(Moniteur belge n°352, du 18 décembre 1833)
(Présidence de M. Raikem)
A une heure, un de MM. les secrétaires fait l’appel nominal.
A une heure et un quart la séance est ouverte.
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et adopté.
Divers mémoires adressés à la chambre, sont renvoyés à la commission des pétitions ; quelques-uns étant devenus sans objet par suite des délibérations de la chambre, sont retirés.
M. le président. - L’ordre du jour est le voté définitif sur le budget des voies et moyens.
- Les divers amendements, adoptés par la chambre, sont maintenus sans discussion.
- A l’occasion des 251,000 fr. portés aux recettes diverses de la trésorerie sur la proposition de M. le ministre des finances, comme bénéfice présumé sur la fabrication des monnaies de cuivre, M. Verdussen demande la parole.
M. Verdussen. - Messieurs, je ne viens pas demander qu’on change le chiffre porté aux recettes de la trésorerie, quoique, pour répondre au vœu de la section centrale, il eût fallu porter en recettes la totalité des sommes provenant de la fabrication des monnaies de cuivre qui doivent entrer au trésor, et d’un autre côté porter en dépenses tout ce que cette fabrication doit coûter. Pour cette année, cependant, je me contente du chiffre porté de 251,000 fr., qui n’est que le résultat de l’opération. Mais, l’année prochaine, je voudrais que la chose fût régularisée. Je me réserve de prendre la parole, lorsqu’il s’agira des 995,000 fr. portés pour ordre, dont je me propose de demande la suppression.
- Le chiffre de 251,000 fr. porté comme bénéfice présumé sur la fabrication des monnaies de cuivre, est définitivement adopté.
M. le président. - Un autre amendement a été adopté sur la proposition de M. le ministre des finances. Une somme de 995,000 fr. a été portée aux recettes pour ordre, comme résultant des versements faits ou à faire en nouvelles espèces de cuivre.
M. Verdussen. - Je demande la parole. Messieurs, je viens demander la suppression de cet amendement. La recette dont il s’agit n’est pas de la nature de celles qu’on porte aux recettes pour ordre. La recette pour ordre est un revenu de l’Etat, qui, par une disposition spéciale, doit être affectée à une dépense spéciale. Ici ce serait précisément l’inverse, car on a commencé par faire la dépense. Si les 995,000 fr. étaient portés aux recettes pour ordre, ils devraient être immédiatement employés encore une fois à l’achat de matières premières, soit en or, soit en argent, soit en cuivre. C’est donc comme contraire à la nature des recettes pour ordre que je demande la suppression de la somme de 995,000 fr., qu’on y a mentionnée.
M. le président met l’amendement aux voix.
- Plusieurs membres n’ayant pas entendu la question mise aux voix, on demande le renouvellement de l’épreuve.
M de Robaulx. - M. le ministre des finances vient de se lever contre son amendement ; je le prie de dire s’il l’abandonne.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je n’avais pas entendu : je demande le maintien de l’amendement que la chambre a adopté sur ma proposition.
M. Gendebien. - C’est pour mettre dans les comptes une régularité plus grande que celle qu’on y avait mise jusqu’ici, qu’on a porté aux recettes pour ordre le produit de la fabrication des monnaies de cuivre ; on portera en dépense les frais de fabrication, etc. qu’aura coûté la matière première.
M. Verdussen. - On n’a pas fait un grand pas vers la régularité en portant en recettes les 251 mille francs représentant le bénéfice que doivent procurer les opérations de monnayage de cuivre faites en 1833 et 1834 ; cela ouvre une porte pour vérifier tout ce qui a été fait et rechercher si les arrêtés du ministre sont ou non constitutionnels.
Mais quant aux 995 mille fr., je me permettrai deux remarques : d’abord ; comme je l’ai déjà dit, ce n’est pas une recette pour ordre ; une recette pour ordre est un revenu ordinaire qui, après avoir été mentionné sans qu’on puisse en fixer le montant, doit servir à acquitter certaines dépenses spéciales déterminées par une disposition législative. Si vous portiez 995 mille francs pour les monnaies de cuivre, il faudrait en porter une bien plus forte pour les monnaies d’argent, car je ne vois pas pourquoi on ne porterait au budget que les opérations monétaires en matière de cuivre.
