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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mardi 27 mai 1834

(Moniteur belge n°148, du 28 mai 1834)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à midi et demi.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal.

M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; il est adapté sans réclamation.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître l’objet des pétitions suivantes.

« La régence de Saint-Bergen et de Waerbeek déclarent adhérer au mémoire de l’avocat Vandenbosch d’Alost, adressé à la chambre et relatif à la circonscription judiciaire de la Flandre orientale. »

- Renvoi à la commission chargée de l’examen de la proposition de MM. Dewitte et Desmet.


« Huit habitants de Bruxelles demandent le paiement de rentes constituées par la ville de Nivelles, hypothéquées sur les revenus des péages et des barrières des chaussées construites ou à construire. »

« Les juges de paix de l’arrondissement de Tournay demandent qu’il soit établi autant de classes de juges de paix qu’il y a de classes de tribunaux de première instance, et qu’on prenne pour base de leur traitement les 2/3 du traitement d’un juge de tribunal de première instance. »

« La dame veuve C. Ghys, à Erwetegen, demande l’exemption du service de la milice pour son fils aîné comme étant son soutien. »

- Ces trois pétitions sont renvoyées à la commission de pétitions.


M. Dumortier, M. Dumont, M. Watlet demandent et obtiennent des congés. M. Dumortier est souffrant.

Vérificaton des pouvoirs

M. Eloy de Burdinne, rapporteur de la commission chargée de la vérification des pouvoirs de M. Deschamps, élu à Ath, est appelé à la tribune. - Messieurs, la commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. Adolphe Deschamps fils, négociant à Seneffe, nommé membre de la chambre des représentants par le district d’Ath le 10 courant, vient par mon organe vous faire le rapport suivant.

Avant de vous faire part des conclusions de ladite commission, il est bon de vous faire connaître les motifs qui ont retardé de nous acquitter de cette commission.

Dans notre séance du 16 mai, nous avons remarqué que M. Deschamps n’avait obtenu qu’une majorité de 4 voix et que trois réclamations signalaient des irrégularités, entre autres que dans le deuxième bureau plusieurs bulletins qui portaient des désignations incomplètes, lui avaient été comptés, tandis que le procès-verbal de ce bureau ne faisait mention que d’un seul billet de cette espèce, que les pétitionnaires qualifient d’erreur.

Votre commission, avant d’émettre son avis sur la validité des opérations d’Ath, a cru de son devoir de demander des renseignements et particulièrement de réclamer les procès-verbaux des deuxième et troisième bureaux ; je puis vous donner lecture du procès-verbal de ladite séance du 16.

M. le ministre, ayant obtempéré à notre demande, nous a transmis les deux procès-verbaux réclamés ainsi que la copie de la réponse de M. le gouverneur du Hainaut à la demande des renseignements sur le fondement des réclamations.

La commission s’est réunie le 26 courant, et après avoir examiné attentivement les diverses pièces que contenait le dossier, a reconnu que 520 électeurs ont pris part à l’élection d’Ath, qu’un bulletin signé a été annulé, lequel soustrait reste 519 bulletins qui ont été pris en considération, nombre égal aux votants, la majorité absolue étant donc de 260.

M. Deschamps a réuni 264 suffrages.

Voici d’ailleurs comment les suffrages ont été répartis :

M. Deschamps (Adolphe), négociant à Seneffe, 264 ;

M. Delescluse (J.-B.), bourgmestre à Ath, 193

M. L’Olivier, général de brigade à Bruxelles, 27 ;

M. De Melin (Maximilien), ex-membre du congrès, 17 ;

M. Corbisier, conseiller à la cour d’appel de Bruxelles, 12 ;

M. Deschamps (Adolphe), 3 ;

M. De Melin (Maximilien), à Bruxelles, 1

M. De Melin (Maximilien), 1 ;

M. Ducorron, échevin à Ath, 1.

Total, 519

Un bulletin déclaré nul, 1.

A la vérité, le 2ème bureau a trouvé bon de considérer comme devoir valoir pour M. Adolphe Deschamps, fils, négociant à Seneffe, un bulletin qui ne renfermait que Adolphe Deschamps. En supposant le bulletin nul, il en résulterait encore que Deschamps (Adolphe), fils, aurait obtenu 263 suffrages, ou 3 suffrages de plus que la majorité absolue.

Les griefs signalés par les pétitionnaires sont les suivants :

1° Que dans le 3ème bureau il s’est trouvé un billet double ou deux billets pliés ensemble, portant désignation de Adolphe Deschamps, et qu’à ce bureau tous les bulletins n’ont pas été remis au président ; mais qu’un grand nombre ont été déposés dans la boîte par les votants eux-mêmes ;

2° Que les bulletins d’un bureau n’ont pas été brûlés séance tenante dudit bureau, mais apportés au bureau principal pour y être brûlés ;

Et finalement que grand nombre de bulletins ont été comptes à M. Adolphe Deschamps, abusivement, par le 2ème bureau ; ces bulletins, disent les réclamants, ne désignent que Deschamps, d’autres Adolphe Deschamps et A. Deschamps.

Pour terminer, je vais avoir l’honneur de vous donner lecture des conclusions de la commission :

« La commission de vérification des pouvoirs de la chambre des représentants, après avoir examiné les réclamations qui ont été adressées à la chambre au sujet de l’élection de M. Adolphe Deschamps par le district d’Ath, est d’avis que ces réclamations sont sans fondement ; elle conclut à l’admission de M. Deschamps, comme membre de la chambre des représentants. »

M. le président. - Si personne ne demande la parole contre les conclusions de la commission, je les déclare adoptées. En conséquence, je proclame membre de la chambre M. A. Deschamps.

Projet de loi provinciale

Rapport de la section centrale

M. de Theux, rapporteur. de la section centrale chargée de l’examen de la loi sur l’organisation provinciale, et à laquelle quelques articles de cette loi ont été de nouveau renvoyés, vient rendre compte de l’avis de la commission.

- La chambre ordonne l’impression et la distribution de son rapport.

Discussion des articles

Disposition commune au gouverneur, au greffier et aux commissaires d’arrondissement

Article 124 (du projet de la section centrale)

M. le président. - « Art. 124 (du projet de la section centrale). Ne peuvent être gouverneur de province, greffier provincial ou commissaire d’arrondissement, les personnes désignées dans les six premiers numéros de l’article 87, y compris les avocats consultants.

« Le n°7 de l’article 87 s’applique également à la parenté ou alliance entre le gouverneur, le greffier provincial et les commissaires d’arrondissement, ou de l’un d’eux, avec un membre de la députation du conseil. »

M. le président. - Je crois que l’on a ajourné l’article 87 ; demande-t-on également l’ajournement de cette disposition ?

M. Ernst. - L’article 124 se référant à l’article 87, il faut évidemment ajourner l’un, puisqu’on a ajourné l’autre.

M. de Theux, rapporteur. - L’article 87 était relatif aux incompatibilités entre certaines fonctions et les fonctions de membre de la députation ; les incompatibilités dont il s’agit ici sont différentes.

On peut adopter l’article 124, sauf rédaction.

M. H. Dellafaille - L’article 87 a été rejeté, il n’a pas été ajourné.

M. Ernst. - Il est impossible qu’on se réfère à un article rejeté. Il faut renvoyer l’article 124 à la section centrale.

M. de Theux, rapporteur. - Je persiste à croire que l’on peut adopter l’article 124, sauf rédaction. Cet article est indépendant de l’article 87.

M. Dubois. - C’est l’article 39 qui a été rejeté ; l’article 87 n’a été qu’ajourné.

M. H. Dellafaille - Les incompatibilités énumérées dans l’article 87 ayant été admises séparément, ont été rejetés par le vote sur leur ensemble.

M. Ernst. - On a rejeté l’article 39 ; mais l’article 87 n’a été ajourné. Il ne faut donc pas rappeler l’article 87 dans l’article 124.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - L’intention de la section centrale a été d’étendre aux greffiers et aux commissaires d’arrondissement les incompatibilités énumérées dans l’article 87 ; alors il me semble qu’on pourrait dire dans l’article 124 : « Ne peuvent être gouverneurs de province, le greffier provincial, les commissaires d’arrondissement et les personnes désignées à l’article 87 comme ne pouvant faire partie de la députation. »

M. d’Huart. - Le premier paragraphe de l’article 124 ne se rapporte qu’aux six premiers numéros de l’article 87 ; il y a cependant 7 numéros dans l’article. Il faudrait que M. le rapporteur s’expliquât.

M. de Theux, rapporteur. - L’article 124 est relatif aux sept paragraphes de l’article 87.

Je demande que l’on vote le principe de cet article 124 sauf rédaction.

M. Milcamps. - La disposition de cet article qui établit une incompatibilité entre les fonctions de commissaire d’arrondissement et celles d’avocat consultant, me paraît fort sévère.

Le décret du 14 décembre 1810 déclara bien la profession d’avocat incompatible avec les fonctions de sous-préfet ; mais les dispositions de ce décret s’entendaient des avocats plaidants.

Les règlements de 1818 et 1825 n’ont pas rappelé cette incompatibilité que l’on pouvait considérer comme supprimée, d’autant plus que ce dernier règlement la consacrait, quant aux avocats plaignants, à l’égard des membres de la députation. Le projet actuel de la section centrale, article 87, maintient cette dernière incompatibilité.

Si les fonctions de commissaire sont confiées à des personnes versées dans la connaissance des lois, et si ces personnes ont suivi la carrière du barreau, voulez-vous qu’elles renoncent à toute consultation, même pour des anciens correspondants ? mais l’on doit leur supposer assez de sentiment d’honneur pour qu’elles ne soient pas capables d’abuser de leur position pour exciter des procès concernant des administrations publiques.

J’ai l’honneur de proposer la suppression de ces mots : « y compris les avocats consultants. »

M. le président. - L’amendement n’est pas appuyé et je ne puis le mettre aux voix.

Je vais mettre aux voix l’article 124 ; mais il faut sous-entendre que dans sa rédaction on a rappelé les personnes désignées dans l’article 87.

- Le premier paragraphe, mis aux voix sous cette condition et sauf rédaction, est adopté.

M. Ernst. - Je propose de supprimer la disposition qui exclut de la députation les parents et alliés des commissaires d’arrondissement jusqu’au quatrième degré.

J’ai cherché le motifs de cette exclusion, je n’en ai trouvé aucun. Jusqu’ici elle n’a existé ni en Belgique, ni en France ; c’est une innovation. Cependant c’est déjà un principe adopté par la chambre qu’il ne faut pas facilement prononcer des exclusions ; qu’il ne faut les admettre qu’avec de graves motifs. Il y a différence énorme entre les rapports du commissaire de district avec les gouverneurs de province ou avec les membres de la députation. Le commissaire de district est subordonné au gouverneur de la province ; il y a analogie entre leurs fonctions. Le gouverneur exécute les décisions de la députation par le moyen du commissaire de district. La députation est plutôt un corps délibérant qu’un corps agissant.

Le commissaire de district n’a que des avis à donner à la députation, et il n’est pas à croire qu’un de ses parents puisse exercer une influence fâcheuse sur les délibérations de la députation. Le commissaire de district n’est pas personnellement intéressé dans l’affaire ; il joint les pièces à l’appui de son avis ; ces pièces servent à éclairer les autres membres de la députation. Si un conseil provincial juge qu’un parent d’un commissaire ne doit pas faire partie de la députation, il ne le nommera pas. Comment pouvez-vous croire que le conseil provincial nomme à la députation le parent d’un commissaire d’arrondissement, quand sa présence dans la députation entraînerait des inconvénients ?

D’un autre côté, il y a danger à limiter les choix du conseil provincial. Le conseil provincial peut être embarrassé de trouver dans un arrondissement rural un homme qui convienne pour la députation. Il y a déjà beaucoup d’incompatibilités prononcées. Les notaires, les avocats plaidants, les membres de l’ordre judiciaire sont exclus de la députation. Souvent le conseil, ne trouvant personne qui lui convienne pour faire partie de la députation, sera disposé à nommer un parent d’un commissaire de district, s’il voit dans ce choix les garanties nécessaires.

Il faut craindre qu’on ne force les conseils de choisir tous les membres de la députation dans le chef-lieu ; c’est là un inconvénient qui a été signalé sous l’ancien gouvernement. Si vous voulez que les intéressés de toutes les parties de la province soient représentés, il faut laisser le conseil dans la position de faire les choix partout. Il y a ordinairement plus d’hommes capables dans le chef-lieu ; mais pourquoi lier les mains au conseil, s’il existe dans un arrondissement un homme que recommandent son expérience administrative et ses études. Il y aurait un grand inconvénient à ce qu’il ne pût faire partie de la députation, parce qu’’il serait parent d’un commissaire de district. Il y aurait, il me semble, une grande injustice à restreindre ainsi les choix du conseil. (Oui ! Oui !)

Je crois que la chambre sera disposée à accueillir mon amendement alors que l’innovation qu’on propose n’est nullement motivée. Si quelques motifs graves sont soulevés contre ma proposition, je les écouterai ; s’ils me semblent pouvoir être réfutés, je demanderai de nouveau la parole. (Très bien !)

