(Moniteur belge n°128, du 8 mai 1834)
(Présidence de M. Raikem)
La séance est ouverte à midi et demi.
M. de Renesse procède à l’appel nominal.
M. H. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître que la pièce suivante a été envoyée à la chambre.
« Plusieurs bourgmestres et habitants du canton de Quevaux-Camps réclament contre la suppression de ce canton. »
- Cette pétition sera renvoyée à la commission chargée de l’examen du projet de loi sur la circonscription des justices de paix.
M. le président. - La chambre en est restée dans la séance d’hier à l’article 16 du projet de la section centrale, auquel le gouvernement se rallie ; il est ainsi conçu :
« Art. 16. Le président informe l’assemblée du nombre de conseillers à élire et des noms des conseillers à remplacer. »
- Cet article est adopté.
« Art. 17. Nul ne pourra être admis à voter, s’il n’est inscrit sur la liste officielle, affichée dans la salle.
« Toutefois le bureau sera tenu d’admettre ceux qui se présenteront munis d’une décision rendue sur appel par la députation du conseil provincial. »
- Cet article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - « Art. 18. L’appel nominal est fait par ordre alphabétique des communes.
« Chaque électeur, après avoir été appelé, remet son bulletin écrit et fermé au président, qui le dépose dans une boîte à deux serrures, dont les clefs sont remises, l’une au président et l’autre au plus âgé des scrutateurs.
« Le président refusera de recevoir les bulletins qui ne sont pas écrits sur papier blanc et non colorié ; en cas de contestation le bureau en décidera.»
M. Jullien. - Je ne sais ce que veut dire le dernier paragraphe de cet article, lequel a été ajouté par la section centrale ; il est ainsi conçu :
« Le président refusera de recevoir les bulletins qui ne sont pas écrits sur papier blanc et non colorié ; en cas de contestation le bureau en décidera. »
Je demande quelle a été intention de la section centrale en faisant cette addition à l’article 18. Je comprends qu’on veuille que le papier employé pour les bulletins soit blanc. Dites-le dans la loi ; mais pourquoi ajouter que ce papier ne devra pas être colorié ? Si le papier est blanc, c’est qu’il n’est pas colorié, et alors qu’importe !
M. de Theux, rapporteur. - Je demande la parole.
M. Jullien. - Cette addition me paraît inutile ; elle dépare le langage de la loi. J’attends sur ce point l’explication que l’honorable M. de Theux paraît disposé à me donner.
M. de Theux, rapporteur. - Je donnerai avec plaisir l’explication demandée par l’honorable préopinant. Un bulletin peut être écrit sur du papier blanc en partie et en partie colorié. Si donc vous ne mainteniez pas dans la loi les mots non colorié, le président ne pourrait pas refuser un tel bulletin. Voilà le sens de cette disposition, Je crois qu’elle ne contient pas un mot de trop.
M. Jullien. - J’avoue que je ne suis pas plus avancé qu’auparavant, car si le papier est colorié en partie ce n’est pas du papier blanc. Cette innovation ne me paraît pas heureuse. Je voterai contre le dernier paragraphe de l’article.
M. d’Hoffschmidt. - Le mot non colorié me paraît nécessaire ; sinon le papier blanc ayant une nuance bleue, comme celui dont on se sert dans les ministères pourrait être refusé. (On rit.) Les mots papier blanc sont trop vagues et ne disent pas assez. On ne saurait d’ailleurs trop prendre de précautions, lorsqu’il s’agit d’empêcher le succès des cabales qui se font en matière d’élection.
M. Liedts. - J’approuve la disposition de l’article en discussion ; elle a pour but de maintenir la liberté des votes. Sans cela la couleur des bulletins deviendra une bannière pour chaque parti. Tel propriétaire donnera à ses fermiers des billets non rouges. Si de tels bulletins pouvaient être reçus,les électeurs ne seraient pas libres. Si, au contraire, tous les électeurs sont, comme on le propose, obligés d’écrire leurs bulletins sur papier blanc, le propriétaire ne pourra pas disposer de la voix de ses fermiers. Dans tous les cas, les mots non colorié ne seraient qu’un double emploi ; je demande leur maintien.
M. A. Rodenbach. - Je partage l’opinion de l’honorable préopinant. Il a dit que la couleur des bulletins pourrait servir de bannière politique dans les élections. C’est, messieurs, ce qui est arrivé à ma connaissance dans la Flandre orientale. Il y a une ville où on a employé la couleur orange (on rit) ; c’est une couleur que nous avons tous connue jadis, mais nous l’avons repoussée aujourd’hui ; je pense donc que le papier blanc doit être employé exclusivement pour les bulletins. J’appuie le troisième paragraphe de l’article de la section centrale.
- Plusieurs membres. - Aux voix !
M. Jullien. - Messieurs, je ne conteste pas l’avantage qu’il peut y avoir à ce que les bulletins soient écrits sur papier blanc ; mais il ne faut pas que votre loi parle le langage de M. Delapalisse. Si vous dites papier blanc, il est inutile que vous ajoutiez et non colorié ; si vous craignez que le bulletin n’ait que une bordure coloriée qui devienne un signe de ralliement, dites entièrement blanc.
- L’article 18 est mis aux voix.
Les articles 19, 20 et 21 du projet de la section centrale auxquels le gouvernement s’est rallié, sont adoptés successivement sans aucune discussion ; ils sont ainsi conçus :
« Art. 19. La table placée devant le président et les scrutateurs sera disposée de telle sorte que les électeurs puissent circuler à l’entour ou du moins y avoir accès, pendant le dépouillement du scrutin. »
« Art. 20. Le nom de chaque votant sera inscrit sur deux listes, l’une tenue par l’un des scrutateurs et par le secrétaire ; ces listes seront signées par le président du bureau, le scrutateur et le secrétaire. »
« Art. 21. Il sera fait un réappel des électeurs qui n’étaient pas présents.
« Le réappel étant terminé, le président demandera à l’assemblée s’il y a des électeurs présents qui n’ont pas voté ; ceux qui se présenteront immédiatement seront admis à voter.
« Ces opérations achevées, le scrutin est déclaré fermé. »
M. le président. - La chambre passe à l’article 22 du projet de la section centrale auquel le gouvernement s’est rallié ; en voici le texte :
« Le nombre des bulletins sera vérifié avant le dépouillement ; s’il est plus grand ou moindre que celui des votants, il en sera fait mention au procès-verbal.
« Après le dépouillement général, si la différence rend la majorité douteuse au premier tour de scrutin, le bureau principal décide provisoirement s’il y a lieu à un scrutin de ballotage, à l’égard de ceux dont l’élection est incertaine.
« Si ce doute existe lors du scrutin de ballotage, le conseil provincial décide. »
M. Donny. - Messieurs, d’après le système adopté dans la loi électorale du 3 mars 1831, et dans le projet ministériel de la loi provinciale, on peut soutenir que tout scrutin est nul aussitôt que le nombre de votants n’est pas égal au nombre des bulletins trouvés dans l’urne. Ce système a le grand inconvénient de faire recommencer le scrutin ; ce qui dégoûte ordinairement les électeurs, en faisant durer davantage les opérations électorales, et presque toujours sans effet réel sur le résultat des élections. Je pense que la section centrale a fort bien fait d’écarter ce système pour y en substituer un nouveau. Il reste à examiner si la section centrale a formulé d’une manière convenable le nouveau système qu’elle a proposé dans l’article 21 actuellement en discussion.
Quant à moi, je ne puis adopter cet article tel qu’il est conçu et s’il ne subit pas d’importantes modifications je me verrais contraint de le rejeter, par la raison que cet article est incomplet et que d’ailleurs ses deux dernières dispositions paraissent mener à l’arbitraire, et me semblent parfaitement inutiles.
Pour vous prouver que l’article est incomplet, il me suffira de poser deux hypothèses. Je suppose qu’un collège électoral soit composé de 100 votants, et qu’on ne trouve dans l’urne que 99 bulletins. La majorité absolue devra-t-elle être fixée à 51 d’après le nombre des votants ou bien d’après le nombre des bulletins trouvés dans l’urne ? De même dans l’hypothèse où les votants seraient au nombre de 99 et les bulletins au nombre de 100, la majorité absolue devra-t-elle être fixée à 50 ou à 51 ?
Ces questions peuvent être l’objet d’une controverse sérieuse, bien que je sois personnellement d’avis qu’il faut se régler d’après le nombre des votants ; mais quand bien même nous serions tous d’accord sur la décision de ces questions, notre opinion unanime ne serait pas une règle pour les bureaux des collèges électoraux ; l’un pourrait adopter notre opinion, un autre pourrait en adopter une autre. Il convient que la loi contienne la règle, et je regarde le travail de la section centrale comme incomplet, parce qu’il ne la contient pas.
J’ai dit que les dispositions dont nous nous occupons mènent à l’arbitraire. Si je les ai bien comprises elles signifient que lorsqu’il y aura une différence entre le nombre des votants et celui des bulletins et lorsqu’en même temps cette différence sera telle qu’elle rendra douteuse la majorité absolue obtenue par un candidat, alors le bureau décidera s’il y a lieu à procéder à un scrutin de ballottage.
S’il en est ainsi, je demande à la section centrale qui veut que le bureau prenne une décision d’après quelles règles il devra prendre cette décision, si elle ne peut pas me les indiquer, c’est qu’elle laisse la décision au bon plaisir du bureau. J’ai donc le droit de dire que cette disposition introduit l’arbitraire dans les opérations électorales.
J’ai dit en dernier lieu que les dispositions dont s’agit me paraissaient inutiles, et, en effet, elles sont inutiles sous un double rapport ; d’abord en ce qu’elles ne peuvent s’appliquer qu’à des circonstances extrêmement rares, ensuite en ce que ces circonstances sont régies par les principes généraux de la loi.
Il me sera facile de vous prouver que ces dispositions ne pourront s’appliquer qu’à des cas extrêmement rares. Je dois d’abord vous faire remarquer que le bureau n’aura jamais à prendre de décision, lorsque le nombre des bulletins sera inférieur à celui des votants, car l’absence d’un ou de plusieurs bulletins ne peut en aucun cas influer sur une majorité absolue acquise malgré cette absence.
Ensuite, dans l’hypothèse que le nombre des bulletins excède celui des votants, il n’y aura aucune décision à prendre si aucun candidat n’a obtenu la majorité absolue ; il n’y aura également rien à décider si un candidat a obtenu un nombre de voix tel qu’on peut en déduire le nombre des bulletins surabondants, sans lui ôter la majorité absolue.
Reste un seul cas, celui où un candidat a obtenu une majorité si faible qu’elle s’évanouit lorsqu’on en retranche les bulletins surabondants. Alors, mais alors seulement, il pourra y avoir lieu à décision ; et la disposition de la section centrale pourrait recevoir une application. Or, ce cas sera certainement bien rare, et si rare, qu’il n’est pas nécessaire de le prévoir dans la loi.
J’ai dit que d’ailleurs la loi réglait déjà ce qu’on veut faire régler par le bureau électoral. En effet la section centrale ne veut pas que le bureau prenne une décision lorsque la différence entre les bulletins et les votants ne rend pas douteuse une majorité absolue ; or un autre article de la loi statue que nul ne pourra être élu au premier tour de scrutin s’il n’obtient pas la majorité absolue. S’il n’a obtenu qu’une majorité douteuse aux yeux de la loi, il n’a pas la majorité absolue, il n’est pas élu ; et il faut suivre la marche ultérieurement indiquée par la loi, il faut procéder à un scrutin de ballotage. Le bureau ne peut donc pas avoir à décider cette question.
J’ai parlé jusqu’ici du premier tour de scrutin. Il serait facile de faire voir qu’il en est de même de la dernière disposition par rapport au scrutin de ballotage. Je me crois donc en droit de penser que la section centrale n’a pas suffisamment mûri le nouveau système qu’elle vous propose. Il serait utile de renvoyer cet article à cette section, afin qu’elle puisse lui donner un ensemble plus clair et plus complet.
M. de Theux, rapporteur. - Cet article a fait l’objet d’un long examen dans le sein de la section centrale. Il lui était connu que la loi électorale avait été diversement interprétée. Dans certaines localités on annulait immédiatement le scrutin quand il y avait une différence en plus ou en moins dans le nombre des votants et dans celui des bulletins. Dans d’autres localités on procédait au dépouillement du scrutin et si la différence n’avait pas dû exercer d’influence sur la majorité absolue, on validait le scrutin.
C’est pour fixer cette diversité de jurisprudence que la section centrale a cru devoir exprimer clairement le principe. Que le scrutin ne doit pas être annulé, nous sommes d’accord avec le préopinant.
