(Moniteur belge n°66, du 7 mars 1834)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Liedts donne lecture du procès-verbal de la séance d’hier, qui est adopté sans réclamation.
M. de Renesse fait connaître l’analyse de plusieurs pétitions adressées à la chambre.
L’un de ces pétitions, relative à la circonscription judiciaire, est renvoyée, sur la demande de M. le ministre de la justice, à la commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi récemment présenté sur cet objet. Les autres pétitions sont renvoyées à la commission chargée d’en faire le rapport.
M. Fallon. - Je crois nécessaire d’informer la chambre de l’ordre qu’a adopté dans la marche de ses travaux la commission chargée de l’examen du projet de loi relatif aux circonscriptions judiciaires. Elle a commencé par examiner les circonscriptions de la province d’Anvers, elle continuera son travail par province dans l’ordre du tableau joint au projet. J’invite MM. les députés à prendre connaissance des pièces déposées au greffe. La commission se propose de convoquer les membres de chaque province au fur et à mesure qu’elle s’occupera de leurs circonscriptions.
M. Eloy de Burdinne. - Messieurs, dans votre séance d’hier vous avez chargé la commission du cadastre d’examiner la législation des opérations cadastrales et de se prononcer à ce sujet ; mais vous ne l’avez point investie explicitement du droit d’examen sur la régularité des opérations. Quelques doutes ayant été élevés à cet égard, je prierai la chambre de vouloir se prononcer afin que les attributions de la commission soient bien déterminées.
M. d’Huart. - Evidemment la chambre a entendu charger la commission de l’examen de tout ce qui est relatif au cadastre. Il ne peut pas y avoir de doute à cet égard. (Adhésion.)
M. de Puydt monte à la tribune et donne lecture d’une proposition et de ses développements tendant à ce qu’il soit fait un emprunt de 16 millions pour construction de routes. (Cette proposition et ses développements paraîtront dans le Moniteur.)
M. le président. - La chambre veut-elle s’occuper immédiatement de la question relative à la prise en considération ?
M. A. Rodenbach et d’autres membres. - On peut remettre à une autre séance la prise en considération.
- La chambre consultée décide qu’elle s’occupera immédiatement de la solution de la question concernant la prise en considération.
La discussion est ouverte sur cette question ; mais personne ne demandant la parole, la prise en considération est mise aux voix et adoptée à une grande majorité.
La proposition est renvoyée devant les sections.
Le projet de loi et les motifs qui l’accompagnent seront imprimés et distribués aux membres de la chambre.
M. le président. - Il y a plusieurs objets à l’ordre du jour : le projet présenté par M. le ministre de la guerre, le projet de loi relatif aux os, et le projet relatif aux enfants trouvés.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Je prierai la chambre de commencer par le projet concernant mon département.
M. le président. - Voici l’article unique du projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre :
« Article unique. Le crédit extraordinaire de 2,588,000 florins, faisant en francs une somme de fr. 5,477,248-68, accordé au département de la guerre par la loi du 3 juin 1832, demeure réparti entre les divers chapitres et articles du budget de ce département pour l’exercice 1832, ainsi qu’il suit :
« Chapitre II.
« Article 3. Intendance militaire : fr. 9,000
« Article 4. Etat-major de l’artillerie : fr. 7,000.
« Article 5. Etat-major du génie : fr. 36,000.
« Article 6. Troupes d’artillerie : fr. 685,000.
« Article 9. Troupes de cavalerie : fr. 2,704,000.
« Article 10. Gendarmerie : fr. 52,000.
« Article 11. Gardes civiques : fr. 294,000.
« Chapitre III.
« Article premier. Indemnités de frais de bureau : fr. 13,000.
« Article 3. Frais de route et de séjour : fr. 35,000.
« Article 4. Transports généraux : fr. 106,000.
« Chapitre IV.
« Article unique. Service de santé : fr. 461,000.
« Chapitre VI.
« Article premier. Matériel de l’artillerie : fr. 380,000
« Article 2. Matériel du génie : fr. 625,248-68
« Chapitre VII.
« Article unique : Traitements de non-activité : fr. 70,000
« Total : fr. 5,477,248-68. »
- Personne ne demandant la parole contre les paragraphes de l’article, on le soumet au vote par appel nominal, et il est adopté à l’unanimité des 53 membres présents.
M. le président. - Nous allons nous occuper du projet de loi relatif à la sortie et à l’entrée des os. Il y a deux propositions sur cette matière : celle de la commission d’industrie et celle de la section centrale ; s’il n’y a pas d’opposition, la discussion est ouverte sur la proposition de la section centrale.
M. A. Rodenbach. - Je me propose de donner quelques explications. Messieurs, la section centrale a proposé pour 1,000 kilos d’os 1 franc de droit à l’entrée, ainsi que 1 franc pour le transit et 5 francs pour la sortie. Nous croyons que cet impôt est suffisant. En effet, il paraît qu’il pourrait sortir de la Belgique environ 18 millions d’os par an ; c’est du moins, d’après les calculs statistiques de la commission, ce que nous avons pu croire.
On évalue la consommation de la viande en Belgique à une moyenne de 25 kilogrammes par tête, donc 100 millions de kil., qui donnent un quart d’os, c’est-à-dire 25 millions. Les fabriques de colle et de noir animal emploient 5 à 6 millions d’os ; ainsi il resterait encore 20 millions d’os dans le pays, et nous pensons qu’il faut laisser sortir cette matière, si nous voulons encourager le commerce du pauvre ; car ce sont les malheureux qui vendent et achètent les os. Je vote l’adoption du projet de loi.
M. le président. - Voici le projet de loi tel qu’il est présenté par la section centrale :
« Art. 1er. La disposition ci-après du tarif annexé à la loi du 26 août 1822 (Bulletin officiel n°) est abrogée, et elle est remplacée comme suit :
« (Ancien droit abrogé :)
« Os de bœufs de vaches et d’autres animaux (sur la valeur) : à l’entrée : 1/2 p. c. ; à la sortie : prohibée ; en transit : 1/2 p. c.
« Os dont on a extrait la gélatine (sur la valeur) : à l’entrée : 1/2 p. c. ; à la sortie : 6 p. c. ; en transit : 1 p. c.
« Rognures de boutons et d’autres ouvrages en os : à l’entrée : 2 p. c. ; à la sortie : 1 p. c. ; en transit : 1 p. c.
« (Nouveau droit établi :)
« Os de bœufs, de vaches, et d’autres animaux, sans distinction, s’ils contiennent ou non de la gélatine ; rognures de boutons et autres déchets d’os (par 1,000 kil.) : à l’entrée : 1 franc ; à la sortie : 5 francs ; en transit : 1 franc. »
« Art. 2. La présente loi n’aura de force obligatoire que jusqu’au 1er janvier 1836. »
M. Donny propose de fixer à 10 fr. le kilo le droit à la sortie des os, c’est-à-dire qu’il propose de doubler le droit à la sortie des os.
M. Donny. - Messieurs, par le tarif existant, les os sont prohibés à la sortie, à l’exception cependant de ceux dont on a extrait la gélatine. Cette disposition a été prise dans l’intérêt des fabriques du pays qui emploient les os comme matière première ; elle a donc un but utile.
Cette disposition, messieurs, a été critiquée sous un double rapport : d’abord parce qu’elle établit une prohibition que l’Etat actuel de nos fabriques ne nécessite pas, et en second lieu parce que la différence que le tarif établit entre les os occasionnait dans l’application de très grandes difficultés. On est donc assez généralement d’accord que cette disposition du tarif doit être changée, et que la prohibition doit être rapportée.
Si l’on est d’accord sur ces points, on ne l’est pas sur la mesure par laquelle il convient de remplacer les dispositions actuelles du tarif : les uns voudraient que la prohibition actuelle fût remplacée par un droit de 20 fr. pour 100 kil., ainsi que cela se fait en France ; les autres au contraire, voudraient que la libre exportation des os fût décrétée. Je pense que ce sont là deux partis exagérés, et qu’il faut se placer entre les deux pour faire une disposition juste et équitable.
