(Moniteur belge n°156, du 5 juin 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à midi.
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier ; il est adopté sans réclamation.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pétitions suivantes adressées à la chambre.
« Les administrations communales d’Appellaire, d’Oultre et de Pollaire, du district d’Alost, demandent qu’un tribunal de première instance soit établi à Alost et que cette ville soit érigée en chef-lieu. »
- Renvoyée à la commission chargée de l’examen des propositions de MM. Dewitte et Desmet.
« Le sieur d’Henry, avocat à Furnes, adresse des observations sur la nécessité d’établir une garnison dans la ville de Nieuport. »
« La dame veuve Thollé, à Frisange, demande le paiement des premier et deuxième semestres de l’année 1831, de la pension de feu son mari, ex-employé des douanes. »
- Ces deux dernières pièces sont renvoyées à la commission des pétillons.
M. le comte C. Vilain XIIII annonce que son fils est indisposé et ne peut se rendre aux séances de la chambre
M. de Sécus demande un congé.
- Accordé.
M. le président. - La chambre a à discuter le nouvel article 39 proposé par la section centrale ; il est ainsi conçu :
« Art. 39. Ne peuvent être membres du conseil provincial :
« 1° Les membres de la chambre des représentants et du sénat ;
« 2° Le gouverneur de la province ;
« 3° Le greffier provincial ;
« 4° Les administrateurs du trésor, les percepteurs ou agents comptables de l’Etat dans la province ;
« 5° Les employés au gouvernement provincial et au commissariat d’arrondissement et de milice. »
- Les trois premiers paragraphes de l’article sont successivement mis aux voix et adoptés.
M. le président. - M. Doignon a présenté un amendement destiné à prendre place entre les 3ème et 4ème paragraphes ; il est ainsi conçu :
« Ne peuvent être membres du conseil les commissaires d’arrondissement. »
M. Doignon. - Vous venez de déclarer que les gouverneurs des provinces ne pourraient être membres des conseils. Il me semble que, pour être conséquents avec vous-mêmes, il faut que vous déclariez également que les commissaires d’arrondissement seront frappés de la même exclusion. Ces fonctionnaires sont considérés dans la province comme des sous-gouverneurs ; ils représentent en effet le gouverneur et ne font qu’un avec lui. Ils exercent sur une subdivision de la province la même surveillance administrative que le gouverneur sur la province entière.
Veuillez en outre observer qu’une disposition déjà adoptée par la chambre oblige les commissaires d’arrondissement à présenter annuellement aux conseils un rapport sur la situation administrative de leurs districts et sur les améliorations qu’ils y ont introduites ou qu’il serait bon que l’on introduisît. Les conseils provinciaux sont donc constitués juges de leurs actes et de leur bonne ou mauvaise gestion. Il serait tout à fait inconvenant que ces fonctionnaires fissent partie d’un corps appelé à les juger, qu’ils eussent la faculté d’émettre un vote dans leur propre cause et d’être ainsi juge et partie. L’incompatibilité ressort ici de la nature même des choses.
D’après la hiérarchie administrative, les bourgmestres sont considérés comme subordonnés aux commissaires d’arrondissement. Il serait peu convenable que ceux-ci-siégeassent vis-à-vis de leurs subordonnés. Ils auront sur eux l’influence du supérieur sur l’inférieur.
L’on a dit dans une séance précédente que l’honnête homme est honnête homme partout. Je répondrai à cela qu’il y a de l’homme partout. Un bon législateur doit prendre les hommes tels qu’ils sont et non comme ils devraient être. Quoi qu’on ait dit pour prouver le contraire, le vir probus d’Horace n’est pas aussi commun qu’on paraît le croire, et c’est en nous pénétrant de cette vérité que nous devons faire la loi actuelle.
- L’amendement de M. Doignon est mis aux voix et adopté ; il formera le quatrième paragraphe.
« 4ème (devenu 5ème). Les administrateurs du trésor, les percepteurs ou agents comptables de l’Etat dans la province. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je désirerais qu’on introduisît un changement dans ce paragraphe. Ce serait de substituer à la dénomination d’administrateurs du trésor celle de directeur du trésor que vient de consacrer une récente disposition royale. Je proposerai également le remplacement du mot de percepteur par celui de receveur, adopté dans le budget et dans différentes lois.
M. le président. - Je ne crois pas que la chambre s’oppose au changement de rédaction proposé par M. le ministre de l’intérieur.
- Le numéro 5 est mis aux voix et adopté.
« 5ème, devenu le 6ème. Les employés du gouvernement provincial et des commissariats d’arrondissement et de milice. »
M. Berger. - Je désirerais connaître le motif de l’incompatibilité prononcée par ce paragraphe contre les employés de commissariats d’arrondissement et de milice. Je ne pense pas que l’on puisse alléguer pour motif qu’ils sont les subordonnés des commissaires. Il y a bien dans cette chambre des ministres et des secrétaires généraux de ministère.
M. Gendebien. - C’est un abus.
M. Berger. - L’exclusion prononcée contre les employés des commissariats de milice est encore plus injuste. Les travaux des conseils de milice ne durent ordinairement que 8 jours. Les employés y remplissent leurs fonctions par délégation. Pourquoi des hommes ayant rempli pendant 8 jours des fonctions d’employés aux commissariats de milice seraient-ils déclarés inhabile à faire partie des conseils provinciaux. Je demande en conséquence que la dernière partie du paragraphe en discussion soit supprimée.
M. H. Dellafaille - On a exclu les employés des commissariats d’arrondissement de milice, parce qu’ils sont dans une position tout à fait indépendante. J’aimerais mieux, si l’amendement de l’honorable M. Berger pouvait être admis que les commissaires d’arrondissement pussent entrer aux conseils. L’existence des employés des commissariats d’arrondissement dépend entièrement de ceux-ci. M. Berger dit qu’il y a des secrétaires-généraux dans la chambre. Je lui ferai observer que les fonctionnaires sont nommés par un arrêté royal, tandis que les employés dont il prend la défense le sont par une simple disposition du commissaire d’arrondissement. Leur révocation pour vote émis pendant la durée de leur mandat serait bien plus facile à faire que celui des secrétaires-généraux.
M. le président. - M. A. Rodenbach propose l’exclusion des membres de l’ordre judiciaire. Cette exclusion, si elle était adoptée, serait le paragraphe 7.
M. A. Rodenbach. - J’aurais retiré ma proposition, si le système des exclusions n’avait pas été admis. Mais plusieurs incompatibilités ayant été prononcées, il me semble que les membres de l’ordre judicaire doivent être compris dans cette catégorie ; ils hésiteront sans cesse entre leur conscience et leur place ; car, rappelez-le-vous bien ce seront les conseils provinciaux qui présenteront les candidats aux places de conseillers aux cours d’appel. Le primo mihi, le pronom personnel a beaucoup d’influence sur beaucoup de gens qui se trouveront placés entre leur délicatesse et leur place.
M. Jullien. - Lors de la première discussion de l’article 39 j’ai soutenu également que les membres de l’ordre judiciaire ne pouvaient faire partie des conseils provinciaux. Je ne me suis pas appuyé sur les considérations que vient de développer l’honorable préopinant. J’ai objecté à leur admission dans les conseils un argument qui pour moi est péremptoire.
La loi du 24 août 1790 et toutes les lois subséquentes sur la matière ont tracé une ligne de démarcation entre l’autorité judiciaire et administrative, ligne qu’il est impossible de franchir sans mettre en contact les attributions des deux corps. Aussi longtemps qu’il sera vrai que les fonctions des membres des conseils appartiennent aux fonctions administratives, il sera vrai que c’est confondre le pouvoir administratif avec le pouvoir judiciaire que d’admettre la magistrature dans les conseils. Jusqu’à ce que l’on m’ait démontré le contraire, on me permettra de conserver ma conviction à cet égard.
Je crois que les membres qui composent les conseils provinciaux et la députation forment un tribunal administratif. La loi précédente y avait prévu en déclarant que les membres de l’ordre judiciaire qui faisaient partie des conseils ne pouvaient être nommés à la députation. C’est ce qui confirme l’opinion que je viens d’émettre.
En effet, si vous déclarez que les membres de l’ordre judiciaire peuvent être membres du conseil provincial, vous déclarez en même temps qu’ils ne peuvent être membres de la députation, parce que vous reconnaissez que la députation est un tribunal administratif et qu’il y a incompatibilité évidente entre ces fonctions et celles de la magistrature. Or, lorsqu’il y aura dans les conseils provinciaux des membres de l’ordre judiciaire, vous ne pouvez pas restreindre leurs attributions comme prérogatives ; comme membres du conseil provincial, vous ne pouvez les empêcher d’arriver à la députation. Je voterai pour l’amendement qui tend à exclure du conseil provincial les membres de l’ordre judiciaire.
M. Ernst. - La question d’incompatibilité entre les fonctions de l’ordre judiciaire et celles de membre du conseil provincial a été longuement débattue dans une précédente séance, et a été jugée par la chambre en connaissance de cause. Je crois qu’il est inutile de revenir sur ces débats et que nous pouvons, comme l’honorable préopinant, nous référer à tout ce qui a été dit précédemment. Cependant, puisqu’il a renouvelé une objection qui déjà avait été faite, je pense qu’il n’est pas inutile de reproduire la réponse qui déjà avait été donnée aussi.
Parce que des fonctionnaires font partie de deux collèges différents, il n’en résulte pas que les attributions de ces deux collèges sont confondues. On ne confondra pas plus les attributions judiciaires avec les fonctions administratives parce que des membres de l’ordre judiciaire font partie d’un conseil administratif, qu’il y a confusion du pouvoir judiciaire avec le pouvoir législatif, parce que ces magistrats siègent dans la chambre des représentants.
Je conçois du reste qu’on fasse une différence entre les fonctions du conseil provincial et celles de la députation ; le gouvernement et la section centrale ont senti cette différence et ont en conséquence proposé d’exclure les membres de l’ordre judiciaire de la députation, mais non du conseil provincial.
Je crois que ces observations suffisent ; je me confie dans la sagesse de la chambre qui sans doute ne jugera pas autrement aujourd’hui qu’elle l’a fait il y a huit jours à peu près.
M. H. Dellafaille - Dans la section centrale j’étais membre de la minorité qui a pensé que les membres de l’ordre judiciaire devaient être exclus du conseil provincial. Mon opinion se fondait sur les motifs qu’à énoncés l’honorable M. Jullien ; je ne puis mieux faire que de me référer à ce qu’il vient de dire avec tant de sagesse.
Je voterai donc volontiers pour cette exclusion ; mais je ne sais si un amendement déjà rejeté par la chambre peut être présenté de nouveau, si cela n’est pas contraire aux précédents de la chambre. Je ne sais si la décision de la chambre, qui a autorisé la section centrale à présenter un nouvel article pour remplacer celui qui avait été rejeté, a une portée assez étendue pour nous permettre de délibérer et de voter sur un amendement que la chambre a déjà repoussé.
M. d’Huart. - Je crois qu’il ne peut y avoir aucun doute sur le droit qu’a la chambre de discuter l’amendement de l’honorable M. A. Rodenbach ; puisqu’on revient sur l’article 39, on peut évidemment revenir sur tous les amendements qui ont trait à cet article.
