabilité du gouvernement qui les a autorisés.
D’autre part, les propriétaires d’usines prétendent qu’ils ne sont pas soumis à d’autres obligations que celles que les actes de concession leur ont explicitement imposées ; et de son côté, la province soutient que l’arrêté qui lui a abandonné les droits de navigation, n’a pu avoir d’effet rétroactif, et la grever de réparations extraordinaires de dommages qui existaient antérieurement, et dont la dépense incombait au gouvernement ou à d’autres.
Je n’entrerai pas dans de plus longs détails pour convaincre la chambre combien l’affaire est hérissée de difficultés, et présentera de questions à résoudre ; mais, en attendant, n’est-il pas juste, n’est-il pas rationnel que l’Etat vienne au secours des propriétaires intermédiaires qui ne sont pas riverains et ne sont pour rien dans cette affaire ; qu’il prenne les mesures nécessaires pour pourvoir aux besoins les plus urgents, et prévenir les malheurs incalculables qui seraient la suite d’un plus long retard ?
Dans tous les cas, le gouvernement est intéressé dans les travaux à faire ; car, tout en déclinant une partie de la responsabilité invoquée à sa charge, il doit convenir que le barrage d’un moulin établi dans le bras du Forchu-Fossé a contribué à refouler les eaux vers le point où elles ont causé les envahissements. Or, quelle que soit la part qu’il aura de ce chef à supporter dans la dépense, il est hors de doute qu’elle excédera la somme demandée, si les désastres que j’ai signalés venaient à se réaliser.
Il me reste à rencontrer un argument qui a été présenté dans une séance précédente. On a dit que les riverains étaient tenus de faire les dépenses d’entretien en retour des avantages qu’ils peuvent recueillir des accroissements de terrain par alluvion. Mais si l’on consulte les discussions du conseil d’Etat sur cette matière, on verra que ce n’est qu’une compensation des inconvénients qui résultent pour le propriétaire du voisinage de la rivière, et qu’il n’a point été dans l’esprit de la loi de l’assujettir à des obligations que doit naturellement supporter celui qui a la propriété des rivières et en retire tous les avantages.
Je crois donc pouvoir persister avec confiance dans la proposition que j’ai présentée à la chambre avec mes honorables collègues.
M. Simons. - Messieurs, après le rapport lumineux de l’honorable M. Dubus à l’occasion d’une proposition de même nature que vous avez adoptée en septembre dernier, après les renseignements qui vous ont été fournis dans la séance du 16 juin par l’honorable rapporteur de votre section centrale, par suite de la proposition qui fait actuellement l’objet de vos délibérations, il devient sans doute inutile de vous dérouler de nouveau le tableau sombre de la position alarmante des propriétaires riverains de la Meuse dans la province du Limbourg. Je n’abuserai pas des moments précieux de la chambre. Je me réfère à cet égard pleinement aux considérations que j’ai eu l’honneur de vous mettre sous les yeux dans vos séances des 16 septembre et 26 février derniers.
Il reste donc incontestablement prouvé que les rives de la Meuse se trouvent en général dans un état qui exige des réparations importantes, et que, pour peu que l’on tarde à prendre des mesures efficaces, les suites les plus terribles en seront la conséquence inévitable. Je me bornerai aujourd’hui à réfuter succinctement les arguments que quelques honorables membres ont fait valoir dans une séance précédente pour combattre la proposition dont il s’agit.
D’abord on vous a représenté cette province comme se trouvant dans l’état le plus prospère. On vous a dit que la caisse provinciale est abondamment fournie des fonds ; et partant de là, on conclut qu’elle doit faire face elle-même à cette dépense.
La province du Limbourg dans un état florissant !! Est-ce bien sérieusement qu’on l’avance ? Je ne puis le croire ; et si le caractère franc et loyal de l’honorable membre ne m’était connu, je prendrai la chose pour une véritable dérision.
Je ne vous dirai pas que cette malheureuse province a été constamment accablée des logements militaires, qui ont écrasé les habitants du plat pays ; son patriotisme reconnu ne permet pas qu’elle s’en plaigne, mais ce qui est un fait incontestable, c’est que depuis la révolution les sources principales de sa prospérité sont taries.
La navigation de la Meuse, qui fournissait si abondamment à des milliers d’individus les moyens d’existence, a été interrompue dans toute la province du Limbourg durant trois années entières, et cet état de choses a plongé dans la misère la majeure partie des bateliers qui exerçaient leur industrie sur ce fleuve.
Le canal du Nord, dont à peine la province commençait à ressentir l’influence bienfaisante, a été frappé de nullité complète dès les premiers jours de la révolution, et l’est encore dans ce moment. Par là, une grande partie des populations des communes avoisinantes sont replongées dans la détresse ; leurs propriétés foncières sont diminuées considérablement de valeur, et l’écoulement de leurs produits agricoles est absolument anéanti.
La province ne possédait qu’une grande route de communication par Maestricht vers l’Allemagne.
Elle a fait des sacrifices énormes pour se la procurer. Eh bien, cette communication unique lui est aussi enlevée par l’état de siège continuel de la forteresse de Maestricht, et par suite elle se trouve en grande partie privée des revenus de cette route, qui devaient servir au paiement des intérêts et au remboursement partiel d’un capital de passé un demi-million, qu’elle a dû négocier pour cet objet.
Ce n’est pas tout, messieurs, pour achever sa ruine, le gouvernement l’a dotée d’une ligne de douanes au beau milieu de la province.
En un mot, messieurs, l’anéantissement complet de toutes ses communication sans exception ; un surcroît de charges insupportables par suite des cantonnements militaires ; des entraves continuelles dans l’exercice de son industrie ; l’enlèvement de tout débouché pour l’écoulement de ses produits agricoles, et pour comble de malheur, un avenir affreux pour une partie de la population intéressante : voilà la position malheureusement trop véritable de la province du Limbourg. Jugez après cela si elle mérite d’être impitoyablement repoussée lorsqu’elle vous demande un faible subside dans sa détresse.
Quant à la caisse provinciale, de ce qui précède il ne vous sera pas difficile de conclure que la situation n’est rien moins que brillante. Il est vrai qu’il y a pour le moment une assez forte somme en caisse. D’après le dernier budget provincial, que j’ai sous les yeux, cet excédant peut s’élever à un peu au-delà de 200,000 francs ; mais cette somme est à peu près intégralement destinée à faire face : 1° à trois ou quatre années d’intérêts du restant d’un capital de 539,682 francs 53 centimes, que la province a négociés pour subvenir aux frais de la construction de la route sur Aix-la-Chapelle ; 2° à l’amortissement partiel de ce capital, dont les termes arriérés se montent de 60,000 à 80,000 francs. Il n’y a donc réellement aucun fonds disponible dans la caisse provinciale pour faire la dépense qui forme, pour le moment, l’objet de vos délibérations.
Mais, en supposant qu’il y eût réellement des fonds provinciaux disponibles, pourrait-on équitablement exiger de la province qu’elle prît cette dépense à sa charge ? Je ne le pense pas. Je persiste à soutenir que l’arrêté de décembre 1819 est implicitement abrogé, quant à la province du Limbourg, par le traité du mois de novembre 1831 et par la convention du 21 mai 1833 qui en est la suite.
En effet, le chef du précédent gouvernement, en chargeant la province de ce fardeau, lui a concédé en même temps la jouissance du revenu de la Meuse, dont l’entretien lui fut imposé. Le revenu devait lui servir de compensation et l’indemniser des frais qu’elle était obligée de faire. Or, par les traités précités, ce revenu lui a été irrévocablement enlevé, et par suite elle est, en strict droit, dégagée de l’obligation de l’entretien des rives de cette rivière, qui ne lui a été imposé qu’en considération de la jouissance de ce même revenu.
Je répéterai, avec un honorable membre de cette assemblée, que l’article 9 du traité du 15 novembre et l’article 4 du traité du 21 mai ont changé quant à la Meuse dans la province du Limbourg, l’état des choses préexistant. La Meuse est sortie du domaine provincial pour entrer dans le domaine national ; et par suite j’en conclus que l’entretien des ouvrages de défense de cette rivière, de charge provinciale qu’elle était sous l’empire de l’arrêté de 1819, est devenue charge de l’Etat depuis le traité de novembre 1831, qui a reçu son exécution, quant à ce point, par la convention de Zonhoven.
Le gouvernement a interprété les conséquences de ces traités dans le même sens. En effet, lorsqu’en août 1333 la navigation sur la Meuse fût redevenue libre, les états provinciaux s’empressèrent de se remettre en possession des péages et rétablirent les bureaux pour en effectuer la perception.
Mais bientôt défense leur en fut faite de la part du gouvernement, qui, si je ne me trompe, déclara en même temps, de la manière la plus formelle, que la province serait dorénavant déchargée de l’entretien des rives de cette rivière ou au moins indemnisée de ce chef. Aussi, messieurs, la somme qui a été fournie dans le courant du mois d’août pour cet objet, et qui se monte à 2,022 francs 69 centimes, a-t-elle été versée dans les caisses du gouvernement, aux termes d’une dépêche de M. le ministre de l’intérieur en date du 17 août 1833, 4ème division, n°5529.
D’après cela il ne peut plus rester le moindre doute à cet égard. La province est définitivement déchargée de cette dépense, et elle s’opposera comme de raison, par tous les moyens de droit, à ce qu’une pareille charge lui soit imposée.
Mais, répond l’honorable membre dont je réfute les arguments, en admettant l’abrogation de l’arrêté de décembre 1819 pour la province du Limbourg, toujours reste-il certain que cette dépense ne peut être mise à charge du trésor de l’Etat.
Cet objet, ajoute-t-il, rentre dans le droit commun, et par suite, aux termes du code civil, les travaux quelconques nécessités pour des rives de la Meuse incombent aux propriétaires riverains. Ils profitent des alluvions qui se forment à leurs propriétés, il est donc juste qu’ils en supportent les charges.
Mais ne veuillez pas perdre de vue, messieurs, que la demande dont il s’agit ne vous est pas faite à titre d’obligation, mais à titre de secours, et même sauf recours contre les propriétaires débiteurs, s’il y a lieu. Leur refuser ce secours, dans l’état actuel des choses, serait exposer, de gaîté de cœur, toute une localité à des malheurs inévitables et dont les suites sont incalculables. Je dis inévitables, parce que les riverains sont dans l’impossibilité de faire face à cette dépense. La majeure partie préféreraient sacrifier leurs petites propriétés que de se soumettre à une dépense évidemment au-dessus de leurs forces.
On ne doit pas se faire illusion sur l’état de ces propriétaires riverains. La plupart sont très peu fortunés. Les uns possèdent pour toute propriété une petite cabane ; les autres, un petit fonds de peu de valeur. Les grandes propriétés sont extrêmement rares dans ces environs, et conséquemment vouloir que les propriétaires riverains se chargent exclusivement de cette dépense, c’est vouloir l’impossible. C’est condamner ces malheureux à une ruine inévitable. Prononcez sur leur sort. Après tous les sacrifices qu’ils ont faits pour le bien public, jugez s’ils sont dignes de votre commisération. Pour ce qui me concerne, convaincu de l’urgence des travaux dont il s’agit, j’appuie de toutes mes forces la demande d’allocation dont il s’agit.
M. Desmanet de Biesme. - Je désirerais que le ministre voulût bien donner des explications sur ce que vient de dire l’honorable M. Simons. Je demanderai si le gouvernement a pris à lui les péages de la Meuse, ou empêché la province de les percevoir ; car cette circonstance serait de nature à exercer une grande influence sur le vote que l’assemblée doit émettre. Je ne vois pas pourquoi le gouvernement a agi ainsi.
Il n’y avait jamais eu aucune réclamation pour réparations aux rives de la Meuse, quand la province percevait les droits de péage sur ce fleuve : profitant des revenus, elle supportait les charges. On a déjà accordé 72 mille francs l’année dernière ; pour cette année, on en demande 50 mille, et d’après ce qu’a dit le ministre à la commission, les réparations dont il s’agit devront entraîner des dépenses plus considérables.
Les explications que je demande pourront fixer vos délibérations ; vous verrez s’il ne conviendrait pas de rendre le péage à la province comme elle l’avait auparavant, à la charge par elle de supporter les dépenses de réparation.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Messieurs, après la convention du 21 mai qui rendit la liberté à la navigation de la Meuse les bateliers se plaignirent des droits nouveaux qu’ils eurent à payer à Maestricht, par suite de l’application du tarif de Mayence.
Dans le principe même, la Hollande avait poussé ses prétentions jusqu’à vouloir percevoir à Maestricht l’ancien droit provincial, bien qu’elle ne possédât plus dans la province que le seul point de Maestricht. Des réclamations très nombreuses arrivaient au gouvernement de la part des bateliers contre ces nouveaux droits qui venaient les frapper. Le gouvernement, pour faire droit à ces réclamations autant qu’il était en lui, invita (n’enjoignit pas, car il n’en avait pas le droit), invita la province à suspendre pendant un certain temps la perception du droit provincial sur la Meuse, se réservant de l’indemniser dans une juste proportion si la province y consentait. Cet état de choses dure encore, et le gouvernement se propose d’indemniser la province des droits non perçus d’une manière quelconque, soit en demandant une allocation aux chambres, soit en prenant la somme sur les fonds accordés pour le commerce et l’industrie.
Dans tous les cas, ce ne peut être une somme considérable. Les droits étaient évalués à vingt mille florins. En supposant qu’ils fussent les mêmes en 1833, ce serait une somme de 40,000 francs dont la province aurait été privée. Ce n’est pas avec cela que la province aurait pu faire face aux réparations du fleuve, attendu que les frais sont évalués à plus de cent mille francs si on voulait exécuter tous les travaux cette année.
