(Moniteur belge n°163, du 12 juin 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à midi et demi.
M. Liedts fait l’appel nominal.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Liedts fait connaître en ces termes l’objet d’une pièce adressée à la chambre.
« Le sieur N. Gislain demande le congé de son beau-fils Collart, fourrier au 2ème régiment d’infanterie, dont le terme d’engagement est expiré. »
- Renvoyée à la commission des pétitions.
M. le président. - M. de Foere, qui a déposé une proposition sur le bureau, demande à en exposer les motifs aujourd’hui.
M. de Robaulx. - Si la proposition intéresse le commerce, cela suffit pour qu’elle soit prise en considération, Il faut que les développements soient imprimés et distribués ; puis on la renverra devant les sections.
M. le président. - Il faut au moins que M. de Foere rappelle sommairement l’objet de sa proposition.
M. de Foere. - Messieurs, afin de ne pas prendre inutilement le temps de la chambre, je n’entrerai pas dans tous les développements de ma proposition ; mais attendu qu’il s’agit de la prise en considération, il convient que j’en présente quelques-uns. Je me bornerai à l’exposé des motifs sur lesquels mon projet de loi est fondé.
Il résulte de notre système vicieux de navigation et de commerce que les besoins de la consommation intérieure, tant en denrées coloniales qu’en matières premières, nous sont fournis par la navigation et par le commerce étrangers. Les conséquences évidentes de ce pernicieux système sont :
1° Que nous employons les capitaux, les matières nécessaires à la construction navale, les ouvriers et les matelots de l’étranger :
2° Qu’une partie de nos capitaux, de nos bois, de nos fers, de nos houilles, de nos produits agricoles est pour nous une valeur inerte ;
3° Qu’une grande partie de notre population n’est pas utilisée dans la construction des navires et dans la navigation ;
4° Que nous ne créons pas pour notre industrie des moyens d’exporter ses produits qui excèdent la consommation intérieure, d’où il résulte une autre réduction dans l’emploi de nos capitaux et de nos matières premières, dans le travail du pays
5° Qu’au lieu de conserver à l’industrie nationale les marchés du pays, nous les ouvrons, à qualités et à prix égaux, à l’industrie étrangère, faits démontrés par plusieurs mémoires, rapports et pétitions publiés par le commerce et l’industrie du pays ;
6° Qu’à défaut de telle protection dont jouit la marine de toute autre nation maritime, notre marine marchande tombe dans une ruine progressive, attendu qu’elle est obligée de lutter, à moyens trop inégaux, contre la protection et contre la richesse de la marine étrangère ;
7° Que notre route en fer, pour laquelle nous ferons des dépenses considérables, et pour laquelle nous chargerons la dette nationale, sera, sous le rapport du commerce extérieur, presque exclusivement exploitée par le commerce étranger ; que la Belgique devra se résigner aux bénéfices du transit et renoncer aux immenses avantages qui résultent du commerce direct ;
8° Que jamais la Belgique ne parviendra à former avec les nations étrangères des traités de commerce, fondés sur des échanges à valeurs égales et sur une juste réciprocité, seuls fondements sur lesquels la liberté commerciale est aujourd’hui pratiquement basée.
La suite de mes développements tend à justifier ces assertions ; mais je me bornerai à la lecture de cette partie de mon exposé, attendu que la chambre semble disposée à en ordonner l’impression.
M. de Robaulx. - Le mémoire tout entier sera imprimé.
M. le président consulte la chambre sur la prise en considération.
- La prise en considération est adoptée, et la proposition est renvoyée dans les sections.
L’impression demandée est ordonnée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) demande la parole pour une communication du gouvernement.
Il présente un projet de loi ayant pour objet de proroger la loi du 19 juillet 1832, relative aux péages, qui n’est exécutoire que jusqu’au 1er juillet prochain,
- La chambre donne acte à M. le ministre de la présentation du projet de loi dont il vient de donner lecture. Ce projet et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués.
M. le président. - La chambre entend-elle renvoyer ce projet dans les sections ou à une commission ?
M. de Robaulx. - Je crois qu’il y a une commission nommée pour examiner tout ce qui est relatif aux péages et aux travaux publics. Si cette commission existe toujours, ce serait à elle que le projet devrait être renvoyé. On ne peut pas renvoyer ainsi indéfiniment une loi qu’on a reconnu la nécessité de soumettre à un nouvel examen.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Peu importe qu’on renvoie le projet à une commission spéciale ou à la commission précédemment nommée pour examiner la législation relative aux travaux publics ; mais j’appellerai l’attention de la commission qui sera chargée de l’examen de ce projet sur la nécessité où elle sera de faire son rapport le plus promptement possible, attendu que la loi n’a force obligatoire que jusqu’au 1er juillet prochain. Je ne pense pas que la prorogation que je demande donne lieu à de longues contestations. L’année dernière la loi a été prorogée purement et simplement sur la proposition d’une commission dont M. de Puydt était rapporteur. Je crois qu’il en sera de même cette fois.
M. le président. - M. de Robaulx propose de renvoyer le projet de loi présenté par M. le ministre de l’intérieur, à la commission chargée d’examiner la législation sur les travaux publics.
M. Legrelle. - Ce projet n’a rien de commun avec les travaux publics dont la législation est soumise à l’examen d’une commission. Il ne faut pas que cette commission lie son rapport sur la loi qui vient d’être présentée avec les autres objets qui lui sont soumis ; sans cela nous passerons le terme du premier juillet sans avoir rien fait.
M. de Robaulx. - La commission ne sera pas obligée de lier le projet que je propose de lui renvoyer avec les autres questions soumises à son examen. Je demande de lui renvoyer ce projet parce qu’elle sera plus à même de l’examiner.
M. de Theux. - Je pense qu’il faut nommer une commission spéciale, d’autant plus que le président et le vice-président de cette commission étant presque constamment absents, elle ne pourrait pas s’occuper de l’objet de sa mission.
M. le président. - La commission chargée d’examiner la législation relative aux travaux publics est composée de MM. de Muelenaere, de Puydt, de Theux, d’Huart, Desmaisières, Fallon, Dubus et Teichmann.
M. de Robaulx. - La commission est composée de sept membres ; il en reste assez pour examiner le projet dont il s’agit.
- La chambre consultée renvoie le projet présente par M. le ministre à la commission chargée d’examiner la législation relative aux travaux publics.
M. Dubus. - Je demande la parole. Je désire soumettre à la chambre quelques dispositions qu’il me paraît utile d’ajouter à la loi provinciale, en conséquence de l’article 5 de cette loi, tel que nous l’avons voté.
D’après cet article 5 on reconnaît comme électeurs ceux qui réunissent les conditions prescrites par la loi électorale pour la formation des chambres ; il dispose, en second lieu, que les listes électorales formées en exécution de cette loi serviront pour l’élection des conseils provinciaux ; enfin il étend le droit électoral à des individus qui ne peuvent pas être électeurs pour la formation des chambres, mais qui seront compris dans des listes supplémentaires pour la formation desquelles on se réfère encore à la loi électorale.
Il m’a semblé qu’au moment où la formation des listes acquiert autant d’intérêt, il était important de combler une lacune que présente, quant à la formation des listes, la loi électorale. Il m’a semblé aussi qu’il était extrêmement facile de combler cette lacune. La liste électorale est formée par l’administration communale. C’est dans un certain délai à dater de la publication de cette liste, que les réclamations doivent être adressées à l’administration communale. La liste est révisée chaque année, toujours avec la même publication ; mais la condition de tous ceux qui sont compris dans cette liste ne paraît pas la même.
Lors de la première formation de la liste et conséquemment de la première publication, tous ceux qui croient avoir le droit de figurer sur la liste ne manquent pas d’aller s'assurer si leurs noms y sont portés. Il en est de même, lors de la révision annuelle, pour ceux qui n’étaient pas portés sur la liste précédente et qui depuis ont justifié de leurs titres pour y être compris. Ceux-là vont vérifier si leurs noms se trouvent sur la liste.
Mais comme l’article 6 de la loi électorale porte que la liste est permanente, ceux qui étaient portés sur la première liste, dans la confiance que, connaissant toujours les conditions électorales, ils sont toujours inscrits sur la liste, ne vont pas voir s’il n’y a pas eu omission de leurs noms dans la nouvelle publication. Il peut donc arriver (et je puis dire qu’il est souvent arrivé) que des électeurs ayant conservé toutes les conditions requises par la loi perdent leur droit d’électeur.
Pour parer à cet inconvénient, il me semble utile de prescrire que lorsqu’en révisant la liste les administrations communales retrancheront un nom porté sur la liste précédente, elles devront donner un avertissement à l’individu dont le nom est retranché. Ces noms retranchés sont ordinairement en très petit nombre, et il ne pourra pas résulter un grand travail de cette mesure, et au moyen de cet avertissement, les individus omis sur la liste pourront réclamer, s’ils ont conservé le droit d’être électeur.
Ce n’est pas tout. Après la publication, les administrations communales arrêtent définitivement la liste, et faisant droit aux diverses réclamations, elles ajoutent certains noms et en retranchent certains autres.
Ceux dont les noms sont ainsi retranchés, ne reçoivent aucun avertissement. La loi ne prescrit pas de leur en donner. Cependant, ils n’ont aucun moyen de connaître qu’on a ainsi rayé leurs noms et de faire leurs réclamations s’il y a lieu ; il faut que prévoyant la possibilité d’une pareille radiation, et cette prévoyance n’est pas ordinaire à ceux qui n’ont aucun doute sur la légitimité de leur droit, ils s’adressent d’eux-mêmes à l’administration communale et viennent demander si leur nom a été maintenu, si aucune réclamation n’a été faite, par suite de laquelle leur nom aurait été retranché.
Car, aux termes de la loi électorale, tout individu jouissant des droits civils et politiques peut réclamer contre une inscription indûment faite ; et si l’administration à qui la réclamation est adressée retranche le nom, si elle trouve fondés les motifs donnés par le réclamant, il importe que l’électeur dont le nom se trouve ainsi rayé à son insu, soit mis à même, par un avertissement, de combattre ces motifs afin de conserver son droit ; et tel est aussi l’objet de l’une des dispositions que je propose.
Si on arrêtait la liste, l’administration communale a pu retrancher des noms, elle a pu aussi en ajouter.
Cependant, aucune disposition de la loi ne prescrit de publier une liste supplémentaire. C’est là une lacune très grave, car elle peut faciliter l’introduction de faux électeurs sur la liste. Il faut que ceux qui y sont portés postérieurement à la publication subissent comme les premiers le contrôle du public ; il faut qu’une liste supplémentaire soit affichée afin que toute personne qui voudrait réclamer contre une inscription indue puisse le faire. Il y a autant de raison de publier la liste supplémentaire que la première liste. C’est pour ces différents motifs, pour combler les lacunes que je viens d’indiquer, que je proposerai les dispositions suivantes :
« 1. Lorsqu’en exécution de l’article 7 de la loi électorale du 3 mars 1831, les administrations communales, en procédant à la révision de la liste électorale, rayeront ou omettront les noms d’électeurs portés sur la liste de l’année précédente, elles seront tenues d’en avertir ces électeurs, par écrits et à domicile, au plus tard dans les 48 heures de l’affixion de la liste.
« 2. Le même avertissement sera donné, dans les 48 heures de la date de la clôture définitive de la liste, aux personnes portées sur la liste affichée et dont les noms seront rayés par les administrations communales lors de cette clôture définitive.