La chambre vient de décider tout à l’heure l’exclusion des commissaires de district des assemblées provinciales. Cette décision est peut-être fondée sur l’espèce de dépendance que l’on suppose chez ces fonctionnaires ; je n’examinerai pas cette question que chacun juge à sa manière. Quoi qu’il en soit, je ne puis croire qu’on ait voulu faire des commissaires de district une catégorie à part. Si l’on veut se défier du manque d’indépendance des fonctionnaires publics, il ne faut pas avoir deux poids et deux mesures ; et si l’on exclut les commissaires de district, il faut exclure aussi les agents du parquet qui sont dans la même dépendance que les premiers.
Quant aux juges, comme membres du conseil provincial ils ne seraient pas non plus indépendants ; car le conseil provincial a le droit de présentation aux cours d’appel ; les juges, membres du conseil, seraient donc juge et partie, c’est un inconvénient que nous devons éviter.
Si vous aviez admis le champ plus large pour les électeurs, si vous les aviez laissés seuls juges de l’indépendance des fonctionnaires, si vous n’aviez consacré que les exclusions indispensables et de droit, comme celles des membres des deux chambres, du gouverneur, etc., je ne parlerais pas pour l’exclusion des fonctionnaires de l’ordre judiciaire ; mais je crois que vous ne pouvez vous empêcher de l’admettre après avoir exclu les commissaires de district.
M. Dubus. - Je viens m’opposer à l’amendement présenté par l’honorable M. Rodenbach. L’honorable préopinant a cherché à présenter les agents du parquet et les commissaires de district comme dans une position analogue, et a dit que si vous aviez exclu les uns, vous deviez aussi exclure les autres. Je dis au contraire que leur position est très différente, et que de cette différence de position on doit tirer cette conséquence que si on a exclu les uns, il faut admettre les autres.
L’honorable préopinant a dit que les agents du parquet étaient révocables comme les commissaires de district et dans les mêmes conditions de dépendance ; mais je lui ferai observer que, dans les développements donnés par mon honorable ami à sa proposition. il est loin d’en avoir donné pour motif principal la crainte de la dépendance des commissaires de district. Il a donné un autre motif, savoir que les commissaires de district sont subordonnés au gouverneur qui lui-même est exclu du conseil provincial, et aussi à la députation qui est appelée à juger leurs actes.
C’est à tort que l’honorable préopinant a mis sur la même ligne les agents du parquet et les commissaires de district. En effet, plus d’un exemple nous a appris que le ministère destitue et brise comme verre les commissaires de district, tandis qu’il respecte habituellement l’indépendance des gens du parquet. Et pour citer un exemple moins récent, chacun se rappelle qu’après la révolution le premier acte du gouvernement provisoire fut de destituer tous les commissaires de district ou au moins presque tous ; car il n’y en eut qu’un bien petit nombre d’exceptés de cette mesure, tandis que presque tous les agents du parquet furent conservés dans leurs fonctions : ce seul fait vous démontrera que ces fonctionnaires ne sont pas sur la même ligne.
Quant à l’objection présentée par l’honorable M. Jullien et fondée sur la distinction des pouvoirs, il y a été répondu par l’honorable M. Ernst, et on n’a pas détruit les raisons qu’il a données ; il a suffisamment démontré qu’aucun empiétement d’un pouvoir sur l’autre n’était possible.
On a voulu se prévaloir, en faveur de l’amendement, du droit qu’ont les conseils provinciaux de présenter des candidats pour les places de conseillers vacantes dans les cours d’appel. On a supposé qu’un fonctionnaire de l’ordre judiciaire, membre du conseil provincial, sacrifierait sa conscience à ses intérêts et au désir d’obtenir une meilleure place. Mais je ferai remarquer que sous le gouvernement précédent les états-provinciaux élisaient eux-mêmes les membres des états-généraux, et que souvent ils les choisissaient dans leur sein, sans qu’on y ait trouvé la moindre objection.
Veuillez, d’ailleurs, remarquer que le conseil provincial ne nomme pas directement les conseillers aux cours d’appel ; il ne présente des candidats qu’en second et après la présentation de candidats faite par la cour de justice où la place est vacante ; après quoi le Roi exerce sa prérogative. Il est évident que cette candidature ne peut être aucunement un moyen d’influence contre les magistrats membres du conseil provincial. Je m’oppose donc à l’amendement.
M. de Theux, rapporteur. - Messieurs, je n’ai pas voté pour la proposition, renouvelée aujourd’hui, la première fois qu’elle a été mise en délibération ; je ne voterai pas encore pour cette proposition aujourd’hui : je rappellerai simplement à la chambre les principes qui ont guidé la section centrale, relativement aux incompatibilités ; ce n’est nullement la qualité de fonctionnaire qui a déterminé la section centrale ; ce n’est pas la dépendance plus ou moins grande du fonctionnaire qui le fait exclure du conseil ; si elle a exclu les conseils d’arrondissement, c’est à cause de leurs rapports avec l’administration provinciale. Lors du second vote, on pourra revenir sur la discussion de la chambre, et alors nous développerons le système de la section centrale.
Je propose le rejet de l’amendement de M. Rodenbach.
M. A. Rodenbach. - L’honorable député de Tournay vous a parlé des nominations des membres des conseils ; je vais entrer dans quelques détails sur cet objet. Sous Guillaume, les premières nominations aux états-généraux étaient réservées au Roi ; quand le mandat de ces membres des états-provinciaux fut expiré, ils ont été renommés par les électeurs, car dans ce pays on n’est pas disposé à remplacer celui qui a rempli à peu près bien les fonctions qu’on lui a confiées. Généralement les électeurs choisissent pour faire partie des conseils provinciaux les anciens membres de ces conseils, à moins de décès.
M. Jullien. - Ce n’est pas sous le rapport de la dépendance que j’ai voté l’exclusion des commissaires d’arrondissement, et que je voterai l’exclusion des membres de l’ordre judiciaire ; c’est sous le rapport de l’incompatibilité. Il est de fait que les commissaires sont comptables de leur administration vis-à-vis les conseils provinciaux, comme les gouverneurs eux-mêmes, et vous ne voulez pas sans doute confondre la personne qui rend le compte avec la personne chargée de l’examiner et de le contrôler. Voilà une incompatibilité véritable et elle ne peut être mise de côté sans de graves inconvénients.
Venons aux membres de l’ordre judiciaire. L’incompatibilité des fonctions judicaires et administratives est formellement prononcée par toutes les lois : il est impossible que vous ouvriez une loi constitutive de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif, et notamment la loi du 24 août 1790, sans que vous y trouviez la déclaration de cette incompatibilité. Or, les fonctions de membre d’un conseil provincial sont-elles, oui ou non, des fonctions administratives ? Si vous répondez affirmativement, je vous dirai à mon tour : Vous ne pouvez confondre le juge avec l’administrateur civil. Mais, direz-vous, qu’est-ce que les fonctions de membre du conseil provincial ? Ces fonctions durent à peine 15 jours ! Cependant on est obligé de convenir que le juge qui serait membre du conseil provincial ne pourrait être membre de la députation permanente de ce conseil. Pourquoi fait-on cette concession ? C’est parce que la députation permanente est un tribunal administratif.
Dès l’instant que par des raisons quelconques vous écartez les membres de l’ordre judiciaire de la députation du conseil provincial, vous restreignez les éléments de la composition de la députation. Supposez qu’il y ait 7 ou 8 membres dans le conseil appartenant à l’ordre judiciaire. Les magistrats de l’ordre judiciaire sont presque tous des personnes notables désignées au choix de leurs concitoyens, et on peut admettre aisément cette supposition ; et si néanmoins elles ne peuvent faire partie de la députation, n’est-ce pas là une anomalie avec le désir que vous avez manifesté ? Vous voulez, autant que faire se peut, un membre de chaque district dans la députation ; ce n’est pas le moyen d’y parvenir en limitant les choix et en déclarant une incapacité que rien ne peut justifier, si ce n’est l’incompatibilité que je soutiens.
La députation des états n’est qu’une émanation du conseil provincial ; elle administre pour le conseil ; ainsi le membre du conseil provincial est administrateur toute l’année par le moyen de la délégation donnée aux membres de la députation. Il me semble qu’il n’est pas possible de ne pas se rendre à des règles aussi certaines, règles toujours observées par tous les gouvernements qui ont précédé celui-ci.
M. Dubus. - Je crois que l’honorable préopinant ne distingue pas ici ce qui devrait être distingué, je veux dire les fonctions de membre du conseil et les fonctions de membre de la députation. Tout ce qu’il a dit est concluant pour établir l’incompatibilité entre les fonctions de l’ordre judiciaire et les fonctions de membre de la députation du conseil, mais ne prouve pas que les membres de l’ordre judiciaire ne peuvent pas être membres du conseil provincial. Que font les membres des conseils provinciaux ? ils viennent quinze jours chaque année donner un vote et prononcer sur les principaux intérêts de la province ; ils n’administrent pas.
Les intérêts généraux de la province sont en même temps ceux de tous les citoyens qui l’habitent ; les membres de l’ordre judiciaire peuvent donner leur opinion sur ces intérêts ; ce n’est pas là administrer.
S’il fallait admettre le système de l’honorable préopinant, ce ne serait pas seulement des conseils provinciaux qu’il faudrait exclure les magistrats, ce serait encore des conseils municipaux. Les membres de l’ordre judiciaire sont exclus du collège municipal ; ils ne peuvent être ni bourgmestres ni échevins, parce que ceux-ci administrent ; mais ils font partie du conseil municipal ; ils peuvent donner leur avis sur les intérêts de la commune. Les exclure du conseil municipal serait contraire à ce qui existe aujourd’hui et à toutes les lois antérieures.
Je pense encore que les membres de l’ordre judiciaire peuvent faire partie des conseils généraux de département ; je ne crois pas que sous le régime antérieur au gouvernement français, l’incompatibilité ait existé dans les lois.
Sous le gouvernement français, alors qu’il régissait la Belgique, les membres de l’ordre judiciaire pouvaient faire partie des conseils généraux de département. Ainsi la loi qu’on a invoquée n’était pas appliquée avec l’étendue que lui donne le préopinant.
Si on réfléchit au grand nombre d’affaires que les conseils provinciaux doivent traiter dans leur session de quinze jours, on ne reconnaîtra aucun motif d’incompatibilité tiré de cette considération qu’il ne faut pas confondre les pouvoirs administratifs et judiciaires.
Quant à ce motif de l’auteur de l’amendement que les membres de l’ordre judiciaire ne peuvent faire partie du conseil provincial, parce que le conseil est chargé de faire des présentations de candidats pour les places vacantes aux cours d’appel, je dirai que si un pareil motif faisait impression sur la majorité de la chambre, on devrait déterminer une exclusion beaucoup plus étendue. Je ne vois pas, en effet, pourquoi on n’exclurait pas du conseil tous ceux qui ont une connaissance des lois, tous ceux qui ont fait des études universitaires, les licenciés en droit, par exemple ; si on exclut tous ceux qui sont aptes à nommer les candidats aux places des cours d’appel, il faudra dire, pour être admis membre du conseil provincial, qu’on ne connaît pas les lois ; il faudra prouver qu’on n’y entend rien, et qu’on est incapable de les comprendre.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Il semble que nous nous disposons à suivre la même marche que lors de la première discussion de l’article.