Voilà ce qui s’est passé. Le gouvernement n’a pas entendu prendre à lui les charges de la province ; il a seulement été convenu qu’il indemniserait la province dans une juste proportion, en raison des droits non perçus par elle. Le gouvernement est encore prêt à tenir sa promesse vis-à-vis de la province. Mais il n’a pas encaissé ces droits. Ils ont cessé d’être perçus.
M. Desmanet de Biesme. - Les explications du ministre fixeront mon opinion. Jusqu’à présent les réparations des rives de la Meuse incombaient aux propriétaires riverains, mais la province accordait une indemnité aux riverains. Maintenant elle se plaint de ne plus pouvoir accorder ces indemnités, parce qu’elle ne perçoit plus rien depuis la convention de Zonhoven. J’admettrai qu’on accorde une indemnité à la province comme compensation des droits à la perception desquels elle a renonce sur la demande du gouvernement, et que la province s’arrange avec les riverains, comme elle le faisait par le passé.
Nous devons prendre garde de charger l’Etat des dépenses provinciales, car nous ouvririons un gouffre dont nous nous garantirions difficilement. M. d’Huart vous a dit que les travaux n’étaient pas si urgents qu’on le prétendait ; car le ministre de l’intérieur, qui a tant de sollicitude pour ses administrés, n’avait rien porté à son budget pour cet objet.
C’est par un membre de l’assemblée que la demande a été faite ; et aussitôt des demandes plus considérables ont été faites pour la Vesdre et pour l’Escaut. Vous voyez où toutes ces dépenses nous conduiraient. Je conviens que la province du Limbourg se trouve dans une position exceptionnelle ; je suis loin de vouloir repousser, j’appuie même la proposition d’indemniser cette province de la perte qu’elle éprouve par suite de l’état fâcheux où se trouve la navigation. Mais, quant à faire peser sur l’Etat des charges qui doivent incomber ou à la province ou à des communes, ou plus encore à des particuliers, je crois que nous ne le devons pas.
On nous présenté, il est vrai, la province du Limbourg comme au moment d’éprouver les plus grands dommages. Je ferai observer que d’autres localités ont éprouvé ces dommages et n’ont reçu aucune indemnité.
En effet, qu’avons-nous fait pour les malheureux inondés de Lillo, de Liefkenshoek et autres, dont la position est d’autant plus intéressante qu’elle est la conséquence de la révolution tandis qu’ici les malheurs qu’on vous fait craindre, et pour lesquels on veut exciter votre sollicitude, n’ont pas pour cause la révolution ?
Si nous mettions à la charge de l’Etat les réparations quand elles seraient considérables, les propriétaires négligeraient de faire les petites réparations, comptant pouvoir avoir recours à la caisse de l’Etat quand ils seraient menacés de grands désastres.
Nous devons nous mettre en garde contre les appels faits à notre philanthropie ; car il pourrait en résulter pour nos finances des conséquences fâcheuses.
Je pense donc qu’on doit accorder à la province du Limbourg une indemnité, sauf à elle à s’arranger avec les riverains.
M. Simons. - Je demanderai à M. le ministre s’il n’est pas vrai qu’au mois d’août 1833, par suite d’une dépêche du ministère de l’intérieur, la province a versé dans les caisses de l’Etat une somme de deux mille francs provenant de droits antérieurement perçus par elle. Je prierai M. le ministre de l’intérieur de nous dire pourquoi cette somme a été versée dans les caisses de l’Etat, si l’Etat ne prenait pas les dépenses à sa charge.
J’ai ici sous les yeux le budget de la province, où il est dit, article 5 : « Le produit du péage sur la Meuse a été cédé à la province en conformité de l’arrêté royal du 30 octobre 1820, n° 83. La navigation étant redevenue libre par suite de la convention de Londres du 21 mai dernier, les bureaux ont été rétablis. La perception a eu lieu pendant le mois d’août 1833. Elle a cessé le 1er septembre sur la proposition de M. le ministre de l’intérieur (dépêche du 17 août 1833). Le produit du mois d’août qui était de 2,022-69 fr. a été versé dans les caisses du gouvernement. »
Je crois que cela est clair.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je ferai d’abord observer que cette note n’indique pas que le gouvernement a enjoint à la province de ne plus percevoir le droit sur la Meuse. Je n’y vois pas non plus que le gouvernement ait enjoint de verser les droits perçus dans les caisses de l’Etat. Je ne pense pas qu’une dépêche formelle de mon département ait été adressée à cet égard à la députation de la province, du moins je n’en ai aucun souvenir. D’ailleurs, en supposant que cette dépêche ait eu lieu, l’explication en est facile. Dès le moment que le gouvernement s’est chargé de faire les réparations en 1833, il était naturel que les sommes perçues par la province fussent versées dans les caisses de l’Etat. Mais, je le répète, je doute qu’une dépêche de cette nature soit partie de mon département.
M. de Muelenaere. - Quand les ressources de l’Etat le permettront, je ne m’opposerai jamais à l’exécution de travaux publics dont la nécessité est reconnue ; mais nous ne pouvons pas permettre qu’on mette à la charge du trésor des travaux qui, par leur nature ou par les lors, sont mis à la charge des communes ou des provinces.
Avant de pouvoir émettre mon vote sur la question qui se débat en ce moment, j’aurais besoin de quelques explications.
Je ne connais ni les localités, ni l’état des choses ; mais j’ai entendu dire que, par arrêté du 17 décembre 1819, les droits de péage sur la Meuse avaient été abandonnés par le gouvernement à la province de Limbourg, à la charge par elle de faire les réparations nécessaires aux rives, et que ces péages avaient été acceptés par la province à ces conditions. S’il en était ainsi, ce serait un contrat entre le gouvernement et la province, par lequel la province se serait engagée vis-à-vis du gouvernement à faire toutes les réparations moyennant qu’elle reçût les péages. D’un autre côté, j’ai entendu dire que ces réparations devaient être à la charge des propriétaires riverains parce qu’ils profitent des alluvions.
Voilà la question sur laquelle je désirerais être fixé avant de pouvoir émettre mon opinion sur la quotité de la somme demandée. Car si les dépenses de réparations des fleuves sont une charge des riverains, il faut qu’elles soient supportées par ceux à qui elles incombent ; si ce sont les particuliers, la commune ou la province à qui ces dépenses doivent être imposés ? Je consentirai à ce qu’en raison des circonstances, le gouvernement accorde des subsides à l’effet de contribuer à faire les réparations dont l’urgence paraît être démontrée. Maïs la chambre doit avant tout se fixer sur cette question à charge de qui la dépense doit-elle incomber ? Ce n’est que quand on sera d’accord sur ce point que l’on pourra examiner si, en raison de l’état financier de la province et des habitants du Limbourg, il n’y aurait pas lieu de venir à leur secours. Je pense que la chambre ne peut aller plus loin avant d’avoir vidé cette question.
M. Pollénus. - Je tâcherai de répondre aux questions de l’honorable préopinant.
Un arrêté du précédent gouvernement avait abandonné à la province du Limbourg les droits de navigation perçus sur la Meuse, et établi à la charge de cette province les dépenses à faire pour réparations des rives de ce fleuve, parce qu’il était juste que, jouissant des avantages, elle pourvût aux dommages qui en pourraient résulter. L’honorable M. de Renesse vous a déjà démontré jusqu’à quel point le gouvernement précédent avait rempli ses promesses vis-à-vis de la province du Limbourg. L’arrêté que j’ai cité, et qui est du mois de décembre 1816, porte que tous avantages, tous droits de navigation, de possession quelconque, seront perçus par la province.
M. de Renesse vous a déjà fait connaître que jamais, sous le gouvernement précédent, le gouvernement n’a mis à la possession de la province du Limbourg des droits qui n’étaient que la compensation des charges nouvelles qu’il lui avait imposées. Car jamais l’administration provinciale n’a possédé les passages d’eau. Ainsi le contrat passé entre le gouvernement des Pays-Bas et la province du Limbourg n’a point reçu d’exécution de la part du premier contractant. Car le droit de possession qui donnait au Limbourg une partie importante des revenus de la Meuse n’a pas été appliqué, et la province n’a recueilli du traité que l’obligation imposée aux riverains d’entretenir les rives du fleuve.
Je crois que, dans l’état de la législation, il est vrai de dire qu’une partie des réparations à faire aux rives d’une rivière doit être mise à la charge des riverains. Il y a sur cette matière une loi dont je ne me rappelle pas la date, qui traite ce qui concerne les digues. Mais les travaux nécessaires pour la mise en état de navigabilité d’un fleuve sont entièrement à la charge de l’Etat.
Pour ce qui est des obligations imposées aux riverains, la loi s’en réfère, pour la fixation de la part contributive, à des règlements d’administration publique, règlements qui n’ont jamais existé pour la province du Limbourg. De là la difficulté de fixer la part de chacun. Aussi les honorables auteurs de la proposition qui a provoqué le projet de loi soumis à vos délibérations ne demandent pas la somme nécessaire aux travaux comme la conséquence d’une obligation de l’Etat, ils la réclament comme avance que les propriétaires riverains devront rembourser en partie.
Ce n’est pas que la somme avancée doive être cependant envisagée comme constituant une dette payable plus tard par la province ; celle-ci ayant depuis longtemps cessé de jouir des droits de navigation et n’ayant jamais usé des droits des passages d’eau, il est bien entendu que puisque le gouvernement a perçu indûment les droits de navigation de la Meuse, une grande partie des frais qui auraient dû être mis à la charge de la province, retomberont de ce fait à la charge de l’Etat.
Il est un antécédent que la chambre ne doit pas perdre de vue ; si mes souvenirs sont fidèles, lors de la proposition de l’honorable M. de Theux, M. le ministre de l’intérieur ne trouvait aucune objection à ce que la province du Limbourg ne fût pas chargée des réparations de la Meuse. Il est juste, disait-il, que la province du Limbourg soit traitée par le gouvernement et par la chambre comme les autres provinces, et que, puisque le gouvernement a alloué des fonds à la province d’Anvers pour la construction de digues que nécessitait l’état de l’Escaut, les mêmes motifs existent pour la province du Limbourg ; et ce serait une injustice que de lui refuser sa demande. L’opinion de M. le ministre à cette époque doit être la même aujourd’hui.
Il m’est impossible de plaider en faveur de la province du Limbourg d’une manière qui lui soit plus avantageuse qu’en citant les paroles qui ont déjà été prononcées sur le sujet qui nous occupe. Je crois avoir suffisamment répondu aux renseignements demandés par l’honorable M. de Muelenaere.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, jusqu’à présent l’on n’a traité que la question d’urgence. Il me semble qu’avant de prendre une décision, la chambre devrait examiner quelles sont les personnes qui sont tenues de contribuer aux réparations des digues de la Meuse. Ce n’est pas assez de dire que les travaux sont urgents ; il s’agit de savoir qui doit les payer.
Pour ma part je ne pense pas que ce doive être l’Etat. Les rivières procurent des avantages aux riverains ; les riverains sont donc obligés de supporter les charges résultant d’une communication dont ils tirent tout le profit.
Mais on prétend que les riverains ne seront pas en état de payer. Si réellement les communes sont dans l’impossibilité de subvenir aux dépenses extraordinaires que nécessite l’état de la Meuse, c’est un cas que nous aurons à examiner ; nous devrons nous assurer si les communes en ont les moyens ou non : jusqu’à présent aucun rapport ne nous éclaire sur ce point. Mais en supposant qu’il fût éclairci à l’avantage des communes, ce serait à la province avant l’Etat à subvenir à l’insuffisance de leurs revenus.
La province de Limbourg a deux cent mille francs en caisse. On nous dit que ces fonds sont destinés au remboursement des capitaux. Mais il me semble qu’avant de rembourser des capitaux, il faut veiller aux intérêts pressants de la province. Un remboursement de capitaux peut souffrir un retard ; des travaux que l’on prétend être urgents ne doivent pas admettre de délai.
Les travaux dont on réclame l’exécution sont-ils nécessaires pour la navigation de la Meuse ? C’est encore là une question à résoudre. Si elle était résolue affirmativement, je concevrais que l’Etat dût intervenir dans des dépenses qui seraient dès lors d’un intérêt général. Mais la question est encore indécise. Selon moi, elle est d’une grande importance et trancherait immédiatement la difficulté.
Si les travaux que l’on vous demande ne doivent assurer que la conservation des propriétés, c’est évidemment aux propriétaires intéressés à les couvrir. Si chaque province en appelait au gouvernement pour chaque dégât un peu considérable, pour des dommages occasionnés par les éléments que l’on ne peut maîtriser, par les rivières, les fleuves, la grêle par exemple (car ce cas est identique), l’Etat serait obéré au bout de dix ans : dans le Luxembourg, les rivières occasionnent aussi de grands ravages aux propriétés. La Sure, la Moselle dépassent annuellement leurs rives. Jamais cependant cette province n’a demandé de secours pour réparer les dégâts résultés de leur invasion.
Je demanderai aussi depuis quand l’entretien des rives de la Meuse est négligé, si c’est depuis que le gouvernement a repris à la province du Limbourg les revenus de ce fleuve ? si, pendant que la province percevait ces revenus, elle a tenu les rives en bon état, et si elle n’a pas livré au gouvernement une rivière déjà dégradée ? Ce serait dans le dernier cas un motif très plausible pour faire intervenir la province du Limbourg dans les frais de réparation.
On vous dit, messieurs, que les fonds dont on vous demande l’allocation ne seront accordés qu’à titre d’avance. Mais quels moyens le gouvernement aura-t-il de se faire rembourser ces avances ? Quand il s’adressera aux communes à ce sujet, ne pourront-elles pas invoquer l’article 110 de la constitution, qui dit : « Aucune charge, aucune imposition communale ne peut être établie que du consentement du conseil communal. »
Dès que les communes verront les travaux exécutés, elles diront ; Nous ne voulons pas que la dépense nous soit imposée. C’était une charge de l’Etat. Aurez-vous plus de moyens de vous faire rembourser par la province ? Non, le cas est identique.
