(Moniteur belge n°161, du 10 juin 1834)
(Présidence de M. Raikem)
La séance est ouverte à une heure.
M. H. Dellafaille fait l’appel nominal.
Le même donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier ; il est adopté sans réclamation.
M. Liedts fait connaître l’objet des pétitions suivantes adressées à la chambre.
« Les administrations communales de Vleezeele, Nederhasselt et Oordeghem, demandent que la ville d’Alost soit érigée en chef-lieu d’arrondissement et que leurs communes en fassent partie. »
« Les administrations communales des communes composant le canton de Henri-Chapelle adressent des observations sur la circonscription projetée du canton d’Aubel. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée de examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.
M. de Renesse demande un congé de six jours.
- Accordé.
M. le président. - L’article 4 du projet de la section centrale et auquel le gouvernement s’est rallié, était ainsi conçu :
« Tout fonctionnaire public, tout militaire, toute personne jouissant d’une pension ou traitement à charge de l’Etat, qui aura été déclaré coupable de l’un des faits prévus par l’un des trois articles qui précédent, sera en outre condamné, par le même arrêt, à la déchéance de toute fonction publique, grade, honneurs et pension. »
Deux amendements ont été introduits dans cet article : l’un, de M. A. Rodenbach, consiste à ajouter après ces mots : « à la charge de l’Etat ; » ceux-ci : « de la province et de la commune ; » l’autre, de M. Desmanet de Biesme, consiste à ajouter à la fin de la disposition, au lieu des mots « et pension, » ceux-ci : « Il pourra, par le même arrêt, être déchu de sa pension. »
La discussion est ouverte sur ces amendements.
M. Jullien. - Je commence par déclarer que je professe le plus profond mépris pour tout homme qui accepte des honneurs et des emplois d’un gouvernement avec l’intention de lui nuire, ou même seulement sans avoir l’intention de servir fidèlement et loyalement le pays qui le paie. Ce sentiment me paraît avoir dominé la discussion qui a eu lieu sur un article à l’avant-dernière séance.
Ce sentiment est louable sans doute ; mais il ne doit pas aller jusqu’à l’injustice. Or, je suis convaincu que vous commettriez une injustice révoltante si vous adoptiez l’article tel qu’il est conçu, si vous laissiez aux tribunaux la faculté de priver indistinctement de leurs pensions ceux qui seront dans le cas de la loi, quelle que soit l’origine de ces pensions.
Il est certain en principe qu’on peut, dans des cas donnés, priver un individu d’une faveur qu’on lui a accordée. Et, toutes les fois qu’il s’agit de donations, on sait qu’elles peuvent toujours être révoquées pour cause d’ingratitude. Ainsi les fonctionnaires publics, les employés qui ont reçu du gouvernement des pensions de faveur, s’ils emploient des manœuvres pour le renverser, à ces hommes on peut appliquer la déchéance de ces pensions ; mais là doit s’arrêter votre droit tant que la confiscation n’aura pas été rétablie.
Il y a des distinctions à faire entre les pensions, distinctions qui n’ont pas été, ce me semble, suffisamment appréciées par la chambre. Voici les différences que je proposerai d’établir : pour les pensions qui ont été données à d’anciens militaires ou autres par le gouvernement français, et que le traité du 25 avril 1818 a mises à la charge de la Belgique, on ne pourra en prononcer la déchéance ; et en effet, messieurs, cela est impossible, à moins que vous ne vouliez consacrer une véritable spoliation, et admettre le principe de la confiscation.
Que vous autorisiez les tribunaux à supprimer des pensions accordées par la Belgique ou par le royaume des Pays-Bas, je le conçois d’après les principes généraux de la donation. Mais vous ne pouvez mettre sur la même ligne les pensions accordées non par la Belgique, mais par la France, ces pensions dont la France a payé le capital à la Belgique. Supprimer ces pensions par suite d’une condamnation correctionnelle, ce serait aller contre tous les principes d’équité. Vous ressembleriez à un débiteur puissant qui abuse de sa force pour contraindre son créancier à renoncer à sa créance ; c’est comme s’il venait lui dire : Je ne paierai pas parce que je suis le plus fort.
Songez donc que ces pensions ne sont pas dues par la Belgique à titre gratuit, mais à titre onéreux ; que vous êtes à cet égard les débiteurs des pensionnaires, les délégués de la France ; que vous avez, je le répète, reçu le prix de ces pensions ; que vous ne pouvez par conséquent les retirer aux pensionnaires, à moins de leur confisquer, de leur voler leur bien : je tranche le mot. Voilà pour ce qui concerne les pensions mises à la charge de la Belgique par les traités avec la France ou d’autres puissances.
J’aborde un autre genre de pensions, celles établies sur la caisse de retraite, acquises à des fonctionnaires et employés d’après le nombre déterminé d’années de service, non sur les deniers de l’Etat, mais sur leurs propres deniers ; car ce sont leurs propres traitements qui ont fourni à la caisse de retraite les fonds de ces pensions. Vous ne pouvez donc, dans l’un ou l’autre cas des articles de votre loi, déclarer ces fonctionnaires privés de leurs pensions. Il faut, si vous ne voulez pas rétablir la confiscation, ne pas accorder aux tribunaux la faculté d’en prononcer la déchéance.
Je vous ferai encore observer que d’après les principes étranges que vous avez introduits dans la loi, ce sont précisément les fonctionnaires publics, les employés, les militaires ayant des grades, qui sont le plus exposés à se trouver dans les cas des articles 1 et 2, et ils y sont le plus exposés, précisément parce qu’ils ont des places ; car, comme l’a dit M. l’abbé Boucqueau à l’avant-dernière séance, il y a une masse de patriotes très amoureux de places, non seulement pour eux-mêmes, mais encore pour leurs parents et leurs amis ; et ils se croient tant de droits à les obtenir, que si on les leur refuse, ils se proclament de suite orangistes, ainsi que vous l’a dit l’honorable abbé de M. un tel, à qui on avait refusé une place de gouverneur ou de colonel, et de M. un tel qui n’a pu obtenir celle de commissaire de district.
Or, ne craignez-vous pas que ces fonctionnaires et ces militaires gradés ne soient entraînés dans le piège par cette espèce de patriotes, et ne tombent dans l’un des cas de votre loi ?
Il est d’ailleurs impossible de prévoir quels seront les cas de la loi, puisqu’ils n’ont pas été définis. Dans quel cas, par exemple, les démonstrations orangistes ne seront-elles pas un appel ou une provocation au retour des Nassau ? La souscription, puisqu’on a encore cité cette éternelle souscription, n’a-t-elle pas été qualifiée par certains orateurs, tantôt d’appel au retour des Nassau, tantôt de démonstrations orangistes ?
M. Ernst. - C’est une erreur.
M. Jullien. - Je sais que l’honorable M. Ernst, et je m’empresse de lui rendre cette justice, a dit que c’était seulement une démonstration. Toujours est-il que, d’après votre loi, les démonstrations orangistes seront tout ce qu’on voudra.
Les fonctionnaires, les officiers seront à la merci des délateurs qui ne manqueront pas de leur tendre des pièges pour les faire déchoir de leurs titres et fonctions afin de se mettre à leur place. Je désire que ces craintes ne se réalisent pas ; mais dans cette prévision, je crois de mon devoir de proposer un sous-amendement ; il consisterait à ajouter à l’amendement de l’honorable M. Desmanet de Biesme après ces mots : déchus de leurs pensions, ceux-ci :
« A l’exception de celles qui ont été mises à la charge de l’Etat par suite de traités avec les autres puissances, ou des pensions originairement dues par la caisse des retraites. »
- L’amendement de M. Jullien est appuyé.
M. Desmanet de Biesme. - En vous présentant mon amendement dans la séance précédente, mon but n’a pu être douteux pour l’assemblée : forcés par les circonstances à voter une loi d’exception, nous devons tous désirer qu’elle soit efficace, mais nous devons tous désirer aussi qu’elle ne porte pas l’empreinte d’une loi de passion, et qu’elle soit adoucie, améliorée. J’aurais adhéré à la suppression demandée du mot pension ; mais comme cela ne me paraissait pas devoir être accepté par l’assemblée, j’ai cru devoir présenter une modification. D’après les nouvelles observations présentées par M. Jullien et qui tendent à adoucir la loi sans lui ôter de son efficacité, je partagerai volontiers son opinion.
M. Pollénus, rapporteur. - Je ne reviendrai pas sur ce qui a été dit pour et contre la proposition de la section centrale, tendant, soit à autoriser le juge, soit à lui imposer l’obligation de condamner les coupables des délits prévus par la loi à la privation des pensions. Je ferai seulement remarquer que des termes du projet de loi et des explications données dans les précédentes séances, il ne peut résulter de doute relativement aux pensions affectées sur la caisse des retraites : la loi ne frappe pas sur ces pensions ; ainsi l’amendement de M. Jullien, sous ce rapport, me paraît inutile.
Pour ce qui regarde les pensions accordées à des militaires, on distingue celles qui sont payées en vertu des traités. Je crois qu’il n’y a pas lieu à faire cette distinction ; la nature de toutes les pensions est la même, les obligations des pensionnés ne peuvent être différentes.
Il me semble que nous avons complètement répondu à tout ce que l’on a dit contre le système de la section centrale : on a invoqué un article de la constitution pour combattre ce système ; nous en avons cité un autre (l’article 124), qui porte textuellement que les personnes jouissant de pensions pourront en être privées en vertu d’une loi. Cet article de la constitution n’ayant fait aucune distinction, il faut examiner s’il y a utilité, s’il y a justice à faire l’exception dont on parle : pour ma part, je ne le pense pas.
Les puissances contractantes aux traités, qui se sont chargées de payer quelques pensions en recevant le capital de ces pensions, n’ont pu s’imposer de les payer même aux individus qui conspiraient contre ces puissances ; un acte de cette nature ne peut échapper à des conditions de résolution telles que celles qui se rencontrent dans la loi proposée.
Par suite des arrangements, tel individu est payé par la Belgique, par cela seul qu’il y demeure ou qu’il y est né : recevra-t-il encore sa pension s’il conspire contre le nouvel Etat qui succède à la dette du premier ? Pouvez-vous croire que dans un traité on stipule que les conspirateurs ne perdront pas leurs pensions dans ce cas ? Des lois de l’empire prononcent la peine de mort et la confiscation contre ceux qui attaquent l’Etat ; la loi proposée, en prononçant contre eux la perte de leurs pensions, peut-elle étonner ces ingrats ? De quoi se plaignent-ils ? Considérez que les privations de pension seront ordonnées par le jury, par le jugement du pays, par conséquent, et ce jugement doit rassurer. On doit sévir contre ceux qui ont cherché à mettre le pays en péril, et leur refuser la continuation d’une rémunération dont ils font un si coupable usage.