Arrêter un droit de 20 fr. pour 100 kil., c’est certainement se rapprocher de la prohibition existante ; mais, d’un autre côté, permettre la libre exportation, c’est détruire instantanément toutes nos fabriques qui emploient les os comme matière première ; car, messieurs, vous le savez tous, le prix de cette matière première, en Angleterre, est supérieur de beaucoup au prix que les os peuvent valoir en Belgique, de sorte que si la libre exportation était permise, tous les os seraient rapidement enlevés, et les fabriques seraient obligées de cesser leurs travaux.
Entre ces deux opinions extrêmes, entre un droit presque prohibitif et la libre exportation, il faut prendre un parti intermédiaire ; et je pense atteindre le but par l’amendement que j’ai proposé. Cet amendement vous présente un taux double de celui de la section centrale, et je vais vous soumettre quelques courtes considérations qui seront de nature à vous prouver que ma proposition peut mériter la préférence.
La disposition que vous allez introduire dans la loi n’est qu’un essai ; car vous n’avez aucune donnée résultant de l’expérience pour prendre un taux plutôt qu’un autre ; cela posé, vous devez préférer un droit un peu trop élevé à un droit un peu trop faible, parce qu’il y a beaucoup moins d’inconvénients à faire succéder à la prohibition absolue un droit un peu trop élevé qu’un droit trop faible. En effet, si le droit que vous avez déterminé aujourd’hui est trop élevé, le seul inconvénient qui en résultera, sera que l’exportation ne se fera pas d’une manière très active. Cet inconvénient sera facile à réparer aussitôt qu’il aura été reconnu. Il suffira pour cela de modifier le tarif et d’abaisser le droit que vous aurez précédemment fixé, et remarquez qu’alors vous agirez en connaissance de cause.
Mais si, au contraire, vous commencez par fixer un droit trop bas, il en résultera un inconvénient bien plus grave ; car vous forcerez les fabriques du pays à stater leurs travaux, parce que les os seront rapidement enlevés et transportés en Angleterre. Dans le doute, entre deux inconvénients il faut choisir le moindre ; et je pense que l’amendement que j’ai l’honneur de vous proposer est de nature à atteindre ce but.
M. Davignon. - Messieurs, je regrette de ne pouvoir me rallier à l’amendement de l’honorable M. Donny. La commission ne s’est déterminée à la proposition qu’elle a eu l’honneur de vous faire qu’après une enquête longue dans laquelle nous avons entendu divers intéressés. Nous nous sommes adressés aux diverses chambres de commerce du royaume. Nous leur avons posé différentes questions dont je vais avoir l’honneur de vous donner lecture pour vous mettre à même de vous assurer qu’aucune des précautions nécessaires en pareil cas n’a été négligée. Voici ces questions :
1° Les cultivateurs de votre province se servent-ils des os comme engrais ?
2° Dans l’affirmative, de quelle manière les emploie-t-on ?
3° Quelle quantité à peu près est annuellement mise en œuvre pour cet usage ?
4° Dans la négative, est-il à votre connaissance que quelques essais y auraient déjà été tentés pour introduire la méthode d’amender la terre au moyen d’os ?
5° Enfin croyez-vous que cette méthode puisse être avantageuse aux différentes localités de votre province ?
La manière dont elles ont été résolues nous a déterminés à vous présenter le projet qui vous est soumis, et qui ne pourra en aucune façon nuire à nos fabriques. Nous avons reconnu, messieurs, en admettant même de l’exagération dans la consommation, que les produits excédaient la consommation de 10 millions de kilogrammes. Nous avons acquis la certitude que les os, qui ont une valeur de 5 francs, sont retombés à 2 francs. Ce qui est la cause que plusieurs personnes ont cessé de s’en occuper. L’intention de la commission à été d’attirer l’attention sur cet objet, qui doit fournir matière à l’existence de la classe pauvre.
Je donnerai lecture de l’opinion d’une chambre de commerce ; après avoir répondu aux questions dont j’ai eu l’honneur de vous donner lecture, elle s’exprime ainsi :
« Il résulte des réponses que nous venons de faire que la production des os est quadruple de la consommation qu’en font nos fabriques, et qu’on n’exportait que ceux qu’elles ne peuvent employer.
« Dans cet état de choses, la seule question qui reste à examiner est celle de savoir si on peut en permettre l’exportation sans nuire à nos établissements qui en font usage comme matière première.
« Nous croyons pouvoir la résoudre affirmativement, parce que, dans l’hypothèse contraire, c’est une valeur morte pour le pays, attendu que l’agriculture n’en fait point usage et que d’autre part ce serait annuler les moyens d’existence d’une foule de malheureux qui se livrent à la recherche d’os de toute espèce. »
Les autres chambres de commerce ont, à peu de différence près, rapporté les mêmes faits et émis la même opinion. Tels sont les motifs qui ont déterminé votre section centrale à donner l’existence, si je puis m’exprimer ainsi, au projet que vous discutez, et qui me déterminent à persister dans ses propositions.
M. Zoude, rapporteur. - Messieurs, avant de protéger les fabriques, il est convenable d’établir un rapport entre la quantité d’os que le pays produisait et celle que les fabriques consomment.
Les calculs de divers économistes du royaume élèvent de 28 à 30 millions la production annuelle d’os ; mais je me renfermerai dans les 25 millions annoncés par le rapport de la commission d’industrie ; d’après cela, la consommation ne pouvait dépasser 3 millions, puisque l’exportation n’était guère que de 50 mille kilo, et nos fabrications ne pouvaient dépasser nos besoins, qui résulteraient de la clarification de 20 millions de kil. de sucre.
Quant au droit proposé par M. Donny, ce serait une prohibition réelle, puisqu’il résultait d’une déclaration du consul belge à Hulst que le prix des os à Ostende, mis à bord, tous frais faits, était de 8-50, il y aurait une perte considérable pour l’importation ; qu’en définitive, si les os acquéraient un excédant de valeur de 50 p. c., le sucre n’éprouverait au kilo qu’un renchérissement de 1/3 de centime.
J’ai plusieurs factures que je proposais de communiquer, et où le prix des os dans les années les plus favorables n’était que de 7 fr. ou 56 schellings par tonneau de 1,015 kilo, mis à bord des bâtiments, tous frais au compte du vendeur.
Il est donc évident que le droit de 10 francs est réellement un droit prohibitif.
M. Donny. - L’honorable M. Davignon et M. le rapporteur de la section centrale vous ont fait des calculs desquels il résulterait, s’ils sont exacts, que la production des os serait supérieure de beaucoup aux besoins des fabriques du pays. Messieurs, ces arguments pourraient être de quelque poids, s’il s’agissait de prouver qu’il y a lieu de lever la prohibition. Mais j’ai déjà dit moi-même que la prohibition devait être levée, et que sur ce point nous étions tous d’accord. Ces messieurs ont donc voulu justifier un point qui n’était pas en contestation. La question n’est pas de savoir s’il faut lever la prohibition, mais si le droit que la section centrale propose d’établir à l’exportation est suffisant pour empêcher que la totalité des os ne soit enlevée par les Anglais, au détriment de nos fabriques.
L’honorable rapporteur vient de citer une pièce délivrée par le consul de Belgique à Hulst. Cette pièce est de nature à faire impression sur les esprits ; cependant je remarque que le consul n’explique en aucune manière sur quoi il fonde son opinion. S’il disait que le prix des os est fixé à tel taux, il constaterait un fait qui est à sa connaissance, et auquel on pourrait ajouter foi. Nous pourrions, déduisant les frais de transport, établir jusqu’à quel point les Anglais peuvent exporter les os. Mais le consul établit en fait qu’on ne peut, pour l’exportation, acheter à Ostende les os à raison de 8 1/2 centimes par cent kil., sans perte considérable. Cette déclaration, rédigée de cette manière, perd beaucoup de son poids. Je ne pense pas devoir changer d’opinion en présence de cette pièce ; je persiste dans mon opinion.
M. Legrelle. - Déjà l’honorable rapporteur de la section centrale, ainsi que M. Davignon, vous ont présenté des raisons assez fortes pour que vous ne donniez pas votre assentiment à l’amendement de M. Donny.