« 3. Ces notifications seront faites sans frais par un agent de la police communale.
« 4. Les noms des électeurs qui auront été admis par les administrations communales, lors de la clôture définitive de la liste, sans avoir été portés sur la liste affichée, seront publiés par nouvelles affiches, dans le même délai de 48 heures, à dater de cette clôture.
« L’affiche rappellera que les réclamations, s’il y a lieu, peuvent être formées auprès de la députation du conseil provincial, en se conformant à l’article 12 de la loi du 3 mars 1831. »
Au moyen de ces dispositions, il y aura certitude que tous les véritables électeurs auront pu se faire porter sur les listes, et en même temps que tous les citoyens jouissant de leurs droits civils et politiques auront pu s’opposer à ce qu’on fît figurer sur les listes des personnes n’ayant pas le droit de voter.
Il me paraît important, je le répète, de combler ces lacunes au moment où la formation des listes requiert plus d’importance en ce qu’elles doivent servir à la formation des conseils.
M. le président donne lecture de l’amendement présenté par M. Dubus.
M. Dubus. - Je demanderai à la chambre la permission d’ajouter une considération que j’ai omise. Pour m’assurer que la proposition que j’avais l’intention de présenter était en harmonie avec la loi provinciale, j’en ai conféré avec l’honorable rapporteur de la section centrale qui a partagé mes vues à cet égard.
M. de Theux, rapporteur. - Les dispositions que vient de vous soumettre notre honorable collègue sont d’une grande importance. Elles tendent à garantir l’exercice du droit électoral à ceux qui en jouissent, et à prévenir l’introduction de faux électeurs.
La loi électorale établit la permanence des listes électorales. Il faut que cette permanence ait quelque sanction, et c’est cette sanction que l’honorable M. Dubus veut lui donner. Lorsqu’une administration communale, à l’époque de la révision des listes électorales, c’est-à-dire du 1er au 15 avril, aura rayé le nom d’un électeur qui s’y trouvait déjà porté, M. Dubus demande que cette administration donne avis à l’électeur de la déchéance de son droit. Beaucoup d’électeurs ne paient pas dans la même commune la totalité du cens exigé par la loi. mais l’administration municipale, qui ne peut réviser la liste électorale que d’après le seul rôle dont elle puisse avoir connaissance, ne peut y maintenir les électeurs qui, dans la localité qu’elle administre, ne justifient pas de leurs droits.
Dans beaucoup de communes, les administrations ont tellement senti l’inconvénient qu’il y a de rayer d’office des électeurs qui paient dans d’autres communes le complément du cens légal et n’ont pas songé à leur en donner connaissance, qu’elles avertissent officieusement les électeurs qu’elles présument être dans cette position. Ce que quelques régences font officieusement, l’honorable M. Dubus demande que la loi en prescrive l’obligation à toutes les administrations municipales. C’est une grande garantie pour la conservation des droits électoraux. L’on sait que la plupart des électeurs négligent de remplir la formalité de justifier du paiement des impositions requises, et que cet oubli involontaire entraîne nécessairement la radiation des listes électorales.
La deuxième disposition proposée par l’honorable M. Dubus, laquelle tend à prévenir l’introduction de faux électeurs, est singulièrement utile. C’est le complément nécessaire du système de publicité adopté en matière électorale. Si l’on affiche les listes électorales, c’est pour que les ayants-droit puissent réclamer contre l’introduction d’individus qu’ils sauraient ne pas payer le cens. Mais il est possible d’éluder cette publicité en attendant que les listes soient fermées et affichées pour réclamer de la régence la qualité d’électeur.
Dans ce cas personne n’a plus le moyen de s’apercevoir de l’irrégularité si elle existe. Ainsi il est très utile que les nouveaux électeurs admis soient connus du public. L’honorable M. Dubus et moi, nous avons attentivement examiné la loi électorale et la loi actuellement en discussion. Je puis certifier à la chambre que l’article proposé n’offre rien qui soit en opposition avec ces deux lois, mais qu’au contraire il en soit le complément utile.
M. Legrelle. - J’ai demandé la parole pour exposer à la chambre qu’il me semble que l’article proposé ne peut être voté définitivement aujourd’hui. Le règlement prescrit le deuxième vote de toute proposition. Celle que vient de présenter l’honorable M. Dubus est susceptible d’observations. Je demande que, dans le cas où la chambre décide qu’il y a lieu à la voter définitivement, on en ajourne au moins la discussion jusqu’à demain. Personnellement, je pense que le règlement ne permet pas de voter définitivement une proposition nouvelle présentée au deuxième vote.
Chaque fois que l’on craindrait qu’un article ne pourrait soutenir un profond examen, on attendrait le deuxième vote pour le glisser ex abrupto dans une loi. Je ne fais pas allusion à la proposition qui vous est soumise. Je parle en général : tout ce que je crains c’est que l’on n’établisse un précédent dangereux.
M. H. Dellafaille. - Il ne me semble pas qu’il y ait violation du règlement. Les articles présentés sont la conséquence des amendements introduits à l’article 5 nouveau. Quant à l’objection faite par l’honorable M. Legrelle que nous ne pouvons voter définitivement une proposition lancée au milieu de la discussion, avant que la chambre n’ait pu en apprécier la valeur, je crois que M. Dubus a exprimé l’intention que sa proposition fût soumise à l’examen de la section centrale.
M. Dubus. - Je n’ai nullement le dessein d’obtenir l’adoption de mon amendement par surprise. Si je ne l’ai présenté plus tôt, c’est que l’idée ne m’en était pas venue, ou plutôt, c’est que le conseil ne m’en avait pas été donné. Ce n’est qu’hier soir qu’un honorable ami m’a communiqué cette idée.
Je ne demande pas que la chambre passe immédiatement à la discussion de mes propositions. Rien n’empêche qu’elles ne soient renvoyées à la section centrale, ou que le développement en soit différé jusqu’à demain. Dans cet intervalle elles pourront être imprimées et distribuées aux membres de cette assemblée. (Appuyé.)
M. de Robaulx. - Je ne puis pas prévoir la décision que prendra la chambre à l’égard de l’article présenté par l’honorable M. Dubus ; mais je voudrais soumettre une observation à cet honorable membre.
Si j’ai bien compris le sens de ses paroles, il demande que les administrations municipales informent les électeurs déchus de leur droit de la radiation de leur nom des listes électorales. Je voudrais qu’il y eût non seulement information, mais notification de la décision. On peut rayer un électeur pour divers motifs. Si un électeur a été rayé pour le cas d’insuffisance du cens payé dans la commune, il faut qu’il le sache afin de faire connaître qu’il atteint ce cens par les contributions qu’il paie dans d’autres localités. Je demande donc qu’au mot informer l’on substitue celui de notifier.
M. Dubus. - Je doute que l’on puisse prescrire aux régences de faire la notification que propose M. de Robaulx, la loi ne prescrivant pas de porter une décision formelle qui motive la radiation des listes électorales. L’administration communale est chargée de réviser la liste locale. Si elle raie un nom il y a décision implicite. Il arrive rarement qu’elle prenne une décision formelle. Je crois que l’on atteindrait le but que se propose M. de Robaulx par l’insertion de ces mots dans l’article premier : en l’informant des motifs.
M. de Robaulx. - Si l’on est d’accord sur ce point, cela me suffit. Je crois que du moment que les listes sont permanentes, pour en rayer un individu, il faut qu’il y ait décision. Sans doute, lorsque l’on forme la liste, l’on ne prend pas de décision formelle. Mais pour la radiation ce cas est différent. Du reste, je suis pleinement satisfait des explications de M. Dubus.
M. Lardinois. - Je ne m’opposerai pas à la proposition de l’honorable M. Dubus, elle me semble très utile. Mais je ne sais pas si cette proposition ne constitue pas une violation du règlement. L’article 5 a été amendé au deuxième vote. Nous avons adopté l’article amendé. Peut-on venir proposer un article qui, amende de nouveau l’article 5 ? C’est ce que je ne crois pas. L’article 45 du règlement s’y oppose. Il est ainsi conçu :
« Art. 45. Lorsque des amendements auront été adoptés, ou des articles d’une proposition rejetés, le vote sur l’ensemble aura lieu dans une autre séance que celle où les derniers articles de la proposition auront été votés.
« Il s’écoulera au moins un jour entre ces deux séances.
« Dans la deuxième seront soumis à une discussion et à un vote définitif les amendements adoptés, et les articles rejetés.
« Il en sera de même des nouveaux amendements qui seraient motivés sur cette adoption ou ce rejet. Tous amendements étrangers à ces deux points sont interdits. »
Il aurait donc fallu que le nouvel amendement eût été introduit dans la loi avant le deuxième vote.
Du reste je reconnais l’utilité de l’amendement de l’honorable M. Dubus ; mais je craindrais que son adoption n’établît un précédent dangereux, et qu’on ne s’en autorisât pour revenir par des articles additionnels sur des articles déjà adoptés et les faire modifier ou rejeter. C’est contre ce danger que je m’élève. Si la chambre y consent, je demanderai le renvoi de la proposition à la section centrale. Mais, pour empêcher la violation du règlement, je demanderai que l’amendement de M. Dubus soit considéré comme une proposition nouvelle, qu’elle soit discutée et adoptée par la chambre, et 24 heures après soumise à un deuxième vote. Ainsi la violation du règlement sera sauve comme aussi l’établissement d’un précédent dangereux.
M. Dubus. - Avant de déposer ma proposition sur le bureau, j’ai examiné si elle n’offrait rien de contraire à l’article 45 du règlement ; et il m’a semblé que non.
Je pourrais faire observer que la disposition que je présente, et qui a pour but de combler une lacune qui se trouve dans la loi, n’est en opposition avec aucun article de la loi, n’amende aucun article ; sous ce rapport elle n’est pas un amendement, et par conséquent la disposition de l’article 45 du règlement ne peut l’atteindre.
Mais, en mettant même cette observation à l’écart, il reste que la proposition que j’ai présentée est en rapport avec les amendements introduits dans l’article 5, parce que plus vous étendez les droits des électeurs, plus il importe de combler une lacune qui se trouve dans la loi électorale, plus il importe d’assurer à tous les électeurs leur inscription sur la liste électorale, d’assurer le retranchement sur cette liste des faux électeurs qui pourraient y être inscrits.
On objecte à ma proposition que la chambre est passée au deuxième vote ; mais le règlement ne dit pas si c’est avant ou après le deuxième vote que vous devez discuter une disposition additionnelle. Le règlement se tait sur ce point. Il me semble que l’on ne doit pas ajouter au règlement pour opposer à ma proposition une fin de non-recevoir qui ne se trouve pas dans le règlement.
M. Jullien. - L’honorable M. Dubus vient de répondre ce que je me proposais de dire moi-même. Il ne me paraît pas qu’il y ait violation du règlement à adopter la proposition de M. Dubus. D’après l’article du règlement, de nouveaux amendements ne doivent être adoptés que s’ils sont la conséquence d’amendements déjà votés ou d’articles rejetés ; or, d’après ce que vient de dire l’honorable préopinant, évidemment sa proposition est une conséquence des amendements adoptés sur l’article 5. Sous ce rapport l’utilité de sa proposition a été démontrée tant par lui que par les autres orateurs qui ont parlé avant moi.
Mais tout se réduit à savoir si on viole le règlement lorsqu’on suit un autre ordre que celui établi par l’usage pour la discussion des amendements. Dans l’usage il est vrai de dire que les amendements sont ordinairement discutés et votés lors du premier vote de la loi. Mais il n’y a dans le règlement aucune nullité contre un mode différent.