La privation de la pension est une faculté laissée au juge ; il ne la prononcera pas légèrement. Par un premier jugement on ne sera pas condamné à la privation de la pension, à moins que le cas ne soit très grave ; quand on sera en état de récidive, on pourra même n’être pas toujours privé de la pension ; les circonstances aggravantes pourront seules déterminer le juge à être rigoureux.
Je crois, messieurs, qu’en voilà assez pour tranquilliser l’assemblée sur les conséquences de la délibération qu’elle a prise dans une des précédentes séances.
M. A. Rodenbach. - Je me prononcerai contre l’amendement présenté par l’honorable M. Jullien. Cet orateur a fait des distinctions entre les pensions. On a dû le tranquilliser suffisamment relativement aux pensions établies sur la caisse de retraite ; celles-là, lui a-t-on dit, ne peuvent être enlevées. Quant à ce qu’il a allégué sur les traités, je ferai observer que les militaires qui reçoivent des pensions en conséquence de ces traités, c’est en qualité de Belges que la Belgique les leur paie : ainsi c’est à un Belge qu’on a donné la pension ; et si ce Belge conspire, forfait à l’honneur, je ne vois pas pourquoi il faudrait user de ménageaient envers lui.
Cependant on ne prive de la pension que selon les circonstances plus ou moins aggravantes qui accompagnent le délit ; c’est pour cela que nous avons mis les mots : pourra être privé, etc. C’est le jury qui examinera les circonstances du fait imputé ; il est très indulgent, et tellement indulgent, que nous avons eu l’exemple d’acquittements scandaleux.
L’amendement ne me semble nullement nécessaire ; je trouve, au contraire, qu’il est utile de laisser à la loi toute sa sanction : la privation de la pension déterminera peut-être quelques individus à ne pas conspirer. Il faut lier les malveillants par leur intérêt. L’intérêt est un grand mobile des actions des hommes.
Par ces motifs je repousse l’amendement.
M. Jullien. - Je prends acte de ce qui vient d’être déclaré par M. le rapporteur de la section centrale (M. Pollénus), savoir que dans tous les cas la loi ne s’applique pas aux pensions payées par des caisses de retraite. Cette explication était au moins nécessaire.
Quant aux autres pensions, je ne me tiens pas satisfait par ce qui a été dit. Les hommes qui reçoivent des pensions en vertu des traités, soit Belges ou Allemands, étaient créanciers du gouvernement français ; ils étaient inscrits sur le grand livre. Il n’y a que des militaires dans cette catégorie. Il en est de même de tous les Belges qui, à l’époque des traités, étaient créanciers reconnus de la France.
Qu’est-il arrivé ? Après 1814, à la suite des désastres de l’armée française, au moment où les alliés imposaient leurs conditions à la France, on l’a amenée à un arrangement pour toutes ses dettes à des sujets étrangers. Elle a versé dans les caisses des divers Etats je ne sais combien de millions : le capital enfin de toutes les créances. La Belgique, ou plutôt les Pays-Bas, ont reçu pour leur part 35 millions environ, à la charge de payer tous les créanciers de la France sujets des Pays-Bas. C’est ainsi que les Belges sont devenus créancier de la Belgique, puisque l’Etat, en recevant ces fonds, a pris sur lui l’obligation de remplir les engagements de la France. Or, qu’ont de commun ces créances avec votre loi orangiste ?
Il y a encore aujourd’hui des créanciers de la France qui ne sont pas payés, quoique leurs créances aient été liquidées par le traité d’avril 1818. Ils en réclament encore aujourd’hui le paiement, mais on les renvoie à la liquidation avec la Hollande, parce que la Hollande a reçu les fonds. Y a-t-il quelque chose de politique dans ces créances qu’un traité a mises à la charge de l’Etat ?
Vous ne pouvez pas confisquer ces créances que la Belgique a prises à sa charge en remplaçant la France dans ses obligations moyennant finances reçues à cet effet. Vous ne pouvez pas plus confisquer les pensions que vous vous êtes engagés à payer pour la France, que vous ne pourriez dire aux autres créanciers qui se trouveraient dans le cas de la loi : je confisquerai les fonds que j’ai entre les mains et que je vous dois. Ce serait une iniquité qui, en droit comme en fait, révolterait tout le monde.
Ces pensionnaires ne sont donc que des créanciers ordinaires ; car ce n’est pas, comme l’a dit M. A. Rodenbach, comme Belges ou comme Allemands qu’ils ont été récompensés. Si la France n’avait pas traité avec le gouvernement pour ces dettes, elle en serait restée débitrice envers les pensionnaires. Or, je vous demande si une contravention à votre loi de démonstrations orangistes pourrait détruire les droits de ces créanciers à charge de leur débiteur primitif. Si j’étais, dans pareil cas, votre créancier, je dirais à la France : Vous étiez ma débitrice, vous avez payé la somme de.... à la Belgique a la charge d’acquitter la pension que vous me deviez. La Belgique me confisque cette pension. C’est à vous ma débitrice primitive que je remonte, parce que c’est à vous à faire exécuter et à faire valoir le traité que vous aviez fait avec la Belgique. La France me répondra : Si dans votre pays il y a des lois qui prononcent la confiscation, tant pis pour vous.
Mais s’il n’y a pas de loi qui prononce la confiscation, je serai dans mon droit en recourant à mon débiteur originaire.
Voilà des principes de justice qu’il est impossible de contester.
Mais en présence de ces droits si simples, on a parlé des dangers de l’Etat.
Messieurs, les conspirations et les complots sont prévus par le code pénal. Aussi n’est-ce pas de complots ou de conspirations qu’il s’agit dans la loi, mais de démonstrations et de provocations. Eh bien ! je fais un appel à toutes les intelligences, et je serais tenté de promettre une récompense honnête à qui me ferait le plaisir de m’indiquer et de me préciser quelques cas d’appel ou de provocation au retour des Nassau, ou bien encore de démonstrations orangistes, qui ne soient pas le port de drapeau, de cocarde, d’insignes distinctifs, etc.. prévus par l’article 3.
Nous n’avons rien à craindre de semblable ; j’en trouve la meilleure preuve dans le rapport même des ministres qui se sont efforcés de nous rassurer. Ce sont, disent-ils, en parlant des orangistes, des individus infiniment rares et qui n’inspirent aucune espèce de méfiance au gouvernement. C’est seulement dans leur propre intérêt qu’il faut prendre la loi.
Il ne s’agit donc pas d’une loi de salut public ; heureusement l’Etat n’est pas en péril. Dès lors il n’y a aucune espèce de raison à porter une loi d’exception, une loi de persécution, contre une classe d’individus que vous n’avez pas à craindre.
Messieurs, j’ai appuyé mon amendement sur les principes du droit, sur des faits et sur des traités. J’ai lieu de croire que mes observations auront fait impression sur vos esprits.
J’ajouterai une observation que j’avais omise. Il y a un traité du 15 novembre qui est bien vieux, il est vrai : je ne sais s’il fait encore notre droit public, si ce traité compte encore pour quelque chose ou s’il ne compte pour rien. C’est à MM. les ministres à nous le dire. S’il est compté pour quelque chose, il vous impose l’obligation de payer les pensions accordées par le roi Guillaume dans une disposition formelle dont j’ai oublié le numéro. Eh bien, vous faites en ce moment une loi qui est en contradiction avec ce que nous avons réclamé comme le droit public du pays, que j’ai eu moi-même dans un autre temps la simplicité d’invoquer ; vous mettez encore ces pensions en question, vous vous mettez en opposition avec le traité du 15 novembre. J’ai dit.
M. Milcamps. - Je ne vois pas qu’il soit nécessaire d’adopter l’amendement proposé par l’honorable M. Jullien. Si on suppose que des traités ou conventions avec les puissances donnent aux pensionnaires qui en sont l’objet un droit acquis, les cours et les tribunaux n’appliqueront pas la disposition générale de l’article 4 du projet, parce que ces cours ou tribunaux trouveront dans ces traités ou conventions une exception par suite de laquelle les titulaires ont un droit acquis ; car le jury n’est pour rien dans la question, ce sont les cours et tribunaux qui appliquent la loi.
C’est un point de jurisprudence constant que les cours et les tribunaux ne peuvent décider contre les dispositions des traités ; c’est même là un principe consacré par la cour supérieure de justice de Bruxelles ; mais ils peuvent en expliquer le sens, déclarer qu’ils doivent être entendus de telle ou telle manière.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, l’honorable député de Bruges vous a dit que si on faisait des démonstrations ou des provocations, il y avait des lois assez rigoureuses pour les punir. Je lui répondrai que si, pour les dernières démonstrations de mars et d’avril, on avait dû appliquer les lois rigoureuses de Napoléon, on aurait fusillé ceux qui ont envoyé des chevaux à un ennemi qui commandait en chef un corps d’armée à 15 lieues de la capitale. Si sous Napoléon des particuliers s’étaient permis d’envoyer des chevaux, munitions ou objets matériels à une armée ennemie, ils auraient été fusillés, et toute la France aurait trouvé qu’on avait bien fait.
Je sais que nous sommes en 1834, que nous ne vivons plus sous le gouvernement militaire de Napoléon, dont j’entends souvent préconiser les lois dans cette enceinte. On prétend qu’on devrait appliquer ces lois si sévères, ces lois de sang ; et si on les avait appliquées, on aurait crié à la tyrannie, on aurait dit que le gouvernement n’était pas au niveau de son siècle. C’est pour cela que nous votons des lois plus douces que celles auxquelles M. Jullien veut nous renvoyer.
M. Jullien. - Vous ne m’avez pas compris.
M. Gendebien. - Il est désespérant de revenir si souvent sur des questions aussi simples. Il est plus désolant encore de voir reproduire, pour répondre à des arguments irrésistibles, les propositions qui ont été combattues par ces arguments. C’est là le résultat de la discussion d’aujourd’hui. On n’a fait que reproduire les objections détruites par M. Jullien pour répondre à ses démonstrations.
Rentrons sommairement dans la discussion. Le rapporteur de la section centrale vous a dit qu’on ne pouvait faire aucun doute quant aux pensions payées sur la caisse des retraites. Il vous a dit que les tribunaux appliqueraient la loi suivant la discussion. Vous pourriez accepter de semblables raisons si déjà vous n’aviez des exemples que non seulement on oublie la discussion, mais qu’on en abuse pour se mettre au-dessus de la loi.