Quel est le motif qui a déterminé votre commission à vous proposer un droit de cinq francs sur les os à leur sortie ? c’est de concilier les intérêts des fabricants d’os avec ceux des industriels qui emploient le résidu de ces os. S’il est prouvé qu’après que les raffineries et les fabriques de colle forte ont été fournies suffisamment de résidus d’os, il en reste une assez grande quantité pour l’exportation, il me semble que vouloir imposer sur ces os un droit trop fort à la sortie, c’est entraver un commerce qui est la principale ressource des classes pauvres.
Dans les grandes villes surtout, beaucoup de pauvres gens s’occupent de ce même commerce, et vont chercher les os jusque sur les monceaux d’immondices et n’en négligent pas la moindre parcelle. S’il est vrai que nos fabriques ne consomment pas tout le résidu de ces os, il est impossible de les frapper d’un droit de fr. 10, ce serait tuer ce commerce et ôter le pain à ceux qui s’y livrent. Je préférerais qu’on diminuât les os à l’entrée, et qu’on fixât le droit à 50 centimes au lieu de 1 fr. On atteindrait ainsi le but que se propose l’honorable M. Donny, et l’on éviterait les inconvénients que présente sa proposition. Dans tous les cas, je m’opposerai à ce que l’on mette à la sortie un droit plus fort que celui de 5 fr. proposé par la section centrale.
M. de Brouckere. - Je pense que l’on ferait une excellente chose, pour la classe pauvre, en levant la prohibition qui frappe les os à la sortie ; mais je ne sais si la chambre aurait à s’applaudir de sa décision, si elle ne laissait subsister qu’un droit aussi minime que celui proposé par la section centrale.
Pour justifier cette proposition, l’honorable M. Zoude vous dit que la production des os est de 25 millions de kilogrammes, et que les fabriques du pays n’en emploient qu’environ 3 millions. Je ferai d’abord observer que ces chiffres ne sont pas justifiés suffisamment, pour qu’on puisse les admettre comme constants. En second lieu, je demanderai comment on pourra me prouver qu’avec un droit aussi minime que celui qu’on propose, les 25 millions de kilogrammes d’os ne sortiraient pas, en totalité, du pays. Il serait difficile de donner une garantie à cet égard ; c’est pourquoi je pense que l’on agirait prudemment, en levant la prohibition, de mettre un droit un peu plus élevé. Celui que propose M. Donny serait dans une juste proportion, et concilierait les intérêts de ceux qui se livrent au commerce de os, et des fabricants qui les emploient.
Les os sont prohibés à la sortie presque partout, et la raison en est simple ; c’est que cela constitue une matière première pour une foule d’industries importantes, et que leurs productions sont restreintes à certaines limites que l’on ne saurait dépasser. Il en est de même des rognures de cuir et des peaux de lièvre. De même qu’on ne tue pas les lièvres pour en avoir les peaux, de même qu’on ne coupe pas le cuir pour en avoir des rognures, on ne saurait augmentation la consommation de la viande afin d’avoir des os pour l’industrie.
Si vous rendez l’exportation des os trop facile, vous devez craindre que les fabriques de gélatine, de colle et de noir animal qui, presque toutes, sont établies dans les deux Flandres, la province d’Anvers et le Brabant ; vous devez craindre, dis-je, que ces fabriques ne soient souvent exposées soit à manquer d’aliments, soit à les payer fort cher.
En effet, les spéculateurs qui s’empresseront de venir acheter les os dans le pays, du moment que le droit sera assez minime pour le leur permettre, prendront cette matière dans les provinces que je viens de signaler, parce que l’exportation y sera plus facile ; il arrivera que les fabriques établies dans ces provinces devront pour leur consommation faire venir des os des provinces éloignées, et qu’en raison des frais de transports qu’elles seront obligées de payer, le prix en sera plus que doublé. C’est ainsi qu’en voulant faire une chose utile au pays, vous pourriez connaître plus tard que vous avez été trop loin, et que vous avez porté un préjudice considérable aux fabriques. Même pour faire le bien, il est nécessaire de rester dans de justes limites.
M. Legrelle a voulu prévenir le mal que je signale, en proposant de réduire le droit d’entrée à 50 centimes au lieu de 1 fr. Je doute fort, lors même que vous réduiriez le droit d’entrée à 50 centimes, que l’on vous expédie beaucoup d’os, car la sortie de cette matière dans les pays voisins n’est pas aussi facile qu’on veut la rendre en Belgique.
Si donc, comme je le crains, en fixant le droit de sortie à 5 fr., le manque d’os se faisait sentir dans le pays, la réduction du droit d’entrée ne vous en procurerait pas, et les établissements, dont nous avons déjà parlé, se trouveraient en souffrance.
Je réponds donc que, quant à moi, je n’oserais pas passer, subitement, du système de prohibition à un système de sortie aussi facile que celui que l’on vous propose, non pas que je sois certain qu’il en résulterait quelque mal, mais parce que je le crains, et mes craintes ne sont pas sans fondement.
Je pense qu’en mettant un droit de 10 francs par mille kilogrammes sur les os à la sortie, la chambre fera une chose utile pour la classe pauvre, en même temps qu’elle ménagera les fabricants qui méritent aussi son intérêt.
M. Polfvliet. - Messieurs, par le rapport fait par la commission d’industrie, nous avons la conviction que la masse d’os que fournit notre royaume surpasse de beaucoup les besoins de nos différentes fabriques qui s’en servent, et je pense que tous les obstacles suscités jusqu’à ce jour contre l’exportation des os ne proviennent que d’un intérêt sordide et des machinations illicites, sous le spécieux prétexte d’être nuisible aux fabriques et à l’agriculture, le tout au détriment d’une autre branche d’industrie, à la navigation, au commerce, à la caisse de l’Etat, et pis est, au détriment de milliers de pauvres pour lesquels ce commerce est une ressource immense et très salutaire.
Par le tarif en vigueur, les os dont la gélatine est extraite, paient 6 p. c. Par extension à ce tarif, les os de chevaux ont toujours été assimilés aux os extraits, parce qu’il est connu que ces os ne contiennent pas de gélatine ou très peu. Pour pouvoir expédier ces deux espèces d’os à l’étranger, il est nécessaire d’avoir une déclaration d’une des six à sept fabriques de colle qui existent dans ce royaume, et qui, en général, ne travaillent pas, que la gélatine est extraite des os à expédier, ou que les os de chevaux ne conviennent pas à leurs fabriques. Vous conviendrez, messieurs, qu’avec la faculté de pouvoir refuser cette déclaration, ces peu de fabricants de colle forte deviennent les arbitres, dans leurs intérêts, des expéditions exclusives de cette marchandise, et qu’on leur en concède le monopole au détriment de la classe peu aisée.
Réunis à la Hollande, les commerçants d’os de chevaux, dont les quantités sont énormes dans notre pays, s’adressaient ordinairement à un honnête fabricant de colle dans ce pays, lequel ne fit aucune difficulté de leur délivrer la déclaration requise, et ces os pouvaient ainsi sortir du royaume avec des droits imposés sur les os dont la gélatine est extraite.
Dans ma ville il y a quelqu’un qui fait le commerce des os, surtout des chevaux, nommé Noeninkx ; il y a aussi un fabricant de colle forte. Le commerçant, ayant mis tout son avoir dans ces os, fut contraint de ne plus acheter des os ou d’implorer la condescendance d’un fabricant et de se soumettre à ses conditions ; les conditions pour la délivrance de la déclaration acceptées, ce commerçant me demanda à l’examiner ; je ne la trouvai pas assez positive, parce que le fabricant déclarait ne pouvoir s’en servir dans ce moment. Je conseillai au commerçant de s’adresser aux bureaux des douanes à Anvers. Ces messieurs eurent la complaisance de lui fournir un modèle de la déclaration exigée. Le commerçant s’adressa au susdit fabricant, qui refusa, en proposant de nouvelles conditions ; elles furent inadmissibles ; enfin il s’adressa à un second fabricant, qui moins intéressé fournit la déclaration demandée.