La section centrale faisant droit au motif qui avait déterminé la chambre à repousser l’article relatif aux incompatibilités est venu vous présenter un nombre d’incompatibilité plus restreint. Déjà, par un amendement que vous avez adopté, et auquel je ne me suis point opposé, parce que je croyais qu’il ne serait pas accueilli, vous venez d’établir dans la loi une incompatibilité à l’égard des commissaires d’arrondissement : si vous ajoutez encore l’incompatibilité des membres de l’ordre judiciaire, l’article 39 ne sera que la reproduction de celui que vous avez repoussé à cause du grand nombre d’incompatibilités qu’il consacrait.
La discussion relative à l’incompatibilité des membres de l’ordre judiciaire avait été précédemment épuisée ; je crois même que la proposition formelle de cette incompatibilité avait été repoussée par la chambre.
Messieurs, la chambre remarquera qu’ayant multiplié le nombre des conseillers provinciaux, elle doit en conséquence être sobre d’exclusion. Ce n’est pas lorsque vous avez établi que les membres du conseil seront plus nombreux, que vous déclarerez qu’il y a moins de personnes capables de faire partie du conseil.
Vous avez éliminé les représentants, les sénateurs, le gouverneur, le greffier, les commissaires d’arrondissement, les receveurs des contributions ; si vous y joignez les membres des tribunaux de commerce, les juges de paix et leurs suppléants, je ne vois pas vraiment comment se fera le choix des électeurs, car il ne reste presque plus personne sur qui ce choix puisse tomber.
M. d’Huart. - Pour repousser ce que l’honorable M. Jullien avait dit sur les inconvénients qu’il y avait à ce que les membres de l’ordre judiciaire fissent partie du conseil provincial, l’honorable M. Dubus a fait une distinction entre le conseil et la députation ; le conseil, a-t-il dit, n’administre pas, et ainsi les juges membres du conseil ne prendront point pas à l’administration. Ce raisonnement est contraire à l’article 71 qui porte que le conseil autorise les actions en justice relatives aux biens de la province, soit en demandant, soit en défendant.
D’après cet article, n’est-il pas évident que le conseil fait de l’administration, qu’il a même des rapports avec la justice, puisqu’on décide ici que le conseil peut intenter des actions en justice ? Je suppose que trois juges d’un arrondissement soient membres du même conseil provincial, ne pourront-ils pas engager le conseil à faire tel ou tel procès dans l’arrondissement où ils sont juges ? S’ils ne sont pas alors juges et partie, ne seront-ils pas deux fois juges dans la même cause ?
Je ne veux pas répondre à tous les arguments de l’honorable M. Dubus, la question a été débattue longtemps, inutilement perdre du temps ; cependant je dois relever une erreur dans laquelle est tombé l’honorable membre.
M. Dubus a dit qu’au moment de la révolution, tous les commissaires dé district avaient été destitués, et qu’ainsi les membres du parquet étaient plus indépendants que les commissaires de district. Il n’en est pas ainsi : l’indépendance des fonctionnaires publics se trouve dans l’inamovibilité de leur charge ; voilà la garantie de leur indépendance, mais les membres du parquet et les commissaires de district peuvent également être destitués par le bon plaisir du gouvernement.
Dans la province du Luxembourg, quatre commissaires ont été conserves, et d’autres encore auraient conservé leur place s’ils avaient voulu se rallier au nouvel ordre de choses.
M. Jullien. - La chambre remarquera l’irrégularité qui s’est glissée dans la discussion : dans mon opinion, du moins, on n’a pas suivi le règlement. L’article 45 porte que, lorsqu’un article d’une loi a été rejeté, il est soumis à un second vote. Ainsi l’article que nous discutons ayant été rejeté, il s’agissait, non pas d’en reproduire un autre pour le discuter de nouveau, mais il fallait le soumettre au second vote. Voilà ce que prescrit l’article 45.
Maintenant, j’ajouterai quelques mots pour détruire ce qu’a dit M. Dubus relativement à l’incompatibilité des fonctions municipales et des fonctions judiciaires. M. Dubus a cité les conseils municipaux dans lesquels siégeaient plusieurs membres de l’ordre judiciaire ; en effet, j’ai eu connaissance qu’il existait dans les conseils municipaux de quelques localités des membres de l’ordre judiciaire ; mais il n’en est pas moins vrai, d’après une loi positive dont je ne me rappelle pas précisément la date, qu’il y a incompatibilité absolue, et d’une manière nominative, entre les fonctions municipales et les fonctions judiciaires. Toute la question était donc de savoir si on remplit des fonctions municipales en faisant partie du conseil provincial.
Plusieurs personnes ont dit qu’on ne remplissait pas des fonctions administratives et municipales quand on faisait partie du conseil provincial ; mais elles ont pensé qu’il y avait autrefois incompatibilité à l’égard des maires et de ses adjoints, et aujourd’hui, relativement au bourgmestre et aux échevins, attendu que ces fonctionnaires administraient toute l’année et en commun. Le conseil de régence, au contraire, n’administrait que lorsqu’il était convoqué par le régisseur.
La même chose existe aujourd’hui dans les conseils provinciaux, où le conseil administre toute l’année.
Si chaque membre n’administre pas par lui-même, le conseil administre par la délégation qu’il a donnée ; la députation administre pour lui.
Il y a plus, vous avez réservé des attributions que le conseil ne peut déléguer à la députation ; le vote du budget, par exemple. Il y a donc une partie essentielle des attributions provinciales qui est confiée au conseil en entier ; vous n’avez plus alors qu’à résoudre la question de savoir si les membres du conseil provincial remplissent oui ou non, soit par eux-mêmes, soit par leurs délégataires, des fonctions administratives. S’ils remplissent des fonctions administratives, il y a incompatibilité à l’égard des membres de l’autorité judiciaire.
On dit qu’il y a dans les corps législatifs beaucoup de membres qui font partie de l’ordre judiciaire ;. mais les corps législatifs n’administrent pas, ce sont les corps politiques, et dès lors il ne peut exister une confusion dans les pouvoirs. J’ajouterai cependant sur ce sujet qu’il y a un inconvénient à ce qu’un grand nombre de membres de l’ordre judiciaire fassent partie, soit des corps administratifs, soit des corps législatifs, parce qu’ils sont forcés de négliger les devoirs de leur charge qu’ils doivent remplir presque tous les jours. Je ne demande pas d’exclusion à leur égard, mais je signale un inconvénient qui existe.
M. le président. se dispose à mettre aux voix l’amendement de M. A. Rodenbach.
- Quelques voix. - L’appel nominal. (Non ! Non !)
- L’appel nominal n’est pas appuyé.
La disposition de M. A. Rodenbach est mise aux voix et non adoptée.
L’ensemble de l’article est adopté.
M. le président. - Nous passons à l’article 115 du gouvernement, 108 de la section centrale.
Cet article est ainsi conçu :
« Il ne peut être disposé du fonds de la province que sur les mandats délivrés par la députation.
« Ces mandats sont signés par le président et le secrétaire.
« Aucun mandat ne peut être payé que dans les limites des crédits ouverts au budget par le conseil sur le budget de la province.
M. le ministre de l’intérieur a proposé un amendement qui consiste à ajouter au deuxième paragraphe de cet article ces mots : « et revêtus du visa de la cour des comptes. »
La section centrale à qui cet amendement a été renvoyé a fait la proposition suivante :
« Ces mandats seront adresseé directement à la cour des comptes et revêtus de son visa avant le paiement ; néanmoins, les députations pourront ordonner le paiement immédiat de leurs mandats jusqu’à concurrence des 4/5èmes de chaque créance ; l’autre cinquième ne pourra être payé qu’ensuite du visa de la cour, qui reste chargée de faire la vérification définitive de la créance entière. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Les propositions de la section centrale remplissent le but que mon amendement voulait atteindre. Je n’ai donc pas de raison pour m’y opposer. Mais j’aurai un amendement, un article additionnel à proposer, afin que le ministre de l’intérieur, sans entraver la délivrance de ces mandats, puisse au moins exercer le contrôle nécessaire pour approuver en connaissance de cause le budget provincial qui lui sera soumis.
Dans l’état actuel des choses , les certificats de paiement délivrés par la députation des états doivent passer par les bureaux du ministère de l’intérieur. Sous le régime de mandats de la loi future, ces mandats seront adressés directement à la cour des comptes.
Mais afin que le ministre soit à même de connaître toutes les dépenses qui se font dans les provinces, en apprécier la moralité, il sera nécessaire que les provinces adressent au ministre de l’intérieur, à certaines époques, au commencement de chaque mois, l’état des liquidations opérées par elles et par la cour des comptes. De cette manière le ministre sera tenu au courant de toutes les dépenses faites par les provinces sans pouvoir en arrêter la liquidation ou le paiement. Cela se fait aujourd’hui. Outre l’envoi des certificats de paiement, les députations adressent chaque trimestre au ministre de l’intérieur un état des liquidations opérées sur le budget provincial.
Nous voudrions que cet état fût envoyé au commencement de chaque mois, pour les liquidations du mois précédent.
Du reste je dois dire, pour justifier l’état de choses actuel, qu’il n’en résulte aucun inconvénient grave, soit sous le rapport de l’économie du temps, soit sous le rapport de l’économie du travail, attendu que ce travail est fait par un seul employé et que cet employé n’est pas toujours occupé toute la journée. Quant aux 27 registres, ce ne sont à proprement parler que 27 cahiers qu’on aurait pu réunir en un seul fort registre. C’est pour l’ordre qu’on a fait cette division. Maintenant même il n’y a plus que neuf cahiers, car on a réuni trois années en un seul registre. Le travail pour les certificats de paiement n’occupe aujourd’hui, comme je viens de le dire, qu’un seul employé.
D’après la nouvelle loi, il y aura accroissement de besogne pour la cour des comptes ; car elle devra correspondre directement avec neuf provinces, tandis qu’aujourd’hui elle ne correspond qu’avec le ministre de l’intérieur, qui transmet ses observations aux provinces. Mais il y aura diminution de travail pour le ministère de l’intérieur, et j’en félicite mes employés.
La cour des comptes veillera à ce qu’il n’y ait pas de transfert et déchargera le ministre de l’intérieur de la responsabilité qui pourrait retomber sur lui en cas d’irrégularité dans la liquidation des fonds provinciaux.
Aujourd’hui, les certificats transmis au ministère de l’intérieur n’y séjournent jamais plus de cinq jours ; ils sont envoyés ordinairement à la cour des comptes le deuxième ou le troisième jour de leur arrivée ; et quand ils reviennent de la cour des comptes, ils sont immédiatement transmis aux provinces.
Je propose donc la disposition additionnelle suivante, afin que le gouvernement continue à être tenu au courant des dépenses faites par les provinces :
« La députation du conseil transmettra au commencement de chaque mois, au ministre de l’intérieur, l’état des liquidations opérées et demandées sur les fonds provinciaux pendant le mois précédent. »
M. Lardinois. - Nous sommes tous d’accord pour adopter l’amendement de la section centrale.
Je conçois que le ministre de l’intérieur ait besoin d’exercer un contrôle sur le mouvement du budget des provinces. Mais je crois que l’amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur est tout à fait inutile. Quand la trésorerie est informée que les recettes ont été opérées, elle le fait connaître au ministre de l’intérieur.