Il y a une lacune, a-t-il dit, dans l’article en discussion. Il ne définit pas quelle sera la majorité absolue. L’honorable M. Donny suppose un nombre de bulletins moindre que celui des votants. Le doute qu’il exprime est résolu par l’article 27. Il est évident que, du moment qu’il n’est pas contesté, qu’il y a eu effectivement cent votants par exemple, la majorité absolue doit être de 51.
On s’est demandé ce qu’il amènerait dans le cas inverse, c’est-à-dire, si le nombre des bulletins était supérieur à celui des votants. La majorité absolue devra être également fixée d’après le nombre des votants. Comme il pourrait arriver que le bulletin en plus fût appliqué à tort à celui qui a le plus de voix, il faudra défalquer autant de voix qu’il y aura de bulletins déposés en plus. Ainsi, dans le cas où il y aurait 99 électeurs et 100 bulletins, il ne suffirait pas d’avoir 50 voix pour être élu, puisqu’il serait possible que le bulletin en plus se trouvât dans ces 50 suffrages ; on devra défalquer le bulletin en plus ; sans cela il n’y aurait point de majorité absolue. Ces principes sont connus des bureaux.
Le même orateur a cru que le deuxième paragraphe de l’article 22 était ou arbitraire ou inutile. Messieurs, il est impossible de prévoir dans une loi toutes les combinaisons qui pourront se présenter. Les bureaux sont constitués juges des différents incidents que l’on ne peut prévoir. S’il arrivait que le bureau vînt à se tromper, les parties intéressées peuvent en appeler au conseil provincial. Si le conseil reconnaît qu’il y a eu erreur dans la décision du bureau, il l’annulera. Je crois donc qu’il n’y motif plausible pour le rejet de la deuxième disposition de l’article 22.
Le troisième paragraphe me paraît fondé. La section centrale a pensé que si lors d’un scrutin de ballottage il s’élevait un doute sur sa validité, comme les électeurs se seront retirés, la mission du bureau devait cesser et le conseil provincial être saisi de l’affaire.
On peut donc adopter l’article 22, puisqu’il apporte une amélioration réelle à la loi électorale.
M. Jullien. - Messieurs, la seconde partie de l’article 22 du projet de la section centrale me parait inintelligible. Cette deuxième partie est ainsi conçu :
« Après le dépouillement général, si la différence rend la majorité douteuse au premier tour de scrutin, le bureau principal décide provisoirement s’il y a lieu à un scrutin de ballottage, à l’égard de ceux dont l’élection est incertaine. »
Je vous avoue qu’en cherchant à comprendre cet article, je vois bien qu’il y a quelques idées qui veulent se faire jour ; mais tous ceux qui le liront comme moi, auront peine à en comprendre le sens.
Examinons les différentes parties de cet article et voyons s’il est nécessaire de changer la législation existante.
Dans la loi française, comme dans presque toutes les lois électorales, il est de principe que si le nombre des bulletins excède celui des votants ou ne l’atteint pas, le scrutin est déclaré nul. La raison en est facile à saisir. Lorsque l’on a constaté le nombre de 100 votants, par exemple, que l’on trouve 110 ou 90 bulletins, il est incontestable qu’il y a eu fraude. Il n’est guère possible que l’on signale une pareille différence sans qu’il n’y ait eu fraude de la part de certains électeurs. Il est des cas où cette différence peut être le résultat d’une erreur commise par le bureau. Une différence en plus ou en moins des deux bulletins peut provenir de l’inadvertance des scrutateurs. Mais s’il arrivait, comme cela s’est déjà vu, que dans la boîte du scrutin il se trouvât 7, 8 bulletins en plus ou en moins, c’est à la fraude évidemment qu’il faut attribuer l’existence de cette différence.
Dès lors il faut annuler le scrutin, parce qu’il est impossible de calculer jusqu’où la fraude a pu aller. On ne peut pas savoir si l’on n’a pas trouvé le moyen d’écrire de faux noms. En jurisprudence lorsqu’un acte est vicié par la fraude, il devient nul : tels sont les principes qui avaient dicté l’article du projet du gouvernement. Je suis fâché que la section centrale s’en soit départie. On pourrait peut-être concilier les principes que je viens de développer avec les résultats d’une erreur commise par les scrutateurs, en déterminant la quotité de l’excédant ou du déficit des votes qui pourrait être tolérée.
Si cette quotité dépasse le 20ème du nombre des votants, il est évident qu’il faut déclarer le scrutin nul. C’est dans ce cas que j’insisterai pour que l’article soit renvoyé à la section centrale, comme l’a déjà proposé un honorable préopinant. Qu’elle détermine que le scrutin subsistera, lorsque le déficit ou l’excédant des votes ne sera que d’un 20ème ; car, en admettant le système de la section centrale, il me semble que l’article 22 doit déterminer plus clairement quelle est la limite de tolérance accordée pour la validité du scrutin.
Si vous admettez les bulletins qui excèdent le nombre des votants, vous attribuez à la personne à qui les suffrages seront comptés des voix qui seront le résultat de la fraude. Vous faites une opération condamnable. Si elle n’affecte pas la majorité, pourquoi n’admettrait-on pas que ces billets compteront ? Cette question est facile à résoudre. Nous l’avons vu, en admettant un certain nombre de bulletins douteux on déplace la majorité relative.
L’article 22 porte que le bureau décide provisoirement s’il y a lieu à un scrutin de ballottage. Que signifie ce mot provisoirement ? Dès l’instant qu’une question est soumise à un juge, si la décision qu’il prend n’est que provisoire, vous entendez par là qu’il a encore le moyen de décider au principal car si la décision qu’il prendra n’est que provisoire, il aura donc le droit d’en prendre ensuite une définitive. Vous ferez une loi que l’on ne comprendra pas. Vous jetterez dans les opérations électorales des principes de discussion et de perturbation.
Plus loin je lis : « à l’égard de ceux dont l’élection est incertaine. » Je ne conçois pas cette rédaction. Une élection est toujours certaine. Vous voulez dire « à l’égard de ceux dont les suffrages rendront l’élection incertaine. » Je ne vous comprends pas ; ce n’est pas le langage que doit parler la loi.
« Si ce doute existe lors d’un scrutin de ballotage, le conseil province décide. » Je vous avoue que j’ai peine encore à concevoir cette disposition de l’article 22. Je crois que toutes les observations que vous a soumises l’honorable M. Donny et celles que je viens de détailler prouvent qu’il y a nécessité à renvoyer l’article 22 à la révision de la section centrale, qui lui rendra, j’en suis persuadé, toute la clarté qui lui manque actuellement.
M. de Theux, rapporteur. - J’aurais désiré que l’honorable M. Jullien eût présenté lui-même une rédaction plus claire. Le rapporteur s’est conformé, à l’égard de la rédaction, aux décisions de la section centrale. Je ne crois pas qu’il soit convenable de faire de ces décisions un sujet de plaisanteries. Je ne comprends pas bien la distinction établie par le préopinant entre la petite fraude et la grande fraude. Le scrutin sera valable, prétend l’honorable M. Jullien, lorsque la différence n’excédera pas une certaine limite ; cette limite dépassée, il sera déclaré nul. Il faut que le scrutin demeure valable dans tous les cas. Si vous annulez le scrutin comme le voulait le projet du gouvernement, tous les électeurs qui n’habitent pas le chef-lieu seront privés de leurs droits électoraux. Il suffira d’un électeur de mauvaise foi pour déposer deux bulletins au lieu d’un dans l’urne.
Au moyen de cet artifice, le scrutin devenant nul, les élections devront être recommencées, aussi longtemps qu’il plaira à cet électeur de violer la loi. L’intention de la législature n’est certainement pas de donner accès à la fraude. Il s’est souvent présenté des cas où il existait une différence entre le nombre des votants et celui des bulletins, mais jamais cette différence n’a donné lieu à des contestations sérieuses.
Le préopinant a demandé dans le cas où il y aurait des bulletins en plus, ce que deviendraient ces bulletins. J’ai dit que ces bulletins ne seraient attribués à personne. L’article 27 du projet de la section centrale ne doit laisser aucun doute à cet égard. S’il se trouve au dépouillement du scrutin 101 bulletins pour un nombre de cent votants, la majorité sera décidée par le nombre des électeurs présents. Pour que les bulletins ne profitent à personne, on défalque à chacun de ceux qui ont obtenu des suffrages le nombre des suffrages en sus de celui des électeurs.
L’honorable préopinant que je combats s’est attaché à la rédaction de l’article 22. Le mot provisoirement l’a choqué. Ce mot, qui fait de sa part l’objet d’une aussi sérieuse critique, se trouve consacré par le congrès national dans la loi électorale. Dans les deux cas on a simplement voulu dire que les décisions du bureau n’étaient pas sans appel, que c’était aux chambres dans le premier cas, aux conseils provinciaux dans le second, à décider en dernier ressort sur les contestations que les opérations électorales pourraient susciter. Si vous supprimez le mot provisoirement, on pourrait soutenir que les contestations ne devront pas être déférées au conseil provincial. Le mot provisoirement doit nécessairement être maintenu.
Quant à l’observation faite sur le dernier paragraphe que, lorsque le doute existe, il y aurait lieu de procéder à un nouveau scrutin, comme la plus grande partie des électeurs se seraient retirés, ce serait exposer le sort des élections à la fraction qui n’aurait pas abandonné la salle.
Je pense donc que l’adoption de l’article 22, tel qu’il a été présenté par la section centrale, ne doit souffrir aucune difficulté. (Aux voix ! aux voix !)
M. Donny. - Je demande la division de l’article 22.
M. de Muelenaere. - Quelques membres ayant demandé le renvoi à la section centrale, il me semble que la chambre devrait décider avant tout ce point.
M. Donny. - J’ai le premier fait cette demande. J’en fais actuellement la proposition formelle. Je ferai observer, pour motiver ce renvoi, que lorsqu’il y a un nombre de billets plus grand que celui des électeurs présents, on peut ordonner un scrutin de ballottage, ou bien déclarer le scrutin nul et faire recommencer un scrutin simple. La section centrale n’a pas déterminé ces trois éventualités. Elle se borne à dire que le bureau décide provisoirement ; c’est là un des trois partis que l’on pourra prendre. Je crois donc que cet oubli exige le remaniement de l’article 22, et par conséquent le renvoi à la section centrale.
M. Verdussen. - J’appuie le renvoi à la section centrale. Les observations présentées par les honorables préopinants me paraissent devoir être prises en considération. Je crois que lorsque la majorité devient douteuse, il faudrait annuler le scrutin. Il est possible que dans le cas où il y aurait sur 100 votants 10 bulletins en plus, l’on trouve une majorité de 61 voix. En retranchant l’excédant de 10 bulletins il resterait 51 voix, qui constitueront la majorité absolue. Mais dans le sens inverse, s’il y avait 10 bulletins de moins, faudrait-il les ajouter à celui qui obtiendrait le plus de suffrages pour compléter la majorité qu’il n’aurait pas eue sans cela ? Ne serait-ce pas là le cas d’annuler le scrutin ?
Ainsi je crois que, dans tous les cas, il faudrait annuler le scrutin, quand la majorité peut devenir douteuse, soit par excédent, soit par déficit. Sauf examen, on peut renvoyer l’article à la section centrale.
M. de Muelenaere. - Je pense que dans l’état actuel de la discussion, il n’y a pas lieu à renvoyer l’article à la section centrale. Ce renvoi ne pourrait avoir d’utilité qu’autant que la chambre se serait préalablement prononcée sur les principes que l’article doit consacrer. La section centrale est partie d’un principe ; sa rédaction est conforme à ce principe ; et il n’y a pas de doute sur la manière dont l’article 22 doit être interprété. Les observations que l’on a faites portent sur le mot provisoirement ; ce mot a été consacré par une loi du congrès ; ainsi on ne doit pas être étonné de le voir ici.
On pourrait remplacer le mot provisoirement par ceux-ci : sans appel.
Dans l’article se présentent plusieurs principes : le premier est celui de savoir si la différence entre le nombre des votants et le nombre des bulletins ou des votes qui sont dans l’urne, doit annuler toute l’opération. C’est dans le sens de l’annulation qu’on a décidé ; mais les inconvénients de cette décision ont été sentis par la section centrale, et je crois qu’elle a fait sagement d’adopter le principe tout opposé, c’est-à-dire que la différence du nombre des votants avec le nombre des votes qui sont dans l’urne, ne doit pas nécessairement faire annuler l’opération électorale.
Il résulte de là que si, lors du dépouillement, il n’y a pas de doute sur la majorité que le bureau a déterminée, l’élu peut être proclamé ; mais s’il y a doute sur la majorité, alors serait-il sage de décider que l’opération doit être recommencée ?