Il n’est pas étonnant que dans une loi aussi étendue, dans une loi de 150 articles, on ait omis au premier vote des dispositions essentielles ; est-ce un motif pour laisser une faculté dans la loi ? Nullement : cela ne porte que sur l’ordre de la discussion : et le règlement ne s’oppose pas à ce qu’il soit tel qu’on le propose maintenant. Je crois même qu’il ne serait pas nécessaire de renvoyer l’amendement à la section centrale ; car nous sommes tous d’accord sur la nécessité de cet amendement ; il ne présente d’ailleurs aucune difficulté. Il serait prudent seulement d’en renvoyer la discussion à demain.
M. Gendebien. - Je regrette de ne pouvoir partager l’opinion de mon honorable ami M. Jullien. Je suis assez facile sur l’interprétation du règlement, lorsque cela n’a pas de conséquences pour l’avenir ; mais je craindrais que la dérogation qu’on propose de faire au règlement n’établît un précédent dont on pourrait abuser. On pourrait présenter une loi qui toucherait plus ou moins à nos libertés, qui aurait des résultats plus ou moins fâcheux pour le pays. On ne manquerait pas de s’autoriser de ce que vous voulez faire aujourd’hui de réserver pour le deuxième vote les dispositions qui contiendraient tout le venin, les dispositions où se trouverait tout l’esprit de la loi ; on pourrait arracher à la chambre une loi fort mauvaise qui n’aurait pris aucun caractère dans ses premières dispositions.
Je pense donc qu’il serait préférable de faire à la législature une proposition spéciale dans le sens de l’amendement de M. Dubus ; car il est très utile et sous ce rapport je n’ai aucune critique à faire à cette proposition, je n’ai que des éloges à lui donner. L’article 5 serait maintenu ; mais on pourrait rejeter les amendements déjà adoptés, les réunir à la proposition de M. Dubus, et faire du tout une proposition spéciale que l’on ajouterait par forme de disposition additionnelle à la loi électorale.
L’article 5 serait ainsi conçu :
« Sont électeurs ceux qui réunissent les conditions prescrites par la loi électorale pour la formation des chambres.
« Les listes électorales, formées en exécution de cette loi, serviront pour l’élection des conseils provinciaux.
« Néanmoins les individus qui auront obtenu la naturalisation ordinaire pourront réclamer le droit d’électeur et se faire porter sur une liste supplémentaire, pourvu qu’ils réunissent les autres qualités requises pour être électeur, et qu’ils fassent leur réclamations dans le délai fixé par la loi. »
Vous rejetteriez cet amendement.
Le surplus de cet article devrait être retranché :
« Les mères veuves pourront déléguer leurs contributions à celui de leurs fils qu’elles désigneront, et le fils désigné par sa mère sera porté sur la liste supplémentaire s’il réunit d’ailleurs les autres conditions-exigées par la loi.
« La déclaration de la mère sera faite à l’autorité communale ; elle pourra toujours être révoquée. »
Ces dispositions réunies à la proposition de M. Dubus seraient ajoutées à la loi électorale. Ainsi vous sauveriez la violation du règlement. Cela offrirait en outre l’avantage de mettre de l’unité dans la législation électorale. Je crois que cette manière de procéder n’aurait aucun inconvénient, et présenterait au contraire de grands avantages.
M. A. Rodenbach. - La proposition de l’honorable M. Dubus me paraît d’une haute importance. Je demande le renvoi à la section centrale sans préjuger la question de violation du règlement. (Appuyé.)
M. Dubus. - J’appuie la proposition de l’honorable préopinant. Du reste je ferai observer que j’ai bien entendu que ma proposition s’appliquât aussi bien aux électeurs qui nomment les représentants et le sénat qu’à ceux qui élisent les membres du conseil provincial, puisqu’il n’y a qu’une seule liste, puisque la liste des électeurs qui nomment les deux chambres devient la liste des électeurs qui choisiront les conseils provinciaux, et que les nouveaux électeurs dont il est question dans l’article 5 seront portés sur une liste supplémentaire.
M. Fallon. - Puisque l’honorable M. Dubus déclare que sa proposition s’applique aux électeurs qui nomment les membres des deux chambres, il vaudrait mieux en faire une proposition spéciale que l’on ajouterait, non pas à la loi provinciale, mais à la loi électorale. Cela irait tout aussi vite ; car la proposition pourrait être prise de suite en considération, et votée presqu’immédiatement après.
M. Fleussu. - Cela vaudrait beaucoup mieux.
M. de Theux. - Si la chambre a l’intention d’ordonner le renvoi à la section centrale, je ne l’entretiendrai pas plus longtemps de l’objet en discussion. Mais je ferai remarquer que les propositions faites aujourd’hui pour la formation des listes électorales des membres des conseils s’appliqueront de fait aux listes pour la nomination des membres des chambres, car ce sont les mêmes listes. La section centrale portera son attention sur ce point.
M. Gendebien. - Il me semble qu’il y a erreur dans ce que l’on vient de dire ; la loi électorale sert bien de règle pour les conseils provinciaux, mais les additions que vous voulez faire à cette loi pour les conseils ne doivent pas nécessairement s’appliquer à la nomination des membres des chambres. Pour que les additions que vous proposez à la loi électorale s’appliquassent à la nomination des membres des chambres, il faudrait le dire par une disposition expresse.
Les dérogations ne se présument pas. Les lois ne sont pas tant pas identiquement les mêmes : pour les conseils on admet les délégations des mères faites aux fils, la petite naturalisation. Je le répète, une loi me paraît nécessaire ; nous ne perdrons pas de temps en portant une loi séparée, puisque le sénat n’est pas assemblé. Je conclus au renvoi à la section centrale.
M. de Robaulx. - Je me réunis à l’opinion de M. Gendebien. Lors de la discussion de la loi électorale au congrès, la même proposition que vient de faire M. Dubus a été présentée : la délégation des veuves à leurs fils fut rejetée. Aujourd’hui vous corrigez la loi électorale dans ses rapports avec la formation des conseils provinciaux ; mais cette amélioration ne s’appliquera pas nécessairement à la nomination des membres des chambres, et il en résultera un amalgame inextricable.
- Un membre. - C’est par liste supplémentaire que les fils des veuves et que les naturalisés seront électeurs.
M. de Robaulx. - Le mieux de tout c’est de renvoyer à la section centrale l’amendement, et d’en faire un projet de loi s’il y a lieu, afin de compléter la loi électorale.
M. le président. - On propose le renvoi à la section centrale sans préjuger les questions soulevées.
- Ce renvoi mis aux voix est ordonné.
Les articles 51 et suivants des résolutions de la chambre jusqu’à l’article 59 inclusivement, sont de nouveau mis aux voix et adoptés sans discussion. Sur l’article 58, M. Gendebien. propose seulement une amélioration dans la rédaction.
M. le président. - « Art. 60. Les conseillers provinciaux ne reçoivent aucun traitement ; ceux qui sont domiciliés à un demi-myriamètre au moins du lieu de la réunion, recevront une indemnité de frais de route et de séjour.
« Les frais de route seront calculés à raison d’un franc et demi par demi-myriamètre sans fractions.
« L’indemnité sera de cinq francs par chaque jour pour toute la durée de la session ; à cet effet il sera tenu un registre de présence. »
M. Verdussen. - Le dernier paragraphe de l’article porte : « A cet effet, il sera tenu un registre de présence. » Je demanderai si les membres du conseil signeront ce registre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est une affaire de règlement. (Oui ! oui !)
- L’article est adopté.
Les articles 63 et 64 sont également confirmés.
M. le président. - « Art. 65. Le conseil prononce sur toutes les affaires provinciales, nomme tous les employés provinciaux, à l’exception de ceux dont il attribue la nomination à la députation. »
M. Verdussen. - En lisant le dernier paragraphe de l’article je suis tenté de croire que les employés provinciaux seront nommés par le conseil ; cependant je vois dans l’article 126 que le gouverneur nomme et révoque les employés des bureaux. Je crois que, des dispositions que je viens de rappeler, il pourra exister un conflit entre le conseil et le gouverneur à l’occasion de la nomination de certains employés.
Je crois que l’article 65 doit être plus explicatif, et qu’il faut établir une distinction à l’égard des employés salariés par la province. Cette distinction se trouve dans l’article 70 et 71.
Je proposerais de rédiger ainsi le paragraphe : « Il nomme tous les employés provinciaux qui sont salariés par la province, à l’exception de ceux dont la nomination appartient à la députation. »
M. de Theux. - L’objection qu’a faite l’honorable préopinant est prévue par l’article 126, qui attribue au gouverneur la nomination des employés des bureaux ; d’après cette disposition il ne peut y avoir de difficultés ; l’article 126 parle d’employés de l’Etat, payés par l’Etat, ce ne sont pas plus des employés provinciaux que le gouverneur lui-même.
M. Legrelle. - On pourrait toujours dire, pour que la disposition fût plus précise : « les employés salariés par les provinces. »
M. H. Dellafaille. - Les provinces se trouvent dans le cas de salarier, du moins en grande partie, certains employés du gouvernement, tels par exemple que les ingénieurs.
- L’amendement de M. Verdussen n’est pas adopté.
Les articles 65 et 67 sont confirmés.
M. le président. - « Art. 68. Dans le mois qui suit la clôture de la session, le compte sommaire par nature de recettes et dépenses, dûment arrêté, est inséré au Mémorial administratif et déposé aux archives des deux chambres. Il en est de même du budget, dans le mois qui suit son approbation.
« Les comptes sont déposés au greffe de la province, à l’inspection du public, pendant un mois, à partir de l’arrêté de compte. -
« Le public sera informé de ce dépôt par la voie du Mémorial administratif et d’un journal de province. »
M. de Robaulx demande que l’on mette les comptes sommaires au lieu de le compte sommaire, et des budgets au lieu de du budget.
- L’article est adopté avec les changements de rédaction proposés par M. de Robaulx.
Article 69
M. le président. se dispose à donner lecture de l’article 69 relatif aux dépenses à porter au budget des provinces.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demanderais que la chambre voulût bien remettre le vote de l’article 69 à demain. J’ai reçu tout récemment plusieurs réclamations, qui me porteront à présenter des amendements sur les dispositions de l’article relatives aux dépenses des tribunaux et des prisons de la province.
Je croyais pouvoir présenter ces amendements aujourd’hui à l’assemblée, mais le temps m’a manqué ; je crois être sûr que je pourrai présenter demain les motifs des modifications qui ont été sollicitées, et qui, d’après un premier examen, m’ont paru fondées.
Si la chambre voulait voter l’article 69 aujourd’hui, je la prierais d’ajourner du moins le vote des numéros 2 et 18.
M. Dubus. - Je ne m’oppose pas au renvoi demandé par le ministre ; je ferai observer cependant que si les amendements arrivent seulement dans la séance de demain, cela amènera encore, peut-être, le renvoi du vote de l’article à la séance suivante. S’il était possible à M. le ministre de présenter ces amendements avant la fin de la séance, on les ferait imprimer et distribuer ; nous pourrions ainsi les examiner dans l’intervalle de cette séance à celle de demain.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est ce que je tâcherai de faire, et c’est dans ce but que j’ai apporté avec moi la correspondance et les pièces qui viennent à l’appui des réclamations qui m’ont été faites.
Si j’ai le temps de le faire, je déposerai sur le bureau, avant la fin de la séance, les amendements dont j’ai parlé.