Savez-vous ce qui arrivera, quand il s’agira d’appliquer cette loi et qu’on invoquera la discussion ? On dira : Vous avez les opinions de MM. tel et tel ; mais voilà le texte de la loi qui dit le contraire. Je suppose ensuite qu’un tribunal juge d’après le texte de la loi et qu’on se pourvoie en cassation, croyez-vous qu’on cassera le jugement ? On aura beau invoquer les discussions, il suffira que le texte n’ait pas été violé. Je défie au plus fin de trouver un motif d’annulation dans l’application de l’article 4, alors que cet article s’exprime par le mot pourra.
Vous voyez que si vous voulez poser une règle qui soit respectée et dont la fausse application puisse être réformée par la cour de cassation, il faut éviter aux juges le danger de commettre une injustice irréparable ; car si une cour avait à tort supprimer une pension, il serait impossible de réparer l’injustice. Je défie d’indiquer par quel moyen on ferait casser un arrêt qui aurait annulé une pension même sur la caisse de retraite.
M. Rodenbach, pour vous tranquilliser, vous a dit que ce serait le jury qui prononcerait. Rassurez-vous, dit d’un autre côté M. Milcamps, ce n’est pas le jury, ce sont les juges qui appliqueront la loi.
Voyez maintenant lorsque après avoir discuté pendant deux séances, nous sommes si peu d’accord sur les garanties qu’offre la loi, quelle perturbation existera alors devant les tribunaux : il y aura contradiction entre le ministère public et les avocats.
Il faut, messieurs, ces garanties dans la loi, nous ne sommes pas ici pour en laisser l’application au libre arbitre du juge et même du juré.
En s’occupant d’une loi, le législateur doit prévoir tous les cas d’application, déterminer tous ceux qui tombent dans la prévoyance de cette loi : lorsque le législateur n’en agit pas ainsi, il manque à son caractère et à son devoir.
Il faut éviter tout doute, il en restera toujours assez dans l’application de la loi.
Vous avez dit : Quant aux pensions résultant de traites, nous avons déjà répondu qu’elles ne peuvent constituer un droit acquis ; et d’ailleurs, dans ce cas, la constitution autorise à annuler les pensions par une loi. On cite l’article 124 qui porte que les titulaires ne peuvent être privés de leur pension qu’en vertu d’une loi ; on conclut ensuite de cet article qu’on peut priver un citoyen de sa pension en vertu d’une loi.
Je vous le demande, l’article 124 peut-il sortir des catégories des lois ordinaires ? Quelle est la première règle en législation ? C’est que les lois ne portent avec elle aucun effet rétroactif. Voilà la règle posée ; maintenant, si vous faites qu’aucune loi ne puisse avoir un effet rétroactif, vous pouvez faire que dans la loi actuelle il en soit autrement, vous pouvez faire qu’elle ait un effet rétroactif. En invoquant l’article 124 de la constitution, vous ne faites autre chose que résoudre la question par la question.
La constitution a prévu le cas où un militaire pourrait perdre sa pension en vertu d’une loi : lorsque vous aurez fait cette loi, le militaire, en continuant sa carrière, en s’abandonnant à une éventualité, n’aura plus rien à dire ; il connaîtra dans quelle position il est placé ; mais avant qu’une loi ne soit faite, lorsqu’un militaire aura rempli les obligations voulues par une loi antérieure, lorsqu’il aura complètement satisfait à tous les devoirs qu’impose cette loi, il est impossible que vous l’atteigniez par votre projet actuel ; il est hors de votre domaine, il est en dehors de toute législation. En vain vous invoqueriez l’article 124, vous ne pouvez pas plus toucher à sa pension que vous ne toucheriez à une propriété, à une rente sur l’Etat, qui serait le résultat d’économies faites dans une profession quelconque.
Quoi !! un militaire, après avoir parcouru tous les champs de bataille de l’Europe, après avoir satisfait aux lois qui peuvent lui être appliquées, ne pourra être assuré de jouir d’une faible pension ? Il sera attaché à la glèbe gouvernementale, et il pourra être privé de sa modique pension (on sait en effet combien elle est modique) tandis qu’un autre citoyen, son voisin, dans une profession quelconque, pourra, par ses économies, jouir en paix d’une pension, d’une rente viagère infiniment plus forte. Celui-là seul ne sera pas atteint, car le gouvernement et la section centrale n’ont pas pensé, je crois, à rétablir la confiscation sous ce rapport.
Quelle différence faites-vous donc entre une rente viagère acquise par un citoyen, par des économies dans sa profession, avec une pension qu’un militaire a acquise par des travaux beaucoup plus durs, beaucoup plus périlleux ? Je ne vois dans la loi aucun motif de cette différence ; d’un côté vous ne pouvez assurer la conservation des biens, et d’autre part, rétablir la confiscation.
Véritablement, à moins de n’avoir aucun sentiment du juste et de l’injuste, ou d’avoir perdu toute idée de législation, je ne conçois pas qu’on insiste sur des choses aussi simples.
Vous appliquez le mot félon au militaire qui a fait la guerre depuis vingt ans, et qui n’a rien de commun avec le gouvernement. Je voudrais, en effet, que l’on me dît ce qu’un militaire qui a quitté le service soit avant, soit depuis 1814, a de commun avec le gouvernement. Je demande si ce militaire n’est pas aussi libre que tout autre citoyen ; je demande quelle est la loi qui a établi une différence à cet égard ?
Messieurs, en un mot comme en cent, dans l’ordre civil comme dans l’ordre militaire, toute pension accordée sous l’empire de la loi, pour services rendus à l’Etat, et lorsque le titulaire a rempli toutes les conditions de la loi, constitue un droit aussi sacré que le droit de propriété d’un bien acquis par un citoyen avec le fruit de ses économies.
On vous dit que l’on ne peut croire qu’un juge privera de sa pension un homme condamné une première fois : si vous ne croyez pas qu’il en puisse être ainsi, qui empêchera le juge de prononcer la privation de la pension, lorsque l’article ne fait aucune distinction entre une première condamnation et l’état de récidive ? En l’absence de cette distinction, le juge argumentera de la législation ordinaire, qui prévoit, lorsque telle a été l’intention du législateur, les cas de récidive. Il pensera que si la loi qu’il doit appliquer ne renferme point de distinction, c’est que le législateur n’a pu en reconnaître ; dès lors, il pourra prononcer la privation de la pension à l’égard d’un homme qui ne sera pas en état de récidive, et qui aura condamne à un mois de prison et à 25 fr. d’amende.
Le législateur ne doit pas compter sur une prévoyance individuelle ; il doit poser une règle générale, afin d’éviter les erreurs et les aberrations dans l’application de la loi ; il ne doit laisser que le moins possible à l’arbitrage du juge.
S’il en était autrement, les juges ne prononceraient plus d’après la loi, ils jugeraient selon leur impression, selon l’influence, selon la justice du moment, et cette justice, en matière politique, vous savez ce que c’est : on a peur aujourd’hui, et les tribunaux condamnent ; on se rassure le lendemain, et on se repent d’avoir été sévère ; on s’en veut d’avoir eu peur. Il y a réaction, on cesse d’appliquer la loi même dans des cas très graves ; ou bien on craint ce que paraissent craindre aujourd’hui certains membres de cette chambre. On craint le retour de certain membres de la famille d’Orange, et encore on ne veut pas appliquer la loi, de peur d’encourir la peine du talion.
Les juges trouveront, dit-on, dans la loi une exception pour les pensions qui ont un droit acquis : pour moi je soutiens qu’ils ne trouveront aucunement cette exception. Un honorable membre tout en convenant que l’exception n’était pas dans la loi, a dit que les juges l’y verront. Il y a quelque chose de bien plus simple : faites entrer cette exception dans la loi d’une manière précise.
Un autre membre qui n’a pas bien compris M. Jullien a cru que cet orateur avait préféré le code pénal à la loi actuelle ; il s’est trompé, et remarquez que le code subsiste indépendamment de la loi et que la loi ne l’abroge nullement.
La loi actuelle a prévu d’autres catégories de faits que le code pénal.
Le code pénal prononce la peine de mort pour des complots contre l’Etat ; cela ne rentre dans aucune disposition de la loi ; ces mots « ou de toute autre manière » ne peuvent être entendus dans ce sens ; ainsi le code pénal reste tout entier à côté de la loi.
Vous voulez, dites-vous, adoucir le code pénal, mais il n’en pas ainsi ; si vous étiez, vous ministre, aussi prudent, aussi sage, aussi vraiment libéral que vous vous en vantiez dans la dernière séance, vous ne nous auriez pas présenté un fatras de dispositions dont le moindre inconvénient est de faire croire à l’étranger que le parti orangiste est grandement à craindre, vous auriez proposé des modifications au code pénal, vous eussiez fait ce qu’on a proposé de faire dans un temps ; vous eussiez aboli la peine de mort, la confiscation des biens. En un mot, vous eussiez abaissé les peines du code pénal ; alors en eût pu croire que la loi était libérale.
Il n’y a ici que de la jactance, et le code pénal reste sans modification et toujours applicable.
Je défie que l’on me prouve le contraire. Vous avez l’avantage de paraître libéraux à l’étranger, au lieu de faire croire que le parti orangiste a de l’importance en Belgique. Au contraire, vous montrez à l’étranger que ce parti est sans consistance. Vous aurez également l’avantage à l’intérieur de ne pas vous exposer à voir augmenter le nombre des hommes de ce parti. Car, ainsi que je le disais dans une séance précédente, le peuple ressemble assez aux moutons de Panurge. Il est assez disposé à se ranger du côté du parti le plus nombreux. Pour peu qu’il arrive quelques troubles, quelques sinistres, je crains qu’il ne penche vers un parti auquel vous aurez donné une valeur factice. Voilà donc ce qu’il fallait faire, si vous vouliez vous donner un vernis de libéralisme.
Ainsi, messieurs, quand j’entends qualifier la loi actuelle de loi plus douce, quand je lui entends accorder une mansuétude qu’elle n’a pas, je dis à ceux qui partagent de bonne foi cette erreur : Vous vous trompez complètement ; loin d’adoucir les lois pénales antérieures, vous entrez dans le vaste champ de l’arbitraire, dont M. Charles Vilain XIIII vous a développé les maximes dans une séance mémorable. Et après avoir introduit dans une loi d’exception un vague aussi effrayant, vous voulez pousser la rigueur jusqu’à porter atteinte à des droits sacrés, à des droits acquis. Vraiment, messieurs, j’en suis honteux pour mon pays. Je crois que nous sommes les premiers qui donnons l’exemple d’une pareille tache imprimée à une loi : Et, plus tard, lorsque l’histoire passera en revue les événements de ces quatre dernières années, elle dira que les Belges, pour consacrer une pareille iniquité, devaient avoir bien peur, ou bien avoir perdu toute notion de législation.
