(Moniteur belge n°153 et 154, des 2-3 juin 1834)
(Présidence de M. Raikem.)
La séance est ouverte à midi et demi.
M. de Renesse fait l’appel nominal.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’avant-hier ; il est adopté sans réclamation.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pétitions suivantes adressées à la chambre.
« Les notaires des cantons de la Roche, Durbuy et Erezée (arrondissement de Marche), adressent des considérations à l’appui du projet de circonscription judiciaire. »
« La régence de Limbourg demande que le canton de ce nom soit maintenu. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.
« Le sieur J. Libert, maître de forges à Chanxe (Liége), réclame le paiement d’une créance de 8,077 francs 21 c., qu’il possède à charge de l’ancien gouvernement. »
« Le sieur Diepenbeek demande que la chambre prenne des mesures contre les Belges restes an service de la Hollande et contre ceux qui reçoivent encore des pensions et secours du roi Guillaume. »
- Ces deux pétitions sont renvoyées à la commission chargée de l’examen des pétitions.
« Un grand nombre de propriétaires de la province de Namur réclament contre l’évaluation donnée par le cadastre au revenu des bois. »
- Cette pétition est renvoyée à la commission chargée de l’examen de la situation des opérations cadastrales.
M. Hye-Hoys demande un congé.
- Accordé.
M. de Theux, rapporteur, a la parole pour lire un rapport de la commission centrale. (Nous ferons connaître ce rapport.)
M. le président. - M. Doignon a présenté un amendement qui formerait le dernier article du chapitre Ier du titre VI de la loi ; il est ainsi conçu :
« Les membres des conseils provinciaux ne peuvent être poursuivis ou recherchés à l’occasion des votes émis par eux dans l’exercice de leurs fonctions. »
M. Doignon. - Ma proposition n’est pas seulement la reproduction de l’article 44 de notre constitution mais j’en ai puisé les termes dans la Joyeuse entrée jurée par Marie-Thérèse le 20 avril 1744, pour les Etats de Brabant, et dont l’article 42 est ainsi conçu :
« Lorsque Sa Majesté fera convoquer les Etats de Brabant et d’Outre-Meuse , cette convocation se fera toujours quinze jours avant celui désigné pour l’assemblée.
« Chacun pourra y dire librement son opinion, sans pour cela encourir l’indignation ou la disgrâce de Sa Majesté ou de quelque autre en aucune façon. »
L’objet de cette disposition est d’assurer aux membres du conseil provincial l’indépendance d’opinion dont ils doivent jouir dans l’exercice de leurs fonctions. Sous le règne doux et paternel de Marie-Thérèse, on n’a pas négligé cette garantie ; de nos jours nous devons certainement nous montrer aussi jaloux de cette indépendance.
Il est inutile, messieurs, de vous rappeler que les anciens états provinciaux, sous le gouvernement précédent, nous ont prouvé l’utilité de cette disposition. A cet égard vous connaissez comme moi les enseignements de l’expérience.
- La proposition de M. Doignon est appuyée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - On pourrait renvoyer l’amendement à la section centrale ; il est assez important pour qu’elle s’en occupe.
M. de Theux, rapporteur. - L’amendement peut être discuté après ceux qui ont été présentés. (Appuyé.)
M. Lardinois. - Je demande que la proposition de M. le ministre de l’intérieur ne soit pas accueillie ; on examine ordinairement les amendements avant de décider qu’il y a lieu de les renvoyer à la section centrale. C’est la marche qu’il faudrait suivre ; il n’est pas besoin de donner de l’occupation inutilement à la section centrale.
- Le renvoi n’est pas adopté. La discussion sur la proposition de M. Lardinois aura lieu après les amendements déjà soumis à la chambre.
M. le président. - La discussion s’ouvre sur l’article 96 du gouvernement, ainsi conçu :
« Le Roi peut dissoudre le conseil provincial ; l’acte de dissolution contient convocation des électeurs dans les 30 jours. La députation permanente continue ses fonctions jusqu’à la réunion du nouveau conseil. »
La section centrale propose la suppression de cet article.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, nous avons besoin de déclarer, au commencement de cette discussion, que nous sommes partisans autant que qui que ce soit des libertés provinciales, que nous voulons aussi fortement que qui que ce soit l’indépendance provinciale ; mais nous entendons les libertés et l’indépendance provinciales soumises à certaines conditions, renfermées dans de certaines limites.
Nous croyons, messieurs, que les représentants de la province peuvent s’occuper avec beaucoup d’utilité de tous les intérêts desquels ils sont plus rapprochés que les représentants du pays ; ils les connaissent mieux, ils sont à même de mieux les traiter. Nous voulons tous une entière liberté, une entière indépendance pour traiter les affaires de la province ; mais nous ne voulons pas que cette liberté et cette indépendance s’étendent au-delà des limites provinciales.
Si nous voulons liberté et indépendance pour les institutions locales, nous voulons aussi cette liberté et cette indépendance pour le pouvoir central, pour ce pouvoir qui représente la nation, qui est chargé de défendre l’unité nationale. En un mot, nous pensons que l’intérêt administratif du pays est susceptible, d’être débattu et défendu partiellement, qu’il est divisible ; mais nous considérons comme indivisible, comme n’étant pas susceptible de partage, la défense de l’intérêt politique, en d’autres termes, de l’intérêt général.
Je sais qu’en reportant ses souvenirs quatre années en arrière, on se rappelle les services rendus par les états provinciaux, et ces services exercent sur beaucoup d’esprits une influence qui les porte à vouloir conserver aux conseils provinciaux, alors que toutes les circonstances ont changé, le même caractère, la même importance, la même influence qu’à nos anciens états provinciaux.
Dans mon opinion, je le dirai franchement, nos conseils provinciaux ne doivent point avoir le même caractère ni la mêmes importance que les états provinciaux du royaume des Pays-Bas. A cette époque, je le demande, où était l’unité en Belgique ? Quelle était la nationalité belge ? On la cherchait en vain, elle n’existait pas. Le pouvoir central représentait la nationalité hollandaise, non la nation belge. Qu’est-il résulté de cet état de choses ? C’est que la nationalité belge a été forcée de se réfugier dans chacune des provinces, et de là elle a déclaré la guerre à un pouvoir central, partial et oppresseur, et elle a fortement contribué à renverser ce pouvoir.
Un des bienfaits de la révolution, un de ses résultats qui la justifiera en tout temps, c’est d’avoir consacré une nationalité qui manquait au pays ; et ce n’est pas, messieurs, lorsque cette nationalité nous a coûté tant de peine, ce n’est pas lorsque tant de sang a été versé pour la conquérir, que l’on nous verra la livrer imprudemment à des chances de dissolution.
Messieurs, à quoi tendaient les esprits sous le gouvernement déchu ? A la nationalisation du pays, et à tel point que tout corps provincial exprimait des vœux non pas d’intérêt administratif, mais d’intérêt politique, d’intérêt général. Tous les efforts tendaient à nationaliser le pays.
Ce qui se passait alors dans les Pays-Bas se présente aussi dans beaucoup d’Etats d’Europe. Beaucoup de petits Etats fractionnés en portions de provinces, plus ou moins indépendantes et souveraines, tendent à former un centre commun, à former une nation. Les esprits les plus avancés de la Suisse (je cite cet Etat parce qu’il a plus d’une analogie avec le nôtre), à quoi tendent-ils ? à détruire ces souverainetés cantonales qui divisent le pays et qui affaiblissent son caractère national ; qui font que la Suisse ne peut avoir en Europe la place que devraient lui assigner la moralité, le courage de ses habitants et la position géographique du pays.
Nous ne voulons ni rétrograder à la Suisse, ni rétrograder jusqu’aux anciens temps de la Belgique auxquels il a été fait allusion tout à l’heure. La Belgique n’est pas un pays tellement étendu, qu’elle doive songer à se fractionner en neuf Etats indépendants.
Nous le répétons, nous reconnaissons toute l’influence utile que peut exercer un corps administratif dans l’administration des intérêts locaux, mais nous croyons qu’il faut restreindre l’indépendance de ces corps dans de sages limites ; c’est pourquoi nous ne voulions pas qu’ils fussent trop nombreux, parce que d’abord un trop grand nombre ne vaut rien pour traiter vite et bien les affaires, et aussi parce que plus les corps administratifs sont nombreux, plus ils auront d’importance politique, plus il y aura de chances qu’ils en prennent.
Que voulez-vous que fasse un corps législatif composé de 150 membres, si trois corps inférieurs réunis présentent une masse de députés plus nombreuse, et que ces trois corps protestent contre les actes du pouvoir législatif ?
Que voulez-vous que devienne le corps législatif si, lorsque la loi est votée, il doit courir les chances de la voir discuter, repousser même par neuf corps indépendants, et en quelque sorte souverains, chargés d’exécuter cette loi, ou si ces corps ou quelques-uns d’entre eux se coalisent pour faire des adresses, exprimer des craintes, faire des protestations ou des menaces ?
Messieurs, aux chambres législatives appartient le droit de voter l’impôt ; mais aux corps administratifs appartient celui de le répartir. Supposons que les chambres législatives aient voté un impôt qui ait été attaqué dans leur propre sein comme inconstitutionnel, et qui cependant ait été voté à la majorité de quelques voix. Lorsqu’il s’agira de le répartir dans les provinces, les corps provinciaux ou quelques-uns d’entre eux, s’appuyant de l’opinion émise dans le sein des chambres contre la constitutionnalité de l’impôt, se refuseront à le répartir, en disant qu’ils sont chargés de répartir les impositions légales et non les impôts inconstitutionnels. Et l’opposition de crier de toutes parts dans le pays que la représentation provinciale a raison, qu’elle est l’émanation des mêmes électeurs, qu’elle est même une émanation plus sincère, plus immédiate, parce qu’elle est nommée dans les cantons, tandis que les membres des chambres sont nommés dans les arrondissements, que les chambres délibèrent sous l’influence d’un pouvoir corrupteur, qu’elles cèdent à la séduction, à la crainte, à l’intrigue, tandis que les corps provinciaux délibèrent éloignés de l’influence du gouvernement.
Il y a plus, messieurs : la représentation provinciale est plus indépendante que le corps législatif ; car, dans le système de la section centrale que nous combattons, les corps provinciaux sont inviolables. On ne peut pas les dissoudre comme les chambres législatives, on ne peut pas même les ajourner ; ils pourront délibérer pendant huit jours au-delà du terme fixé pour la session, si cela leur plaît ; ils feront ce que le sénat ni la chambre des représentants ne peuvent faire. De là, messieurs, des excitations dans les provinces, pour les inviter à appuyer la représentation provinciale qui préserve la province des illégalités d’une chambre corrompue.
Mais on nous dit : Eh quoi ! vous n’êtes pas encore satisfaits ? On vous a donné le droit d’approuver ou de ne pas approuver les actes des conseils provinciaux, vous avez même le droit d’annuler ces actes s’ils blessent les intérêts généraux ou s’ils sortent de leurs attributions. Je consens à admettre pour un moment que les conseils consentiront à se soumettre à l’arrêté d’annulation. Mais que fera le pouvoir central si les conseils provinciaux refusent de se soumettre à l’arrêté d’annulation ?
On nous dira peut-être que c’est une chose qu’on ne peut pas prévoir. Mais nous avons un exemple récent d’un conseil qui a refusé de se soumettre, attendu qu’il considérait l’arrêté comme illégal. Que fera le pouvoir central dans cette occurrence ? que fera-t-il surtout pour les actes qui ne sont pas susceptibles d’être annulés ? Je ne parle pas des vœux, des protestations et des menaces qui pourront sortir des conseils provinciaux. A cela le droit d’annulation serait un vain remède, car on n’annule pas des choses immatérielles comme des vœux ou des protestations ; et cependant ce sont choses qui ont une grande importance, une grande portée. Je me bornerai, pour le prouver, à vous rappeler la portée qu’ont eue sous le roi déchu les vœux émis par les états provinciaux.
Je suppose dans le cas que je citais tout à l’heure, qu’un conseil provincial refuse de répartir un impôt ou un contingent sous le prétexte d’inconstitutionnalité ; quel sera le remède qu’on pourra apporter à cette inertie ? Vous ajournerez ? Mais nous avons déjà dit qu’on ne pouvait pas ajourner un conseil provincial, s’il lui plaisait de continuer ses fonctions huit jours encore malgré l’ajournement. Poursuivrez-vous les conseillers qui n’auront pas voulu se soumettre ? A qui ferez-vous croire qu’un pareil moyen pourra être employé ? A qui ferez-vous croire que le pouvoir central irait traîner devant une cour d’assises quarante ou cinquante conseillers municipaux pour avoir refusé de s’ajourner ? Non, de pareils moyens de répression me paraissent tout à fait illusoires, et si le pouvoir central était obligé d’y avoir recours, ce ne serait que dans les cas les plus extrêmes ; encore n’en userait-il que contre quelques membres seulement, mais non contre tout un conseil séditieux.
Reste le seul moyen praticable, efficace, au moins dans une circonstance donnée : c’est la dissolution du conseil provincial, ou en d’autres termes, puisque le mot dissolution paraît effaroucher quelques oreilles, c’est l’appel aux électeurs provinciaux. Ce moyen n’a rien de personnel, rien de dur pour aucun des individus qu’il atteint.