Je crains bien que si nous admettons un antécédent aussi dangereux, chaque année l’on ne nous demande de pareilles sommes pour des cas analogues. On raisonne de cette manière : Puisqu’il suffit, pour obtenir des secours de l’Etat, qu’il y ait urgence, négligeons l’entretien journalier des rives de nos fleuves. Nous forcerons par là le gouvernement à nous accorder un subside.
Dans ma province, on se prépare déjà à adresser des demandes de secours au gouvernement pour un objet semblable, et elle a autant de droit que les provinces du Limbourg et de Liége.
Les habitants du Limbourg, mettant en avant les charges que leur ont fait supporter les logements militaires, proclament leur patriotisme. Ce sont là des arguments que nous pouvons tous faire valoir ; mais ce qu’il faut considérer dans la question qui nous occupe, c’est le droit. Je rends justice au patriotisme des habitants du Limbourg ; mais je ne puis consentir à leur accorder un denier pour la réparation des digues de leur fleuve.
M. de Theux. - Messieurs, je ne m’occuperai que de ce qui concerne les réparations des rives de la Meuse, laissant aux honorables députés de Liége le soin de traiter ce qui est relatif au Forchu-Fossé.
La réparation des rives de la Meuse peut se présenter sous deux aspects principaux : la question de droit, la question d’utilité.
Sous le rapport du droit, je ne crains pas de dire que le gouvernement doit faire les avances pour les réparations des rives du fleuve, au moins en ce qui concerne les réparations qui étaient à charge de la province avant la suppression des péages. Sous le rapport de l’utilité, je dis qu’en l’absence d’un règlement, en vertu duquel on puisse imposer les propriétaires riverains, il est de l’intérêt général que le gouvernement fasse des avances, sauf son recours contre qui de droit quand le règlement sera établi.
Aux termes du droit, les réparations à faire aux rives d’un fleuve doivent être supportées par les propriétaires riverains ou par les propriétaires du fleuve, selon la nature des travaux.
Si les travaux ont pour objet la conservation de propriétés particulières abstraction faite du halage, abstraction faite de la bonne navigation, les réparations sont à la charge des riverains.
Si les travaux ont pour objet l’amélioration ou la conservation de la navigation, ils sont à la charge du propriétaire du fleuve.
Dans la province du Limbourg comme dans toutes les provinces, il a été établi un droit de navigation, en vertu de la loi du 30 floréal an X ; ce droit était destiné à l’entretien des chemins de halage et autres ouvrages d’art à l’avantage de la navigation.
Ce droit formait un fonds spécial qui devait être exclusivement employé aux réparations de la Meuse.
En 1819 le gouvernement des Pays-Bas a trouvé à propos d’imposer aux diverses provinces le soin de réparer les rives de certains fleuves, en leur abandonnant en même temps les produits de la navigation.
Voici le texte de l’arrêté :
« Art. 4. A partir du 1er janvier prochain, et à l’effet de pourvoir aux frais des travaux susdits, il sera cédé à l’administration provinciale tous les revenus sans aucune exception, provenant desdits ouvrages et consistant, soit en droits de barrière, de pont, d’écluse, ou tels autres, sous quelque dénomination que ce soit, qui ont été perçus jusqu’à ce jour par le trésor public. »
Le gouvernement s’est réservé, en abandonnant les péages, la propriété des fleuves. Et c’est uniquement parce que les provinces jouissaient des péages qu’elles étaient chargées des réparations.
Dès lors n’est-il pas certain, en principe, que si le droit de péage vient à être supprimé, la province est déchargée du soin de faire les réparations, et qu’elles tombent à la charge du propriétaire du fleuve ?
Ce principe me paraît, à moi, incontestable et j’en fais l’application à la province du Limbourg.
Depuis 1830 le péage a cessé de fait sur la Meuse, parce que la navigation a été empêchée par le gouvernement hollandais.
La navigation n’a pu être ouverte qu’en 1833, et en vertu de la convention du 21 mai ; mais la province a été obligée de cesser la perception du droit qu’elle avait rétabli, et elle a été obligée de cesser par suite d’une dépêche ministérielle. Ainsi, depuis 1830 jusqu’en 1833, la province a été privée de la perception du droit, d’abord par le fait du gouvernement hollandais, et. à dater de juin 1833, par le fait du gouvernement belge ; donc depuis 1833 la province a été déchargée de toute réparation des rives de la Meuse.
Mais, dit-on, la province du Limbourg n’a pas appliqué les fonds qu’elle a perçus antérieurement à l’entretien du fleuve.
Messieurs, la province percevait annuellement une somme de 20,000 florins ; et cette somme était allouée aux communes pour faire des réparations. Cependant, sous l’ancien gouvernement, quand cette somme était insuffisante, le trésor a alloué plusieurs secours pour des travaux aux rives de la Meuse, comme il en est accordé en cas d’événements calamiteux.
Quant à la partie de la dépense qui est à la charge des propriétaires riverains, il y a une considération d’équité qui doit déterminer le gouvernement à en faire l’avance, sauf recours contre ces propriétaires. Il n’existe pas de règlement en vertu duquel on puisse faire cotiser les propriétaires, et a défaut de ce règlement, malgré les bonnes intentions de plusieurs propriétaires, ils ne peuvent s’entendre avec les autres pour faire le fonds nécessaire aux réparations. Les réparations ne peuvent se faire par parties ; il est impossible qu’un ou plusieurs propriétaires fassent les avances nécessaires pour exécuter les travaux, parce qu’ils sont trop considérables.
Il faut que les dépenses soient faites par tous les propriétaires réunis ; ainsi le veut l’article 34 de la loi du 16 septembre 1807 portant :
« Lorsqu’il y a lieu de pourvoir aux dépenses d’entretien ou de réparation des mêmes travaux, au curage des canaux qui sont en même temps de navigation et de desséchement, il sera fait des règlements d’administration publique qui fixeront la part contributive du gouvernement et des propriétaires. »
Il a existé des projets de règlement dans la province de Limbourg ; mais ils n’ont pu être mis à exécution à cause des difficultés qui se sont élevées.
J’appellerai ici l’attention du ministère de l’intérieur ; il doit s’occuper des règlements et de leur mise à exécution, sans cela on perpétuerait les difficultés que l’on rencontre aujourd’hui. En attendant que ce règlement soit fait, il est de l’intérêt général que l’avance soit faite par le trésor, sauf recours contre les riverains pour la partie de la dépense qui les concerne.
Je ferai remarquer ici que l’absence d’un règlement est aussi la cause des difficultés qui se rencontrent pour la réparation du Forchu-Fossé ; et sous ce rapport, je pense qu’il y a aussi lieu de faire l’avance réclamée, sauf recours, soit contre les propriétaires, soit contre la province, ou les propriétaires des usines, lorsqu’un règlement sera établi.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Messieurs, on a fait valoir contre la proposition soumise à la chambre les mêmes motifs qui ont été présentés l’année dernière lors de la discussion du projet. Ces motifs n’ayant point été accueillis à cette époque, nous avons la confiance que la chambre, conformément à ses antécédents, mettra le gouvernement à même de faire face à des travaux d’une extrême urgence et qui, par leur nature, rentrent en grande partie dans ses obligations.
En effet, messieurs, il est un point de la question que la chambre ne perdra pas de vue ; c’est l’obligation où se trouve le gouvernement devant le pays de maintenir toujours en bon état la navigabilité des fleuves et des rivières.
Les fleuves et rivières ne sont pas la propriété des provinces ou des communes ; on a pu vouloir qu’il fût ainsi sous le gouvernement déchu, mais ainsi nous ne le voulons plus aujourd’hui. Le gouvernement actuel considère les fleuves et les rivières comme étant du domaine public, et nous ne prétendons point confirmer l’aliénation qui en fut faite par des arrêtés royaux de l’ancien gouvernement.
S’il est reconnu que l’état des rives des fleuves est tel que si des réparations ne sont pas faites, la navigabilité du fleuve peut être compromise et son cours changé, dès lors commence pour le gouvernement l’obligation d’ordonner des réparations propres à prévenir de pareils accidents. C’est là le cas qui se présente pour la Meuse, c’est aussi le cas pour l’Ourthe ; il y a nécessité et urgence, dans l’intérêt de la navigation de ce fleuve et de cette rivière, de faire des réparations.
La question de savoir jusqu’à quel point les riverains, les communes, les provinces doivent intervenir dans les frais de ces réparations, cette question nous devons la considérer comme secondaire. Il ne peut dépendre de la négligence des communes, ou de l’indifférence des riverains qu’un fleuve ou une rivière puisse cesser d’être navigable.
Je le répète, c’est une question secondaire de savoir quels sont les moyens que le gouvernement a entre les mains pour faire contribuer les communes, les provinces ou les riverains dans les réparations ; le gouvernement a pour obligation de faire les travaux conservateurs des fleuves, et lorsqu’il vient demander à la chambre de faire face à de tels besoins, la chambre doit examiner d’abord si les travaux sont indispensables. Or, il résulte des rapports des hommes de l’art envoyés sur les lieux, que la navigabilité de la Meuse et de l’Ourthe est compromise. L’année dernière on a commencé les réparations sur divers points de la Meuse, on doit maintenant en faire aux environs de Maeseyck, si on ne veut pas que le cours du fleuve puisse changer.
Si on interroge la législation sur la matière, on voit qu’elle est en tous points conforme à la manière dont nous défendons notre demande d’allocation. En effet, la loi du 16 septembre 1807 réserve en termes formels au gouvernement la faculté d’intervenir dans les frais de réparations urgentes des rives des fleuves ; le gouvernement a cette faculté, il est vrai, concurremment avec la charge des propriétaires riverains, mais toujours est-il qu’on n’a pas voulu abandonner aux seuls propriétaires riverains, le soin de conserver la navigation des fleuves.
L’arrêté du 30 décembre 1819 qui a attribue aux provinces les revenus des fleuves avec la charge d’entretenir les rives, a également fait des réserves pour certains cas, en vertu desquels le gouvernement pouvait intervenir dans les frais des réparations.
Les articles qui ont déjà été cités, les dispositions rappelées dans le rapport de M. Dubus sur la matière, et qu’on n’a pas combattues, ont été de nature à entraîner votre conviction, lorsque vous avez accordé l’allocation de l’année dernière.
Voici comment s’exprime la loi du 16 septembre 1807 :
« Lorsqu’il s’agira de construire des digues à la mer ou contre les fleuves, rivières et torrents navigables, la nécessité en sera constatée par le gouvernement, et la dépense supportée par les propriétés protégées, dans la proportion de leur intérêt aux travaux, sauf le cas où le gouvernement croirait utile et juste d’accorder des secours sur les fonds publics. » (loi du 16 septembre 1807, art 33.)
L’arrêté de décembre 1816 porte une disposition analogue.
L’article 8 porte : « Nous nous réservons la faculté d’accorder un subside, à payer par le trésor public, en conformité de l’article 224 de la loi fondamentale pour tels travaux publiés au polders (et spécialement ceux connus sous le nom de calamiteuse polders), qui, par leur situation particulière et intérêt général, exigent des secours extraordinaires. Ce subside ne sera pourtant accordé qu’après que nous nous serons fait rendre compte spécial et détaillé de l’état et des circonstances dans lesquels se trouvent ces travaux et polders, ainsi que des raisons qui jusqu’à ce jour, ont motivé le subside et qui peuvent le rendre nécessaire par la suite. »
Eh bien, messieurs ; nous soutenons que la partie de la Meuse dans la province du Limbourg et l’Ourthe dans la province de Liège, exigent par leur situation particulière, et par des motifs d’intérêt général, des secours extraordinaires.
Lorsqu’il s’est agi de faire des réparations aux rives de l’Escaut, la chambre aurait pu soutenir que la législation mettait de telles réparations à la charge des propriétaires riverains. La chambre ne l’a point fait, parce qu’elle a eu égard aux circonstances particulières dans lesquelles se trouvent la province d’Anvers et les provinces des Flandres ; parce qu’elle a eu en vue l’intérêt général qui lui commandait de préserver une grande partie du pays de l’inondation et parce qu’elle a voulu conserver la navigabilité du fleuve sans attendre que l’intérêt particulier soit venu prendre à sa charge de si énormes obligations.
On parle souvent, messieurs, de l’indépendance communale, de l’efficacité des efforts particuliers ; nous avons des exemples assez fâcheux qui prouvent que cette indépendance locale, ces efforts particuliers, n’emportent pas toujours avec eux tous les avantages qu’on leur suppose. En effet, les propriétaires riverains de la Meuse aiment mieux avoir leurs propriétés exposées par la déviation du cours du fleuve que de mettre la main à l’œuvre pour faire les réparations nécessaires.
Je dis qu’ils aiment mieux, mais il est plus vrai de dire qu’ils ne sont pas en état d’agir, car ils ne peuvent s’entendre pour faire les réparations. Il en est de même pour les provinces. Je ne doute pas que si les provinces étaient pénétrées du sentiment de l’intérêt général, comme peut l’être le gouvernement, elles ne se hâtassent de faire les réparations urgentes, mais la province n’est pas chargée de défendre l’intérêt général : se renfermant dans des intérêts locaux, elle abandonne le fleuve à lui-même.
Pour ce qui concerne le Forchu-Fossé, il a été constaté que si le gouvernement ne se hâte pas de faire des réparations aux rives du bras de l’Ourthe, il pourra arriver que l’Ourthe lui-même vienne à se déverser dans le bras de Forchu-Fossé, et que la navigation en soit compromise. Je demande si ce n’est pas le cas pour le gouvernement d’intervenir pour que de pareils accidents ne s’accomplissent pas. On aura beau dire que c’est aux propriétaires riverains à se garantir, voilà des années qu’on le dit, et les propriétaires ne songent point à s’entendre pour faire les réparations.