M. Fallon. - Je prends la parole pour appuyer l’amendement proposé par mon honorable ami M. Ernst. Il me semble aussi que la demande de la section centrale va beaucoup trop loin, en voulant établir une incompatibilité entre les commissaires d’arrondissement et les membres de la députation pour cause de parenté. Je ne vois pas l’inconvénient qui pourrait résulter de ce qu’un commissaire d’arrondissement se trouve le cousin germain du greffier provincial avec lequel il n’a pas de rapports, ou même un membre de la députation, avec lequel il n’a que peu de rapports, puisqu’il n’a véritablement de rapports qu’avec le gouverneur.

Il est à remarquer que l’analogue n’existe pas, dans l’article 124 et dans l’article 87 auxquels on se réfère. On conçoit que dans l’article 87 on établisse une incompatibilité à l’égard des membres lui sont cousins germains, puisque ce sont des hommes qui siègent dans le même corps, dans le même collège, mais on ne peut faire l’application de ce principe au cas où un commissaire d’arrondissement se trouverait être cousin germain d’un membre de la députation. Du reste, l’expérience est pour le système que nous soutenons ; dans l’une de nos provinces, le gouvernement provisoire n’a pas fait de difficultés de nommer pour commissaire d’arrondissement un parent à un degré plus proche qu’un cousin germain, le propre frère d’un des membres de la députation. Le gouvernement provisoire, et depuis le gouvernement actuel, se sont parfaitement bien trouvés. Je ne vois pas pourquoi on voudrait changer quelque chose à cet égard.

M. H. Dellafaille - Je crois que le but de la section centrale a été d’empêcher que par l’effet de la parenté entre le gouverneur, les commissaires d’arrondissement et les membres de la députation, l’administration des provinces ne devînt un conseil de famille. Je conçois, en effet, que cela peut arriver.

Je comprends que le gouverneur ne puisse être parent d’un membre de la députation, et que les membres de la députation ne puissent être choisis dans la famille des fonctionnaires de la province ; mais je ne vois ce qui pourrait empêcher que les commissaires de la même province ne fussent parents entre eux, puisqu’ici le contrôle de leurs actes s’exerce par le gouvernement. L’incompatibilité que l’on propose me paraît nuisible, et je demande à cet égard quelques explications à l’honorable rapporteur de la section centrale.

M. de Theux, rapporteur. - Je répondrai d’abord à l’honorable préopinant qu’il a lui-même réfuté son objection en combattant l’amendement de M. Ernst. Il a dit qu’on pouvait craindre que l’administration des provinces ne devînt un conseil de famille. Je dirai, en me servant du même argument, que si plusieurs commissaires d’arrondissement, frère ou parents à un degré très rapproché, administrent une même province, il y aura un esprit de famille dans l’administration provinciale.

Maintenant on demande pourquoi la section centrale propose une incompatibilité entre les parents commissaires d’arrondissement et les parents membres de la députation : la réponse se trouve dans l’article 120, où il est dit que les commissaires d’arrondissement sont spécialement chargés de surveiller l’administration des communes sous la direction du gouverneur et de la députation du conseil.

Il est résulté aussi de l’article la nécessité d’établir une incompatibilité à l’égard des commissaires d’arrondissement et des membres de la députation. Il est évident que si cette incompatibilité n’était pas prononcée, il pourrait arriver que la députation excusât la faute commise par le commissaire d’arrondissement, et que dans bien des circonstances le fonctionnaire pourrait exercer de l’influence sur la délibération de la députation. On pourrait penser aussi que les rapports seront accueillis plus favorablement s’ils sont examinés par des membres, parents des commissaires d’arrondissement, que s’ils sont examinés par des personnes étrangères. Tels sont, sommairement, les motifs qui ont déterminé la section centrale.

M. Fleussu. - Comme c’est une grande innovation que l’on vous propose, la plupart des membres de cette chambre en ont cherché les motifs. Ces motifs viennent de vous être révélés. Vous semblent-ils, messieurs, assez puissants pour faire admettre cette innovation ? Quant à moi, je ne le crois pas.

On a dit que l’on craignait que la députation des provinces ne devînt le domaine de toute une famille ; je conçois, par exemple, qu’un membre de la députation ne puisse être parent avec le gouverneur, ou, si vous voulez, avec le greffier provincial, parce qu’il pourrait en résulter des complaisances fâcheuses au sein de la députation ; mais je vous prie de le remarquer, l’amendement ne porte que sur l’exclusion des membres de la députation parents de commissaires de district ; il laisse subsister les autres dispositions de la section centrale.

Quand un système est admis, il faut en adopter toutes les conséquences ; vous voulez le système de l’élection, eh bien, tous les inconvénients que l’on vient de signaler seront présents aux yeux des électeurs membres du conseil ; c’est au conseil à savoir si, malgré tous ces inconvénients, ils peuvent choisir le parent d’un commissaire de district pour être membre de la députation ; vous ne pouvez établir trop d’exclusions à la fois : voyez combien déjà vous avez restreint les choix du conseil provincial ; d’après l’article 87, qui a été ajourné et qui sera sans doute adopté, ne pourront être membres de la députation les fonctionnaires de l’ordre judiciaire, les ministres des cultes, les personnes chargées de l’instruction publique salariées par l’Etat, la province ou la commune, les membres des administrations communales, les receveurs des administrations des pauvres, les avocats plaidants, les avoués et les notaires, les fonctionnaires directement subordonnés au conseil ou à la députation, les parents alliés jusqu’au quatrième degré inclusivement.

Vous voyez combien sera restreint le choix du conseil. Je suppose que dans une famille il se trouve deux frères, deux cousins capables d’administrer la province. Eh bien, parce que l’un aura obtenu la confiance du gouvernement, le peuple ne pourra pas accorder la sienne à l’autre ? Remarquez que ce n’est pas de la même autorité qu’ils tiennent leur mandat. Vous ne pouvez pas ainsi restreindre le choix du conseil provincial, lui interdire de nommer un membre d’une famille, par cela seul que le gouvernement aura confié des fonctions à un autre membre de cette famille.

On a dit que quand un commissaire de district aurait un frère membre de la députation des états, la députation se montrerait plus facile pour excuser les fautes de son administration ou pour admettre ses propositions ; Je ferai observer que le commissaire de district ne fait que présenter des conclusions, préparer le travail. La députation rend une décision conforme ou non après avoir examiné ce travail. Voilà, comment les choses se passent. Quant à l’administration du commissaire de district, s’il y a lieu de la juger, le frère du commissaire de district se récusera, et les autres membres de la députation seront là pour examiner sa conduite. D’ailleurs ce qu’on vous a dit à cet égard pourrait s’appliquer à l’ordre judiciaire ; et cependant avez-vous établi de semblables exclusions dans l’ordre judiciaire ? Avez-vous dit que deux frères ne pourraient pas être, en même temps, l’un membre d’un tribunal inférieur, et l’autre conseiller ? Non, je ne vois pas pourquoi vous voudriez établir dans l’ordre administratif des incompatibilités, quand vous n’avez pas cru devoir le faire dans l’ordre judiciaire.

D’après ces considérations, je pense que la chambre adoptera l’amendement de notre honorable collègue M. Ernst.

M. Fallon. - Je crois que les considérations qui viennent d’être développées détermineront la chambre à adopter l’amendement de M. Ernst. Si cet amendement était rejeté, il en résulterait de graves inconvénients. Aux termes de l’article 124, le frère d’un membre de la députation du conseil provincial ne peut pas être commissaire de district. Mais le conseil provincial peut nommer à la députation le frère d’un commissaire de district, et la loi ne dit pas si le commissaire de district devra, dans ce cas, donner sa démission. D’après l’article il en serait ainsi ; de cette manière le conseil provincial pourrait toujours annuler le choix du gouvernement pour le commissaire de district.

M. H. Dellafaille - L’objection faite par l’honorable préopinant est réelle. Si le conseil nommait à la députation le frère d’un commissaire de district, le commissaire de district devrait se retirer. Il ne doit pas dépendre cependant d’un conseil de faire retirer un fonctionnaire public nommé par le gouvernement. Mais cet inconvénient pourrait, je crois, facilement être écarté. Il suffirait d’ajouter une disposition à l’article 87.

Je crois qu’il y a lieu d’exclure la parenté entre le gouverneur, les commissaires de district, le greffier et les membres de la députation provinciale, pour le premier parce que le gouverneur travaille avec eux. Vous devez exclure les membres de la famille du gouverneur, par la même raison, que vous avez exclu les parents des membres de la députation.

Quant aux commissaires de district, dans le cas où le conseil devrait examiner comment ils exercent leurs fonctions, on a dit que le conseiller dont le frère serait traduit devant le conseil se récuserait. Mais, malgré sa récusation, il aurait toujours de l’influence sur ses collègues.

Ce qu’on a dit de l’influence fâcheuse que la parenté du commissaire de district, soit entre eux, soit avec le gouverneur ne m’a pas paru concluant. Le gouvernement est toujours là pour voir si l’administration de la province souffre de cette parenté et pour faire cesser le mal.

- L’amendement de M. Ernst est mis aux voix et adopté, ainsi que le paragraphe amendé.

Dispositions transitoires

Article 125 à 128 (du projet de la section centrale)

M. le président. - Nous passons aux dispositions transitoires :

« Art. 125. Les députations permanentes des états provinciaux et les autorités qui, dans quelques provinces, remplacent ces mêmes députations, continueront leurs fonctions en se conformant aux dispositions de la présente loi jusqu’à l’installation des députations des conseils provinciaux. »

- Adopté.


« Art. 126. Le Roi fixera la première réunion des collèges électoraux et des conseils provinciaux. »

- Adopté.


« Art. 127. En attendant la loi sur l’organisation communale, les rapports entre les autorités provinciales et les administrations locales, établis par les dispositions en vigueur, continueront d’être observés, pour autant qu’ils ne sont contraires à la présente loi.

« En attendant la loi sur l’organisation de la gendarmerie, il n’est rien innové au mode de supporter les frais de casernement. »

- Le second paragraphe de cet article a été renvoyé à la section centrale et a été l’objet d’un rapport spécial.

Le premier paragraphe, auquel l’article 127 se trouve réduit, est mis aux voix et adopté.


« Art. 128. Toute disposition contraire à la présente loi est abrogée. »

M. de Robaulx. - Cet article est inutile. Il est évident que, quand on fait une loi, les dispositions qui y sont contraires sont de droit abrogées.

- L’article est mis aux voix et adopté.

Article 125 (disposition additionnelle)

M. Fleussu. - Messieurs, par l’article 125 vous avez décidé que les députations permanentes des états provinciaux et les autorités qui, dans quelques provinces, remplacent ces mêmes députations, continueraient leurs fonctions en se conformant à la présente loi, jusqu’à l’installation des députations des conseils provinciaux. Mais vous n’avez rien décidé à l’égard des greffiers. Ne faudrait-il pas insérer dans la loi une disposition, afin que les greffiers puissent continuer leurs fonctions jusqu’à ce que les députations aient pu faire leurs présentations aux termes de la présente loi ?

M. le président. - M. Fleussu propose à l’article 125 la disposition additionnelle suivante :

« Les greffiers continueront d’exercer leurs fonctions jusqu’à ce que de nouvelles nominations aient été faites en vertu de la présente loi.

- Cette disposition est mise aux voix et adoptée.

Tableau annexé au projet de loi (nombre de membres des conseils provinciaux)

M. le président. - La discussion est ouverte sur le tableau annexé au projet de loi en discussion. Le gouvernement propose 36 membres pour le conseil provincial de la province d’Anvers ; la section centrale propose 46 membres.

M. de Robaulx. - Le tableau dont nous allons entamer la discussion, a été formé sur des bases qui seront bientôt détruites.

La nouvelle circonscription des cantons changera le système de répartition des conseillers provinciaux. Je désirerais de savoir ce que deviendront les cantons dont les députés seront supprimés. Vous savez qu’il y a dans la loi à laquelle je fais allusion divers cantons qui seront ou supprimés ou morcelés. Que deviendront les députés des cantons morcelés ? Les morcellera-t-on aussi ? L’intention du gouvernement est-elle de faire décider immédiatement la question de la circonscription des cantons judiciaires ? Ne serait-il pas convenable d’ajourner la discussion du tableau jusqu’à l’adoption de la loi qui nous a été présentée sur les justices de paix ? Il serait plus naturel de faire la répartition plus tard. Si au contraire vous arrêtez immédiatement le chiffre du tableau, vous vous verrez bientôt dans la nécessité d’y opérer des rectifications. Au surplus, comme je trouve la loi excellente, elle ne me semblera pas plus mauvaise si vous laissez subsister de nouvelles défectuosités.

M. d’Huart. - La section centrale a présenté le tableau tel qu’il est soumis à nos discussions, tout en sachant bien que la loi sur la circonscription cantonale devra le modifier. Mais elle a eu vue de faciliter la réunion des conseils provinciaux pour la présente année. Si nous attendions l’adoption de la loi que je viens de mentionner, cette réunion si ardemment désirée ne pourrait avoir lieu. Veuillez observer en outre que la commission de l’examen de cette loi vous en proposera le renvoi à l’avis des conseils provinciaux. (Dénégations.) Si elle ne propose pas le renvoi, j’en ferai moi-même la motion.

Les conseils provinciaux sont les meilleurs juges de l’opportunité des changements que la loi doit opérer. Adoptons le tableau tel qu’il est actuellement rédigé, sauf à lui faire subir les modifications que la loi sur la circonscription cantonale rendra nécessaire. Mais ne vous dissimulez pas qu’ajourner la discussion du tableau c’est remettre à l’année prochaine la réunion des conseils dans les provinces.