En résumé, vous ne pouvez faire une loi dont l’interprétation soit à la merci des juges ou du jury. Je dis qu’il faut établir des règles invariables, je dis que vous devez éviter d’y graver une tache de rétroactivité, et ce vice de rétroactivité, vous l’avez implanté en donnant aux juges la faculté de prononcer, comme il le jugera convenable, sous l’inspiration du moment. Car c’est à cela que se résument les discours des défenseurs de la loi. Ils disent qu’il faut avoir confiance dans l’intégrité du juge. Vous lui donnez donc la faculté de prononcer la décision qu’il lui plaira de prendre. C’est ce que vous êtes impuissants à faire.
Je me bornerai à ces observations. Si les paroles de l’honorable M. Jullien, si les miennes ne peuvent parvenir à vous convaincre, je crois qu’il serait inutile de chercher plus longtemps à éclairer votre conviction.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - S’il est vrai, comme l’a dit le préopinant, que le projet actuel ait pour résultat d’annoncer à l’étranger que le parti désigné sous le nom d’orangiste a acquis un aussi grand développement que cet honorable orateur voudrait le faire croire, je m’étonne que les organes du parti n’aient pas mieux apprécié le service que leur rend le gouvernement, et qu’au lieu d’applaudir à la présentation du projet, ils n’aient pas trouvé de termes assez acerbes, d’expressions assez énergiques pour le combattre.
Les organes du parti orangiste, dont par ma position je suis obligé de lire les écrits, loin de saluer d’unanimes acclamations le rapport de la section centrale qui, ajoutant à la sévérité du projet primitif, aurait pour résultat de présenter le parti comme prêt à ressaisir le pouvoir, ces organes, dis-je, n’ont cessé de diriger contre la loi actuelle les plus violentes attaques.
Leurs arguments sont moins forts de logique peut-être que ceux dont M. Gendebien s’est servi, mais ils sont revêtus de formes plus virulentes. Il serait étonnant que le parti orangiste eût manqué aussi grossièrement à l’instinct de son véritable intérêt. Quant à moi, je suis persuadé qu’il le comprend beaucoup mieux que les honorables adversaires du projet.
Vous ne faites pas, messieurs, une loi d’exception quoiqu’on l’ait prétendu encore aujourd’hui. Cette expression qui a de nouveau frappé mon oreille, mérite d’être relevée. Les honorables adversaires du projet oublient le caractère d’une loi d’exception. Les lois d’exception sont impossibles en Belgique ; elles sont possibles en Angleterre, où le parlement est omnipotent, les lois d’exception suspendent la loi fondamentale d’un Etat dans quelques-unes de ses dispositions.
Nos honorables contradicteurs ont confondu les lois d’exception avec les lois de circonstances qui ne suspendent ni ne blessent la constitution. Le projet que vous discutez ne sera pas plus une loi d’exception que celle qui, en vertu d’un article de notre pacte fondamental, a permis l’entrée de troupes étrangères en Belgique. Si le gouvernement avait essayé de créer une juridiction autre que le jury, il aurait tenté de violer la constitution et de faire une loi d’exception. Mais le gouvernement n’a jamais répudié la compétence du jury et jamais il ne le fera, aussi longtemps que je siégerai sur le banc comme ministre. Il le tenterait d’ailleurs en vain.
Nous l’avons dit franchement, messieurs, la loi sur les démonstrations en faveur de la famille déchue n’est pas une loi de peur. Nous déclarons hautement que le parti orangiste est, à nos yeux, une fraction très minime du pays. Mais de ce qu’il n’a pas assez d’importance pour remettre l’existence du nouvel Etat belge en question, il ne s’ensuit pas qu’il n’en ait point assez pour pouvoir par la violence de quelques-unes de ses démonstrations, exciter des troubles toujours fâcheux dans certaines localités du royaume. C’est pour prévenir les réactions inévitables auxquelles ces manifestations poussent les masses populaires, que nous sommes venus vous demander l’appui de votre concours.
Le gouvernement s’est rallié avec empressement à l’amendement de M. Desmanet de Biesme. Il ne croit pas devoir aller plus loin. Quant aux pensions de retraite, il me semble que la majorité de la chambre est d’accord à cet égard avec le ministère, et la loi ne laisse aucun doute sur son interprétation. Si la cour de cassation avait à réviser un arrêt de la cour d’assises qui eût privé un fonctionnaire condamné de sa pension de retraite, il n’est pas douteux qu’il annulerait l’arrêt, attendu qu’il y aurait violation de l’article 4.
De ce que l’Etat est chargé du paiement de ces pensions, il ne s’ensuit pas, en effet, qu’elles soient à la charge de l’Etat. C’est comme si l’on disait que dans le cas où le gouvernement donne un subside à une province, à une commune pour cause d’insuffisance de leurs revenus, la dépense soit provinciale, soit communale, à laquelle serait affecté un subside changerait de nature et deviendrait une charge générale. Du reste, notre intention bien prononcée est tellement d’excepter de la catégorie admise dans l’article 4 les pensions sur les caisse de retraite, que, s’il s’élevait le moindre doute à l’égard de son interprétation, le gouvernement s’empresserait de se rallier à un amendement explicatif que l’un de nos adversaires voudrait présenter.
Quant aux autres pensions, est-il vrai qu’elles constituent une propriété inviolable ? En règle générale, toute pension donnée par l’Etat est un acte de munificence, un acte de rémunération pour services rendus. Or, il est de la nature de pareils actes d’être révocables pour cause d’ingratitude, d’être révoqués par l’effet des lois pénales. C’est ainsi qu’en France où la mort civile n’est pas abolie, le résultat de l’application de cette peine est de priver ipso facto, ipso jure, l’individu qui en est frappé de la pension dont il pourrait jouir sur les fonds de l’Etat, puisqu’elle lui fait perdre la propriété de tous ses biens.
Le gouvernement a reçu, dit-on, une somme à l’effet de se charger du paiement de pensions acquises sons l’empire français. Je conteste le fait, mais fût-il exact, ces pensions ont été ordinairement accordées à titre de récompense, de rémunération pour services rendus à l’empire français, leur caractère n’a pas changé par suite des changements politiques. Le royaume des Pays-Bas et plus récemment le nouvel Etat belge ont été substitués aux droits et devoirs de l’empire français. Lorsqu’il existait, le gouvernement impérial aurait pu faire une loi semblable à celle-ci, dont l’action se fût étendue à toutes les parties du territoire.
Le gouvernement établi dans chaque fraction qui est résultée de la dissolution de cet empire, a hérité de ses droits et a acquis sur les pensions dont le service lui a été dévolu, la même puissance que le pouvoir impérial.
Il suffit pour s’en convaincre de jeter les yeux sur l’article 26 du traité de Paris du 30 mai 1814. Voici en quels termes cet article est conçu :
« A dater du 1er janvier 1814, le gouvernement français cesse d’être charge du paiement de toute pension civile, militaire et ecclésiastique, solde de retraite et traitement de réforme, à tout individu qui se trouve n’être plus sujet français. »
Ce serait évidemment là une délégation implicite résultant d’une remise des fonds nécessaires, si cette remise avait eu lieu, délégation qui obligerait les gouvernements auxquels appartiennent ces individus étrangers aujourd’hui à la France, comme la France elle-même était obligée envers ces particuliers, lorsqu’ils faisaient partie du grand empire, mais obligée sous une condition résolutoire toujours sous-entendue, celle d’ingratitude.
L’article 27 qui parle d’autres propriétés réellement inattaquables, s’explique en termes bien différents ; il porte : « Les domaines nationaux acquis, à titre onéreux, par des sujets français dans les ci-devant département de la Belgique, de la rive gauche du Rhin et des Alpes, hors des anciennes limites de la France, sont et demeurent garantis aux acquéreurs. »
Là il y a garantie formelle résultant d’une différence sensible entre les objets dont il est question dans les articles 26 et 27.
Peut-être une seule espèce de pensions autres que les pensions de retraite, doit-elle être considérée comme inviolable : ce sont les anciennes pensions ecclésiastiques accordées en échange de biens des couvents acquis à l’Etat ; ces pensions, on pourrait le soutenir, sont le prix, l’indemnité d’une expropriation ; elles ont été accordées à titre onéreux, on ne pourrait donc les supprimer en conséquence d’une loi pénale ; Au reste, il y a fort peu de ces pensions aujourd’hui si toutefois il en reste encore, car la plupart des titulaires sont décédés.
On a dit que la peine de la privation de la pension serait exorbitante ; oui dans certains cas, je crois que cette peine serait extrême ; dans le cas, par exemple, où les juges appliqueraient le minimum des peines comminées par les articles 1 et 2 de la loi : il y aurait injustice (je ne dirai pas injustice légale, puisque la loi ne s’y opposerait pas) ; mais il y aurait une injustice à appliquer la peine de la privation de la pension. Et il faut supposer aux juges du bon sens et un esprit d’équité ; il faut aussi supposer au jury quelque sollicitude des intérêts de l’accusé, qu’on aurait traduit à leur barre avec une cruelle légèreté.
Remarquez bien que c’est pour obvier aux inconvénients qu’il y aurait eus à ce que la condamnation fût toujours résolutoire de la pension, que l’amendement de l’honorable M. Desmanet de Biesme tendant à ce que la déchéance de la pension fût une simple faculté laissée aux tribunaux, a été adopté par l’assemblée. Si les tribunaux trouvent que le délit présente des circonstances atténuantes, assurément ils ne prononceront pas la déchéance de pension. S’il arrivait qu’en appliquant le minimum de la peine ou une pénalité principale peu sévère, ils prononçassent la déchéance de la pension, évidemment il y aurait lieu au recours en grâce, recours tous les jours exercé de telle manière que s’il a pu donner lieu à quelques plaintes, c’est bien plutôt contre son extension que contre sa réserve.
Si la peine est extrême dans certains cas, qu’on n’oublie pas quel caractère de gravité peuvent revêtir parfois les faits énumérés aux articles 1 et 2 de la loi ; ils peuvent être posés en récidive ; ils peuvent présenter, par une coïncidence calculée, le caractère de provocation flagrante à la guerre civile. Dans ce cas hésiterez-vous à déclarer qu’il ne doit plus jouir des bienfaits de l’Etat celui qui aurait commis un tel crime contre son pays, qui aurait fait à ce point abnégation de tous les devoirs du citoyen ? Dans ce cas sans doute la peine ne serait pas disproportionnée. Or c’est sans doute dans ce cas seulement que la magistrature prononcerait la déchéance de la pension.