On dira encore que ce sont les usiniers qui doivent faite les réparations ; en supposant que les usines soient la cause de ce qui suppose la déviation du bras de l’Ourthe, il faudrait établir ce fait par jugement et forcer les usiniers à exécuter ce qu’ils ne veulent pas faire de bonne volonté.
Le gouvernement a quelque sollicitude pour ses administrés, mais il n’en manque pas pour le trésor public, il ne se hâte pas de disposer des fonds de l’Etat en pure perte et sans y être forcé. C’est pourquoi nous avons soutenu que le territoire traversé par le bras de l’Ourthe étant compris dans les limites de la commune de Liège, c’était à elle à préserver son territoire des envahissements de ce bras de l’Ourthe. Elle a répondu que cela ne la regardait pas. Le gouvernement s’est adressé à la province. Même réponse. En attendant, la rivière continue ses envahissements. Le danger devient de plus en plus imminent. S’il ne s’agissait pas de cas tout à fait exceptionnel, je concevrais que la chambre craignît de poser des antécédents dangereux, mais il s’agit dans cette circonstance de dégâts constatés depuis longtemps ; il s’agit de faits absolument exceptionnels qui ne se présentent dans aucune autre localité.
Dès lors je crois que la chambre ne doit avoir aucune crainte pour l’avenir. Dans tous les cas, chaque fois que la navigation d’un fleuve ou d’une rivière sera interrompue ou compromise, et que le gouvernement viendra dire qu’il y a urgence de mettre la main à l’œuvre pour assurer la navigation, la chambre ne doit pas hésiter à mettre entre les mains du gouvernement les moyens d’exécuter les travaux qu’il déclare indispensables.
Au reste, les sommes demandées ne sont pas de nature à effrayer l’économie des honorables membres. Je demande pour les réparations au bras de l’Ourthe une somme de 80 mille fr., sauf recours contre qui de droit, car le gouvernement ne renonce pas à recourir contre ceux à qui il appartiendra.
Pour le Limbourg, je demande 50 mille francs avec la même réserve. Véritablement, c’est le minimum que le gouvernement réclame, car s’il avait demandé la somme absolument nécessaire, ce ne serait pas 50, mais 100 mille francs qu’il demanderait. Pour cette campagne, il a restreint la somme à 50 mille fr., mais peut-être l’année prochaine les 50 autres mille francs seront-ils nécessaires. Je compte encore assez sur le concours de la chambre pour espérer qu’elle ne refusera pas cette somme, si on vient, comme cette année, lui déclarer qu’elle est indispensable.
M. Pirson. - J’avais demandé la parole parce qu’avant les observations présentées par M. de Theux, tous les orateurs avaient raisonné comme si la concession des péages sur la Meuse, à la charge de payer les réparations, n’avait été faite qu’à la province du Limbourg.
Mais cette mesure a été prise non seulement pour toutes les provinces que traverse la Meuse, mais pour toutes les provinces que traversent des rivières.
Maintenant, il est reconnu que cette concession de péage par le gouvernement s’étend aux provinces de Liége et de Namur. M. Pollénus est tombé dans une grave erreur, quand il vous a dit qu’aussitôt que le gouvernement eut concédé ces péages, il en retira une partie, parce qu’il mit en location les passages d’eau. Je ferai observer à l’honorable membre que dans la concession il ne s’agit pas de passages mais de navigation ; les passages se font au moyen de petites barquettes qui traversent la rivière.
Le gouvernement n’avait jamais fait la concession de ces passages. Ainsi il ne les a pas plus retirés à la province du Limbourg qu’à la province de Namur qui voit faire tous les trois ans l’adjudication de ces passages d’eau.
Mais j’avoue que je ne sais pas pourquoi le gouvernement a suspendu les péages dans le Limbourg, lorsqu’on continue à les percevoir dans la province de Liége et la province de Namur. C’est donc une faute que le gouvernement a commise en cela.
Cependant il a dû avoir quelque raison pour cela. C’est, je suppose, parce que la navigation depuis Liége à la Hollande ayant été longtemps interrompue, il a cru devoir chercher tous les moyens de lui rendre de l’activité. Si c’est pour cela, le gouvernement n’a peut être pas mal fait de suspendre les péages pendant quelque temps. Je veux bien sous ce rapport lui donner un bill d’indemnité. Je crois aussi que la province du Limbourg n’a pas joui pendant trois ans des péages qui étaient destinés à l’entretien non seulement des digues de la Meuse, mais aussi des chemins de halage. Le gouvernement peut donc bien lui accorder une indemnité de 50 mille fr. Je ne vois pas de motif pour les refuser.
Mon opinion n’est pas la même à l’égard de la demande faite pour le bras de l’Ourthe. Quand nous en serons-là, j’exposerai mes motifs.
Je voterai donc pour les 50 mille fr. demandés pour la province de Limbourg.
M. Gendebien. - Je pense que nous nous occupons beaucoup trop de la question de droit, alors que nous n’avons aucune qualité pour nous prononcer sur une question de droit quelconque. Je concevrais que cette question fût soulevée si le gouvernement demandait une allocation au budget de l’Etat, pour réparations soit aux digues de la Meuse, soit aux rives de Forchu-Fossé, car si nous consentions à porter pour cet objet une somme quelconque au budget de l’Etat, nous reconnaîtrions que la dépense doit être supportée par l’Etat, et nous déciderions la question en faveur des communes et des particuliers.
Mais ici, c’est une avance qu’on vous demande, sans rien décider quant au droit et le gouvernement reconnaît qu’aux tribunaux seuls appartient de prononcer. Dès lors, tout ce qu’on pu dire et tout ce qu’on se proposerait de dire serait absolument peine perdue et temps perdu.
Il me semble que dans cette affaire, il n’y a qu’une question à examiner c’est celle de savoir s’il y a nécessite, s’il y a urgence.
D’un autre côté, comme le gouvernement annonce qu’on pourra recouvrer cette somme, qui ne sera accordée qu’à titre de prêt, il convient de savoir à qui on l’accorde, qui la demande. Je désirerais que le ministère ou les auteurs des propositions voulussent bien dire par qui les demandes d’avances ont été faites, si ce sont les particuliers riverains, des villes, une ou deux provinces. Puisqu’on nous dit que nous devons recouvrer les fonds que nous avançons, il faut qu’on nous dise à la demande de qui nous ferons les avances ; sans cela, plus tard, quand nous en demanderions le remboursement, on pourrait nous répondre qu’on ne nous à rien demandé et qu’on n’a chargé personne d’emprunter.
Je demande donc qu’on veuille bien s’appliquer sur cette première question. L’intérêt général se trouve-t-il compromis ? Y a-t-il urgence ? Et ensuite sur cette autre question : qui fait la demande de fonds ? à la charge de qui devons-nous faire des avances ? Il est essentiel que nous ayons des données positives à cet égard, sans cela nous jetterons notre argent aux vents, sans savoir qui nous le rendra.
(Moniteur belge n°174, du 23 juin 1834) M. d’Huart. - Messieurs, ce n’est pas le gouvernement qui a fait la proposition qui nous occupe, ce sont des membres de la chambre. Mais des membres de la chambre n’ont pas mission pour faire une demande de cette nature. Si le gouvernement avait fait son devoir, nous aurions pu accorder sans objections les sommes nécessaires, mais il ne l’a pas fait.
L’année dernière il y avait réellement urgence ; le gouvernement n'avait pas eu le temps de prendre les renseignements nécessaires, mais depuis lors il a eu le temps de se procurer ces renseignements. Eh bien, il résulte du rapport de la section centrale et des explications que vient de donner le ministre, que le gouvernement n’a fait aucune démarche, aucune enquête pour s’assurer à qui incombaient ces travaux de réparations, afin d’en faire supporter les frais à qui il appartient. Il est indispensable, pour que la réserve insérée dans la loi signifie quelque chose, qu’on sache à qui on avance la somme, afin de pouvoir exercer son recours.
Je ne pense pas, comme M. Gendebien, qu’on ne doit pas aborder la question de droit ; car si la chambre ne s’en occupait pas, le gouvernement resterait tranquille, certain qu’il serait, en venant à la dernière extrémité s’adresser à la chambre, d’obtenir, au moyen de l’urgence, les sommes dont il aurait besoin.
Il n’aurait qu’à les employer et se dispenserait de faire les réparations administratives nécessaires pour les faire rentrer dans les caisses de l’Etat.
Les auteurs de la proposition disent aux députés d’Anvers : Vous ne pouvez pas vous opposer à notre demande, car on a fait la même chose pour vous.
Je ferai observer qu’il n’y a pas de parité entre les deux cas.
Les dommages que l’on a cités étaient le résultat des événements politiques. Mais ici le cas n’est pas identique. Ici les débordements de la Meuse sont naturels. Les dégâts existaient déjà avant 1830. Car on vous l’a dit (et ce renseignement est échappé à un honorable député du Limbourg), les dégâts existaient depuis 30 à 40 ans ; et cependant, dans l’espace qui s’est écoulé de 1819 à 1830, la province du Limbourg a perçu les revenus du fleuve sans opérer les réparations dont la perception des revenus lui imposait l’obligation. Il y a dans le projet une obscurité complète. Il faut, avant de voter les sommes que l’on nous demande, que nous sachions ce qu’elles deviendront.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - L’honorable préopinant qui, d’abord, avait commencé par être de l’avis de M. Gendebien, a fini par ne plus partager son opinion.
M. d’Huart. - Sur un point.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - L’honorable M. Gendebien a fait observer qu’il ne faut pas traiter la question de droit. Je m’étais surtout attaché à faire sentir la nécessité de commencer les travaux, à démontrer que le gouvernement était en fait obligé d’assurer aux fleuve leur navigabilité.
M. Gendebien a demandé s’il y avait nécessité de commencer les travaux. Je croyais avoir suffisamment répondu sur ce point. Il a demandé quelles étaient les personnes qui réclamaient 1’exécution de ces travaux. Je ne sais trop quelle conséquence il veut tirer de ces renseignements. Beaucoup de personnes pourraient attirer l’attention du gouvernement sur des réparations urgentes, sans pour cela être tenues de payer les frais occasionnées par ces réparations.
Plusieurs honorables membres de cette assemblée ont pris l’initiative sur cet objet. S’ensuit-il qu’il faille que les dépenses soient à leur charge ? Si tel est le but de la demande de M. Gendebien, je ne la comprends pas. Si M. Gendebien est curieux de connaître les autorités qui ont réclamé vivement la mesure que nous proposons, je lui citerai la commune de Maeseyk, celle de Liége aussi, qui, dans un mémoire officiel présenté à S. M., accusa le gouvernement d’incurie à regard des rives de l’Ourthe.
On dit que le gouvernement n’a pas fait toutes les démarches qu’il aurait dû faire pour savoir à qui devaient incomber les réparations des rives de la Meuse. Je ne sais pas ce qu’on entend par les démarches qu’il aurait dû faire. Il est certain que le gouvernement a fait tout ce qu’il était en son pouvoir pour engager les autorités locales et les intéressés à se charger de la dépense. Ce n’est qu’après avoir échoué dans toutes ses propositions à cet égard qu’il a senti le besoin de venir demander un subside à la législature. On lui a fait un reproche d’avoir laissé prendre à cet égard l’initiative à d’honorables membres de cette assemblée.
La chambre verra dans cette conduite du ministère la preuve qu’il ne procède qu’avec beaucoup de circonspection dans ces sortes de dépenses, qu’il ne s’est pas empressé de venir mettre à la charge du trésor des dépenses qu’il put considérer comme devant être faites par les particuliers, la commune ou la province. La chambre y verra la preuve que le gouvernement ne s’est déterminé à s’adresser à elle que pressé par l’urgence des travaux.
Sa lenteur dans cette circonstance lui donne la garantie qu’il ne renouvellera la même demande que dans des cas semblables. On nous a reproché, en outre, d’employer tous les moyens pour obtenir l’allocation en discussion. Il sera toujours permis, ce me semble, à un ministre d’employer tous les moyens loyaux pour obtenir une dépense qu’il croit utile et d’intérêt général. Si ce luxe de moyens consiste à avoir rappelé que dans d’autres circonstances on a eu égard à la position des propriétaires riverains, que l’on avait exigé d’eux l’exécution rigoureuse de la loi, je demande s’il y a lieu d’en faire un reproche au gouvernement. J’aurais pu ne pas rappeler cette circonstance, et je ne sais si, prévoyant la susceptibilité de certains membres, je n’aurais pas mieux fait de ne pas m’y arrêter.
M. Ernst. - Je demande la parole sur la motion d’ordre.
M. le président. - Je regarde la motion d’ordre comme vidée.
M. Ernst. - Si l’assemblée voulait me le permettre, je désirerais dire quelques mots sur la motion d’ordre. Je suis surpris que M. le ministre de l’intérieur n’ait pas répondu à l’honorable M. Gendebien par l’argument suivant : c’est à la disposition du gouvernement que nous mettons l’argent qu’il nous demande, sauf pour lui à exercer son recours envers qui de droit. Le gouvernement demande qu’une telle somme lui soit accordée. C’est sous sa direction, c’est sous sa responsabilité que les travaux seront exécutés. Il aura à justifier de l’emploi de la somme et du refus que les parties obligées de prendre part à la dépense pourront faire. Cela est d’autant plus vrai que le projet de loi est présenté au nom du gouvernement.
M. Gendebien. - Je désirerais expliquer ma motion d’ordre. Je croyais avoir présenté mes vues avec assez de clarté pour qu’on les comprît. L’honorable M. Ernst n’en a pas bien saisi le sens. Je sais très bien que c’est au gouvernement que nous avons à remettre les fonds. Tout le monde est d’accord sur ce point. Nous savons très bien que l’on ne prendra pas l’argent dans les poches des auteurs de la proposition. Ce que je demande, c’est que l’on me dise qui a réclamé les fonds pour couvrir la dépense ? Sont-ce les particuliers ? Sont-ce les communes ? Est-ce la province ? Qui a en un mot dit qu’il fallait une somme de, etc. ?