Noeninckx chargea donc à Malines le navire danois, nommé le Théodore ; ce navire arrivé à Anvers, il reçut deux lettres anonymes écrites de la même main ; je les ai ici, et en voici le contenu : « M. Noeninckx est invité de venir incessamment à Anvers, car son navire chargé d’os sera arrêté. » L’une des adresses est « M. Noeninck, marchand d’os, au Pasbrug, près Malines, par la diligence de Van Gend, du 2 septembre, pour être remise avant six heures du soir ; » l’autre « par la diligence de Bruyns, pour être remise ce soir, 2 septembre, sans faute. » Vous remarquerez que l’auteur de cette lettre voulait être assuré de sa proie, et prenez attention à la date du 2 septembre. Noeninckx n’avait rien de si empressé que de se rendre à Anvers, incertain de ce qui était arrivé ; il trouve l’auteur des deux lettres : celui-ci prétend que les os lui sont utiles pour faire du noir animal, etc. Menaces, etc. Noeninckx avait frété le navire, il avait eu beaucoup de frais pour le chargement de ses os ; les décharger l’aurait mis dans l’impossibilité de continuer son commerce, et il paraît qu’il a dû fléchir.
J’ai en main un billet soussigné par Noeninckx et daté du 3 septembre, le lendemain de la date des deux lettres précitées ; je ne préjuge rien et je vais vous en traduire le contenu :
« Je soussigné accepte de payer à M. A.-J. Briers la somme de cent vingt-cinq florins des Pays-Bas, laquelle somme je lui remettrai des que le navire danois le Théodore, capitaine Brodersom, chargé avec des os, sera sorti des frontières belges.
« Anvers, le 3 septembre 1833.
« Noeninckx,
« Pour acquit,
« A.-J. »
Une seconde reconnaissance a été signée pour tenir lieu d’acquit au commissionnaire, dont la teneur suit :
« Reçu de MM. Th. Grisar et W.-J. Marsely, payant pour compte de M. Noeninckx, de Malines, la somme de cent vingt-cinq florins des Pays-Bas, pour solde de toute prétention à charge du sieur Noeninckx, de Malines, du chef de cette affaire.
« Anvers, ce 9 septembre 1833.
« Signé… »
Je crois qu’il est inutile, messieurs, de vous en dire davantage, et qu’il est temps que ce scandaleux trafic cesse ; et je voterai pour la loi proposée.
M. Zoude, rapporteur. - L’honorable M. de Brouckere a témoigné des craintes pour l’avenir ; cependant, l’expérience des temps passés doit apaiser toutes ses inquiétudes pour l’avenir ; car le droit que nous proposons élève la valeur des os à un taux auquel les Anglais n’en ont jamais acheté. Au surplus, quand les os éprouveraient une augmentation de valeur de 50 p. c., ils porteraient le prix du noir animal de 14 à 15 fr., qu’il est, à 20 ou 22 fr. ; et si vous considérez la quantité qu’on en emploie pour la clarification du sucre, vous verrez que le sucre n’en éprouvera qu’un renchérissement de 1/3 de centime par kilogramme. Je vous le demande, devez-vous, en présence d’un pareil fait, laisser prendre 15 ou 20 millions de kilogrammes d’os qui, au prix actuel, représentent une valeur de 6 à 800 mille fr.
J’ajouterai qu’outre la protection qui résulte du droit pour les fabricants, ceux-ci ont encore sur les uns avantage de 30 ou 40 p. c. provenant des frais de transports sur le lieu d’embarquement, des frais de chargement, de déchargement et de commission.
Si vous voulez sacrifier les 20 millions de kilogrammes d’os qui restent sans emploi, afin d’avoir à meilleur compte le noir animal, le sucre, et tous les produits à la fabrication desquels les os peuvent servir, je demanderai pourquoi on ne prohibe pas également dans le même but les matières premières, telles que la houille, les rognures de cuir et le grain.
M. Smits. - En l’absence de M. le ministre de l’intérieur, je demanderai à faire quelques observations.
Le commerce des os est une grande ressource pour les classes pauvres ; des malheureux vont les chercher dans les immondices, ils les transportent chez un premier dépositaire, qui à son tour les verse dans les magasins du marchand en gros, et c’est de là que les os passent dans les fabriques. C’est ainsi qu’avant d’être livrés au commerce, ils passent dans quatre mains.
Par le tarif actuel, vous aurez remarqué qu’on avait établi une différence entre les os dont la gélatine avait été extraite, et ceux d’où elle ne l’avait pas été. Les difficultés élevées par l’administration des douanes, dans quelques localités, ont découragé ceux qui se livraient la recherche des os : il en est résulté que le prix qui était autrefois de 3 fr. 50 c. à 4 fr., est tombé à 1 fr. 50 c. les 100 kilogrammes.
L’honorable rapporteur de la section centrale a dit qu’il y avait un excédant d’au moins 13 millions de kilogrammes d’os sans emploi, qui, en les portant à 1 fr. 50 c. les 100 kilog, produirait une somme de 220,000 florins, qui se trouvent entièrement perdus pour les classes pauvres. Au taux où est aujourd’hui cette marchandise, je crois que la proposition de M. Donny équivaudrait à une prohibition. Si le prix reste à 1 fr. 50 c. les 100 kilogrammes, ce droit serait presque de cent pour cent. Celui que propose la section centrale équivaudrait à 33 p. c.
Cependant, comme il s’agit de substituer à un système de prohibition absolue un système de libre sortie, il faut prendre un terme moyen, et je pense que le droit de 7 fr, 50 c., qui correspond à 50 p. c. de la valeur actuelle des objets, conciliera tous les intérêts.
M. A. Rodenbach. - Je ne partage pas l’opinion du préopinant. Si les 17 fabriques de colle de noir animal et de gélatine qui existent en ce moment, ne peuvent continuer à travailler sans la protection d’un droit de 50 p. c., c’est que ceux qui les dirigent n’ont pas les connaissances qu’exigent ces industries. Je ne conçois pas qu’on établisse en faveur d’une industrie un droit aussi élevé, lorsque toutes les autres industries, et le commerce ont, tout au plus une protection de 10 à 12 p. c. qu’on trouve déjà trop exagérée. Je pense que les dix-sept fabricants dont il s’agit ne doivent pas continuer à exercer un monopole qu’on leur a laissé jusqu’à présent : il est évident qu’avec le droit que l’on veut établir, il ne sortirait pas d’os du pays, et j’aime infiniment mieux protéger 20 ou 30 mille malheureux que 17 fabricants. Quant à ce qu’a dit l’honorable M. de Brouckere, je répondrai que les fabricants ne doivent pas craindre de manquer d’os ; seulement ils ne les paieront plus à vil prix comme aujourd’hui. Les malheureux sont obligés d’aller les supplier pour obtenir 1 fr. ou 1 fr. 50 c. des 100 kilogrammes, tandis qu’avant on les leur payait 5 à 6 fr. C’est une chose déplorable que nous pouvons faire cesser puisque c’est en notre pouvoir.
L’honorable M. Zoude vous a dit qu’il serait impossible d’exporter des os, si vous fixiez le droit à 10 p. c., et que le monopole actuel continuerait d’exister.
On a prétendu que le calcul d’après lequel on avait établi et la consommation de la viande, et la quantité d’os que l’on pouvait trouver dans le pays, était vague et ne reposait sur rien. Je répondrai que le rapport est très clair et très positif. Il a été établi, en France, que la consommation était de 25 kilogrammes par personne ; en Belgique elle n’est pas moindre ; nous ne sommes pas moins carnivores que les Français. Quatre millions d’habitants, à 25 kilogrammes par tête, font 100 millions de kilogrammes de viande. Il est prouvé qu’il y a à peu près un quart d’os, ce qui fait 25 millions. Il paraît que les fabriques n’en consomment que 4 millions environ ; il y a donc un excédant d’au moins 20 millions.
Les craintes qu’on a manifestées ne sont nullement fondées, car il serait facile de faire cesser les inconvénients qu’on a signalés, si on voyait que tous les os partissent pour l’Angleterre ; on pourrait revenir sur la décision qu’on aurait prise. Nous saurons bientôt par les prix courants, qui nous feront connaître le mouvement des os, l’influence que la loi aura eue sur leur valeur. Si l’augmentation était trop considérable, chacun de nous, ou le gouvernement, pourrait proposer d’apporter des modifications à la loi. Quant à présent, je pense que rien ne s’oppose à ce que nous fixions le droit de 5 francs.