Dès qu’il y a doute, il y a arbitraire à abandonner la décision au bureau : d’après quelle règle d’ailleurs le bureau déciderait-il ? Il n’en a aucune.
Avant de renvoyer l’article à la section centrale, il faudrait, je le répète, poser les différents principes sur lesquels la rédaction reposerait.
M. de Theux, rapporteur. - Nous sommes déjà d’accord avec l’honorable préopinant sur le principe admis par la section centrale : il n’y a plus qu’une question à décider, c’est de savoir, lorsqu’il y a doute, si le bureau doit annuler le scrutin ; dans ce cas, je ne verrais pas d’inconvénient à ce que l’on procédât à un scrutin de ballottage. On arrivera à ce résultat par un léger changement à introduire dans le second paragraphe.
M. Jullien. - D’après ce que vient de dire l’honorable M. de Muelenaere, il suffirait de poser à la chambre les principes qu’elle entend adopter avant de renvoyer à la section centrale pour la rédaction.
Ainsi il s’agirait de savoir d’abord si dans le cas où le nombre des bulletins est supérieur ou inférieur à celui des votants, il y a lieu d’annuler le scrutin. Or je conçois qu’on puisse faire fléchir la rigueur du principe quand la différence est petite, mais si elle excédait par exemple un vingtième, ou telle autre proportion remarquable, je crois qu’il ne faut pas hésiter à prononcer la nullité du scrutin.
Qu’on ne me dise pas que ces cas seront très rares, car rien n’est plus facile que cette espèce de fraude, puisque rien n’est plus aisé en remettant un bulletin plié que d’en faire passer deux au lieu d’un ; ainsi on pourrait aisément doubler le nombre des bulletins et dans ce cas comment se refuser à l’idée que toute l’opération électorale est entachée de fraude ?
Quant au second principe, on demande ce qu’on doit faire si la différence est capable de déplacer la majorité ; dans ce cas encore il faut annuler le scrutin, parce que ce déplacement de la majorité ne peut se faire au préjudice de l’un sans profiter à un autre et qu’on ne peut abandonner le sort de l’élection au caprice ou à l’arbitraire du bureau.
Messieurs, faites attention, je vous prie, que lorsque le système électoral est vicié, la représentation nationale est faussée, et quand un parti est repoussé par l’opinion publique, c’est toujours à corrompre les élections qu’il s’attache et c’est ce que vous devez éviter si vous ne voulez pas laisser suspecter vos intentions.
M. Ernst. - Il n’y a de difficulté que sur un seul point.
Il y a différence entre le nombre des votants et celui des bulletins. Que cette différence soit plus ou moins grande, doit-elle influer sur la validité du scrutin ? Devons-nous déclarer qu’il est nul ? Je crois qu’il ne faut pas poser en principe que cette différence doit entraîner la nullité.
S’il y a une grande différence, dit l’orateur, il y a fraude ; il n’y a pas simple erreur ; or, la fraude vicie toute opération. Mais je n’admets pas la vérité de cette assertion.
La fraude vicie tout ce qui est en soi entaché de fraude ; mais la fraude ne doit nuire à personne.
Dans le système que je soutiens, la fraude ne profitera à personne, puisque l’on annulera les bulletins qui établiront la différence dont il s’agit.
Vous présumez la fraude ; mais vous n’êtes pas libre de présumer la fraude si, en défalquant les bulletins qui font la différence, la majorité se trouve encore en faveur d’un citoyen, pourquoi lui enlèverez-vous un droit acquis ?
Les questions que l’on a posées doivent se résoudre ainsi :
S’il y a différence entre le nombre des bulletins et le nombre des votants, y a-t-il nullité ? Non.
S’il y a différence et qu’il résulte un doute sur la majorité, faut-il annuler ? Oui.
N’y a-t-il pas doute, je pense qu’il ne faut pas annuler.
Il faut concilier les principes avec la bonne foi ; il ne faut pas multiplier les élections ; si on agit autrement, on rendra les élections désertes.
M. d’Huart. - On parle de doute dans la majorité ou dans le résultat de l’opération électorale ; mais je crois qu’il n’y a pas un seul cas où il puisse y avoir doute, je crois qu’il ne peut en exister. Faites toutes les suppositions possibles et vous verrez qu’il en est ainsi.
Je prends le nombre 100 ; je suppose qu’il y a 90 bulletins dans l’urne ; un candidat a 46 suffrages, l’autre 44 ; personne n’est nommé, puisqu’il faut la moitié plus une des voix pour être élu.
Supposons 110 votants ; un candidat a 60 voix ; l’autre 50 : eh bien, ôtez 10 voix à celui qui en a 60, reste 50 il n’est pas nommé ; s’il avait eu 61 voix, il en eût resté 51 et l’élection était valable.
Faites d’autres suppositions, et vous ne trouverez de doute dans aucune circonstance.
M. Donny. - Les paroles que M. d’Huart vient de prononcer son le meilleur plaidoyer en faveur de mon opinion : s’il n’y a pas doute, il n’y a rien à décider.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je crois qu’après la première épreuve, s’il y a doute (et je n’examine pas la possibilité du doute), il faut annuler l’opération ; car dans le système de la section centrale une décision provisoire n’entraînerait qu’une élection incertaine qui, plus tard, donnerait lieu à de nouveaux déplacements des électeurs. C’est assez faire que de ne point annuler l’opération quand il y a différence entre le nombre des votants et le nombre des bulletins.
Pour peu que la chambre hésite sur telle ou telle rédaction, je pense qu’il serait utile de renvoyer l’article à la section centrale, ainsi qu’on l’a proposé.
M. de Muelenaere. - Je n’avais pas examiné les suppositions faites par M. d’Huart, et je supposais le doute ; et je le supposais, parce que la section centrale employait ce mot. Elle a supposé que la différence pourrait rendre la majorité douteuse. Je crois que dans ce cas il faut annuler l’opération, et qu’il ne doit pas appartenir au bureau de prendre une décision : mais s’il n’y a pas doute, l’annulation est inutile à prononcer.
M. Dellafaille. - Je crois que la disposition de la section centrale doit être conservée. On m’a énuméré tous les cas, et il en est où il y a doute.
Qu’il y ait cent électeurs, la majorité est 51 ; si celui qui est élu a 52 suffrages, il n’y a pas de doute ; mais s’il n’en a que 51 il peut y avoir doute. On demande la nullité dans le cas de doute. Mais alors vous pouvez obtenir une élection toute différente parce que les électeurs ne se présenteront pas tous aux élections. Adoptez le principe de la section centrale et vous serez sûrs d’avoir l’élu de la majorité des électeurs, et non l’élu des électeurs intrigants qui se présenteront à une seconde élection.
M. de Theux, rapporteur. - Il suffirait de rédiger le paragraphe dans ce sens :
« Après le dépouillement général, si la différence rend la majorité douteuse au premier tour de scrutin, le bureau principal fait procéder à un scrutin de ballotage entre ceux dont l’élection est incertaine. «
Je ne pense pas qu’il y ait lieu à annuler le scrutin ; je pense qu’il y a seulement lieu à procéder à un scrutin de ballotage.
M. Donny. - Je crois qu’il suffirait de dire simplement : « Il est procédé à un scrutin de ballotage. » Dans ce scrutin on suivra les règles ordinaires, on prendra les candidats qui ont obtenu le plus de voix.
M. de Theux. - On peut retrancher les mots : « A l’égard de ceux dont l’élection est incertaine. »
M. Verdussen. - Je demanderai à M. le rapporteur pourquoi il veut donner ce pouvoir au bureau principal ?
- Des voix. - Parce qu’il est impossible qu’il en soit autrement.
M. d’Huart. - Le retranchement ne doit pas avoir lieu : s’il y a plusieurs députés à élire, vous laisserez douter si ceux qui ont obtenu un grand nombre de suffrages doivent être ballotés avec celui qui a obtenu une majorité incertaine.
L’amendement de M. de Theux devient nécessaire d’après l’explication donnée par M. Dellafaille ; car celui qui aurait eu 51 voix, en lui en retranchant une, il y aurait doute, doute qui serait soumis à l’appréciation du bureau. Je préfère le scrutin de ballotage à l’arbitraire d’un bureau.
M. H. Dellafaille - On ne peut pas, dans la supposition qu’on vient de faire, ôter un suffrage à celui qui en a obtenu 51 ; parce qu’on ne peut pas savoir si le bulletin frauduleux a été donné à ce candidat ou à tout autre.
M. Donny. - Je retire mon sous-amendement.
- L’amendement ou la rédaction de M. de Theux est mis aux voix et est adopté ; ainsi dans le cas de doute, le bureau principal fait procéder à un scrutin de ballotage.
L’article 22 ainsi amendé est adopté.
M. le président. - « Art. 23. Lors du dépouillement, un des scrutateurs prendra successivement chaque bulletin, le dépliera, le remettra au président qui en fera lecture à haute voix et le passera à un autre scrutateur.
« Le résultat de chaque scrutin est immédiatement rendu public. »
- Adopté.
M. le président. - « Art. 24. Dans les collèges divises en plusieurs sections, le dépouillement du scrutin se fait dans chaque section.
« Le résultat en est arrêté, proclamé et signé par le bureau.
« Il est immédiatement porté, par les membres du bureau de chaque section, au bureau principal qui fait en présence de l’assemblée, le recensement général des votes. »
- Adopté.
M. le président. - « Art. 23 (du gouvernement). Les bulletins dans lesquels le votant se fera connaître sont nuls, ainsi que ceux qui ne sont pas écrits à la main. »
« Art. 25 (de la section centrale). Sont nuls les bulletins qui ne contiennent aucun suffrage valable, ceux dans lesquels le votant se fait connaître, ainsi que ceux qui ne sont pas écrits à la main. »
M. le président. - M. le ministre se réunit-il à de la section centrale ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - L’amendement de la section centrale, ne fait que suivre la jurisprudence établie par la chambre, avec une légère modification, je suis disposé à m’y rallier.
M. Angillis. - L’article de la section centrale suppose des cas de nullité qui n’existent pas dans la loi électorale ; c’est donc un système nouveau dont il s’agit. M. le ministre de l’intérieur vient de parler de la jurisprudence établie sur la question ; pour moi, je ne la connais pas, et je voudrais qu’il nous l’expliquât.
Je conçois qu’on annule les suffrages lorsqu’ils ne contiennent aucune désignation ; mais lorsqu’on annule les bulletins, parce que le votant a commis une erreur, parce qu’il n’a pas suffisamment désigné le candidat de son choix, il me paraît que l’on va trop loin.
La loi électorale n’admet que deux cas de nullité ; on peut en supposer un troisième, c’est le cas où l’électeur déposerait un billet blanc, un tel billet est nécessairement annulé ; car il serait absurde de le faire compter pour déterminer la majorité soit relative, soit absolue. Doit-il y avoir également annulation à l’égard des bulletins pour faute de désignation suffisante ? Evidemment non, parce que la loi électorale ne le dit pas, et qu’il n’y a pas nécessité d’introduire une nouvelle disposition dans la loi.
J’attendrai pour présenter d’autres observations que MM. les membres de la section centrale aient justifié l’article en discussion.
M. H. Dellafaille - Messieurs, la disposition que la section centrale vous propose relativement aux bulletins qui ne contiennent aucun suffrage valable, a pour but de prévenir dans les conseils provinciaux une difficulté dont la solution a excité de vifs débats dans cette assemblée.
L’avis de la section centrale, conforme à vos décisions précédentes ne me paraît pas exiger une longue justification. Le bulletin est défini : Un suffrage donné par écrit. Si cette définition est exacte il en résulte que, là où il n’y a point de suffrage, il n’y a point de bulletin, car supposez tous les suffrages annulés, que vous reste-t-il ? Un chiffon de papier sans valeur et qui ne signifie absolument rien. La substance du bulletin manque et prétendre que le suffrage nul peut produire un bulletin valable, ce serait soutenir qu’une cause nulle peut produire un effet valable.
Il est maintenant reconnu partout qu’un billet blanc est nul. Pourquoi ? Parce que la condition essentielle manque, parce qu’un semblable morceau de papier n’est pas un suffrage donne par écrit. La même raison s’applique aux billets qui ne contiennent que des noms dérisoires ou des désignations insuffisantes. Pas plus que le billet blanc, un tel chiffon n’est un suffrage donné par écrit ; ou plutôt, il n’est lui-même qu’un billet blanc, puisque les mots sans signification et sans valeur qu’il renferme sont annulés, c’est-à-dire réputés non écrits.