M. le commissaire du Roi, dans ce qu’il vous a dit, ne m’a paru préoccupé que des monnaies de cuivre ; cependant, nous savons qu’en vertu de l’arrêté du 11 novembre on frappera également des monnaies d’argent ; et si vous adoptez le principe qu’il faut porter en recettes le produit des monnaies frappées, vous devez également porter le produit des monnaies d’argent. Dans tous les cas, ce n’est pas aux recettes pour ordre qu’il faut les porter ; car ce sont des rentrées après dépenses faites ; tandis que les recettes pour ordre doivent être dépensées après. Voilà pourquoi l’amendement doit être rejeté.
M. de Robaulx. - Je ne vois pas l’importance de cette discussion. Mais je crois devoir faire observer que le préopinant se trompe en argumentant de ce qui se fait pour le monnayage d’argent. Le monnayage d’argent se fait par entreprise ; le gouvernement paie tant pour cent au directeur, tandis que, pour le monnayage du cuivre, c’est le gouvernement qui se charge de la fabrication. Or, il y a sur cette fabrication un bénéfice présumé. Le ministre croit que, sur tant de mille francs qu’il fera fabriquer, ce bénéfice sera 251 mille fr. ; il est naturel de le mentionner aux recettes réelles.
Mais ensuite je pense qu’il faut porter aux recettes pour ordre les 995,000 fr, qui entreront au trésor comme produit de la fabrication, et quand on présentera la loi des dépenses, on y portera les frais de fabrication et d’achat de matière première. En bonne administration pour que rien n’échappe au contrôle de la chambre, on doit porter d’un côté toute la recette et de l’autre toute la dépense. Voilà pourquoi je pense que l’amendement proposé par M. le commissaire du Roi, qui est en même temps directeur du trésor, doit être maintenu.
M. Donny. - Messieurs, voici comme je conçois l’affaire. Je me permettrai de différer d’opinion avec l’honorable M. de Robaulx ; je crois qu’il s’est trompé sur les chiffres qu’il a posé, et c’est de là qu’est venue l’erreur dans laquelle il est tombé.
Il paraît, d’après ce que nous a dit M. le ministre des finances, que l’opération du monnayage de cuivre procurerait un bénéfice d’environ 251,000 francs. Ce bénéfice doit être compris dans la loi des voies et moyens comme tous les revenus de l’Etat ; mais il y a deux moyens de l’y faire figurer : d’abord, on peut porter 251 mille francs comme produit net de l’opération ; mais on peut suivre une autre marche, porter aux voies et moyens la somme de 995 mille francs qui représente le produit brut, et par contre, porter dans le budget des dépenses le coût de la matière première et les frais de fabrication ; ces frais ne s’élèvent pas à 995,000 francs, comme cela semblerait résulter de ce qu’a dit le préopinant, mais à 744 mille francs. En adoptant cette marche, la différence de la recette sur la dépense représentera le bénéfice ; mais cette différence, ce bénéfice, ne doivent pas figurer aux voies et moyens, car si vous portez dans la loi des voies et moyens et le bénéfice de 251 mille francs et la recette brute de 995 mille francs, il est évident que vous ferez un double emploi.
Il faut de deux choses l’une : ou porter 251 mille francs en recettes comme produit net de l’opération et ne rien porter en dépenses, ou bien porter en recettes le produit brut de 995 mille francs et faire figurer en dépenses 744 mille francs pour les frais de fabrication.
Comme déjà le chiffre de 251 mille francs a été adopté, je pense que l’amendement dont il s’agit doit être rejeté.
M. de Robaulx. - J’avais proposé de porter toutes les recettes et toutes les dépenses aux dépenses et aux recettes pour ordre, et de porter en recettes réelles le bénéfice présumé de 251 mille francs. C’est comme cela qu’on l’a entendu quand on a adopté cet amendement de M. le ministre des finances ; je ne vois pas de motif pour revenir sur cet décision.
M. de Brouckere. - Comme M. de Robaulx, je pense que la discussion est sans importance ; mais il me semble que M. Donny a parfaitement exposé la question. Ne portez en recettes que le produit net de 251,000 fr. et ne portez rien pour dépenses ; car, si en même temps vous portez 995,000 fr. pour mémoire, les 251,000 fr. se trouvent portés deux fois ; une fois en réalité, et une fois pour mémoire. Si vous tenez à ce que tout figure au budget, portez aux recettes pour ordre, pour mémoire, 744,000 fr., montant présumé des frais de fabrication, et vous porterez une somme égale aux dépenses.