La dissolution n’est qu’une conséquence du système établi en Belgique pour les corps électifs. Vous avez admis le droit de dissolution pour la chambre des représentants ; vous l’avez admis, chose plus extraordinaire, pour le sénat ; et quand vous l’avez admis pour la chambre des représentants et le sénat, vous craindriez de l’admettre pour un conseil provincial, corps électif, corps élu par les mêmes hommes que la chambre de représentants et le sénat !
A quel propos veut-on cette inviolabilité des conseils provinciaux, cette exception à la règle générale ? Je n’en sais rien, j’attendrai qu’on nous le dise. Mais un des motifs qu’on a fait valoir, c’est que les écarts des conseils provinciaux ne sont pas probables. Ils seront, dit-on, composés d’hommes sages, raisonnables, qui se borneront à faire leur métier d’administrateurs et s’interdiront toutes incursions dans le domaine politique. Mais la chambre des représentants, le sénat, ne sont-ils pas composés d’hommes sages, raisonnables, d’hommes, peu portés à sortir de leurs attributions ? Cependant vous avez accordé au pouvoir central le droit de dissoudre la chambre des représentants et le sénat.
On craint que le gouvernement n’agisse par caprice, ne se montre passionné contre le conseil provincial. Mais ces craintes devraient exister plus fortes, quand il s’agit du droit de dissoudre la chambre. Je conçois que, dans des circonstances données, le ministère soit intéressé à se débarrasser d’un corps qui peut le renverser ; que par passion, par intérêt même, il provoque la dissolution d’une telle assemblée.
M. Pirson. - C’est ce qui est arrivé !
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Comme dit M. Pirson, c’est une accusation dont le ministère a été l’objet dans un autre temps.
Mais de tels motifs ne pourront pas diriger le ministère quand il n’aura affaire qu’à un conseil provincial, car le sort d’un ministère n’est pas d’être jugé par un conseil provincial ; il est justiciable du conseil national, c’est-à-dire des deux chambres.
Il n’a pas le même intérêt à se débarrasser d’un conseil provincial. Les motifs qu’on a allégués ne pourraient donc s’appliquer à la dissolution, qu’autant qu'elle concerne les deux chambres. Au reste, qu’on se rassure : un gouvernement, si passionné et si capricieux qu’il puisse être, ne se décide pas facilement à faire de tels actes. Qu’on réfléchisse seulement aux difficultés que rencontre souvent la destitution d’un seul fonctionnaire, et on verra si le gouvernement se décidera légèrement quand il s’agira de destituer une assemblée en masse.
Voyez dans quelle position une dissolution légèrement faite placerait le gouvernement. Si les électeurs pensent que le conseil provincial était composé d’hommes qui ont toujours mérité leur confiance, ils les rééliront, et le gouvernement se trouvera par sa faute en présence d’un conseil composé d’hommes qu’il aura destitués. Alors, messieurs, il aura encouru le blâme des électeurs de la province ; le blâme ne tardera pas à remonter au centre ; et dans cette chambre le ministère, auteur d’une dissolution non méritée, aura à essuyer la responsabilité d’un tel acte.
Il y a donc une double garantie contre les dissolutions qui seraient faites légèrement.
Mais, dit-on, si les électeurs provinciaux recomposent de la même manière le corps qui a été frappé de dissolution, cet acte aura été complètement inutile.
Cela est vrai, et s’il porte préjudice, ce sera au ministère qui se sera mis un embarras sur les bras ; il subira les conséquences de la légèreté de sa conduite.
Mais tout au moins, dans des circonstances extraordinaires, la dissolution pourrait être très efficace, dussent les électeurs revenir ensuite aux mêmes choix.
Je suppose, messieurs, une crise politique, une guerre prochaine et en même temps la réunion des conseils provinciaux ; si quelques-uns de ces conseils, permettez-moi cette supposition, exprimaient des vœux antinationaux, ils le feraient donc huit jours durant, et malgré le gouverneur qui ne pourrait pas les ajourner ? Si du moins le gouvernement avait le pouvoir de les dissoudre, le danger cesserait. Je ne dis pas que de telles circonstances se présentent fréquemment ; mais il suffit qu’elles puissent se présenter, pour que la sagesse nationale doive mettre le gouvernement à même de porter à de tels abus des remèdes prompts et efficaces.
La dissolution ne fût-elle même considérée que comme une simple menace que l’offrir ainsi en perspective aux conseils, ce serait déjà un moyen de les retenir dans les limites d’où ils ne doivent pas sortir. Le droit de dissolution existerait dans la loi comme une conséquence du système électif et pour rappeler aux provinces que nul pouvoir n’est appelé à jouir d’une indépendance absolue. En effet, le pouvoir exécutif dépend des chambres pour ce qui concerne, par exemple, les dépenses de l’Etat ; les chambres sont dans la dépendance du gouvernement pour ce qui concerne la sanction de leurs actes, leur ajournement, leur dissolution. Voudrez-vous établir les provinces en conseils souverains, à qui il sera libre de discuter quand et comment il leur plaira, sans que nul pouvoir n’ait le droit de mettre un frein à leur indépendance absolue ?
Messieurs, le système que nous défendons n’est-il pas en harmonie avec la constitution ? La constitution a-t-elle en effet voulu créer dans les provinces des corps indépendants, des assemblées souveraines dont le gouvernement, dans certaines circonstances, ne pourrait réprimer les écarts ? Je ne le pense pas, et il ne serait pas difficile de prouver que ce n’est pas là l’esprit de la constitution.
D’abord, si on attache beaucoup d’importance à la qualification de pouvoir provincial , je dirai que nulle part, dans la constitution les administrations provinciales et communales ne sont considérées comme des pouvoirs. La constitution ne parle que de trois pouvoirs : le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire. Quand la constitution s’occupe des administrations provinciales et communales, elle les désigne par la qualification d’institutions provinciales et communales, ce qui du moins tend à établir qu’elles ne sont pas sur la même ligne que les autres pouvoirs de l’Etat. La constitution a voulu que les institutions provinciales fussent entièrement libres, pour ce qui concerne les intérêts provinciaux, libres cependant à certaines conditions. Voici comment ces principes sont formulés dans le deuxième paragraphe de l’article 108 :
« Une loi consacrera le principe de l’attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d’intérêt provincial et communal, sans préjudice de l’approbation de leurs actes dans les cas et suivant le mode que la loi détermine. »
Ainsi tout ce qui est d’intérêt provincial entre dans les attributions du conseil, mais avec cette condition que le pouvoir central aura à approuver certains de ces actes. Ainsi, même pour ce qui a trait aux intérêts de la province l’indépendance du conseil n’est pas complète ; ses délibérations devront être soumises à l’approbation du pouvoir central.
Maintenant passons au paragraphe 5 de l’article 108 ; nous y verrons que la constitution a voulu, d’une manière expresse, que les conseils provinciaux ne puissent pas sortir des limites provinciales, nous verrons qu’elle a fait des réserves, soit pour le Roi, soit pour le pouvoir législatif.
« L’intervention du Roi ou du pouvoir législatif, pour empêcher que les conseils provinciaux et communaux ne sortent de leurs attributions et ne blessent l’intérêt général. »
La constitution a donc voulu que les conseils provinciaux ne puissent pas sortir de leurs attributions telles qu’elles les a déterminées par le deuxième paragraphe de l’article 108. De quelle manière l’intervention du Roi peut-elle être efficace ? Sera-ce si vous vous bornez simplement à l’investir du droit d’annuler les actes qui sortiront des attributions provinciales ? Mais j’ai prouvé tout à l’heure que dans beaucoup de cas le droit d’annulation serait insignifiant et insuffisant, que beaucoup d’actes des conseils échapperaient par leur nature à l’annulation. Je demande que le pouvoir exécutif puisse prendre des mesures efficaces pour remplir les vœux de la constitution, et renfermer les conseils dans leurs limites qu’ils ne doivent jamais dépasser.
Messieurs, voilà ce qu’a voulu la constitution : l’indépendance de la province sous le rapport administratif. A cet égard la loi que nous faisons en ce moment a satisfait amplement au vœu de la constitution.
Sous le régime précédent, où il faut bien reconnaître que la province jouissait d’une assez forte dose de liberté, on avait vu le pouvoir exécutif envahir les attributions des états, imposer aux provinces certaines charges qui ne devaient pas leur être imposées : ainsi l’entretien des routes de deuxième classe, alors que les provinces n’en percevaient pas le produit ; l’entretien des rives de fleuves, alors que les revenus qui leur étaient cédés en même temps ne suffisaient pas pour couvrir les dépenses. Je citerai notoirement la province du Limbourg qui a longtemps protesté contre la cession onéreuse qu’on lui avait faite des revenus provenant de la navigation de la Meuse, à la condition d’entretenir les rives de ce fleuve.
Nous avons vu aussi le gouvernement, par un simple arrêté royal, introduire dans les budgets communaux, sous le nom de fonds de réserve, un fonds de 2 p. c. à la disposition de l’administration générale ; et pour citer un exemple mentionné dans une dernière séance, le pouvoir royal, encore par simple arrêté, avait imposé aux communes l’obligation de fournir des locaux aux employés de la garantie pour les matières d’or et d’argent.
C’est ainsi encore que le gouvernement imposait aux communes des professeurs et des instituteurs, alors qu’elles en payaient les frais. Voilà dans quel état de dépendance se trouvaient les localités vis-à-vis du gouvernement.
Aujourd’hui la loi ne permet plus au pouvoir exécutif de tels actes d’envahissement ; elle veut que la commune, la province, soient maîtresses chez elles, dans les limites tracées par la constitution.
La province était aussi soumise précédemment à la dépendance du pouvoir central dans beaucoup de cas où elle sera libre aujourd’hui d’agir par elle-même ; je veux parler des acquisitions, échanges, aliénations, transactions pour des objets dont la valeur n’excéderait pas 10,000 fr. Et remarquez que la plupart des actes de cette nature n’auront presque jamais pour objet que des objets d’une valeur inférieure à 10,000 francs.
De même pour toute espèce de travaux publics, la province était autrefois soumise au pouvoir central. L’arrêté du 17 décembre 1819 était formel à cet égard.
Loin même que le budget était voté, les états étaient obligés de faire approuver par le gouvernement les plans et devis d’ouvrages dont la dépense était autorisée par ce budget. A l’avenir, les conseils provinciaux auront le droit de construire sans l’approbation du gouvernement des travaux jusqu’à concurrence de 50,000 fr.
Ajoutons qu’aujourd’hui les conseils provinciaux délibéreront à l’abri de l’influence du gouvernement. Je crains bien que ce ne soit un mal ; mais la chambre l’a voulu ainsi. Les conseils provinciaux délibéreront en public ; ils seront présidés par un député de leur choix ; ils seront nommés par les mêmes électeurs que ceux qui nomment la chambre et le sénat, que dis-je, par des électeurs cantonaux, c’est-à-dire par un système d’élections plus démocratique encore que celui qui a été adopté pour la législature.
Il me semble, messieurs, que les avantages accordés aux conseils provinciaux seront déjà assez nombreux, il me semble que leur part sera encore assez belle, le rôle assez brillant pour ceux qui auront à cœur de défendre les véritables intérêts de leurs localités.
Quant à ceux qui voudraient transformer les conseils provinciaux en succursales de législature, en clubs politiques, quant aux candidats désappointés de la législature qui voudraient se dédommager, se venger dans les conseils provinciaux, de n’avoir pu y atteindre, il est possible que l’administration provinciale ne leur paraisse pas une tribune assez large, assez éclatante, pour un rôle politique. Mais je crois que le pays, privé de leur concours, n’en sera pas plus malheureux ; que les affaires de la province n’en marcheront pas plus mal.
Messieurs, nous vous avons fait sentir la nécessité de la dissolution sous le rapport de l’intérêt général, nous vous l’avons fait envisager sous le point de vue politique. Nous aurions pu nous borner à n’envisager la question que sous le point de vue purement administratif ; mais il y aurait une espèce d’hypocrisie de notre part, à ne pas aborder directement et franchement la question politique.
Toutefois il pourra arriver que la mesure que nous demandons soit prise dans un intérêt purement provincial. On entend souvent parler de l’inertie du pouvoir central ; ne pourrait-on pas aussi craindre l’inertie des corps administratifs ? ne pourrait-il pas arriver des cas où les électeurs verraient avec grand plaisir qu’un conseil fût dissous et que le gouvernement les mît à même de reporter les mandats des conseillers sortants sur des hommes plus désireux d’en remplir exactement les obligations ? Nous n’avons qu’à voir ce qui se passe dans certaines communes.
Il est arrivé souvent depuis la révolution qu’un grand nombre d’habitants ont adressé des réclamations contre leur régence nommée par élections. Et ici je ne parle pas de localités de peu d’importance, je parte de grandes villes. Je rappellerai à votre souvenir une régence à la dissolution de laquelle auraient applaudi beaucoup d’électeurs, qu’auraient vue avec plaisir tous les patriotes de cette chambre, c’est-à-dire l’unanimité.