- Le vote de l’article 69 est ajourné.
M. le président. - « Art. 70. Sont spécialement à charge de l’Etat :
« 1° Les traitements et frais de route du gouverneur et de la députation du conseil ;
« 2° Le traitement du greffier provincial ;
« 3° Le traitement des employés et les frais de bureau du gouvernement provincial ;
« 4° Le loyer et l’entretien de l’hôtel du gouvernement provincial, l’entretien et le renouvellement de son mobilier ;
« 5° Les traitements et abonnements des commissaires d’arrondissement ;
« 6° Les frais concernant la milice et ceux des commissions médicales ;
« 7° Les frais de loyer des bureaux de garantie pour les matières d’or et d’argent. »
M. Legrelle. - J’ai déjà manifesté l’intention que j’avais de revenir au second vote sur une disposition de cet article adopté pendant mon absence. Vous avez laissé à la charge de l’Etat la dépense du chef des honoraires payés à la députation permanente du conseil. Cependant les membres de la députation sont les hommes de la province, nommés par elle, ne s’occupant que d’elle et dans une position tout à fait distincte de celle des employés du gouvernement. Je désire voir rétablir la disposition primitive qui consistait à imposer la province du chef de cette dépense.
M. le président. - M. Legrelle propose de supprimer au 1° de l’article, les mots : et de la députation provinciale. Si cet amendement était adopté, la dépense devrait être reporté à l’article précédent, dont le vote a été ajourné.
M. Legrelle. - Je demande à ajouter un mot. Indépendamment de l’irrégularité, il me semble que pour garantir l’indépendance dont doivent jouir les membres de la députation, il vaut mieux qu’ils soient payés sur les fonds de la province. C’est plutôt une régularisation de dépense qu’une économie que je propose car de toute manière la dépense sera faite, et peu importe pour les contribuables que les fonds passent ou non par la caisse de la province. Mais je pense qu’il faut autant que possible diminuer le chiffre du budget de l’Etat, et comme cette dépense rentre plutôt dans les attributions de la province que dans celles du trésor public, je propose de la rayer des dépenses mises à la charge de l’Etat.
M. de Robaulx. - Je ferai une observation à M. Legrelle, c’est que la recette de l’appointement par le membre de la députation ne donne pas lieu à affecter son indépendance. Il est nommé par le conseil provincial. Je ne vois pas, soit qu’il reçoive ses appointements de l’Etat ou de la province, en quoi il dépendrait du gouvernement qui ne peut pas refuser le paiement de l’appointement, qui n’a rien à dire à la députation. C’est ainsi que les indemnités payées aux membres de la chambre, quoique reçues de l’Etat, n’affectent nullement leur indépendance.
M. Jullien. - Il en est de même pour les membres de l’ordre judiciaire.
M. de Theux, rapporteur. - Les appointements des membres de la députation provinciale étant fixés par la loi, ils sont aussi indépendants que les membres de l’ordre judiciaire, comme vient de le dire l’honorable préopinant.
- La proposition de M. Legrelle est mise aux voix et rejetée.
L’article 70 est définitivement adopté.
Il en est de même des articles 71 et 72.
L’article 73 n’a pas subi d’amendement.
L’article 74 est maintenu tel qu’il a été amendé.
M. de Robaulx. - Mais cet article ne parle pas des actions en justice qui peuvent être formées par les communes. N’entendait-on pas que c’était aux conseils provinciaux à les autoriser ? Il me semble qu’il y a là une lacune, j’ai cru devoir la signaler.
M. H. Dellafaille. - Il n’y a pas de lacune. Comme la loi provinciale fixe le mode à suivre par les provinces pour les actions qu’elles pourraient former en justice, de même la loi communale déterminera le mode à suivre par les communes en pareil cas. Il n’est pas nécessaire de nous livrer maintenant à un examen qui nous mènerait a préjuger une question qui se présentera lorsque nous nous occuperons de la loi communale.
- L’adoption de l’article 74 est confirmée.
L’article 75 a été adopté tel qu’il avait été présenté.
L’article 76 est maintenu tel qu’il a été amendé.
Les articles 77 et 78 n’avaient pas subi d’amendement.
La suppression des articles 75, 77 et 78 du gouvernement est confirmée.
L’article 79 a été adopté tel qu’il avait été présenté.
L’article 80 est maintenu tel qu’il a été amendé.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article 81, ainsi conçu :
« II répartit entre les communes, conformément aux lois, le contingent des contributions directes assigné à la province ; s’il n’a pu procéder à cette répartition, il en détermine les bases pour l’exercice suivant. »
« Il prononce sur les réclamations et demandes en réductions qui lui sont adressées par les communes.
« Lorsque le conseil n’est pas assemblé, la députation permanente fait la répartition d’après les bases fixées par le conseil, et prononce sur les réclamations, sauf recours au conseil.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Un honorable membre de cette assemblée avait appelé l’attention de la section centrale sur l’article 81. Il avait supposé le cas où le conseil provincial ne répartirait pas entre les communes le contingent des contributions directes assigné à la province, et il avait demandé ce qu’il y aurait à faire pour établir une perception si nécessaire à la marche du gouvernement. Je demande si la section centrale a eu égard à ces considérations.
M. de Theux, rapporteur. - Messieurs, la section centrale a trouvé que cette question était résolue par les textes mêmes de la loi. D’abord l’article 107 autorise la députation permanente, lorsque le conseil n’est pas assemblé, à se prononcer sur les matières réservées spécialement à la représentation provinciale, à l’exception toutefois de celles qui sont énumérées dans le même article. Parmi ces exceptions n’est pas comprise la répartition du contingent des contributions entre les communes.
Mais en supposant que la députation même se refusât à opérer cette répartition, qu’arrivera-t-il ? C’est un cas également résolu par la loi elle-même. La députation permanente est tenue de délibérer sur la réquisition du gouverneur. Celui-ci l’invitera donc à opérer la répartition. La députation sera donc obligée de la faire ; car, dans le cas contraire, ce refus tomberait dans les cas prévus par le code pénal qui inflige des peines aux fonctionnaires qui refusent d’exécuter les lois. Ainsi il n’y a pas de lacune dans le projet que nous discutons. Toutes les hypothèses y ont été prévues.
M. d’Huart. - Je demanderai à faire observer au rapporteur de la section centrale qu’il se trompe lorsqu’il dit que la députation pourra faire la répartition du contingent des contributions en l’absence du conseil provincial. La députation ne pourra le faire qu’en suivant les bases posées par le conseil. Si le conseil ne les a pas établies, la députation se trouvera dans l’impossibilité d’agir. Du reste, si on croit que le texte de la loi présente toutes les garanties que nous sommes en droit d’exiger, je consentirai volontiers à ne pas donner suite à mon observation. Je suis loin de vouloir que l’on introduise dans la loi quelque chose qui soit désagréable aux conseils.
M. H. Dellafaille. - D’abord je ferai une observation qui frappera l’assemblée. C’est qu’il est peu probable que les conseils se refusent à établir les bases de la répartition de l’impôt. Ce serait supposer l’impossible. La loi en impose l’obligation à ces assemblées. L’article 10 que l’on a cité ne concerne que les députations et autorise ces corps à prendre des décisions en l’absence des conseils, à l’exception de quelques cas spéciaux énumérés dans l’article. Il n’est pas probable que les conseils négligent de remplir une de leurs attributions et en laissent le soin aux députations.
M. Jullien. - L’on ne peut supposer, messieurs, dans une loi qu’un corps délibérant, qu’une autorité quelconque se refuse à faire ce que la loi lui ordonne. C’est comme si l’on supposait qu’un membre de l’ordre judiciaire pût se refuser à rendre la justice. Or, vous ne pouvez prévoir dans la loi une éventualité qui ne pourra jamais se présenter. Je pense donc que l’observation de M. le ministre de l’intérieur n’a aucune portée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Toute la portée que mon observation pouvait avoir était de savoir si la section centrale avait examiné la question. La section centrale a répondu affirmativement. Mon observation tombe dès lors. Car là s’arrête sa portée.
- L’article 81 est mis aux voix et adopté.
Les articles suivants sont successivement mis aux voix et adoptés.
« Art. 82. Le conseil prononce sur les demandes des conseils communaux, ayant pour objet l’établissement, la suppression, les changements des foires et marchés dans la province.
« Il veille à ce qu’il ne soit mis à l’importation, à l’exportation et au transit des denrées et marchandises, d’autres restrictions que celles établies en vertu des lois. »
« Art 84. Le conseil peut charger un ou plusieurs de ses membres de la mission de recueillir sur les lieux les renseignements dont il a besoin dans le cercle de ses attributions.
« Il peut correspondre avec les autorités constituées et les fonctionnaires publics, à l’effet d’obtenir les mêmes renseignements.
« Si, malgré deux avertissements consécutifs constatés par la correspondance, des autorités administratives subordonnées sont en retard de donner les renseignements demandés, le conseil peut déléguer un de ses membres, aux frais personnels desdites autorités, à l’effet de prendre les renseignements sur les lieux. »
Les articles 85 et 86 sont mis aux voix et adoptés. En voici la teneur :
« Art. 85. Il peut faire des règlements provinciaux d’administrations intérieure et des ordonnances de police.
« Ces règlements et ordonnances ne peuvent porter sur des objets déjà régis par des lois ou par des règlements d’administration générale.
« Ils sont abrogés de plein droit si, dans la suite, il est statué sur les mêmes objets par des lois ou règlements d’administration générale.
« Le conseil peut établir pour leur exécution des peines qui n’excèdent pas 8 jours d’emprisonnement et 200 fr. d’amende.
« Ils sont publiés dans la forme déterminée aux articles 117 et 118 de la présente loi. »
« Art. 86. Sont soumises à l’approbation du Roi, avant d’être mises à exécution, les délibérations du conseil sur les objets suivants :
« 1° Le budget des dépenses de la province, les moyens d’y faire face et les emprunts.
« Néanmoins le conseil pourra régler, ou charger la députation de régler les conditions de l’emprunt sans qu’il soit besoin d’une nouvelle approbation à moins que le Roi ne se la soit expressément réservée.
« 2° La création d’établissements d’utilité aux frais de la province.
« 3° Les acquisitions, échanges, aliénations et transactions. Sont exceptés ceux de ces actes relatifs à des biens meubles où immeubles dont la valeur n’excède pas 10,000 francs ;
« 4° La construction des routes, canaux et d’autres ouvrages publics, en tout ou en partie aux frais de la province, dont la dépense totale excède 50,000 francs ;
« 5° L’établissement, la suppression, les changements de foires et marchés ;
« 6° Les règlements provinciaux d’administration intérieure et les ordonnances de police. »
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article 87, ainsi conçu :
« Les délibérations dont il s’agit à l’article précédent seront approuvées, s’il y a lieu, telles qu’elles auront été votées par le conseil et sans modification, sans préjudice aux dispositions de l’article 97.
« Néanmoins le Roi peut refuser son approbation à un ou à plusieurs articles du budget ; et l’approuver pour le surplus.