Mais, dira-t-on, celui qui a mal désigné son candidat a cependant voulu voter : si vous ne pouvez appliquer son suffrage à une personne déterminée, il ne faut pas moins le compter au nombre des votants. Oui, il a voulu voter : mais il ne l’a point fait ; il a manqué à la première condition, celle de désigner un candidat. Il est dans le cas de celui qui, voulant faire un acte, manque aux formes substantielles de cet acte ; par l’effet de sa négligence, sa volonté demeure stérile et sans résultat.
Il me paraît, messieurs, que ces motifs sont si clairs, qu’il suffit de les énoncer. Je me bornerai à vous rappeler qu’ils ont déjà été sanctionnés par la chambre, et que la section centrale s’est purement et simplement bornée à formuler la décision que vous avez précédemment portée sur cette question, lorsqu’elle été agitée dans cette enceinte.
M. Angillis. - Je ferai remarquer à l’honorable M. Dellafaille qu’il y a une grande différence entre un bulletin blanc et les bulletins qui ne contiennent pas une désignation suffisante.
Un électeur qui dépose dans l’urne un bulletin dont la désignation n’est pas claire aux yeux des membres du bureau a usé de son droit d’électeur, tandis que l’électeur qui a déposé un bulletin blanc n’a pas voulu voter. Le premier a satisfait à la loi électorale, était présent au collège, il a concouru de tous ses pouvoirs à l’élection, s’il n’a pas satisfait à l’intelligence du bureau, il a commis une erreur mais il était de bonne foi. Je crois que son suffrage ne doit pas être annulé.
Je suppose que 100 électeurs soient présents au collège, la majorité serait de 51 suffrages ; lors du dépouillement du scrutin on annule 20 bulletins pour faute de désignation suffisante, la majorité ne sera plus alors que de 31, et ainsi celui qui aurait obtenu cette majorité profiterait de la nullité des 20 bulletins.
L’adoption du système de la section centrale aurait un grand inconvénient, c’est qu’il serait toujours facile, en diminuant le nombre des votants, d’accorder la majorité à celui qui ne l’aurait pas véritablement obtenue.
La nullité du vote est une peine infligée par la loi ; la loi ne peut infliger cette peine, car aucun motif n’existe dans le cas présent.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je suis aussi très partisan de la disposition que la section centrale a sagement introduite dans le projet.
Il est inutile sans doute de rappeler à la chambre et à l’honorable préopinant que l’acte qui manque des formes substantielles, ne peut produire aucun effet ni direct, ni indirect.
Je reconnais qu’il est fâcheux pour l’électeur qui use de son droit, de voir son bulletin annulé faute de désignation suffisante du candidat, mais messieurs, ce cas n’est pas le plus ordinaire. Qu’arrivera-t-il lorsque l’énonciation faite sur le bulletin sera dérisoire ? Ce n’est pas là une hypothèse ; on a vu des bulletins dont l’énonciation était : Le grand Turc, d’autres le prince d’Orange. Je crois pouvoir invoquer à ce sujet le souvenir de plusieurs membres de cette chambre ; ils ont pu voir dans des discussions précédentes qu’il y avait parfois sur les bulletins des qualifications tout à fait dérisoires, et qu’il était impossible d’appliquer à personne.
Evidemment celui-là qui se joue ainsi d’un droit qui devrait toujours être exercé sérieusement, mérite plutôt la peine de l’annulation de son bulletin que celui qui n’a commis qu’une erreur involontaire, mais je le demande, faudra-t-il diviser les bulletins en catégories ? Faudra-t-il choisir entre les bulletins qui portent une énonciation dérisoire et ceux qui n’ont pas de désignation suffisante ?
S’il en était ainsi, des discussions s’ouvriraient pour savoir si tel bulletin est sérieux, si tel autre est dérisoire, et ces difficultés dont la solution appartiendrait au bureau pourraient s’élever à l’occasion de chaque bulletin qui manquerait de désignation suffisante.
L’expérience a assez prouvé que le système de la section centrale est celui qui se recommande comme le plus rationnel, à l’assentiment de la chambre ; le système contraire aurait de graves inconvénients.
M. Jullien. - Voilà encore une grande innovation que la section centrale entend consacrer par les articles 25 et 26 que je vous prie de combiner avec l’article 28.
Vous savez, messieurs, qu’en fait d’élections on a toujours soigneusement distingué le bulletin d’avec le suffrage. Le suffrage c’est le vote, c’est le choix de l’électeur, le bulletin n’est rien autre chose que l’acte au moyen duquel ce choix, ce vote est manifesté et dans toutes les lois électorales, c’est d’après le nombre de suffrages qu’on établit la majorité absolue ou relative.
Maintenant que la loi décide qu’un bulletin est nul quand l’électeur se fait connaître, cette disposition est sage parce qu’il est de l’essence du vote d’être secret, il en est de même si le bulletin n’est pas écrit à la main, parce que le vote doit être l’expression de la volonté de l’électeur, et qu’un bulletin imprimé ou écrit au crayon ne donne pas cette garantie.
Qu’on prononce encore si on veut la nullité d’un bulletin en blanc, quand même le papier serait colorié, j’y consens ; dans tous ces cas on peut dire que l’électeur n’a pas usé légalement de son droit, il n’y a ni vote, ni acte qui en justifie légalement et on a raison de ne tenir aucun compte de pareils bulletins pour établir la majorité.
Mais quand le bulletin est régulier, je soutiens qu’il y a nécessité de tenir compte du suffrage quand même pour cause d’irrégularité. Ce suffrage ne pourrait être annulé, parce que dans ce cas, l’électeur a entendu exercer sérieusement son droit et qu’il a manifesté son choix.
Si vous admettiez le système contraire, il pourrait arriver qu’un collège de 300 électeurs serait réduit à 50, et que par cette combinaison bizarre, vous arriveriez à former une majorité absolue avec une vingtaine de voix.
Supposez en effet ce qui s’est déjà vu, deux candidats tous deux en évidence et tous deux portés par la plus grande partie des électeurs, s’il arrive que ni l’un ni l’autre n’ait été suffisamment désigné, soit par omission de prénoms, de qualification, vu l’existence d’homonymes, inconnus par les électeurs, sur les 300 électeurs ces candidats auront réuni je suppose 250 suffrages qui seront annulés pour les causes que je viens de signaler. Voilà donc le collège électoral réduit à 50 membres, et la majorité à 26, puisque d’après votre système il n’est pas fait compte de ces suffrages plus que de bulletins nuls.
Mais, dit M. Lebeau, vous voudriez donc admettre des suffrages portant des qualifications dérisoires, comme le grand Turc, le prince d’Orange, etc., etc., ainsi qu’on l’a déjà vu.
Je sais, messieurs, que de pareils suffrages peuvent exister, j’en ai vu dans ma province d’aussi bizarres, tels que le gardien des Capucins et autres de ce genre.
Dans ce cas, je conçois qu’on puisse étendre la disposition de la section centrale et considérer comme nuls tous suffrages portant une dénomination ou qualification dérisoire ; mais on doit s’arrêter là, et respecter comme suffrages, tous ceux qui, quoique déclarés non valables pour défaut de désignation ou autrement, sont cependant l’expression de la volonté de l’électeur ; agir autrement, c’est détruire le droit électoral dans sa base.
C’est ouvrir le champ le plus vaste à l’intrigue et à toutes les manœuvres frauduleuses des partis puisqu’au moyen de simples décisions sur l’invalidité des suffrages ; vous abandonnez aux bureaux le pouvoir non seulement de hausser on d’abaisser à volonté le chiffre qui doit fixer la majorité, mais encore de décomposer entièrement le collège électoral.
On dit que ces inconvénients n’arriveront pas, que les électeurs seront avertis par cette nouvelle disposition : je répondrai qu’à toutes les élections on affiche les articles de la loi qui dictent les précautions à prendre pour la validité des suffrages. Le président en donne lecture à haute voix ; eh bien, malgré les affiches, malgré la recommandation de M. le président, il arrive toujours qu’une multitude de bulletins est annulée.
L’article 25 porte que les bulletins qui ne contiennent aucun suffrage valable sont nuls ; l’article 26 dit que les bulletins n’entrent point en compte pour déterminer la majorité ; il y a dans ces deux dispositions une contradiction avec l’article 28 qui déclare nuls tous les suffrages qui ne portent pas une désignation suffisante, puisque dans un cas le suffrage compte et que dans l’autre, il ne compte pas.
Je le répète, aucune loi électorale n’a annulé les bulletins pour faute de désignation non suffisante ; quant aux bulletins dérisoires, je formulerai un amendement pour que la loi prononce à leur égard.
M. de Theux, rapporteur. - Je pense qu’il s’agit ici simplement de faire décider ce que vous avez décidé d’une manière certaine, l’année dernière. Dans la discussion de la loi du 3 mars 1831, la question pouvait être soulevée ; mais du moment que vous l’avez résolue, vous ne pouvez plus aujourd’hui adopter un système contraire. Vous n’avez pas voulu alors que les bulletins qui ne contenaient aucun suffrage valable pussent être comptés ; il n’y a pas de motifs pour changer d’opinion.
On dit que l’électeur qui dépose un bulletin qui ne contient pas une énonciation suffisante, a cependant manifesté l’intention de voter, et que l’on doit respecter son droit de voter. Je répondrai que l’électeur remplit un acte, et que si cet acte est non-valable, il ne peut produire aucun effet, autrement ce serait ouvrir la porte à une foule de difficultés.
Mais où sera la limite entre le bulletin insuffisant et le bulletin dérisoire ? Ce sera une porte ouverte à toutes les contestations. C’est une porte qu’il vous est facile de fermer. Celui qui vote doit s’attacher à désigner son candidat d’une manière suffisante. Celui qui choisit un candidat doit connaître ses noms et qualités ; sinon, qu’il s’impute à lui-même les conséquences de sa négligence. Un bureau mal intentionné pourrait commettre des fraudes en annulant un nombre considérable de suffrages et en changeant ainsi le chiffre de la majorité.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je ne dirai qu’un mot sur l’amendement de M. Jullien sans entrer dans la discussion qui me parait épuisée. Je ferai remarquer seulement que l’honorable M. Jullien n’a pas, à l’égard des bulletins contenant des noms dérisoires, les mêmes idées que lors de la discussion de la loi électorale. Alors on proposa de considérer ces bulletins comme nuls ; l’honorable M. Jullien combattit cette proposition.
M. Poschet. - C’est M. de Brouckere.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - C’est possible ; je crois cependant me rappeler que l’honorable M. Jullien fit observer qu’il était très difficile de décider si un nom était dérisoire ; que le nom de rococo, par exemple, pouvait ne pas être dérisoire, attendu qu’il connaissait quelqu’un qui se nommait Rococo. (On rit.)
M. Jullien. - Cela est vrai.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Je crois que l’amendement de M. Jullien ouvrirait une large voie à l’arbitraire ; c’est sous ce rapport que je le combats.
- L’amendement de M. Jullien est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
- L’article 25 est mis aux voix et adopté.
Les articles 26 à 36 du projet de la section centrale sont adoptés sans discussion dans les termes suivants :
« Art. 26. Les bulletins nuls n’entrent point en compte pour déterminer la majorité absolue ou relative. »
« Art. 27. Sont valides les bulletins qui contiennent plus ou moins de noms qu’il n’est prescrit ; les derniers noms formant l’excédant ne comptent pas. »
« Art 28. Sont nuls tous les suffrages qui ne portent pas une désignation suffisante : le bureau en décide comme dans tous les autres cas, sauf recours au conseil provincial. »
« Art. 29. Nul n’est élu au premier tour de scrutin, s’il ne réunit plus de la moitié des voix. »
« Art. 30. Si tous les conseillers à élire dans le canton n’ont pas été nommés au premier tour de scrutin, le bureau fait une liste des personnes qui ont obtenu le plus de voix.
« Cette liste contient deux fois autant de noms qu’il y a encore de conseillers à élire.
« Les suffrages ne peuvent être donnés qu’à ces candidats.
« La nomination a lieu à la pluralité des votes.
« S’il y a parité de votes, le plus âgé est préféré.
« Art. 31. Le procès-verbal de l’élection rédigé et signé, séance tenante, par les membres du bureau principal, les procès-verbaux des sections également rédigés et signés, séance tenante, ainsi que les listes des votants signées comme il est prescrit à l’article 20, et les listes des électeurs sont adressés dans le délai de huitaine à la députation permanente du conseil provincial.
« Un double du procès-verbal du bureau principal, certifié conforme par ses membres, sera déposé au secrétariat de la régence municipale du lieu de l’élection où chacun pourra en prendre inspection. »
« Art. 32. Après le dépouillement, les bulletins seront brûlés en présence de l’assemblée. »
« Art. 33. Le gouverneur adressera sans délai des extraits du procès-verbal de l’élection à chacun des élus. »
« Art. 34. Toute réclamation contre l’élection doit être adressée au conseil provincial avant la vérification des pouvoirs. »
« Art. 35. Le conseiller élu par plusieurs cantons électoraux peut faire connaître son option à la députation permanente du conseil.