M. de Brouckere. - L’honorable M. Zoude, en me répondant, a semblé croire que je voulais maintenir le système prohibitif tel qu’il a existé jusqu’à présent. C’est dans ce sens du moins que toutes ses réponses ont été formulées. Cependant, j’ai été le premier à applaudir à la proposition de lever la prohibition dont est frappée la sortie des os. Il n’y de différence entre l’honorable M. Zoude et moi que sur le taux auquel le droit de sortie doit être élevé.
Vous parlez, me dit-il, dans l’intérêt de fabricants, et c’est dans leur intérêt que vous voulez empêcher que les os ne sortent librement. Avec un système comme le vôtre, il faut aussi prohiber la sortie des grains, des houilles et autres matières. L’honorable M. Zoude n’a pas senti qu’il n’y avait nullement similitude entre les houilles ou les grains et les os.
En effet, la production de la houille, des grains et du lin même (car je ne veux pas, comme quelques personnes, qu’on prohibe les lins à la sortie), la production de ces objets n’est pas bornée à une certaine quantité, elle est illimitée ; plus nous parviendrons à exporter de houille, de grains et de lin, plus le pays en fournira. Mais quant aux os, comme je l’ai démontre tout à l’heure, la production en est limitée : quand vous aurez laissé sortir les 25 millions d’os qu’on prétend que produit le pays, vous n’aurez aucun moyen d’en procurer à vos fabriques. Voilà la différence qui existé entre les os et les matières dont a parlé M. Zoude.
L’honorable M. Rodenbach a dit que si les fabricants ont besoin d’une prohibition qui équivaut à 50 p. c., ils feraient mieux de fermer leurs fabriques, parce qu’il est évident qu’ils manquent de talent et d’industrie. Je ferai observer que les os sont la matière première de la fabrication : je voudrais savoir comment on pourrait fabriquer sans avoir de matière première. Je voudrais que M. Rodenbach me répondît. Si mes craintes se réalisent (et je défie qu’on me démontre qu’elles ne sont pas réalisables), si tous les os étaient enlevés par les étrangers, comment les fabriques pourraient-elles continuer à marcher et comment tout le talent et l’industrie du fabricant pourraient-ils suppléer au manque de matière première ? Il n’y a ni talent, ni industrie qui puisse suppléer au manque de matière première.
Que ces fabricants, dit-il, donnent un prix raisonnable, quatre ou cinq francs, au lieu d’un franc qu’ils paient maintenant les 100 kil, et ils n’en manqueront pas. J’étais loin de m’opposer à ce que les fabricants paient les os quatre ou cinq francs les 100 kilog., parce que je pense que leur fabrique n’en marchera pas moins bien. Les fabricants feront un bénéfice un peu moindre, mais leur fabrication ne pourra pas en souffrir. Je ne veux donc pas empêcher de faire cesser le mal qu’il signale, mais je veux empêcher que le manque d’os se fasse sentir au point que les fabricants ne puissent s’en procurer que difficilement et à un prix exorbitant. C’est là seulement ce que je veux empêcher.
Je me rallie, du reste, à l’opinion émise par l’honorable M. Smits. Je pense qu’en frappant les os à la sortie d’un droit de 7-50, ce droit ne sera pas tellement bas que les os puissent être enlevés par les étrangers, et qu’il n’en reste suffisamment pour le besoin de nos fabriques. Je suis persuadé que M. Donny lui-même ne fera pas de difficulté de se rallier à cette proposition.
Si nous passions d’une prohibition absolue à un système de sortie frappé d’un droit aussi minime que 5 fr. par mille kilog., nous pourrions nous en repentir.
M. Verdussen. - Je viens appuyer l’amendement de M. Donny, et je fonde mon opinion sur les documents qu’on a présentés.
La note de l’agent du Roi des Belges à Hulst dit que les 100 kil. valent 8 fr. 90 ; on nous dit d’autre part que la valeur des os est de 15 fr. pour 1,000 kil. ; on vous propose 10 fr. de droit sur le millier à la sortie. Si je suis bien informé, le transport en Angleterre monte à 15 fr. par millier de kil. : je prends pour faux frais 10 fr. par millier ; j’additionne et je trouve 50 fr. par millier pour la valeur du millier en Angleterre, c’est-à-dire, 5 fr. par 100 kil. Ainsi il y a encore une grande différence avec la déclaration du Consul à Hulst, laquelle est de fr. 8-90.
Je suppose que je me sois mépris sur le fret ; eh bien, je double la somme, et j’aurai encore fr. 6-5 pour 100 kil. ; la distance à fr. 8-90 est de deux francs, bénéfice immense sur une aussi petite valeur.
De la proposition de M. Donny à la prohibition, il y a une distance considérable ; si l’on craint de mauvais effets de la loi proposée, ils n’auront pas une longue durée ; la loi n’est qu’une loi d’essai.
M. Zoude, rapporteur. - Je suis d’accord avec M. de Brouckere, les os ne peuvent pas se produire à volonté ; mais on sait que la terre en contient des masses immenses, et ces richesses en sortiront quand on aura donné de la valeur aux os. L’honorable M. Verdussen s’est mépris en disant que le prix était de fr. 8-90 ; ce prix est de fr. 8-50, et à ce prix le consul a annoncé qu’il y aurait perte pour celui qui entreprendrait le commerce des os.
Je m’oppose à la proposition de M. Smits ; elle serait une prohibition, j’en ai la preuve en main par le prix des os en Angleterre.
M. Donny. - Je ne dirai qu’un mot. Toute l’opposition que rencontre mon amendement provient de ce qu’on le confond avec une prohibition totale, de ce qu’on regarde cette disposition comme l’équivalent d’une prohibition. Une seule observation fera voir qu’il n’en est rien. En France on a voulu prohiber ; ce n’est pas 10 fr. pour 1,000 kil, qu’on mit, c’est 200 fr. ; c’est 20 fr. par 100 kil. Eh bien, les Français qui ont prohibé doivent avoir perdu l’esprit, ou bien il faut convenir qu’ils ont considéré le droit de 200 fr. comme nécessaire pour opérer la prohibition. Cependant ce que je propose n’est que la vingtième partie de ce que fait la France. Au reste, je me réunirai à la proposition de M. Smits. Je pense que par ce taux le mal que pourra faire la loi sera nul.
M. Davignon. - Des erreurs de chiffres ont été faites par l’honorable député d’Anvers. On a fait connaitre par une déclaration du consul à Hulst qu’à raison de 8 fr. 50 centimes on ne pouvait placer les os qu’à perte. Le fret est de 32 francs pour 1000 kil. ; le droit de sortie étant de 5 fr., on aurait 37 fr. Je suppose que le prix des os soit de 50 fr. pour 1,000 kil., on aurait 87 fr. ; ainsi on ne placerait pas avantageusement, et il n’y a rien à craindre pour nos fabriques. J’ai mis le prix des os à 50 fr. le 1,000, ou à 5 fr. le 100 ; mais, dans ce prix il faut comprendre quelques menus frais, ceux de transport à l’embarcation, ceux de commission, de courtage ; en les évaluant ensemble à 1 fr. et demi, il reste 3 francs et demi pour la valeur de 100 kil. d’os. On ne pourrait pas diminuer ce prix sans faire le plus grand tort aux malheureux, Je doute, en effet, que l’on trouve dans la classe pauvre des gens qui voulussent s’occuper de la recherche des os si le prix devait être plus bas : mais à ce prix nos fabriques ne peuvent élever aucune plainte. Si le droit de 5 fr. pouvait nuire aux fabriques, la commission ne l’aurait pas proposée. On craint que la matière ne manque ; mais on n’exporte que quand il y a bénéfice certain à obtenir ; or, il n’y aura pas d’exportation tant que le prix sera ce qu’il est actuellement en Angleterre. (Aux voix ! aux voix !)
M. Poschet. - Si la discussion sur les os avait eu lieu quelques jours plus tard, plusieurs réclamations auraient été adressées à la chambre contre la proposition de la commission. Un fabricant prétend n’avoir pu se procurer des os pendant un certain temps. (Bruit.)
- Le chiffre de 7 fr. 50 c., est mis aux voix et rejeté.
Le chiffre de 5 fr. pour 1,000 kilogrammes à la sortie est mis aux voix et adopté.