Il suffit que le ministre de l’intérieur soit informé que les recettes ont été faites ; quant aux dépenses, il est inutile d’insérer une disposition dans la loi pour qu’un état lui en soit remis. Le gouverneur peut vous fournir cet état, vous pouvez également vous adresser au ministre des finances. Ce sont ceux qui sont chargés de vérifier si les dispositions n’outrepassent pas les crédits ouverts dans les budgets des provinces qui seuls peuvent lui donner les indications dont il a besoin. La cour des comptes ne pourrait pas les lui fournir.
M. d’Huart. - Je crois que l’amendement de M. le ministre de l’intérieur est utile. Il aurait pu à lui seul remplacer toutes les dispositions proposées par la section centrale. Il suffit qu’il sache à quoi en sont les dépenses de la province ; le visa de la cour des comptes ne me paraît pas nécessaire. Mais le ministre doit connaître l’état de la caisse provinciale. Car si on lui adresse une demande de secours, il faut qu’il sache s’il y a des fonds pour pouvoir prendre une résolution.
J’ai examiné les motifs donnés par la section centrale pour et contre le visa de la cour des comptes, et j’ai trouvé que les motifs qu’elle donnait contre cette mesure étaient beaucoup plus forts que ceux qui la décidaient à en proposer l’adoption.
Je ne sais pas à quoi le visa servira, si ce n’est à apporter des retards dans les paiements.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Ce visa n’est nécessaire que pour un cinquième de la dépense.
M. d’Huart. - C’est toujours un embarras ; et il y a une foule de petites entreprises qui se feront à meilleur compte, quand l’entrepreneur aura la certitude d’être payé de suite et intégralement.
Je serais donc d’avis d’admettre l’amendement que vient de présenter le ministre de l’intérieur, et de rejeter le visa de la cour des comptes.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - La formalité que je réclame n’est pas la même que celle qui impose à la députation permanente le visa préalable de la cour des comptes. Ce visa est demandé à l’effet de reconnaître, sous le rapport matériel, s’il n’y a pas transfert d’allocations, si le chiffre porté au budget n’a pas été dépassé.
L’amendement que je propose a pour but de mettre le gouvernement à même d’apprécier la moralité de la dépense, en d’autres termes sa destination. Il faut que le gouvernement à qui l’approbation des budgets provinciaux est déférée puisse se déterminer dans les motifs de son approbation. Il faut que si des particuliers ou des communes demandent un subside pour un objet quelconque, l’administration centrale puisse s’assurer s’il ne leur a pas déjà été accordé sur les fonds provinciaux, et dans quelle proportion.
Sans la formalité que je réclame, le gouvernement s’exposerait à faire un double emploi, ou il se verrait dans la nécessité de demander au gouverneur communication des états des liquidations opérées par la députation ; et il pourrait arriver qu’il plût à la députation d’interdire au gouverneur de donner de semblables renseignements. Vous ne pouvez imposer à l’administration centrale l’obligation de recourir à des moyens indirects pour obtenir la connaissance de faits indispensables à sa marche.
La vérification préalable demandée pour la cour des comptes, si elle entraîne certaines lenteurs, est très utile en ce sens qu’elle arrête des dépenses faites avec peu de prudence. Il est bien plus facile de prévenir une faute que de la réparer. Si l’on craint des retards dans le paiement de certaines menues dépenses, il suffira de mettre à la disposition de la députation une somme destinée à les couvrir, somme dont elle devra faire connaître l’emploi quand la totalité en aura été absorbée.
M. Dubus. - Les propositions de la section centrale ont pour but, lorsqu’on en examine de près les motifs, de mettre à couvert la responsabilité des membres de la députation qui signeraient les mandats où se seraient glissées des erreurs.
Il paraissait tout naturel, avant de mettre à couvert la responsabilité des députations, de leur demander si elles réclamaient une semblable garantie qui en définitive entrave toujours la marche de l’administration provinciale. Eh bien, messieurs, l’on n’a consulté à cet égard que trois députations, dont deux ont demandé que le visa fût supprimé. Ainsi donc elles ne craignent pas de compromettre leur responsabilité.
En effet, rien n’est plus aisé que de savoir si une dépense n’est pas transférée ou dépasse les limites du budget. Le moindre commis, en parcourant la colonne des allocations, peut vérifier la légalité d’une imputation.
A plus forte raison, la députation signera les mandats avec connaissance de cause et n’apposera son approbation que lorsque sa responsabilité ne courra aucun risque. Il n’y a aucune raison pour imposer aux provinces une surveillance à laquelle ne sont pas soumises les villes. Et remarquez que plusieurs de nos grandes villes ont un budget considérable. Cependant leurs bourgmestres ne craignent pas de signer tous les mandats sous leur responsabilité personnelle, ils sont absolument dans la même position que les membres des députations.
Je ne pense pas que cette indépendance de la comptabilité municipale ait donne lieu à la moindre réclamation. Je ne vois pas pourquoi on n’appliquerait pas les mêmes principes à la comptabilité provinciale.
Quant à l’article additionnel que propose M. le ministre de l’intérieur, je pense que, si le système de la section centrale à l’égard du visa est adopté, l’envoi mensuel des mandats provinciaux devient inutile. Ce serait imposer aux députations une obligation de plus sans nécessité. Au lieu de demander des états mensuels à chaque députation, pourquoi le ministre de l’intérieur ne s’adresserait-il pas directement, pour les obtenir, à la cour des comptes qui possédera tous les détails de la comptabilité provinciale ? Au lieu de recevoir de 9 chefs-lieux les états mensuels dont la communication est, selon M. le ministre de l’intérieur, nécessaire au gouvernement, il les trouverait tous réunis à la cour des comptes où ils auraient été déposés.
M. de Theux, rapporteur. - L’amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur est inutile. En l’adoptant, c’est comme si nous prescririons aux gouverneurs d’envoyer des états mensuels au ministre de l’intérieur. Une pareille disposition est inutile. Le gouverneur, ayant tous les employés des bureaux de l’administration provinciale sous ses ordres, pourra faire faire toutes les copies qu’il jugera utiles et les adresser au ministre de l’intérieur lorsqu’elles lui seront demandées. La formalité que M. le ministre demande pourra faire l’objet d’une instruction réglementaire.
La seule chose qu’il y ait à établir dans la loi, c’est que l’administration de la députation puisse correspondre directement avec la cour des comptes pour éviter le circuit interminable que toutes les affaires de comptabilité doivent parcourir. En accordant aux députations la correspondance directe avec la cour des comptes, on suivra le système admis par la section centrale qui a admis que le collège pût se mettre en relation avec les agents comptables.
M. Dubus trouve singulier que l’on n’ait pas consulté les députations sur les questions de comptabilité qui nous occupent. J’avoue que j’attache beaucoup moins d’importance à ce que le visa de la cour des comptes continue d’être apposé aux mandats des députations, puisqu’au moyen des garanties établies par la section centrale, il pourra être fait droit à la plupart des réclamations des provinces. Il ne résultera de ce système qu’un peu de retard dans l’expédition des affaires, et je le répète, quel que soit le sort de la question qui nous occupe, j’y attache peu d’importance.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ferai observer à M. le rapporteur de la section centrale que si le gouvernement a demandé que la comptabilité provinciale fût soumise au visa de la cour des comptes, c’est beaucoup moins pour la facilité des députations que dans le but de les contrôler ; il n’est pas dès lors étonnant que des députations aient refusé d’admettre ce système. Ainsi l’argument tiré par M. Dubus de la réponse des députations sur la question de savoir si ce visa devait être exigé n’est pas concluant. C’est comme si la chambre consultait les ministres à l’effet de connaître si le contrôle de la cour des comptes à leur égard doit être maintenu.
Il serait plus commode pour le gouvernement de liquider directement les dépenses de l’Etat que de les soumettre au visa préalable de la cour des comptes. Cette formalité ne laisse pas que d’apporter des retards dans la marche de l’administration, retards que, soit dit en passant, l’on attribue trop souvent à la négligence du gouvernement. Car il ne suffit pas qu’un ministre ait obtenu son budget à la sueur de son front. (On rit.) Il faut qu’il soutienne assez souvent une lutte avec la cour des comptes à l’occasion de l’imputation des dépenses autorisées par la législature ; cette lutte, du reste, je me hâte de le dire, se passe en toute convenance et n’entrave pas la marche de l’administration au point que nous désirions la suppression des visas préalables.
Nous ne voulons pas que les députations soient tout à fait indépendantes, qu’il leur soit libre d’opérer des transferts sans que personne ait son mot à dire, sans qu’elles aient d’autre contrôle que celui des conseils qui, se réunissant 15 jours durant l’année, n’auront pas le temps d’examiner les comptes à fond.
Je ne conçois pas pourquoi on s’oppose à l’amendement ; on dit qu’il n’est pas utile ; mais a-t-on prouvé qu’il est inutile ? On veut que le ministère demande au gouverneur les états de liquidation ; mais pourquoi la députation ne serait-elle pas soumise à l’obligation d’envoyer ces états de liquidation au ministère ? Car sans cela comment le ministère sera-t-il fixé sur l’étendue des dépenses de la députation ? Et cependant, puisque vous avez donné au gouvernement le droit d’approuver le budget, vous devez aussi lui donner le droit de contrôler les dépenses.
Si vous ne mettez pas dans la loi la disposition proposée, la députation peut-être ne voudra pas envoyer les états de liquidation. Alors le gouvernement pourra dire qu’il n’approuvera pas le budget, si les états de liquidation ne lui sont pas transmis. D’un autre côté le conseil pourra déclarer que puisque la loi n’en parle pas, la députation n’est pas obligée d’envoyer les états au ministère et qu’elle ne doit pas satisfaire à sa demande. Dès lors, il y a conflit possible ; l’amendement l’évite ; il place le gouvernement dans une position plus convenable vis-à-vis de la députation, il place la députation dans la position hiérarchique qui lui convient et que sans doute vous ne voulez pas lui enlever. La chose est si simple que je suis étonné qu’elle rencontre de l’opposition.
- La disposition additionnelle proposée par la section centrale est mise aux voix et adoptée.
La disposition additionnelle, proposée par M. le ministre de l’intérieur, est mise aux voix et adoptée.
- Les articles 103 et 104 (nouveaux) proposés par la section centrale sont mis aux voix et adoptés ; ces deux articles sont ainsi conçus :
« Art. 103. Avant la fin de chaque mois, le ministre des finances mettra à la disposition des députations des conseils les fonds perçus par les employés des finances dans le mois précédent pour le compte des provinces. »
« Art 104. Lorsque les conseils établiront des receveurs particuliers pour les fonds provinciaux, ils détermineront les garanties qui seront exigées de ces comptables.
« Les provinces jouiront des mêmes droits d’hypothèques sur les biens de ces comptables, que ceux établis sur les biens des comptables envers les communes. »
M. Fallon. - Je pense que la section centrale n’a pas prévu le cas où il s’élèverait quelque contestation entre le receveur provincial et la députation des états ; je crois qu’il est entré dans sa pensée que cette contestation ne doit pas être renvoyée devant la cour des comptes. Il me paraît utile de le dire.