Je ne fais que répéter ce que vous a dit M. Donny, parce que je pense que tout le monde ne l’a pas compris.
M. Gendebien. - Portez 995,000 fr. en recettes, et vous en porterez 744 en dépenses.
M. Kerkhoven, commissaire du Roi. - Les 995 mille francs qu’on désire voir porter pour ordre sont les nouvelles espèces de cuivre versées au trésor de 1833 et 1834. Nous devrions alors porter au budget des dépenses les 744 mille francs de frais de fabrication, et la différence entre les deux sommes constituerait le bénéfice de 251 mille francs. Je crois que cette deuxième somme est la seule qu’il faille porter aux voies et moyens. Quant aux 995 mille francs, on en rendra compte à la cour des comptes ainsi que des 744 mille francs.
M. de Brouckere. - Je suis étonné que le ministère ne comprenne pas l’explication donnée par M. Donny et que je viens d’avoir l’honneur de répéter.
M. Coghen. - Comme M. de Brouckere, je pense que comme nous avons déjà porté 251 mille francs aux recettes réelles, nous devons porter 744 mille francs aux recettes pour ordre, sauf à porter une somme égale au budget des dépenses.
M. Kerkhoven, commissaire du Roi. - C’est toujours la même chose.
M. Gendebien. - Il suffit de poser la question en chiffre pour voir la différence. Si vous portez en recettes effectives 251,000 fr., et en recettes pour ordre 995,000 fr., vous avez un total d’un million 246,000 fr., et si vous en déduisez les 744,000 fr. pour les dépenses, il en résulte une différence de 502,000 fr. Si au contraire vous portez d’un côté la recette brute, et de l’autre la dépense, votre bénéfice se trouve dans la différence.
M. de Robaulx. - Toute la difficulté vient de ce que nous discutons les voies et moyens avant d’avoir apprécié les dépenses.
M. Kerkhoven, commissaire du Roi. - C’est pour ne pas enfler inutilement le budget que nous n’avons porté toute la somme en recettes.
M. Donny. - Je me proposais de reprendre la parole ; mais puisque M. le commissaire du Roi paraît se rendre à nos observations, je crois inutile d’insister davantage.
M. de Brouckere. - Pour la régularité, il faut porter 744,000 fr. aux recettes pour ordre à moins qu’on ne veuille revenir sur le vote de 251,000 fr.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il y a un précédent conforme à la proposition de M. le commissaire du Roi qui consiste à porter la recette totale aux voies et moyens, et de porter en dépenses tous les frais occasionnés par l’opération. Le précédent que j’invoque, je le trouve dans mon département.
Vous avez porté pour les prisons 1,400,000 fr. en recettes, et en dépenses 1,000,000. (L’année dernière vous avez réduit l’allocation à 1,000,000). Si on avait procédé comme on propose de le faire ici, on n’aurait porté que le bénéfice de 400,000 fr.
Je pense que si vous portez la somme de 995 mille francs en recettes et 744 mille francs en dépenses, vous procéderez avec la même régularité que vous l’avez fait pour les prisons.
M. de Brouckere. - Le précédent que vient de citer M. le ministre de la justice n’est pas conforme à ce que demandait M. le ministre des finances, mais bien à ce que nous demandons depuis une heure. M. le ministre des finances voulait qu’on portât 251,000 fr. pour recettes effectives et 995.000 fr., aux recettes pour ordre. Si on avait appliqué la même manière de raisonner à l’article des prisons, outre les 1,400,000 fr., on aurait porté en recettes les 400,000 fr. de bénéfice présumé, ce qui aurait porté le chiffre à 1,800,000 fr., irrégularité que vous avez eu soin d’écarter. C’est aussi ce que nous voulons éviter. Choisissez : porter 995,000 fr. au lieu de 251,000, ou maintenez les 251,000 fr. et portez 744 pour mémoire, sauf à porter au budget des dépenses tous les frais de fabrication.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, le préopinant me prête une assertion que je n’ai pas émise. J’ai dit que je partageais la dernière opinion exprimée par M. le commissaire du Roi qui était de porter en recettes le produit de 995,000 fr., et en dépenses les 744,000 fr. de frais de fabrication.