M. Fallon. - Il est très possible que dans quelques provinces la loi sur la circonscription cantonale présente des difficultés dont la solution soit du ressort des conseils provinciaux. Mais ce cas ne sera pas général. Il est des provinces dont l’organisation cantonale subira peu de modifications. Je ne vois pas d’inconvénients à ce que l’on fixe le nombre des conseillers dans chaque province, sauf à en faire plus tard la répartition.

M. d’Huart. - Rien ne s’oppose à ce que l’on considère le tableau comme une loi transitoire. Nous admettons souvent des lois de cette nature. (Adhésion.)

M. Pollénus. - Je ferai remarquer à la chambre que le tableau que l’on se propose de discuter en ce moment est basé sur la population des cantons ; il me semble que dans un moment où la chambre est saisie d’un projet de loi apportant des modifications aux circonscriptions cantonales, projet sur lequel les rapports sont déjà faits, ce serait s’exposer à perdre son temps à discuter un tableau dont les bases éprouveront nécessairement des modifications qui vicieront le tableau avant qu’il puisse être mis à exécution.

Quel que soit mon désir de voir le pays bientôt jouir d’une institution dont il a un si pressant besoin, je ne puis cependant dissimuler que j’ai peu d’espoir de voir la loi provinciale mise à exécution pendant le courant de la présente année.

L’honorable M. d’Huart a dû prévoir que cette loi peut nous occuper encore plusieurs jours, et un objet de cette importance ne peut manquer de donner lieu à de longs débats à l’autre chambre, et j’ignore si le gouvernement est disposé à convoquer immédiatement le sénat.

Il est une autre question encore, c’est de savoir si le gouvernement jugera convenable de mettre cette loi à exécution avant la loi communale qui est encore à faire ; c’est une question, je le répète. J’ignore les intentions du gouvernement à cet égard,

Je crois donc que la chambre doit éviter de perdre un temps précieux et qu’il est préférable de s’occuper des amendements, qui ont été renvoyés à la section centrale et dont la discussion a été différée.

M. Coghen. - J’appuie la proposition faite par M. d’Huart, de discuter immédiatement le tableau et les motifs qu’il a allégués en faveur de son opinion. La nécessité d’une prompte réorganisation provinciale est reconnue par tout le monde. On peut admettre la division cantonale actuelle, sauf à modifier la répartition des conseillers sur les bases nouvelles, lorsque nous les aurons adoptées. Mais, je le répète, la mise à exécution est d’une nécessité incontestable, et nous sentons tout le besoin de n’y apporter aucun retard.

M. d’Hoffschmidt. - J’ai pris la parole pour combattre les motifs allégués par l’honorable M. Pollénus pour l’ajournement de la discussion du tableau. Je ne vois pas comme lui l’impossibilité qu’il y aurait de mettre à exécution pour la présente année la loi qui fait l’objet de nos discussions. N’avons-nous pas consacré, dans un article précédent que le Roi fixerait la première réunion des conseils provinciaux ? Le Roi ne sera pas oblige de fixer pour l’année 1834 cette réunion à l’époque ordinaire. Elle pourra avoir lieu un mois plus tard, au mois de septembre par exemple.

Les objections que rencontrera le projet de loi sur la circonscription cantonale ne seront pas aussi fortes que l’on paraît le supposer. Si les modifications apportées par la commission à laquelle nous en avons confié l’examen sont adoptées, comme tout le fait supposer, les changements ne bouleverseront pas le système actuel, et les inconvénients d’une nouvelle répartition ne sont pas aussi graves qu’on pourrait le supposer. Le tableau que nous discutons actuellement ne sera pas transitoire, et plus tard nous modifierons la répartition des conseillers.

Ces changements ne dépasseront probablement pas deux ou trois membres par province.

J’appuierai la proposition de mon honorable ami M. d’Huart.

M. Dubus. - Il y a dans le tableau des chiffres qui me semblent pouvoir être adoptés définitivement ; je veux parler des chiffres globaux. Je crois que la chambre a pris une décision antérieure qui en nécessite le vote. Si ma mémoire ne me trompe pas, la chambre a ajourné l’adoption de l’article 86 du projet de la section centrale jusqu’à la discussion du tableau. Il est donc indispensable que les chiffres globaux au moins soient discutés. Il faut fixer le nombre des conseillers dont chaque conseil provincial devra se composer.

Il ne dépend pas de la loi actuelle de se prononcer irrévocablement sur le chiffre des conseillers pour chaque canton. La répartition définitive ne pourra avoir lieu que lors du vote sur la loi relative à la circonscription des cantons judiciaires. Mais je le répète, il est nécessaire que nous fixions actuellement les chiffres globaux.

Quant à la question de savoir s’il convient de s’occuper du vote du tableau tel qu’il a été présenté par la section centrale je ne verrais pas d’inconvénient à ce que la chambre l’adoptât, sauf à le modifier plus tard. Mais je ne partage pas l’opinion d’un honorable membre qui a demandé le renvoi du projet de loi sur la circonscription cantonale à l’avis des conseils provinciaux. Je pense qu’au moyen des avis qui nous ont été transmis de toutes les parties du royaume et du travail consciencieusement élaboré par la section centrale, la chambre se trouvera suffisamment éclairée pour en entamer immédiatement la discussion. Mais mon opinion est qu’il y a urgence de compléter la loi provinciale, de la voter dans tout son ensemble et de ne pas attendre la discussion de la loi relative à la circonscription des cantons judiciaires.

M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je ne pense pas que le vote immédiat du tableau présente aucun inconvénient. Comme la loi sur la circonscription cantonale n’est pas encore votée, les élections pour les conseils provinciaux seront faites par les cantons, tels qu’ils existent en vertu de la législation actuelle. Les élections qui auront lieu après l’expiration du mandat des premiers conseillers, s’opéreront d’après les bases établies pendant la durée de ce mandat. Pourquoi les conseillers élus avant la réorganisation des cantons ne continueraient-ils pas leurs fonctions ? Quand elles seront expirées, une loi spéciale pourra déterminer la répartition nouvelle résultant d’un changement de législation.

M. Legrelle. - J’ai entendu dire que la loi provinciale ne serait pas mise à exécution cette année. Je crois qu’il y a urgence de presser la réunion des conseils provinciaux. Partout les députations sont incomplètes.

Dans la province que j’habite, s’il arrivait qu’un membre de la députation fût malade, et que le gouverneur fût absent, l’administration se trouverait complètement désorganisée.

M. Dellafaille. - L’urgence de la mise à exécution de la loi qui nous occupe n’est douteuse pour personne. Les raisons alléguées par M. Legrelle sont justes. La Flandre occidentale, la province de Namur sont dans le même cas que la province d’Anvers. Je ne vois aucun inconvénient à ce que les tableaux soient votés. Les premières élections se feront conformément à l’organisation cantonale actuelle. Plus tard la répartition nouvelle fera l’objet d’une loi. Il ne serait même pas nécessaire que cette loi émanât de la législature ; il suffirait que l’on autorisât par un article supplémentaire les conseils eux-mêmes à faire cette répartition.

M. Fallon. - Si, pour compléter la loi provinciale, il ne nous restait qu’à voter le tableau dont il s’agit, je concevrais qu’on pût s’occuper de ces détails ; mais vous savez que deux rapports vous ont été faits sur la circonscription des cantons judiciaires et que, aussitôt que vous aurez statué sur les amendements qui ont été renvoyés à la section centrale, vous pourrez vous occuper de ce projet de loi.

- Plusieurs membres. - Et la loi communale ?

M. Fallon. - Si après la loi provinciale on ne doit pas s’occuper de la loi relative à la circonscription des cantons judiciaires, je ne vois pas d’inconvénient à aborder dès à présent les détails. On s’occupera, dit-on, de la loi communale ; mais je ferai remarquer que le rapporteur de la loi communale est indisposé, et que, d’après l’avis des médecins, il ne pourra de quelque temps encore prendre part aux travaux de la chambre. Il me paraît difficile de discuter cette loi aussi prochainement qu’on se le propose.

M. d’Huart. - Je pense que pour compléter la loi provinciale, il est indispensable, comme l’a proposé l’honorable M. Dubus, de s’occuper du chiffre global des conseillers provinciaux. Je dis plus, c’est qu’il n’y a aucun inconvénient à aborder les détails du tableau ; je suis persuadé qu’ils ne donneraient lieu à aucune discussion, et que leur simple lecture suffira pour en déterminer l’adoption.

Lorsque la loi relative aux circonscriptions de cantons judiciaires aura été votée, il sera facile de modifier le tableau ; mais je crois qu’il importe de terminer la loi provinciale. Le gouvernement pourra convoquer le sénat, lequel discuterait la loi provinciale pendant que nous-mêmes voterions la loi communale. Je persiste donc à demander le vote immédiat du tableau.

- Un grand nombre de membres. - Appuyé !


M. le président. - La chambre passe à la discussion de la répartition des conseillers provinciaux. Le gouvernement ne s’est pas rallié au projet de la section centrale ; en conséquence la discussion est ouverte sur le projet du gouvernement.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Messieurs, la section centrale a augmenté dans une proportion très forte le chiffre des conseillers proposé par le gouvernement. Au nombre des motifs qu’a fait valoir la section centrale en faveur de cette augmentation, je n’ai remarqué que celui-ci, savoir : que dans un conseil plus nombreux, il y avait plus de chances de former une bonne députation. Mais la section centrale a raisonné dans l’hypothèse où la députation serait plus nombreuse que ne l’a proposé le gouvernement. Le gouvernement à pensé qu’une députation de cinq membres était suffisante pour faire face à tous les besoins administratifs de la province. La section centrale a élevé ce nombre à huit. Si donc la chambre partage cette opinion que cinq membres suffisent pour former une bonne députation provinciale, il s’en suivra qu’on pourra diminuer le nombre des conseillers sans trop diminuer les chances d’une bonne députation.

Les conseils provinciaux ne sont pas des corps politiques ; sur ce point tout le monde est d’accord dans cette chambre ; ils ont à s’occuper d’intérêts purement administratifs ; ils ne sont chargés que des affaires de la province, et nous pensons que le moyen de traiter ces affaires bien et promptement, d’en traiter beaucoup en peu de temps, c’est de ne pas les livrer à des conseils trop nombreux, mais bien à des conseils dans une proportion telle que tous les intérêts de la province soient représentés, sans donner le jour à de longues discussions, à des débats qui tourneront nécessairement à la politique si les assemblées provinciales sont trop nombreuses.

Il ne faut pas, messieurs, perdre de vue qu’au contraire de ce qui se passe dans d’autres pays, nos assemblées provinciales délibéreront en public, premier stimulant qui poussera les administrateurs vers les questions politiques, lesquelles ont toujours plus d’attrait pour le public que les questions purement administratives. Voilà ce qu’il faut éviter. C’est le devoir du pouvoir central ; et dans le pouvoir central, je comprends les chambres législatives. Il ne doit pas souffrir que sur neuf points du royaume, neuf parlements fassent de la politique, stimulés qu’ils seront par la présence du public.

D’après le projet de la section centrale, différents corps administratifs présenteront un nombre de plus de 60 membres. Il y aurait 73 conseillers dans la Flandre orientale, 63 dans la Flandre occidentale, et 61 dans le Hainaut. Ce seraient des corps plus nombreux que le sénat, presque aussi nombreux que la chambre des représentants, qui la plupart du temps ne délibère pas à un nombre plus élevé que 60 ou 70. Je crois que le chiffre proposé par le gouvernement est ce qu’il doit être pour que les intérêts de la province soient convenablement débattus et défendus. Je pense, qu’un nombre de 36, 40 ou 42 conseillers est amplement suffisant pour qu’ils puissent apprécier et débattre tous les intérêts de la province qui sont les seuls dont ils aient à s’occuper.

Il faut tenir compte aussi de la difficulté qu’il y aura dans chaque canton de trouver des hommes convenables pour ces fonctions et disposés à les accepter. Je crois qu’il est déjà assez difficile dans tel ou tel canton de trouver tantôt 8, tantôt 4 conseillers, nombre proposé par le gouvernement. La section centrale propose d’élever ce nombre à 11 conseillers, à 10, à 9. Un tel nombre me paraît beaucoup trop élevé pour que les électeurs puissent faire des choix toujours convenables, toujours heureux. Les électeurs, surtout dans les campagnes, auront souvent de la peine à rencontrer dans les cantons 9 conseillers également dignes de leur confiance. Ils connaissent souvent une, deux, trois personnes dans lesquelles ils ont confiance, et après qu’ils leur ont donné leur voix, ils ne s’embarrassent pas du reste, et abandonnent leurs choix au hasard ou aux indications que l’esprit d’intrigue pourra leur donner.

J’ajoute que si nous nous rapportons à l’exemple d’un pays voisin où on ne peut supposer que les intérêts administratifs ne soient pas bien compris, nous trouvons que le nombre des représentants des divisions territoriales correspondant à nos provinces est plus rapproché de la proposition du gouvernement. que celle de la section centrale. En France les conseils généraux de département n’ont pas plus de 30 conseillers, là même où il y a plus de 30 cantons ; car alors plusieurs cantons se réunissent pour nommer un membre du conseil général.