M. de Theux, rapporteur. - La section centrale n’a pas pensé qu’il fallût dans ce cas l’intervention des tribunaux ; elle a cru inutile la disposition dont parle l’honorable préopinant, parce qu’il a été dit dans la loi que la cour des comptes était juge définitif des comptes.
M. Fallon. - Relativement aux dépenses, ayant admis le visa de la cour des comptes, nous n’avons pas de contestation à craindre ; mais pour les recettes il en est autrement : les recettes n’ont pas passé devant la cour des comptes. S’il y avait difficulté quant aux recettes, la règle générale est que les tribunaux la décideraient ; il faut donc mettre une disposition pour rendre la cour des comptes juge de ces difficultés.
M. de Theux, rapporteur. - L’observation me paraît fondée ; je ne vois pas d’objection à y faire. Le conseil provincial nomme le receveur de la province ; s’il y a contestation, il faut en effet dire qui la jugera.
M. le président. - Voici un amendement présenté par M. le ministre de l’intérieur :
« Tout transfert de dépense autorisé aux termes de l’article 64 (projet du gouvernement) devra être soumis à l’approbation du Roi. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, aux termes de l’article 64, vous avez décidé qu’aucun transfert de dépense ne pourra avoir lieu d’un article à l’autre du budget sans l’autorisation du conseil provincial ; mais vous vous rappellerez que les budgets étant approuvés par le Roi deviennent en quelque sorte des arrêtés royaux, et que, sous ce point de vue il ne dépend pas du conseil de modifier ces budgets sans que l’approbation royale soit également donnée à la modification.
Il me semble que c’est là une conséquence toute naturelle de l’article qui a décidé que les budgets seraient soumis à l’approbation royale. Vous comprenez dès lors le but de mon amendement.
M. de Theux, rapporteur. - Il est évident que la disposition de l’article 64 n’a pas pour objet d’autoriser le conseil à modifier le budget qui a été approuvé par le Roi ; une telle disposition eût été absurde et en contradiction avec le texte de l’article 79.
Comme l’a dit le ministre de l’intérieur, quand le budget est arrêté, il ne peut éprouver de modification qu’avec l’autorisation du conseil ; mais comme le conseil n’est pas toujours assemblé, on a introduit dans la loi cette disposition, que le conseil pourrait autoriser la députation à faire le transfert d’un article à un autre.
Il résulte des dispositions de l’article 64 que, lorsque dans le budget le conseil n’aura inséré aucune faculté d’opérer un transfert, la députation ni le gouvernement ne pourront exécuter ce transfert sans le consentement du conseil. Cet article est en harmonie avec l’article 79 ; il n’y a pas de contradiction.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - J’avoue que, comme auteur du projet, je ne comprenais pas à l’article 64 le sens qu’on lui donne ; quant à moi je l’interprète suivant son texte : aucun transfert ne peut avoir lieu sans l’autorisation du conseil provincial ; mais je ne l’interprète pas ainsi : le conseil autorise la députation à faire des transferts postérieurement à l’adoption du budget.
M. le rapporteur dit qu’il s’agit d’un transfert d’un article à un autre ; je ne crois pas que l’article 64 entende le transfert dans ce sens-là. Il importe, d’après l’explication donnée par M. de Theux, de savoir si la députation pourra transférer avec autorisation royale, ou si ce transfert lui sera interdit.
Il va de soi que si le conseil a prévu dans le budget la faculté d’un transfert, ce transfert sera approuvé par le Roi ; mais s’il s’agit d’un transfert en dehors du budget, il faut encore l’approbation royale, parce qu’on ne peut modifier un arrêté royal.
Si on pouvait modifier l’article 64, je demanderais que mon amendement y fût joint. Il suffirait de terminer l’article 64 par ces mots : « et sans l’assentiment du Roi. »
M. de Theux, rapporteur. - Je persiste à croire que tout amendement est inutile. La disposition de l’article 64 est claire et précise. La députation du conseil ne pourra de son chef, même avec l’approbation royale, faire un transfert d’un article à un autre dans le budget provincial.
L’article 64 a un second but. Il prévoit le cas où le conseil, tout en faisant le budget, autorise un transfert d’un article à un autre. Le budget étant approuvé par le Roi, le transfert doit aussi être soumis à l’approbation du Roi.
Vient une troisième hypothèse. Le budget approuvé par le Roi, le conseil s’assemble de nouveau et trouve qu’il est utile de transférer d’un article à un autre ; alors c’est une nouvelle délibération financière en dehors du budget, et elle doit être approuvée par le Roi. Cela ne peut pas faire doute. Quand le budget a été approuvé par le Roi, il est définitif. Si on fait une modification au budget, la modification doit être approuvée comme le budget lui-même.
M. Donny. - Messieurs, j’appuie l’amendement du ministre de l’intérieur. L’honorable rapporteur de la section centrale vient de dire que cet amendement est inutile parce qu’il ne fait qu’établir ce qui, suivant l’honorable membre, est incontestable, savoir qu’on ne peut faire de modification à un budget approuvé par le Roi, sauf que la modification soit elle-même soumise à l’approbation royale.
Je lui demanderai alors à quoi sert l’article 64 ? Car l’argument employé par M. le rapporteur pour prouver l’inutilité de l’amendement est tout aussi concluant pour démontrer l’inutilité de cet article.
En effet, le vote du conseil est tout aussi nécessaire à la légalité du budget que l’est l’approbation royale ; si l’on ne peut rien modifier à ce budget sans l’approbation du Roi, on ne peut non plus y faire aucune modification sans l’assentiment du conseil ; s’il est inutile d’admettre un amendement qui soumette les transferts à l’approbation du pouvoir exécutif, il est également inutile de conserver l’article 64 qui défend les transferts non autorisés par le conseil. Pour être conséquent, il faut traiter de la même manière et l’article 64 et l’amendement du ministre.
Je ne suis pas d’accord non plus d’accord avec M. le rapporteur sur l’application qu’on fera de l’article 64. Voici, selon moi, de quelle manière cet article sera appliqué :
En 1834, par exemple, le conseil arrête le budget de 1835 ; dans la session de 1835, on s’aperçoit qu’on peut utilement transférer un crédit de ce budget d’un chapitre à un autre ; ce transfert est opéré par le conseil, conformément à l’article 64, et sa décision à cet égard, est envoyée à l’approbation du Roi, conformément à l’amendement de M. le ministre.
Je crois donc que, si vous admettez l’article 64, il faut aussi admettre l’amendement de M. le ministre ; et que, si vous rejetez cet amendement, il faut également ne pas conserver l’article 64. On pourrait, au reste, combiner les deux dispositions de manière à les réunir en une seule.
M. de Theux, rapporteur. - Je crois qu’on ne peut toucher à l’article 64, parce qu’il a été voté sans amendement. Si nous pouvions ainsi mettre de nouveau en discussion tous les articles votés sans modifications, il n’y aurait pas de terme à la discussion.
Du reste, si on persistait à vouloir accueillir l’amendement que, pour moi, je regarde comme inutile, on pourrait insérer dans l’article 79 : « Sont soumis à l’approbation du Roi les budgets et les modifications qui pourraient y être faites. »
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est parce que j’ai proposé la disposition relative que ma proposition me semble assez bien placée pour régulariser les dépenses du budget. J’ai proposé cette disposition à l’article 64 ; mis si on y voit quelque inconvénient, on pourrait la renvoyer à un autre article.
D’après la rédaction de la section, il m’a paru que l’approbation du conseil était suffisante pour opérer le transfert d’un chapitre du budget. En entendant l’article dans ce sens, il y a lacune, et l’approbation du Roi est, je crois, nécessaire.
M. Lardinois. - Je considère l’amendement non seulement comme utile, mais comme indispensable.
On fait observer que lorsque le conseil aura approuvé un transfert, le transfert sera bon ; je crois que lorsque le conseil sera occupé à former un budget, il ne se prononcera pas sur les transferts ; il terminera seulement les articles spéciaux. Si, dans la session suivante, le conseil avait à délibérer sur un budget antérieur, pour opérer le transfert, l’honorable rapporteur trouve que le budget doit recevoir l’approbation royale ; mais il est indispensable d’avoir l’approbation royale en tout temps, d’après la disposition que vous avez adoptée, relativement à la cour des comptes.
Il faudra, pour opérer le transfert d’un article du budget à un autre, que l’on prenne un arrêté, et cet arrêté ne pourra être pris que par l’autorité royale ; le budget sera alors transmis à la cour des comptes qui opérera le visa. S’il en était autrement, la cour refuserait son visa ; vous voyez donc que l’approbation royale est indispensable.
L’amendement de M. Fallon est appuyé, et M. le président en donne une nouvelle lecture ; cet amendement est ainsi conçu : « Les comptables provinciaux pourront se pourvoir devant la cour des comptes contre les décisions des conseils relatives à l’arrêté de leurs comptes. »
M. Dubus. - Je crois que la proposition de M. Fallon doit être renvoyée à la section centrale. Nous faisons, il me semble, une partie de la loi provinciale par improvisation.
D’après le règlement, il doit y avoir un examen préalable de toutes les propositions et de tous les amendements.
Je ne vois pas pourquoi nous ne suivrions pas cette marche pour l’amendement qui vous est soumis.
M. de Theux, rapporteur. - L’observation de M. Dubus se rapporte à des amendements présentés sur des articles déjà votés ; s’il en était autrement, on ne pourrait adopter d’amendements à des articles non votés.
L’amendement de M. Fallon fait suite à un article non adopté ; il peut donc être voté sans que le règlement soit violé.
M. d’Huart. - On peut, je crois, voter sur l’amendement de M. Fallon, et lors du second vote on pourra y revenir s’il y a lieu.
Il me paraît, du reste, qu’on pourrait ajouter à cette disposition que, en cas de contestation entre le comptable provincial et le conseil, celui-ci aura son recours libre contre le comptable devant la cour des comptes.
M. Donny. - Je pense aussi qu’il serait utile de renvoyer l’amendement à la section centrale, car cet amendement ne me paraît pas complet.
Si j’ai bien compris l’honorable auteur de la proposition dans ses développements, son but est que les contestations qui pourraient s’élever entre les comptables provinciaux et les conseils, soient toutes renvoyées devant la cour des comptes ; il ne veut pas que ces contestations viennent jamais devant les tribunaux ordinaires.
Si vous voulez atteindre ce but, il ne vous suffit pas de dire que le comptable provincial pourra prendre son recours devant la cour des comptes, il faut statuer aussi sur ce que le conseil devra faire lorsqu’il voudra lui-même intenter une action contre le comptable ; comme, par exemple, lorsqu’il voudra poursuivre un comptable qui ne rend pas ses comptes ; il faut dire que cette action sera également portée devant la cour des comptes.
Le conseil provincial ne pouvant pas se rendre justice lui-même, il faut bien qu’il s’adresse à un tribunal quelconque, et vous devez lui indiquer ce tribunal, si vous voulez compléter la disposition et atteindre le but proposé.
M. Fallon avait d’abord énoncé son idée d’une manière plus précise, lorsqu’il avait parlé de porter toutes les contestations entre des comptables provinciaux et des conseils devant la cour des comptes ; si l’amendement était rédigé dans ce sens, il me satisferait mieux. Tel qu’il est, je ne le crois pas susceptible d’être admis.