M. Ernst. - J’expliquerai ma pensée à l’honorable M. Gendebien. Il y a deux questions. Qui fera la dépense ? Le gouvernement ; c’est-à-dire que c’est lui, et non pas telle commune telle province, que nous autorisons à faire la dépense. Y a-t-il eu des réclamations ? Oui ; car les habitants des communes situées entre le Forchu-Fossé et la Meuse, qui sont exposés journellement à voir leurs propriétés envahies par les eaux, se sont adressées à la régence de Liége. La régence de Liége s’est adressée au gouvernement, prétendant que c’était à lui à faire la dépense. C’est lorsque nous avons vu qu’au milieu de ce conflit d’opinions, des réparations ne se feraient pas, que nous nous sommes réunis pour appeler l’attention du gouvernement et de la législature sur ce point. Le gouvernement alors a examiné les mesures que nous lui proposions et les a fondues dans le projet de loi qu’il vous a présenté.
M. Dumont. - Je pense que l’honorable M. Gendebien a demandé, avec beaucoup de raison, qu’on lui désignât au nom de qui le trésor de l’Etat ferait les avances. On ne nous a donné aucune garantie que ces avances nous soient un jour payées. Ce n’est qu’en vertu de règlements d’administration que ce paiement pourrait avoir lieu, parce que la loi de 1807 s’en réfère aux règlements particuliers sur la matière pour la fixation de la quote-part que les riverains ont à payer dans les dépenses relatives aux réparations des rives fluviales.
Je doute que le gouvernement puisse récupérer aucune partie de la somme qu’il nous demande, parce que, s’il fait des règlements d’administration, on lui dira qu’ils ne peuvent pas avoir un effet rétroactif. C’est donc avec beaucoup de raison que l’on demande à connaître quelles sont les personnes dont on récupérera les avances faites par le trésor public, à qui on s’adressera devant les tribunaux en cas de refus. Si les explications que l’on demande ne nous sont pas données, nous devons regarder ces sommes comme devant rester à charge du trésor public.
Il est à remarquer que, depuis quatre ans que le droit de navigation de la Meuse est revenu au gouvernement, l’on n’a rien fait pour provoquer la création des règlements qu’exige la loi de 1807. Puisque le règlement antérieur abandonnait les revenus du fleuve à la province du Limbourg, il consacrait en même temps sa part dans les dépenses de réparations. Pouvons-nous considérer cette législation comme existante encore, puisqu’il ne perçoit plus les revenus de la Meuse ? Le gouvernement n’a plus fourni aucun subside au terme de la loi de 1807. Cependant il est tenu d’en fournir un, attendu qu’il est tenu d’assurer la navigabilité dés rivières.
J’insisterai donc auprès du gouvernement pour qu’il veuille mettre la main aux règlements d’administration que je viens de citer. Ils mettront fin à toutes les difficultés de la nature de celles qui s’élèvent en ce moment. S’ils envisagent l’arrêté de 1819 comme devant continuer ses effets, il me paraît juste d’imposer la province pour les réparations de la Meuse. Dans le cas contraire, comme semble le présenter M. le ministre, il faut que l’on sache clairement quelle sera la part contributive des riverains et celle de l’Etat. Jusqu’à ce moment je regarde toutes les sommes que nous accorderons de ce chef comme entièrement perdues.
M. d’Hoffschmidt. - Il est important que nous sachions à qui nous avançons des fonds, puisqu’il s’agit d’une demande d’avance de fonds. La motion d’ordre me paraît importante, et j’insiste d’autant plus sur le but de la motion que je ne crois pas à l’urgence des travaux : si d’un côté nous avons les rapports des ingénieurs, qui nous assurent que les travaux sont urgents, d’un autre côté nous avons les déclarations de nos collègues : ils viennent de vous dire que les propriétaires sont indifférents ; que les riverains ne veulent pas se cotiser pour faire des réparations.
Comment ! les riverains ne veulent pas faire de réparations ? Cependant il est tout naturel que celui qui a une propriété, et une propriété menacée, se réunisse à ses voisins pour aviser aux moyens d’empêcher sa ruine. Les dangers ne sont donc pas tels qu’on veut nous le faire entendre puisque les propriétaires sont indifférents ; s’il y avait urgence, ils ne seraient pas si apathiques.
M. le ministre de l’intérieur nous dit que les sommes demandées ne sont pas de nature à effrayer l’assemblée ; mais la somme demandée s’élève à 130 mille francs, et l’on nous a annoncé que ce n’était qu’un commencement de dépense, et que l’année prochaine on fera une nouvelle demande de fonds.
Ajoutez à cela que l’année dernière nous avons déjà donné 73 mille francs ; réunissez toutes ces sommes et vous en aurez une de 300 ou 400 mille francs : cette dernière somme est suffisante, je crois, pour nous effrayer ; quant à moi, elle me paraît assez forte pour ne pas l’imposer à l’Etat avant qu’il me soit démontré qu’elle est à sa charge. Considérant que les travaux ne sont pas urgents puisque les parties intéressées ne veulent pas concourir à la dépense ; considérant de plus qu’on ne voit pas comment le trésor pourrait se faire rembourser, je ne vois ni utilité, ni prudence à faire des avances.
M. de Muelenaere. - Je pense que c’est à tort que l’honorable M. Gendebien a voulu éliminer la question de droit ; je conçois l’importance de la question d’urgence et de la question d’utilité, cependant la question de droit n’est pas moins importante.
Le projet de loi n’est pas présenté par le gouvernement ; le ministre de l’intérieur l’a déposé sur le bureau, et il a déclaré que c’était comme député et en son nom qu’il faisait la proposition. D’après l’article 3 de cette proposition les sommes seront avancées par le gouvernement, ainsi le gouvernement est lui-même de l’avis qu’il n’est pas obligé à faire la dépense. Quand on fait une avance, c’est qu’on pense n’être pas obligé de la supporter.
Pour savoir à qui on fait l’avance, il faut savoir sur qui tombe l’obligation de faire la dépense ; et c’était pour arriver à ce résultat que l’honorable député de Mons faisait son interpellation.
On a dit que c’était un devoir pour le gouvernement d’entretenir la navigabilité des fleuves et rivières ; soit, mais ce n’est pas toujours le devoir du gouvernement de faire les frais pour que les fleuves et les rivières soient navigables.
Il doit exister des règlements anciens sur cet objet. Dans notre pays nous avons ou des règlements nouveaux ou des règlements anciens concernant la matière, et c’est à l’administration à veiller à ce qu’ils soient mis à exécution.
Lorsque les communes négligent les travaux qui sont à leur charge, l’administration les fait exécuter d’office à charge de ceux qui devaient les faire : voilà ce que le gouvernement doit faire. Il doit rechercher qui doit faire les travaux ; puis il les fait exécuter si les communes ou les provinces qui devraient les faire négligent de les entreprendre.
Pour les wateringues il s’élève à chaque instant des contestations ; cependant les travaux s’exécutent d’office, sauf recours.
Mais dans la question qui nous occupe il y a un grave inconvénient, et il serait dangereux d’accorder légèrement la somme demandée.
Si les communes et les provinces voient le gouvernement disposé à faire les frais de certains travaux, elles les négligeront ; et quand les dégradations seront au-dessus de leurs forces, les provinces et les communes réclameront un subside, et on sera en quelque sorte forcé de le leur accorder.
Il faut procéder ici avec sagesse, avec circonspection.
Si les rives de la Meuse ou de l’Ourthe sont dans un état tel qu’il faille faire les réparations promptement, qu’on les exécute ; on doit éviter les malheurs.
Mais il faut savoir à qui on fait les avances,, ou à qui tombe la charge de ces travaux.
M. Gendebien. - Nous ne déciderons pas cela.
M. de Muelenaere. - Nous ne déciderons pas cela ; nous ne pouvons décider les questions qui sont dans les attributions des tribunaux ; mais il faut cependant examiner cette question pour éclairer la chambre et pour que le gouvernement sache contre qui il aura recours.
M. Raikem. - La motion d’ordre me semble rentrer dans la question du fond. Je n’examinerai pas en ce moment s’il s’agit de discuter la question de droit ; je me bornerai à quelques observations sur la motion d’ordre.
L’honorable M. d’Hoffschmidt ne croit en aucune manière à l’urgence...
M. d’Hoffschmidt. - Je doute !
M. Raikem. - Je conçois que cet honorable membre, ne connaissant pas les lieux, puisse douter de l’urgence des travaux ; cependant vous avez le rapport de la section centrale, chargée de l’examen du budget de l’intérieur ; vous avez en outre la pièce du ministre qui y est jointe, et ces documents prouvent suffisamment l’urgence des réparations.
Remarquez dans quelle situation particulière se trouve la partie de la ville de Liége qui est placée entre les branches de l’Ourthe : le point appelé Froidmont est menacé d’être renversé par ces deux branches.
Les envahissements de l’Ourthe procèdent-ils du fait des habitants de Froidmont, ou proviennent-ils d’autre cause ? Mais les habitants de Froidmont ne sont pas sur les bords, ne sont pas riverains ; les envahissements ne sont pas venus instantanément, ils sont venus en quelque sorte insensiblement. La branche de la rivière a toujours gagné du côté droit, et est sur le point d’envahir le village.
Plus on apportera de retards pour faire les réparations, et plus les dépenses augmenteront : on sent très bien que si les travaux ne sont pas exécutés cette année, il faudra plus de 80 mille francs pour les années suivantes, indépendamment des malheurs qui surviendraient.
Quelques honorables membres demandent que le gouvernement fasse un règlement relativement à ces dépenses, et qu’il examine à la charge de qui elles doivent tomber : mais si cette charge ne doit pas peser sur les habitants de Froidmont, il en résultera que les victimes des envahissements des eaux ne devaient pas en effet se hâter de faire des dépenses auxquelles ils ne sont pas astreints ; aussi leur inertie ne prouve rien contre l’imminence du danger.
Indiquez-nous contre qui le gouvernement aura son recours, nous disent plusieurs orateurs. Mais indiquer, cela serait trancher d’un mot la question qui s’est élevée entre la province, le gouvernement et la commune.
A cet égard la question est difficile ; on ne voit pas bien clairement qui doit supporter la charge, de la province, des communes, du gouvernement, des riverains ou des propriétaires des usines. Mais en attendant que la question de droit soit résolue, sauvez des communes entières d’une ruine totale.
Je ne crois pas qu’il y a lieu à adopter la motion d’ordre.
M. de Theux. - Je ne pense pas que la motion d’ordre faite par l’honorable M. Gendebien puisse arrêter la chambre. Les réparations sont à la charge des riverains ou de la province, sauf en ce qui concerne le Limbourg à cause des événements de 1830, et sauf ce qui peut concerner les propriétaires des usines pour le Forchu-Fossé ; cela est incontestable : ainsi le gouvernement ne sera pas embarrassé pour entrer dans ses avances ; il saura bientôt à qui s’adresser.
Nous pouvons puiser, à cet égard, des règles dans la loi de septembre 1807 : lorsque les travaux nécessaires à la conservation des rives sont faits, elle dit qui doit les payer définitivement. Il ne s’agit que d’une seule chose quand ils concernent les riverains, c’est de constater l’intérêt que le propriétaire avait à ce que les travaux fussent exécutés, pour que le gouvernement puisse récupérer ses avances, à moins qu’il n’aime mieux abandonner sa propriété.
Si on s’en référait à la motion d’ordre, il en résulterait que le gouvernement ne pourrait faire lui-même d’office les travaux dont la nécessité est constatée.
Les travaux à faire sont indispensables, soit dans l’intérêt de la navigation, soit dans l’intérêt de la conservation des propriétés riveraines : si les propriétaires riverains, si les communes ne font pas ces travaux, le gouvernement doit pouvoir ordonner d’office leur exécution, sauf à récupérer ensuite, contre qui de droit, l’avance qui aurait été faite.
On dit : Le règlement prévu par la loi de 1807 n’est pas encore fait, et on pourrait opposer une fin de non-recevoir, lorsqu’en vertu d’un règlement postérieur à la dépense, le gouvernement viendra réclamer le remboursement de cette dépense.
Messieurs, on ne peut laisser dégrader les rives de la Meuse et de l’Ourthe de plus en plus ; on ne saurait prétendre qu’un règlement postérieur aux réparations urgentes dont il s’agit, ne pourrait être applique pour récupérer les avances du gouvernement, alors surtout que la loi contiendrait une disposition formelle à cet égard.
M. Desmet. - Je viens aussi appuyer la motion d’ordre de l’honorable M. Gendebien en ce sens que je désire également avoir des renseignements de M. le ministre de l’intérieur avant de voter les sommes demandées.
Je lui demande qu’il veuille déclarer à la chambre que les travaux sont urgents, à tel point que si on ne les exécutait pas d’abord, il pourrait en arriver des désastres ; et qu’ensuite il veuille aussi déclarer à la chambre que les fonds demandés seront uniquement mis à la disposition du gouvernement pour exécuter d’office lesdits travaux, et par conséquent seulement à titre d’avance, sauf de prendre son recours contre qui il appartient de droit.
Car, messieurs, c’est ainsi que je comprends pouvoir avancer au gouvernement, dans le cas présent, les fonds qu’il demande ; c’est parce que ces travaux sont urgents que personne ne les exécute, et qu’il se trouve obligé de les faire exécuter d’office. C’est de la sorte que les travaux d’entretien aux rives et bords des rivières dans la province de Flandre s’exécutent. D’après les règlements existants ces travaux sont à charge des propriétaires riverains ; mais si les propriétaires ne les exécutent pas en temps, les agents des ponts et chaussées viennent les exécuter d’office au nom du gouvernement.