Et là, messieurs, les assemblées départementales ne sont pas publiques ; elles ne peuvent correspondre entre elles ; elles sont loin d’avoir les attributions étendues que nous avons données à nos assemblées provinciales.

De tout temps en France, le nombre des conseillers a existé dans une proportion beaucoup plus faible que celle que nous proposons ; je ne pense pas que dans les débats parlementaires qu’ont successivement suscités les différents projets de loi d’organisation départementale, la discussion ait porté sur l’extension à donner au nombre des conseillers.

J’attendrai les raisons que l’on peut faire valoir en faveur d’une augmentation que je considère comme exagérée et comme n’étant pas de nature à servir les intérêts des provinces.

M. H. Dellafaille - Messieurs, l’idée qui paraît dominer le plus M. le ministre de l’intérieur dans son opposition au tableau proposé par la section centrale, est la crainte de voir les conseils provinciaux s’ingérer plus facilement dans les matières politiques si le nombre de leurs membres est trop nombreux. Je crois, messieurs, que cette crainte est peu fondée.

Je ferai d’abord observer à M. le ministre que si ce danger était à craindre, le nombre plus restreint des conseillers ne l’empêcherait point. Il y aura toujours dans un corps électif, quel que soit le nombre de ses membres, des hommes de toutes les opinions, et dès lors les questions qu’on semble craindre ne laisseraient pas d’être soulevées.

En outre, je crois que c’est une erreur de craindre que les conseils provinciaux ne deviennent des parlements au petit pied. Leurs attributions sont presque toutes administratives. Il n’y a guère qu’un point où elles puissent toucher à la politique, c’est le droit qui leur est conféré par la constitution, d’appuyer les intérêts de leurs provinces et de leurs administrés auprès du Roi et des chambres. Mais, messieurs, remarquez, s’il vous plaît, qu’une adresse ne saurait inquiéter sérieusement, puisque c’est après tout le chef de l’Etat ou les chambres législatives qui en décideront. Que si les conseils voulaient substituer leur volonté à celle des autorités placées au-dessus d’elle par la constitution, il y a des moyens suffisants pour réprimer cet abus.

En quoi voulez-vous d’ailleurs que les conseils puissent inquiéter le gouvernement ? Toutes leurs réclamations qui ont quelque importance sont soumises à la sanction royale. Le Roi peut annoter tous les actes qui sortent des attributions de ces corps ou qui blessent l’intérêt général. Sauf quelques légères modifications, la section centrale admet dans ce rapport les propositions du gouvernement qui atteint par le droit d’annulation les actes qui échappent à son droit d’approbation. Pourquoi donc ces craintes que je ne conçois pas ? Et en quoi surtout le nombre plus ou moins grand des députés peut-il en ce point exercer quelque influence ?

M. le ministre de l’intérieur admet que tous les intérêts doivent être convenablement représentés : c’est un des motifs qui ont déterminé la section centrale dans le chiffre auquel elle s’est arrêtée. Beaucoup de cantons auront deux députés, et l’absence de l’un d’eux ne laissera du moins pas un canton entier sans représentation aucune. Rappelez-vous, messieurs, que dans nos anciens états provinciaux, les députés des campagnes surtout ne brillaient pas par leur exactitude aux séances.

Il est encore à craindre, si le nombre est aussi restreint que ne le propose le ministre, qu’une famille riche et influente, en faisant nommer plusieurs de ses membres dans divers cantons, n’exerce trop d’action sur le conseil. Deux ou trois familles liguées pourraient mener toute une province. Ce motif n’a point échappé à la section centrale.

M. le ministre craint que les cantons ne puissent que difficilement trouver un nombre suffisant de bons représentants. Il cité à l’appui de son opinion ceux qui ont dix ou onze députés. Je lui ferai remarquer que les cantons ruraux n’ont que deux ou au plus trois députés, et que ceux qui ont le nombre cité sont les cantons dépendants des grandes villes. Ces localités sont précisément celles où les capacités sont plus faciles à trouver, et elles ne voient même pas augmenter leur ancienne représentation. Qui me fera accroire, par exemple, que le canton de Gand ne pourra fournir dix députés, tandis qu’aux états provinciaux la ville en a toujours fourni quatorze sans aucune difficulté.

Une raison qui me paraît plaider avec force en faveur du chiffre de la section centrale, c’est l’avantage inappréciable de mettre un plus grand nombre de personnes au fait de nos institutions constitutionnelles et des intérêts du pays. Il serait à désirer que nos conseils provinciaux pussent devenir des pépinières propres à fournir au gouvernement des administrateurs habiles ; aux chambres, des membres rompus à l’administration et connaissant à fond les besoins des districts qui les envoient à la législature. Beaucoup de personnes ne peuvent accepter ces fonctions, soit par leur position sociale, soit par leurs occupations. Si vous voulez trouver un jour, dans vos conseils, des sénateurs, des représentants qui répondent aux vœux de leurs commettants, il est nécessaire que vous rendiez ces corps assez nombreux pour que les électeurs puissent facilement y trouver des candidats.

A l’appui de son opinion, M. le ministre nous a cité l’exemple de la France : je vous l’avoue, messieurs, je vois avec peine cette propension à nous citer constamment comme modèle à suivre ce qui se passe chez nos voisins du midi. Il semblerait à quelques personnes que, vassaux de la France, nous sommes obligés de nous conformer en tout point aux errements de cette nation. Libre à qui le voudra de révérer cette autorité ; pour moi une semblable raison est absolument sans force ; je dirai plus : l’exemple de la France est souvent à mes yeux un motif de suspicion. Sans doute il ne faut pas rejeter ce qui est bon par le seul motif que son origine est française, mais cette origine ne doit pas non plus être considérée comme un motif plausible d’adoption ; j’ajouterai en outre que si, pour constituer la province et la commune, nous avons besoin de lumières et d’exemple, ce n’est pas au midi que nous devons aller en chercher, c’est en Belgique que nous les trouverons. Jamais la France n’a rien connu aux franchises communales et provinciales, et elle ne pourrait nous offrir à cet égard qu’un très pitoyable modèle.

Je voterai pour le projet de la section centrale.

M. d’Hoffschmidt. - Un conseil trop peu nombreux ne représente pas bien les intérêts de sa province. Dans un petit nombre de conseillers, presque tous cultivateurs, pères de famille, il est très difficile de choisir six ou huit personnes éclairées dans l’administration, pour composer la députation. Si la proposition du gouvernement était adoptée, il y aurait des provinces où le conseil serait évidemment réduit à un trop petit nombre de membres. Je citerai les provinces du Luxembourg et du Limbourg qui sont très peu peuplées. Le gouvernement ne leur accorde que 42 conseillers ; si, contre mon attente, elles venaient à être scindées en vertu du traité des 24 articles, il resterait seulement 23 conseillers à la province du Luxembourg et 17 ou 18 dans le Limbourg. Je demande si dans un aussi petit nombre de conseillers il serait facile de choisir la députation ? M. le ministre pense que 40 ou 50 conseillers sont suffisants pour débattre les intérêts de la province : mais il faut considérer que les conseils se partagent en plusieurs sections ; or, elles ne pourraient être que de trois ou quatre membres, si les conseils étaient réunis en petit nombre. Le travail de ces sections est cependant fort important : si quelques membres, la moitié, par exemple, sont absents, je demanderai comment les travaux s’exécuteront et quel sera le résultat de leur examen ?

M. le ministre de l'intérieur a dit qu’en France les conseils de département n’avaient que 30 conseillers, et il a ajouté que ces conseils avaient peu d’importance ; mais c’est précisément parce qu’ils ont peu d’importance qu’ils ne sont pas nombreux, et l’argument de M. le ministre ne vient donc pas en faveur de son système.

Je pourrais ajouter bien d’autres considérations à celles que je viens d’exposer, mais je me réfère sur beaucoup de points à ce qu’a dit l’honorable M. Dellafaille. Il n’y a qu’une chose sur laquelle je ne partage pas son opinion.

Il a dit qu’il ne fallait pas nous faire les vassaux de la France ; qu’il ne fallait pas chercher dans cette contrée des exemples pour fonder nos libertés communales. Messieurs, ne dédaignons pas les exemples que peut donner la France ; ne décrions pas un pays auquel nous devons peut-être nos libertés. Sans la France que serions-nous aujourd’hui ? Il n’est pas habile de crier si haut que nous n’avons pas besoin de la France et de ses exemples ; il n’est pas prudent de s’aliéner l’esprit de ses voisins.

M. Fallon. - J’appuierai le tableau proposé par la section centrale : les motifs allégués par M. le ministre de l’intérieur contre ce tableau ne m’ont pas frappé. Le tableau présenté par le gouvernement offre des bizarreries assez choquantes.

Pour Namur, par exemple, on y propose 27 conseillers, tandis que pour une autre province, égale en population, on y propose 42 conseillers. La section centrale a présenté un terme moyen entre les chiffres admis précédemment pour la composition des conseils, et le chiffre du gouvernement. A Namur, nous avons actuellement 54 conseillers ; la section centrale en propose 43 : je ne vois pas d’inconvénient à opérer cette réduction.

M. Helias d’Huddeghem. - Je viens aussi appuyer le tableau proposé par la section centrale. Il me semble que le nombre des conseillers doit être fixé d’après la population et l’importance des travaux du conseil.

Le nombre des conseillers propose par la section centrale n’est point trop élevé pour s’occuper des travaux qui leur seront confiés, et pour régler les différends qui s’élèveront entre les communes et les particuliers. Le service ordinaire pourrait souffrir si plusieurs membres s’absentaient. Dans la Belgique les conseils d’arrondissement étaient composés d’un grand nombre de membres. Voila l’exemple que nous devons suivre, sans recourir à l’exemple de nos voisins.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je sais que, sous le rapport de l’administration provinciale et communale, la Belgique n’a jamais eu rien à envier à un pays voisin, et que ce n’est pas dans ce pays qu’elle doit aller chercher ses modèles ; mais j’ai voulu faire voir que dans un pays où l’on passe généralement pour avoir quelques connaissances en administration, dans un pays qui a une certaine réputation pour les administrateurs qu’il a produits, dans ce pays, dis-je, il a été admis sans discussion, lorsqu’il s’est agi dans les chambres d’organisation provinciale et communale, que 30 représentants par département suffisaient pour défendre et pour débattre les intérêts de ces départements.

J’aurais pu citer l’exemple de la Prusse ; nous aurions eu là aussi un fait qui prouverait qu’il y a exagération dans le nombre des conseillers provinciaux de la Belgique, si on compare ce nombre avec celui de la diète des provinces rhénanes. La diète provinciale du Grand-Duché se compose de 75 membres pour une population de plus de deux millions d’âmes, ce qui fait un conseiller pour 35,000 habitants. Dans le projet du gouvernement, il y a un conseiller provincial pour 10,000, 15,000 et quelquefois pour 18,000 habitants ; ce dernier chiffre est le maximum.

On dit qu’il faut que l’assemblée du conseil soit nombreuse pour prévenir les effets des absences et des inexactitudes des membres ; nous croyons que c’est précisément le contraire. Plus l’assemblée sera restreinte, plus grande sera la responsabilité de chacun des membres ; nous croyons qu’il y aura plus d’absences, plus d’inexactitudes, si un conseiller peut compter sur son collègue pour représenter son canton en cas d’absence ; s’il est seul, il mettra plus de zèle à se rendre au conseil.

Le seul argument qui m’a paru devoir attirer l’attention de la chambre, est celui-ci : Avec des corps administratifs plus nombreux, vous créez, dit-on, une pépinière d’hommes publics et d’administrateurs. J’avoue que, sous ce rapport, le projet de la section centrale l’emporte sur le projet du gouvernement, attendu que le dernier projet restreint les chances de former dans le pays des administrateurs et des hommes publics, en restreignant le nombre des conseillers. Mais cet argument, loin de détruire, ne fait que confirmer les considérations que j’ai fait valoir relativement à la tendance que ces administrateurs auraient à devenir hommes politiques. C’est là ce qu’il faut éviter.

Je crois que les chambres législatives ne doivent point volontairement, imprudemment, travailler à une œuvre qui aurait pour but de leur donner autant de rivales qu’il y aura d’assemblées provinciales dans le royaume. Ce n’est pas le pouvoir exécutif qui sera le plus menacé, c’est le pouvoir législatif, parce que c’est ce pouvoir qui a le plus à se défendre contre les envahissements qui me paraissent très probables, alors que les assemblées provinciales seront très nombreuses, qu’elles délibéreront en public et qu’elles auront la faculté d’adresser des vœux sur toutes choses au pouvoir central.

Sait-on bien ce que serait un vœu exprimé dans une assemblée composée de 73 membres et adressé à une assemblée de 50 membres, telle que le sénat, ou à la chambre des représentants délibérant avec un nombre inférieur de membres ?

Je suppose qu’une loi soit votée à l’assemblée législative par 60 membres ; cette loi rencontre des résistances dans les assemblées de la province : on l’accusera d’être inconstitutionnelle, on dira que la chambre pas le droit de voter une loi en violation de la constitution ; des vœux se manifestent contre cette loi par l’assemblée provinciale composée de 73 membres, alors que la loi n’a été portée dans la chambre que par 60 députés. Ne voyez-vous pas qu’il pourra exister une lutte entre ces deux corps délibérant en public, et que la balance pourra pencher du côté du plus nombreux ?