« Le conseiller qui n’aura point fait cette option, sera tenu de la déclarer au conseil provincial dans les deux jours qui suivront la vérification des pouvoirs : à défaut d’option dans ce délai, il sera décidé par la voie du sort à quel canton le conseiller appartiendra. »
« Art 36. Le gouverneur convoque, en suite d’une décision du conseil ou de la députation, les collèges électoraux chargés de procéder aux remplacements nécessités par options, démissions ou décès.
« Le conseil ou la députation fixent la convocation à l’époque ordinaire des élections, à moins qu’il ne soit nécessaire de devancer cette époque. »
M. le président. - La chambre passe à la discussion du titre IV : Des éligibles.
M. le président. - « Art. 37, Pour être éligible, il faut 1° Etre Belge de naissance ou avoir obtenu la naturalisation ; 2° jouir des droits civils et politiques ; 3° Etre âgé de 25 ans accomplis ; 4° Etre domicilié dans la province au moins depuis le 1er janvier qui précède l’élection. »
M. Dubois a présenté sur cet article l’amendement suivant :
« Sont éligibles au conseil provincial tous les électeurs qui concourent à la nomination des membres de ce conseil. »
La parole est à M. Dubois pour développer son amendement.
M. Dubois. - Messieurs, l’objet de mon amendement est celui de fixer un cens d’éligibilité pour les citoyens appelés à siéger au conseil provincial ; il a pour but d’en écarter toute personne qui n’offre pas cette garantie.
Pour les autres dispositions, il ne diffère en rien avec celles contenues dans l’article 37 du projet du gouvernement adopté et maintenu dans son entier par l’article 36 de la section centrale.
Je dois ajouter que mon amendement est simple, ne présentant aucune difficulté ; et qu’il est fondé sur la base la plus large et la plus libérale qu’il soit donné au législateur prudent d’atteindre.
Messieurs, ce n’est qu’après avoir bien mûrement médité cette question, ce n’est qu’après avoir obtenu une conviction bien intime de son utilité, je dirai de sa nécessité, que je me suis décidé à vous la présenter.
J’aurais désiré que l’honorable rapporteur de la section centrale l’eût rencontrée dans son rapport ; j’aurais voulu que cette question eût été soulevée quelque part.
Quel est le motif qui a pu engager la section centrale et son rapporteur à garder le silence à ce sujet ?
Je vous avoue, messieurs, que je n’en ni vu qu’un, que je n’ai trouvé qu’une seule objection, et je l’aborde d’abord.
La constitution n’exige aucun cens d’éligibilité pour être membre de la chambre des représentants.
Est-ce à dire que dans son article 50 elle nie en général l’utilité de cette garantie ? Mais elle y revient, et elle l’exige dans un de ses articles suivants.
Pour être élu et rester sénateur, il faut payer en Belgique au moins 1,000 florins d’impositions.
Ainsi, la constitution a pu déclarer que le représentant à la chambre ne devait être ni possesseur de biens, ni même inscrit sur le rôle des contribuables de la nation ; mais ailleurs elle ne réprouve pas cette garantie ; je l’ai dit, messieurs, elle la veut.
Maintenant, qu’est-ce qu’un représentant de la nation, et qu’est-ce qu’un député élu au conseil provincial ? Je le demande à ceux qui pourraient trouver sérieuse une pareille objection : quelle analogie y a-t-il entre la mission de l’un et de l’autre ?
Elle est presque nulle.
Appelé pour venir discuter sur les plus graves intérêts de la nation, le représentant n’entre dans cette chambre qu’après s’être dépouillé de toute pensée personnelle, de tout esprit de localité. Il a juré obéissance à la constitution ; voilà sa garantie, et dès lors il n’a plus que sa conscience pour juge, et il n’est plus responsable devant le pays que de son caractère et de ses opinions.
La constitution a bien jugé que cet homme n’avait pas besoin d’offrir un cens d’éligibilité.
Des attributions aussi importantes ne sont pas réservées au conseiller provincial. Ses fonctions sont aussi dignes peut-être, mais elles sont moins nobles, elles sont moins grandes.
Il est plus intimement lié à la prospérité des habitants de la province ; il est plus directement attaché au peuple ; il doit veiller à ce qu’on l’administre sagement ; son but doit être le plus grand développement des intérêts, du bonheur et de la prospérité matérielle de ses commettants.
Dans le conseil, il est l’homme positif, l’homme de la localité, et en même temps, si je puis m’exprimer ainsi, l’homme de la chose.
Ici, messieurs, je vous le demande : l’instruction, les bonnes intentions, la bonne foi, suffisent-elles ?
Non. Je n’hésite pas à le dire, parce que j’en ai la conviction intime ; cet homme n’offre pas tout ce qu’il faut pour être député.
Dans votre séance d’hier, vous avez voté l’article 12 de la loi, et par ce vote vous avez consacré le principe de l’élection cantonale.
Il y avait cependant bien des choses à dire en faveur d’un autre système, en faveur de l’élection par district ou par arrondissement.
Et vous l’avez fait sans qu’aucune objection ait été soulevée ; vous l’avez fait sans discussion. Je crus un instant que le ministre se laissait entraîner ; je me trompais.
Vous avez fait plus : sur la proposition de l’honorable M. Fleussu, vous avez porté une sage modification à l’article 5.
Pourquoi ? parce que vous vouliez que les besoins de la propriété, que ceux de l’industrie fussent représentés aux états provinciaux de la manière la plus large et la plus complète.
Eh bien, il vous reste encore quelque chose à faire.
Il faut que vous décidiez que celui qui contrôlera l’action de l’administration, qui statuera sur des mesures d’utilité publique, qui votera des nouvelles constructions, aura lui-même quelque intérêt plus au moins direct à ces mesures.
Il faut que vous décidiez que celui qui représentera la propriété ou l’industrie sera lui-même ou propriétaire ou industriel.
Il faut que vous décidiez que celui qui votera des impôts subira lui-même une partie de ces impôts.
En un mot, il faut que celui que le peuple enverra au chef-lieu de la province pour y défendre ses intérêts, soit le premier intéressé à défendre les siens propres.
Messieurs, dans tout ce que j’ai eu l’honneur de vous dire, j’ai tâché d’être vrai.
Si je vous ai dit la vérité, vous accueillerez mon amendement. Car toute loi est bonne, dès qu’elle repose sur ce fondement immuable.
J’ai dit que mon amendement était simple et clair, facile à être mis à exécution.
En effet, si je vous avais proposé une somme quelconque, de 50, de 100, ou de 150 francs, pour fixer le cens d’éligibilité, vous m’eussiez objecté, je pense, que la fixation de ce cens devait varier d’après les variations d’aisance et de fortune qu’on rencontre dans les provinces et dans les cantons ; mais j’ai évité cette difficulté, en prenant pour modèle le tableau modifié par la législature qui sert de fixation pour le cens électoral.
Ensuite, j’ai évité le confectionnement de nouvelles listes d’éligibles, comme il a fallu les faire pour le sénat, puisque ce seront les mêmes listes qui porteront les noms des électeurs et ceux des éligibles.
La publicité qu’on donne à ces listes et l’exécution des dispositions de l’article 15 de la loi donneront encore aux électeurs toute la facilité possible pour connaître sur quelles personnes ils peuvent porter leur suffrage.
J’ai dit que mon amendement était large et libéral. A cet égard je soumets entièrement mon opinion à votre jugement.
Si je me suis trompé, messieurs, c’est que j’ai cru qu’il n’était pas possible, sans rendre illusoire la garantie que je vous propose, d’abaisser davantage un cens dont le minimum est fixé à 35 et dont le maximum pour nos plus grandes villes est fixé à 80 florins.
Pour toute la France, l’éligible doit payer à l’Etat et dans le département 200 francs de contributions directes.
Vous savez, messieurs, qu’en Belgique les patentes sont comprises dans la fixation du cens électoral, et qu’il suffit que l’électeur le verse indistinctement dans les caisses de l’Etat.
Il y a peut-être trop de latitude dans mon amendement ; peut-être conviendrait-il de statuer que les propriétés ou l’industrie pour lesquelles on paie le cens doivent être situées ou se pratiquer dans la province.
Si, malgré cet inconvénient, je maintiens mon amendement. c’est parce qu’il est si peu complexe, parce qu’il évite beaucoup de travail et de recherche, parce que surtout il écarte un inconvénient grave, celui de diviser l’assemblée électorale en catégories d’électeurs et d’éligibles.
Je n’ai trouvé nulle part, messieurs, que le principe que je voudrais voir consacré dans notre loi provinciale ait été contesté.
Dans les discussions qui à cet égard ont eu lieu dans les chambres françaises, je n’ai rencontré qu’un orateur qui voulût l’étendre davantage sans cependant le nier.
« Je propose moi, dit M. Cabet, d’étendre à tous les citoyens le principe de l’éligibilité sous de certaines conditions ; » et il range parmi celles-ci l’inscription au rôle des contributions foncières, parce que, dit-il, les véritables citoyens sont ceux qui paient un impôt direct au pays.
Je puis révoquer en doute ce dernier principe ; mais au moins, cette autorité n’est pas suspecte.
Au reste, j’ai reconnu que, s’il est prudent de ne pas trop abaisser le cens électoral, il est également bon de ne pas trop l’élever.
Un propriétaire est aussi intéressé à la bonne administration, au bon emploi de l’impôt, qu’un propriétaire plus riche.
S’il y a quelque distance entre celui qui ne possède rien et celui qui possède quelque chose, elle est moindre entre celui-ci et celui qui possède plus.
D’ailleurs, il faut laisser le plus de latitude possible au choix du peuple ; il ne faut pas le resserrer trop, il ne faut pas trop le restreindre ; il faut laisser beaucoup au bon sens des électeurs.
Je ne pense donc pas, messieurs, que dans mon amendement, il y ait quelque chose qui puisse effrayer la susceptibilité des plus grands amis des libertés électorales.
Je l’ai présenté pour prémunir les électeurs contre les intrigues qui ne manqueront pas d’exploiter nos villes et nos cantons ruraux.
Et quand il n’aurait pour effet que d’éveiller l’attention des électeurs, cette considération seule me semble assez puissante pour le faire adopter.
Ne nous le dissimulons pas : après la commune, le canton est la dernière subdivision de la société ; en décidant que le conseil provincial sera composé de députés envoyés par les cantons, nous avons donné un aliment à des ambitions dangereuses, nous avons donné de la force aux plus mauvaises passions, nous avons ouvert la porte aux plus funestes intrigues.
Messieurs, c’est pour écarter autant que possible de pareilles éventualités, c’est pour étouffer le germe de destruction que contiendrait votre loi, que j’insiste pour que vous adoptiez une disposition dont le premier effet sera de réveiller l’attention et la sollicitude des électeurs, et qui, j’espère, aura pour résultat immédiat de donner au pays des conseils provinciaux composés de citoyens qui seront attachés au sol, et qui auront pris racine dans la province.
Faisons tous nos efforts, messieurs, pour donner au pays une bonne loi d’organisation provinciale. La grande partie du bonheur du peuple dépend de la bonne administration de la province, et de celle-ci dépend la prospérité de l’Etat.
M. d’Hoffschmidt. - Je viens combattre l’amendement de M. Dubois ; et pour cela quelques mots suffiront. Sa proposition tend à assujettir à un cens électoral les membres des états provinciaux. Cette disposition est illibérale ; elle exclut des états provinciaux les notaires, les avocats et nos dignes pasteurs, qui, souvent n’ont d’autre propriété que leur talent. Pour les élections à cette chambre, le choix des électeurs n’est pas aussi restreint. Un notaire ou une personne de tout autre profession libérale peut posséder la confiance générale. Si le choix des électeurs n’était pas limité, ils le nommeraient membre des états provinciaux ; ils ne le pourront pas, si vous adoptez l’amendement qui vous est proposé.
M. de Theux, rapporteur. - Je pense que nous ne pouvons sans inconséquence admettre l’amendement proposé. Pour être membre de cette chambre, on ne doit payer aucun cens ; et on exigerait pour l’éligibilité aux conseils provinciaux le cens fixé pour les électeurs. Peut-on supposer moins de discernement dans l’élection pour les conseils provinciaux pour la chambre des représentants, alors que les élections sont les mêmes ? Cependant vous ne pouvez échapper à cette anomalie qui consiste à exiger plus de garantie pour le corps le moins important.