Avant de terminer je dois donner à la chambre une explication qui la mettra à même de voter en connaissance de cause sur un point qui n’a été qu’effleuré dans une précédente séance. J’ai entendu l’honorable rapporteur de la section centrale parler de l’article 9 de la loi du 20 juillet 1831, portant que l’arrestation préalable ne pourrait avoir lieu en matière de délits de presse ; et il a paru croire que cette disposition était applicable à tous les délits prévus par le projet de loi actuel.
Je pourrais garder le silence ; ce qui ne m’empêcherait pas de profiter de la loi que la chambre aurait votée ; mais je préfère déclarer que ce n’est pas là ce qui me paraît résulter de la loi du 20 juillet 1831. Ainsi les discours prononcés dans un lieu public, les cris séditieux prononcés en public, les démonstrations graves, dangereuses pour la paix publique, eu égard aux circonstances où elles se sont produites, pourraient, aux termes de la loi du 20 juillet 1831, donner lieu à l’arrestation préalable. Il y a des faits graves qui peuvent coïncider avec des circonstances résultant de notre situation avec la Hollande, et qui peuvent exiger une répression immédiate. L’arrestation immédiate du coupable peut être nécessaire pour arrêter des troubles populaires, pour prévenir une réaction dont il pourrait être lui-même victime.
Voilà pourquoi la loi, si on n’y introduit pas un amendement, n’interdit l’arrestation que pour les délits de la presse ; dans les autres cas, l’arrestation préalable est licite, au moins d’après la loi du 20 juillet 1831.
M. Pollénus, rapporteur. - Je commencerai par répondre à M. le ministre de la justice qui revient sur le motif qui m’a déterminé à reconnaître que la disposition d’une autre loi qui interdit l’emprisonnement préalable doit s’appliquer aux cas prévus par les trois premiers articles du projet ; voici ce motif :
L’article 8, dans son paragraphe dernier, du décret national sur le jury, porte que l’emprisonnement préalable ne peut avoir lieu pour simples délits politiques ni pour délits de presse. La section centrale n’a pas hésité un moment de reconnaître que cette disposition générale ne dût recevoir son application aux cas prévus par les articles 1, 2 et 3 du projet, et qu’il s’agit bien évidemment des délits auxquels se rapporte ledit décret, puisque le projet de loi proposé qualifie de délits dans son article 8 les faits prévus par la loi.
L’un des adversaires du projet persiste à soutenir que la disposition dont nous nous occupons est entachée de rétroactivité. M. le ministre de la justice a déjà répondu à cette objection de manière à ne laisser aucun doute. Il est incontestable en effet que la condition résolutoire est nécessairement attachée à un acte rémunératoire de cette espèce, et le gouvernement belge n’a pu succéder à cette charge qu’aux mêmes conditions auxquelles elle était imposée au gouvernement français. Certainement si le gouvernement est obligé d’effectuer ces paiements, ce ne peut être qu’à charge de la part de la personne gratifiée, de se placer dans une position qui exclue l’ingratitude, condition toujours résolutoire d’un acte rémunératoire.
On m’a reproché d’avoir reconnu la présence de la rétroactivité dans cette disposition du projet, et cela parce que j’avais dit que rarement il se présenterait des circonstances de nature à engager les juges à prononcer la privation des pensions. La conséquence que le préopinant a attachée à mes paroles est évidemment erronée : en soutenant que rarement il serait fait application de cette disposition, je n’ai fait que combattre le reproche de sévérité adressé au projet. Ma proposition ne comporte pas d’autre conséquence.
On blâme en ce moment la faculté que laisse aux juges l’amendement de l’honorable M. Desmanet de Biesme ; car, dit-on, le juge prononcera la privation de la pension, tout comme il prononce les autres peines, car les termes du projet ne présentent aucune différence relative à la pension. C’est encore là une erreur. Les autres peines doivent être appliquées. C’est une nécessité pour le juge : sera condamné dit le projet ; mais quant à la pension il se prononce tout autrement. A cet égard ce n’est qu’une simple faculté que le projet accorde aux juges.
Il y a donc véritablement différence dans les expressions pour ce qui concerne l’une et l’autre de ces peines. Cette différence est si bien exprimée qu’il est impossible que le juge se méprenne sur le motif qui a déterminé le législateur à lui accorder cette faculté.
Mais comment ! continue-t-on ; cette faculté même n’est que de l’arbitraire dont les juges ne peuvent manquer de faire le plus pernicieux usage. Veuillez remarquer, messieurs, que dans l’échelle des peines il est souvent laissé aux juges une assez grande latitude. Et nos lois pénales offrent plusieurs exemples de peines facultatives.
Mais vous qui craignez que les juges n’abusent de la latitude qu’ils ont de prononcer des peines que vous qualifiez d’exorbitantes (cette peine cependant n’est que la privation de la pension), comment souffrez-vous que ces mêmes juges, que vous poursuivez ici de votre méfiance, continuent à rester investis du droit de prononcer les peines de mort, de travaux forcés à perpétuité, etc., et en présence de telles attributions ne faites-vous pas à la chambre une proposition tendant à ôter aux juges le pouvoir d’infliger des condamnations d’une pareille gravité ? Soyez donc conséquents.
Mais puisque vous m’avez adressé le reproche d’être en contradiction avec moi-même, ne puis-je pas avec bien plus de raison rétorquer cet argument contre vous qui me combattez ? Que portait l’amendement proposé à une précédente séance par l’honorable M. Gendebien ? Il tendait à infliger la privation de la pension comme une conséquence nécessaire de l’application du maximum de la peine. Vous reconnaissiez donc alors que cette privation de la pension pouvait avoir lieu légalement. Trois jours plus tard vous accusez cette disposition de rétroactivité. Sauvez l’inconséquence si vous pouvez.
La condition résolutoire a été définie par le ministre de la justice. C’est sur ce principe qu’est fondé l’article 124 de la constitution, lequel stipule que la privation d’une pension peut être autorisée par une loi.
Quelle injustice voyez-vous là-dedans, quelle crainte pourrez-vous avoir lorsqu’il est bien stipulé que ce n’est point la volonté du gouvernement qui décide, mais que les tribunaux, les juges ordinaires ne peuvent la prononcer qu’à la suite d’une déclaration de culpabilité du jury ?
La loi est une amélioration législative. Le code pénal prodiguait la peine de mort avec une profusion effrayante dans tous les articles relatifs à la sûreté du pays, articles qui prononçaient même la confiscation des biens. La loi ne prononce la déchéance de la pension que dans les cas résolutoires, dans les cas d’ingratitude.
Ces militaires par exemple, dont on a tant parlé, qui ont obtenu des pensions sous l’empereur Napoléon, et sous la législation du code pénal de 1810, oseraient-ils affirmer que dans leur opinion la pension leur était tellement acquise, que même la participation ou la provocation au bouleversement du gouvernement ne pouvait en entraîner la révocation ? Les pensionnés ne peuvent avoir ainsi considérés la loi qui existait au moment de la collation de la pension, loi cependant que nos adversaires semblent invoquer pour soutenir l’existence du droit acquis.
Il est également déraisonnable, il est impossible de soutenir que des puissance stipulant dans l’intérêt de leurs Etats réciproques, aient pu s’imposer la continuation d’actes de rémunération et de bienveillance en faveur de personnes qui chercheraient à anéantir l’Etat qui devait succéder à l’obligation de servir leur pension.
Je conclurai, avec l’honorable M. A. Rodenbach, que cette pénalité est nécessaire, et que sans elle la loi est illusoire.
M. Fleussu. - J’applaudis à la franchise du ministre de la justice. Selon lui, chaque fois qu’il y aura lieu à l’application de la loi et que le délit aura été commis de tout autre manière que par la presse, l’emprisonnement préalable est possible. Cependant, je ne sais jusqu’à quel point il pourrait concilier cette opinion avec l’article 8 de la loi sur le jury…
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est une erreur… J’avouerai que ce qui fait pour moi doute, c’est que, dans l’article 8 du décret du congrès sur le jury, on lit que l’emprisonnement ne pourra jamais avoir lieu pour simples délits politiques ou de presse.
Je reconnais que cette disposition de l’article 8 peut soulever quelques difficultés ; peut-être n’est-il plus temps d’y remédier dans le projet en délibération et serons-nous obligés de faire modifier le projet devant le sénat.
Je ne ferai pas remarquer la singularité de l’expression employée dans l’article 8 : « Le pouvoir législatif parle ici comme le pouvoir constituant. Or, c’est comme pouvoir législatif que le congrès a porté le décret du 19 juillet 1831 ; l’on doit s’étonner aussi de trouver une telle disposition dans une loi sur le jury. Elle eût été mieux à sa place dans le décret du lendemain sur la presse. L’emprisonnement ne pourra jamais avoir lieu. »
Le doute vient de ceci : ce qui est caractérisé délit dans la loi actuelle est caractérisé crime dans le code pénal ; car l’article 102 du code pénal, que l’on a cité, emporte dans un cas la peine de mort, et dans un autre cas la peine de bannissement.
Maintenant les termes du décret du 19 juillet sont-ils tellement absolus qu’ils s’appliquent seulement à ce qui était alors simple délit de presse ou simple délit politique ; ou bien, chaque fois que la législature modifiera la législation, y aura-il lieu à appliquer l’article 8 du décret aux modifications ? cela peut faire une question. Je ne crois pas que nous soyons en position de pouvoir la trancher actuellement. Mais je me propose de faire éclairer ce doute par l’autre chambre.
M. Fleussu. - Ainsi, nous ne savons pas comment la loi sera exécutée.
Il me semble que le doute est à peine raisonnable ; je crois pouvoir affirmer qu’il a été dans l’esprit de la section centrale, du moins d’après l’impression qui m’est restée d’une conversation que j’ai eue avec notre honorable président, qu’on ne pouvait emprisonner préalablement pour les délits politiques ou de presse, M. le ministre de la justice trouve du doute ; mais son projet ne fait que mettre dans la catégorie correctionnelle ce qui était crime, dans le code pénal, et le décret relatif au jury, qui interdit pour délits politiques et de la presse tout emprisonnement préalable, doit recevoir ici son application.