M. Meeus. - Je crois qu’il est plus régulier de laisser les 251,000 fr. de bénéfice aux recettes effectives, et de porter pour mémoire 744,000 fr., somme égale à la dépense.
M. Verdussen. - La manière la plus régulière est celle proposée par M. le ministre de la justice. L’année prochaine je proposerai de suivie ce mode ; mais, pour cette année, comme déjà vous avez voté les 251,000 fr. représentant le bénéfice présumé (et en cela vous avez procédé comme pour l’administration des postes), je pense qu’on ne peut se dispenser de revenir sur la délibération prise : si, cependant la chambre jugeait à propos de le faite, je ne m’y opposerais pas.
M. Lardinois. - Je pense que vous devez porter en recettes la somme totale de 995,000 fr., et en dépenses, celle de 251,000 fr. ; vous aurez toujours pour résultat un bénéfice de 251,000 fr. Mais ce mode présente un autre avantage, en ce que de cette manière le contrôle des sommes reçues et dépensées appartiendra aux chambre ; tandis que ce serait à la cour des comptes, si ces sommes figuraient au budget pour mémoire.
M. Kerkhoven, commissaire du Roi. - J’ai voulu procéder comme on le fait en France, ne faire figurer aux recettes effectives que le produit brut, afin de ne pas enfler le chiffre du budget.
M. de Brouckere. - M. le président, mettez aux voix la réduction des 251,000 fr. et l’insertion des 995,000 fr.
M. Verdussen. - Je propose de rayer la somme de 251,000 fr. et de la remplacer par la somme de 990,000 fr.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je propose d’inscrire au budget des recettes, à l’article des recettes diverses, trésorerie, comme produit en espèces nouvelles, la somme de 995,000 fr.
M. Lardinois. - Nous sommes maintenant d’accord.
- La proposition de M. le ministre des finances, mise aux voix, est adoptée.
Le total du budget des recettes est de 84 millions.
L’ensemble de ce budget est soumis à l’appel nominal.
67 membres sont présents.
61 votent l’adoption ;
6 votent le rejet.
En conséquence le projet de loi des recettes est adopté et sera transmis au sénat.
Ont voté l’adoption :
MM. Bekaert, Brabant, Brixhe, Coghen Dams, Dautrebande, de Behr, de Brouckere, A. Dellafaille, H. Dellafaille, de Longrée, de Meer de Moorsel, F. de Mérode. W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Puydt, de Roo, Desmaisières, Desmanet de Biesme, de Stembier, de Theux, Dewitte, d’Hane, d’Huart, Donny, Dubois, Dubus, Duvivier, Eloy de Burdinne, Hélias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot, Lardinois, Lebeau, Meeus, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Pirson, Polfvliet, Quirini, A. Rodenbach, C. Rodenbach, Rouppe, Rogier, Schaetzen, Simons, Trentesaux, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, Vergauwen, C. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Wallaert, Zoude, Raikem.
Ont voté le rejet :
MM. de Foere, de Renesse, de Robaulx, Dumortier, Gendebien, Seron.
Se sont abstenus :
MM. Davignon, C. Vuylsteke et Desmet.
Les deux premiers exposent qu’ils n’ont point pris part aux débats de la loi.
M. Desmet motive ainsi son abstention. - Messieurs, j’ai voté à l’ouverture de la présente session contre le projet d’adresse, parce que je ne pouvais pas exprimer mon approbation à la marche du gouvernement qui à tout instant viole la constitution ; pour ce même motif je devrais aujourd’hui refuser les subsides que nous demande le gouvernement, et surtout depuis la déshonorante convention passée à Zonhoven avec les Hollandais, où la loi fondamentale a été si scandaleusement violée. Mais je crains, vu l’approche de la fin de l’année, que le rejet du budget des recettes ne puisse compromettre l’administration du pays, et c’est pour ce motif seul que je ne vote pas contre ce budget et que je trouve utile de m’abstenir. Et je saisis l’occasion du vote des subsides pour protester de toutes mes forces contre l’infâme convention de Zonhoven et contre tous les actes du ministère par lesquels il a violé la constitution.
M. le président. - Ce projet est ainsi conçu :
« Art. 1er. Le délai fixé par l’article 54 de la loi du 4 août 1832 (Bulletin officiel, n°582), pour la nomination des juges de paix, est prorogé jusqu’au 1er octobre 1834. »
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le jour de sa promulgation. »
La discussion générale de ce projet est ouverte.