Permettez-moi, messieurs, que je vous donne lecture du décret sur lequel sont basés les règlements et arrêtés qui existent dans nos provinces sur l’entretien et la police des bords des rivières et chemins de halage.
Décret du 9 novembre 1778 :
« L’impératrice douairière, reine, etc.
« Etant informée que la rive gauche du Haut-Escaut se trouve fort dégradée en plusieurs places, depuis les environs du jardin du château de Swynaerde jusqu’auprès de la maison dite den Admirael, et qu’il s’y est fait plusieurs écoulements et cavités qui donnent lieu de craindre que pendant cet hiver, lorsque les eaux seront abondantes, toute cette partie de la rive ne soit emportée et percée, par où les paroisses de Swynaerde et de Suverghem seront exposées à des inondations ruineuses et autres calamités, à quoi il convient de pourvoir le plus promptement qu’il sera possible ; nous faisons la présente, à la délibération du sérénissime duc Charles Alexandre de Lorraine, etc., notre gouverneur et capitaine-général des Pays-Bas, pour vous dire que c’est notre intention que sans perte de temps vous fassiez assurer et mettre en bon état la susdite rive gauche de l’Escaut près de Swynaerde, afin que lesdites paroisses de Swynaerde et Suverghem ne soient point exposées à être submergées pendant cet hiver.
« Nous déclarons que les frais de cette réparation devront être supportés par la généralité des propriétaires des terres qui seraient sujettes à inondation, si la rive dont il s’agit venait à être emportée par les eaux de la rivière, et qu’en tous cas semblables on devra suivre la même règle.
« Au surplus, nous vous autorisons et chargeons de faire faire chaque année dans la saison la plus propre, par deux commissaires de votre corps, la visite des rives et bords des rivières qui se trouvent dans votre ressort, en chargeant ces commissaires de vous faire, immédiatement après cette visite, un rapport par écrit, exact et pertinent, de l’état où ils auront trouvé les choses ; après quoi vous ferez promptement pourvoir à l’entretien et réparations nécessaires, etc. »
Messieurs, je vous ai cité ce décret non seulement parce que comme j’ai eu l’honneur de vous le dire, il sert de base à nos règlements sur la matière, mais encore parce qu’il contient un cas très analogue à celui qui fait l’objet de notre discussion ; et vous avez vu que les travaux dont il y est fait mention ont été exécutés d’office au nom du gouvernement. Je me résume et demande à M. le ministre de l’intérieur qu’il déclare positivement à la chambre que les travaux sont urgents, et que les fonds que nous allons voter sont seulement accordés pour les faire exécuter d’office et jamais à charge du gouvernement.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Véritablement, je ne comprends pas bien la motion d’ordre qui vous est faite.
Je suppose que l’on veut que je déclare à la charge de qui la dépense doit tomber, et qu’ensuite je fasse en sorte de faire payer cette dépense ; je répondrai que si je pouvais désigner les personnes à qui doivent incomber les réparations je forcerais ces personnes à faire la dépense ; mais c’est justement parce que l’on ne sait pas maintenant à qui doit incomber la dépense, que le gouvernement vient vous demander de faire faire les réparations dans un intérêt général et d’ordre public.
Le gouvernement ne peut s’autoriser des décrets de Marie-Thérèse qui n’ont pas conservé une grande force, surtout dans la province de Liége ; il a dû suivre la législation de 1807 et de 1819.
En vertu de cette législation, le gouvernement avance la dépense à titre de subside. Avant de secourir les gens, il faut leur prêter.
Je suppose que nous ne puissions récupérer la dépense que l’on aura faite à titre de subsides d’après les dispositions de la loi de 1807 et de l’arrêté de 1819. Eh bien, le gouvernement ne sera pas ruiné pour avoir fait une avance dont le but est de conserver la navigabilité de deux fleuves. La dépense n’est pas, ainsi qu’on l’a dit, de plus de 400,000 fr. ; elle est de 200,000 à 300,000 fr.
Il faut remarquer qu’il s’agit de deux cas exceptionnels ; on a dit que les dévastations de la Meuse étaient fort anciennes, c’est pour cela qu’il y aurait injustice à en mettre la réparation à la charge de la province.
La Meuse a été donnée à la province du Limbourg, mais on sait comment avaient lieu ces donations à l’époque où elles étaient faites ; la donation de la Meuse était une donation onéreuse ; la province ne l’avait pas réclamée, elle a au contraire protesté contre, par cela seul que cette donation entraînait des charges considérables vu le mauvais état du fleuve. Avant donc d’imposer la charge des réparations à la province, il faudrait tenir compte de l’état dans lequel la Meuse lui a été donnée.
Quant au Forchu-Fossé, le gouvernement a frappé à toutes les portes pour obtenir l’argent nécessaire pour la dépense ; il s’est adressé à la province, à la commune, aux propriétaires riverains, aux usiniers, et même à la société du Luxembourg, qui était engagée dans l’affaire ; chacune de ces parties intéressées se renvoyait l’obligation de l’une à l’autre, et les travaux devenaient de plus en plus urgents.
Je fais, messieurs, cette dernière observation, afin que la chambre puisse bien connaître que le gouvernement ne s’est décidé qu’à la dernière extrémité à venir appuyer les réclamations qui ont été faites par les honorables représentants du Limbourg et de la province de Liége.
Quant à la question d’urgence, il a été déjà répondu à cette question trois ou quatre fois. Dans le premier discours que j’ai prononcé, j’ai traité cette question d’urgence ; j’ajouterai que l’on peut voir dans les rapports joints à celui de la section centrale qu’il y avait urgence dans l’opinion des ingénieurs des ponts et chaussées, et tellement urgence, que le gouvernement était accusé d’une coupable indifférence, parce qu’il ne se pressait pas de mettre fin aux dégâts qui existaient.
Voilà, je crois, des faits qui constatent l’urgence pour tous ceux qui veulent comprendre.
M. Gendebien. - Je n’insiste pas sur ma motion d’ordre parce que je vois que, loin d’abréger la discussion, elle la prolonge sans fruits. Je ne ferai qu’une seule observation pour prouver combien cette discussion est déplacée ; je porte à tous ceux qui ont traité la question de droit et qui se proposent de la traiter encore, je leur porte le défi d’arriver à une proposition formelle que la chambre puisse admettre ou résoudre.
Le premier but de ma proposition est d’empêcher qu’on perde du temps ; le second motif qui m’a déterminé, c’est que nous ne pouvons nous occuper d’une question qui appartient aux tribunaux.
On parle d’urgence, de nécessité absolue ; mais s’il y a crainte de danger, il y a toujours quelques intérêts particuliers froissés. A-t-on entendu des réclamations à cet égard ? Non, et si personne n’a réclamé, il n’y a pas cette urgence dont on a parlé.
La dépense que je considère comme urgente, c’est celle relative aux inondés des polders, dont les habitations sont encore sous l’eau.
L’inondation des polders n’est pas le résultat de la négligence des réclamants, c’est le résultat d’une guerre qui est la conséquence de la révolution qui a donné la liberté à toute la Belgique.
Je n’ai donc pas demandé au ministre ni à personne de nous indiquer les personnes auxquelles nous aurions recours. Je n’ai pas fait cette question, et j’eusse été en contradiction avec moi-même si je l’eusse faite ; car j’ai soutenu que la question était oiseuse, que quand vous décideriez que la province, les communes ou les particuliers qui doivent payer, vous n’auriez rien fait : mais j’ai demandé, et je répète ma question, qui demande les fonds ?
Le ministre répond à la première question que j’ai posée : Il y a nécessité, parce que c’est un devoir pour le gouvernement de maintenir la navigation de tous les fleuves et rivières. Je le prie de me dire si dans le cas où les digues de la Meuse seraient rompues, les eaux de ce fleuve iraient se jeter dans le Rhin. Si les eaux de la Meuse menaçaient de se jeter dans le Rhin, la navigation de la Meuse serait en danger, l’intérêt général serait compromis.
Mais les eaux de la Meuse n’iront pas se perdre dans le Rhin. Il y a une bonne raison pour cela ; c’est que le Rhin est plus élevé que la Meuse. La chose est impossible. Eh bien, si les digues de la Meuse crèvent, une fois que les terrains qui sont plus bas que ce fleuve seront remplis d’eau, le niveau se rétablira et la navigation continuera. Le propriétaires riverains se trouveront dans le cas des propriétaires des polders. Il y aura cette différence, que les uns subiront les conséquences de leur négligence et de leur apathie, tandis que les autres ont été mis dans cette position par la guerre, par le fait des ennemis de la Belgique. Cependant ils n’ont pas encore reçu d’indemnité. Vous voyez donc que vous ne m’avez pas répondu. On s’obstine à ne pas comprendre ma motion d’ordre. J’espère cette fois qu’on me comprendra.
Je défie, après avoir discuté la question de droit, d’arriver à une solution. Soumettez cette question à cinq jurisconsultes réunis, ils auront de la peine à la résoudre. Que sera-ce si vous la jetez au milieu d’une assemblée de 60 membres ? Et, en supposant que vous donniez une solution, qu’en résultera-t-il ? qu’on se moquera de votre décision, car vous aurez empiété sur le pouvoir judiciaire.
J’en reviens à la seconde partie, et je dis que nous ne pouvons accorder des secours que pour autant qu’il y ait nécessité, urgence et intérêt général compromis dans la navigation de la Meuse. On n’en a pas dit un mot. Prouvez que si une des digues de la Meuse se rompt, la Meuse ne sera plus navigable. Quant à la portion des environs de Liége, je conçois que la branche navigable de l’Ourthe pourrait souffrir des envahissements du Forchu-Fossé. Je ne sois pas précisément quelle branche est plus élevée que l’autre. On me dit que c’est la branche navigable. Eh bien, je ne vois pas là un grand inconvénient ; car si la navigation est compromise sur ce point, le gouvernement pourra sur ce point élever des digues.
On en a bien élevé une à Anvers contre le jeu de la marée. Il serait facile de faire une digue de sept à huit mètres contre les eaux supérieures, pour empêcher les eaux de la branche navigable de se déverser dans la branche latérale. De cette manière, la navigation sera assurée. Si on veut faire chose utile ou agréable aux particuliers dont les propriétés sont menacées, je le conçois. Mais si les particuliers ne veulent pas se charger des dépenses, je tire deux conséquences de cette disposition. Ou l’utilité réelle n’est pas démontrée, ou les propriétés menacées ne valent pas les dépenses qu'il faut faire. Car, depuis quand l’intérêt privé serait-il moins actif, moins prévoyant que le gouvernement ?
Je ne vois donc pas de motif d’intérêt général pour accorder la somme demandée.
Je conçois qu’il peut être très utile à un député, quand il retourne dans sa province, de pouvoir dire qu’il a obtenu des sommes considérables pour faire ce que des particuliers n’avaient pas le moyen de faire. Peut-être que si j’appartenais à la ville de Liége, je pourrais me laisser aller à de pareils sentiments. Mais je suis député de la nation, et aussi longtemps que l’intérêt général ne sera pas bien constaté, je dirai que les propriétaires des rives de la Meuse et de l’Ourthe veillent à leurs intérêts ; s’ils en portent assez peu pour laisser inonder leurs propriétés, ce n’est pas à nous à faire les dépenses pour les garantir. Pourvu que la navigation se continue, peu nous importe. Il faut que l’on me prouve que la navigation est compromise pour que j’accorde l’allocation.
Je serai plus facile à amener à voter les fonds que je ne l’ai été à les refuser ; car je suis toujours disposé à accorder des allocations demandées pour des travaux d’utilité publique.
M. Desmet. - Que le ministre déclare qu’il y a urgence, et que c’est à titre d’avance qu’il demande les fonds pour les employer sous sa responsabilité, et cela me suffit pour les accorder.
Le décret de Marie-Thérèse, dont j’ai parlé, est la loi de ma province. D’après ce décret, tout ce qui se fait sur les rives et les chemins de halage est au compte des particuliers. Le gouvernement exécute, et les agents tombent sur les propriétaires riverains et se font rembourser.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - On me porte deux défis, je crois ; mais l’un m’a échappé. On me défie de prouver qu’il y a urgence et intérêt général à faire les réparations aux digues de la Meuse. A moins de transporter l'assemblée sur les lieux, il me serait assez difficile de démontrer que véritablement la navigation est compromise, si on ne fait pas les réparations que je demande.
J’ai eu l’occasion de passer à Maeseyk en 1833, l’état des rives était déplorable ; il y avait à croire que la ville allait être envahie par les eaux. L’honorable représentant de Maeseyk pourrait affirmer ce que j’avance.
J’en appellerai à une autorité dont l’expérience doit inspirer de la confiance à l’honorable M. Gendebien.
Le rapporteur s’est exprimé de la manière suivante :
« En ce qui concerne l’amendement de M. Olislagers, la section centrale a reconnu, par les rapports de l’administration des ponts et chaussées, que les travaux, dont cet honorable membre réclame l’exécution, sont également urgents, et que la somme de 73,000 fr., allouée au budget de 1833 pour des ouvrages analogues, ne fait pas double emploi avec celle de 50,000 fr. demandée par l’amendement ; en effet, les débordements de la Meuse aux environs de Maeseyk ont occasionné des dégâts dont la réparation est évaluée, par le génie, à 170,000 fr. en minimum ; de vastes propriétés, un village même, sont exposés à passer de la rive gauche à la rive droite, et le déversement des eaux dans le terrain riverain peut amener enfin des désordres incalculables si on n’y apporte un prompt remède. »
Je me réfère aux rapports de la section centrale ; je ne pense pas que la chambre exige une autre démonstration.
M. Ernst. - Je parlerai de réparations au bras de l’Ourthe, chose dont je suis sûr ; je ne connais pas les lieux, c’est pour ce seul motif que je revendique la qualité de député de Liège. J’espère que l’honorable préopinant me rendra la justice de croire que je suis désintéressé dans cette question.