Le système que nous défendons est-il nouveau ? Est-il de pure théorie ? Ce système est-il le nôtre ? Le droit de dissolution des conseils provinciaux constitue-t-il une innovation ? N’y a-t-il pas d’exemple ailleurs que chez nous, n’a t-il pas trouvé de défenseur ? On me permettra de citer à cet égard un pays voisin. Mais comme une semblable citation peut exciter des répugnances chez certains honorables membres de cette assemblée, je ne m’y arrêterai pas longtemps.
La question de dissolution des conseils départementaux en France n’a pas donné lieu à une divergence d’opinions dans la chambre des députés. Voici, comment le Moniteur rend compte page 139 de l’adoption par la chambre des députés du principe de dissolution des conseils départementaux.
« Art. 11. La dissolution d’un conseil général peut être prononcée par le Roi, et dans ce cas, il est procédé à une nouvelle élection, et au plus tard dans le délai de trois mois, du jour de la dissolution. » (Adopté.)
Adopté ! sans un mot de discussion, comme la chose la plus simple, la plus naturelle. Si nous nous reportons à un régime antérieur, au régime républicain, nous ne trouvons pas le droit de dissolution, mais un droit plus fort attribué au pouvoir exécutif. Le directoire pouvait destituer les membres des conseils, magistrats électifs.
M. Pirson. - j’ai eu l’honneur d’éprouver l’effet de ce droit.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier), continuant. - Nous en avons dans cette chambre un exemple vivant. Nous devons en féliciter sans doute l’honorable victime. Le directoire avait non seulement le droit de destituer ces magistrats électifs, mais aussi celui de pourvoir à leur remplacement. Ce système fut alors défendu par les hommes les plus honorables, qui ont depuis marché constamment dans la voie du libéralisme le plus avancé, le plus exigeant. La chambre des pairs, qui passe, je pense, pour être assez bien composée sous le rapport des capacités administratives, a adopté le droit de dissolution, sans discussion. Voici les paroles de M. de Barante, chargé du rapport de la loi départementale :
« Nous nous trouvons en complet accord avec les deux projets pour la faculté de dissoudre un conseil général accordée à la prérogative royale. »
Et remarquez bien qu’en France ce droit de dissolution marche avec toutes les autres restrictions imposées à l’administration départementale. La correspondance est interdite entre les conseils départementaux, la publicité leur est interdite, le droit de faire des adresses, interdit. La prorogation facultative, interdite. Enfin, le nombre de conseillers est limité à 30. Voila comme la chambre, sortie de la révolution de 1830, a organisé l’administration départementale. Ne suivons-nous pas, nous, un système bien plus libéral à l’égard des restrictions que je viens de citer ?
M. Pirson. - C’est parce que la révolution de juillet a été faussée.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier). - En Belgique, le système que nous défendons a trouvé un grand nombre d’approbateurs. Les députations des provinces ont été consultées. Voici la réponse qu’elles nous ont adressée :
« Les députations des états d’Anvers, de Brabant, de Flandre occidentale et de Namur n’élèvent aucune objection contre le droit de dissolution.
« La députation de Mons accorde ce droit au gouvernement, mais la lui refuse à l’égard de la députation permanente.
« La députation du Limbourg pense qu’en principe le droit de dissolution ne peut être contesté au Roi, mais elle voudrait que l’acte fût motivé.
« La députation du Limbourg, tout en combattant les paragraphes 2 et 3 de l’article 88, l’article 90 et l’article 91, ne s’oppose point au droit de dissolution. Seulement, elle veut qu’en cas de dissolution, la députation continue ses fonctions jusqu’à son remplacement lors de la réunion du nouveau conseil. »
Ainsi toutes les députations des conseils provinciaux, une seule exceptée, reconnaissent la nécessité d’armer le gouvernement d’un pouvoir que n’avait pas le gouvernement précédent.
Dans le rapport de la section centrale je lis que trois sections ont admis ce principe et qu’une autre a été partagée. Voilà donc trois sections et demie qui ont adopté le droit de dissolution et deux et demie seulement qui se sont prononcées contre ; le droit de dissolution était consacré dans le projet présenté au congrès par M. de Sauvage le 27 juillet 1831.
Enfin, messieurs, la dissolution que nous avons mission de défendre, ce que nous faisons en pleine conviction, existe dans le projet élaboré par une commission où l’on trouve les noms suivants : MM. le baron de Stassart, Beyts, Barthélemy, Devaux, Lebeau, Jullien et de Theux. J’ai parcouru les procès-verbaux rédigés par la commission, et je n’y ai pas trouvé une objection de qui que ce soit, contre la dissolution.
M. A. Rodenbach. - Je me prononce contre le principe de la dissolution.
Le droit de dissoudre les chambres me paraît être un instrument à deux tranchants, qui fait plus de mal que de bien ; les corps électoraux ne doivent être mis en mouvement que le plus rarement possible si on ne veut pas que les électeurs respectent moins les droits électoraux.
Dans la chambre des représentants on s’occupe de politique, et le gouvernement peut avoir besoin de mettre en pratique le droit de dissolution, mais dans les conseils provinciaux, je ne vois pas qui s’occupera de diplomatie, qui fera des combinaisons ministérielles, je ne pense pas qu’il y soit possible d’arrêter la marche du gouvernement et d’empêcher qu’il puisse prendre tout son essor.
Dans les articles votés avant-hier, il y en a qui restreignent d’une manière considérable les pouvoirs provinciaux. Vous avez voté une proposition contre les proclamations ; si on s’avisait d’en faire dans le conseil pour ne pas payer les impôts, on trouverait dans le code pénal le moyen de les punir. Vous avez adopté une disposition contre les réunions illégales du conseil ; s’il en existait, on trouverait également dans les lois le moyen de les empêcher, les membres qui en auraient fait partie seraient dans le même cas que les particuliers qui conspirent contre l’Etat. Vous avez voté aussi une disposition pour annuler les actes provinciaux. Voyez combien déjà vous avez restreint les pouvoirs des conseils de la province !
M. le ministre de l’intérieur a cités plusieurs exemples, mais ils ne m’ont pas fait changer d’opinion ; je ne vois pas que le principe de la dissolution soit nécessaire. M. le ministre a d’abord parlé de la régence de Liége.
- Plusieurs voix. - De la ville de Gand.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je n’ai pas parlé de Liége.
M. A. Rodenbach. - M. le ministre a cité Liége dans une précédente séance, et je crois qu’il y a fait allusion aujourd’hui. Je dis que si nous avions eu une bonne loi communale, le fait qui s’est passé à Liége n’aurait pas eu lieu.
M. de Muelenaere a présenté aussi un amendement tendant à faire sanctionner par la loi tous les règlements des conseils des provinces ; je crois que cet amendement est une garantie suffisante contre les empiétements des conseils provinciaux.
Je pense qu’il est constitutionnel et rationnel, que les provinces fassent leurs affaires elles-mêmes.
Ne puisons point des exemples dans la France qui a fait une constitution en trois ou quatre heures de temps (on rit), notre constitution est meilleure, et on est en France en arrière à l’égard des lois municipales et départementales.
M. le ministre a parlé de la Suisse, où chacun des cantons est un gouvernement central ; mais on ne peut soutenir que chaque province en Belgique veuille un gouvernement indépendant puisque le pouvoir central existe. Le système de la centralisation n’est point dans les mœurs des Belges ; en France ce système est établi, parce que les Français n’ont jamais joui des libertés communales et municipales. Ces libertés ont été connues en Italie et en Belgique depuis plusieurs siècles, nous devons nous les conserver parce qu’elles sont dans nos habitudes.
M. le ministre a aussi dit que les conseils des neuf provinces pouvaient s’entendre contre le pouvoir central et entraver sa marche ; messieurs, si neuf provinces étaient d’accord entre elles à une immense majorité pour refuser un impôt, on pourrait supposer que le ministère aurait tort et non les conseils... (Bruit, exclamations diverses.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - C’est cela.
M. A. Rodenbach. - J’ai pu dans l’improvisation ne pas bien m’expliquer. Je dis que si un impôt odieux tel que la monture comme sous le précédent gouvernement était voté, et que si dans les neuf provinces une majorité considérable s’y opposait, elle pourrait le faire avec quelque raison, et qu’alors le gouvernement devrait s’empresser de rapporter une pareille loi antinationale. (Nouveau bruit.)
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Ce ne serait pas le ministère qui serait en cause.
Quelques voix. - C’est la majorité de la chambre.
M. A. Rodenbach. - Je ne dis pas que le peuple doit désobéir aux lois et à la chambre ; mais on peut supposer que le ministère et la chambre, reconnaissant le vœu du peuple, pourraient rapporter la loi contre laquelle se seraient élevés unanimement les conseils provinciaux. Sous le roi Guillaume, la ruineuse loi sur l’impôt de mouture aurait pu être rapportée, car la loi n’a été acceptée qu’à la majorité d’une ou deux voix, encore un Hollando-Belge s’est-il absenté pour la laisser passer.
Je ne veux pas d’anarchie, mais je crois que les exemples qu’on a cités ne prouvent rien, et je persiste à croire que le principe de la dissolution n’est pas utile.
M. H. Dellafaille - Messieurs, l’article que nous discutons a été dans votre section centrale l’objet d’un examen approfondi. Nous avons pesé avec la plus scrupuleuse attention les motifs allégués pour et contre la prérogative réclamée par le gouvernement, et nous avons fini par reconnaître que les inconvénients en dépasseraient de beaucoup les avantages. Cette opinion a paru si bien établie, que c’est l’unanimité des voix que la section vous a proposé le rejet de l’article 96
Sans doute, l’exercice du droit de dissolution n’a par lui-même rien qui répugne aux principes du gouvernement représentatif ; on peut même l’envisager comme un hommage rendu à ces principes, puisque c’est un appel fait à l’opinion publique, un acte qui constitue les électeurs juges entre le pouvoir et leurs mandataires.
Cependant, messieurs, la théorie la plus belle peut, réduite en pratique, perdre beaucoup de son éclat ; elle peut même offrir des dangers que le législateur doit prévoir s’il ne veut, en sacrifiant les conséquences les plus graves à la rigidité de quelques principes plus ou moins exacts, s’exposer à commettre les mêmes erreurs qu’on a tant reprochées à cette école politique dont les membres sont connus dans un pays voisin sous le nom de doctrinaires.
Si l’opinion que je viens d’émettre est fondée, je crois qu’elle trouve ici une juste application. Rien en principe de plus facile à justifier que le droit de dissoudre un corps électif ; rien en pratique de plus dangereux que l’exercice de ce droit lorsqu’il n’est pas commandé par une absolue nécessité.
La dissolution est une mesure violente qui met en jeu toutes les passions et toutes les intrigues. Il y a une différence immense entre un renouvellement ordinaire, fût-il même intégral, et un renouvellement opéré par cette voie. Dans le premier cas, l’événement est prévu et arrive sans secousse ; les opinions ont eu le temps de se former lentement et avec maturité sur le mérite individuel de chaque député, et l’on peut être à peu près certain que les choix se feront pour la plupart avec sagesse et discernement. Dans le second cas, au contraire, une mesure brusque et violente vient surprendre et presque toujours irriter l’opinion publique ; les élections se font alors sous l’influence de passions du moment qui déterminent seules le choix des candidats. L’exercice du droit de dissolution est eu corps social ce qu’est au corps humain l’emploi d’un de ces remèdes dits héroïques ; quelquefois il peut être nécessaire, mais toujours il affaiblit la constitution de celui qui le subit, et il ne pourrait sans danger se réitérer fréquemment.
Un second inconvénient, c’est que l’usage de cette mesure contribue singulièrement à dégoûter les électeurs de l’exercice de leurs droits électoraux, soit en multipliant trop leurs réunions, soit en offrant à ceux qui s’y rendent le triste spectacle des passions politiques mises en jeu par cette espèce de coup d’Etat. Les citoyens les plus paisibles, voyant demander aux candidats tout autre chose que du zèle et de l’intégrité, finissent par se rebuter et par abandonner les élections aux divers partis qui cherchent à les exploiter.
Un droit dont l’exercice est aussi dangereux, même pour celui qui en fait usage, ne doit être accordé qu’autant que la nécessité en soit démontrée.
Dans presque tous les Etats constitutionnels le gouvernement a le droit de dissoudre les chambres électives ; notre constitution a admis ce principe et conféré au Roi le droit de dissoudre le sénat et la chambre des représentants. Je regarde cette prérogative comme indispensable. Les corps sont, comme les individus, sujets aux passions et aux erreurs. Une chambre pourrait vouloir imposer sa volonté propre aux deux autres branches du pouvoir législatif ; elle pourrait empiéter, soit sur le pouvoir exécutif, soit sur le pouvoir judiciaire ; elle pourrait compromettre par ses actes les intérêts de l’Etat. Sans doute justice se ferait lors des réélections ; mais, en attendant, le corps de l’Etat serait paralysé par le défaut de concours de cette chambre et surtout par le refus des subsides. L’intérêt public exige dans un cas pareil un remède immédiat, et il n’en existe pas d’autre que le droit de dissolution.