« De même, si le conseil ne porte point au budget, en tout ou en partie, les allocations nécessaires pour le paiement des dépenses obligatoires que les lois mettent à charge de la province, le gouvernement y portera ces allocations dans la proportion des besoins ; si, dans ce cas, les fonds provinciaux sont insuffisants, il y sera pourvu par une loi. »
M. Dubus. - Je ne comprends pas trop la relation qui existe entre l’article 87 et l’article 97, auquel il renvoie.
M. de Theux, rapporteur. - C’est une faute d’impression, c’est 107 qu’il faut lire.
M. Dubus. - Je ferai une observation sur les mots sans préjudice aux dispositions de l’article 107 ;
L’art. 107 porte : « Lorsque le conseil ne sera pas assemblé, la députation pourra prononcer sur les affaires qui sont spécialement réservées au conseil, dans tous les cas où elles ne sont point susceptibles de remise et à la charge de lui en donner connaissance à la première réunion. »
Les dispositions de cet article sont relatives aux délibérations approuvées avec modifications. En combinant l’article 107 et l’article en discussion, il résulte que lorsqu’un conseil provincial aura pris une décision, le Roi, de concert avec la députation permanente, pourra la mutiler et l’imposer aux provinces après cette mutilation. Je vois donc un grand danger dans l’insertion des mots que je combats. Je crois que ces mots, sur lesquels aucune observation n’a été faite lors du premier vote, ont passé inaperçus.
Tel n’était pas, cependant, le sens de la proposition faite par notre honorable collègue le député de Namur. Ces mots ont été ajoutés par la section centrale. Je prie la chambre de vouloir se rappeler les motifs que nous ont exposés l’honorable M. Fallon à l’appui de son amendement, et qui en ont détermine l’accueil. Il a signalé un abus qui existait sous le gouvernement précédent. Des mots que la section centrale a ajoutés à son amendement, il résulterait un abus bien plus grave que la chambre appréciera dans l’instant.
Qu’arrivait-il sous le gouvernement précédent ? Le pouvoir central approuvait en partie une résolution votée par les états provinciaux. Il en adoptait certaines dispositions, mais introduisaient dans les autres des changements qui la mutilaient complètement. C’est ainsi que l’on donnait au règlement une autre portée qui en changeait totalement le but. Ce qu’il y avait d’inconvenant selon l’honorable auteur de la disposition, c’était que le gouvernement du Roi pût même provisoirement imposer un règlement à la représentation provinciale. Mais au moins avait-elle le pouvoir de l’annuler plus tard. Aujourd’hui l’abus sera bien plus grave. Il lui sera imposé à toujours, parce que l’article 107 déléguant à la députation, dans certains cas, le pouvoir du conseil, il arrivera qu’un corps autre que le conseil pourra, de concert avec le gouvernement, défaire ce que le conseil aura fait.
Ainsi un règlement, que le gouvernement aurait modifié dans un sens essentiellement contraire à celui qu’aura adopté le conseil, pourra lui être imposé définitivement, par cela seul que la députation y aurait consenti. Mais, me dira-t-on, elle ne consentira à prendre sur elle d’adopter un règlement ainsi mutilé que pour autant qu’elle jugera que l’affaire ne souffre pas de remise. A cela je répondrai que l’on pourra toujours dire, dès qu’il sera question d’une délibération prise par le conseil, que le conseil aura jugé qu’il y avait nécessité de la prendre et l’on se prévaudra de ce motif pour avancer que l’affaire ne peut plus longtemps être retardée, qu’il y a urgence de mettre à exécution le règlement tout mutilé qu’il est. Il en arrivera que le conseil aura abdiqué malgré lui son pouvoir, et notez bien que la députation n’est pas seulement investie du pouvoir du conseil, elle est également investie, si la disposition n’est pas modifiée, d’un pouvoir plus grand, du pouvoir de réformer les actes du conseil. C’est ce qui faussera tout le système de la représentation provinciale.
Veuillez, messieurs, vous rappeler la réponse que fit un député de Namur à M. le ministre de la justice, lors de la présentation de cet article. M. le ministre s’est beaucoup récrié contre la supposition que le pouvoir central pût se permettre autre chose qu’une simple sanction ou un refus de sanction. Il se défendait de la possibilité du cas où le gouvernement approuverait une partie d’une délibération. Ce ne serait plus l’œuvre du conseil, disait-il lui-même ; cependant, si la rédaction de la section centrale était admise, voici ce qui pourrait arriver : il suffira de déterminer la majorité de la députation à consentir, sous prétexte d’utilité ou d’urgence, aux changements introduits par le gouvernement, pour que l’on impose aux provinces ce que le conseil n’aura plus le pouvoir d’annuler. Au moins, sous le gouvernement précédent, lorsque le pouvoir central modifiait une délibération des états provinciaux, ceux-ci pouvaient l’annuler dans la session suivante.
Pareille faculté ne resterait pas au conseil, parce que son arrêté d’annulation serait soumis à l’approbation royale et que le gouvernement refuserait de la donner. Ainsi le règlement demeurerait en vigueur et serait mis immédiatement à exécution.
Il y a d’autant plus nécessité de revenir sur la rédaction de l’article 87, qu’elle est le résultat d’une erreur de la section centrale, et qu’il arrivera souvent que la députation sera composée de membres choisis parmi les conseillers du chef-lieu et de l’arrondissement, d’ou il pourra résulter qu’un règlement, soit approuvé par la majorité du conseil, soit modifié par le consentement de la députation dans l’intérêt de la majorité, pourra être différent et cela au préjudice de la province tout entière.
J’attendrai les observations que l’on croira devoir faire. Jusqu’à ce qu’elles changent ma conviction je réclamerai la suppression des mots : « sans préjudice aux dispositions de l’article 107. »
M. de Theux, rapporteur. - Ce n’est pas par erreur que la section centrale a adopté la rédaction que l’honorable M. Dubus combat. Elle en a signalé les motifs dans son rapport. L’article 87 ne donne aucune extension à l’article 107, mais s’y réfère simplement.
Si l’on trouve que l’article 107 donne trop de latitude aux députations, c’est lorsque la chambre procédera au second vote sur cet article que l’on pourra présenter un amendement qui la restreigne. L’article 107 a été discuté assez longuement, et il a été adopté à une assez grande majorité, pour que l’on suppose que la chambre ne n’a pas voté sans connaissance de cause.
Remarquez que les termes de cet article sont très significatifs. Il faut que les affaires ne soient pas susceptibles de remise pour que la députation permanente remplace l’action du conseil. Du reste il n’a donné lieu à aucune observation de la part des sections.
Il faut remarquer que les exceptions que porte cet article renferment la députation dans une limite très étroite. En outre, ce corps reçoit son mandat du conseil même et n’a pas intérêt à lui déplaire dans l’espace assez court que durent ses fonctions. L’article 107, loin d’étendre ses attributions, les restreint au contraire, si on les compare à celles dont jouissait la députation des états provinciaux en vertu de l’article 28 de l’ancien règlement. Les affaires dont elle pouvait connaître étaient la construction des routes, la surveillance des établissements publics, la répartition de l’impôt, la création des taxes municipales, etc. L’on voit donc que cet article 28 avait une portée bien plus vaste que l’article 107 actuel.
Dans tous les cas, comme je viens de le faire observer à la chambre, c’est à l’article 107 qu’il y aurait lieu de présenter un amendement, si l’on trouve que les dispositions en sont trop étendues.
M. Fallon. - Les mots qui font l’objet de la discussion ne se trouvaient pas insérés dans mon amendement. Ils y ont été ajoutés depuis. Je ne les avais pas remarqués d’abord et n’en avais pas saisi toute la portée. Mais les observations de M. Dubus m’ont convaincu de la nécessité ou de les retrancher ou de modifier les dispositions de l’article 107, en insérant parmi les exceptions qui s’y trouvent, l’impossibilité de modifier le règlement. D’un autre côté je ne sais pourquoi l’on ne soumet pas les décisions de la députation, quand elle remplace le conseil, aux mêmes règles que le conseil lui-même : cela me paraîtrait nécessaire, pour que la loi fût conséquente avec elle-même. Il faudrait donc supprimer les mots sur lesquels l’honorable M. Dubus a appelé l’attention de la chambre. Sinon, il y aurait contradiction dans la loi.
M. de Theux, rapporteur. - L’honorable préopinant est dans l’erreur. Il est certain que le Roi ne pourra apporter de modifications aux délibérations de la députation. Jamais le pouvoir central ne pourra le faire dans le cas de l’article 87. Aux termes de l’article 107, auquel l’article 87 se réfère, la députation pourra s’occuper de quelques dispositions énumérées dans l’article précédent, mais pour cause d’urgence seulement. La députation délibère alors, mais le pouvoir royal ne peut apporter de modifications à ses délibérations ni à celles du conseil. Mais si, après une décision prise par celui-ci, la députation juge qu’il y a urgence de la modifier, elle le peut en demandant l’approbation royale.
M. Fallon. - Ce sont donc les mots « sans préjudice aux dispositions de l’article 107, » qui donnent une idée fausse de l’intention de la loi. Ces mots supposent une exception. Ce n’est pas une exception que vous voulez établir. Vous voulez rendre applicables à l’article 107 les principes de l’article 87.
M. de Theux, rapporteur. - Il faudrait mettre alors : « sans préjudice des cas où la députation, conformément à l’article 107, se trouverait autorisée à introduire ces modifications. »
M. Gendebien. - C’est la même chose.
M. de Theux, rapporteur. - L’article est véritablement clair, puisqu’on se réfère à l’article 107.
M. Fallon. - Les observations faites par M. de Theux étant comprises, il faut les rendre dans la loi, et pour cela il faut dire : « La disposition qui précède est applicable aux cas prévus par l’article 107. »
M. Dubus. - Je ne vois pas que les observations que j’ai faites tombent. Il me paraît, à moi, que la portée des deux articles combinés serait celle-ci : Lorsque le conseil aura voté une ordonnance provinciale, que le gouvernement, de concert avec la députation, y aura apporté une modification, ce règlement modifié sera imposé à la province malgré le conseil.
L’honorable député de Namur, lorsqu’il a proposé son amendement, a voulu qu’on n’imposât pas même provisoirement un règlement à la province, autre que celui que le conseil aura voté ; et que si le conseil désavoue l’acte de la députation, cet acte devînt nul. Dans les termes actuels de l’article, cela serait impossible si le Roi a donné son assentiment à l’acte de la députation ; car le Roi ne donnera pas ensuite son adhésion à la décision qui annulerait un acte qu’il aurait approuvé.
Nous ne devons pas voter l’article 87 avant d’avoir vote l’article 107.
M. Fallon. - Je proposerai d’ajouter à l’article 107 : « et les règlements provinciaux d’administration intérieure et les ordonnances de police. »
Alors les articles 87 et 107 concorderaient.
M. de Theux, rapporteur. - Si l’on propose des changements à la rédaction, je demanderai l’ajournement du vote. Mais, d’après les observations de l’honorable préopinant, je ne verrais pas de difficultés à ce que dans les cas prévus par l’article 107, les actes de la députation qui auraient reçu l’adhésion royale pussent être rapportés. Nous voulons combler une lacune qui, dans les cas d’urgence, aurait lieu en l’absence du conseil. Ainsi, lorsqu’une ordonnance de police a été rendue d’urgence par la députation, on peut dire que le conseil peut la rapporter ; l’approbation du Roi n’a pour but que de donner un caractère de légalité à l’ordonnance de la députation ; mais cela n’empêche pas que le conseil puisse l’annuler.
- Le vote sur l’article 87 est ajourné après le vote définitif sur l’article 107.
Les articles 88 et 89 sont définitivement adoptes sans discussion.