Est-il utile, est-il juste de faire au gouvernement l’avance de 80 mille francs pour réparer les digues de l’Ourthe ?
Je crois que si tous les membres de la chambre avaient été dans le cas de voir les lieux, on n’aurait pas discuté un instant sur la question de justice, d’intérêt général. L’urgence est claire comme le jour. Ce Forchu-Fossé a déjà fait des ravages immenses ; un village superbe, le presbytère et toutes les maisons ont été détruits. Il n’en reste que l’église et une maison. Encore les fondements de l’église ont-ils été endommagés et le chœur renversé.
C’est par les soins du curé que des travaux ont été faits. Tous les jours la rivière fait des progrès de ce côté. Je pose en fait que s’il arrivait une crue d’eau extraordinaire, l’église elle-même serait renversée, et il ne resterait plus rien de ce hameau.
Rapportez-vous-en aux hommes de l’art que la section centrale a envoyés sur les lieux.
On vous répète toujours de montrer l’urgence. Nous citons beaucoup de raisons qui l’établissent, nous invoquons les rapports d’hommes expérimentés qui se sont rendus sur les lieux. Je demande ce qu’on peut exiger de plus.
Qui réclame, dit M. Gendebien ? La Boverie, Froidmont vous ont adressé deux fois des mémoires directement ; la régence de cette commune a fait des réclamations auprès du gouvernement. Mais, dit-on, ce sont des personnes intéressées qui demandent que l’Etat fasse ces dépenses, qui doivent leur éviter la perte de leurs propriétés : que les riverains fassent eux-mêmes ces dépenses, c’est à eux à les faire. C’est là une erreur.
Ce sont de petits propriétaires de terres qui ont peu de valeur. D’un côté ils trouvent de l’intérêt dans les envahissements de la rivière et ne sont pas tentés de se mettre en avant pour coopérer à une dépense énorme. Car, remarquez-le bien, il ne s’agit pas ici de ces dépenses ordinaires que nécessitent les dégradations des rives fluviales ; il est question de construire un canal nouveau. Ici l’on ne peut pas dire comme pour les dépenses ordinaires : Vous profitez des avantages, donc vous devez participer aux charges.
Ce ne sont pas ceux qui avoisinent la rivière qui ont intérêt à prévenir ses envahissements ; mais ce sont les habitants des hameaux plus éloignés de Vennes, de la Boverie, de Froidmont qui ont tout à craindre des débordements de l’Ourthe. Comme les terres qui sont en avant de ces localités sont composées de terrains d’alluvion, elles ne pourront résister à la masse d’eau qui se précipitera sur elles, et les propriétés de ces malheureux habitants seraient englouties. De quel droit les forcerez-vous à concourir à une dépense toute nouvelle ? Ici les règles ordinaires sont insuffisantes. Voilà ce qui explique l’embarras du gouvernement.
Les riverains se plaignent que tous les dégâts proviennent des usiniers. En effet, les usines sont établies sur la branche principale de l’Ourthe. Il est à croire que ce sont les travaux nécessités par de ces usines, tels que les barrages pour distribuer également la masse de l’eau, qui dans les crues extraordinaires ont occasionné le déversement du trop-plein de l’Ourthe dans la branche de Forchu-Fossé.
Ceci peut être une question. Mais si ce fait est vrai, ce seraient les usiniers qui indirectement apporteraient un préjudice notable aux intérêts des riverains. Les usiniers prétendent le fait faux. Les riverains refusent de payer. Tous se renvoient la balle, pour me servir d’une expression vulgaire. Je le demande, le gouvernement, en attendant que la contestation soit résolue, doit-il laisser empirer le mal ?
On craint qu’en faisant, d’une dépense que l’on regarde comme provinciale, une charge de l’Etat, les autres provinces ne réclament, à l’exempte de la province de Liége, l’exécution de travaux urgents dans des cas analogues. Mais le vote de la chambre ne préjuge rien. Faites d’abord la dépense extraordinaire. Quand la question financière sera décidée, vous agirez contre qui il appartiendra. Faudra-t-il auparavant attendre l’issue d’un procès qui peut durer des années ? En attendant, la branche du Forchu-Fossé continuera ses envahissements, et quand la contestation sera finie, il sera peut-être trop tard.
L’honorable M. Gendebien a cité les réclamations des habitants des polders. Dans ce cas il s’agit d’une perte une fois faite, dont on peut ajourner la réparation. Mais ce que nous demandons, nous, c’est d’arrêter les progrès d’un mal qui peut devenir de jour en jour plus considérable.
J’ai tâché de traiter la question d’humanité générale. Il me semble qu’elle ne peut plus présenter aucun doute. Les habitants des malheureux hameaux que j’ai cités ne peuvent être tenus, par leur position, à payer les frais des réparations des rives de l’Ourthe. C’est à l’Etat qu’appartient de faire cette dépense, à l’Etat qui doit sa protection aux faibles.
Je passe à la question d’utilité générale. Si le Fourchu-Fossé parvient à se réunir à la branche principale de l’Ourthe, comme cette dernière branche est à un niveau plus élevé que le Forchu-Fossé, il s’ensuivra que les eaux de la rivière se déverseront dans cette branche ; les usinés privées de l’eau qui en fait mouvoir les machines seront obligées de chômer. Mais, me dira-t-on, pourquoi les usiniers n’adressent-ils pas des réclamations au gouvernement ? C’est qu’ils croient que c’est à l’Etat à faire la dépense. Si le malheur que nous craignons arrivait, il s’ensuivrait que toutes les usines d’une partie de la ville de Liége, que l’on nomme le quartier d’Outre-Meuse, seraient tout à coup arrêtées.
Alors on s’apercevra des torts immenses que la négligence aura causés, et les dépenses que l’on devra faire dépasseront de beaucoup celles que l’on vous demande maintenant. Du moment que les terrains meubles compris entre les deux branches de l’Ourthe auront été enlevés par les eaux, la branche supérieur cessera d’être navigable. J’en appelle à tous les honorables collègues qui ont été à même de vérifier le fait. Ils pourront vous en certifier l’exactitude. Le gouvernement est tenu de veiller à ce que la navigabilité de rivières soit assurée. Or, la navigabilité de l’Ourthe est compromise.
Voilà certainement une question d’intérêt général. De quelque manière que l’on envisage la nature des dépenses, il faudra bien que le gouvernement en supporte au moins une partie. Plus vous retarderez d’adopter la mesure que l’on vous propose, plus vous augmenterez la dépense, et plus par conséquent vous augmenterez la part du gouvernement. Ce que nous réclamons donc, c’est ce qu’on appelle une mesure conservatoire. Que le gouvernement intervienne d’abord, et puis il prendra son recours.
M. d’Hoffschmidt. - Le tableau que l’honorable député de Liège a fait des malheurs des riverains du Forchu-Fossé, est certainement bien fait pour fixer l’attention de la chambre. Je serais le premier à accorder les fonds que l’on nous demande, si je ne croyais pas que la dépense dût être faite par la ville de Liége.
A propos des réparations à faire aux digues de la Meuse, on nous disait que les communes étaient trop pauvres, qu’elles ne pouvaient pas intervenir dans la dépense. La ville de Liége n’est pas dans une position semblable. Il lui est toujours possible de faire une dépense de quatre-vingt mille francs. Si les dégâts sont aussi à craindre que nous le présente l’honorable M. Ernst, je ne conçois pas qu’une ville, dont les usines qui font sa richesse voient leur sort compromis, lorsqu’un grand quartier est intéressé aussi vivement dans la question, n’ait rien fait pour prévenir les envahissements d’une rivière qui menace sa propriété. Si le danger était tel qu’on le dépeint, la régence de Liége aurait commencé par exécuter les travaux, sauf à inviter plus tard le gouvernement à payer sa quote-part pour ce qui concerne la navigabilité de l’Ourthe.
J’ai été frappé des arguments de quelques préopinants qui ont dit que nous discutions l’urgence d’une dépense telle que celle pour laquelle on nous demande des fonds, tandis que la pétition des habitants de Lillo n’a pas encore été soumise à l’examen de la chambre. Les malheureux inondés nous adressent requêtes sur requêtes. On les envoie au bureau des renseignements, et on passe à la discussion des réparations des rives de la Meuse. Il me semble que l’humanité exigeait que nous accordions la priorité à la pétition des habitants des polders. Je demande que la discussion actuelle soit ajournée jusqu’à ce que l’on puisse s’occuper de ces victimes de la révolution.
M. A. Rodenbach. - J’avais d’abord l’intention de ne pas prendre part à une discussion sur une question de droit. Mais comme il arrive quelquefois que des hommes de loi s’occupent de questions qu’ils ne connaissent pas, je les imiterai, sauf à me tromper comme eux. (On rit.)
Ce qu’a dit l’honorable préopinant relativement aux polders est exact ; il ne s’agit pas de cent mille francs, il s’agit ici de millions. On a parlé de Lillo. Je pourrai vous certifier que, depuis le mois d’octobre, les habitants de ce village sont dans la plus grande misère. Des personnes autrefois dans l’aisance, dont les propriétés ont été submergées, vivent aujourd’hui dans de misérables cabanes. 2,300 arpents de terrain sont sous l’eau. Dix fermes ont été inondées. Les malheureux habitants de Lillo ont faim, ont grand-faim. Il ne s’agit pas, pour soulager leur misère, de renvoyer leurs pétitions au bureau des renseignements ou au ministre de l’intérieur. Ce n’est pas leur accorder des secours.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Un projet de loi a été présenté.
M. A. Rodenbach. - Les partisans de la dépense que l’on demande disent que les travaux sont urgents. Je veux bien le croire. Mais je demanderai s’il n’est pas possible de prélever la somme nécessaire sur le budget des travaux publics ou d’opérer un transfert qui pare à la dépense. Puis le gouvernement pourrait vider la question de droit. Il a à sa disposition des hommes de loi : qu’ils l’éclairent de leurs lumières. Il saura par qui la dépense doit être supportée. Si les parties intéressées se refusent à la dépense, que le gouvernement commence les travaux aujourd’hui et que demain il intente un procès.
M. Dumont. - Il me semble que ce qu’a dit M. Ernst ne prouve rien moins que ce qu’il a voulu prouver. Si les ingénieurs préfèrent un nouveau lit aux eaux que de faire des endiguements, c’est qu’ils croient la dépense inférieure ; mais cela ne prouve pas que ceux qui devraient payer l’endiguement ne doivent pas payer le nouveau lit.
Quant à l’urgence, d’après ce que j’ai entendu, je n’en vois que pour l’église et une maison. 80 mille francs ne sont pas nécessaires pour garantir ces deux bâtiments. Si les propriétaires n’ont pas un intérêt assez pressant pour faire la dépense, à plus forte raison l’Etat ne doit pas être plus pressé qu’eux.
Je crois qu’il faut accorder un subside pour conserver l’église, édifice d’intérêt communal ; mais le reste ne me paraît pas urgent.
M. Raikem. - Il paraît dans ce moment que toute la question est réduite à une question d’urgence ; on agite aussi la question d’intérêt général.
Il en est qui prétendent que les travaux sont dans l’intérêt des habitants de Froidmont plutôt que dans l’intérêt de la navigabilité de la rivière ; mais, avec la carte topographique de cette contrée, on reconnaît bien vite que la navigation du fleuve peut être compromise par suite du progrès désastreux des eaux.
Il n’y a pas seulement urgence pour l’église de Fetinne et pour une maison ; on voit encore, en jetant les yeux sur la carte, qu’il serait impossible de restreindre les travaux à ce qui concerne l’église.
Il ne faut pas faire attention seulement au hameau de Fetinne, où il ne reste que l’église et une maison ; il faut encore faire attention au hameau situé entre Forchu-Fossé et la branche de l’Ourthe qui est navigable, car les riverains courent là les plus grands risques.
L’intérêt général est compromis, car il y a danger pour les usines établies sur la branche principale de l’Ourthe. Les envahissements se font peu à peu ; ce que par suite des temps qu’on en voit le progrès ; mais si on n’arrête pas la tendance des eaux, on risque pour la navigabilité de l’Ourthe.
Anciennement, autant que ma mémoire me le rappelle, on prenait de grandes précautions pour éviter que la navigation ne fût interrompue par des eaux trop abondantes dans la branche du Forchu-Fossé.
Sur qui les dépenses des travaux doivent-elles peser ? C’est le gouvernement qui en faisait autrefois les frais. Les rivières navigables appartiennent au gouvernement, aux termes des lois qui nous régissent et c’est par conséquent au gouvernement à prendre tous les moyens pour conserver la navigation, S’il a négligé de prendre les précautions qu’il devait prendre, l’objet n’en est pas moins d’un intérêt général, et les communes ou les particuliers ne doivent pas être obligés de payer pour lui ; ils doivent encore moins être victimes des événements qui pourraient être la suite de la négligence que l’on mettrait à faire les réparations nécessaires.
Un honorable préopinant a dit que s’il y avait urgence, la ville de Liége et ses habitants s’empresseraient de faire les travaux nécessaires pour les garantir. Mais on ne considère pas assez que c’est une question mêlée d’intérêt général et d’intérêts privés, et qu’il est impossible d’exécuter sur l’Ourthe des travaux généraux sans qu’il en résulte un grand bien pour plusieurs particuliers ; mais c’est au gouvernement à voir s’il a un recours ouvert contre ces particuliers.
Nous n’avons, me semble-t-il, qu’une question à examiner en définitive ; c’est celle de savoir s’il y a urgence dans les travaux. Pour moi, je crois qu’il y a urgence sous deux rapports ; sous le rapport de l’intérêt particulier, et sous le rapport de l’intérêt général relativement à la navigabilité de l’Ourthe et aux usines à qui l’Ourthe sert d’aliment.