Je ne veux pas effrayer la chambre par des craintes imaginaires ; nous n’avons pas encore acquis l’expérience de ces assemblées provinciales délibérant en public ; je vous avoue que je redoute de graves inconvénients pour la marche générale des affaires. je crois que quel que soit le patriotisme des membres de ces assemblées, ils seront souvent entraînés dans des questions politiques, et qu’ils tendront à sortir du cercle de leurs attributions. Si deux ou trois conseils provinciaux réunis forment une assemblée plus nombreuse que la chambre des représentants et le sénat, je vous le demande, dans le cas où ces corps s’entendraient pour blâmer un acte législatif, quelle serait la position du pouvoir législatif en présence d’une pareille coalition ?

Je persiste à croire, malgré ce qui a été dit, que l’on peut donner aux conseils provinciaux des attributions plus étendues sans que pour cela il y ait nécessité d’augmenter le nombre des conseillers.

On s’est étonné que la province du Luxembourg fût portée dans le projet du gouvernement comme devant avoir 42 conseillers, tandis que la province de Namur n’en a que 27 ; je ferai observer qu’il y a entre les deux provinces une différence de 100,000 âmes dans la population.

Il faut ensuite se reporter à la différence dans le nombre des cantons ; la province du Luxembourg a 33 cantons, tandis que celle de Namur n’en a que 13. Dans tous les cas, si la province du Luxembourg a un privilège quant au nombre de ses conseillers, cela répondrait à l’objection faite par un des membres de cette chambre que cette province aurait un trop petit nombre de conseillers alors que l’adoption du traité de 24 articles en aurait détaché une partie de la Belgique.

Le nombre de conseillers proposé par le gouvernent ne l’a pas été dans des circonstances récentes ; cette fixation date d’une époque où l’on ne pouvait pas soupçonner le pouvoir de vouloir porter atteinte à l’indépendance provinciale. Il est conforme à celui proposé au mois de décembre 1831 par un de mes honorables prédécesseurs ; nous n’avons fait que le reproduire. Nous nous sommes fait un devoir le défendre.

M. le président. - La parole est à M. A. Rodenbach.

M. A. Rodenbach. - Personne n’appuie donc le tableau du ministre ? Je répondrai quand un membre aura pris la parole pour le défendre.

Il n’y aura personne.

M. de Theux, rapporteur. - Il est impossible de poser une règle bien précise pour la détermination du nombre des conseillers provinciaux. C’est une affaire d’appréciation, d’opinion. En effet, en 1831 le gouvernement, prenant en considération que les conseils provinciaux n’avaient plus d’élections à faire pour les chambres législatives, avait pensé qu’on pouvait diminuer considérablement le nombre des conseillers. En présentant le tableau, il exposa ses motifs, ils ont été examinés. Dans les sections la majorité s’est prononcée pour une augmentation du nombre des conseillers. Dès lors la section centrale a cru pouvoir prendre un terme moyen entre les propositions du gouvernement et celles de plusieurs sections qui voulaient que le nombre des conseillers fût doublé.

On a dit que le seul motif d’augmentation donné par la section centrale consistait dans l’augmentation qu’elle avait donnée au nombre des membres de la députation : c’est une erreur. Le premier motif résulte des opinions émises dans les sections. Le deuxième motif est l’augmentation du personnel de la députation. Le troisième est qu’on a voulu donner à chaque canton une représentation de deux conseillers, afin que ses intérêts fussent mieux défendus au conseil provincial et que tous les intérêts y eussent plus d’organes.

La section centrale s’est-elle encore écartée de ce qui convient le mieux à l’intérêt général du pays ? Je ne le pense pas. On craint, dit-on, que les conseils ne dégénèrent en corps politiques, que l’augmentation de leur personnel ne les fasse dégénérer en corps politiques. Je ne partage pas ces craintes.

On dit encore qu’il résultera de cette augmentation que les travaux des conseils s’expédieront avec moins de rapidité. Mais ces deux objections se détruisent l’une l’autre. Si l’augmentation du personnel ralentit l’expédition des affaires, les conseils provinciaux n’auront pas le temps de s’occuper de questions politiques ; ils pourraient à peine examiner le budget et les comptes de la province et quelques projets d’utilité provinciale.

On craint aussi que l’influence de corps aussi nombreux ne vienne paralyser l’influence du pouvoir législatif. Si cette crainte était fondée, nous devrions évidemment nous empresser de circonscrire ces corps dans de justes limites. Mais cette opinion n’est pas fondée. D’ailleurs, nous avons employé le meilleur moyen pour empêcher les conseils provinciaux de dégénérer en corps politiques ; ç’a été de déclarer incompatibles les fonctions de membre de l’une des deux chambres, et celles de conseiller provincial. C’est la meilleure garantie. Indépendamment de ce que les membres des deux chambres sont plus habitués à traiter des questions politiques, et sont plus portés à les soulever, il résulterait une fausse position de cette double qualité, lorsqu’un membre des deux chambres aurait fait partie d’un conseil provincial qui aurait exposé des vues politiques. Mais, d’après la séparation établie entre l’une et l’antre fonction, les conseils auront peu de chances de s’occuper de questions politiques, et les chambres jalouses de leurs prérogatives ne favoriseront pas des démarches de ce genre. Sans doute, si des vœux sages étaient exprimés dans l’intérêt de la province, on ne les repousserait pas ; mais, s’ils prenaient un autre caractère, ils rencontreraient évidemment dans les deux chambres, un obstacle insurmontable.

On a dit que si plusieurs conseils voulaient se mettre en opposition avec la législature, l’exécution de la loi pourrait rencontrer des obstacles. Je répondrai d’abord que je ne crois pas que cela soit à craindre. Il faudrait pour cela que la majorité des conseils du royaume suivissent cette marche. C’est ce qui n’est pas présumable. On a vu sous le gouvernement précédent, où les assemblées provinciales étaient infiniment plus nombreuses, alors que les griefs étaient immenses, que le midi de la Belgique était constamment opprimé par la députation du nord aux états-généraux ; on a vu, dis-je, avec combien de peine on est parvenu à décider trois ou quatre états provinciaux à émettre des vœux ; dans les autres provinces on s’y est constamment refusé. Les vœux émis alors n’ont pas ébranlé le pays ; et si le gouvernement avait suivi une marche plus raisonnable, au lieu de violer sans cesse la constitution, ces vœux n’auraient eu aucune espèce d’écho. Ils n’étaient autre chose que ceux qui furent proclamés par la Belgique tout entière.

On a dit que les électeurs seraient embarrassés pour choisir un aussi grand nombre de conseillers, qui s’élève jusqu’à dix dans certaines villes. Si c’était là une raison, l’objection serait bien plus forte contre les conseils de régence, dont le nombre des membres s’élève, quelquefois, jusqu’à 25. Je pense que cette objection n’est pas sérieuse.

Un honorable député de Namur a cru que, dans le premier projet, on avait commis une erreur vis-à-vis de sa province, comparativement au Luxembourg ; on a pris pour base la population. La province du Luxembourg est portée pour une population de 320 mille habitants, tandis qu’on n’en porte que 211 mille pour la province de Namur.

Je bornerai là, quant à présent, mes observations. J’attendrai les autres objections qui pourraient être faites contre le projet de la section centrale.

M. Eloy de Burdinne. - Je viens appuyer le chiffre du gouvernement, bien entendu que s’il se trouve des provinces qui n’ont pas le nombre de conseillers que leur importance comporte, on devra satisfaire à leur réclamation. J’appuie la proposition du gouvernement, d’abord par le motif qu’il y aura une économie marquante, ce qui n’est pas à dédaigner. Vous savez tous que nous cherchons les économies et que nous devons les prendre où elles se trouvent.

On a fait valoir plusieurs motifs à l’appui du chiffre de la section centrale. Un honorable collègue, M. d’Hoffschmidt, craint, si on le diminue, qu’on ne soit embarrassé pour former les sections, qui sont composées de trois et quatre membres et ont à s’occuper d’objets importants. Je lui répondrai qu’aux états provinciaux on a assisté aux séances avec beaucoup plus de zèle qu’à la chambre des représentants. Je peux assurer que pendant tout le temps que j’ai eu l’honneur de faire partie des états provinciaux de la province de Liége, il est rarement arrivé que le dixième des membres fût absent.

Je ne sais pas si le nombre de conseillers assigné à la province de Namur est suffisant, mais il me semble que pour la province de Liége le nombre de 38 que lui assigne le gouvernement suffit. A la vérité les états provinciaux se composaient de 63 membres ; mais je ferai remarquer que de ces 63 membres, 21 appartenaient au corps équestre.

A cette époque il était nécessaire que les états provinciaux continssent un grand nombre de membres, parce que c’étaient autant de corps électoraux, qui nommaient les députés aux états généraux. L’objet en valait la peine.

L’honorable M. Dellafaille a fait une autre observation. Il a considéré les conseils provinciaux comme des écoles administratives, où les conseillers pourront acquérir des connaissances qui les mettront à même d’occuper des fonctions gouvernementales ou législatives. Cependant, quinze jours de leçons par an me semblent peu propres à former des hommes d’un grand talent.

M. le ministre de l’intérieur a exprimé des craintes sur les inconvénients que pourra présenter la publicité des séances. Je regrette de ne pouvoir partager ses craintes sous ce rapport. Cette publicité amènera des résultats très favorables. Ayant soutenu le principe de la publicité aux états provinciaux de Liége, je le soutiendrai également dans cette enceinte. La publicité stimulera le zèle des conseillers et maintiendra dans de justes bornes les hommes qui voudraient s’écarter des principes de la révolution.

L’honorable M. de Theux a dit que l’on avait augmenté le chiffre des conseillers, afin que chaque canton fût représenté par deux membres. Mais je crois qu’il en résultera une inégalité dans la proportion des citoyens représentés. Dans la province de Liége, il est plusieurs cantons auxquels on a accordé une augmentation de membres ; mais je ferai remarquer que le canton de Landen, dont la population est de 9,393 habitants, n’aura, d’après le projet de la section centrale, qu’un représentant, tandis que le canton de Bodegnée, dont la population étant de 11,598 habitants ne dépasse celle de Landen que de 2,000 habitants, aura deux représentants. Le canton de Waremme, qui a 11,207 habitants, n’a qu’un représentant ; celui de Bodegnée, qui n’a que deux cents habitants de plus, aura deux représentants. 200 habitants donneront donc droit à l’augmentation d’un représentant. Cet inconvénient ne doit pas être dédaigné.

Quant aux questions politiques que les conseils provinciaux pourraient agiter, je ne crains pas cette prévision. On pourra émettre un vœu en nombre moindre. Qu’il y ait 42 conseillers ou qu’il y en ait 46, ce nombre ne les empêchera pas de faire connaître, s’ils le veulent, leur opinion sur une question politique. Du reste je suis très tranquille sur ce point, et je ne vois pas qu’il puisse arriver les inconvénients que l’on semble craindre. Je voterai pour le chiffre ministériel.

M. Donny. - Je suis loin de partager les craintes de M. le ministre de l’intérieur, qui trouve la tendance politique d’un conseil provincial d’autant plus dangereuse que ce conseil serait composé d’un plus grand nombre de membres. Aussi, si je n’avais d’autres motifs pour adopter le système du gouvernement, je me rangerais facilement à l’avis de la section centrale. Mais d’autres raisons me déterminent à donner la préférence au projet du gouvernement.

D’abord, je pense que le nombre de conseillers fixé par ce projet suffit pour l’expédition des affaires dont sont chargés les conseils provinciaux. Ensuite j’y vois, comme M. Eloy l’a déjà fait observer, une économie assez considérable pour le trésor. Cette économie s’élève à la somme de 65,000 francs par an. Voici comment ce chiffre est calculé : la section centrale vous propose de porter à 64 le nombre des membres des députations ; le gouvernement en réduit le nombre à 45. Il y a donc dans le système de la section centrale une augmentation de 19 députés ; ce qui, à raison de 3,000 francs par député, produit une somme de 57,000 francs. La section centrale propose, en outre, 12 conseillers provinciaux de plus que le gouvernement. Les indemnités que vous avez déclaré devoir leur être accordées s’élèveront bien à 8,000 ; ce qui forme, avec le traitement des membres des députations, un total de 65,000 francs.

Je voterai donc pour le chiffre proposé par le gouvernement.

L’honorable M. Fallon a fait une observation sur la disproportion du nombre des conseillers entre diverses provinces. Je ne suis pas à même d’examiner si son observation est bien fondée. Mais en tout cas il pourrait proposer un amendement.

M. Fallon. - J’avais commis une erreur.

M. Donny. - Dans ce cas mon observation tombe d’elle-même.

M. A. Rodenbach. - L’on a craint que des conseils provinciaux en s’occupant de matières politiques ne cherchent à entraver la marche du ministère, à empêcher la marche gouvernementale de prendre son essor. Ces craintes pourraient être fondées, s’il n’y avait eu des amendements, entre autres un de M. de Muelenaere, tendant à restreindre l’action des conseils provinciaux sous ce rapport. Leurs règlements doivent être soumis à l’approbation du gouvernement. Ils ne peuvent, comme on l’a déjà dit, s’occuper que d’intérêts purement provinciaux. S’ils voulaient faire connaître qu’une loi sur les céréales serait utile, ils pourront en émettre le vœu, et ils seront dans leur droit. Mais s’ils entraient dans le domaine de la politique, on ne les écouterait pas, fussent-ils deux mille. Nous avons vu arriver à la chambre des pétitions signées par 4,000 personnes. Elles ont été rejetées quand elles nous ont paru ne pas devoir être accueillies.