M. le président. - « Art. 90. Tout acte du conseil délibéré dans une réunion illégale, est nul de plein droit.
« Le gouverneur prend les mesures nécessaires pour que l’assemblée se sépare immédiatement ; il rédige procès-verbal et le transmet au procureur-général du ressort, pour l’exécution des lois et l’application, s’il y a lieu, des peines déterminées par 258 du code pénal. En cas de condamnation, les membres condamnés sont exclus du conseil et inéligibles aux conseils provinciaux pendant les quatre années qui suivront la condamnation. »
M. Dubus. - Ici un amendement de l’honorable député de Namur a été admis ; mais je croyais qu’il s’arrêtait aux mots : « pour l’exécution des lois. » Et, en effet, la disposition qui suit me paraît superflue : « pour l’exécution des lois et l’application de l’article ou de la loi » est un pléonasme. On rappelle l’article 258 du code pénal comme tout autre article quand on demande l’application des lois ; c’est là qu’il fallait s’arrêter.
M. de Theux, rapporteur. - C’est sur une observation que j’ai faite que l’honorable député de Namur a consenti à l’insertion de la mention de l’article 258. En France, on a rappelé le même article pour lever tout doute sur son application dans le cas dont il s’agit.
On pourrait mettre dans la rédaction : « pour l’application de l’article 258, » et supprimer : « pour l’application des lois. »
M. Fallon. - Dans mon amendement je disais : « pour l’application des lois, » et la pensée me paraissait complète. Je ne me suis pas, il est vrai, opposé à la mention de l’article 258.
M. Gendebien. - M. le rapporteur nous dit que le rappel de l’article 258 est conforme à la loi française. En France, dit-il, on a reconnu l’utilité de ce rappel ; mais je ne reconnais pas cette utilité, et l’honorable rapporteur devrait bien nous faire connaître les motifs qui ont fait reconnaître cette utilité. Quand on renvoie un procès-verbal au procureur du roi, c’est évidemment pour qu’il provoque l’application des lois contre les faits signalés, et l’application de l’article 258 comme de tout autre article. Il y a donc tout au moins pléonasme.
M. de Theux, rapporteur. - Je n’ai pas trouvé dans la loi départementale en France les motifs d’utilité de l’application de l’article 258 du code pénal ; mais les motifs me paraissent assez saillants ; il suffit, en effet, pour s’en convaincre, de lire l’article 258. On peut concevoir quelques doutes à l’égard des membres qui siégeraient illégalement dans le conseil, c’est pour éviter ce doute qu’on a voulu rendre l’article 258 spécialement applicable au cas où un conseiller siégerait illégalement.
L’article 258 du code pénal porte : « Quiconque, sans titre, se sera immiscé dans les fonctions publiques civiles ou militaires on aura fait les actes d’une de ces fonctions, sera puni d’emprisonnement de 2 à 5 ans. » Cet article doit être appliqué ; car, à bon droit, on ne peut considérer comme ayant un titre légal les conseillers qui feraient partie d’un conseil sans y être autorisés par la loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Lorsqu’on a discuté, à la chambre des députés, la disposition sur laquelle l’attention de la chambre est appelée, on a combattu l’utilité de cette disposition, précisément par les arguments qu’a fait valoir un honorable préopinant. On a dit que la question était tellement claire, que c’était un pléonasme législatif que de faire un appel explicite a l’article 258 du code pénal.
On a opposé à cette objection plusieurs réponses ; on a fait observer qu’il ne pouvait être dans l’esprit des rédacteurs du code pénal d’avoir voulu appliquer les dispositions de l’article 258 à des corps délibérants, à une classe de fonctionnaires publics, qui n’existait point à l’époque de la promulgation du code ; car alors les fonctionnaires de cette nature, étaient les délégués du pouvoir exécutif. Il est évident que la disposition de l’article 258 pouvait recevoir plus facilement son application ; il ne pouvait guère y avoir de doute sur le caractère public des membres qui entraient dans le conseil, puisque d’après la loi, je crois, de nivôse an VIII, ces membres étaient nommés par le gouvernement lui-même.
On a dit qu’il pouvait exister quelques doutes dans les expressions du code appliquées à un corps électif qui siégerait hors de la session légale. L’article 258 porte :
« Quiconque sans titre se sera immiscé dans les fonctions publiques, civiles ou militaires, ou aura fait les actes d’une de ces fonctions, sera puni d’emprisonnement de 2 à 5 ans, sans préjudice des peines de faux si l’acte porte le caractère de crime. »
Eh bien, dans le sens usuel de ces expressions, il s’agit d’un véritable intrus qui ne tient son mandat ni du peuple ni du gouvernement. Telle serait, par exemple, la position de celui qui recevrait un testament, en prenant la fausse qualité de notaire. Mais le membre du conseil siégeant hors de la session légale, en prenant l’expression dans le sens grammatical, est-il sans titre ? Non, car il a reçu un mandat, ses pouvoirs ont été vérifiés, il a prêté son serment, et il a exercé des fonctions antérieurement. Si on interprète l’article 258 d’après son sens grammatical, on peut douter qu’il soit applicable à l’égard du conseiller provincial qui exerce ses fonctions lors de la réunion légale : or, la loi pénale est, comme on sait, de rigoureuse interprétation.
Voilà quelles ont été les considérations que l’on a fait valoir dans la chambre des députés, et qui ont fait adopter la disposition qui est reproduite dans l’article en discussion.
Nous ne voulons pas de pléonasme législatif mais puisqu’il s’agit d’un point sur lequel la chambre française a reconnu qu’il y avait doute, il y a lieu de citer formellement l’article 258, et de trancher ce doute comme elle l’a voulu faire elle-même.
Au reste, en tenant à ce que l’on invoque l’article 258, nous croyons qu’on peut supprimer ces mots « pour l’exécution des lois. »
M. Gendebien. - Le doute que l’on veut éviter existe dans l’article en discussion.
L’honorable rapporteur, et après lui M. le ministre de la justice, vous ont dit que c’est parce qu’on pouvait douter si l’article 258 était applicable à des conseillers provinciaux qu’on a voulu l’insérer dans la loi. Veuillez remarquer, messieurs, que l’article ne s’exprime pas de manière à lever ce doute. L’article dit : « pour l’exécution des lois et l’application, s’il y a lieu, des peines déterminées par l’article 258 du code pénal. » Ainsi les observations que l’on a faites subsistent, les mots s’il y a lieu ne font pas disparaître le doute qui existe. Vous voyez qu’il n’y a pas lieu à admettre tout ce que fait la législature française, et qu’il faut aussi compter un peu sur le bon sens des Belges. Pour moi, je crois que, quel que soit ce qui a été décidé en France, il y a en Belgique des hommes qui peuvent trouver qu’il y a mieux à faire.
Maintenant si vous voulez que l’article 258 soit applicable, il faut le dire franchement ; moi, je crois qu’il ne doit pas être applicable. Il me paraît indécent de menacer les conseillers provinciaux ; c’est pourquoi je ne propose pas.
M. Fallon. - L’honorable rapporteur vous a dit que la disposition de l’article était la même que celle qui se trouve dans la loi française ; ainsi les motifs s’il y a lieu se trouvent aussi dans cette loi. S’il en était ainsi, je ne conçois plus l’argumentation de M. le ministre de la justice ; la majorité de la chambre des députés n’a donc point été d’avis que l’article 258 était applicable dans toute circonstance, puisqu’elle s’est servie de ces expressions s’il y a lieu, en laissant ainsi la faculté d’appliquer l’article dans certains cas.
La question n’est pas décidée, la chambre des députes a laissé exister le doute.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - On n’a pas voulu que le procureur général eût la main forcée ; on doit présumer qu’il exercera la poursuite avec intelligence. Parmi les membres faisant partie d’une réunion illégale, il peut s’en trouver qui aient été trompés, qui aient reçu une lettre de convocation du conseil. Il n’y a pas lieu, dans cette circonstance, de requérir devant la cour d’assises l’application de l’article 258. Voilà dans quel sens l’expression s’il y a lieu a été introduite dans la loi, et il en sera toujours ainsi pour les cas où il s’agira de savoir si le ministère public fera usage de son droit.
La question de savoir si l’article 258 devait être inséré dans la loi n’a pas fait le moindre doute ; nous disons que cet article est applicable ici. Quant à ces mots : s’il y a lieu, c’est dire qu’alors même que le fait matériel existerait, il faudrait encore voir si son auteur n’a point cédé à un piège, et s’il a eu l’intention formelle de violer la loi.
M. de Theux, rapporteur. - Je crois remarquer que la rédaction que nous avons proposée est non seulement consacrée par un article de la loi française, mais par deux. Elle a été encore employée pour l’application d’une disposition de l’article 125 du code pénal. Quant à l’explication des mots s’il y a lieu, je pense que celle qui a été donnée par le ministre de la justice est la vraie. Il serait absurde de supposer que la chambre des députés, ou le pouvoir législatif en France, eût mis en doute lui-même l’existence d’une loi, l’applicabilité d’une disposition de loi à laquelle il renvoyait. On ne peut pas supposer une telle absurdité.
Il est donc évident que, dans l’intention du pouvoir législatif en France, l’article 258 du code pénal doit être appliqué à ce cas, et que les mots s’il y a lieu ne tombent que sur le cas où le conseiller serait reconnu coupable. Du reste, je n’insiste nullement sur le maintien des mots s’il y a lieu. Je consens au retranchement. Déjà ce retranchement a été indiqué par un honorable collègue qui désire qu’il n’y ait pas de loi sans sanction. Vous défendez au conseil de s’assembler extra-légalement.
Vous voulez sans doute donner une sanction réelle à cette défense, alors il faut rendre applicable une disposition pénale.
Je le répète, cette disposition est importante, et la discussion qui vient d’avoir lieu le prouve. Il ne faut pas qu’il reste de doute dans le pays sur l’applicabilité de l’article du code pénal, dans le cas où un conseil prorogerait sa session au-delà du terme fixé par la loi ou s’assemblerait extra-légalement.
J’espère que ce cas ne se présentera pas, mais il peut arriver qu’un conseil se constitue en état d’hostilité vis-à-vis du pouvoir central ; dès lors il faut qu’il y ait une peine prévue par les lois. S’il pouvait y avoir là une injure pour les conseils provinciaux, les dispositions du code pénal en seraient également une pour tous les fonctionnaires auxquels elles sont applicables. C’est une simple mesure d’ordre. Je ne conçois pas les motifs sur lesquels on se fonde pour s’opposer à l’adoption d’une disposition dont le but est si évidemment utile.
M. Pollénus. - L’article en discussion me paraît présenter d’autres difficultés que celle qui est relative aux dispositions pénales qu’il rappelle.
Le projet commence par autoriser le gouverneur à prendre les mesures nécessaires à l’effet d’effectuer la séparation d’une assemblée illégale ; ce n’est qu’ensuite qu’il doit s’agir de l’intervention de la justice régulière d’après cet article.
Mais la légalité d’une réunion peut présenter de doutes, elle peut former une question, qui pourrait fort bien être déférée aux tribunaux appelés à des poursuites ; l’article semble ainsi autoriser des moyens qui pourraient peut-être ne pas être sans danger, et cela avant la décision définitive de la question de légalité.
Quelles sont les mesures nécessaires pour obtenir une séparation violente peut-être que l’on entend mettre à la disposition du gouvernement ; ces mots mesures nécessaires ne me paraissent pas présenter un sens assez précis, assez déterminé.
La question si les réunions dont il s’agit sont illégales, comment la décidera-t-on cette question ? A quelles conditions une réunion sera-t-elle illégale ? N’y a-t-il pas danger à investir un gouvernement$ du droit de prononcer sur cette question et d’employer immédiatement des mesures de force ?