M. Ernst. - Ce que vient de dire l’honorable président de cette chambre me dispense de réfuter beaucoup d’objections auxquelles j’avais d’abord l’intention de répondre.
Je dois répondre cependant un mot à mon honorable ami M. d’Hoffschmidt. L’honorable membre a dit : Puisque le Forchu-Fossé appartient à la province de Liége, c’est à cette province à en réparer le dommage.
Le Forchu-Fossé, messieurs, n’appartient pas plus à la province de Liége que la Meuse qui est un affluent de l’Ourthe. L’Ourthe et ses affluents sont des rivières navigables qui dépendent du domaine public. Cela est tellement vrai, que le gouvernement a toujours perçu les droits de péage, l’affermage de la pêche et du droit de passage sur le Forchu-Fossé. Ainsi en droit comme en fait le Forchu-Fossé appartient à l’Etat, et les réparations qu’il nécessite doivent être mises à la charge de l’Etat.
M. Doignon. - Lorsque, l’année dernière, nous avons alloué une somme de 73,000 francs à titre d’avance, pour répartitions aux rives de la Meuse, j’ai pensé que cette avance se faisait une fois pour toutes, et que le ministère aurait fait décider entre-temps à qui incomberait le remboursement de la dépense ; il me paraît que le ministère n’en a rien fait, et que ses prétentions vont en augmentant.
L’année dernière, on a demandé 73,000 francs ; aujourd’hui on demande 50,000 francs pour la Meuse, et il résulte du rapport que bientôt on vous demandera encore pour le même objet une autre somme de 50,000 francs ; il résulte aussi du rapport que la somme de 80.000 francs à allouer pour le Forchu-Fossé est également insuffisante.
Veuillez réfléchir, messieurs, aux conséquences du système dans lequel on veut vous faire entrer. Si vous accueillez la proposition qui vous est soumise, vous verrez la chambre assiégée d’une foule de demandes de même nature.
Il est à ma connaissance que, dans l’arrondissement de Tournay, il se présente un cas extrêmement grave ; c’est aussi un village qui est menacé d’être ruiné totalement chaque année par les débordements de l’Escaut ; ces eaux arrivent au milieu du village, et entourent l’église et les maisons qui sont auprès ; chaque année les eaux ravagent les terres, et la commune éprouve les mêmes dommages que les communes en faveur desquelles on réclame aujourd’hui. Je demande si cette commune ne serait pas aussi fondée que les autres à demander une allocation extraordinaire.
Si vous voulez adopter la proposition, une fois que vous en aurez admis le principe, vous aurez à délibérer sur des dépenses qui s’élèveront à des centaines de mille francs, à un million peut-être ; chaque province, chaque commune pourra vous soumettre des réclamations sur des dépenses de même nature. Je ne pense pas que votre intention, messieurs, est d’entrer dans un tel système ; par ce motif seul, je rejetterai la proposition. Les deniers des contribuables ne peuvent être employés à de semblables dépenses.
Je pense, avec un honorable préopinant, que la proposition regarde principalement des intérêts particuliers. Des réclamations de même espèce ont été faites sous le ministère précédent, et ce ministère les a constamment repoussées.
Si nous devons en juger d’après la lettre de M. le ministre de l’intérieur, du 4 mars 1834, je vois que l’intérêt de la navigabilité et l’intérêt du halage sont étrangers aux réparations, et que c’est principalement l’intérêt des particuliers qu’on a en vue dans l’allocation qui vous est demandée.
Voici la lettre de M. le ministre dé l’intérieur du 4 mars dernier :
« On a également soulevé et débattu la question de savoir par qui doivent être supportés les frais d’établissement des ouvrages à construire sur la Meuse. On allègue que, par l’adoption de la convention du 21 mai, l’arrêté du 17 décembre 1819 se trouvait rapporté en ce qui concerne la Meuse et que par suite la province devait être mise hors de cause ; sans adopter ou contester cette opinion, je ferai remarquer que l’Etat ou la province a rempli toutes ses obligations en faisant exécuter les travaux reconnus nécessaires, dans l’intérêt de la navigation. »
Ainsi, messieurs, le ministre est contraire à lui-même dans ce qu’il a dit aujourd’hui. Il résulte de la lettre que je viens de citer, que les travaux nécessaires pour assurer la navigation du fleuve ont été exécutés. Ce n’est donc pas dans l’intérêt général que le ministre demande une allocation ; c’est dans un autre intérêt. Ici encore c’est dans le rapport même que j’établirai la vérité de ce que j’avance.
« S’il s’agissait de consolider les rives de la Meuse sur un point déterminé dans l’intérêt du halage, il est incontestable que l’Etat ou la province, devrait y pourvoir, mais telle n’est pas la question : les travaux dont la nécessité est reconnue ont presque exclusivement pour objet la conservation des propriétés riveraines. »
Vous voyez, messieurs, que c’est dans l’intérêt des propriétaires riverains que l’on agit, et cela, de l’aveu même du ministère ; et à l’appui de ce fait je lis encore cette phrase dans le rapport de la section centrale :
« La section centrale propose d’allouer la somme demandée par l’amendement, à titre et à la condition que des mesures soient immédiatement prises pour faire décider la question de savoir à qui la dépense doit incomber. »
Il n’est donc évidemment question que de réparer des dommages qui concernent les propriétaires riverains.
En droit, je pense, messieurs, que les réparations dont il s’agit incombent, ou devaient incomber (car elles datent de loin) aux propriétaires riverains ; c’est un principe reconnu que les inondations qui résultent du voisinage des fleuves doivent être supportées par les riverains. C’est ce qui ressort des articles 556, 557 et 558 du code civil ; d’après ces articles, celui qui jouit du bénéfice du voisinage des rivières navigables ou non, doit naturellement en supporter les charges et les désavantages. D’après la loi du 16 septembre 1807, combinée avec l’arrête du 30 décembre 1819 que M. le ministre a cité, on a consacré en principe ce que je viens de dire : les réparations aux digues des fleuves incombent aux propriétaires riverains, sauf le subside et les secours qui peuvent leur être accordés. Eh bien, cette règle, messieurs, est celle que nous devons suivre dans les circonstances actuelles.
Si la charge incombe aux propriétaires, c’est à eux exécuter les réparations ; s’ils s’y refusent, les tribunaux sont là.
On parle de règlement d’administration publique pour déterminer sur qui doit tomber la dépense ; mais si ce règlement n’existe pas, est-ce qu’il n’y a plus de justice ? A défaut du règlement, c’est aux tribunaux à prononcer sur la question.
Si les propriétaires riverains, la régence de Liége et la province ne s’entendent point à l’égard de ces réparations, il faut faire assigner les intéressés pour faire décider que, vu l’urgence, les travaux s’exécuteront, sauf plus tard à décider dans quelle proportion chaque partie devra contribuer aux frais de réparation : voilà la règle à suivre ; mais ce n’est pas l’Etat qui doit se charger des réparations, c’est aux intéressés eux-mêmes à y pourvoir.
Dans tous les cas, il est un moyen pour le gouvernement d’assurer le remboursement ; c’est un moyen de procédure bien simple, et le gouvernement devrait, dès à présent, l’employer. Si toutefois il persiste à vouloir faire exécuter les ouvrages lui-même, le gouvernement, dès à présent devrait assigner en justice les propriétaires riverains, la ville de Liége et la province, pour faire déclarer, ainsi que je l’ai dit, que, vu l’urgence, on procédera aussitôt à l’exécution des travaux, sauf à juger ensuite à qui incombe la dépense, et dans quelle proportion.
Si le gouvernement n’emploie point ce moyen, jamais il n’obtiendra le remboursement des avances qu’il aura faites. Si on exécute les travaux sans appeler les intéressés, ceux-ci diront que les travaux ont été faits à leur insu, et qu’ils auraient pu les faire eux-mêmes ; ils en contesteront l’utilité, et le secours du gouvernement deviendra illusoire.
Mais je pense que l’Etat ne doit pas être chargé de la dépense ; on doit abandonner aux intérêts particuliers le soin de faire les ouvrages nécessaires pour garantir les propriétés riveraines des ravages auxquels elles sont exposées.
La section centrale a terminé son rapport de la manière suivante :
« Le Forchu-Fossé, l’un de ces bras, dont la direction, influencée par les usines, parcourt un terrain alluvionnaire peu résistant, est sujet à de fréquentes déviations, qui causent des dommages aux propriétés riveraines : ce sont ces dommages qu’il s’agit de prévenir par des travaux de conservation aux berges de la rivière. »
Vous voyez, messieurs, que la section centrale est aussi entrée dans mes vues pour assurer le remboursement de la dépense ; je crois que le but que les mesures que j’indique, remplacerait bien le but que se propose la section centrale.
M. Raikem. - Je répondrai à M. Doignon, qui s’est opposé à la proposition parce qu’en droit les réparations des digues des fleuves ou rivières incombent aux propriétaires riverains. Quand cela serait vrai, je ne sais pas s’il n’y aurait pas lieu de la part du gouvernement à faire l’avance des fonds, si j’ai bien compris le sens de l’article 33 de la loi du 16 septembre 1807.
Cet article est ainsi conçu :
« Lorsqu’il s’agira de construire des digues à la mer ou contre les fleuves, rivières et torrents navigables, la nécessité en sera constatée par le gouvernement, et la dépense supportée par les propriétés protégées, dans la proportion de leur intérêt aux travaux, sauf le cas où le gouvernement croirait utile et juste d’accorder des secours sur les fonds publics. »
Eh bien, messieurs, il me semble résulter de cet article que c’est le gouvernement qui constate les travaux à faire ; s’il en reconnaît l’urgence, il fait exécuter ces travaux, et ensuite il a son recours contre les propriétaires qui peuvent avoir été protégés par ces travaux.
Je n’entends pas toutefois préjuger la question du recours dans le cas dont il s’agit. J’ai déjà indiqué les difficultés que cette question présente.
Remarquez, en outre, que dans le cas qui nous occupe, il ne s’agit pas de faire une digue, mais un nouveau canal pour l’écoulement des eaux, et par ce moyen protéger les propriétés du hameau de Froidmont et assurer la navigation de l’Ourthe. Pour faire ce nouveau canal, il faudra venir à des expropriations pour cause d’utilité publique. Or, conçoit-on que les propriétaires riverains puissent se concerter entre eux pour faire ce canal et venir demander des expropriations pour cause d’utilité publique ? Il y a donc lieu de la part du gouvernement d’intervenir. Je n’entrerai pas davantage dans la question de droit.
Je me bornerai à la question d’urgence. Il a été suffisamment constaté que le gouvernement ne pourrait pas exercer son recours, comme l’a indiqué M. Doignon.
L’intérêt public et l’intérêt des habitants qui seraient plongés dans la détresse, si les réparations n’étaient pas faites, doivent vous déterminer. à accorder les fonds qu’on vous demande. On a parlé des inondés des polders qui n’ont encore reçu aucune indemnité. Sans doute la chambre ne sera pas insensible à leur malheur, elle examinera avec sollicitude la loi qui lui est soumise à ce sujet ; elle n’a écarté aucune des pétitions qui lui ont été adressées à cet égard ; mais pourquoi faire intervenir ces malheureux dans la question qui nous occupe ?
Faut-il, parce que des personnes se trouvent dans le malheur par suite des circonstances de la guerre, augmenter le nombre des malheureux, en ne prévenant pas des désastres par des travaux dont chacun de vous peut apprécier l’urgence ?
Je vous prie de ne pas perdre de vue qu’il ne s’agit pas ici de réparer, mais de prévenir des malheurs au moyen d’une dépense légère relativement aux désastres qu’elle doit empêcher.
M. Desmanet de Biesme. - On a tiré un argument en faveur de la dépense du creusement d’un nouveau canal. Mais je dirai que ce projet n’est pas le seul que nous présente la section centrale. Il y en a encore deux autres qui consistent à faire des réparations aux rives du Forchu-Fossé. M. Raikem a commis une erreur en annonçant que cette branche de l’Ourthe est navigable ; elle ne l’est pas.
M. Raikem. - Je n’ai pas dit que le Forchu-Fossé fût navigable ; mais j’ai dit que la masse d’eau qu’il contient influait par son plus ou moins de volume sur la navigation de l’Ourthe, et que c’était sous ce rapport qu’il touchait à la navigabilité de cette rivière.
M. de Muelenaere. - Je pense que la chambre sera forcée de se rallier à la proposition de M. Desmet et d’allouer la somme que l’on nous demande pour des dépenses qu’une impérieuse nécessité réclame, sauf au gouvernement à faire plus tard son recours. J’avoue que je n’attends pas un grand résultat de ce recours.
Il faut qu’il y ait justice distributive pour toutes les provinces. Il est donc du devoir du gouvernement de proposer l’adoption de règlements uniformes pour tout le royaume, Il ne serait pas équitable que les Flandres continuassent à observer des lois de Marie-Thérèse auxquelles d’autres provinces ne devraient pas se soumettre. Si le gouvernement était fondé d’accorder aux provinces des subsides pour les réparations à faire aux rives des fleuves, je ne vois pas pourquoi on ne mettrait pas les canaux sur la même ligne.
Nous avons dans notre province un canal dont l’entretien annuel coûte 50,000 fr., et qui, s’il était négligé pendant un an, nous occasionnerait une dépense de plus de 300,000 fr. S’il n’existe actuellement pas des dispositions uniformes par les frais d’entretien des rivières et voies de navigation, il faut que le gouvernement présente à ce sujet une loi à la sanction de la législature.
Pour ce qui concerne la dépense spéciale qu’on nous demande, je déclare que je la voterai, puisque l’urgence nous en est démontrée ; mais je ne m’attends pas que l’argent que nous allons accorder aux provinces du Limbourg et de Liége rentre jamais dans les caisses de l’Etat.
M. le président. - La chambre n’est pas en nombre pour voter.
- La séance est levée à 5 heures.