Est-il vrai, comme l’a dit M. le ministre de la justice, et comme l’a répété M. le rapporteur de la section centrale, qu’une pension soit un titre donné par la bienfaisance, soit un titre rémunératoire ; que les pensions sont une largesse, une donation ?
Ceux qui admettent que ce sont des dotations, peuvent invoquer le code civil : d’après le code une donation peut en certains cas être annulée pour cause d’ingratitude.
Mais, messieurs, une pension est en droit un véritable paiement de services rendus au pays. Cela est si vrai que, par son article 114, la constitution a expressément défendu au gouvernement de donner des pensions, ainsi que faisait l’ancien gouvernement ; aucune pension, aucune gratification, dit la constitution, ne peut être accordée qu’en vertu d’une loi.
Vous voyez comment à l’avenir il faudra envisager les pensions. Je ne parle pas des pensions données jusqu’à ce jour ; il y en a eu de données de toutes les manières. A l’avenir les pensions ne doivent être considérées que comme conséquence, que comme l’accomplissement des engagements pris par le gouvernement envers les fonctionnaires qui auront rempli les conditions imposées par la loi. Sous ce point de vie, il est évident que vous ne pouvez autoriser les juges à prononcer la déchéance d’une pension ; car vous retomberiez indirectement à la confiscation des biens, ainsi qu’on vous l’a déjà fait observer.
Si la confiscation des biens est interdite en général, on ne peut la rétablir par parties, et c’est ce que vous feriez par la loi.
Je conçois parfaitement que la loi autorise la déchéance d’un fonctionnaire qui a conspiré contre l’Etat ; il n’y a sous ce rapport rien que de juste ; personne ne s’en plaindra ; mais enlever une pension, une partie du patrimoine, c’est ce que la constitution défend.
Toutefois, messieurs, lorsque vous aurez autorisé le magistrat à prononcer la déchéance du fonctionnaire public, n’avez-vous pas été beaucoup trop loin en ajoutant une autre peine à celle-là ? en ajoutant la perte du droit d’éligibilité pendant trois ou six années ?
Nous avons dans la constitution une disposition fort impérieuse, c’est celle de l’article 50 : « Pour être éligible, selon cet article, il faut être Belge de naissance ou avoir reçu la grande naturalisation, jouir des droits civils et politiques, être âgé de 25 ans, être domicilié en Belgique. » Et par un paragraphe spécial la constitution ajoute : « Aucune autre condition d’éligibilité ne peut être requise. »
Si vous frappez d’une peine, si vous rendez l’éligibilité impossible pour celui qui a été condamné comme ayant fait partie d’un complot, n’ajoutez-vous pas des conditions à celles qui sont requises par la constitution ?
C’est une question que j’avouerai n’avoir pas approfondie ; c’est un doute qui vient de s’élever dans mon esprit et que je vous soumets.
Messieurs, j’ai été très mal compris, lorsque j’ai dit que le pouvoir avait, dans les articles 86 et 87 du code pénal, tous les moyens nécessaires pour réprimer les complots et les attentats contre le gouvernement. Il suffit de jeter les yeux sur les dispositions de ces articles : vous verrez que le complot ou l’attentat qui a pour but de renverser le trône et de détruire les institutions résultant de la révolution, sont punis sévèrement par le code pénal ; vous verrez, en rapprochant ces dispositions de l’article 102, que celui qui a provoqué un tel complot est puni d’une peine également très forte ; mais cette peine varie selon la gravité des circonstances qui ont accompagné la provocation ou plutôt suivant les suites de la provocation. En vous parlant de l’article 102 du code pénal, on ne vous a cité que la disposition qui commine la peine de mort ; cependant cet article porte que, lorsque la provocation n’aura été suivie d’aucun résultat, le coupable encourra seulement la peine du bannissement.
On a dit : C’est parce que la loi est sévère qu’elle est une loi draconienne, que nous avons voulu l’adoucir, et que nous avons présenté le projet actuel ; à la bonne heure ; mais alors qu’on établisse franchement que l’article 102 du code pénal est abrogé ; mais avant de prononcer cette abrogation, qu’on veuille bien en voir toutes les conséquences. Si vous adoptiez l’abrogation du code pénal, celui qui aurait provoqué à une révolution, au retour de la famille d’Orange, à la guerre civile, qui aurait provoqué à la destruction de nos institutions, ne serait puni que d’une peine légère, c’est-à-dire à quelques années de prison, tandis que ceux qui auront cédé à la provocation, qui auront été entraînés dans un complot, seront punis de mort dans quelques circonstances. Voilà dans quelle contradiction vous tomber ; voilà ce qui résulte de la loi, si le code pénal est annulé comme vous le prétendez.
Mais non, ne vous laissez pas faire illusion ; il n’y aura rien de changé aux lois de l’empire, ce n’est que pour mieux s’emparer de votre confiance, que l’on vous dit que l’on veut adoucir le code pénal ; le code pénal reste tout entier, ou vous tombez dans la plus inconcevable des inconséquences.
Remarquez ensuite, à l’égard de la disposition que je combats, que soit que la provocation ait été suivie d’un résultat quelconque, soit qu’elle est restée sans effet, la loi porte la même peine. Le code pénal plus rationnel, gradue les peines ; lorsque la provocation a été suivie d’effet, d’un résultat quelconque, la peine appliquée est très forte ; la rigueur de la loi s’adoucit, quand les provocations n’ont pas été la cause de quelque désordre.
Le code pénal établir une distinction ; lorsque la provocation par des discours, ou par des écrits, aura eu un succès quelconque, les auteurs de ces discours ou écrits seront punis comme ceux qui se sont rendus coupables du complot ; lorsque au contraire la provocation n’a eu aucun effet, la peine est beaucoup moindre.
Dans le projet actuel, on n’établit aucune distinction, la peine est la même pour tous les crimes ou délits, seulement le magistrat pourra graduer la peine ; de trois moins à cinq ans d’emprisonnement, il y a quelque latitude.
Je me suis déjà expliqué franchement sur la manière d’envisager la loi ; je crois que le projet contient des dispositions fort utiles, en ce qu’elles comblent une lacune dans notre législation, pour ce qui regarde les simples démonstrations orangistes.
Je répondrai ici à une espèce d’interpellation de M. Rodenbach. L’honorable membre a dit à propos de la souscription pour le rachat des chevaux du prince d’Orange :
Les auteurs de ces démonstrations orangistes auraient donc dû être punis de mort !... Non, il n’y avait nulle peine à leur infliger, parce qu’il y avait à cet égard lacune dans la législation ; c’est cette lacune qui est comblée par l’article 2 de la loi ; elle comble encore une autre lacune lorsqu’elles atteint ceux qui portent les insignes d’un ordre étranger. La défense de porter ces insignes sans l’autorisation du Roi était jusqu’à présenter sans sanction.
Un tribunal a jugé, je crois, dans le sens que j’indique ; mais cet abus cessera par la loi en discussion. Bien utile sous plusieurs rapports, je ne donnerai cependant pas mon assentiment à la loi, l’article premier renferme un vague dont je suis effrayé.
Et puis je vous l’avouerai, je ne conçois pas que dans cette loi qui est toute politique, puisqu’il s’agit de mesures à prendre contre le rappel de la famille d’Orange, on ait été copier littéralement une loi française, qui avait pour but de réprimer les outrages à la morale publique et religieuse, et aux bonnes mœurs ; si la section centrale avait bien compris le but de cette loi, elle l’eût sans doute modifiée.
En effet concevez-vous qu’on puisse rappeler la famille d’Orange par des dessins, par des peintures, gravures, emblèmes et caricatures, etc., etc. La loi française voulait réprimer les outrages à la morale publique et religieuse et aux bonnes mœurs, et on conçoit que ces outrages puissent être commis par des peintures, dessins ou par des emblèmes ; mais, je le demande, comment avec de pareils moyens provoquer le rappel de la famille d’Orange ? On peut jusqu’à certain point s’en servir pour une démonstration orangiste ; mais il m’est impossible d’y voir jamais des moyens de provocation.
Je me serais rallié au projet du gouvernement s’il n’avait été modifié par la section centrale ; la section centrale (et cet exemple n’est pas à imiter) est allée beaucoup au-delà des exigences du gouvernement ; la section a apporté dans l’article premier un vague tel, que quand le gouvernement le voudra, il pourra bâillonner la presse orangiste ; cependant, la presse orangiste, tant qu’elle se borne à examiner, à censurer même les actes du gouvernement, doit, d’après nos institutions, jouir des mêmes garanties que les autres presses.
On attaque indirectement la presse orangiste, mais mettez-vous en garde contre vous-mêmes ; craignez qu’en s’adressant à vos sympathies, en vous effrayant de l’orangisme, on ne confisque une partie de vos libertés ; aujourd’hui, il s’agit de la presse orangiste, demain on fera le procès à la presse libérale.
J’aurais encore donné la préférence au projet du gouvernement parce qu’il laissait plus de garanties ; en effet, avec le projet du ministre, l’amendement de M. de Trentesaux, qui a donné lieu à une vive discussion, devenait sans importance ; car alors la provocation aurait dû être faite directement.
L’article premier de ce projet demandait des mesures contre les provocations au retour de la famille d’Orange. Lorsque les provocations auraient en lieu au moyen de la presse, force aurait été de recourir aux termes de la loi qui règle cette matière. Or, en combinant l’article premier du projet du gouvernement avec la loi sur la presse, les provocations, pour être punissables, auraient dû être directes ; on ne pouvait entendre la provocation autrement ; c’était le résultat nécessaire du rapprochement des deux lois. J’aurais, je le déclare, voté pour le projet du gouvernement, mais il m’est impossible de souscrire à l’œuvre de la section centrale.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne rentrerai point dans la discussion générale, mais je demande la parole pour répondre à une supposition de l’honorable préopinant. (Parlez ! parlez !)
M. Fleussu a pensé que j’avais conclu de la loi actuelle que si elle était adoptée, il fallait rayer l’article 102 du code pénal ; telle n’a pas été ma pensée.
J’ai dit que dans l’absence de la loi actuelle, si le gouvernement avait demandé des armes contre les faits qu’elle prévoit, il n’eût pu en trouver que dans l’article 102.
Qu’il y ait des provocations très graves, dans l’hypothèse dont il s’agit ici, qui puissent rentrer dans l’article 102, je le soutiens ; mais que toutes les provocations, toutes les démonstrations en faveur de la famille d’Orange soient susceptibles de rentrer dans l’application de l’article 102, c’est ce que je n’ai pas cru.