M. de Robaulx. - Messieurs, quoique l’accueil tout bénin de la section centrale au projet du ministre me fasse présager une adoption certaine, je ne me crois pas dispensé d’exprimer une opinion contraire.
L’intention bien manifeste qui a présidé à la rédaction de la loi du 4 août 1832 sur l’organisation judiciaire était que les juges de paix participassent le plus tôt possible à l’inamovibilité créée en faveur de la magistrature ; néanmoins un délai de 16 mois a été laissé au gouvernement pour opérer dans le personnel les changements indispensables.
Pendant cet espace de temps, le sort des juges de paix est demeuré entièrement à la disposition plus ou moins capricieuse du ministre, et la place de chaque juge de paix, capable ou non, est en butte aux intrigues clandestines, de cette nuée d’avocats de nom, sans cause et sans talents, de ces honnêtes gens qui, par avarice ou par besoin d’être quelque chose, se font adjuger la place d’autrui et ont l’impudeur de dépouiller ainsi des hommes valant mieux qu’eux.
De son côté, le ministre, si je suis bien informé, en agit sans façon et même un peu cavalièrement avec ceux qu’il déplace. Je connais un juge de paix, justement regretté par une population libérale qui a donné des gages à la révolution : cet homme, qui a rendu des services et qui pouvait continuer à en rendre dans les fonctions qu’il remplissait au gré de ses concitoyens, plus capables de l’apprécier que le ministre ; eh bien ce fonctionnaire fut destitué sans en avoir été prévenu, et c’est le journal du matin qui le premier l’a informé qu’un autre avait pris sa place. Tout étourdi de ses mésaventures, l’ex-juge de paix est encore à en rechercher la cause ; faute d’autres, ses amis croient la trouver dans son libéralisme éclairé et dans les élections que cette destitution a suivies de près.
Ce que je viens de dire fera, sans doute, sentir la nécessité de mettre un terme à la fausse position des juges de paix.
On m’objectera qu’avant de terminer l’organisation du personnel des justices de paix, il faut que la loi relative à la circonscription des cantons soit portée.
Messieurs, ce n’est pas à nous qu’il faut s’en prendre si cette loi n’a pas été mise en délibération, c’est le ministre qui devait la présenter ; il ne l’a pas fait quoiqu’il connût l’article 54 de la loi du 4 août 1832.
Cette négligence ne peut trouver d’excuse dans d’autres travaux du ministère de la justice, car je n’ai vu encore sortir de ce ministère aucune des nombreuses propositions que nous attendons de lui.
Je termine en priant la chambre de restreindre le plus possible le délai demandé, si toutefois elle juge nécessaire d’en accorder.
M. A. Rodenbach. - La loi sur les circonscriptions judiciaires n’a pu être portée, parce que nous avons été occupés de travaux longs et importants ; j’adopterai donc la loi proposée, parce qu’elle est indispensable.
Quant à la conduite du ministre, je ne puis en juger par ce qui s’est passé dans la province du Hainaut que je ne connais pas ; mais j’en juge par ce qui a été fait dans les Flandres ; or, dans ces contrées le ministre a agi comme tout bon administrateur doit faire : les déplacements qu’il a opérés étaient indispensables. J’attaque le ministère quelquefois avec trop de vivacité ; je dois donc aussi lui rendre justice lorsque ses actes sont conformes aux intérêts de notre révolution, aux intérêts du pays.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je remercie l’honorable préopinant de l’hommage qu’il a bien voulu rendre aux intentions du gouvernement, relativement à ce qui a eu lieu dans les contrées qu’il habite. Je l’en remercie d’autant plus que la chambre doit comprendre combien il serait difficile à un ministre d’entrer ici dans des questions personnelles. Je dois déclarer cependant que je n’ai révoqué des magistrats que dans des cas extrêmement rares, et que je n’ai jamais eu recours à cette mesure qu’après m’être environné des renseignements les plus circonstanciés fournis par les autorités judiciaires et administratives. J’ai consulté ensuite, pour les nominations, les cours, les parquets et les gouverneurs, qui n’ont donné leur avis qu’après s’être entourés des renseignements les plus propres à leur permettre d’exprimer une opinion avec connaissance de cause.