M. de Theux, rapporteur. - Si le comptable a quelque raison de se plaindre de l’autorité du conseil, il a le droit de se pourvoir devant la cour des comptes ; d’un autre côté, puisque le conseil arrête les comptes du budget, si les comptables ne rendent pas leurs comptes, s’il y a lieu à un recours contre eux, c’est également à la cour des comptes qu’il faut s’adresser. Je ne vois rien dans ces deux cas qui puisse présenter des difficultés.
M. Dubus. - Il y a ici une question de constitution.
L’article 116 de la constitution porte :
« La cour des comptes est chargée de l’examen de la liquidation des comptes de l’administration générale et de tous comptables envers le trésor public. »
Vous voyez que ses attributions sont bornées à l’examen et à la liquidation des comptes de l’administration générale et de tous les comptables envers le trésor public.
Par l’amendement qui vous est proposé, vous allez étendre les attributions de la cour des comptes en déférant à son jugement les liquidations des comptables envers les provinces. Tout à l’heure, on demandera la même chose pour les comptables envers la commune. Vous ne pouvez pas improviser un amendement d’une pareille portée. Je ne dis pas que la disposition soit mauvaise, mais elle a besoin d’être examinée, et il serait inconvenant de forcer des membres à se prononcer sans examen. Quant à moi, si on s’opposait au renvoi, je m’abstiendrais.
M. Fallon. - On peut admettre mon amendement sans craindre de porter atteinte à la constitution. D’après les principes posés dans la loi d’organisation provinciale, nous ne devons pas nous dissimuler que nous avons rendu les provinces comptables de l’Etat. Nous les avons chargées de faire des dépenses qui incombaient à l’Etat, et, à cet effet, nous leur confions les subsides du trésor. C’est pourquoi nous avons donné au gouvernement la faculté de porter à leur budget les dépenses obligatoires, quand les conseils omettraient de les y comprendre. Les provinces, étant chargées de pourvoir à des dépenses obligatoires, sont devenues comptables de l’Etat ; et, dans leur comptabilité étant représentées par leurs receveurs, ceux-ci deviennent comptables de l’Etat.
Nous pouvons donc appliquer les dispositions de la constitution aux comptables de l’Etat en général.
Vous voyez que mon amendement n’est pas contraire à la constitution.
M. de Theux, rapporteur. - Si on prononçait le renvoi à la section centrale, il faudrait retarder le vote définitif, car on ne pourrait le fixer qu’après le rapport de la section centrale et le vote de la chambre sur cet amendement.
On pourrait l’adopter provisoirement, sauf à en faire l’objet d’un examen particulier lors du second vote.
M. Dubus. - La raison qu’on donne n’est à mon avis rien moins que satisfaisante. A quoi tient-il que nous devions voter un article provisoirement ? Parce que nous sommes à la fin de la délibération et que nous venons d’être saisis par la proposition ? Mais rien n’empêche que trois ou quatre autres articles ne soient présentés de la même manière, et qu’on ne vous propose de les voter sans examen. Nous ne devons rien voter avant d’avoir examiné, pour rapprocher le moment du vote définitif.
En toute matière et surtout dans les matières graves, il faut examiner avant d’émettre un vote. La dignité de la chambre y est intéressée. C’est dans la loi d’organisation de la cour des comptes que cet article doit être placé s’il est voté. Une loi a été faite pour organiser la cour des comptes. Cette loi est susceptible de révision, dans un délai déterminé. Quand la chambre s’en occupera, elle comblera les lacunes que peut présenter la loi faite par le congrès. Il n’existe au reste pas encore de receveurs provinciaux. Ce n’est que pour le cas où il conviendrait à un conseil provincial d’en établir, que la disposition pourrait recevoir son exécution. Il n’y a donc pas urgence. Ce n’est pas non plus ici sa véritable place, mais dans une autre loi dont vous aurez à vous occuper dans une session prochaine. (Aux voix ! aux voix !)
- Le renvoi à la section centrale est mis aux voix et rejeté.
M. Dubus. - J’ai demandé l’ajournement.
- L’ajournement est mis aux voix.
Deux épreuves sont douteuses.
M. le président. - On va passer à l’appel nominal.
- Plusieurs voix. - Non ! non ! c’est inutile.
- Une troisième épreuve. (Oui ! oui !)
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande la permission de donner une explication.
Je crois que ce que l’honorable M. Dubus a demandé n’est pas un ajournement proprement dit, mais un rejet. Si c’était un ajournement, il en résulterait que le vote définitif de la loi serait subordonné au sort de la proposition, serait ajourné.
Ce qui donne l’apparence d’un ajournement à la proposition de l’honorable membre, c’est qu’il a dit qu’il pensait que cette disposition trouverait plus utilement sa place dans une loi de révision des attributions de la cour des comptes.
On ne doit pas trouver éparses les attributions de cette cour, mais les réunir dans une loi spéciale. C’est sous ce rapport que j’ai appuyé l’ajournement, c’est-à-dire le rejet.
M. le président. - Je crois que c’est comme cela que tout le monde avait compris.
M. Dubus. - En proposant l’ajournement, je n’ai pas eu l’intention de suspendre le vote de la loi actuelle, car j’ai demandé le renvoi à une autre loi. J’ai énoncé ainsi ma proposition parce que je n’entendais proposer ni l’adoption ni le rejet.
La proposition paraissait nécessiter un examen. Quand nous nous occuperons de la loi sur la cour des comptes, nous nous livrerons à cet examen.
M. Fallon. - D’après les considérations qui ont été exposées, je ne m’oppose pas à l’ajournement.
M. le président. - Si personne ne reprend la proposition, je la considère comme retirée.
La loi est terminée. Le vote définitif sera ultérieurement fixé, quand les amendements auront été imprimés.
M. le président. - Nous allons passer au second objet de l’ordre du jour, à la discussion du projet de loi contre les démonstrations en faveur de la famille d’Orange-Nassau.
M. Jullien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.
Messieurs, le temps que nous consacrons à la discussion des intérêts généraux, en éloignant beaucoup d’entre nous de leurs affaires, les oblige à sacrifier leurs intérêts. Il est même préjudiciable à l’administration publique en ce qu’un grand nombre de fonctionnaires de l’ordre judiciaire et administratif sont forcés de négliger leurs fonctions.
Il serait bien de régler les travaux de la chambre de manière à pouvoir apercevoir le terme prochain de la session.
J’aurai l’honneur de rappeler qu’à différentes reprises la chambre a décidé qu’on s’occuperait exclusivement des lois d’organisation communale et provinciale. Si nous avons commencé par la loi provinciale, c’est parce que le rapporteur de la loi communale n’était pas prêt. On était même dans l’intention de suspendre la loi provinciale pour reprendre la loi communale si le rapport était fait, parce qu’il était plus logique d’organiser la commune avant d’organiser la province. En effet on ne commence pas à bâtir une maison par le faîte.
Mais enfin, au défaut de ce rapport, on a discuté la loi provinciale. Je désirerais savoir dans quel état se trouve ce rapport. Je sais que M. Dumortier, indisposé comme il l’est, ne peut s’en occuper. Je serais d’avis, si cela ne rencontrait pas d’opposition, que l’on n’attendît pas le rapport sur la loi communale, et qu’on procédât immédiatement à son examen. Le pays peut très bien se passer d’une loi de suspects. Il a besoin d’une loi communale. Je demande que vous vouliez bien fixer l’ordre de vos travaux.
M. H. Dellafaille - Il paraît que le rapport sur la loi communale est très avancé. Il n’a pas été possible de le terminer parce que la section centrale pour la loi provinciale étant continuellement assemblée, il a été impossible de convoquer la section centrale pour la loi communale, qui se compose de 4 membres de la première. De plus, nous avons eu des renseignements à demander sur le cens électoral. Ils ne nous sont parvenus que depuis quelques jours, et leur arrivée donnera lieu à une réunion demain.
M. Dubus. - Je puis déclarer que l’honorable rapporteur de la loi communale est entré en pleine convalescence, et que dans quelques jours il sera rendu à ses travaux. Le rapport dont la rédaction lui a été confiée est déjà très avancé, et il serait déjà terminé s’il n’avait pas été atteint d’une indisposition que nous devons tous regretter. J’ajouterai que j’apprends avec plaisir que M. le ministre de l’intérieur a enfin envoyé les renseignements que la section centrale attendait avec impatience.
M. Jullien. - Je demande que la chambre règle l’ordre de ses travaux.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Mais cela a été décidé.
M. Jullien. - Depuis six mois il y a eu 5 ou 6 délibérations pour assurer la priorité aux lois provinciale et communale. Depuis on en a présenté une foule qui tendent à écarter la discussion de cette dernière. Je demande que la chambre soit consultée sur la question de savoir si elle passera dans quelques jours à la discussion de la loi communale, dans l’hypothèse où le rapport serait fait je ne sais quand.
M. A. Rodenbach. - M. Dumortier dans quelques jours sera parmi nous. Le rapport sur la loi communale nous sera bientôt présenté. Il a déjà été décidé que nous nous occuperions du projet de loi contre les démonstrations en faveur de la maison d’Orange. Nous devons donc nous en occuper actuellement. (L’ordre du jour !)
M. d’Huart. - La chambre avait décidé, comme l’a fait observer M. Jullien, qu’elle s’occuperait, toute affaire cessante, de la discussion des lois provinciale et communale. Si l’on n’a pas abordé la loi communale la première, c’est que le rapport n’en était pas prêt.
La loi sur les démonstrations orangistes que nous allons entamer ne soulèvera pas une longue discussion. C’est tout au plus si elle pourra nous tenir trois jours. Lorsque nous l’aurons votée, que ferons-nous ? Je regrette que l’indisposition de M. Dumortier l’empêche de continuer son rapport. Mais puisque la section centrale avait choisi deux rapporteurs, le second rapporteur ne pourrait-il pas compléter le travail de l’honorable M. Dumortier ? Je crois que si le président de la section centrale voulait s’entendre avec ce dernier, nous pourrions obtenir la pièce qui nous empêche d’entamer la discussion de la loi communale.
M. H. Dellafaille - M. d’Huart se trompe en avançant qu’il y a deux rapporteurs pour la loi communale. Il n’y en a qu’un qui est l’honorable M. Dumortier. Le travail étant excessivement long, la section centrale a chargé l’un de ses membres de la rédaction des articles, en conséquence des décisions de la section centrale.
M. d’Huart. - Les décisions de la section centrale sont ce qu’il y a de plus important. Il se trouvera bien dans l’assemblée des membres de cette section qui suppléeront de vive voix à l’insuffisance du rapport.
M. Dubus. - Je m’étonne que l’on demande à la chambre de se passer du rapport sur la loi communale. On aurait dû dans l’ordre des convenances faire cette proposition plus tôt. Mais maintenant que j’ai annoncé à la chambre la convalescence de notre honorable collègue, il y a quelque chose d’étrange à vouloir se passer du rapport qu’il est à même d’achever.
Je concevrais peut-être que l’on marquât un pareil empressement, s’il ne nous restait aucune loi à discuter. N’avons-nous pas la loi sur les circonscriptions cantonales, dont l’urgence est bien démontrée, puisque vous avez fixé l’époque assez rapprochée où devra avoir lieu la réorganisation des justices de paix ? Cette loi est d’autant plus nécessaire que les juges de paix sont amovibles.