Sans doute, le cas dont je parle se présente rarement ; il est même permis d’espérer qu’il ne s’offrira jamais dans notre patrie : cependant il n’est pas impossible, et dès lors le législateur a dû y pourvoir. Mais il peut très bien se faire qu’il y ait désaccord, soit entre les deux chambres, soit entre l’une d’elles et le gouvernement ; que faire alors s’il s’agit d’une question vitale et qui exige une prompte solution ? Force est bien au gouvernement de consulter en cette occurrence l’opinion publique, et de recourir à cette fin au droit de dissolution.
Quelque dangereux qu’il soit dans ses conséquences, le droit de dissoudre les chambres législatives ne pouvait être refusé au gouvernement. C’est à ceux qui dirigent les affaires publiques à se bien pénétrer de l’importance qu’il y a de ne faire de cette prérogative qu’un usage avoué par l’intérêt réel de l’Etat, et à bien méditer la responsabilité qu’entraînerait l’abus d’un moyen dont une nécessite évidente peut seule justifier l’emploi.
Les raisons qui ont fait accorder au gouvernement le droit de dissoudre les chambres législatives, exigent-elles qu’on lui confère également le droit de dissoudre les conseils provinciaux ? J’ai déjà eu, messieurs, l’honneur de vous faire connaître mon avis ; il me reste à vous en développer les motifs.
Un conseil provincial ne saurait, comme l’une des deux chambres, arrêter la marche de l’administration.
Comment un conseil pourrait-il opérer cet effet ? Serait-ce en sortant de ses attributions ?
Mais d’abord ses attributions se trouvent clairement définies dans la loi ; il est donc peu à craindre que ces corps franchissent les bornes qui leur sont tracées. Si cependant le cas se présentait, le gouvernement ne se trouverait point désarmé. La constitution nous impose le devoir de lui procurer les moyens de réprimer cet abus, et c’est à cette fin qu’on a conféré au Roi le droit d’annuler les actes qui donneraient lieu à ce reproche. Le gouvernement se trouve muni d’un pouvoir suffisant pour arrêter à l’instant tout empiétement quelconque ; il est donc inutile de lui donner encore le droit de dissolution pour arriver à un résultat déjà obtenu par un autre moyen beaucoup plus efficace.
Pour combattre à l’avance ce motif, M. le ministre de l’intérieur a cité, ou autant que cité, ce qui s’est passé à Liège. Il était difficile de trouver un plus malheureux exemple. L’événement de Liège a eu lieu dans un temps où les droits du gouvernement étaient contestés. Les conseils n’existeront que lorsque les droits du gouvernement seront clairement établis. Cette comparaison ne prouve donc rien, et je crois inutile de m’y arrêter davantage. Je dirai seulement qu’ils se sont rendus bien coupables envers leur pays, ceux qui par le scandale de leur conduite ont donné contre les libertés publiques une arme dont peut-être il ne sera fait qu’un trop déplorable usage.
Serait-ce dans l’ordre de ses attributions, par son désaccord avec l’autorité, que le conseil pourrait entraver l’administration ?
Le conseil provincial ne constitue point, comme le sénat ou la chambre des représentant, un pouvoir indépendant dont le refus de concours arrête sur-le-champ la machine gouvernementale ; constamment subordonné dans ses actes, soit au gouvernement, soit au pouvoir législatif, il n’a que des attributions limitées par les lois et réduites à peu près à des intérêts exclusivement provinciaux, intérêts presque tous matériels auxquels la politique a peu ou point de part. Parcourez le chapitre qui règle cet objet, et indiquez-moi, si vous le pouvez, une seule attribution dont l’exercice puisse donner de l’inquiétude au gouvernement.
Supposez un conseil ombrageux, méfiant : j’irai plus loin, et, pour vous mettre à l’aise, je dirai : Supposez un conseil animé d’un esprit hostile et tracassier ; quelle crainte sérieuse peut-il vous inspirer ? Nous avons vu qu’il ne saurait excéder ses attributions. Craignez-vous les résolutions qu’il pourrait prendre sur les objets de sa compétence ? Mais l’article 87 soumet à la sanction royale toutes celles de ses délibérations qui ont quelque importance. Un simple refus d’approbation ferait justice de sa mauvaise volonté. Quant aux actes qui n’ont pas besoin d’approbation, l’article 88 confère au Roi le droit d’annuler non seulement ceux qui constitueraient un abus de pouvoir mais encore tous ceux qui seraient jugés contraires à l’intérêt général. De ces deux dispositions combinées, il résulte pour un conseil l’impossibilité d’entraver l’administration au moyen de ses actes.
Craignez-vous que le conseil ne parvienne à un semblable résultat par le rejet systématique des mesures qui lui seraient proposées ? Mais remarquez d’abord qu’en ce qui concerne l’exécution des lois, des arrêtés, des règlements d’administration générale, son concours n’est pas nécessaire, et que le gouverneur seul en est chargé. Le gouvernement est donc à couvert de ce côté, et l’opposition du conseil ne trouverait à s’exercer que sur des intérêts purement provinciaux. Mais le conseil qui serait assez mal avisé pour rejeter des mesures utiles pour des motifs pris en dehors des propositions elles-mêmes, s’acquerrait à coup sûr une plaisante popularité, puisque ce serait sa province et non le gouvernement qui supporterait les effets de sa mauvaise humeur.
Le conseil n’a pas même la ressource de refuser le budget. L’article 66, en l’obligeant à pourvoir à toutes les dépenses que les lois mettent à sa charge, énumère avec soin toutes celles que l’administration peut avoir intérêt à voir servies avec régularité. Tout ce qu’il pourrait faire ce serait de mettre le désordre dans une assez faible partie du ménage provincial qui souffrirait seul de cette boutade très inoffensive pour le gouvernement.
Les conseils ne peuvent paralyser la marche de l’administration en sortant de leurs attributions, puisqu’il y a des moyens suffisants de réprimer tout abus de ce genre. Ils ne peuvent le faire en se renfermant dans les limites qui leur sont tracées par les lois, puisque d’une part leurs actes sont constamment soumis au contrôle du gouvernement, et que de l’autre leur opposition ne saurait influer que sur des intérêts exclusivement provinciaux et nullement sur l’administration générale de l’Etat. Que voulez-vous de plus ? Définition précise des attributions, droit d’approbation, droit d’annulation, exécution des actes confiée au gouverneur seul, obligation pour les conseils de porter au budget toute dépense tant soit peu importante, tout vous est accordé et vous tremblez encore ! Quand donc serez-vous rassurés ?
J’ai d’autant plus de peine à m’expliquer l’insistance avec laquelle le gouvernement réclame le droit de dissoudre des conseils qui seront, je le répète, très inoffensifs, que l’expérience n’a en aucune manière prouvé la nécessité de cette innovation.
Sous le régime précédent la part du pouvoir était sans doute assez large. Eh bien, ni les auteurs de la loi fondamentale, ni les commissions qui préparèrent les règlements provinciaux, ni le roi Guillaume lui-même n’ont songé à établir ce droit. Lorsque ce Roi promulgua les seconds règlements qui n’étaient cependant pas faits dans l’intérêt des franchises provinciales, et dans lesquels il avait poussé la précaution jusqu’à dépouiller de son droit d’éligibilité tout fonctionnaire qui n’aurait pas obtenu une démission dite honorable, il ne s’attribua point le droit de dissoudre ces corps.
Assez peu scrupuleux cependant sur les moyens d’étendre son autorité, il n’aurait sans doute fait aucune difficulté de s’arroger une prérogative que la loi fondamentale ne lui déniait pas expressément, s’il n’eût jugé suffisant le droit d’annulation dont il était investi. Et de fait, nous n’avons pas vu pendant les quinze années du règne de ce prince que l’esprit d’opposition qui a dominé dans les états de quelques provinces ait jeté la moindre perturbation, soit dans le gouvernement, soit même dans l’administration provinciale : ces corps étaient cependant beaucoup plus politiques que ne le seront nos conseils puisqu’outre la nomination des députés aux états généraux, la loi fondamentale leur conférait encore diverses attributions très importantes, notamment en ce qui concernait les cultes et l’instruction publique.
Je ne saurais me persuader avec le ministère que nos neuf conseils provinciaux vont constituer neuf chambres des représentants au petit pied, contrôlant le ministère et discutant à fond des questions politiques. Leurs attributions sont presque exclusivement administratives et ne touchent pour la plupart en rien à la politique
Le peu de durée des sessions est un autre obstacle aux excursions que ces corps pourraient tenter sur ce domaine. A peine suffiront-elles pour examiner avec soin les mesures d’administration provinciale. Enfin, messieurs, l’exemple des anciens états nous prouve combien ces sortes d’assemblées sont ordinairement peu disposées à réaliser les craintes qu’elles semblent inspirer. Chacun sait qu’au bout de quelques jours le mal du pays atteignait une grande partie des membres. Dans quelques provinces il a fallu plus d’une fois, afin de pouvoir consacrer quelques séances à l’administration intérieur, reculer les élections et le vote du budget. Une fois ces deux affaires terminées, il eût souvent été plus aisé de retenir les eaux de la rivière que les membres des états.
On craint, à ce qu’il paraît, le cas où les opinions d’un conseil seraient peu favorables à la marche suivie par le gouvernement. On paraît craindre surtout les vœux que les conseils pourraient exprimer dans ce sens. Je ferai observer que les conseils, élus par les mêmes électeurs que les chambres, seront en général animés du même esprit, et qu’il serait impossible à un ministère quelconque de se soutenir, s’il avait contre lui les chambres et les conseils, puisque, dans une semblable occurrence, il serait clairement repoussé par l’opinion publique. Supposé que, par des circonstances particulières, le conseil d’une province soit hostile au ministère, qu’en résultera-t-il ? Aussi longtemps que le ministère possédera la confiance de la législature, un conseil l’attaquerait en vain. Nous avons vu que ce corps ne saurait, ni par sa force d’action, ni par sa force d’opposition, entraver l’administration. Qu’importe alors des opinions qui ne peuvent se traduire en actes inquiétants ?
En supposant même les torts du côté du conseil, je regarde une dissolution comme un mauvais moyen. Le gouvernement, qui possède par ses fonctionnaires et par ses agents tant de moyens d’influence sur les électeurs, aidé en outre par l’ascendant que donnent la raison et le bon droit, obtiendrait presque infailliblement l’élimination des conseillers qui se seraient faits les instruments d’une faction désavouée par l’opinion publique.
Le gouvernement n’est pas, dans un cas pareil, obligé de prendre un parti immédiat, puisque le conseil ne saurait entraver ni l’administration générale ni même les mesures essentielles de l’administration provinciale. Le gouvernement peut donc attendre l’époque des réélections ordinaires, et ce moyen me paraît de beaucoup le plus sûr en ce qu’il laisse à l’opinion publique le temps de se former avec calme et sans secousse. La dissolution, au contraire, irrite les uns et déplaît toujours plus ou moins aux autres. Il est à craindre que neuf fois sur dix vous ne voyez revenir les mêmes conseillers plus hostiles qu’auparavant.
Lorsque ni la nature des attributions des conseils, ni l’expérience du passé, ne nous démontrent la nécessité de créer une prérogative dont l’emploi est toujours critiqué même pour celui qui en fait usage, je ne vois pas qu’il faille tant nous hâter de formuler dans nos lois une disposition à l’appui de laquelle on ne peut alléguer que des craintes au moins exagérées : je ne partage point ces craintes, et j’ose espérer que l’événement ne démentira point mes prévisions. Si toutefois l’expérience se prononçait contre mon avis, je ferai observer que le rejet actuel de l’article 96 ne saurait entraîner aucune conséquence dangereuse. Il sera toujours loisible au pouvoir législatif de dissoudre, par une loi spéciale, tout conseil provincial qui se serait fait un brandon de discorde pour le pays. Une loi aurait dans ce cas une tout autre autorité qu’un simple acte du pouvoir exécutif. Au surplus, si, dans la suite, la nécessité en était reconnue, la législature pourrait toujours remettre cette arme entre les mains du gouvernement. Attendons du moins que l’expérience ait prononcé à cet égard.
Avant de terminer, messieurs, qu’il me soit permis de faire une dernière réflexion qui se rattache, quoique indirectement, à l’objet dont nous nous occupons.
Il est une phrase que l’on ne cesse de nous répéter sur tous les tons : Le pouvoir est faible, il faut le fortifier.
Oui, le pouvoir est faible, et cet inconvénient est le résultat inévitable des circonstances sous l’empire desquelles nous vivons.
L’effet d’un mauvais gouvernement est toujours d’inspirer contre le pouvoir une défiance dont le gouvernement qui le remplace doit nécessairement, à tort ou à raison, se ressentir plus ou moins.
L’effet de la révolution la plus heureuse est toujours de relâcher les liens sociaux, d’exciter dans un Etat des partis opposés, d’y produire une commotion qui ne s’apaise que peu à peu et par le bénéfice du temps.
Si le pouvoir est faible, nous subissons sous ce rapport une loi commune. Puisqu’on aime à nous citer l’exemple de la France, j’invoquerai à mon tour cet exemple. Allez demander à Lyon , à Paris, si le pouvoir est remis de la crise de 1830. Allez demander aux Thiers et aux Guizot si de cruelles inquiétudes ne viennent pas quelquefois troubler leur repos.