On a cité l’exemple de la France ; mais cet exemple n’est nullement concluant. En France, pour la chambre des députés il y a un cens d’éligibilité, on a donc pu en fixer un pour les conseils généraux de département ; mais nous, je le répète, nous ne pourrions admettre ce système sans une contradiction réelle et qui n’est pas supportable.
M. Jullien. - L’amendement de l’honorable M. Dubois tend à nous faire faire encore un pas rétrograde. C’est encore un trou au vieux manteau de la légalité. (Hilarité générale ; les regards se portent vers le banc qu’occupe d’ordinaire M. Vilain XIIII.)
L’honorable M. Dubois propose de faire payer un cens pour être éligible aux états provinciaux. Lorsqu’on n’exige pas de cens d’éligibilité pour la représentation nationale, ce serait une contradiction d’en exiger un pour les états provinciaux qui sont une autorité inférieure. A moins qu’on ait l’intention de modifier par la suite tout le système électoral, je ne vois pas qu’il soit possible de justifier l’amendement proposé.
Le principe a été déterminé par le congrès ; il renferme une question depuis longtemps jugée. Ce système place toute la garantie dans l’élection. Dès lors vous n’avez pas la garantie à demander à l’éligible ; tout ce qu’on lui demande c’est de répondre à la confiance du pays.
La proposition de l’honorable M. Dubois, tend à ce que nul ne soit éligible, s’il n’est déjà électeur. Voici l’inconvénient qui en résultera. Il se rencontrera des individus ayant plus de propriétés qu’il ne serait nécessaire pour former le cens, mais qui auront négligé de se faire porter sur les listes ; or, comme la qualité d’électeur dépend de l’accomplissement de cette formalité, comme d’après l’amendement, nul ne peut être éligible s’il n’est déjà électeur, il en résultera, s’il est adopté, que ces individus, pour avoir négligé de faire valoir leurs droits, ne pourront pas être élus aux états provinciaux.
Je terminerai par une observation que je crois de nature à faire impression sur les esprits : c’est que si l’amendement proposé était adopté, votre système serait moins libéral que celui établi par la loi fondamentale sous l’ancien gouvernement. Alors aucun cens d’éligibilité n’était demandé pour les états provinciaux. C’est à vous à décider si vous voulez rétrograder, et vous placer bien au-dessous de ce que vous étiez sous l’ancien gouvernement.
Je voterai contre l’amendement.
M. Dubois. - Je dois répondre au reproche d’illibéralisme qu’on a fait à mon amendement. J’ai cherché à introduire dans la rédaction tout le libéralisme possible. Mais ce qui m’a engagé à proposer mon amendement, c’est le fractionnement de la société par canton et non par district comme on l’avait primitivement proposé ; il est incontestable que c’est parce qu’on vote par petite portion du territoire que les intrigues se font jour. C’est comme garantie pour le peuple que je présente mon amendement.
M. d’Hoffschmidt a dit que je voulais exclure les notaires, les avoués, les prêtres ; mais vous n’êtes pas plus libéraux que moi ; car vous les excluez des collèges électoraux. Si le cens d’éligibilité est illibéral, le cens électoral ne l’est pas moins ; il faut donc le supprimer.
On a dit aussi que comme il n’y avait pas de cens d’éligibilité pour la chambre des représentants, il y aurait de la contradiction à en fixer pour les états provinciaux ; je crois qu’il n’y a pas d’analogie entre la mission du député aux chambres et celle du député au conseil provincial.
Une autre raison m’a déterminé à présenter mon amendement. Les élections au conseil provincial sont plus fractionnées, attendu qu’elles s’opèrent par chef-lieu de canton. Les électeurs sont donc plus en butte aux intrigues. Je pourrais répondre au dernier argument de l’honorable M. Jullien que les élections ne se faisaient pas directement, et que par conséquent il n’était pas aussi nécessaire qu’il y eût un cens d’éligibilité. Si les élections provinciales devaient se faire comme sous l’ancien gouvernement, je repousserais la loi tout entière. Mais sous l’empire de l’ancienne loi provinciale, les garanties ne manquaient pas, puisqu’il y avait une triple élection. Je repousse le reproche que l’on m’a adressé de vouloir porter atteinte à la liberté ; c’est au contraire la liberté des suffrages que je veux protéger ; je désire écarter l’influence que pourraient exercer sur les électeurs les personnes malveillantes dont ils seraient circonvenus. Cette accusation d’illibéralisme pourrait être renvoyée à ceux qui, selon moi, demandent une marche rétrograde en repoussant mon amendement.
- L’amendement de M. Dubois est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’article 37 est mis aux voix et adopté.
M. le président. - « Art. 38. Ne sont point éligibles les condamnés à des peines afflictives ou infamantes, ni ceux qui sont en état de faillite déclarée ou judiciaire. »
- Cet article est mis aux voix et adopté.
M. le président. - La chambre passe à la discussion du titre V : Des incompatibilités.
« Art. 39. Ne peuvent être membres du conseil provincial :
« 1° les membres de la chambre des représentants.
« 2° le gouverneur de la province.
« 3° le greffier provincial.
« 4° les commissaires d’arrondissement ou de milice.
« 5° les administrateurs du trésor, les percepteurs ou agents comptable de l’Etat ou de la province.
« 6° les ingénieurs des ponts et chaussées et les ingénieurs des mines.
« 7° les officiers de l’armée de ligne en activité de service.
« 8° les architectes et les employés par l’administration dans la province.
« 9° les employés au gouvernement provincial ainsi que les employés au commissariat d’arrondissement ou de milice. »
M. le président. - M. Desmanet de Biesme a déposé un amendement dont le but est de supprimer les incompatibilités consacrées par les numéros 6 et 8 de l’article en discussion.
M. Desmanet de Biesme. - Je vois avec peine que l’on consacre l’incompatibilité des fonctions d’ingénieur des ponts et chaussées, d’ingénieur des mines, et d’architecte avec celles de député au conseil. Je crains qu’en établissant ces incompatibilités, on ne retranche trop d’hommes spéciaux.
J’ai vu souvent dans les anciens états provinciaux dont je faisais partie, combien la présence des ingénieurs des ponts et chaussées y était nécessaire ; on ne peut se dissimuler que quand il est question dans une assemblée délibérante de donner une direction aux routes, les intérêts particuliers travaillent à agir aux dépens de l’intérêt général. On a vu sous les anciens états provinciaux des routes suivre une direction à la convenance de chacun des membres des états au lieu de prendre la ligne directe. Le même abus existe à l’égard des petites localités. Chaque ville veut que la route projetée aboutisse à ses portes. La présence des ingénieurs des ponts et chaussées au conseil provincial doit donc exercer une influence salutaire sur la direction des routes. Les observations que je viens de faire sont applicables aux ingénieurs des mines. Si mon amendement n’était pas adopté, je me verrais forcé de voter contre l’article entier.
M. d’Hoffschmidt. - Je demande la division par numéro.
- La division est accueillie.
M. d’Hoffschmidt. - Parmi les incompatibilités énumérées au titre V du projet j’aurais désiré voir figurer les conseillers des cours d’appel, et les présidents et vice-présidents des tribunaux de première instance, et les officiers du ministère public.
Je pense, messieurs, qu’il serait utile de consacrer au moins cette disposition si l’on ne veut pas l’étendre à tout l’ordre judiciaire, ce qui serait plus rationnel.
Notre législation est fondée sur le principe fondamental de la distinction des pouvoirs : l’ordre judiciaire forme un pouvoir séparé, doté par la constitution des plus belles prérogatives.
Il convient que les hommes qui se sont voués à cette carrière y donnent tous leurs soins, tous leurs moments, car ils ont entre les mains l’honneur et la fortune de leurs concitoyens : les placer dans un conseil essentiellement administratif, ce serait les distraire de leurs occupations, de leurs études, ce serait les entraîner dans une sphère qui n’est pas la leur.
Quelle nécessité y a-t-il de cumuler ainsi divers pouvoirs dans la même main ?
Les fonctions de conseiller provincial pour être convenablement remplies exigent la connaissance des intérêts matériels, des besoins de la province, celle des relations commerciales qui existent entre les différentes localités.
Cette étude est du ressort du cultivateur, de l’industriel et non du fonctionnaire appliqué à l’interprétation des lois.
D’ailleurs, messieurs, faites bien attention qu’une des attributions les plus importantes du conseil est la présentation des candidats pour les places de conseiller à la cour d’appel et de présidents et vice-présidents des tribunaux de première instance.
Il faut nécessairement que cette belle prérogative s’exerce à l’abri de toute influence. Or, la présence d’un certain nombre de membres de l’ordre judiciaire dans le sein du conseil n’exercerait-elle pas cette influence ?
Ne fausserait-elle pas l’institution qui consiste à donner dans ces présentations les mêmes droits au pouvoir administratif qu’au pouvoir judiciaire ?
Si les membres de l’ordre judiciaire dominaient dans un conseil provincial, il en résulterait qu’en réalité le pouvoir administratif n’aurait pas concouru à ces présentations conformément au vœu formel et à l’esprit de la constitution.
- La discussion est ouverte sur le n° 1.
M. Verdussen. - Je ne conçois pas que l’on veuille consacrer une incompatibilité à l’égard des représentants, à l’égard d’hommes qui pourraient éclairer le conseil provincial de leurs lumières, et qui ne seraient pas détournés de leurs occupations puisque la durée des sessions n’excèdera pas trois semaines. L’incompatibilité ne devrait être admise que pour les députations permanentes. Je voudrais que l’on rayât cette incompatibilité de l’article 39.
M. de Theux, rapporteur. - Le motif qui a guidé la section centrale, c’est qu’il serait infiniment dangereux que les conseils provinciaux pussent dégénérer en corps politiques et s’occupassent d’affaires qui sont en dehors de leur mission ; il serait difficile à un membre de la chambre des représentants de s’abstenir d’y agiter des questions politiques, ce serait détourner les conseils de leur tâche qui est purement d’intérêt local. Remarquez de plus que les représentants pourraient en quelque sorte se lier vis-à-vis dans un conseil par des promesses qu’ils devraient accomplir dans le sein de la chambre, en appuyant des projets de loi qui intéresseraient leur province. C’est ce qu’a voulu éviter la section centrale.
M. Jullien. - Il y aurait en effet du danger à réunir tous les pouvoirs dans un seul homme, et je ferai observer que le même homme voterait à la chambre le budget économique de la province qu’il aurait contribué à former dans le conseil provincial.
- Le n°1 est mis aux voix et adopté.
Les n°2 et 3 sont successivement adoptés.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le n° 4.
M. Pollénus. - En votant le n°4 de l’article 39, j’espère que la chambre n’entend rien préjuger sur la question de conservation des commissariats de district. Cette question a été agitée dans la section centrale, et le maintien en a été résolu par 4 voix contre 3. J’ai l’intention de reproduire, quand nous en serons venus à l’article qui les concerne, reproduire les arguments que j’ai déduits dans le sein de la section centrale. Je demande donc si la chambre prétend rien préjuger à cet égard. (Non ! non !)
M. Helias d’Huddeghem. - Je ne vois pas pourquoi l’on exclurait du conseil provincial les commissaires de district. Ce sont des fonctionnaires qui pourraient y être d’une utilité très grande, en y apportant le tribut de leurs lumières.
- Le numéro 4 est mis aux voix et adopté.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’amendement.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je crois qu’en principe c’est un mal d’établir des exclusions, c’est se défier des électeurs eux-mêmes. Il faut user sobrement de ces exclusions et en restreindre l’application à des cas extrêmement rares. Je vous le demande, les électeurs ne se trouveront-ils pas arrêtés à chaque pas, si vous frappez ainsi d’une incapacité civique des hommes qui ont la pratique des affaires ?
Je ne conçois pas surtout que l’on étende ce système de réprobation aux membres de l’ordre judiciaire. Ils peuvent avoir beaucoup de savoir : c’est en général à eux qu’il appartient de faire une bonne rédaction de règlements administratifs ou de police provinciale. Je crois que l’on cède ici à un esprit de défiance que nous avons puisé dans le souvenir des abus commis sous l’ancien gouvernement. Maintenant que depuis les sommités du pouvoir jusqu’au dernier agent de l’administration il existe la surveillance, le contrôle le plus sévère, je pense qu’il serait dangereux de persévérer dans ce système d’exclusions et d’interdire l’entrée du conseil provincial à une foule d’hommes qui offrent une garantie de connaissances dont ces conseils peuvent sentir la nécessité.
Du reste, les membres de l’ordre judiciaire ne seraient pas distraits longtemps des travaux qui réclament leurs soins habituels. Il ne s’agit pas ici de sessions semblables à celles à la chambre des représentants ; et remarquez-le bien, la durée de la session n’a pas été un motif d’en exclure des membres de l’ordre judiciaire. La législature en compte dans son sein un grand nombre. Les sessions des conseils provinciaux ne dureront que quinze jours.