Je ne partage pas l’opinion de M. Eloy, quand il dit que les conseils provinciaux ne seront pas une pépinière d’administrateurs et de représentants. Je pense que l’on doit aux états-provinciaux un grand nombre d’hommes capables. L’honorable M. Eloy a dû voir par lui-même quelle a été leur influence sous ce rapport. Je pense donc qu’il y a lieu d’adopter le chiffre de la section centrale.

Quant à l’objection d’économie que l’on a faite, je pense qu’il ne faut pas s’arrêter à une misérable économie d’une soixantaine de mille francs, Il faut avoir en vue avant tout l’intérêt du pays. Au surplus, le chiffre actuel des dépenses pour les conseils provinciaux sera d’un tiers moindre que sous le roi Guillaume.

Sous son gouvernement, on n’a pas craint l’influence politique des états-provinciaux. On les a enchaînés, et lorsqu’ils se sont élevés contre l’impôt sur la mouture, on n’a pas écouté leurs réclamations.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Un honorable préopinant a dit que si l’inconvénient de voir un corps administratif envahir le domaine de la politique générale était le seul à redouter, il ne s’opposerait pas à ce qu’un pareil corps existât. Mais il a déclaré s’opposer à ce que les conseils fussent trop nombreux, par un motif que je m’empresse de repousser. Je veux parler du motif d’économie. Alors que nous organisons le pays, nous ne devons pas nous laisser aller à de mesquines considérations d’économie. Du moment qu’une institution est reconnue bonne, je ne vois pas, quant à moi, que l’on doive en reculer l’établissement, parce qu’elle coûterait 60 ou 75 mille francs.

J’ai dit que les corps nombreux délibérant devant le public seraient portés à s’occuper de matières politiques. Je ne nie pas que des corps moins nombreux ne suivent la même impulsion ; seulement, il y a moins de chances qu’une telle invasion dans le domaine de la politique ait lieu dans ce dernier cas, et les résultats de cet empiétement sur les droits de la législature seront moins redoutables. Un corps de 75 membres adressant des vœux ou des plaintes sur une loi, adoptée par une majorité de 53 représentants, par exemple, aura une influence plus grande que si la décision avait été prise par un nombre inférieur à la majorité absolue de la chambre des représentants.

Messieurs, on a beaucoup parlé des anciens états provinciaux : on a dit que sous l’ancien gouvernement, le nombre de leurs membres était plus grand que celui proposé par la section centrale pour les conseils provinciaux, et qu’il n’en est résulté aucun inconvénient pour l’administration. C’est là une erreur de mes honorables adversaires : il est évident que sous l’ancien gouvernement les états provinciaux ont fortement contribué à ébranler le gouvernement qui pesait sur le pays. Certainement tous ces vœux exprimés en même temps sur plusieurs points du royaume jetaient le gouvernement dans un grand embarras. Ce qui le prouve, ce sont les moyens de répression employés par le gouvernement pour arrêter ces vœux révolutionnaires, vœux légitimes alors que le pays n’était pas véritablement représenté dans les états généraux, vœux qu’il serait dangereux de voir renaître aujourd’hui en présence d’une représentation nationale dans toute sa plénitude, dans toute sa sincérité.

Ce sont de tels exemples contre lesquels vous devez vous prémunir pour empêcher que les conseils provinciaux ne se laissent aller à l’impulsion qui dirigeait les anciens états provinciaux. Je le dirai en toute franchise, j’ai applaudi, j’ai poussé à tout ce qu’ont fait les anciens états provinciaux. Mais je le répète : je crois que si l’action de la représentation provinciale était la même aujourd’hui, il en résulterait de grands inconvénients que non seulement le gouvernement, mais que même le pouvoir législatif en seraient souvent entravés.

Veuillez, messieurs, remarquer ceci, c’est que sous l’ancien gouvernement le public n’assistait pas aux séances des états-provinciaux, que les états ne nommaient pas eux-mêmes leur président, qu’ils étaient présidés par le gouverneur de la province, lequel pouvait exercer une grande influence sur l’assemblée en dirigeant la discussion dans le sens le moins hostile au gouvernement et au pouvoir législatif.

Il faut en outre remarquer que le conseil provincial n’est pas composé de la même manière que les anciens états provinciaux ; il y avait dans les élus une garantie qu’ils ne présentent plus aujourd’hui. L’élection était faite par des collèges d’électeurs très restreints quant au nombre et dont les choix, il faut le dire, portaient sur des hommes fortement attachés aux intérêts matériels de la province par leur position sociale et leur fortune.

Aujourd’hui, et à Dieu ne plaise que je veuille attaquer ce changement de système, les choix seront plus libres, plus populaires. Les conseillers provinciaux seront nommés directement par les mêmes électeurs qui nomment la chambre des représentants et le sénat. Ces électeurs seront souvent entraînés à faire des choix politiques alors qu’ils n’ont que des administrateurs à nommer. Il arrivera souvent, je pense, que les hommes qui n’auront pas pu réussir à parvenir aux chambres législatives tâcheront de se récupérer en briguant l’honneur d’être nommés aux chambres provinciales, car il y aura véritablement des chambres provinciales délibérant et agissant au grand jour de la publicité.

Si je fais si souvent résonner le mot de publicité, ce n’est pas, comme a paru le croire un honorable préopinant, que je ne trouve que la publicité ne soit une fort bonne chose en elle-même. Je l’ai conseillée en d’autres temps, et aussitôt que je suis arrivé aux affaires, je l’ai mise en pratique. Lorsque j’ai eu l’honneur d’administrer la province d’Anvers, j’ai été le premier à faire publier dans le Mémorial les procès-verbaux des séances de la députation ; j’ai eu soin que pour les affaires de milice et de garde civique, la députation délibérât toujours portes ouvertes et en présence de tous les intéressés.

J’ai dû faire connaître ces circonstances pour faire voir quels ont été mes principes relativement à la publicité, principe que je n’ai pas abandonnés ; car je crois encore qu’elle est bonne en elle-même, j’espère qu’elle produira de bons fruits pour les conseils provinciaux. On a dit qu’elle stimulerait le zèle des conseilleurs, je le crois ; je crains même qu’elle ne le stimule trop ; je crains qu’avec les meilleurs intentions ils ne sortent de leurs attributions, et qu’au lieu de s’en tenir à la prosaïque administration ils ne se lancent dans la sphère de la politique, bien plus attrayante pour le public et pour eux-mêmes.

Il est à remarquer aussi que les conseils provinciaux ne doivent avoir à traiter que des questions d’administration, et que pour de tels objets des assemblées nombreuses ne valent rien. 60 membres feront moins d’ouvrages que 30 n’en feraient. Ce sont des faits que chacun de vous est à même de vérifier chaque jour. Je crois par exemple que la loi provinciale, qui est une loi d’administration et que nous discutons en ce moment, marcherait moins rapidement et moins bien si elle était discutée par 200 ou même 100 représentants. Il y aurait un plus grand nombre d'observations et de contradictions. Dès los la discussion se prolongerait davantage.

En finissant je déclarerai que je ne me dissimule pas que la thèse soutenue par le gouvernement n’est pas en ce moment la plus populaire ; mais au moins j’espère que la chambre me rendra la justice de croire que notre opinion est le résultat de notre conviction, et que si nous cherchons à la faire prévaloir, c’est bien moins dans l’intérêt actuel du pouvoir que dans l’intérêt absolu du gouvernement en général et des chambres elles-mêmes.

M. Dubus. - Sur la question qui nous occupe je remarquerai que déjà la chambre a manifesté presque unanimement son opinion ; car, à l’exception d’une section, toutes ont réclamé l’augmentation du nombre de conseillers proposé par le gouvernement. La proposition de la section centrale a été prise à l’unanimité ; enfin deux membres seulement de l’assemblée viennent de se prononcer pour le projet du gouvernement, encore ont-ils rejeté bien loin les craintes manifestées par les ministres, et ne se sont-ils déterminés que par de chétives considérations d’économie. D’après cela, il me semble inutile de prolonger la discussion ; je dirai cependant quelques mots pour motiver mon vote.

Après avoir invoqué l’exemple de la France en faveur du gouvernement M. le ministre a invoqué celui des provinces rhénanes qui me paraît encore plus mal choisi. Si nous étions la Hollande à qui la Belgique appartînt encore et que nous eussions à organiser la Belgique au profit de la Hollande, je concevrais que nous pussions envier quelque chose à la Prusse. Mais nous sommes un peuple s’organisant librement lui-même. Je ne sais donc ce qu’a à faire ici le roi de Prusse ni ce qu’il accorde aux provinces rhénanes.

Il est impossible que dans les conseils provinciaux, toutes les localités soient représentées ; or, c’est précisément parce qu’ils n’auront pas à s’occuper de questions générale, et qu’ils ne devront examiner que des intérêts de localité qu’il faut tâcher de représenter toutes les localités. Il est évident que plus vous étendez le nombre des conseillers municipaux, plus vous avez la chance d’arriver à ce résultat.

D’après les chiffres proposés par la section centrale vous conserverez aux différents cantons ou districts à peu près la représentation dans le conseil provincial qu’ils avaient, car la diminution, proposée par la section centrale correspond à la diminution provenant de la suppression du corps équestre, corps qui n’existe plus dans nos institutions.

Ainsi, vous ne diminuerez rien à la représentation provinciale ; et vous ne voudrez pas avoir l’air, en organisant la province sous le régime de la liberté, de faire un pas rétrograde, et d’accorder moins qu’on n’accordait auparavant.

Mais il y a danger, dit le ministre, et ce danger est tel qu’il doit faire passer sur toute autre considération ; toutefois ce danger n’inspire de crainte à personne et aucun orateur n’en a paru ému. Le ministre ne veut pas de neuf parlements, sur neuf points du royaume, faisant de la politique, on lui répond que les neuf conseils provinciaux ne seront pas neuf parlements faisant de la politique, mais bien neuf conseils occupés des intérêts de la province ; alors il s’écrie : Les conseils peuvent émettre des vœux et voilà le danger. Soit, ils émettront des vœux ; mais leurs vœux seront-ils moins puissants quand les conseils seront composés de 50 membres au lieu de l’être de 73 membres par exemple ?

Que l’assemblée soit composée de 73 membres ou de 40 à 50, elle représente toute la province ; et dès qu’elle représente la province, le vœu unanime de 50 membres n’est pas d’un poids différent que le vœu unanime de 73 membres. Supposez-vous que le vœu de 50 membres ne représente pas celui de la province ; alors un conseil de 50 conseillers est un conseil établi d’après un système vicieux. Mais si 50 membres représentent réellement la province, vous devez tout autant redouter l’émission de leur vœu unanime que celle d’un plus grand nombre de conseillers ; ici ce sera la véritable représentation nationale qui pèsera dans la balance.

Ce n’est pas d’après le nombre des votes que vous devez trouver le poids du vœu émis, c’est dans le vœu en lui-même.

On demande s’il est bien convenable qu’un corps nombreux s’adresse à un corps moins nombreux. Je ferai observer que les conseils peuvent adresser leurs vœux au pouvoir exécutif, évidemment moins nombreux que les conseils provinciaux. Ainsi la considération tirée du chiffre des membres des assemblées provinciales, relativement au chiffre des membres de l’un des chambres législatives, ne présente aucun danger.

Mais il pourra y avoir collusion entre toutes les assemblées provinciales ; alors comment voulez-vous qu’une assemblée législative résiste à un vœu manifesté par neuf provinces à la fois ? Il est évident ajoute-t-on, que d’après ces hypothèses c’est le pouvoir législatif qui est le plus menacé, qu’il l’est bien plus que le pouvoir exécutif. Encore un coup le danger n’est pas dans le chiffre, il ne pourrait être que dans les vœux émis. Au reste, le ministre a répondu lui-même à ses propres objections.

Il a fait remarquer que ce sont les mêmes électeurs qui nomment les assemblées provinciales et les assemblées législatives ; or, comment ces assemblées qui représentent également l’opinion du pays pourraient-elles se trouver en collusion ? Supposer que les assemblées provinciales et les assemblées législatives, ayant la même origine, seraient en opposition, c’est une véritable absurdité.

Pour faire peur des conseils provinciaux, on rappelle leur influence sous le gouvernement déchu ; le ministre assure qui ont fortement contribué à ébranler la puissance de Guillaume : admettons que cela soit vrai ; y a-t-il comparaison entre l’état de choses d’alors et l’état de choses actuel ? Quelle était la représentation nationale sous les Hollandais ? Elle était un mensonge : les Hollandais. inférieurs en nombre aux Belges, avaient la majorité, majorité factice dans les assemblées délibérantes ; et les états-provinciaux belges étaient traités par le gouvernement comme les états d’un pays conquis. Tous les vœux adressés par les états-provinciaux aux états-généraux, où régnait une majorité factice, étaient mutilés, étaient repoussés : aujourd’hui lorsque l’opinion du pays se sera manifestée par les conseils provinciaux, elle sera accueillie dans les assemblées législatives émanées de la même source. Toutes les craintes exprimées par le ministre sont donc des chimères.