Il faut fortifier le pouvoir, dit-on. Oui sans doute, il faut fortifier le pouvoir. Sur le principe, je suis avec les organes du gouvernement : sur les moyens peut-être nous ne serons point d’accord.
Il y a deux manières de fortifier le pouvoir.
On peut atteindre ce but en demeurant fidèle à l’esprit comme au texte de la constitution.
J’ai dit que la faiblesse actuelle du pouvoir provenait principalement de l’espèce de défiance occasionnée par le souvenir des abus précédents et par le relâchement des liens sociaux, résultat nécessaire d’une commotion violente. Il faut détruire ces causes si vous voulez en détruire l’effet, et pour y parvenir, il faut le double concours du gouvernement et des chambres.
Il faut d’abord que tout ministère quelconque s’attache à connaître et à satisfaire les vœux et les besoins de la nation ; qu’il se montre fidèle et exact observateur de la constitution et des lois ; qu’il évite de donner lieu au moindre soupçon sur son amour pour les libertés constitutionnelles ; qu’il travaille en un mot à obtenir et à justifier la confiance et l’estime publique.
D’un autre côté il faut que les chambres l’investissent de toute la force d’action qui lui est nécessaire pour faire respecter la constitution et les lois, pour réprimer les factions, pour empêcher la confusion des différents pouvoirs et pour mettre ordre à leurs empiétements respectifs.
Je crois, messieurs, que jamais la chambre ne refusera cette force au gouvernement et certes ses votes sur divers articles de la loi actuelle ne sont pas de nature à faire naître des doutes à cet égard.
Mais il est une seconde manière de fortifier le pouvoir : c’est d’affaiblir les institutions publiques, de les annihiler, en sorte que dans aucun cas la volonté ministérielle ne puisse y rencontrer l’ombre d’un obstacle.
Ce moyen est de nature à séduire assez naturellement ceux qui dirigent les affaires de l’Etat parce qu’il les met fort à l’aise : je conçois que, par exemple, il serait très commode à un ministre de pouvoir menacer un conseil d’une dissolution chaque fois que celui-ci hésiterait à adopter une mesure à laquelle le gouvernement tiendrait à tort ou à raison ou lorsque le conseil voudrait s’adresser au Roi ou aux chambres dans un sens qui ne conviendrait pas aux agents du pouvoir. Je ne m’arrêterai pas, messieurs, à vous prouver combien ce moyen serait opposé à la constitution ; la chose est trop évidente ; je me bornerai à faire remarquer qu’inutile aussi longtemps que le ministère suit une marche constitutionnelle, l’annihilation des conseils provinciaux ne suffirait pas à un ministère qui viendrait suivre un autre guide que la constitution.
Je crois avoir prouvé plus haut que le droit d’approbation et d’annulation était plus que suffisant, aussi longtemps que le gouvernement demeure fidèle aux principes constitutionnels. Si un ministère était assez aveugle pour se conduire d’une manière opposée à l’esprit de notre pacte constitutionnel, ou contraire en quelque manière que soit aux vœux du pays, il ne lui suffirait pas d’étouffer la voix des conseils provinciaux, lors même qu’il parviendrait à se composer des chambres complaisantes, dont la connivence lui permettrait de suivre une pareille marche.
A défaut des conseils provinciaux, la presse servirait d’organe à l’opinion publique, et l’expérience nous a appris que jamais la presse n’est plus puissante que lorsqu’elle exprime réellement l’opinion nationale. Pour atteindre son but, le ministère que j’ai supposé devrait bâillonner la presse. Je veux que les chambres y consentent et qu’il soit possible, au moyen de quelque interprétation forcée, de le faire sans violer trop ouvertement la lettre de l’article 18 de la constitution. Mais les procès de presse doivent être soumis au jury ; il faudra donc combiner la formation du jury, de manière à y amener des hommes dévoués au système qu’on voudrait faire prévaloir. Il faudrait fausser successivement toutes nos libertés, car un abus en appelle nécessairement un autre. Tel est le résultat inévitable du système qui tendrait à fortifier le pouvoir en affaiblissant nos institutions.
Un pareil système peut avoir une durée plus ou moins longue, mais il finit presque toujours par être fatal à ceux qui en ont besoin. Le roi Guillaume l’avait suivi. Nos états provinciaux étaient sans force ; la presse était sous le coup de l’arrêté-loi de 1815 ; les tribunaux vendus au pouvoir condamnaient à tort ou à travers. Il était assez fort ce gouvernement ; et bien, au jour du danger il s’est brisé comme verre. C’est qu’au lieu de chercher sa force dans l’exécution fidèle de la loi fondamentale, il l’avait placée dans la destruction successive de toutes les libertés garanties par cette loi dont il avait fait un véritable mensonge.
Je n’impute pas au ministère le dessein de suivre ces traces ; mais je crains qu’il ne se laisse tenter par le désir d’être investi d’une force plus apparente que réelle. Cette force, je la lui refuse, comme je refuserais une arme à celui qui me la demanderait pour s’égorger.
M. Doignon. - Il était nécessaire de répondre au ministre de l’intérieur, et l’honorable préopinant a rempli cette tâche de manière à nous laisser peu de chose à dire.
Messieurs, d’après un principe de tous les temps qui est de droit naturel comme de droit public, c’est à celui à qui appartient le pouvoir de constituer qu’appartient aussi le pouvoir de dissoudre ; ainsi le droit de dissoudre les conseils provinciaux ne peut appartenir qu’au pouvoir qui les a constitués. Or , qui les a créés et institués ? C’est le pouvoir constituant lui-même ; c’est le congrès national ; donc c’est au pouvoir constituant seul, ou au pouvoir auquel il aurait délégué cette prérogative, qu’appartiendrait le droit de dissoudre les conseils provinciaux.
Donc encore le pouvoir législatif est incompétent pour donner le droit de dissoudre au pouvoir royal.
D’après l’article 78 de la constitution, le Roi n’a pas d’autres droits que ceux que la constitution lui a donnés ou qui lui sont donnés par des lois particulières ; mais nous ne voyons nulle part dans notre constitution que le pouvoir de dissoudre les conseils provinciaux ait été accordé à la royauté.
L’article 78 en parlant des lois à faire en vertu de la constitution, entend celles qui sont portées sur des objets du ressort du pouvoir législatif ; or le pouvoir législatif ne peut jamais empiéter sur le pouvoir constituant.
Notre constitution a établi quatre pouvoirs qui constituent l’Etat ; le pouvoir législatif, le pouvoir exécutif, le pouvoir judiciaire, et le pouvoir provincial et communal ; mais ces quatre pouvoirs doivent rester dans les limites qui leur ont été tracées par la constitution elle-même et il ne peut être permis à l’un de dissoudre ou de détruire l’autre : ainsi il ne pourrait être permis au pouvoir législatif de dissoudre le pouvoir exécutif comme il ne pourrait être permis au pouvoir exécutif de dissoudre le pouvoir législatif si la constitution ne lui donnait ce droit en termes formels. De même le pouvoir exécutif ne pourrait détruire le pouvoir judiciaire, par exemple dissoudre la cour de cassation, ou une cour d’appel, quoique les membres de ces cours soient aussi nommés par voie élective. A l’égard du pouvoir provincial et communal, l’article 31 de la constitution statue que les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux d’après les principes établis par la constitution.
Quels sont ces principes ? Ces principes sont établis dans l’article 108 de la constitution. L’institution provinciale et communale du ressort, est réglée par des lois qui consacrèrent l’application des principes suivants : 1° l’élection directe des membres des conseils communaux et provinciaux ; 2° l’attribution a ces conseils de tout ce qui est communal et provincial ; 3° publicité de leurs séances ; 4° publicité des budgets, ; 5° l’intervention du Roi et du pouvoir législatif, pour empêcher que ces conseils ne blessent l’intérêt général et ne sortent de leurs attributions.
Dans cet article et dans nul autre, il n’est fait aucune mention du principe de la dissolution. Le législateur du congrès a pensé qu’il donnait, dans cet article, au pouvoir royal des garanties suffisantes contre les écarts ou la mauvaise gestion des conseils provinciaux ; ces garanties sont spécifiées dans les paragraphes 2 et 5 ; on y soumet la plupart des actes des conseils à l’approbation royale et l’on donne au pouvoir exécutif le droit d’intervention dont nous venons de parler. La question agitée, considérée sous le point de vue constitutionnel, mon opinion est que les chambres sont incompétentes pour donner au Roi le droit de dissolution des conseils provinciaux.
Il y a, au surplus, une différence essentielle entre les chambres et les conseils provinciaux. Quand les chambres sont en désaccord avec le gouvernement, il ne peut plus marcher, car elles refusent les subsides ; le cabinet est alors obligé de se retirer : mais il n’en est pas de même relativement aux conseils provinciaux : quand ils se montrent hostiles au gouvernement, ils ne sauraient entraver sa marche, car ils ne votent pas de subsides pour le trésor public.
Le ministère suppose que ces conseils provinciaux seront souvent en révolte, en rébellion, contre la haute administration : je proteste formellement contre une pareille supposition ; elle est injurieuse à nos mœurs, à notre caractère national ; car le Belge est amis de l’ordre et soumis aux lois.
Il est aussi impolitique qu’immoral de prévoir dans une loi des révoltes semblables, lorsque nous n’en avons jamais vu d’exemples. Qu’on attende au moins que des exemples se présentent, et alors nous verrons ce qu’il y aura à faire. Aussi longtemps que l’expérience n’a pas parlé, la législature n’a pas le droit de statuer sur cette matière.
On a parlé de la France ; mais d’un seul mot on peut réfuter les arguments tirés de ce qui se passe dans ce pays. En France il n’existe pas une constitution ayant créé le pouvoir provincial et communal. En France les conseils départementaux ne sont que des conseils aviseurs, tandis qu’aux termes mêmes de la constitution, les conseils provinciaux sont appelés à régler les intérêts provinciaux, à les administrer.
Le ministère qui a fait beaucoup d’hypothèses, a supposé le cas où les conseils provinciaux protesteraient contre les impôts, contre le budget de l’Etat ; il a supposé même que les conseils provinciaux refuseraient la répartition des contributions. D’abord ces suppositions sont encore imaginaires ; il n’est nullement présumable que les conseils provinciaux nommés par les mêmes électeurs que les membres des chambres, se mettent en rébellion contre les actes de la législature.
Cependant si ce refus, par impossible, avait lieu, la chambre ferait alors elle-même la répartition des impôts ; et si ce remède n’était pas suffisant, elle aviserait alors selon les circonstances aux moyens d’obtenir une mesure assez énergique. Il n’y a donc aucune nécessité d’accorder un droit aussi exorbitant au pouvoir royal.
M. Fleussu. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je crois qu’il serait utile de connaître si des orateurs se proposent de parler en faveur du système ministériel ; il faut entendre des opinions alternativement pour et contre.
M. Nothomb. - Je demande la parole.
Lorsque le congrès eut décidé que le sénat serait électif, je demandai qu’il fût dissoluble, de la même manière que la chambre des représentants ; ce que je disais dans la séance du 17 décembre 1830, je pourrais le répéter aujourd’hui à propos des conseils provinciaux. Il n’y a là rien qui doive surprendre ; la province, la commune, ne sont pas autrement constituées que la nation elle-même. Il y a trois espèces d’intérêts, et notre constitution les a soigneusement distingués : les intérêts communaux, les intérêts provinciaux, les intérêts nationaux. Chacun de ces intérêts a droit d’être représenté : la constitution a institué une représentation nationale en deux chambres, elle a promis une représentation provinciale à chaque province, une représentation communale à chaque commune.
Mais ces diverses représentations, créées toutes par l’élection directe, produits du même mode électoral, ne s’agitent point dans le chaos, elles gravitent pour ainsi dire autour du gouvernement central.
Le gouvernement doit avoir prise sur chacune de ces représentations ; il a près de chacune ses organes sous les dénominations de ministres, de gouverneurs, de bourgmestres. Le roi est le chef du pouvoir exécutif dans la commune, dans la province, dans la nation ; je dis le roi et l’usage de ce mot n’est point ici imparlementaire ; je parle du roi dans le même sens que la loi même qui nous est soumise.
Tel est le système représentatif dans son ensemble ; s’il est vrai, il doit être uniforme ; il ne faut pas qu’en passant de la nation à la province, il se donne un démenti à lui-même.
Je demande que les conseils provinciaux soient dissolubles dans l’intérêt de la royauté, dans l’intérêt des deux chambres législatives, dans l’intérêt des conseils provinciaux eux-mêmes.
La dissolution des conseils provinciaux me semble nécessaire dans l’intérêt de la royauté ; il faut que le gouvernement central puisse reprendre dans la province l’ascendant dont il a besoin, en prévenant de fâcheuses collisions, en rompant l’esprit de corps, en faisant cesser, ou du moins en suspendant la lutte à propos, avant qu’elle dégénère en rébellion administrative, pour nous servir d’une expression dont nos débats ont enrichi la langue ; il faut que le gouvernement central puisse en appeler aux électeurs en laissant aux passions le temps de se calmer.