Vous craignez que l’absence des conseillers ou des juges n’amène une perturbation dans la marche des affaires judiciaire. Mais il est évident que l’accès de ces magistrats au conseil provincial ne sera pas la règle, mais bien l’exception. Je crois que les exclusions consacrées par la section centrale sont déjà trop nombreuses ; qu’on n’en introduise pas de nouvelles ; il ne faut pas, sous peine de mettre les électeurs dans l’embarras, exclure de leur choix des hommes en qui ils auraient confiance ; il ne faut pas pousser plus loin ce système d’incompatibilité, qui s’il était inflexible, comme la tendance s’en manifeste de plus en plus, exclurait des assemblées délibérantes une foule de capacités.
M. d’Hoffschmidt. - M. le ministre de la justice n’a pas répondu aux arguments que j’ai tirés de l’article 99 de la constitution. Voici cet article :
« Les conseillers des cours d’appel et les présidents et vice-présidents des tribunaux de première instance de leur ressort, sont nommés par le Roi sur deux listes doubles présentées l’une par ces cours, l’autre par les conseils provinciaux. »
Puisque ce sont les députés du conseil provincial qui devront présenter les candidats aux places vacantes à la cour d’appel, c’est une anomalie de faire faire la nomination des conseillers par les juges eux-mêmes.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - C’est précisément le contraire.
M. d’Hoffschmidt. - M. le ministre de la justice a ajouté que c’était un mal de formuler tant d’exceptions. Il n’a qu’à jeter un coup d’œil sur celles que l’on a consacrées, il y verra qu’elles ont été dictées par un système aussi libéral que celui qu’il voudrait admettre.
Pourquoi arracher les membres de l’ordre judiciaire à leurs fonctions ? Les sessions des conseils provinciaux ne dureront, dit M. le ministre, que quinze jours, trois semaines au plus, soit. Mais c’est un grand mal de distraire de leurs fonctions les juges naturels des citoyens, et les veuves et les orphelins pourraient en être victimes. Nous savons que les affaires soumises aux décisions des tribunaux sont toujours en retard. Si l’ordre judiciaire était appelé à siéger au conseil provincial le mal serait aggravé de beaucoup. M. le ministre a dit qu’en consacrant ces nombreuses incompatibilités, nous nous laissons trop préoccuper par un ordre de chose qui n’est plus ; nous craignons le pouvoir comme sous l’ancien gouvernement. C’est précisément la connaissance des abus que ce gouvernement a laissé commettre, qui nous avertit de nous mettre en garde contre leur retour et nous ordonne impérieusement de prendre des mesures pour les prévenir.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Je combattrai la nouvelle exclusion proposée par M. d’Hoffschmidt. A force d’exclure toutes les spécialités, il ne resterait plus personne en état de faire partie des conseils provinciaux.
On a dit que nous nous étions ralliés aux exclusions proposées par la section centrale. Nous ne nous sommes ralliés à aucune exclusion nouvelle. Je ferai remarquer à la chambre que le projet actuellement en discussion a été présenté au mois de décembre 1831. Le ministère actuel n’a pas cru devoir le refondre, quoique sur quelques points de détails sa pensée ne s’identifiât pas tout à fait avec celle du projet. C’est avec regret, par exemple, que l’ai vu voter par la chambre, l’exclusion des commissaires de district des conseils provinciaux. Ces fonctionnaires publics y pourraient apporter d’utiles lumières. A l’époque où le projet de loi fût proposé, les esprits étaient sous l’influence réactionnaires contre les empiètements du pouvoir, préventions qui se sont affaiblies aujourd’hui.
L’honorable M. d’Hoffschmidt en produisant son amendement, se trouve être en contradiction avec lui-même. Il voulait tout à l’heure que les notaires, les hommes de loi fussent appelés à faire partie des conseils provinciaux, et actuellement il en exclut les membres de l’ordre judiciaire. Pourquoi cette distinction ?
M. de Theux, rapporteur. - Je ne pense pas qu’il y ait lieu d’adopter l’amendement de M. d’Hoffschmidt : il n’y a pas de raison pour exclure des conseils provinciaux les membres de l’ordre judiciaire ; ces fonctionnaires peuvent y être fort utiles par leurs lumières. Mais, dit-on, ils se feront présenter par les conseils dont ils feront partie pour obtenir des positions plus élevées dans l’ordre dont ils font partie ; mais ils ne parviendront à se faire présenter que quand on les aura appréciés, que quand on aura reconnu leur mérite, leurs connaissances ; d’ailleurs, pour atteindre son but, l’amendement devrait atteindre les juges de première instance.
L’exclusion des commissaires de districts est votée, il n’y a donc pas lieu de la discuter ; d’ailleurs, elle est justifiée, quand on considère que les conseils provinciaux peuvent avoir à s’occuper des actes de ces fonctionnaires ; et quand on considère d’autre part l’influence particulière qu’ils pourraient exercer dans les conseils.
Cette exclusion n’est pas une innovation. En France, le gouvernement a aussi présenté l’exclusion des préfets, des sous-préfets, des conseils départementaux. Cette exclusion est consacrée par la dernière loi, et le ministre a déclaré qu’elle était tellement justifiée par l’expérience, qu’il se dispenserait d’en donner les motifs. (Aux voix ! Aux voix !)
M. d’Hoffschmidt. - Ce n’est pas comme partisan des incompatibilités que je persiste à soutenir mon amendement, mais je vois beaucoup de fonctionnaires exclus des conseils provinciaux sans qu’il y ait des motifs plus puissants contre eux que contre les membres de l’ordre judiciaire. Ceux-ci même devraient l’être bien plutôt que tous ceux dont vous avez la nomenclature dans l’article en discussion, ce qui me fait insister dans ma proposition.
M. le ministre de l’intérieur a cherché à me mettre en contradiction avec moi-même, en disant que tout à l’heure je voulais faire entrer dans le conseil les avocats, les notaires. etc., et que maintenant je voulais en exclure les membres de l’ordre judiciaire. Mais, messieurs, il y a une grande différence entre les fonctions de notaires et d’avocats avec celles de juges, dans le cas qui nous occupe, car ne perdez pas de vue que ce sont parmi ces derniers que les conseils provinciaux doivent choisir les candidats pour les cours d’appel et les fonctions de présidents et de vice-présidents, tandis que les premiers sont entièrement indépendants.
L’honorable M. de Theux trouve qu’il n’y a pas plus de raisons pour exclure les membres de l’ordre judiciaire que j’ai compris dans mon amendement, que les autres dont il n’est pas question, et en effet, ma proposition eût été plus complète ; je n’ai établi cette distinction que pour la rendre plus admissible. D’ailleurs, les mêmes raisons n’existent pas pour tous, puisque tous ne peuvent être présentés comme candidats par les conseils provinciaux. M. de Theux a fait une autre objection dont je m’empare. Il a dit que les juges qui feraient partie des conseils provinciaux auraient par là l’occasion de s’y faire apprécier par leurs collègues, qui pourraient alors les présenter en connaissance de cause comme candidats ; maïs il est évident, messieurs, que ce serait leur accorder un privilège qui serait tel qu’il exclurait des présentations des conseils provinciaux, tous les membres de l’ordre judiciaire qui n’en feraient pas partie, quand même ils auraient des qualités égales ou supérieures à leurs collègues élus aux conseils.
M. de Muelenaere. - Je viens appuyer la proposition faite par M. d’Hoffschmidt. Je pense que l’on aurait pu avoir plus de confiance dans la sagacité des électeurs, et ne pas tant faire d’exceptions ; mais lorsque je vois une foule d’exclusions qu’on ne peut motiver que par un sentiment de défiance envers les électeurs je dis qu’il faut persister dans ce système.
Je ne vois pas pourquoi on exclut des conseils les commissaires de district : s’il est dans les provinces des fonctionnaires qui puissent être utiles dans les conseils ce sont eux ; ils connaissent les besoins généraux et les besoins particuliers des communes ; ce sont surtout ces fonctionnaires qui auraient rendu des services importants, qui auraient pu donner des renseignements sur toutes le localités d’une province. D’un autre coté on veut admettre tous les membres de l’ordre judiciaire ; je ne m’explique pas cette contradiction. Ils seront moins utiles que les commissaires de district ; vous allez les distraire sans fruit de leurs importantes occupations.
Mais, dit-on, les sessions des conseils provinciaux ne dureront pas longtemps : elle peuvent se prolonger 15 jours et au-delà, et vous savez que beaucoup d’affaires sont en souffrance devant les tribunaux ; vous savez que l’on vous proposera d’augmenter le nombre des juges : alors pourquoi multiplier leurs occupations ? Est-ce pour avoir un motif de plus d’augmenter le nombre des membres de l’ordre judiciaire ?
Le conseil provincial doit former un corps purement administratif ; il doit y avoir une démarcation entre l’ordre judiciaire et l’autorité administrative. C’est parce que les fonctions administratives et judiciaires ne doivent avoir rien de commun, que je voudrais voir exclure les membres de l’ordre judiciaire des conseils provinciaux.
On invoque l’ancien règlement pour établir qu’il ne faut pas de cens d’éligibilité aux conseils des provinces ; mais je pourrais aussi invoquer ces règlements pour demander l’exclusion des juges de ces conseils : sous l’empire de ces règlements, les membres des cours et des tribunaux de chefs-lieux, les procureurs et les membres du parquet étaient inadmissibles aux états provinciaux. (Oui ! oui !)
L’honorable M. d’Hoffschmidt a signalé une difficulté ; c’est que le conseil provincial présente les candidats aux places de conseillers dans les cours d’appel ; ainsi les juges qui seraient dans le conseil provincial présideraient à leur propre présentation ; et cela au détriment de leurs collègues, aussi instruits, aussi exacts qu’eux.
Il y a, pour exclure les membres de l’ordre judiciaire, des motifs plus graves que pour exclure les commissaires de district, les ingénieurs des ponts et chaussées et d’autres fonctionnaires qui pourraient fournir, à un conseil administratif, des renseignements plus utiles que des membres de l’ordre judiciaire.
M. Ernst. - Nous sommes tous d’accord qu’il ne faut pas trop augmenter le nombre des exclusions. Dans le système des exclusions, en effet, au lieu d’entrer dans une voie de liberté, on la restreint. Les électeurs seront suffisamment en garde contre les hommes qui pourraient fausser les institutions, et la chambre peut se reposer sur leur bon sens, pour ne nommer que des hommes utiles au pays.
Pourquoi exclure les membres de l’ordre judiciaire ? On en a donné plusieurs raisons. Mais les membres de l’ordre judiciaire sont bien moins sous la dépendance des conseils provinciaux que les gouverneurs, les commissaires de district. On peut ne pas admettre les gouverneurs et les commissaires de district ; il n’y a aucun inconvénient à cela ; les conseils des provinces ne manqueront pas de renseignements, les gouverneurs et leurs subordonnés les donneront. A l’égard des membres de l’ordre judiciaire, ils peuvent être grandement utiles par leurs talents, leurs lumières.
Il faut sans doute maintenir la ligne de démarcation qui sépare l’ordre administratif de l’ordre judiciaire ; mais l’entrée des juges dans les conseils des provinces ne détruira pas cette démarcation, et leurs connaissances sont un sûr garant que cette séparation des pouvoirs sera maintenue.
On rappelle que les juges étaient exclus des états provinciaux par la loi fondamentale des Pays-Bas. Je suis surpris qu’on invoque ici cette loi. La question n’est pas dans ce qui a été ; elle est de savoir s’il y a des motifs suffisants pour maintenir les exclusions de cette loi fondamentale.
L’amendement de M. d’Hoffschmidt me paraît pécher par sa base. Quels sont les membres de l’ordre judiciaire qu’il exclut ? Ce sont les présidents et vice-présidents des cours d’appel, ainsi que les présidents et vice-présidents des tribunaux ; puis les conseillers des cours d’appel. (Oui ! oui !) Il n’exclut pas tous les juges.
M. d’Hoffschmidt. - C’était mon intention.
M. Ernst. - Je crois que les conseils provinciaux seront en garde contre l’influence des membres de l’ordre judiciaire ; les conseils ne feront des présentations de magistrats que quand ils auront des preuves bien constatées de leur zèle et de leurs lumières, dans la crainte qu’on attribue un esprit d’égoïsme aux conseils eux-mêmes.
On a craint aussi que les magistrats ne soient trop distraits de leurs fonctions ; on a déjà répondu à cette objection : il est vrai que les cours et les tribunaux sont surchargés d’affaires ; cependant, a-t-on fait remarquer, cela ne les empêche pas de faire partie des chambres. Les conseils des provinces n’ignorent pas qu’en augmentant le personnel de l’ordre judiciaire on augmenterait les charges de l’Etat, et ils éviteront de le faire autant que possible. Ils ne désigneront les magistrats que quand ils en attendront de véritables services.