L’article premier est adopté.
M. le président. - L’article 2 est mis en délibération.
M. Donny propose de mettre dans cet article : « jusqu’au 1er janvier 1835.
« M. Zoude propose de mettre : « jusqu’au 1er janvier 1838. »
M. Zoude, rapporteur. - Le commerce n’aura pas le temps de commencer des opérations si on ne donne qu’un an et demi ; les négociants doivent avoir quelques années devant eux pour nouer des relations commerciales.
M. Donny. - Messieurs, je respecte la décision que la chambre vient de prendre ; mais le respect ne va pas jusqu’à me faire changer d’opinion sur les suites de la loi que vous venez de porter. C’est un essai que vous avez fait. Je crois qu’il n’est pas convenable de le prolonger trop longtemps ; c’est dans cette vue que j’ai proposé de borner la loi à la fin de l’année courante.
M. Davignon. - Je crois que la section centrale a bien fait de fixer au 1er janvier 1836 l’époque où finira la durée de la loi.
En effet, ce n’est pas dans les 9 ou 10 mois qui restent à courir d’ici à la fin de 1835, qu’un essai pourrait être fait. Le moins de temps qu’on puisse prendre pour cet essai, c’est sans doute 18 ou 20 mois. La convenance de l’époque choisie par la commission me paraît assez évidente pour que je puisse me dispenser d’en dire davantage.
M. Legrelle. - Messieurs, je crois que prendre pour terme de la loi le 1er janvier, c’est choisir l’époque la moins convenable pour les travaux de la chambre. En effet, nous nous réunissons au beau milieu de novembre ; et sans doute, ce n’est pas au commencement d’une session le moment de s’occuper d’un projet relatif à la sortie des os. C’est par ce motif, et aussi pour concilier les propositions de la section centrale et de l’honorable M. Donny, que je demanderai que le terme de la loi soit fixé au 1er janvier 1836.
M. Donny se rallie à l’amendement proposé par M. Legrelle.
- Cet amendement est mis aux voix ; il n’est pas adopté.
L’article 2 est adopté en ces termes : « La présente loi n’aura force obligatoire que jusqu’au 1er janvier 1836. »
On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de la loi ; en voici le résultat :
Nombre des votants, 56.
Majorité absolue, 29.
Pour l’adoption, 53.
Contre, 3.
La chambre a adopté.
M. Seron. - Votre section centrale propose de faire supporter les frais de nourriture et d’entretien des enfants trouvés par l’Etat, concurremment avec les hospices qui ont des revenus spécialement affectés à cette dépense. Mais elle veut que les enfants abandonnes, dont les parents sont connus ou dont le domicile peut être constaté, soient à la charge des communes où ces parents ont droit aux secours publics. Tels sont les principes sur lesquels est basé le projet de loi en ce moment soumis à votre délibération.
Je ne vois pas, je l’avoue, de motifs pour établir une différence entre les enfants trouvés et les enfants abandonnés. Parce que le hasard aura fait que dans telle commune il se trouvera des enfants abandonnés, tandis que dans telle autre il ne s’en trouvera pas un seul, sera-t-il juste de mettre les frais d’entretien de ces enfants à la charge de la première commune et d’en affranchir entièrement la seconde ? Où est-il écrit que chaque commune, quelle que soit sa situation, doit nourrir ses indigents ? Ce n’est pas assurément dans le code la raison.
Et si la commune où sont les enfants abandonnés est pauvre de population, de revenus communaux, de ressources, au point de ne pouvoir les entretenir, que deviendront-ils ? Faudra-t-il les laisser périr de misère et de faim ? Ce n’est pas ici une supposition gratuite. Il est dans la province de Luxembourg et dans la province de Namur des communes dont la situation est précisément celle que je viens d’indiquer.
La société, messieurs, doit la subsistance à tous ses membres comme elle leur doit l’instruction. C’est par une conséquence de ce principe que l’assemblée constituante mit à la charge de la nation la nourriture des pauvres, et leur entretien. Faites dominer ce principe dans votre loi ; assimilez les enfants abandonnés aux enfants trouvés. Ce sera un acte d’humanité, de raison et de justice.
Je demande 1° Que l’article premier soit rédigé comme il suit :
« A partir du 1er janvier 1835, les frais d’entretien des enfants trouvés et des enfants abandonnés seront supportés par l’Etat, concurremment avec les hospices qui ont des revenus spécialement affectés à cette dépense. »
2° Que l’article 2 soit supprimé comme inutile.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je maintiens le projet tel qu’il a été soumis aux chambres ; et je ne puis me rallier aux propositions de la section centrale. Je m’appuie ici des observations que nous avons reçues de la part des autorités des provinces. Je citerai notamment l’opinion de la députation de la province d’Anvers. Evidemment elle avait intérêt à ce que les provinces fussent déchargées du fardeau de l’entretien des enfants trouvés, ainsi que cela résulterait du système proposé par la commission s’il était accueilli par la chambre. Elle a néanmoins prétendu et avec raison que ce système qui tendrait à imposer à l’Etat les frais d’entretien des enfants trouvés et abandonnés, outre l’inconvénient qu’il aurait de grever l’Etat d’une dépense considérable, présenterait de fâcheux résultats pour la morale publique.
Messieurs, un principe que le gouvernement professe, et qui n’échappera point à la chambre dans la discussion des améliorations à apporter à notre système de charité publique, c’est que l’extirpation et de la mendicité et des effets qui en découlent (et certes on peut en général mettre dans cette catégorie les enfants abandonnés) ne peut s’obtenir qu’en s’attaquant à la source du mal et en y intéressant, autant que possible, les localités mêmes d’où il part.
Si, par la nature même des choses, il n’y avait pas des obstacles insurmontables à ce que les dépenses des enfants abandonnés continuassent d’être supportées par les communes, je n’hésiterais pas à consentir au maintien de ce qui existe ; mais il y a des obstacles inhérents à la nature même des choses. Ainsi, le seul fait du dépôt ou de l’exposition d’un enfant abandonné dans une commune n’est pas une présomption suffisante que l’enfant appartient à cette même commune. En effet, les hospices, les tours ne sont pas alimentés seulement par les villes où ils sont situés, mais encore par les communes environnantes, dans un rayon plus ou moins rapproché.
Faut-il adopter un système diamétralement contraire, qui ne conserve aucun des avantages que présentait le système précédent, reconnu bon par tous les économistes qui se sont occupés de la matière ? Faut-il adopter un système diamétralement contraire, qui, dans ma pensée, ne tend pas à moins qu’à encourager la débauche et à amener la multiplication des enfants trouvés et abandonnés ? faut-il dégrever les communes et les provinces, mieux placées pour remédier à la source du mal ? ou bien faut-il faire de la dépense une charge pour le pays tout entier ? Je ne le pense pas.
Je crois que nous devons adopter un système mixte, basé, non sur une certitude absolue impossible à obtenir, mais sur une présomption raisonnable, sur la plus grande probabilité possible ? Or, il y a, en général, présomption que les enfants trouvés ou abandonnés dans une province appartiennent à la province. L’exception n’est pas assez générale pour que la règle ne puisse pas être établie, comme l’indique le projet de loi que nous avons présenté.
Le système de ce projet est celui qui se rapproche le plus du projet que la chambre a adopté pour les dépenses des dépôts de mendicité dans les provinces. Remarquez, messieurs, que l’effet du projet ministériel est d’abord d’opérer une décentralisation, là où la centralisation est évidemment abusive. J’entends sans cesse réclamer contre la centralisation. Je crois que les plaintes, à cet égard, sont exagérées ; nous aurons occasion d’examiner cette question ailleurs ; mais ici on fera bien de substituer à une surveillance indirecte, éloignée et nécessairement imparfaite, une surveillance plus immédiate ; de substituer à un intérêt vague et général un intérêt précis et local ? C’est là le but que vous avez atteint en mettant à la charge des communes les dépenses des dépôts de mendicité. Vous atteindrez le même but en adoptant le système d’impôt provincial pour les dépenses des enfants trouvés ; parce que vous attirerez incessamment l’attention de l’autorité, non pas seulement sur le mal, mais sur les moyens de le diminuer, et vous intéresserez les communes, autant que possible, à le faire cesser.