On nous a longuement entretenus des craintes, des dangers que l’on concevait relativement à l’élévation du chiffre des conseils provinciaux ; mais on ne vous a pas entretenus du véritable motif pour lequel on demande que ce chiffre soit abaissé ; plus le nombre des conseillers sera petit, et plus le gouvernement pourra exercer d’influence sur les assemblées provinciales et sur les députations. C’est au profit de cette influence illégitime que l’on s’efforce d’obtenir l’abaissement du chiffre ; et voilà, messieurs, le danger qu’il nous faut craindre.

M. Desmanet de Biesme. - Je ne prétends pas traiter ici la question relative au nombre des conseillers ; j’appuie la proposition de la section centrale. Je me propose de répondre à ce qu’a dit M. le ministre sur les anciens états-provinciaux. Le ministre recule, oui recule, c’est le mot, devant la loi provinciale et devant la loi communale ; il a peur de ces lois : il craint que les assemblées provinciales ne soient des assemblées séditieuses.

Je dirai que je vois avec regret que les membres du ministère blâment actuellement comme ministres ce qu’ils approuvaient dans un autre temps. Il me semble que les abus qui existaient sous l’ancien gouvernement, doivent être maintenant combattus de la même manière qu’ils l’étaient autrefois.

Les états-provinciaux n’ont point exprimé de vœux révolutionnaires ; la grande divergence qui existait sous l’ancien gouvernement était relative à l’article 151 de la loi fondamentale. C’est cet article qui a été interprété d’une manière différente par le pouvoir exécutif et les états provinciaux.

Les états provinciaux avaient le droit d’exprimer leurs griefs ; et c’est parce qu’on a chicané leurs prérogatives, qu’on a eu recours au droit de pétitionnement qui a été la cause de la révolution.

Les états provinciaux, du moins dans les provinces que j’habitais, se sont bornés, dans une adresse respectueuse, à présenter les griefs et à demander à S. M. d’aviser aux moyens de faire cesser ces griefs. Il n’y avait là aucune semence de révolution, et je proteste contre ces paroles de M. le ministre, lorsqu’il a dit que c’était en partie aux états provinciaux que la révolution devait être attribuée.

Qu’un corps provincial soit plus ou moins nombreux, ce n’est pas cela qui est de la plus grande importance ; si le gouvernement marche dans des voies populaires, plus il y aura de membres dans le conseil provincial, plus il y trouvera d’appui. J’aime à penser que le gouvernement ne marchera pas assez mal pour que toutes les provinces se réunissent et mettent en commun leurs griefs pour renverser le gouvernement.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Les hommes qui sont transitoirement au ministère n’ont pas à rougir de l’espèce de contradiction que leur reproche l’honorable préopinant.

Les hommes qui sont au ministère ne croient pas que lorsque tout est changé, et changé de fond en comble, dans notre ordre politique, il faille avoir contre le pouvoir exécutif les mêmes défiances, et se servir des mêmes armes qu’on employait contre l’ancien pouvoir royal. On le sait, l’ancien pouvoir royal s’était adjugé une prérogative exorbitante ; il niait le premier principe d’un gouvernement constitutionnel, la responsabilité des agents du pouvoir devant les chambres et devant la presse ; non content de s’être adjugé ce pouvoir, il avait organisé un système d’élection inextricable qui n’était qu’une véritable déception. Nous pensons que vouloir continuer aujourd’hui, soit dans les chambres, soit dans les assemblées provinciales, l’opposition des dernières années de l’ancien gouvernement, ce n’est pas faire des progrès c’est tout simplement faire de l’anachronisme et rétrograder en politique.

Il me semble que nous ne sommes condamnés qu’à faire, en toute occasion, de la politique expérimentale, une politique d’après coup, et non pas une politique de prévoyance.

Il y a deux ans, alors que de toutes parts on obéissait à un esprit exagéré d’émancipation, à un esprit d’indépendance absolue pour les pouvoirs inférieurs ; si on était venu présenter à la chambre un projet tendant à restreindre cette indépendance, à retirer aux communes par exemple le choix de leur principal magistrat dont elles avaient été dotées par le gouvernement provisoire, on n’eût pas manqué de soulever contre le ministère toutes les récriminations qui sont reproduites aujourd’hui à l’occasion de la loi provinciale. J’en appelle cependant, messieurs, à vous tous : n’est-il pas généralement reconnu maintenant que la marche de l’administration centrale ne sera assurée que lorsque le choix du premier magistrat des communes sera abandonné au pouvoir exécutif ?

On a accusé le ministère de vouloir restreindre les libertés provinciales par le tableau sur lequel vous délibérez. Je répondrai que le tableau dont il s’agit dans cette discussion, est celui qui a été présenté par l’ancien ministère dont l’honorable rapporteur a fait partie. Il avait sans doute d’excellentes raisons pour le proposer alors, comme il croit en avoir de fort bonnes pour le combattre aujourd’hui. (On rit.)

M. de Theux, rapporteur. - Je demande la parole.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Ainsi tout le crime du ministère, c’est d’avoir proposé, sans modification, un tableau présenté aux débats des deux chambres par l’ancien ministère : voilà tout le crime du gouvernement. Si donc par ce fatal tableau, ainsi que l’a dit un honorable membre, nous conspirons la confiscation des libertés provinciales, les coupables ce n’est pas nous : nous sommes tout au plus les complices du ministère précédent.

On a répudié encore, en cette circonstance, l’exemple de la France. En vain la France nous a dotés de la plus belle législation ; en vain elle nous a donné le code civil, auquel aucun monument de législation ne peut être comparé en Europe. En vain tenons-nous de l’exemple de la France le jury, l’élection directe et tous les grands principes qui ont trouvé place dans notre constitution, tous ces principes sous lesquels vit notre société politique et administrative, il faut répudier les exemples de la France.

Mais si vous voulez, dit-on, trouver des exemples en fait d’organisation provinciale et communale, allez en Allemagne. M. le ministre de l’intérieur se permet-il une légère excursion en Allemagne, un honorable préopinant s’empresse de lui répondre : Le roi de Prusse n’est pas un modèle à signaler à l’émulation du Roi des Belges. Il en résulte que nous devons tout puiser en nous-mêmes, négliger l’expérience de nos devanciers du nord et du midi, et que toute la science politique s’est réfugiée en Belgique.

Messieurs, les publicistes reconnaissent deux systèmes d’administration. Si dans un gouvernement on n’a point placé la représentation des intérêts nationaux au sommet de la société, il faut chercher les garanties dans une forte organisation des localités. C’est ainsi que beaucoup d’hommes distingués se consolent de voir ajourner l’époque d’un véritable système représentatif, en présence de bonnes institutions provinciales et communales. C’est le système de la Prusse.

Si au contraire la représentation des intérêts nationaux est telle que c’est au centre que la véritable garantie doit se trouver, alors, pour éviter les résistances qui auraient pour but de perpétuer un état de fédéralisme, le premiers soin du gouvernement est d’affaiblir les résistances locales. C’est ce que l’assemblée constituante s’est hâtée de faire ; dès qu’elle eut établi une véritable représentation nationale, elle a détruit ces formidables provinces qui se composaient de quatre ou cinq départements, ces pays d’états, pour y substituer une division territoriale en 86 départements, elle a établi de nouvelles circonscriptions et un nouveau système administratif ; et cette organisation fut reçue avec enthousiasme par tous les hommes progressifs.

En France cependant, messieurs, les dangers d’une coalition des intérêts secondaires contre le pouvoir central sont moins à craindre qu’ici. Si trois ou quatre départements s’organisaient en hostilité contre le pouvoir central, comme cela s’est vu dans l’ouest, tout le reste de la France est là pour résister. Mais ici, supposez une coalition de deux ou trois provinces ; vous avez la moitié de la nation en conflit avec le pouvoir central, et celui-ci se trouve désarmé en face d’une rivalité aussi dangereuse. Voilà une différence notable de position qui n’échappera pas sans doute à la sagesse de la chambre.

Mais, dit-on, on a tout prévu pour la stricte démarcation des pouvoirs. Quant aux vœux qu’émettraient les conseils provinciaux, ils ne pourraient être de nature à gêner la libre action du pouvoir législatif. D’ailleurs, ajoute-t-on, on ne sera pas obligé d’y avoir égard, et s’il est besoin, on formulera des moyens de répression.

Messieurs, c’est déjà une assez grande imprévoyance que de se mettre dans le cas d’être obligé d’avoir recours à des moyens de répression contre des corps constitués. Il est facile peut-être de réprimer en général les actes des individus ; mais la répression n’est pas aussi facile à l’égard des corps constitués. Je redoute peu que des assemblées provinciales commettent des usurpations assez graves, pour que le gouvernement soit obligé d’avoir recours aux tribunaux pour les faire rentrer dans le devoir. Le gouvernement d’ailleurs y réfléchirait longtemps avant de recourir à de semblables moyens qui constituent une véritable crise.

Mais après tout, n’est-ce rien que des vœux ? Est-il vrai qu’un pouvoir ne puisse exercer son influence que par des actes matériels ? Cela est si vrai qu’une simple adresse de la chambre, bien que cela ne soit pas prévu par la constitution, mettrait la couronne dans la nécessité de congédier à l’instant ses conseillers. Voilà un exemple qui prouve qu’un acte de force morale, un acte qui n’est pas législatif proprement dit, un acte matériel, mais l’expression de l’opinion d’une assemblée délibérante, peut avoir une haute importance, et qu’il ne faut pas traiter dédaigneusement un acte qui ne serait qu’une expression de vœux et le regarder comme une chose à laquelle il serait facile de mettre un terme par des ordres du jour et par des moyens de répression.

je ferai remarquer que c’est beaucoup moins au profit du pouvoir royal que dans l’intérêt de l’unité politique, dans l’intérêt des chambres elles-mêmes, que le ministère vous engage à ne pas établir dans les provinces des parlements capables de lutter contre l’action de la législature.

En vérité, on n’a pas pensé ici à l’intérêt ministériel. De deux choses l’une : ou le ministère marche d’accord avec les chambres, ou il est en opposition avec elles. S’il est en opposition avec les chambres tous les conseils provinciaux auront beau lui voter des éloges il n’en vivra pas vingt-quatre heures de plus, et s’il marche avec elles tous les conseils provinciaux se ligueraient contre lui, qu’il resterait inexpugnable, fort de l’appui des chambres.

Le ministère est donc désintéressé dans cette question. On ne peut pas l’accuser de tactique, ni de manquer de sincérité. Il est à désirer que tout le monde y mette autant de franchise que lui. C’est l’action législative seule qui courra ici des dangers, si vous organisez l’action provinciale sous l'influence d’un esprit de défiance et de réaction contre le pouvoir royal.

Il ne faut pas comparer des choses aussi dissemblables que les assemblées provinciales et les anciens états provinciaux ; il faut remarquer que les anciens états provinciaux avaient un caractère essentiellement politique, ils étaient collèges électoraux ; par cela seul leur caractère politique prédominait sur leur caractère administratif, et si on a applaudi à la marche des états provinciaux, c’est qu’alors, d’ailleurs, la représentation nationale était faussée dans son principe. Le pays n’était pas véritablement représenté, comme il l’est aujourd’hui.

Mais si le pays avait eu une représentation homogène, personne n’eût songé à favoriser l’invasion des états provinciaux dans le domaine de la politique. Tout le monde y eût trouvé un danger réel.

Pour mon compte, du reste, je suis parfaitement tranquille, la question que nous traitons est une question de temps. Nous avons tort d’avoir trop tôt raison. Je crains qu’il n’en soit de la loi provinciale, ce qu’il en a été du système communal. Chacun reconnaît aujourd’hui qu’il est nécessaire d’y apporter des modifications, qu’il est important aux yeux de tous de mieux établir les rapports des municipalités avec le gouvernement.

Nous n’aurions pas rempli notre devoir si nous n’avions pas insisté pour que l’on imposât au pouvoir provincial des restrictions dont une fâcheuse expérience démontrera plus tard la nécessité. Je suis intimement convaincu que l’une des précautions les plus salutaires est de ne pas trop étendre le nombre des conseillers, de ne pas ouvrir la porte à des entraînements, à des excitations, à des envahissements dont la pensée, lors même qu’elle n’existe pas dans la conscience des individus, se glisse par la force des choses dans les assemblées délibérantes trop nombreuses, surtout dans un pays comme le nôtre, où les partis sont encore en présence, où toutes les opinions ne se sont pas encore complètement ralliées à l’unité nationale.

Elever le chiffre des membres des corps provinciaux, c’est s’exposer à susciter de graves embarras à la législature qui représente l’unité nationale, c’est créer inutilement des dangers. C’est pour parer à des inconvénients dont les conséquence pourraient être aussi fâcheuses, que nous avons maintenu le travail du ministère qui nous a précédés au pouvoir.

M. Donny. - Je dois quelques mots de réponse à M. le ministre de l’intérieur. Je n’ai pas dit que les empiétements politiques des conseils provinciaux n’étaient pas à craindre. J’ai dit, contrairement à l’opinion de M. le ministre, que ces empiétements n’auraient pas un caractère plus nuisible lorsqu’ils proviendraient d’une assemblée plus nombreuse que lorsqu’ils proviendraient d’un corps plus faible en nombre.