Je vois enfin de graves inconvénients à ne pas admettre les membres de l’ordre judiciaire ; je n’en vois aucun à les admettre.
M. Pollénus. - M. Ernst a déjà répondu à quelques-unes des objections faites contre la proposition de la section centrale ; je vais ajouter de courtes réflexions à ce qu’il a dit. M. de Muelenaere prétend que les conseils provinciaux doivent être administratifs ; mais dans les attributions données à ces conseils, il est dit que tout ce qui intéresse la province est de leur ressort ; et que, lorsqu’ils sont sans attributions sur certains objets, ils peuvent du moins porter leurs vues aux chambres ; ainsi il n’est pas exact de dire que les conseils sont purement administratifs.
N’a-t-on pas adressé des reproches à la haute administration de ce qu’elle cherchait, dit-on, à étouffer la voix des conseils provinciaux qui voulaient faire connaître au trône ou aux chambres les vœux du pays.
La section centrale, dans les exclusions qu’elle a posées, a été guidée par ce principe : il faut autant que possible éviter que les membres des conseils provinciaux soient juges et parties ; c’est pour cela qu’elle a exclu les commissaires de district, qui sont sous la surveillance des gouverneurs, lesquels sont sous la surveillance de la députation du conseil. C’est ainsi qu’elle a procédé pour les autres exclusions.
L’exclusion des magistrats prononcée par la loi fondamentale des Pays-Bas, est la transcription d’anciennes dispositions des institutions hollandaises ; mais ici il ne s’agit pas de perpétuer ces vieilles institutions ; il s’agit de faire un appel à la raison.
M. A. Rodenbach. - Je vois beaucoup d’inconvénients à admettre les membres de l’ordre judiciaire dans les conseils des provinces ; je ne comprends pas trop ce qu’il y feraient, puisque là il s’agit des intérêts des provinces et non de questions de droit : on y parlera du commerce et de ses besoins de l’agriculture ; des dépenses locales et du budget spécial à la contrée ; et point du tout de jurisprudence. Quelle serait la position d’un magistrat dans un conseil de province ? Y votera-t-il en sa faveur pour être porté candidat à une place supérieure à celle qu’il occupe ? Quoiqu’en général les magistrats soient intègres, il ne faut pas mettre leur intérêt personnel à même de se satisfaire ; ils sont comme tous les hommes par le pronom personnel ; par le fameux moi dont personne ne peut se séparer : dans l’intérêt de leur considération ne les admettons pas aux conseils des provinces ; évitons qu’on ne dise d’eux qu’ils n’y sont que pour faire leurs propres affaires et point celles de la province.
M. Jullien. - J’appuierai la proposition de M. d’Hoffschmidt, principalement parce que je trouve entre les fonctions judiciaires et administratives une incompatibilité absolue.
La loi du 24 août 1790, a établi entre ces deux pouvoirs une ligne de démarcation qu’il est défendu de franchir. Or, s’il est vrai qu’un conseil provincial est un corps administratif, vous ne pouvez admettre que les magistrats de l’ordre judiciaire puissent en faire partie.
Je n’ai pas présenté à la mémoire toutes les lois qui ont déclaré l’incompatibilité entre les fonctions judiciaires, municipales et administratives, mais il est incontestable qu’il en existe. On aura beau dire qu’un conseil provincial ne s’assemble qu’une fois l’an, qu’il ne s’occupe pas d’affaires litigieuses, c’est une erreur, la députation des états qui n’est que la délégation du conseil, est un véritable tribunal administratif qui, sous le rapport des principales attributions, a remplacé les conseils de préfecture, et certes on n’a jamais vu, sous le régime français, des juges siéger dans ces conseils.
Je vois bien que vous vous apprêtez à me dire que, dans le projet de loi, vous avez déclaré que les juges qui feraient partie du conseil provincial, ne pourraient être nommés à la députation mais c’est précisément ce qui vient confirmer mon opinion, car par là vous reconnaissez vous-mêmes l’incompatibilité, ou vous enlevez sans motif, à ces conseillers, les attributions de leur place, puisque tout conseiller doit pouvoir prétendre à faire partie des états députés. Et parce que vous dites que le juge conseiller ne pourra pas être de la députation, vous croyez avoir sauvé la difficulté, comme si nommer cette députation ou en faire partie n’était pas exercer le pouvoir administratif.
Dans tous les cas, en prononçant cette incapacité, vous enlevez à la députation une partie des éléments qui auraient dû entrer dans sa composition ; vous faites cumuler des fonctions à des magistrats déjà surchargés de travail ; vous multipliez les embarras et les lenteurs de l’administration de la justice, et en adoptant la proposition, vous écartez tous ces inconvénients.
Bien que l’on puisse penser que par délicatesse, les membres de l’ordre judiciaire ne voudraient exercer aucune influence, il suffit qu’ils puissent le faire, pour qu’ils ne fassent pas partie du conseil ; il ne faut pas les placer dans une position équivoque.
M. d’Huart. - J’aurais désiré qu’on n’eût proposé d’autres exclusions que celles de membre du sénat et de membre de la chambre des représentants ; je me rallie cependant à l’amendement, parce qu’il faut être conséquent avec le principe qui a été posé. Je présenterai une nouvelle considération ; que les conseils provinciaux devront s’occuper d’affaires litigieuses et contentieuses pour décider s’il y a lieu à plaider.
Eh bien, les mêmes hommes qui auront décidé qu’il faut se pourvoir devant les tribunaux ne peuvent être juges de la contestation.
Quant à ce qu’a dit M. Ernst sur l’article 89 de la constitution, je crois que son objection reste sans objet, après ce qui a été expliqué.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’ai peine à comprendre l’argumentation des honorables préopinants ; ils partent de ce principe, que toutes les exclusions sont un mal, ils repoussent diverses exceptions ; puis par respect pour la logique, ils disent, pour que le mal existe, il faut le pousser jusqu’à toutes ses conséquences.
Si on veut arriver à rendre l’article 39 tellement irrationnel, tellement défectueux, qu’on espère le faire rejeter lors du vote sur l’ensemble de la loi, c’est une tactique que je pourrais au moins comprendre ; s’il en est autrement, j’avoue que je ne puis admettre que par un respect absolu pour un principe, on aille pousser ce principe à ses conséquences les plus exagérées, alors que l’on reconnaît qu’une partie des résultats est déjà un mal.
Voilà cependant la base sur laquelle repose l’argumentation des honorables députés de la Flandre occidentale et de Luxembourg.
Messieurs, il y a quelques raisons peut-être en faveur de l’exclusion des commissaires de district, et de divers fonctionnaires dont il est parlé dans l’article. Le commissaire de district, par sa position, par ses relations comme supérieur avec ses subordonnés, les agents des municipalités rurales, pourrait faire craindre qu’à son égard l’indépendance électorale ne fût pas entière. C’est là une objection qui peut s’appliquer au gouverneur et au greffier provincial.
J’avoue que cette objection ne m’arrêterait pas et que je n’en reste pas moins l’adversaire de toute exclusion. Cela peut paraître bizarre, lorsque le projet du gouvernement contient lui-même quelques exclusions. Mon collègue, le ministre de l’intérieur, vous a fait l’historique de ce projet qui place le gouvernement dans une position exceptionnelle. Nous n’avons pas pensé, en effet, qu’en présence de l’empressement général qu’on montrait pour s’occuper de la loi provinciale, nous dussions refondre le projet ; nous avons pensé qu’il y avait urgence à passer à la discussion.
Dans la commission dont j’ai eu l’honneur de faire partie avec l’honorable M. de Theux, je pense m’être opposé à toute exclusion, parce que j’ai pensé qu’à cet égard, il fallait laisser juger les électeurs, arbitres suprêmes en cette matière.
On peut dire aussi, quant aux différents fonctionnaires dont il est parlé dans l’article, qu’ils ne sont pas tout à fait aussi indépendants que d’autres éligibles ; c’est encore une objection qui ne m’arrêterait pas : car c’est aux électeurs à en juger. Ne nous défions pas d’eux. Mais au moins les membres de l’ordre judiciaire présentent une grande garantie d’indépendance ; et c’est peut-être en raison de cette indépendance qu’ils n’ont pas été admis dans les états provinciaux, alors que les commissaires de district y avaient entrée.
On a parlé de la position des membres de l’ordre judiciaire qui auraient à concourir à une présentation de candidats ; je crois que les simples lois de la délicatesse leur commanderaient alors et je ne doute pas qu’ils ne s’abstinssent ; mais ensuite l’article 6 de la loi prévoit ce cas ; il déclare que dans toutes les questions où un membre du conseil sera directement ou indirectement intervenu, il doit s’abstenir. Il en résulte ainsi de cet article que les membres de l’ordre judiciaire ne pourront prendre part à la présentation de candidats pour une place qu’ils auraient l’intention d’occuper.
Dans l’ancien système, avant notre constitution, les membres des états provinciaux pouvaient être nommés membres des états généraux ; dans les dernières années du gouvernement des Pays-Bas, alors que de fréquentes atteintes étaient portées aux libertés publiques, vous avez vu sortir du sein des états provinciaux des hommes qui se sont distingués par la plus honorable opposition.
Ne frappez pas d’interdit des hommes qui ont une position indépendante, qui peuvent éclairer le conseil de leurs lumières et de leur expérience.
On a dit qu’il ne fallait pas introduire la confusion dans les pouvoirs ; je le demande, craint-on la confusion des pouvoirs dans cette chambre, alors que l’on y voit des membres qui appartiennent à tous les pouvoirs ?
On a dit enfin que les membres du conseil auront quelquefois à s’occuper d’affaires litigieuses, dans ce cas les membres de l’ordre judiciaire s’abstiendront, soit comme conseillers, soit comme juges, à moins qu’ils ne se soient abstenus comme conseillers provinciaux.
M. de Muelenaere. - Vous avez entendu M. le ministre nous accuser M. d’Hoffschmidt et moi d’être en contradiction avec nous-mêmes ; vous convenez, a-t-il dit, que vous n’êtes pas partisans du système jusqu’à ses dernières conséquences. Je pense que c’est précisément M. d’Hoffschmidt et moi qui sommes conséquents avec notre système.
Vous avez exclus du conseil les commissaires de district, il n’y a aucun motif de n’en pas exclure les membres de l’ordre judiciaire. On vous a dit à l’appui de l’exclusion des commissaires de district, qu’ils pourraient être au sein du conseil juge et parties dans leur propre cause ; je demande si cette considération ne peut pas être également invoquée à l’égard des membres de l’ordre judiciaire.
Je demande également, s’il n’en est pas de même pour l’interdiction dont on a parlé.
Nous avons voulu être conséquents avec nous-mêmes, nous nous sommes dit : du moment que l’on exclut le commissaire de district, du moment que l’on exclut tel ou tel fonctionnaire, il y a lieu à exclure les membres de l’ordre judiciaire.
M. Lardinois. - Malgré ce qu’a dit M. le ministre contre la logique et sur la tactique de ceux qui demandent l’exclusion des membres de l’ordre judiciaire, je déclare que j’adhère à l’amendement.
Je rappellerai un fait qui s’est passé dans la section centrale : j’étais d’abord opposé à toute exclusion à l’exception des membres de la chambre des représentants parce que je considérais le système des exclusions comme un système de défiance contre les électeurs et contre les fonctionnaires qui en auraient été atteints. Lorsque nous avons vu qu’il fallait nécessairement exclure quelques hommes spéciaux, quelqu’un a proposé de comprendre dans les exclusions les membres de l’ordre judiciaire. Moi, j’ai proposé les ministres du culte ; j’ai échoué, comme vous devez bien le penser (on rit) dans ma proposition ; le membre qui avait demandé l’exclusion des membres de l’ordre judiciaire, a triomphé. Plus tard on est revenu sur cette proposition, et elle a échoué à son tour.
(Erratum au Moniteur belge n°130, du 10 mai 1834 :) Je crois que les membres de l’ordre judiciaire ont déjà beaucoup trop de prépondérance et qu’il faut empêcher que leur influence puisse s’exercer dans les affaires administratives, car alors ils deviendraient trop puissants et la chose publique pourrait en souffrir. Je pense donc qu’il est nécessaire d’écarter ce fonctionnaires des administrations et de maintenir scrupuleusement entre les pouvoirs la ligne de démarcation établie par la constitution. (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement de M. d’Hoffschmidt est mis aux voix et rejeté.
La séance est levée à cinq heures moins un quart.