La dissolution me paraît nécessaire dans l’intérêt des deux chambres. A côté des deux chambres dissolubles, qui représentent la nation, l’on ne peut instituer pour la province et la commune des corps indissolubles ; ce serait accorder à ces derniers un véritable privilège. Ce serait, en cas de conflit entre les intérêts provinciaux et généraux, assurer une véritable supériorité au conseil provincial indissoluble.
La dissolution me paraît nécessaire dans l’intérêt même des conseils provinciaux ; elle nous dispense de prendre contre ces corps des précautions exorbitantes ; elle nous permet de conserver la loi telle qu’elle est adoptée : elle nous permettra de leur laisser toute leur spontanéité d’action ; elle nous permettra d’assigner à leur mandat une plus longue durée.
Je ne suis pas d’avis de borner ce mandat à quatre ans, et de soumettre le conseil à un renouvellement par moitié tous les deux ans ; les intérêts provinciaux se déplacent rarement en si peu de temps ; d’ailleurs, je ne pense pas qu’il faille constituer les collèges électoraux en permanence pour nommer tantôt les conseils communaux, tantôt les conseils provinciaux, tantôt les chambres législatives, tantôt les officiers de garde civique. Je ne suis point de ceux qui croient que l’Europe court à la démocratie. Nos collèges électoraux sont presque déserts, même ceux de la capitale ; j’accuse moins l’indifférence publique, que nos lois, qui ont peut-être multiplié outre mesure l’action du principe électif ; la plus noble institution, le jury, est aujourd’hui salariée. Si les conseils provinciaux sont dissolubles il n’y a aucun danger à les faire élire pour six ans. Il y a, suivant moi, connexité entre la question de la dissolution et celle de la durée du mandat.
Il est de l’intérêt de la province que le conseil provincial, quelle que soit même la durée de son mandat, ne se trouve pas à l’abri de la dissolution ; il pourrait arriver par exemple que, non un principe politique, mais une industrie fût en majorité dans le conseil, et que dans la première session, elle voulût opprimer les autres intérêts, ou au moins se procurer de trop grands avantages ; un appel aux électeurs mieux éclairés, instruits du danger, est nécessaire pour que cette industrie perde dans le conseil une prépondérance menaçante envers d’autres intérêts.
La constitution a gardé le silence sur la dissolution des conseils provinciaux et communaux ; mais en rendant les chambres législatives dissolubles, elle a décidé la question de principe ; il est impossible de placer les représentations communales et provinciales dans une situation exceptionnelle par rapport à la représentation nationale.
On me dira peut-être que ce sont là des théories ; soit, mais je m’en remets volontiers au temps pour justifier ces théories. Je vais même jusqu’à dire que j’aimerais mieux être placé en présence de deux chambres législatives non dissolubles, se contenant l’une l’autre, accessibles seulement par la nature de leurs attributions aux grandes questions d’intérêts provinciaux, et moins exposées à se passionner pour de petites choses, que de me trouver en face de neuf conseils provinciaux, et de je ne sais combien de conseils communaux non dissolubles, avec une infinité d’intérêts locaux plus tenaces, plus aveugles que les intérêts généraux.
Mais, dira-t-on, le gouvernement aura en général le droit d’annuler les actes des conseils provinciaux, et si cette annulation n’est pas respectée, il pourra, dans certains cas, déférer les membres des conseils aux tribunaux.
Je réponds d’abord que le Roi a le droit de refuser sa sanction aux propositions des chambres, et que cependant il a, outre le veto, le droit de dissolution. Le veto ne porte que sur un acte spécial, la dissolution peut être rendue nécessaire par un ensemble de discours, par la présence non d’une majorité, mais d’une minorité qu’il ne faut pas laisser se recruter et se grossir. « Le veto nécessaire pour les lois de détail, est insuffisant contre la tendance générale, a dit avec raison Benjamin Constant ; il irrite l’assemblée et ne la désarme point ; la dissolution de cette assemblée est le remède unique. »
Je dis, en second lieu, qu’un grand procès criminel intenté à la majorité d’un conseil provincial, par exemple à trente notables d’une province, est un remède plus dangereux que la dissolution ; et naguère n’a-t-on pas reculé devant l’idée non pas de poursuivre la majorité de la régence de Liége, mais une minorité qu’un honorable membre de cette chambre n’a pas hésité à qualifier de factieuse. Cette minorité, si sévèrement qualifiée, s’est trouvée en dehors et de l’action ministérielle, et de l’action judiciaire, et si vous aviez donné suite au projet de loi interprétative proposé par le gouvernement et que je m’applaudis de voir tacitement retiré, elle se serait probablement placée en dehors de l’action législative elle-même.
Dans tout Etat bien ordonné, le gouvernement doit avoir le droit de nommer et de révoquer les agents d’exécution, de dissoudre les corps élus. Les institutions communales que le gouvernement provisoire avait ébauchées, sont vicieuses en ce que le principe électif y est exagéré sous deux rapports : par son application à la nomination des chefs des administrations municipales qui sont devenus par là inamovibles, par la non-dissolubilité des conseils communaux. Gardons-nous bien de tomber aujourd’hui dans la même faute.
On ajoutera que le gouvernement peut dans certains cas, en suspendant les actes des conseils provinciaux recourir à la législature, et que l’intervention législative rendra la dissolution inutile. C’est toujours supposer que le conseil provincial se soumettra docilement à la décision de la législature ; mais que faire s’il ne se soumet point ?
Et remarquez, messieurs, à quelle anomalie nous pourrions être conduits. Une lutte s’engage entre le gouvernement et un conseil provincial ; le cas est un de ceux où il faut recourir à la législature ; le sénat donne raison au gouvernement, la chambre des représentants au conseil provincial ; la lutte s’est déplacée : elle est maintenant entre le gouvernement et la chambre des représentants ; celle-ci pourra être dissoute ; et le conseil provincial reste indissoluble. Je vais plus loin ; les deux chambres donnent raison au conseil provincial ; le ministère pourra refuser de sanctionner leur décision, dissoudre les deux plus grands corps de l’Etat, mais il respectera le conseil provincial ! Pour échapper à cette anomalie, il faudrait dire à la suite de l’article qui fait intervenir les chambres législatives dans les différends entre le gouvernement et les conseils provinciaux : « Toutefois, le gouvernement ne pourra dissoudre les chambres ou l’une d’elles sous prétexte de l’approbation donnée à la décision du conseil provincial. » En un mot, il faudra que la chambre législative qui statue en quelque sorte en appel, devienne indissoluble comme le conseil provincial qui a statué en première instance.
Je connais des personnes qui consentiraient à admettre la dissolution des conseils provinciaux, mais en la faisant prononcer par une loi. Nous arrivons à une anomalie du même genre que celle que je viens de vous indiquer. Le gouvernement s’adresser donc à la législature pour obtenir la dissolution d’un conseil provincial. Je ne parle pas des retards inséparables de ce recours à la législature, ni des passions qui vont redoubler d’efforts. Le gouvernement s’adresse d’abord au sénat ; rien ne l’oblige à commencer par la chambre des représentants ; le sénat déclare qu’il y a lieu de dissoudre le conseil provincial. La chambre des représentants, consultée ensuite, déclare qu’il n’y a pas lieu. Eh bien le gouvernement pourra frapper de dissolution la chambre des représentants qui lui refuse la dissolution du conseil provincial, et celui-ci restera debout en attendant le résultat des nouvelles élections parlementaires.
Mais, me dira-t-on, vous poussez les choses à l’extrême, le ministère se gardera de dissoudre la chambre des représentants pour un motif de ce genre. J’accepte l’objection ; elle prouve que le gouvernement ne doit pas faire et ne fera pas toujours usage du pouvoir de dissoudre ; il en subordonnera l’exercice aux circonstances, au besoin de sa propre conservation. Accordez-lui le droit de dissoudre les conseils provinciaux : il montrera la même circonspection que vous lui supposez quand il s’agit des chambres législatives.
Je ne pense donc pas que l’on puisse adopter le système qui placerait dans les attributions du pouvoir législatif le droit de dissolution des conseils provinciaux.
J’arrive à une autre système dont on a parlé et qui restreindrait le droit de dissolution à certains cas qui serait déterminés par la loi provinciale.
Je l’ai déjà dit, l’annulation porte sur un acte spécial, sur un cas particulier ; la dissolution, comme l’a dit Benjamin Constant, peut être indispensable sans qu’il existe d’acte spécial. Elle peut être rendue nécessaire par la tendance hostile de la majorité qui n’a pas encore formulé d’acte, elle peut même être rendue nécessaire par la tendance hostile d’une majorité à qui il ne faut pas laisser le temps de grandir et de formuler un acte. Si les majorités font des adresses, les minorités font quelquefois des protestations ou des comptes-rendus ; lorsque les minorités sortent ainsi des voies parlementaires, il faut pouvoir les atteindre par la dissolution.
On est habitué à considérer la dissolution comme une espèce de punition infligée à une assemblée ; cette mesure peut aussi avoir un autre caractère ; elle peut n’être en rien hostile envers l’assemblée ; elle pourrait être provoquée par l’assemblée, qui par suite d’un concours de circonstances nouvelles, reconnaîtrait, dans sa loyauté, dans la juste et consciencieuse défiance d’elle-même, qu’il est survenu des faits en dehors des prévisions possibles des anciens électeurs, et de nature à nécessiter un nouveau mandat. La chambre française de 1830 a demandé sa dissolution ; la chambre qui l’a suivie, vient d’accepter la sienne sans colère.
Et n’allez pas croire que les conseils provinciaux ne puissent se trouver dans une position qui rende la dissolution nécessaire pour dissiper les incertitudes du mandat primitif. Supposez un conseil élu en 1834 ; en 1835 il est question pour la première fois d’un projet industriel qui n’a pu être pris en considération par les électeurs de 1834 pour déterminer leurs votes. Le nouvel appel aux électeurs en 1835, après la divulgation du projet, aura pour résultat un mandat en quelque sorte spécial, c’est-à-dire ce qui donne le plus de vérité à la fiction de la représentation.
Si la dissolution peut être motivée par des considérations purement morales, je vous demande comment on pourrait parvenir à préciser des cas de dissolution, et à déclarer d’avance toute dissolution impossible hors de ces cas. Le congrès ne l’a point essayé à l’égard des deux chambres ; on l’essaierait en vain à l’égard des conseils provinciaux.
Mais supposons qu’on admette ce système, qu’on détermine quelques cas où la dissolution est permise ; l’arrêté de dissolution sera motivé ; qui sera juge des motifs ? Qui décidera si l’un des cas prévus par la loi existait ? Les chambres, me répondra-t-on. J’accepte la réponse. Et si les chambres reconnaissent que le cas de dissolution n’existait point, la dissolution sera-t-elle non avenue ? Pour être juste, il faut répondre affirmativement ; la dissolution étant non avenue, les nouvelles élections qui se sont effectuées dans l’intervalle seront également non avenues ; il faut admettre ces conséquences, dût la société être bouleversée ; car il est impossible de déclarer la dissolution illégale en droit et de maintenir le fait de la dissolution. Ce n’est pas tout. Le ministère mécontent de la décision des chambres, les dissoudra elles-mêmes par un arrêté non motivé. Vous voyez donc, messieurs, que les anomalies les plus étranges attendent ceux qui placent les conseils provinciaux dans une position exceptionnelle par rapport aux chambres législatives : la dissolution est le droit commun de tous les corps élus ; leur condition doit être à cet égard la même.
Ainsi, dans mon opinion, le droit de dissoudre les conseils provinciaux doit être attribué au pouvoir exécutif, c’est-à-dire, non au pouvoir législatif, sans être restreint à certains cas, c’est-à-dire d’une manière discrétionnaire. On m’arrêtera pour me dire que c’est nous ramener au régime de bon plaisir, soumettre les provinces à l’absolutisme ministériel. Mais d’après des dispositions formelles de la constitution, il est des droits que le roi, et en son nom le ministère, exerce d’une manière exclusive et discrétionnaire, et jusqu’à présent on n’a pas accusé la constitution.
Dans ses rapports avec le pouvoir judiciaire, le roi est armé du droit de grâce ; dans ses rapports avec le pouvoir législatif, il est armé du veto absolu et du droit absolu de dissolution. Dans ses rapports avec les conseils provinciaux, avec le pouvoir provincial, si vous préférez cette dénomination, restera-t-il désarmé ? N’aura-t-il plus qu’un veto limité, qu’un droit de dissolution limité ? S’il faut ici des limites, pourquoi n’en a-t-on pas mis au droit de grâce, qui, exercé d’une manière illimitée, peut conduire à l’anéantissement de la justice répressive ; s’il faut des limites, pourquoi n’en a-t-on pas mis au veto, qui, exercé d’une manière illimitée, peut rendre toute loi nouvelle, toute amélioration législative impossible ; pourquoi n’en a-t-on pas mis au droit de dissolution parlementaire, qui, exercé d’une manière illimitée, donnerait aux chambres une existence précaire et fugitive ? Certainement quiconque ne saisit que les surfaces des choses, est effrayé de ces attributions en apparence illimitées laissées au roi, et tente de repousser le droit de dissolution, de n’admettre que le veto suspensif ; tentation à laquelle l’assemblée constituante n’a malheureusement su résister. Mais si tous ces droits sont accordés au roi sans limites formellement déterminées, c’est que les limites résultent de la nature des choses, de la force des circonstances.