La disposition qui concerne les moyens de séparation s’appliquait très bien à la première rédaction qui donnait au gouverneur le droit de prononcer sur la question de légalité ; aujourd’hui je ne vois pas qu’elle s’applique convenablement à la rédaction motivée.
Veuillez vous rappeler que la défense de réunions illégales a déjà une double sanction, et dans la nullité des actes posés, et dans l’intervention de la justice répressive.
Je soumets ces considérations à la chambre et je conviens avec plusieurs honorables préopinants que la rédaction de cet article est d’une grande importance pour l’exercice des prérogatives constitutionnelles garanties aux conseils provinciaux.
M. Gendebien. - Messieurs, l’article 258 du code pénal n’est évidemment pas applicable aux membres du conseil qui auraient délibéré dans une réunion illégale, car il suppose quelqu’un qui usurpe un titre pour s’immiscer dans des fonctions publiques. Les membres du conseil provincial ne perdent pas leur qualité de conseillers, parce qu’ils auront délibéré dans un autre lieu que celui ordinaire des séances ; car la loi ne consacre aucun lieu, et on est dans les termes de la loi, pourvu que la réunion se tienne au chef-lieu. Le ministre vous l’a dit, l’interprétation d’une disposition pénale doit être rigoureuse ; son application ne peut avoir lieu qu’autant qu’elle frappe littéralement le fait dénoncé. Eh bien, quel serait le cas où il y aurait lieu d’appliquer l’article 258 ? Celui où un étranger usurperait le titre de membre du conseil, ou encore celui où un membre du conseil, usurpant les fonctions de président, ferait des conventions. Mais jamais on ne pourrait dans le sens de l’article l’appliquer à des actes du conseil, car les conseillers n’auraient pas usurpé de titre.
Maintenant si vous voulez comminer des peines pour certaines infractions, il faut déterminer les infractions et les peines. Sans cela tout sera dans le vague, ou plutôt il n’y aura pas de sanction pénale. Car l’article 258 ne sera jamais applicable aux réunions du conseil provincial qui auraient lieu en dehors du temps fixé par la loi ou dans un autre local que celui où se tiennent ordinairement les séances, excepté dans le cas où des individus étrangers au conseil prendraient part à ces réunions ; et ce serait seulement contre ces individus que l’article 258 serait applicable.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - On n’a pas insisté sur cette considération que ce serait faire injure aux membres des conseils provinciaux que de comminer des peines contre eux dans certains cas déterminés par la loi. Si on admettait que l’inscription dans la loi d’une mesure pénale est une injure pour les individus ou pour les corps contre lesquels elle est comminée, il faudrait dire que le code pénal est une injure pour tout le monde ; qu’il est une injure pour les magistrats qu’il punit dans les cas de forfaiture ; qu’il est une injure pour les fonctionnaires de l’ordre administratif, qu’il punit aussi de peines graves dans certains cas déterminés.
S’il y avait injure, elle ne serait pas dans la sanction pénale ; elle serait dans la prohibition elle-même. Car du moment que vous avez prévu tel fait, que vous l’avez flétri de la qualification d’illégal, vous avez contracté l’obligation, pour rester logiques, d’appliquer une sanction pénale à cette prohibition. Je n’insisterai pas sur ce point.
Quelque confiance que m’aient inspirée les arguments donnés à la chambre des députés, arguments qui n’ont pas été réfutés à la chambre des pairs et qui tendaient à établir l’applicabilité de l’article 258 du code pénal aux cas déterminés dans la loi départementale, j’avoue que les arguments de l’honorable préopinant auxquels sa qualité de jurisconsulte donne un nouveau poids peuvent jeter du doute dans l’esprit des magistrats. C’est pour faire cesser ce doute que je proposerai la modification suivante comme conséquence de l’amendement adopté :
Au lieu des mots : « pour l’exécution des lois et, s’il y a lieu, des peines déterminées par l’article 258 du code pénal, » et après les mots : « au procureur général du ressort, » je propose de dire : « qui est chargé de requérir, s’il y a lieu, les peines déterminées par l’article 258 du code pénal, lequel est déclaré applicable aux faits indiques dans la présente disposition. » Le reste comme au projet.
M. Jullien. - On demande où est la sanction de l’article soumis à nos délibérations ; il me semble que la principale sanction est dans l’article même qui permet au gouverneur de faire dissoudre les assemblées du conseil provincial illégales. L’assemblée est-elle illégale en ce sens qu’elle aurait lieu dans un autre lieu que celui déterminé pour les séances du conseil, ou dans un autre temps que celui que la loi indique ? Dans ce cas l’article autorise le gouverneur à la faire dissoudre. Voilà déjà ce droit de dissolution qui est une immense garantie pour ceux qui ont des inquiétudes et des craintes sur le danger de ces assemblées.
Mais qu’a-t-on dit dans les chambres françaises sur la question de savoir si l’article 258 du code pénal était applicable à l’espèce ? On a reconnu qu’il ne pouvait s’appliquer qu’à l’usurpation de fonctions ; or, comme ici il n’y a pas usurpation de fonctions, il est impossible, a-t-on dit, d’appliquer l’article. Cependant il y a eu dans les chambres des membres qui n’ont pas été de cette opinion et qui ont pensé, comme M. le ministre de la justice, que la réunion des conseils généraux à une autre époque que celle fixée par la loi ou hors du lieu ordinaire constituait une véritable usurpation de fonctions.
Qu’ont fait les chambres ? Elles ont voulu laisser les choses dans le doute. Voilà ce qui explique la rédaction et les mots s’il y a lieu. Lorsque le procès-verbal aura été envoyé au procureur-général, il poursuivra s’il y a lieu. Et si les juges reconnaissent qu’il n’y a pas lieu à appliquer l’article 258 du code pénal, ils ne l’appliqueront pas. Mais sous aucun rapport la loi française ne décide l’applicabilité de cet article.
La pensée de la loi française a été principalement de donner aux conseils provinciaux un avertissement salutaire sur le danger des réunions illégales. Il est possible aussi qu’elle ait voulu l’application de l’article 258, seulement au cas dont parlait tout à l’heure l’honorable M. Gendebien, celui où des individus, étrangers au conseil provincial, feraient partie de ces réunions. Sous ce rapport, on pourrait reproduire la disposition de la loi française.
Mais le ministre de la justice propose un amendement qui n’est nullement la disposition de la loi française ; il tend à faire appliquer l’article 258 aux vrais membres du conseil provincial, dans le cas où le gouverneur trouverait leurs réunions illégales. Ce n’est pas ce qu’a voulu la loi française. Elle n’a pas voulu lier le juge, le contraindre à appliquer l’article 258 ; elle lui a laissé à décider si l’article était applicable. Elle n’a pas voulu violer sa conscience ; car ce serait violer sa conscience que de déclarer l’applicabilité de l’article à l’espèce, si le texte s’oppose à cette interprétation, si, d’après les termes et l’esprit de la loi, il est impossible d’appliquer l’article.
En résumé, je voterai pour la suppression de l’article proposé par l’honorable M. Dubus. Si l’article doit être adopté, je m’opposerais à la suppression des mots s’il y a lieu ; et surtout je m’opposerais à l’amendement de M. le ministre de la justice.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Les mots s’il y a lieu se trouvent dans mon amendement.
Je prierai M. le président de vouloir bien en donner encore lecture. Car je crois qu’il y a ici un peu de surprise.
M. le président. donne lecture de l’amendement de. M. le ministre de la justice.
M. Jullien. - Il est évident qu’ici la question est tranchée, qu’on décide expressément l’applicabilité de l’article 258, tandis que la loi française disait qu’il ne serait appliqué que s’il y a lieu. Vous voyez donc, messieurs, que la prétendue modification de M. le ministre de la justice a pour but de faire au juge une obligation de ce qui était pour lui une faculté.
M. Fallon. - Convaincu que l’article 258 du code pénal n’est pas applicable à l’espèce, je n’avais pas vu d’importance à laisser subsister la disposition avec les mots s’il y a lieu qui m’ont paru tout sauver. Mais maintenant que vient un amendement de M. le ministre de la justice qui a pour but de faire déclarer l’applicabilité de cet article 258, je pense que l’article ne doit pas être maintenu et que si on le maintenait, il en résulterait de grands abus.
Voyez comment vous qualifiez d’abord le fait. Vous dites dans l’article 90 : « Tout acte du conseil délibéré dans une réunion illégale est nul de plein droit »
Ainsi, si l’on voulait annuler les délibérations d’un conseil provincial, on pourrait prétendre que la plus grande partie de ses membres se sont réunis la veille de la délibération dans un autre local que celui ordinaire des séances, et que dans la réunion du lendemain on n’a fait que voter ce qui avait été délibéré et convenu dans la réunion illégale de la veille. On pourrait dire, par conséquent, que c’est le cas d’appliquer l’article 258 du code pénal.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est impossible.
M. Fallon. - La chambre a souvent donné l’exemple de ces réunions préparatoires, et encore dans une circonstance récente ; on ne peut trouver mauvais qu’il soit suivi par les conseils provinciaux.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Non assurément.
M. Fallon. - Quoi qu’il en soit, il pourrait résulter de l’adoption de l’amendement proposé, que sous le prétexte que les réunions du conseil ne seraient pas légales, on annulât des délibérations légalement prises, et qu’on poursuivît ceux qui y auraient concouru.
M. Ernst. - Je crois qu’il est facile de prouver que l’article 258 du code pénal n’est aucunement applicable au cas de la réunion illégale du conseil provincial, et que, à moins que la loi ne déclare applicables à ce fait les peines comminées par cet article, que l’article ne peut pas être appliqué ; en effet il est ainsi conçu :
« Quiconque sans titre se sera immiscé dans les fonctions publiques, civiles ou militaires, ou aura fait les actes d’une de ces fonctions, sera puni d’emprisonnement de 2 à 5 ans, sans préjudice des peines de faux si l’acte porte le caractère de ce crime. »
Celui qui a telle ou telle fonction et qui veut la remplir dans un autre lieu que celui désigné, à une autre époque que celle fixée par la loi, commet un délit ; mais ce délit est de tout autre nature que celui d’usurpation de fonctions, prévu par l’article 258. Il est impossible que dans ce cas les juges appliquent cette disposition.
Maintenant la chambre française, dans le but d’éviter toute difficulté, a voulu donner une sanction pénale à la réunion illégale, et elle a voulu sans doute que les peines comminées par l’article 258 fussent applicables à ce délit. Si c’est là ce qu’elle a voulu, elle a fort mal rendu sa pensée.
D’abord l’article est extrêmement mal rédigé, on doit en convenir ; j’y lis : « Il transmet le procès-verbal au procureur général du ressort, pour l’exécution des lois et l’application, s’il y a lieu, des peines déterminées etc. » Or, ce n’est pas le procureur général qui applique les lois pénales ; il provoque, s’il y a lieu, l’application de la loi. Je dis s’il y a lieu, parce qu’alors même que le délit serait constant, il doit toujours être laissé à l’arbitrage du ministre de la justice et du procureur général de décider s’il est nécessaire de poursuivre, si l’ordre public ne serait pas troublé par des poursuites dirigées contre un grand nombre d’individus. C’est à eux qu’il appartient de décider de l’opportunité des poursuites.
Si telle a été la pensée de la chambre française, elle ne disait rien du tout en introduisant dans l’article les mots s’il y a lieu ; en disant que l’article 258 serait appliqué s’il y a lieu puisqu’il est évident que l’article n’est pas applicable.