Le projet actuel dans des cas particuliers peut remplacer l’article 102, mais il n’en résulte pas qu’il abroge entièrement cet article ; je crois que s’il s’agissait de tentatives de contre-révolution, de provocations violentes à la guerre civile, l’article 102 devrait être appliqué dans plusieurs occasions.
M. Raikem. - Mon intention n’était pas de prendre la parole dans cette circonstance ; je ne l’ai demandée que parce que un honorable membre a cité une conversation dans laquelle j’ai parlé de l’emprisonnement préalable.
Ce que j’ai dit dans cette conversation particulière, je le répéterai en séance publique afin que la chambre juge si la doctrine que j’ai exposée est juste ou si elle est fausse. (Ecoutez ! écoutez !)
On me demandait s’il y aurait emprisonnement pour tous les délits prévus dans la loi en discussion ; je répondis : Je ne le crois pas quant aux trois premiers articles, mais je conviens qu’à l’égard des peines comminées par un autre article, l’emprisonnement préalable pourrait avoir lieu, ou plutôt que l’on rentre, à cet égard, dans les règles ordinaires de la procédure criminelle.
A l’égard des trois premiers articles, je dis qu’il me semble qu’il ne peut y avoir question ; il est évident que dans l’état actuel de notre législation, à moins qu’on ne déroge à la loi sur le jury, il est clair que l’emprisonnement préalable ne peut pas avoir lieu.
Il est dit dans l’article 3 que la connaissance des délits appartient à la cour d’assises ; d’après l’article 98 de la constitution, on doit soumettre au jury d’abord toute matière criminelle et ensuite les délits politiques et de la presse.
Le jury est donc établi en matière criminelle et pour tous les délits politiques et de presse ; on sait que le mot délit s’emploie en termes généraux ; en ce sens il comprend les crimes dont la définition plus exacte se trouve dans le code pénal ; le crime est le fait qui entraîne avec lui une peine infamante et afflictive, le délit est un fait passible de peines correctionnelles.
Ainsi on doit porter devant le jury tout ce qui est matière criminelle. Mais en matière de délits ou de simples délits, on ne peut d’après l’article 98 de la constitution, soumettre au jury que les délits politiques et les délits de la presse. C’est ainsi qu’on a envisagé les faits mentionnés aux articles 1, 2 et 3, quand on les a soumis aux cours d’assises ; car pour l’exécution de la constitution comme l’a dit le rapporteur, il faut soumettre aux cours d’assises les délits politiques et de presse. Tout ce qui est prévu dans les articles 1, 2 et 3 est délit politique ou de presse, et en cette qualité doit être déféré aux cours d’assises.
Voyez la loi sur le jury. Elle est générale ; elle est toujours en vigueur Il y est dit article 8, au premier paragraphe, « que la connaissance des délits politiques et de presse sera attribuée au jury. »
Et au dernier paragraphe : « Que l’emprisonnement préalable ne pourra jamais avoir lieu pour simples délits politiques et de la presse. »
Pourquoi le mot simple est-il ici ? Parce que dans la commission, ou dans le sein du congrès, on s’était demandé quel était le sens du mot délit ; et s’il en résultait qu’en matière politique, l’emprisonnement préalable ne pourrait avoir lieu quand il s’agirait de crimes politiques. Le mot délit, dans son sens général, pouvant s’appliquer aux crimes, on est convenu que dans le cas de crime, l’emprisonnement préalable pourrait avoir lieu ; mais en même temps on a établi que quand il s’agirait de ces faits qui quoique déférés au jury ne sont punis que de simples peines correctionnelles, l’emprisonnement préalable ne pourrait être ordonné ; enfin qu'il ne pourrait avoir lieu en matière politique, que quand il s’agirait de faits emportant avec eux peine afflictive ou infamante.
D’après ces explications, que les honorables membres qui m’ont cité, trouveront, j’espère, conformes l’opinion que j’ai énoncée dans des conversations particulières, je crois que la chambre pensera que d’après le projet de la section centrale et même d’après celui du gouvernement, il ne peut y avoir emprisonnement préalable, pour les cas énoncés aux articles premier, 2 et 3 de la présente loi ; mais à l’égard de l’article 6, qui est relatif au port d’insignes étrangers, comme les prévenus ne sont pas renvoyés devant la cour d’assises, ce fait reste sous l’empire du droit commun ; il donne lieu à de simples poursuites devant les tribunaux correctionnels, l’emprisonnement préalable peut être ordonné.
Voilà les explications que j’ai cru devoir donner sur une conversation qui a été citée à la séance ; et je ne suis pas fâché d’avoir énoncé publiquement les principes que je professais à cet égard.
Mon intention n’est pas d’entre dans le fond de la discussion, cependant je crois devoir faire une observation sur une doctrine émise par un honorable préopinant, relative aux droits d’électeur et d’éligibilité.
M. Fleussu. - C’est une erreur. Le code pénal détermine des cas où les droits civils et politiques peuvent être interdits.
M. Raikem. - Puisque l’honorable membre reconnaît qu’il s’est trompé, je n’insisterai pas, je dirai seulement que lors de la discussion de la loi électorale au congrès, on avait reconnu que dans certains cas le législateur pourrait prononcer l’interdiction des droits politiques.
Mon intention n’étant que de donner des explications sur un fait particulier, je bornerai là mes réflexions.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - En présence de la déclaration de M. le président de la section centrale, je dois dire que si la chambre vote la loi telle qu’elle est, le gouvernement ne se croira pas autorisé à ordonner l’arrestation préalable dans aucun des cas prévus par les articles 1, 2 et 3. C’est une lacune dans le projet, et malheureusement la section centrale ne l’a pas comblée. Dans l’opinion des rédacteurs de la loi du 19 juillet 1831, on n’a voulu sans doute affranchir de l’emprisonnement préalable que les délits de presse.
Il est impossible d’assimiler, par exemple, le port public d’un buste, le port public d’un drapeau orange à un délit de presse. Il est impossible qu’on ne reconnaisse pas qu’il y a danger pour la paix publique à ne pas procéder, dans ces cas, à l’arrestation des délinquants. Mais d’après les termes dans lesquels la loi est conçue, je reconnais que nous n’en avons pas le droit. Le gouvernement aura à délibérer pour voir s’il n’y aurait pas lieu, en présence de l’article 8 de la loi sur le jury, d’essayer d’introduire un amendement devant le sénat dans le cas où le vote de la chambre permettrait au gouvernement d’y porter la loi actuelle.
Je ne parle pas de l’article 6 ; je partage à cet égard complètement l’opinion de président.
M. Gendebien. - J’ai émis l’opinion que l’article 7 n’était pas suffisant pour assurer les citoyens poursuivis du chef de la loi proposée que la liberté leur serait garantie jusqu’au moment du jugement. Ils auront beau invoquer la loi sur le jury, ils n’en subiront pas moins l’arrestation préalable. M. le rapporteur de la section centrale a dit à peu près la même chose que l’honorable président, et tous les membres ont adhéré à ce qu’a dit le rapporteur. La discussion de la loi a continué sous l’influence de cette idée. C’est alors que le doute aurait dû venir à M. le ministre de la justice. Ce n’est pas quand il n’y a plus de remède à l’erreur, qu’on vient émettre un doute. Je crois devoir, pour faire cesser toute incertitude, présenter un amendement.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Si on présente un amendement dans ce sens, j’en présenterai un dans le sens contraire.
M. Gendebien. - Peu m’importe ce que vous ferez. J’aurai fait mon devoir.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il m’importe peu ce que vous dites. Je déclare que s’il y a ouverture à amendement sur le sujet dont il s’agit, j’en présenterai un dans le sens contraire à celui que proposerait le préopinant.
M. Gendebien. - Il est certain que si vous ne mettez pas dans la loi une disposition conforme aux explications données par M. le rapporteur de la section centrale, on passera outre ; vous n’aurez aucune garantie, et vous aurez discuté pendant trois jours sous l’empire d’un mensonge.
Vous avez rejeté un amendement à l’article premier, par lequel nous avions insisté pour faire insérer le mot directement. Par suite du rejet de cet amendement, il est indispensable d’adopter une disposition qui modifie les conséquences épouvantables de la faculté de l’emprisonnement préalable.
Il serait absurde qu’une chambre, s’apercevant au second vote qu’elle a commis une erreur, ne pût pas revenir sur ce qu’elle a fait, et qu’on dût envoyer au sénat une loi, qu’on saurait défectueuse. Le moyen serait de voter contre la loi sauf à la représenter ensuite. Vous ne pouvez pas adopter une loi semblable, et en laisser l’exécution à l’arbitrage d’un tiers sur qui nous n’avons aucune espèce d’influence.
Si la loi passe comme l’entend le ministre, elle viole une loi précédente que vous n’avez pas entendu abroger, et dont au contraire vous avez entendu faire l’application pendant toute la discussion : ce serait un véritable guet-apens que de faire des lois de cette façon.
Je proposerai un amendement ; la chambre fera ce qu’elle voudra, je me serai acquitté de mon devoir ; je propose un amendement à l’article 7 de la loi.
L’article porte : « La connaissance des délits prévus par les articles 1, 2 et 3 ci-dessus, est attribuée aux cours d’assises. »
Je propose de rédiger ainsi l’article :
« Pour les délits prévus par les articles 1, 2 et 3 ci-dessus, il sera procédé à l’instruction et au jugement, conformément à l’article 8 du décret qui rétablit le jury. »
Si le ministre présente un amendement contraire et qu’il soit adopté, il en résultera un abus de confiance. C’est après la discussion générale, avant d’aborder les articles, qu’il devait s’expliquer. Il ne l’a pas fait. On a argumenté de la juridiction du jury pour en faire passer les diverses dispositions ; et maintenant vous voulez anéantir les garanties que cette juridiction présentait. Evidemment vous faites de votre loi une loi d’exception. Vous vous mettez en contradiction avec ce que vous disiez tout à l’heure, que ce n’était qu’une loi de circonstance.
Vous mettez les citoyens belges dans une position exceptionnelle relativement à la loi sur le jury. Vous faites donc d’une loi que M. le ministre de la justice nommait loi de circonstance, une loi d’exception, loi dont il se défendait si vivement tout à l’heure.
M. d’Huart. - Je ne sais trop si l’on peut reproduire actuellement un amendement ; au surplus, je regarde l’amendement proposé par M. Gendebien comme inutile. Il n’y a pas eu d’erreur dans la première discussion. M. le ministre de la justice vient de déclarer que la loi telle qu’elle est rédigée actuellement ne lui permettait pas de faire opérer l’arrestation préalable des accusés. Le doute signalé par M. Gendebien n’existe donc pas. La discussion nouvelle provient d’une erreur commise par M. le ministre de la justice, qui, n’ayant pas sous les yeux la loi sur le jury, n’a argumenté qu’en s’appuyant de la loi sur la presse. Il est probable que s’il y avait songé, il n’aurait pas fait l’observation relevée par M. Gendebien. Je crois que toute la chambre a entendu comme moi qu’il ne pouvait y avoir lieu à arrestation préalable.