Il est évident que lorsqu’une contribution modique pèsera sur une province, et que, dans une province voisine, l’imposition sera triple, quadruple et parfois décuple, les autorités provinciales chercheront à attaquer le mal dans son principe, à en diminuer l’étendue, afin de diminuer les charges de leurs administrés. Je pourrais citer des exemples de nature à frapper l’esprit de l’assemblée : il est telle province où le nombre des enfants trouvés et abandonnés est très considérable, et si vous en faites une charge de l’Etat, les autorités provinciales et communales n’auront aucun intérêt direct à tâcher de faire cesser le mal ; elles en auront plutôt à l’aggraver.
Il est, au contraire, des provinces où le mal existe à un degré beaucoup moindre que dans les autres ; la province de Luxembourg, par exemple, ne compte pas, je crois, une vingtaine d’enfants trouvés, tandis que c’est par 100 et par 1,000 qu’on les compte dans d’autres provinces. Si c’est à la moralité de la population, on à la bonne administration des autorités qu’on doit cet état de choses, vous allez détruire le principe de cette amélioration au lieu de l’encourager, en mettant cette province sur la même ligne que celle où le nombre des enfants trouvés est dix fois plus considérable. Telles sont les considérations générales par lesquelles j’ai cru devoir combattre le système de la section centrale. Si la section centrale, au lieu de rester dans des généralités, était entrée dans quelques arguments spéciaux, j’aurais tâché de lui répondre autrement que par des réflexions générales. Aussi longtemps que la section centrale ou quelqu’un de ses membres n’aura pas appuyé le système qu’elle propose sur des motifs moins généraux que ceux que je combats, je ne puis en dire davantage.
M. Quirini, rapporteur. - Messieurs, la question dont il s’agit dans ce moment est extrêmement grave. Déjà elle avait partagé la plupart des sections. Un simple coup d’œil sur le rapport de la section centrale vous prouvera combien les opinions ont été divisées.
L’entretien des enfants trouvés ou abandonnés doit-il tomber à la charge de l’Etat, ou bien à la charge des provinces et des communes ? Le moyen de trancher cette question, alors qu’on est constamment en présence d’intérêts divers !
Les communes réclament contre les charges aggravantes quel n’ont cessé de supporter jusqu’aujourd’hui ; l’Etat repousse aussi cette charge. Pouvons-nous rester indifférents en présence de malheureux dont l’existence peut être compromise par l’un ou l’autre système ?
La discussion qui vient de s’ouvrir, présente déjà des contradictions frappantes. Deux orateurs ont été entendus. Le premier, l’honorable M. Seron, loin de combattre le système présenté par la section centrale, a soutenu ce système, système large, qui tend à faire de l’entretien des enfants trouvés une dette de l’Etat ; il a même demandé qu’on l’étendît aux enfants abandonnés.
Le second orateur, M. le ministre de la justice, repousse ce système : c’est, dit-il, au moyen de considérations générales que la section centrale a combattu le système du gouvernement ; et quel système que celui qu’il a proposé ! Il n’a réuni aucun suffrage.
Messieurs, je me hâte de relever quelques contradictions échappées à M. le ministre de la justice.
Le gouvernement, dit-il, a eu pour but de mettre le projet actuel en harmonie avec la loi présentée, il y a six mois, sur les mendiants ; mais cette loi, qu’il cite, n’a pas fait des mendiants une dette de la province, mais de la commune. Plus loin, il vous a dit qu’on mettait la dépense des enfants trouvés à la charge des provinces, afin d’empêcher l’accroissement de leur nombre, en stimulant la surveillance des autorités locales.
Si tel est le but du projet qu’il vous a présenté, je soutiens que ce but ne sera pas atteint : il est impossible qu’avec une surveillance aussi indirecte que celle des autorités provinciales on puisse empêcher l’exposition des enfants trouvés ; et les communes ne seront pas aussi intéressées que le prétend le ministre à exercer une grande surveillance à cet égard.
Le ministre vous a dit encore que s’il avait pu prévoir l’opposition qu’a rencontrée son projet, il ne l’aurait pas présenté, et qu’il aurait conservé le système actuel, si la résistance de grandes cités n’avait mis obstacle à l’exécution de la loi.
Comment se fait-il qu’il n’ait pas pu vaincre cette résistance s’il était si intimement convaincu de la bonté du système qui fait de l’entretien des enfants trouvés une dette de la commune, ou bien que n’a-t-il formulé son projet dans le même sens ?
Peut-on soutenir que ce système soit si bon quand des réclamations arrivent de toutes les communes ? Est-il bien vrai, aussi, que deux communes populeuses seulement se soient opposées et aient résisté à l’exécution des arrêtés qui régissent actuellement la matière ? Je pense que le ministre de la justice a fait allusion aux villes de Namur et de Mons ; je puis assurer qu’un grand nombre de communes ont protesté et que plusieurs n’ont payé qu’avec des réserves. Je pourrais citer entre autres la ville de Louvain.
Vous rappellerai-je qu’au moment même où l’arrêté du roi Guillaume a introduit dans cette partie de l’administration des changements considérables qui accablaient les communes, des discussions très vives eurent lieu jusque dans le sein des anciens états-provinciaux ? Vous voyez donc que ce système n’a pas rencontré d’opposition seulement dans deux communes.
A quoi tend le système de M. le ministre ? A rendre, dit-il, chaque commune responsable de ses œuvres ; mais combien de fois n’a-t-on pas vu des enfants, exposés dans une commune, en être violemment repoussés et reportés dans une autre !
Il faut partir d’un principe exact, et ne pas confondre l’extinction de la mendicité avec les dépenses à supporter pour les enfants trouvés. On peut mettre un mendiant dans un dépôt, mais un enfant né de parents malheureux, ou d’une mère victime de la séduction, a besoin d’être entouré de soins ; et si vous n’exercez pas une surveillance active, vous pouvez laissez compromettre son existence.
En examinant la question dans son principe, elle n’est pas difficile à résoudre, et M. le ministre, pour la combattre, ne s’est appuyé que sur des probabilités. La dépense, dit-il, doit encore incomber à la commune où l’enfant a été trouvé. Mais, lorsqu’un enfant est exposé dans une commune, il n’est pas exact de dire qu’il appartient à la commune ; et l’on pourrait assurer, avec la presque certitude de ne pas se tromper, que ce serait au contraire une preuve qu’il n’appartient pas à la commune, et qu’il a été transporté de l’une dans l’autre. En effet, les femmes ont intérêt à transporter leur enfant loin du lieu où il est né pour cacher leur faute.
Quant à supposer qu’il peut appartenir à la province, ici il y a présomption plus forte, je le reconnais ; mais la surveillance des autorités étant éloignée n’en sera pas plus active, et les moyens dont on pourrait disposer seront insuffisants.
Le projet n’atteint donc pas le but qu’il se propose : s’il avait eu pour résultat de porter remède à un abus qu’il sera très difficile de détruire, ou si on pouvait indiquer un moyen qui conciliât la morale publique avec les intérêts de ces êtres abandonnés, je serais le premier à l’appuyer. Comme jusqu’à présent le projet de la section centrale n’a pas été attaqué par des raisons assez sérieuses, je bornerai là ma réponse à M. le ministre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande à répondre quelques mots seulement.
- Plusieurs voix. - Nous ne sommes plus en nombre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demande à la chambre la permission de répondre au discours que vous venez d’entendre. Et d’abord qu’il me soit permis de relever une assertion de l’honorable rapporteur. A l’entendre, le projet du ministère n’a rencontré aucune espèce de suffrage ; il a été généralement repoussé. Mais l’honorable rapporteur oublie donc qu’il a consigné lui-même, dans son rapport, que, sur six sections, quatre l’ont adopté ; il oublie que le système de la section centrale n’a prévalu qu’à la majorité de quatre voix contre trois : ainsi, il est inexact de dire que le projet du gouvernement n’a trouvé d’adhésion ni dans les sections, ni dans la section centrale.