Le gouvernement n’opposera pas le veto à toutes les décisions des chambres ni des conseils provinciaux, la grâce à toutes les sentences criminelles indistinctement, il ne soumettra pas les chambres ni les conseils provinciaux à un système de dissolutions successives ; il n’usera du droit de grâce, du droit de veto, du droit de dissolution, que lorsque des raisons majeures justifieront l’emploi de ces mesures. L’assemblée constituante a annulé l’action du gouvernement central, parce qu’elle à cru que toutes les limites devaient être écrites dans la constitution, et qu’elle n’a rien abandonné ni à l’esprit inhérent à l’ensemble des institutions, ni aux circonstances plus puissantes que les réserves écrites les plus expressives. Le pouvoir royal n’usera d’aucun de ses droits d’une manière illimitée, absolue ; s’il allait jusque-là, il périrait par l’excès même de son principe ; il se suiciderait.
Restons donc dans le droit commun ; ce que nous demandons n’a rien d’exorbitant ; nous voulons que dans ses rapports avec les conseils provinciaux, le Roi soit dans une situation analogue à celle où il se trouve dans ses rapports avec les chambres législatives, dans ses rapports avec la justice répressive. Nous ne voulons point d’exception en faveur des conseils provinciaux ; l’indissolubilité serait une exception ; toute restriction formelle à la dissolubilité serait encore une exception.
J’ai souvent parlé du pouvoir royal ; ce n’est pas que la royauté soit seule en cause ; il s’agit du pouvoir central, c’est-à-dire, du Roi et des chambres ; il s’agit de l’unité nationale dont le pouvoir central n’est que l’expression.
Les lois provinciales et communales forment le complément de notre constitution ; la nation à sa représentation ; la commune, la province auront bientôt la leur ; la Belgique sera une espèce d’Etat fédératif, mais il faut que l’unité nationale subsiste ; il faut que le gouvernement central, appuyé sur les deux chambres, reste fort et respecté.
Récemment il a été aux prises avec une autorité locale, et il a été vaincu malgré l’appui des chambres. L’esprit provincial et communal est ancien parmi nous ; notre nationalité est moderne. Ne favorisons pas d’une manière immodérée l’esprit provincial et communal ; n’affaiblissons pas le gouvernement central pour fortifier la commune et la province. J’admire beaucoup nos anciennes institutions. ; mais je tiens compte de la différence des temps ; je ne veux emprunter à notre ancien régime fédéral que ce qui est compatible avec notre existence moderne comme nation ; je ne veux du passé que ce qui peut se coordonner au présent ; je veux maintenir la suprématie nationale sans laquelle il n’y a plus à mes yeux de Belgique. Il nous arriverait d’avoir fortement organisé les provinces et les communes, et la nation aurait disparu.
Quel est le reproche que l’histoire nous adresse, que les ennemis de notre indépendance ont reproduit de nos jours ? c’est que nous ne savons pas être une nation ; il y a neuf provinces belges, dit-on, mais pas de Belgique. Nos provinces ont existé pendant des siècles par juxtaposition, sous un lien fédéral très faible. Le sentiment de l’unité nationale est né de nos jours. Décentraliser la Belgique ce serait rétrograder, ce serait enlever au pays toute force de cohésion.
La première révolution française n’a pas trouvé de nation en Belgique, mais des provinces et des communes, possédées de l’esprit de localité, et n’ayant qu’un sentiment bien vague d’une nationalité commune, ; les formes de la société du moyen-âge existaient encore ; les institutions, les administrations judiciaires mêmes étaient locales ; des milliers de communes produisaient à la fois la diversité et l’incertitude.
A cet ordre informe, il fallait substituer un régime homogène et national, il fallait assurer aux intérêts nationaux, la supériorité sur tous les intérêts locaux ; donner en quelque sorte une même âme à des populations éparses, détruire les coutumes, les souverainetés locales ; la haute base et moyenne justice ; centraliser la législation, l’administration, la justice même, car la cour de cassation est le centre auquel aboutit l’action des cours et des tribunaux ; il fallait tout ramener à l’unité. Ce fut le travail de plus d’un quart de siècle, travail commencé par la révolution de 1793, au profit de la France, poursuivi, de 1815 à 1830, au profit de la Hollande, achevé par la révolution de 1830, au profit de la Belgique même.
L’existence des conseils provinciaux et communaux indissolubles, équivaut selon moi à une décentralisation complète. Je sais messieurs, que c’est ce que demandent beaucoup de personnes, mais je ne partage point ce vœu, la centralisation portée à l’excès, comme en France, est un mal, surtout dans un grand empire, où le gouvernement, forcé de jouer un rôle sur la scène du monde, est absorbé par de hautes questions politiques, et presque dans l’impossibilité de s’enquérir des intérêts locaux ; la décentralisation complète serait un autre mal, surtout dans un Etat qui tire toute sa puissance de l’unité, qui n’aspire point et ne peut aspirer à un grand rôle politique, dont l’existence est surtout intérieure.
La centralisation empêche les grands Etats de s’affaiblir et fortifie les petits. Selon moi cette centralisation, bien entendue, c’est-à-dire la prépondérance du Roi et des chambres, est la plus forte garantie intérieure de nationalité, et cette prépondérance, je le répète, n’existera qu’autant que les conseils provinciaux et communaux seront dissolubles. Le congrès a fondé la nation ; en proclamant l’indépendance de la Belgique il a aussi proclamé son unité ; il vous a laissé le soin de fonder la commune et la province ; vous accomplirez cette œuvre sans détruire l’œuvre du congrès national.
M. Helias d’Huddeghem. - Je conçois qu’une assemblée dont la puissance est illimitée pourrait être parfois dangereuse. La section centrale du congrès exprima l’opinion, dans son rapport sur l’article 71 de la constitution, que les résolutions des chambres devaient être l’expression du vœu de la nation qu’elles représentent ; qu’il peut arriver que l’élection ait pour résultat d’y appeler les hommes d’un parti et non ceux du peuple qui les élit ; dans ce cas la marche du chef de l’Etat serait entravée, ou bien il se trouverait obligé d’agir dans un sens contraire à l’intérêt général. Il doit donc avoir le droit de faire un appel à l’opinion du pays.
Le veto royal, nécessaire pour les lois de détail, est envisagé comme insuffisant contre la tendance générale. Il irriterait une assemblée hostile sans la désarmer. Si, par exemple, une chambre s’obstinait à ne faire aucune loi, à ne pourvoir à aucun besoin, le gouvernement qui n’aurait pas le droit de la dissoudre, quel moyen d’administration resterait-il ?
On sent cependant qu’il doit y avoir une grande différence entre les fonctions des assemblées nationales et celles des corps qui seront établis dans la province. Ici il ne s’agit plus de faire des lois ; elles sont faites, il n’y a plus qu’à les exécuter. Et si l’assemblée provinciale ou communale a le droit d’opposer quelque résistance à l’agent chargé d’administrer, ce ne peut être qu’autant qu’il voudrait les exécuter d’une manière arbitraire et oppressive ; leur surveillance, en un mot, ne s’applique qu’à la gestion des intérêts secondaires de la société, à la protection et à l’encouragement de l’agriculture, du commerce, des manufactures et des autres intérêts provinciaux.
Il me paraît donc que la constitution a donné au conseil provincial le caractère d’une institution administrative. Il ne s’agit pas ici de représenter l’opinion politique de la province. Les pouvoirs et les devoirs attribués au conseil provincial ne me semblent pas de nature à faire craindre des abus de ce genre. Le gouvernement a tous les moyens pour annuler les actes qui excèdent les attributions du conseil provincial.
Le droit de dissolution appliqué aux conseils provinciaux est considéré, non seulement comme exorbitant, mais même comme dangereux, puisqu’il ne pourra avoir lieu qu’en excitant du mécontentement sans aucune nécessité. En effet, si cette dissolution froissait l’opinion générale, elle aurait pour résultat d’influencer la nouvelle élection qui serait incontestablement tout à la faveur des anciens membres ; et dans le cas que le nouveau conseil fût compose de tous, ou tout au moins de plusieurs membres du conseil dissous, ceux-ci reprendraient leurs fonctions avec un esprit peu favorable au pouvoir exécutif.
On a pu observer dans les Etats voisins que la dissolution des chambres a été souvent l’avant-coureur des mouvements révolutionnaires ; la dissolution d’un conseil provincial, faite avec légèreté, pourrait quelquefois occasionner des agitations et des troubles partiels dans une province qu’il est sage de prévenir.
M. Lardinois. - La révolution a détruit la plupart des institutions politiques et civiles qui nous régissaient sous la loi fondamentale ; ce qui reste encore debout est ruiné par le fond et doit s’écrouler successivement. Mais comme une société ne peut longtemps exister dans la confusion, nous sommes obligés de reconstruire à nouveau et créer des lois organiques sur les principes posés par la constitution.
Dans l’ordre de nos idées de droits politiques, les lois communales et provinciales sont placées au premier rang, parce qu’il est évident qu’elles auront une influence immense sur nos mœurs politiques. Toute l’attention de la législature doit donc se porter sur ces lois ; car de leur bonne ou mauvaise confection dépend peut-être le sort futur du pays. Ainsi, messieurs, attachons-nous à les former d’éléments capables de produire les meilleurs résultats possibles pour la société.
Tous animés du même but, le bien public, nous avons marché dans la discussion actuelle constamment d’accord : si quelquefois l’assemblée est divisée d’opinion sur l’application d’un principe, du moins nous ne l’altérons pas ; et l’œuvre achevée, je me plais à croire que nous finirons tous par reconnaître que la loi provinciale se distingue par un caractère tellement libéral, que sous ce rapport la Belgique aura encore une fois devancé les autres états constitutionnels de l’Europe.
Le même système prévaudra chaque fois, messieurs, que nous aurons à nous occuper de nos lois organiques, car nous ne pouvons pas nous écarter des principes consacrés par la constitution en faveur des libertés publiques.
Nous possédons toutes les garanties réclamées par l’esprit du siècle et de la civilisation. Avec la liberté de la presse, le jury, l’élection directe, la publicité des séances, nos institutions ne peuvent être que libérales et populaires, parce qu’elles doivent s’harmoniser avec ces principes fondamentaux. Si nous avons quelque chose à craindre, c’est que le pouvoir gouvernemental n’ait pas assez de force pour maintenir l’ordre public et faire respecter nos libertés.
Au milieu des circonstances pénibles que nous avons traversées depuis trois ans, vous avez vu le gouvernement faible, craintif, désarmé, ne pouvant ni prévenir, ni réprimer ; et si nous n’avons pas succombé sous les coups des factieux et de l’anarchie, c’est au bon sens et à la raison publique que nous sommes redevables de notre existence politique.
Je ne suis pas homme à me laisser aller à des terreurs imaginaires ; mais j’ai la conviction qu’une nation, après avoir été livrée aux mouvements orageux d’une révolution, aspire à jouir dans le repos du fruit de ses conquêtes et des sacrifices qu’elle a faits. Si le but de ses efforts lui échappe sans cesse, s’il faut mener longtemps une vie d’agitation et craindre le torrent des émeutes dont la rapidité cause tant de ravages, alors toutes les classes de la société tombent dans le découragement, et le despotisme s’établit pour avoir négligé de se prémunir, par de sages lois, contre les excès de la liberté.
En consultant l’expérience et en méditant sur les faits, j’ai confiance dans le nouvel ordre de choses, qui se fortifie de plus en plus. je pense que nous pouvons exister comme nation indépendance, parce que nous avons les moyens de satisfaire à nos besoins moraux et matériels ; mais, je le répète, il faut pour cela que tous nos efforts tendent vers un même but, c’est-à-dire la sécurité du pays et la stabilité des affaires, afin que nous ne soyons pas à la merci de chaque événement intérieur ou extérieur.
Vous n’ignorez pas, messieurs, que le projet de loi départementale du ministère Martignac fut retiré à cause du principe de l’élection cantonale établi par ce projet. Ses adversaires voyaient un germe d’agitation et de désordres, en un mot, l’invasion de la puissance populaire sur la puissance royale : au contraire, les partisans de l’élection directe y trouvaient la plus forte garantie contre l’arbitraire, et pour l’obtenir, ils auraient consenti à toutes les autres dispositions.
Le peuple belge n’a plus à se débattre pour la question de l’élection directe, c’est une des belles conquêtes de notre révolution. L’article 108 de notre constitution l’a formellement consacrée, et par là proclamait de nouveau le principe de la souveraineté de la nation. Mais nous ne devons pas oublier qu’à côté des avantages qu’offrent les bonnes institutions se trouvent des dangers que le législateur doit chercher à diminuer lorsque la chose est possible. C’est ainsi que dans les élections les partis se présentent et font jouer tous les ressorts de l’intrigue pour faire triompher leurs candidats. Alors, les élections sont faussées, et vous voyez apparaître sur la scène politique des hommes qui sont moins pénétrés des vrais intérêts du, pays que dominés par leur ambition ou d’autres mauvaises passions.