Je vous rappellerai également la loi que M. Brabant a présentée sur les revenus des fabriques, la loi proposée par M. A. Rodenbach et Desmet sur la sortie des toiles et lins.
M. d’Huart. - L’honorable M. Dubus a qualifié d’inconvenante la motion que j’ai faite de discuter la loi communale sans attendre que le rapport nous en fût présenté ; il importe de me justifier de cette inculpation. La chambre voudra bien se rappeler qu’elle a décidé elle-même qu’elle se passerait de ce rapport, s’il ne lui était bientôt présenté. Cette décision a été prise avant la maladie de M. Dumortier.
- Plusieurs voix. - Cela est vrai.
M. d’Huart. - Quand bien même cette décision n’aurait pas été prise, il n’y aurait rien d’inconvenant, rien d’étrange à ce que la chambre s’occupât immédiatement de la loi communale. Lorsqu’il s’agit de l’intérêt du pays, toutes les considérations personnelles doivent être mises de côté. Je commence par déclarer que je suis l’ami de M. Dumortier ; mes paroles ne peuvent donc avoir rien de blessant pour lui. Mais je le répète, quand l’intérêt du pays l’exige, de pareilles considérations ne doivent pas nous arrêter. M. Dubus nous a fait une énumération de lois à discuter. L’on pourrait en citer encore d’autres. Mais les plus importantes, celles qui doivent passer avant tout, sont la loi provinciale et la loi communale. Cela est devenu incontestable.
- La chambre passe à l’ordre du jour.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, l’urgence d’une loi répressive contre les démonstrations publiques en faveur de la famille d’Orange-Nassau a été généralement sentie dans toute la Belgique ; aussi lorsque M. le ministre de la justice a présenté ce projet de loi, des témoignages d’approbation ont retenti dans cette enceinte ; si on y remarque quelques dispositions sévères, et si les sections en ont encore ajouté de plus rigoureuses, cela ne doit point inquiéter la nation : pour éviter un nouveau 6 avril, il faut bien mettre à l’abri de nouvelles provocations cette classe du peuple qui se laisse si facilement tromper par les chefs de parti et qui souvent ne connaît même pas les lois contre les dévastateurs.
Il n’est malheureusement que trop vrai que les vrais coupables ne sont pas toujours ceux qui pâtissent le plus ; on en a vu au contraire qui spéculent sur le pillage comme il y a des marchands qui exploitent leur banqueroute, et ces coupables osent appeler cela « s’enrichir suivant les règles de l’art. » Tels qui ne possédaient pas 15,000 francs en réclament 100,000.
Quoiqu’il en soit, nous sommes tous convaincus, que les orangistes doivent jouir au même degré que nous, des bienfaits de la loi qui protège les personnes et les propriétés, mais qu’ils en jouissent en paix et qu’ils ne jouent pas le vil et méprisable rôle de provocateurs.
Tout récemment encore, à défaut de lois, un tribunal a dû acquitter un individu qui s’était permis d’attacher à sa boutonnière le ruban de l’ordre dont se décorent nos ennemis, des cris vive le prince d’Orange ont été proférés, et je crois devoir répéter dans cette enceinte qu’au mépris de la nation belge, un brick étranger est entré dans le port d’Anvers, ayant un pavillon hollandais hissé à son mât. Le peuple est indigné qu’on attaque ainsi, avec la plus dégoûtante impudeur et avec la plus insigne mauvaise foi, son œuvre de septembre.
Il était donc du devoir du gouvernement de prévenir de pareils faits, dans l’intérêt même et pour la sûreté personnelle des partisans de la dynastie expulsée. Il est reconnu d’ailleurs que la famille d’Orange, par son argent corrupteur et par sa constante et odieuse tactique, a en tout temps excité la population au pillage et à l’assassinat ; on sait du reste que les troubles du 6 avril ont eu leur source dans les démonstrations orangistes ; l’audace des ennemis de l’ordre établi alla si loin, que le peuple irrité se porta à des excès sur lesquels ont gémi tous les cœurs honnêtes. Les audacieuses provocations des orangistes ne cesseront qu’après que les projets de loi qui nous sont soumis seront mis en vigueur : les dispositions qu’ils contiennent contribueront puissamment à maintenir dans le pays la tranquillité publique et ne manqueront pas de produire un excellent effet à l’étranger. Au surplus, la loi en discussion ne sera qu’une loi temporaire puisque l’article 8 porte qu’elle cessera d’avoir son effet lors du traité définitif entre la Hollande et la Belgique.
Je terminerai mes observations en adhérant de toutes mes forces au projet de loi en discussion et auquel, j’espère, applaudiront tous ceux qui ne veulent plus de commotions politique et qui voient avec peine nos prisons se remplir de malheureuses dupes qui se sont laissé égarer.
M. Gendebien. - Messieurs, je regrette que le gouvernement ait cru nécessaire de proposer la loi qui est soumise à nos délibérations ; venir présenter une loi contre un parti qui nous a donné si récemment encore une preuve de sa faiblesse, c’est vouloir donner à l’étranger une idée bien fausse de l’opinion publique, de l’opinion qui domine en Belgique, de l’opinion de l’immense majorité des Belges.
Quoi, messieurs, depuis les journées à jamais mémorables de septembre, aucun pouvoir, quelque faible qu’il ait été, quelles que soient les attaques auxquelles il a été en butte de la part d’hommes aujourd’hui au pouvoir, et qui convoitaient alors son héritage, jamais on n’avait songé aux lois d’exception. Je me trompe, un membre du congrès, sans l’aveu des membres du gouvernement provisoire, ou au moins sans m’avoir consulté, car j’étais alors à Paris, a proposé une loi d’exception.
Je ne sais si elle eut seulement les honneurs de la lecture, mais je me rappelle parfaitement qu’elle fut repoussée par l’unanimité du congrès, et avec indignation. C’était, disait-on, donner une preuve de faiblesse, c’était accuser la révolution. Eh bien, aujourd’hui à plus forte raison n’est-ce pas révéler la faiblesse du gouvernement ? Je ne dirai pas que c’est accuser la révolution ; la révolution est étrangère à ces aberrations ; la révolution est déjà bien loin de nous : mais c’est accuser le gouvernement, et avec lui les institutions produit de la révolution. Quoi ! les lois sur la presse, le code impérial ne vous suffisent plus ! Nous sommes donc sur un volcan ! Le parti orangiste balance donc le parti patriote, puisque nous sommes obligés d’armer le gouvernement contre ce parti !
Certes, si le gouvernement avait suivi les principes de la révolution, s’il avait respecté la constitution et les lois, il ne serait pas conduit à demander des lois d’exception contre les ennemis si rares de la révolution et de nos institutions actuelles.
Messieurs, en général consultez l’histoire, et vous verrez que les lois d’exception ont toujours été portées par des gouvernements faibles qui, sentant en eux-mêmes le principe de la réprobation, et cherchant à cacher les motifs réels de cette réprobation publique, recouraient aux lois d’exception, bien plutôt pour détourner l’attention publique que pour contraindre ses ennemis à se taire.
Que doit-on penser au-dehors d’un gouvernement qui, d’une part, laisse faire des pillages aux cris de vive le roi ; qui, d’autre part, ne sait pas obtenir justice de quelques écrits, de quelques provocations isolées ? Mais où sont ces écrits, ces provocations ? Pour les écrits je ne les lis guères, ou plutôt je ne les lis pas du tout ; je ne vois pas de journal orangiste, mais j’en entends parler quelquefois. Dans une discussion récente, les ministres ont parlé longuement de l’insolence de la presse orangiste ; mais n’avez-vous donc pas des loi, des tribunaux, le jury ?
Est-ce que vous êtes dépopularisés au point de n’avoir plus de confiance dans le jury ? Est-ce que vous êtes dépopularisés au point d’avoir besoin de lois d’exception ? Etes-vous dépopularisés au point d’avoir besoin d’effrayer pour vous maintenir au pouvoir ?
Sans doute vous ne pouvez plus dès lors compter sur l’assentiment de la nation ; vous ne pouvez plus compter sur la majorité de la nation. Si vous n’aviez pas cette conviction, vous seriez tranquilles sur les attaques de la minorité ; je dis de la minorité, si tant est que ce parti mérite une telle qualification ; car vraiment ce parti vaut la peine qu’on le qualifie même de minorité.
Lorsque la Belgique était dépourvue de tout administration, armée, finances, nous étions libres et sans inquiétudes, parce qu’on se reposait sur le cœur généreux des patriotes ; mais aujourd’hui on est inquiet, parce que les hommes qui sont au pouvoir ne sont plus ce qu’ils étaient alors. Car, depuis la fin du congrès, le gouvernement ne marche plus que de déceptions en déceptions ; il n’agit que par fraude et surprise ; il se consume en expédients honteux pour arracher par la fraude et la déception les fruits d’une révolution si belle, si généreuse dans son principe. Il s’aliène tous les bons, tous les généreux patriotes. Il se place dans une position exceptionnelle vis-à-vis d’eux ; il est tout naturel dès lors qu’il demande des lois d’exception contre les orangistes.
Maintenez les principes de la révolution, et vous aurez pour vous les hommes qui ont fait la révolution, les hommes énergiques qui ont eu le courage de la faire et de la suivre, et qui la veulent encore malgré tant de désappointements.
Mais que fait-on aujourd’hui ? On tourne le dos à la révolution ; les patriotes sont écartés et bafoués ; le pouvoir les calomnie en toute occasion ; d’un autre côté, on comble de faveurs et de dignités les hommes qui attaquent, qui insultent notre révolution.
Les derniers événements si déplorables, si déshonorants, et qui servent aujourd’hui de prétexte à la loi qu’on vous propose, peuvent s’expliquer par la conduite du gouvernement dans une circonstance antérieure.
Lorsqu’on apprit le résultat du siège d’Anvers, des listes nombreuses de souscription en faveur des soldats de Chassé, les soldats de la 10ème division qui avaient attaqué, incendié Bruxelles, qui y avaient massacré, et qui avaient incendié Anvers ; lorsque ces soldats sortirent de la citadelle, des listes de souscription furent répandues.
Qu’arriva-t-il ? Le mépris public fit justice de l’intention ; et les âmes généreuses ont applaudi au résultat qui a tourné au soulagement de l’humanité. Qu’a fait pendant ce temps-là le gouvernement ? Il a été plus loin ; il a choyé, il a admis et invité aux banquets de la cour ceux qui trois jours auparavant signaient les listes de souscription ; il les a invités à l’exclusion des bons patriotes.
Cette conduite, qui établit un contraste si frappant avec les derniers événements, vous prouve assez que ce n’est pas à l’absence des lois, mais à l’imprudence du gouvernement qu’on doit les funestes événements du mois d’avril. Et en effet, avez-vous quelque faveur à accorder ? elle est pour un orangiste ; elle est pour les hommes qui ont voté contre l’exclusion des Nassau, qui ont parlé contre l’exclusion du roi Guillaume.
Oui, le pouvoir repousse les patriotes et accueille bien les orangistes.