L’honorable rapporteur n’est pas plus fondé quand il réfute un système que je n’ai point soutenu. Je n’ai pas dit que je proposais pour les dépenses des enfants trouvés le même système que pour les dépenses des dépôts de mendicité. J’ai commencé par dire qu’il serait désirable, en intéressant les localités d’une manière immédiate, de les déterminer à rechercher les moyens, non seulement de réparer complètement le mal, mais d’en faire disparaître peu à peu la masse ; et j’ai ajouté que ce système rencontrait dans la nature des choses, c’est-à-dire, dans l’incertitude de l’origine des enfants abandonnés, un invincible obstacle, quand même nous ne trouverions pas de motifs de nous désister de ce système en présence de l’opposition de plusieurs cités populeuses et des réclamations de quelques communes.
En effet, messieurs, des communes populeuses résistent, d’autres protestent : mais il n’y en a que deux qui aient fait une résistance matérielle, toutes les autres, par des considérations d’humanité, ont continué jusqu’à la fin de 1833 à faire le service pour les enfants trouvés.
Indépendamment des considérations que j’ai présentées à la chambre sur les inconvénients du système d’impôt à la charge de l’Etat des enfants trouvés, il y a des considérations administratives dont on comprendra toute la force. Si la dépense des enfants trouvés et abandonnés était à la charge de l’Etat, comment pourrait-il laisser la disposition de ses deniers à des autorités sur lesquelles il n’a pas toujours une action directe ? Il faudrait que le gouvernement eût, dans chaque localité, un agent préposé à la surveillance de l’emploi des fonds et à la recherche des moyens d’attaquer la source du mal.
Le législateur, messieurs, n’a rempli que la moitié de sa tâche en venant au secours des enfants trouvés ; il faut encore qu’il attaque le mal à sa source, il faut qu’il en diminue l’intensité et l’étendue : voilà le double but vers lequel le législateur doit marcher.
Le système proposé par le ministère n’est point une innovation ; il a été consacré par plusieurs lois françaises, et notamment par la loi du 13 floréal an X, que l’honorable rapporteur a omis de citer : elle déclare que la dépense des enfants trouvés est une charge départementale. Nous n’avons pas les honneurs de l’invention ; nous en revenons à un système mis à exécution par une législation antérieure.
L’honorable rapporteur semble croire que ce qui, dans plusieurs provinces, rend si faible le nombre des enfants trouvés, c’est l’absence d’un tour. A Namur le tour a disparu depuis assez longtemps, et cependant on y compte 653 enfants trouvés ; à Liége il n’y a pas de tour, mais il y a un hospice spécial ; et je crois pouvoir affirmer que l’exposition des enfants trouvés ne rencontre pas plus d’obstacle à Liége qu’ailleurs. On n’y compte cependant qu’une quarantaine d’enfants trouvés. Si je me trompais dans ces faits, je prie les honorables députés de Liége de vouloir bien les redresser.
Je me bornerai, quant à présent, à cette réponse. Je crois avoir démontré que le projet n’a pas rencontré cette réprobation unanime à laquelle on semblait faire allusion, soit dans les sections, soit à la section centrale, où la décision n’a été prise qu’à la majorité de quatre voix contre trois, et après une longue discussion. Je crois aussi avoir démontré qu’il n’y avait point eu de contradiction dans mes paroles relativement au système à admettre. Vous n’arriverez, messieurs, à baser un système que sur des probabilités, que sur des présomptions ; et si vous voulez arriver à un résultat basé sur les plus grandes probabilités, adoptez le système du projet. Il n’est pas sans inconvénients mais je prétends qu’ils ne sont ni assez graves ni assez nombreux pour empêcher de le faire prévaloir.
Je me borne, quant à présent, à ces réflexions sommaires ; je désire que la discussion se généralise ; je me propose d’y revenir et d’entrer plus profondément dans la question. Le temps m’a manqué pour me préparer,
M. de Theux. - Il est satisfaisant de voir que le nombre des enfants trouvés diminue en Belgique ; c’est ce qu’établissent les tableaux statistiques dressés depuis plusieurs années.
Il en est autrement dans d’autres pays.
M. Prunelle, maire de Lyon, disait à la tribune française que le nombre des enfants trouvés renfermés dans l’hospice de cette cité était en 1808 de 3,000,et qu’en 1828 il était de 9,000, c’est-à-dire du triple, quoiqu’on eût supprimé la charge des enfants de 12 a 16 ans. En Belgique le nombre total des enfants trouvés dans tous les hospices s’élève à 6,429. Il est à regretter que nous n’ayons pas sous les yeux les tableaux statistiques du mouvement des enfants trouvés depuis une époque reculée ; que nous n’ayons pas en même temps des aperçus statistiques sur les tours établis en Belgique, sur la suppression de quelques-uns de ces tours, et sur les résultats de l’établissement ou de la suppression de ces mêmes tours.
Il est surtout à regretter que nous n’ayons pas des tableaux concernant la mortalité plus ou moins grande dans tel ou tel hospice. Ces aperçus nous guideraient particulièrement pour la discussion de l’article 4 qui propose l’établissement obligatoire d’un tour dans chaque province. Il serait également intéressant d’avoir des tableaux statistiques des infanticides commis dans les communes depuis un grand nombre d’années. On pourrait avec ces tableaux recueillir quelques pensées utiles. Dans le dernier tableau statistique qui vient d’être imprimé, il n’est fait mention des infanticides que depuis 1826 jusqu’à 1832 : il y a eu dans cet intervalle de temps 22 condamnations, 6 acquittements ; il serait difficile, en voyant un aussi faible nombre d’infanticides, de croire à l’obligation d’établir un tour dans chaque province. Je m’expliquerai plus spécialement sur ce point lors de la discussion de l’article 4.
Je ferai observer que l’établissement d’un tour dans le Limbourg et le Luxembourg porterait un préjudice considérable à ces provinces si les 24 articles venaient à recevoir leur exécution.
Je ne puis approuver la section centrale en ce qu’elle met à la charge de l’Etat l’entretien des enfants trouvés. Le danger le plus grave que je verrais dans ce système, ce serait l’admission dans les hospices d’un grand nombre d’enfants dont les parents auraient pu être connus si l’autorité locale avait eu intérêt à les connaître ; de là résulterait un accroissement de dépense. Une autre augmentation de dépense résulterait de ce que les établissements entretenus par l’Etat ne peuvent pas être administrés avec la même économie, avec la même surveillance quand ils appartiennent aux localités.
M. le ministre de la justice a déjà dit que le projet actuel était en harmonie avec la loi que nous avons votée au mois de septembre dernier : cette assertion est exacte ; car, bien que nous ayons déclaré que ces établissements étaient à la charge de la commune, nous avons déclaré en même temps que la province venait au secours de la commune, et nous n’avons pas admis le concours de l’Etat pour cette dépense.
Les subsides à fournir sont restés exclusivement à la charge des provinces. Le projet actuel qui tend à faire passer les enfants trouvés de la charge des communes à la charge des provinces est préférable à celui de la section centrale qui met les enfants trouvés à la charge de l’Etat.
La section centrale, chargée de l’examen de la loi provinciale, a pensé aussi que les enfants trouvés devaient être une charge communale et provinciale ; et elle n’a pas pensé qu’ils dussent être une charge générale de l’Etat.
Quand même les communes devraient être entièrement chargées de l’obligation de concourir à l’entretien des enfants trouvés, je repousserais encore le projet de la section centrale, et je donnerais mon approbation au projet ministériel ; je crois qu’il y aurait équité à faire concourir aux dépenses les communes où les hospices sont situés.
Il est évident qu’à Bruxelles, par exemple, il y a présomption qu’une certaine partie des enfants exposés appartient à la ville : Il est notoire que les femmes de la campagne ne font pas difficulté d’élever leurs enfants. En général, l’exposition des enfants est plutôt le fait des grandes villes, où il y a moins de moralité, où, ainsi, une certaine classe se trouve dans une misère plus profonde qu’à la campagne. Ces deux causes, la misère et la démoralisation, concourent à augmenter l’exposition des enfants ; et sous ce rapport, la loi française qui met une partie de la dépense à la charge des communes, est fondée en équité. J’attendrai la discussion des articles pour entrer dans de plus grands détails, et pour présenter un amendement s’il y a lieu.
- La suite de la discussion est renvoyée à demain.
La séance est levée à quatre heures et demie.