Je crois, avec M. le ministre, que lorsque l’intérêt général exige que le pays s’impose une dépense, il ne faut pas s’arrêter à des considérations d’économie. Mais lorsque j’ai parlé d’une économie de 65 mille francs, j’avais commencé par déclarer à la chambre que le nombre de conseillers provinciaux fixé par le gouvernement me paraissait suffisant. C’était dire que dans mon opinion l’intérêt général n’exigeait pas un plus grand nombre de conseillers. Dès lors la question d’intérêt général était décidée pour moi, et il ne me restait plus qu’à traiter la question d’économie. (Aux voix ! aux voix !)

M. le ministre des affaires étrangères (M. F. de Mérode) - La question est assez intéressante pour que l’on écoute d’autres orateurs.

M. Fleussu. - Si je me lève en faveur du projet de la section centrale, ce n’est pas pour défendre une thèse populaire, ce n’est pas pour faire de la tactique parlementaire, c’est pour remplir le devoir que mes fonctions m’imposent.

Je vous avouerai que la question de chiffre qui nous occupe m’était fort indifférente, et je n’avais pas plus de motifs pour adopter celui de la section centrale que pour rejeter celui du gouvernement. Mais ce sont les raisons avancées par le ministère qui font que je voterai pour le projet de la section centrale. Ne voyez-vous donc pas que l’on déchire une à une toutes les garanties que nous a assurées la révolution ? C’est tout au plus si l’on ne vous a pas représenté les conseils provinciaux comme des institutions éminemment dangereuses.

On dirait que le peuple belge est animé d’un esprit de turbulence tel qu’il est disposé à tout instant à renverser le pouvoir. J’ai une autre opinion de lui. Nous nous sommes donné beaucoup de garanties. Nous avons voulu un système d’élections directes. Nous avons voulu la publicité des séances des corps délibérants. Eh bien, c’est parce que nous avons des élections directes, c’est parce que nous avons le droit de publicité, que l’on veut réduire le nombre des membres des conseils, que l’on veut que les élections soient restreintes autant que possible. Voila où tend le système du ministère.

Un orateur a fait remarquer très judicieusement à mon avis la différence d’opinions des ministres comme journalistes et comme hommes du pouvoir. Les choses ne sont plus les mêmes aujourd’hui, a dit M. le ministre de la justice. Vouloir continuer l’opposition des quinze dernières années, c’est rétrograder, c’est faire de l’anachronisme. Le roi Guillaume voulait tout soumettre à sa puissance royale. Il repoussait le principe de la responsabilité ministérielle. Voilà ce qu’on nous dit, et ce qu’il y a de curieux, c’est que chaque fois que nous demandons une garantie contre le pouvoir, on nous dit : Qu’avez-vous besoin de cette garantie ? La responsabilité ministérielle n’est-elle pas là ? Il semblerait qu’avec cette magique garantie, nous n’ayons plus que faire de nos autres prérogatives, de la constitution même.

Il faut avouer que le roi Guillaume a été bien maladroit. Ah ! s’il avait su quel parti l’on peut tirer de cette garantie si malléable de la responsabilité ministérielle, il ne s’y serait pas si obstinément opposé. Pour moi, je l’avoue, j’aime beaucoup mieux stipuler des garanties dans nos institutions ; elles me rassurent plus que de la responsabilité ministérielle qui n’est plus qu’un mot vide de sens.

On vous a dit que ces corps administratifs, s’ils étaient composés d’un trop grand nombre de membres, leurs réclamations, soit près des chambres, soit près du gouvernement, seraient trop importantes pour qu’il n’y fût pas fait droit. Messieurs, lorsqu’un corps fait un acte quelconque, on ne cherche pas s’il a été délibéré par 40, 50 ou 60 membres ; on ne regarde pas quel était le nombre des membres présents, on regarde quel est ce corps. Dans tout ce que délibéreront les conseils provinciaux, on ne fera pas attention au nombre de ceux qui les composeront, mais à ce qu’ils auront fait.

On a parlé encore des anciens membres des états provinciaux. M. le ministre de l’intérieur a dit qu’ils avaient contribué pour une forte part à la révolution, qu’ils avaient ébranlé le gouvernement ; je le veux bien, je l’admets ; mais pourquoi en a-t-il été ainsi ? parce que l’ancien gouvernement restait sourd à nos plaintes. Que les conseils restent donc les mêmes ; qu’ils soient un contrepoids contre vous-mêmes ; et soyez sûrs que si le gouvernement est bon, ils n’auront jamais d’influence contre lui.

On a dit que les délibérations des conseils ne seraient pas aussi bonnes si leurs membres étaient très nombreux. Voyez, a-t-on dit, la loi provinciale ; comme elle marche ! Assurément les choses n’iraient pas aussi bien si elle était discutée par 200 membres. A cela je répondrai qu’au congrès nous étions 200, que nous avons organisé le pays, fait une constitution et les principales lois d’administration.

Vous voyez que cette considération ne doit être d’aucune influence sur vos esprits. Je craindrais, en continuant, de tomber dans des redites, d’autant plus que les honorables MM. Dubus et Desmanet de Biesme ont fait valoir en grande partie les autres considérations que je me proposais de soumettre à la chambre.

M. H. Dellafaille - Je conçois les craintes que peut donner au gouvernement la tendance politique qu’il suppose aux conseils provinciaux. Toutefois M. le ministre de la justice a-t-il fait observer qu’ils s’élèveraient en vain contre le ministère si les chambres lui prêtaient leur appui ; car si les chambres peuvent seules soutenir un ministère, c’est également dans les chambres seulement qu’il peut être combattu efficacement.

Mais M. le ministre de la justice accordera à la section centrale qu’elle aussi veut l’ordre public et qu’il n’est nullement entré dans ses intentions de créer dans les provinces des corps qui pussent entraver le pouvoir royal ou la législature. Je dis cela parce que M. le ministre de l’intérieur a semble vouloir donner à cette discussion une couleur politique qu’elle n’aurait pas dû avoir.

M. le ministre de la justice a également exprimé la crainte que les conseils provinciaux ne devinssent des corps politiques ; il a cité l’exemple des états provinciaux qui ont beaucoup contribué au mouvement contre l’ancien gouvernement. Mais ce sont les pétitions qui y ont le plus contribué ; et si l’on admet l’analogie entre la situation d’alors et celle d’aujourd’hui il faut donc restreindre le droit de pétition ; je ne pense pas que cela soit jamais entré dans les intentions du congrès.

Les états provinciaux ont résisté à l’arbitraire d’un gouvernement qui ne respectait rien, qui violait la loi fondamentale avec une impudence rare : en agissant ainsi ils ont répondu à un vœu général. Honneur à ceux qui ont ainsi rempli leur devoir ! Tous ne l’ont pas fait. Ils n’en sont que plus dignes d’éloges. Mais je ne crois pas que le souvenir de ces précédents doive nous déterminer à annihiler les nouveaux conseils provinciaux.

On a paru reprocher à l’honorable rapporteur de la section centrale d’avoir dévié d’un projet qu’il avait présenté comme ministre. Oui, je dois le dire à la louange de notre honorable collègue, jamais il n’a fait de difficulté pour revenir sur ses idées premières, lorsqu’on lui a montré quelque chose de mieux.

On a semblé blâmer l’opinion que j’ai émise sur la France. Je suis loin de contester les nombreux et grands talents qui brillent en France. Son code est un beau monument. Ce pays compte un grand nombre d’hommes rompus en administration. Je ferai cependant remarquer que pour le jury et le droit d’élection il les tient de l’Angleterre.

Quand j’ai dit que l’Allemagne convenait mieux comme exemple que la France, je n’ai pas voulu parler de son organisation actuelle, j’ai prétendu parler de l’ancienne Allemagne.

Si le ministre craint que les conseils provinciaux s’occupent de matières politiques, la chambre n’en conçoit aucune crainte. Cette crainte d’ailleurs, ne signifie rien par la manière dont elle est conçue. Composez un conseil de 30 à 40 membres, ou de 60 membres, dans l’un et l’autre cas il y aura toujours des conseillers contraires au gouvernement ; mais plus le conseil sera nombreux, moins il se laissera entraîner par les suggestions de quelques-uns de ses membres, et plus il n’admettra pour guide que les intérêts provinciaux. Trente membres peuvent s’adresser aux chambres comme 60 membres ; le conseil est un corps, s’il prend des mesures en dehors de ses pouvoirs, les mesures coercitives sont là ; elles sont applicables contre 60 membres, comme contre 30 membres.

Les intérêts de la province seront mieux connus, mieux examinés, mieux défendus par un plus grand nombre de conseillers ; l’absence de quelques membres du conseil se fait moins sentir dans une assemblée nombreuse ; plus il y aura de membres dans les conseils provinciaux et plus il se formera d’hommes propres à comprendre les rouages administratifs et à discuter les intérêts du pays dans les chambres.

L’honorable M. Eloy de Burdinne a dit que ce n’était pas en 15 jours qu’on pourrait faire des études administratives ; mais je crois aussi que les membres des conseils provinciaux ne s’occuperont pas seulement pendant 15 jours des intérêts qui leur seront confiés ; je suppose que pendant l’année ils se prépareront pour remplir dignement leur tâche pendant la session. Je n’aurais pas une grande idée de celui qui se présenterait dans les réunions provinciales sans avoir réfléchi sur les intérêts qu’il faudra y discuter.

Quant à la question d’économie que l’on a agitée, je ne crois pas qu’il soit nécessaire de la réfuter, et je finirai ici, messieurs, de me répéter.

Je persiste dans mon opinion.

M. de Theux, rapporteur. - Je ne pense pas que l’on puisse m'objecter avec fondement d’avoir, en 1832, présenté à la chambre le tableau que le ministère défend aujourd’hui. Les conseils provinciaux ne devant pas, comme les anciens états, être des collèges électoraux, il fallait diminuer le nombre de membres de ces corps. Mais quelle devait être cette diminution ? C’est ce qu’il n’était pas possible de déterminer d’après des principes certains ; j’ai donc pu sans inconséquence adopter l’opinion émise dans la plupart des sections, qui ont cru que la réduction du nombre était trop forte.

La plus grande objection que l’on a faite contre le projet de la section centrale, c’est la crainte des discussions politiques dans ces assemblées ; c’est la crainte de les voir ébranler l’Etat. Certes, si cette crainte me paraissait fondée, je voterais pour le projet du gouvernement ; mais je pense au contraire, que l’assemblée étant plus nombreuse, il sera plus difficile à des hommes turbulents de s’y créer une majorité ; les corps étant plus nombreux, il y aura moins de danger de les voir dominés par un esprit de parti ; les résolutions y seront moins nombreuses et discutées avec plus de lenteur.

- Quelques voix. - La clôture ! la clôture !

M. Eloy de Burdinne. - Nous devons faire une bonne loi provinciale, et nous ne devons pas économiser quelques heures dans une question aussi importante. On n’a pas répondu à toutes les objections, et j’aurai quelques nouvelles considérations à faire valoir ; je demande que la clôture ne soit pas prononcée.

M. Dubois - Jusqu’à présent on n’a traité que la question politique, il me semble que la discussion devrait être portée sur un autre terrain. On a dit que le nombre de 38 députés pour la province de la Flandre occidentale ne suffisait pas pour toutes les affaires de la province ; quant à moi, je déclare que je voterai pour ce chiffre.

- Quelques voix. - C’est une question à régler plus tard.

M. Dubois. - La question doit être discutée avant que le principe relatif au nombre de conseillers ne soit adopté, autrement on rentrerait plus tard dans cette discussion à propos du chiffre des conseillers de chaque province.

M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois que la question est assez importante pour que, lorsque plusieurs membres s’opposent à la clôture, on remette la discussion à demain.

C’est une question à laquelle nous attachons une importance que d’autres ne reconnaissent pas. Nous avons fait valoir un grand nombre de raisons, en examinant la question sous le point de vue politique ; nous en aurions aussi beaucoup à faire valoir dans l’intérêt administratif, tandis qu’on ne nous a pas donné un seul argument pour établir qu’une assemblée de 73 membres, placée à la tête d’une province, entendrait mieux ses intérêts administratifs que ne le ferait une assemblée de 50 ou de 40 membres. La section centrale n’a donné à cet égard d’autre raison que l’opinion des autres sections. Voilà un côté de la question qui pourrait être examiné avec avantage par tout le monde.

La question pourra se débattre avec d’autant plus d’impartialité que certains membres la discuteraient sans préoccupation contre le gouvernement, que l’on a mis fort injustement en cause, alors qu’il défendait l’intérêt général, qu’il est chargé de représenter avec le pouvoir législatif, et qu’il a mission de défendre. Quand nous examinerons la question purement sous le rapport administratif, peut-être quelques-uns de nos honorables collègues reviendront-ils de leurs préventions. Il ne s’agit pas ici de l’intérêt du ministère, qui est essentiellement transitoire.

Je demande donc que la discussion soit renvoyée à demain. Ce ne sera pas du temps perdu, car on pourra jeter quelques lumières sur la question qui se présentera relativement à la députation des conseils provinciaux.

M. Eloy de Burdinne. - Toute la chambre sait que je ne me suis pas occupé de la question politique. Je demande le renvoi à demain, pour présenter des observations sur la question administrative. Je serai à même d’exposer des vues nouvelles, qui seront de nature à satisfaire quelques membres.

- La clôture de la discussion est mise aux voix et prononcée après deux épreuves.

M. le président. - Je vais mettre aux voix le chiffre de 46 conseillers proposé par la section centrale, pour la province d’Anvers.

- Le chiffre de la section centrale est adopté.

La séance est levée à 5 heures.