M. Gendebien. - Si M. le ministre de la justice déclare positivement…
- Plusieurs voix. - Il l’a déclaré.
M. Gendebien. - S’il déclare positivement que c’est par erreur qu’il a oublié la disposition de la loi du jury qui interdit l’arrestation préalable dans les procès politiques, je retirerai mon amendement. J’entends dire que M. le ministre a fait cette déclaration, Nous sommes donc tous d’accord sur ce point. Je me bornerai donc à demander acte au procès-verbal de l’assurance donnée par le ministre de la justice, que le gouvernement entendrait la loi comme la section centrale ; mais il a ajouté qu’il fera en sorte que le sénat comprenne la loi comme nous, sous le rapport des arrestations.
- Plusieurs voix. - M. le ministre a dit qu’il présenterait un amendement.
M. Gendebien. - Oui ; mais il a prétendu qu’il n’est pas nécessaire qu’il existe dans la loi. Nous ne pouvons considérer cette dernière déclaration de M. le ministre comme étant de quelque valeur. Elle ne nous assure rien. Si l’amendement qu’il présentera au sénat ne plaît pas à cette assemblée, si on le rejette, la loi passera telle qu’elle est, sans l’amendement. Mais dans quel sens devra-t-on l’interpréter ? Si le sénat, en rejetant l’amendement, déclarait qu’il est inutile, que les dispositions de la loi sur le jury suffisent, alors la mention au procès-verbal que je demande suffira. Mais dans le cas contraire que fera le juge ?
- Voix nombreux. - La loi sur le jury est là.
M. Gendebien. - On considère mon amendement comme inutile. Soit, je le retirerai.
Mais si le sénat ne partage pas l’opinion de la chambre des représentants à l’égard de l’arrestation préalable, on exécutera la loi dans un sens tout à fait opposé. Sous le roi Guillaume on avait interdit également l’arrestation préalable. Pour éluder la défense bien formelle de la loi, on intentait des procès du chef de conspiration. On fera sous le régime actuel exactement la même chose ; car tous les gouvernements se ressemblent quand ils ont peur.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il est possible que le ministère actuel ressemble au ministère auquel le préopinant a fait allusion. Mais ce que je puis lui assurer, c’est qu’il n’a pas peur.
Je ne m’oppose pas à ce qu’on inscrive ma déclaration au procès-verbal.
Si le sénat rejette l’amendement que je lui présenterai, c’est qu’il partagera l’opinion de la chambre des représentants. J’ai déclaré que cette opinion je la faisais mienne.
Le gouvernement ne se croit pas autorisé à opérer l’arrestation préalable des personnes qui contreviendraient à la loi actuelle, si ce n’est dans le cas de simple délit correctionnel. Je pouvais ne rien dire à cet égard. Si je l’ai fait, c’était uniquement pour lever les doutes qui pourraient s’élever dans l’esprit des membres de cette assemblée, en supposant que cela fût possible. L’accusation du préopinant tombe donc d’elle-même. Il n’y a pas eu abus de confiance.
Il y a eu au contraire excès de franchise de notre part ; nous avons voulu que la chambre votât en pleine connaissance de cause, et si notre déclaration lui inspire la défiance que montre M. Gendebien, elle peut encore, si elle le veut, rejeter la loi tout entière.
M. le président. - Je mettrai successivement aux voix les amendements présentés par MM. A. Rodenbach, Desmanet de Biesme et Jullien.
M. d’Huart. - Je déclare demander la division de l’article 4. Les motifs de cette demande sont faciles à concevoir. Je voudrais que l’on votât premièrement sur la suppression du droit accordé au juge de priver le coupable de sa pension, ou si cette suppression n’était pas admise, sur les cas où la faculté en serait laissée au juge. L’on a présenté de nouveaux arguments. La conviction des membres de cette assemblée peut avoir été ébranlée. Si donc le règlement ne s’y oppose pas, je demanderai que M. le président veuille bien mettre la division aux voix.
M. de Theux. - Il me paraît que la division existe de fait. En votant séparément la première partie de l’article, comme l’a annoncé M. le président, puis les amendements de MM. Desmanet de Biesme et Jullien, les membres qui n’admettront pas le premier pourront voter pour le second.
M. d’Huart. - Je n’ai attaqué en aucune manière le mode de procéder proposé par M. le président. Pourvu que la division que je demande soit accordée, je ne tiens pas à ma première proposition.
M. Jullien. - Je ferai observer à M. d’Huart que ni l’amendement de M. Desmanet de Biesme ni le mien ne suppose la suppression du droit d’ôter la pension au coupable.
- L’amendement de M. A. Rodenbach est mis aux voix et adopté.
L’amendement de M. Jullien est mis aux voix. Il n’est pas adopté.
La chambre confirme par son vote l’adoption de l’amendement de M. Desmanet de Biesme.
La chambre procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi ; en voici le résultat :
Nombre des votants, 66.
Pour l’adoption, 60.
Contre, 4.
Deux membres se sont abstenus.
La chambre adopte.
Ont voté pour l’adoption :
MM. Bekaert, Berger, Boucqueau, Brixhe, Coghen, Coppieters, Dams, Dautrebande, de Behr, de Laminne, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Man d’Attenrode, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Puydt, C. Vuylsteke, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Hane d’Huart, Doignon, Donny, Dubois, Dubus, Deschamps, Duvivier, Eloy de Burdinne, Ernst, Fallon, Cornet de Grez, Helias d’Huddeghem, Lebeau, Liedts, Milcamps, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Pollénus, Poschet, Quirini, Raikem, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rogier, Schaetzen, Simons, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Vanderheyden, H. Vilain XIIII, Zoude.
Ont voté contre :
MM. Fleussu, Gendebien, Jadot, Jullien.
MM. de Foere et Desmet se sont abstenus ; ils font connaître en ces termes les motifs de leur abstention.
M. de Foere. - Je n’ai pas pu assister à la discussion de la loi.
M. Desmet. - Messieurs, ennemi de toute loi exceptionnelle je n’en voterai jamais, si ce n’est que j’en voie une nécessité absolue, et ce ne serait pas quelques mesquines intrigues d’un parti impopulaire et qui, d’ailleurs, auraient pu être arrêtées et punies par les lois existantes, qui pourront m’effrayer aujourd’hui et me convaincre de cette nécessite.
En adoptant une disposition aussi vague que celle de l’article premier de la loi, et surtout que l’amendement de l’honorable M. Trentesaux a été repoussé, je crains, au contraire, de mettre une arme à plus d’un tranchant entre les mains d’un ministre qui la ferait couper à sa manière, et dans un moment qu’on voit faire un si étrange abus du pouvoir, qu’on viole avec une si étonnante effronterie la constitution, et que, sans retenue, ou exhume les lois les plus arbitraires du sans-culottisme français, pour mener la Belgique d’après un bon plaisir et des caprices.
Je dois donc douter si la mesure exceptionnelle ou de circonstance, qu’on vient de voter, puisse être salutaire pour le pays, et c’est dans ce doute que la prudence m’a conseillé de m’abstenir.
La chambre confirme par son vote les amendements introduits dans les articles premier, 3 et 4 de la loi.
M. le président. - L’article 5 a été amendé en ces termes :
« Art 5. Sont électeurs ceux qui réunissent les conditions prescrites par la loi électorale pour la formation des chambres.
« Les listes électorales, formées en exécution de cette loi, serviront pour l’élection des conseils provinciaux.
« Néanmoins les individus qui auront obtenu la naturalisation ordinaire pourront réclamer le droit d’électeur et se faire porter sur une liste supplémentaire, pourvu qu’ils réunissent les autres qualités requises pour être électeur, et qu’ils fassent leur réclamation dans le délai fixé par la loi.
« Les mères veuves pourront déléguer leurs contributions à celui de leurs fils qu’elles désigneront, et le fils désigné par sa mère sera porté sur la liste supplémentaire s’il réunit d’ailleurs les autres conditions exigées par la loi.
« La déclaration de la mère sera faite à l’autorité communale ; elle pourra toujours être révoquée. »
M. Dubus. - J’ai une observation à faire sur l’avant-dernier paragraphe de cet article. Je crois qu’il est bien entendu qu’aujourd’hui, comme sous l’empire des anciens règlements, une mère veuve ayant plusieurs fils domiciliés dans plusieurs districts différents ne pourra former un cens électoral qu’à l’un d’eux. Je crois que sous le gouvernement précédent les règlements exigeaient que la mère, dans la déclaration par laquelle elle désignait l’un de ses fils comme électeur, dît formellement qu’elle n’avait précédemment désigné à ce même titre aucun autre de ses fils. Peut-être serait-il utile d’insérer dans la loi la même proposition.
M. de Theux, rapporteur. - Il est certain qu’une mère veuve ne pourra désigner plus d’un de ses fils pour être électeur. Sans cela elle aurait plus de droits qu’un électeur payant des contributions considérables et qui néanmoins ne dispose que d’un seul vote. Quant à l’utilité de la déclaration dont a parlé l’honorable préopinant, elle ne me paraît pas évidente. Il est certain que si une veuve déléguait ses contributions à deux de ses fils, celui à qui elle les aurait délégués en deuxième lieu serait considéré comme faux électeur.
M. Dubus. - Je ne fais aucune proposition formelle ; c’est une simple observation que j’ai voulu faire.
- La chambre confirme par son vote l’adoption de l’article 5.
Depuis l’article 6 jusqu’à l’article 20 du projet résultant des résolutions de la chambre, tous les amendements qui trouvent dans la loi sont de nouveau adoptés, et sans débat.
Il n’y a que l’article 16 qui donne lieu aux observations de M. Dubus. Cet honorable membre fait remarquer des erreurs dans la rédaction de l’article 16, et sur la proposition de M. le président on en ajourne le vote définitif pour donner le temps à la section centrale de faire les corrections nécessaires. Ces corrections se bornent à des citations plus exactes de chiffres.
Les articles 21, 22, 23, 26, 31, sont confirmés sans donner lieu à aucune discussion.
L’article 32 est adopté avec un léger changement de rédaction, consistant à mettre l’article 21, au lieu de l’article 20.
Les articles 33, 34, 36 sont également confirmés.
- La séance est levée à 4 heures et demie.