Lorsqu’une assemblée délibérante se recrute d’hommes de parti, il est à craindre qu’une majorité turbulente, passionnée, ne se renferme pas longtemps dans la sphère tracée par la loi. Il peut donc arriver que les conseils provinciaux, sous prétexte d’exprimer des vœux , de faire connaître la situation et les besoins de la province, fassent des motions politiques et veuille intervenir indirectement dans les affaires générales de l’Etat. Que résultera-t-il, messieurs, d’une pareille violation de la loi ? Evidemment vous n’obtiendrez que perturbation et anarchie, et il s’ensuivra des excès de tous genres.
A des maux de cette nature il faut des remèdes prompts, héroïques, afin de préserver le pays des orages qui bouleversent les Etats. Ce remède se trouve-t-il dans la dissolution des conseils provinciaux et l’appel aux électeurs par une convocation immédiate ? Je réponds que c’est à l’expérience à résoudre ce problème.
Je ne reculerais pas devant une disposition bien forte qui dans certaines circonstances pourrait être la sauvegarde de l’ordre public et prévenir les troubles. D’ailleurs un gouvernement ne joue pas légèrement son existence par des mesures arbitraires capables de soulever contre lui l’opinion publique, tandis que dans les assemblées délibérantes vous voyez des tribuns audacieux qui sacrifieraient leur pays pour le triomphe de leurs principes anarchiques ou pour satisfaire leur ambition ou leur haine.
S’il arrivait qu’un conseil provincial se rebellât contre la loi ou contre le gouvernement central, il y aurait nécessité d’arrêter les suites funestes de cet acte criminel. Vainement vous voudriez traduire les coupables devant les tribunaux, en pareil cas ce recours est toujours dangereux ou impuissant.
L’on objecte encore que la révolte d’un corps isolé ne peut causer qu’une perturbation locale, et n’influe que sur une fraction de la société. Cette considération me touche peu, et l’histoire prouve le contraire. N’avons-nous pas vu la commune de Paris dominer la convention et imposer ses lois sanguinaires à toute la France ? Je n’appréhende pas pour notre pays le spectacle des horreurs de cette époque, mais nous ne devons pas nous faire illusion ; l’avenir est nébuleux, et nous ne sommes pas dépourvus d’aliments de désordres.
Je suis persuadé que l’intérêt même de nos institutions populaires exige que nous renforcions un peu l’autorité royale, et je dirai avec un célèbre orateur français, membre de l’opposition de 1829, « qu’un gouvernement fort et bien réglé est pour un pays la plus grande garantie de l’ordre et de la liberté. »
C’est sous l’empire de ces idées que j’aurais d’abord voté pour la dissolution des conseils provinciaux ; mais les dispositions antérieures adoptées par la chambre ont diminué de beaucoup à mes yeux l’importance de cette question. Je suis même porté à croire que la dissolution serait une arme bien faible contre l’insurrection de ces conseils. S’ils ne comprennent pas leur mission, s’ils ne se renferment pas dans le cercle de leurs attributions, malheur au pays, car l’institution même sera en péril. (La clôture ! la clôture !)
M. Ernst. - Je demande la parole sur la clôture. Messieurs, je m’étais préparé à prendre la parole sur cette question importante, mais le système du ministère me paraît tellement en opposition avec l’esprit général de la chambre, me paraît avoir si peu de chances de succès, que je croiras manquer à mes honorables collègues si je prolongeais la discussion.
- La chambre ferme la discussion.
- Plusieurs membres. - L’appel nominal ! l’appel nominal sur l’article 96 !
- La chambre procède à l’appel nominal ; en voici le résultat :
Nombre des votants, 61
Pour l’adoption, 11.
Contre, 50.
L’article 96 n’est pas adopté.
Ont voté pour l’adoption :
MM. Boucqueau de Villeraie, de Man d’Attenrode, Eloy de Burdinne, Lebeau, Milcamps, Nothomb, Rogier, Schaetzen, Simons, Ullens.
Ont voté contre :
MM. Bekaert, Berger, Coghen, Coppieters, Dams, de Behr, A. Dellafaille. H. Dellafaille, de Meer de Moorsel, W. de Mérode, de Puydt, de Renesse, C. de Vuylsteke, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme. de Smet, de Stembier, de Terbecq, de Theux, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Donny, Dubus, Deschamps, Ernst, Fallon, Fleussu, Gendebien, Cornet de Grez, Helias d’Huddeghem, Jadot, Jullien, Lardinois, Olislagers, Pirson, Pollénus, Quirini, Raikem, A. Rodenbach, Thienpont, Trentesaux, Vandenhove, Vanderbelen, Vanderheyden, van Hoobrouck, Verdussen, Vuylsteke, Zoude.
M. le président. - La dissolution n’étant pas admise, les articles 90 et 91, qui y sont relatifs, deviennent sans objet. S’il n’y a pas d’opposition, je les considérerai comme supprimés.
M. le président. - Nous passons au chapitre IV, relatif à la durée des fonctions du conseil.
« Art. 92. (du projet du gouvernement). Les conseillers provinciaux seront élus pour le terme de quatre ans.
« Le conseil est renouvelé par moitié tous les deux ans.
« Le premier renouvellement aura lieu le… »
La question de l’époque du renouvellement est réservée.
- L’article est mis aux voix et adopté, avec la réserve indiquée par M. le président.
M. le président. - Les articles 93, 94 et 95 ont été adoptés par la chambre.
M. le président. - Nous passons à l’article 86 de la section centrale, qui était l’article 2 du projet du gouvernement.
Il est ainsi conçu : « Le conseil élit dans son sein une députation permanente composée de cinq membres ; il élit en outre deux suppléants. »
M. le ministre a proposé depuis de porter à 6 le nombre des membres de la députation.
M. Doignon a proposé un amendement qui consiste à obliger le conseil à choisir au moins un membre de la députation dans chaque arrondissement judiciaire.
M. de Robaulx a proposé de dire dans chaque arrondissement administratif.
Ces deux amendements ont été renvoyés à la section centrale. Elle n’en a adopté aucun.
L’article 86 qu’elle propose est ainsi conçu : « La députation permanente du conseil et composée de huit membres dans les provinces du Brabant, de la Flandre occidentale, de la Flandre orientale, du Hainaut et de Liège ; et de six membres dans les provinces d’Anvers, du Limbourg, du Luxembourg et de Namur. »
La discussion est ouverte sur l’article de la section centrale et sur les deux amendements.
M. Jullien. - Messieurs, dans une précédente séance, je me suis opposé à ce que le nombre des membres de la députation fût porté à huit. J’ai démontré que ce serait exorbitant et que sur huit places, il y aurait au moins deux sinécures. J’ai rappelé et je rappelle, dans le cas où on l’aurait oublié, que du temps du gouvernement français, lors des conseils de préfecture, ces conseils n’étaient composés que de cinq membres. Cependant leurs attributions étaient plus considérables que celles des états députés. Les conseils de préfecture étaient chargés de prononcer dans les contestations des acquéreurs de domaines nationaux, sur l’étendue, les titres des biens acquis. Ils étaient également chargés de prononcer sur les contestations de propriété, en matière de petite et grande voirie, d’usurpation sur les chemins vicinaux. Maintenant que les attributions sont diminuées, on propose d’augmenter le nombre des membres des états députés, mesure qui serait aussi inutile qu’onéreuse pour l’Etat.
Dans ce moment, quoique la députation ne soit composée que de 5 membres, elle peut suffire à tout le travail. Elle se rassemble deux fois par semaine. Les gouverneurs de province qui siègent dans cette chambre ou ceux des membres qui ont administré peuvent dire si le nombre actuel des membres de la députation est suffisant. Il y a des provinces où la députation n’a par le fait, que trois et quatre membres, cependant le travail est préparé de manière à ce qu’il se fasse. Dans ces circonstances, je pense qu’il y a lieu de réduire le nombre des membres de la députation à cinq.
M. le président. - Le ministre a proposé six.
M. Jullien. - Je me rallie alors à la proposition du ministre, mais je déclare que cinq membres suffiraient.
M. Dubus. - Le projet du gouvernement réduisait à cinq le nombre des membres de la députation, mais en même temps il proposait l’élection de suppléants, création que la chambre n’a pas été d’avis d’admettre. La section centrale a trouvé qu’il y avait lieu de porter à huit le nombre des membres de la députation dans cinq provinces et à six dans les quatre autres.
En effet l’expérience nous a prouvé que ce nombre de six et de huit membres est nécessaire pour délibérer convenablement. Primitivement ce nombre était fixé à neuf pour la députation des états provinciaux et le roi Guillaume l’a réduit à sept par un arrêté postérieur. Le chiffre proposé par la section centrale est donc à peu près le même que celui qui, sous l’ancien gouvernement, avait été reconnu suffisant, il est vrai, mais nécessaire pour la marche des affaires. Nous devons d’autant plus tenir à ce chiffre que nous avons plus d’espoir, s’il est adopté, de voir les députés choisis dans chacune des subdivisions de la province.
Je saisirai cette occasion pour dire quelques mots à l’appui de l’amendement présenté par mon honorable ami M. Doignon, qui n’a pas reçu d’accueil dans la section centrale. Cet amendement me paraît devoir être admis et les raisons sur lesquelles on motive son rejet ne me semblent pas assez convaincantes pour que la chambre consente à les accueillir.
Vous vous souvenez que cet amendement tend à obliger les conseils provinciaux à prendre au moins un membre de la députation parmi les députés de chaque arrondissement judiciaire. Remarquez bien que l’on n’a pas étendu cette clause à chaque district administratif. La subdivision provinciale adoptée par mon honorable ami dans son amendement, me paraît préférable, parce que la délimitation des districts étant sujette à des modifications, il pourrait arriver dans l’exécution des mesures qu’il propose de difficultés qu’il est important d’éviter ; tandis que l’arrondissement judiciaire, admis dans la loi électorale, en rendra l’application plus facile.
Sous l’empire de l’ancien règlement, l’obligation de nommer un député par district n’était pas imposée aux états provinciaux d’une manière absolue. Les termes dont se servait la loi, si ma mémoire est fidèle, étaient ceux : « Les états choisiront, autant que possible, etc. » Mais il existait pour le choix de la députation une autre règle, et celle-là était absolue. Elle consistait à prendre la moitié au moins des membres de la députation dans chaque ordre.
S’il avait fallu appliquer à la fois et la nécessité de prendre un membre par arrondissement et de choisir la moitié du nombre total dans chaque ordre, cette double règle aurait restreint la candidature à un petit nombre de membres des états. Ces motifs avaient déterminé les auteurs de l’ancienne loi provinciale à rendre facultatif le choix des députés par arrondissement. Mais aujourd’hui qu’il n’y a plus de distinction d’ordres, l’obligation que mon honorable ami propose d’imposer aux conseils me paraît devoir être admise. Je ferai observer que la plupart des provinces n’ont que trois arrondissements judiciaires. Quelques-uns en ont quatre. La province du Hainaut en a trois. Par conséquent, le choix ne sera obligatoire qu’à l’égard de trois députés sur les 8 dont se composera sa députation.
Ce qui a déterminé la section centrale à rejeter l’amendement de mon honorable ami, c’est qu’elle a craint qu’il n’arrive que les conseillers nommés par suite de son système aux fonctions de députés, ne veuillent pas se déplacer pour venir habiter le chef-lieu. Les observations de la section centrale porteraient donc sur la modicité du traitement. Ce n’est pas une raison pour que tous les députés soient choisis dans le chef-lieu. Il faudrait, si l’allégation de la section centrale était fondée, élever le traitement de la députation. Mais la chambre, en fixant ce traitement, a pensé qu’il serait suffisant pour engager tout conseiller nommé à la place de député à transporter son domicile dans le chef-lieu de la province ; car elle a dû reconnaître qu’il était de toute justice que chaque arrondissement fût représenté dans la députation.
Je dis donc, ou que l’inconvénient signalé par la section centrale n’existe pas, ou que s’il existe, il est facile de le faire disparaître. La section centrale ne saurait sortir de ce dilemme ; car il serait injuste de fixer d’abord le taux du traitement des députés ; puis, lorsqu’on vient demander que chaque arrondissement soit représenté, que l’on vînt se prévaloir de l’insuffisance du traitement pour rejeter cette proposition.
Au surplus, messieurs, on suppose un inconvénient qui n’existe pas. L’expérience de ce que propose mon honorable ami n’a pas encore été faite. Posons la règle. Plus tard, l’essai tenté, il sera aisé d’élever les traitements des députés, si les prévisions de la section centrale viennent à se réaliser. Les motifs donc qu’a mis en avant mon honorable ami lorsqu’il a présenté son amendement, subsistent dans toute leur force. Ils sont puisés dans les abus qu’a présentés sous l’ancien gouvernement le choix de la députation des états. Il ne faut plus que les conseils s’obstinent à choisir des députés parmi les membres habitant le chef-lieu de la province, alors même qu’il se présente des candidats habitant les autres districts.
- L’amendement présenté sur l’article 86 par M. de Robaulx est mis aux voix, il n’est pas adopté.
La proposition faite par M. le ministre de l’intérieur de fixer le nombre des membres de la députation à 6 est mis aux voix et adopté.
L’amendement présenté par M. Doignon est mis aux voix et adopté.
L’ensemble de l’article 86 est mis aux voix et adopté.
La séance est levée à quatre heures et demie.