En voulez-vous connaître la raison ? Le pouvoir ne s’en cache pas. C’est que les hommes qui sont restés fidèles au roi Guillaume offrent plus de garantie de fidélité à la dynastie actuelle que les patriotes toujours suspects ; car les hommes qui ont eu le courage de faire une révolution contre l’arbitraire et le despotisme pourraient avoir le courage d’en faire une seconde contre les mêmes abus. Mais ne vous mettez pas dans le cas de provoquer une nouvelle révolution, et les patriotes ne la feront pas, et les patriotes vous sauveront contre le parti orangiste, vous sauveront contre vous-mêmes.
Au lieu de faire des cajoleries aux orangistes, donnez toutes vos réflexions à la fausse position où vous mettez le pays vis-à-vis des autres nations. (M. le ministre de l’intérieur dit à M. le ministre de la justice quelques mots que nous ne distinguons pas.)
Je ne sais si M. le ministre de l’intérieur trouve cela joli ; mais j’attends sa réponse ; pour moi je lui dirai que le moyen de donner de la force au ministère c’est de ne pas sortir des voies légales ; je lui dirai que plutôt que de recourir aux lois d’exception, un ministre qui se respecte doit donner sa démission. Il devrait savoir qu’un ministre qui doit recourir aux lois d’exception, reconnaît par cela seul qu’il s’est mis hors la loi, reconnaît par cela seul qu’il doit substituer la terreur à la confiance qui ne peut être que le produit de la loi.
J’aurais bien autre chose à dire ; mais je ne suis guère disposé à parler. Je me borne donc à protester contre cette loi d’exception ; je n’en veux pas plus contre mes ennemis que contre mes amis. Aujourd’hui on vous demande une loi contre les orangistes, demain on vous en demandera une autre contre les patriotes, contre de prétendus républicains, contre les membres de cette si affreuse société des Droits de l’Homme, ces grands perturbateurs du repos public ; et, de loi d’exception en loi d’exception, nous finirons par tomber dans le pire de tous les gouvernements, le gouvernement militaire, le gouvernement du sabre.
Sous ce rapport encore j’aurais beaucoup de choses à dire. On adresse bien mal à propos des flatteries à l’armée ; mais cette armée, composée en grande majorité de Belges, n’abusera pas de l’influence qu’on voudrait lui donner ; les militaires belges savent bien que, sans l’assentiment de leurs concitoyens, l’armée ne peut rien ; ils savent bien, nos braves Belges, qu’ils ne portent l’épée que pour le maintien de nos institutions : mais il est des étrangers dans cette armée et ceux-là pourraient céder à la flatterie ; car ils ne connaissent ni nos institutions, ni nos mœurs, ni la volonté, ni la persévérance de la nation.
Si je voulais entrer dans quelques développements, je vous dirais comment on se conduit à l’égard des officiers, messieurs, je ne saurais trop m’en plaindre, car c’est là une injustice qui m’opprime ; après les désastres du mois d’août on a destitué en masse les hommes qui avaient fait la révolution, et l’on a appelé les conspirateurs du mois de février et du mois de mars ; on leur a donné les grades au détriment de ceux qui s’étaient battus dans les journées de notre révolution.
Soyez justes envers les patriotes, et vous aurez l’immense majorité de la nation : si vous persistez à être injustes envers les hommes énergiques de la révolution, dans la crainte mal fondée qu’ils sont disposés à en faire une seconde, alors il vous faudra des lois d’exception ; il ne vous en faudra pas une seule, mais dix.
Au reste, je parlerais inutilement contre les lois d’exception ; ne sommes-nous pas dans un temps, dans un régime complet d’exception ? On l’a déclaré hautement et publiquement dans cette enceinte. On s’est mis au-dessus de la constitution ; on l’a violée ; et on a déclaré, même hautement, qu’on se mettrait au-dessus de la loi fondamentale toutes les fois que le salut du pays l’exigerait, c’est-à-dire toutes les fois qu’on craindra de perdre un portefeuille.
Vous avez entendu la théorie de l’arbitraire développée par un séide du pouvoir qui n’a pas trouvé de champs assez larges. Cette théorie n’a été combattue par aucun membre du gouvernement. Eh bien, puisque le pouvoir a osé proclamer l’arbitraire en théorie comme règle générale de sa conduite, pourquoi demande-t-il une loi particulière d’arbitraire ? n’est-il pas constitué en état d’arbitraire ? n’est-il pas placé au-dessus des lois ? pourquoi sollicite-t-il de l’arbitraire légal ?
Il demande une loi spéciale pour faire de l’arbitraire ; est-ce parce que cette loi frappe la révolution d’un stigmate nouveau ? Est-ce pour faire croire à l’étranger que les partis se balancent ici et qu’on a besoin d’armer un parti pour contenir l’autre ? Si ce n’est là le motif, je n’en vois pas d’autre. Quant à moi, Belge et toujours patriote, je proteste contre la proposition du gouvernement.
Je proteste en ce sens que je désavoue hautement les conséquences qu’on pourrait en tirer à l’étranger. Oui, je désavoue hautement toute insinuation qui tendrait à faire croire que le patriotisme diminue en Belgique, et qu’il se montre tiède ou timide quand il s’agit de défendre les institutions ! Oui, je désavoue la proposition du gouvernement, en ce sens qu’elle ferait croire que le parti orangiste a pris de la force en Belgique ! Faites régner les lois, et vous verrez dans les moments de danger qui saura défendre le pays ; non pas les hommes qui le déshonorent, mais ses libertés, ses institutions.
Je proteste donc. Quant à la discussion de la loi, je n’y prendrai probablement nulle part ; si cette loi doit passer, elle ne saurait être trop mauvaise.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’honorable M. Gendebien nous accuse de deux choses, de faire des lois d’exception contre les orangistes et de faire des cajoleries aux orangistes ; je demanderai comment ces deux choses peuvent se concilier.
M. Gendebien. - Vous avez fait des cajoleries aux orangistes !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Vous avez dit qu’on en faisait encore, qu’on donnait les places aux orangistes… Au mot de cajoleries, je me suis retourné du côté de mon collègue le ministre de la justice et je lui ai dit : Ce sont de jolies cajoleries que des lois d’exception ! Ainsi, le mot joli qui a été relevé par l’orateur ne s’appliquait pas à son discours.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - La chambre voudra bien me permettre de rester dans le sujet qui est en discussion. A des récriminations, qui certes n’ont pas le mérite de la nouveauté, je pourrais opposer d’autres récriminations ; mais je crois que la chambre me saurait mauvais gré de porter le débat sur un semblable terrain. Pour répondre à l’honorable préopinant, il faudrait faire comparaître ici beaucoup de personnages, notamment tous les ministres qui successivement ont dirigé le département de la guerre ; il faudrait y faire comparaître le grand-maréchal du palais, si toutefois il doit supporter la responsabilité des banquets et des bals de la cour ; responsabilité qui jusqu’ici n’a pas été, que je sache, imposée aux ministres par la constitution. Mais la chambre m’autorisera à ne pas tenir comptes de ces généralités et à aborder directement la discussion de la loi.
Si le gouvernement avait pu concevoir quelques scrupules sur la nécessité de la loi qui vous est soumise, ces scrupules auraient été dissipés par la triste réaction dont nous avons été témoins dans les journées des 5 et 6 avril ; journées déplorables dans lesquelles, je ne crains pas de le dire, les ministres ont fait leur devoir au milieu de circonstances difficiles.
Je crois que sur ce point l’opinion du pays est d’accord avec l’opinion de la majorité de cette chambre qui n’a pas voulu laisser planer le moindre blâme sur la tête des ministres relativement à ces tristes événements.
Si, après d’aussi déplorables excès, qui certes n’ont pas mis un seul instant en péril l’indépendance de la Belgique, ni le sort de la dynastie, le gouvernement avait conservé encore des doutes sur la nécessité de cette loi, ils auraient été entièrement levés et par l’accueil que la présentation du projet a reçu dans cette enceinte, et par l’accueil qu’il a reçu, presque sans exception, de la presse véritablement nationale.
Messieurs, je ne conçois pas la théorie de l’honorable préopinant. Quoi ! Des lois d’ordre public ne devraient jamais être présentées aussi longtemps que l’existence d’un gouvernement ne serait pas remise en question ? Quoi ! la répression légale, la répression exercée par le jury, c’est-à-dire, par le pays lui-même, cette répression ne pourrait être demandée que contre des actes qui auraient, par la sympathie qu’ils rencontreraient dans une partie de la nation, un tel caractère de gravité qu’elles mettraient l’Etat en péril ? Quoi ! l’on continuerait de nier le danger des réactions populaires, de nier le danger de conflits qui, en l’absence d’une répression légale, peuvent venir journellement contrister les bons citoyens, et cela aussi longtemps que le sort de la nationalité et de la dynastie ne serait pas remis en question ?
Telle n’est pas la conduite d’un gouvernement prévoyant, d’un gouvernement qui veut atteindre jusque dans leur source le germe des collisions dont nous avons eu l’affligeante expérience. Un gouvernement qui se fierait sur les antipathies nationales du soin de faire justice d’insolentes provocations ne mériterait pas le nom de gouvernement : ce serait, de sa part, substituer le règne de la force brutale au règne des lois.
Nous ne voulons pas de répression comme en mars 1831, comme en avril 1834 ; si de pareilles scènes venaient encore attrister les bons citoyens, il est du devoir du gouvernement, il est du devoir des chambres d’en décliner la responsabilité en substituant à une tolérance trop généreuse un ordre de répression qui restreigne le cercle de ces éventualités désastreuses.
Tel est l’unique but du projet en discussion. L’exposé des motifs franc et sincère qui le précède, ne laisse aucune espèce de doute sur ce point.
Messieurs, est-ce au gouvernement belge, est-ce au ministère, est-ce au ministre qui a l’honneur de vous parler, qu’on peut reprocher l’envie désordonnée d’un appel aux lois d’exception ? Dans quel pays le gouvernement a-t-il poussé plus loin la tolérance, je dirai même la longanimité ?
Et, si quelques reproches peuvent être adressés à l’administration, c’est d’avoir poussé cette longanimité trop loin ; c’est de n’avoir pas fait usage de la répression que les lois lui offraient, quoique d’une manière incomplète, ou de ne pas avoir demandé de nouvelles armes au patriotisme des chambres. Si quelques doutes, quelques scrupules nous avaient préoccupés, voilà les seuls qui eussent assailli notre esprit en présentant la loi actuelle.
Je crois qu’une discussion générale sur le projet en discussion, de ma part du moins, serait assez superflue ; car la valeur intrinsèque de la loi, ses bons côtés, ou ses défauts, n’ont encore été discutés par personne.
Je dois le déclarer, pour simplifier la discussion, que je consens à ce que le projet de la section centrale soit mis en délibération comme base ; mais j’invoquerai les lumières d’une discussion de détail, pour savoir s’il conviendra que je me rallier à toutes et chacune des propositions qui sont faites ou qui seront faites, et pour savoir si cette discussion ne me conduira pas à proposer moi-même quelques modifications.
Je crois devoir borner à mes observations.
- Voix diverses. - A demain ! à demain !
M. le président. - Une proposition a été déposée sur le bureau par M. Eloy de Burdinne ; elle sera renvoyée dans les sections pour savoir si on en autorise la lecture.
- La séance est levée à 4 heures et quart.