Maintenant si nous ne voulons pas tomber dans la même erreur, nous devons nous faire cette question : Voulons-nous frapper les réunions illégales des peines comminées par l’article 258 ? Je crois que telle a été la pensée de la chambre. Si telle est sa pensée, il faut rédiger l’article de manière à ce qu’il ne laisse aucun doute. Il ne faut pas adopter l’amendement de M. le ministre de la justice ; car je crois que cet amendement répond fort mal à sa propre pensée.
Cet amendement porte que l’article 258 est applicable au fait énoncé dans l’article. Or quel est ce fait ? C’est la réunion illégale. Or ce n’est pas seulement la réunion illégale, c’est aussi l’acte qui émane d’elle que vous voulez frapper. Cet acte nous voulons l’annuler, comme nous voulons punir la réunion illégale. Ce sont deux faits qu’il faut stipuler.
Il ne suffit pas de parler de réunion illégale, il faut la qualifier. Car ainsi que l’a fait observer tout à l’heure un honorable député de Namur, des réunions préparatoires des conseils provinciaux, faites à l’imitation de celles que la majorité de la chambre a eues plusieurs fois et récemment encore au sujet d’une grave question, n’auraient rien d’illégal ; et cependant, avec la rédaction actuelle de la loi, elles pourraient, peut-être, être ainsi qualifiées. Vous dites que les réunions illégales sont celles tenues dans un autre lieu que celui des séances ou hors du temps de la session.
Voulez-vous rendre la loi applicable à ces cas, il faut vous exprimer à peu près ainsi : « Tout acte délibéré dans une réunion illégale est illégal et nul de plein droit.... La réunion qui aura lieu dans un autre temps que celui déterminé pour les sessions régulières, sera déclarée délit et punissable des peines prévues par l’article 258 du code pénal. » Je crois que ceci rend la pensée que l’on a développée.
Je terminerai en disant qu’il conviendrait de renvoyer l’article avec l’amendement du ministre à la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois aussi qu’il y a lieu de renvoyer l’article et l’amendement à la section centrale. Je demanderai de plus que l’honorable orateur veuille bien communiquer sa rédaction à la section centrale ; je ne tiens pas à la mienne ; je pense que sa proposition améliore beaucoup la mienne.
M. Dubus. - La matière qui nous occupe maintenant est des plus graves, et nous devons nous garder d’improviser aucune disposition sur cet objet. J’appuie la proposition faite du renvoi de l’article avec les amendements à la section centrale.
Je dirai quelques mots pour faire remarquer les conséquences et les dangers de la rédaction proposée.
J’avais d’abord cru que la disposition dont je veux demander la suppression était tout à fait inutile ; car les mots s’il y a lieu m’avaient paru laisser un doute sur l’article 258, aussi bien sous le rapport du droit que sous le rapport du fait. Maintenant on veut leur donner une autre portée, et l’on dit que le but de la disposition proposée est de rendre l’article 258 applicable en droit dans le cas où le fait serait reconnu constant. C’est là un tout autre sens.
Dans cette circonstance, je demande la suppression de la disposition elle-même, parce qu’elle me paraît très mauvaise. Selon moi, on pourrait ajourner une telle disposition ; si elle devient nécessaire, on peut la renvoyer à sa véritable place, à la révision du code pénal, vu que rien ne périclite actuellement.
On trouve la même disposition dans la loi française, nous dit-on, et on l’y trouve avec le sens que lui attribue le ministre de la justice.
Cela est possible et la raison est simple. En France, il n’est pas étonnant que le gouvernement ait de la défiance. Par la loi sur les conseils départementaux, on a organisé, pour la première fois, une sorte de représentation provinciale ; elle n’y existait pas précédemment ; en France, en un mot, on a donné au peuple une liberté dont il n’avait pas encore joui. En la lui donnant, on a craint des dangers ; on a pris des précautions. Nous sommes dans une position très différente : les conseils provinciaux ont existé chez nous sous le nom d’états provinciaux pendant 15 années. Est-il arrivé pendant ces 15 années un seul fait qui nécessitât la disposition que l’on veut insérer dans la loi ?
Le roi Guillaume a établi les états provinciaux sans les précautions qu’on veut prendre aujourd’hui ; serons-nous plus défiants que lui alors que nous respirons un air de liberté ?
Messieurs, avec l’article qu’on vous propose nous ferions une injure toute gratuite au peuple belge : je vous prie d’y réfléchir ; ne faites pas cette injure sans nécessité à des hommes amis de l’ordre, et avant que l’expérience n’ait justifié vos appréhensions.
Rien actuellement n’est en danger. La place de la disposition proposée est dans le code pénal. Je ne vois pas qu’il soit nécessaire de l’insérer dans la loi provinciale. Est-ce que les conseils provinciaux ne pourraient exister un seul instant sans qu’il y eût danger de dissolution pour l’Etat ?
Ce n’est pas seulement contre la disposition qui rappelle l’article 258, que je m’élève ; je m’élèverai encore contre la dernière disposition de l’article, par laquelle un membre condamné est inéligible pendant quatre années : ainsi on ajoute à l’article 258 une autre peine beaucoup plus grave. Il est vrai que l’article 258 se contente d’un emprisonnement de deux ans à cinq ans !... Outre cette peine on ajoute : « l’inéligibilité pendant quatre années. »
Et d’abord le mot inéligibilité est pris dans le sens général et emporterait l’exclusion de la chambre des représentants et du sénat comme des conseils ; ainsi, vous excluriez toute l’élite d’une province des assemblées délibérantes.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Si cette élite est factieuse, il n’y a pas de mal à cette exclusion.
M. Dubus. - Cependant d’après l’article 463, dans le cas de circonstances atténuantes, les peines portées par l’article 258 peuvent être réduites à une simple amende. Néanmoins par votre disposition on serait encore condamné à l’inéligibilité pendant quatre années.
Souvenez-vous encore que l’on n’a pas défini dans l’article ce que c’est qu’une réunion illégale ; souvenez-vous que dans certaines circonstances il peut y avoir doute assez sérieux pour savoir si la réunion est légale ou illégale : par exemple on pourrait douter si le jour par où l’on veut commencer la session on par où l’on veut la terminer est compris dans la limite ou hors de la limite assignée à la session, cette question a embarrassé de grands jurisconsultes.
Un tribunal qui aurait à juger sur ce fait pourrait dire que les membres ayant agi de bonne foi, il y a lieu à appliquer l’article 463, et ne condamner qu’à l’amende ; cependant, par votre disposition finale, vous réduiriez toute une province à l’état d’ilotisme politique pendant quatre années.
Je prie la chambre de bien voir quelle serait la conséquence d’une pareille disposition, de bien remarquer quel danger il y aurait à aller emprunter légèrement une disposition aussi grave à une législation étrangère, qui après tout, est faite pour un autre peuple gouverné autrement que nous le sommes.
Je puis me prévaloir de ce qu’a dit M. le ministre de la justice, et faire apercevoir un autre danger dans les dispositions réunies à l’article.
Ainsi, il est bon que la chambre réfléchisse sur tout la partie de l’article.
M. le ministre a dit que le magistrat du parquet examinerait s’il y a lieu, ou s’il n’y a pas lieu à poursuivre ; il résultera de là que le ministère public poursuivra ou ne poursuivra pas, selon son bon plaisir ; on fera un choix parmi les membres qui auront fait partie d’une réunion illégale, on poursuivra ceux que l’on voudra faire déclarer inéligibles pour un certain nombre d’années, et on conservera les membres dont on pourra présumer de bonnes dispositions futures : on sait ce que c’est pour nos ministres que ces bonnes dispositions futures. L’article que nous discutons deviendra ainsi à la fois un moyen d’oppression et de corruption.
J’appuie le renvoi de l’article et des amendements à la section centrale.
M. Ernst. - M. le ministre de la justice m’engageait à rédiger l’amendement dont j’ai parlé. Je dirai qu’il me semblerait plus convenable de me rendre dans la section centrale si elle me faisait l’honneur de m’y appeler. Je m’expliquerais alors sur le texte de mon amendement et, on pourrait le mettre en rapport avec les autres amendements qui ont été proposés. (Assentiment.)
Je reviens aux observations présentées par l’honorable M. Dubus. Bien que je ne sois pas d’accord avec lui sur tous les points, je me félicite d’avoir été dans cette discussion souvent d’accord avec un des membres les plus distingués de cette chambre.
Ainsi que M. Dubus, je pense qu’il ne faut pas menacer les conseillers provinciaux, et c’est par ce motif que j’ai été opposé à la dissolution du conseil ; mais lorsqu’un délit est bien caractérisé, en proposant de le punir, on ne menacerait personne ; or, en cas de réunion illégale du conseil, le délit est bien caractérisé, et les conseillers qui en ont fait partie se soit mis, à mon avis, en révolte ouverte avec le pays. Ce délit me semble extrêmement grave et je crois que la peine que l’on propose d’appliquer n’est pas trop forte.
L’honorable M. Dubus a dit : Il est possible que les conseillers provinciaux soient trompés sur le jour de la réunion : cela pourra arriver pour le premier ou le dernier jour de la session, ou même encore pour la huitaine à ajouter à la durée ordinaire des sessions ; mais croyez-vous que le ministère public voudra poursuivre tout un conseil provincial ? Quand le délit sera constaté, on y pensera à deux fois avant d’exercer des poursuites, après le fait matériel, on examinera le fait intentionnel.
M. Dubus a dit que lorsqu’il y aurait doute, le juge appliquerait le minimum de la peine ; il n’en sera pas ainsi, et on n’appliquera aucune peine ; le délit n’est pas seulement dans les réunions, car une réunion chez nous peut être licite, et louable même ; le délit est dans la réunion illégale, qui aurait un but criminel.
Quant à la deuxième partie de l’article, je la trouve aussi très sévère, et à cet égard je suis d’accord avec l’honorable préopinant ; il peut y avoir une grande différence entre les membres qui feront partie d’une réunion illégale : les uns peuvent y être allés dans une intention coupable, et les autres peuvent seulement y avoir été entraînés. Je crois que les dernières dispositions de l’article devraient avoir un sens facultatif, et qu’ainsi on pourrait dire « pourront être exclus, » au lieu de : « seront exclus. »
M. de Theux, rapporteur. - Je ne m’opposerai pas au renvoi de l’article à la section centrale ; il suffit de prouver qu’il y a doute sur l’application de la loi, pour qu’il y ait lieu à présenter une autre rédaction qui ne laisse subsister aucune espèce de doute.
Je dois rappeler, relativement à la qualification de réunion illégale, que dans une séance précédente, un membre avait demandé ce qui constituait une réunion illégale. Je donnai lecture des dispositions de la loi qui déterminent les cas d’illégalité de la réunion du conseil ; l’honorable membre reconnut si bien alors que la loi s’expliquait suffisamment à cet égard, qu’il n’insista pas sur ces observations.
Il est entendu que l’on ne peut considérer comme réunions illégales les réunions préparatoires que les membres du conseil croiraient utile de tenir ; les réunions illégales sont les réunions en dehors de la session légale, dans lesquelles des décisions seraient prises.
- Le renvoi à la section centrale est prononcé.
M. le président. - La section centrale se réunira à 8 heures du soir.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’ai rédigé un amendement ; je le remettrai sur le bureau, si la chambre n’en exige pas la lecture. (Non ! Non !)
- La séance est levée à 4 heures et demie.