Que le gouvernement ait commis des erreurs, cela est possible ; l’autorité supérieure peut être trompée.
C’est la première fois cependant que des réclamations m’ont été adressées sans porter l’empreinte d’aucun intérêt privé ; car l’honorable M. de Robaulx, j’en suis persuadé, est incapable de se rendre ici l’organe de semblables intérêts.
Je ferai remarquer à cet honorable membre que la loi du 4 août 1832 n’imposait pas au gouvernement le devoir de présenter dans le cours de cette année, une nouvelle circonscription cantonale : l’idée de cette circonscription nouvelle a été suggérée au gouvernement par suite des réclamations nombreuses qui lui ont été adressées et qui lui arrivent encore.
Aussitôt que le gouvernement a été saisi de ces réclamations, il a demandé aux parquets de lui faire des propositions qui conciliassent les intérêts des localités avec ceux des magistrats. Il faut que les juges de paix aient une position meilleure, afin d’ouvrir la carrière à des sujets distingués : telles sont les vues du gouvernement.
Lorsque le travail des parquets a été terminé, il a été soumis aux députations provinciales ; ce n’est que depuis quelque temps que le travail des députations des provinces est parvenu au ministère. Le gouvernement a tâché de mettre d’accord les opinions très divergentes, quelquefois même entièrement opposées, des autorités provinciales et des autorités judiciaires. Il en est résulté un dernier travail qui a de nouveau été soumis à MM. les procureurs généraux.
Nous attendons leurs réponses pour soumettre le projet de loi à la chambre. C’est dominés par une force majeure que nous demandons un délai pour la nomination des juges de paix, et non dans le désir d’une influence quelconque. La chambre d’ailleurs, occupée de travaux urgents et importants, n’aurait pas pu donner immédiatement son attention au projet de loi dont il s’agit.
M. de Robaulx. - Je suis bien aise d’entendre que je ne suis pas l’organe d’un intérêt particulier : toutefois je suis toujours disposé à être ici le soutien du faible et de l’opprimé.
J’entends avec plaisir le ministre déclarer qu’il a pris les avis des autorités avant de prononcer des démissions ; dans ce cas ce seront les faux renseignements qu’on lui aura donnés sur des hommes capables, qui l’auront induit en erreur.
Quoi qu’il en soit, il ne m’a pas répondu sur le reproche que je lui ai adressé d’agir trop à la légère à l’égard d’hommes estimés dans l’ordre judiciaire : on ne les prévient pas de la destitution qui les menace ; ils sont frappés sans être entendus. Celui dont je parle est d’une opinion que je puis garantir, et son libéralisme ne peut laisser rien à désirer ; il est au moins égal à celui de M. Lebeau lui-même. Il a appris subitement que sa place était prise par un autre, et par un autre que je ne veux pas qualifier.
Il est important que la loi sur les circonscriptions cantonales soit promptement portée pour que les juges de paix ne restent pas définitivement sous le coup d’une destitution ; ne soient pas sans cesse exposés aux suites de rapports mensongers qui compromettent l’avenir d’un honnête père de famille.
M. de Brouckere. - La loi du 4 août impose, dans son article 54, l’obligation formelle au gouvernement de pourvoir à la nomination de juges de paix et de suppléants de juges de paix pour le 1er janvier 1834 ; il est vrai que cette obligation n’est assujettie à aucune condition.
Cependant le gouvernement, avant de pourvoir à ces nominations, a pensé qu’il fallait s’occuper des changements réclamés dans la circonscription actuelle des cantons. En effet, si on eût nommé à tous les emplois, il aurait fallu par des modifications cantonales accorder des pensions à des magistrats devenus superflus et surcharger le trésor ; mais si le ministre avait mis plus d’activité dans son travail, il aurait pu le présenter plus tôt à la législature. Ce travail, d’ailleurs, a été élaboré sous les Hollandais.
La loi que vous allez voter aujourd’hui n’est pas sans importance. La position des juges de paix est vraiment déplorable. Tout ce qu’a dit M. de Robaulx est d’une vérité parfaite : ils sont tous sous le coup d’une destitution ; ils sont tous incertains de leur avenir. Ils cherchent tous les matins dans le Moniteur, avec une curiosité certaine, s’ils ne sont pas remplacés.
Le ministre de la justice prétend qu’aucune destitution n’a été prononcée par lui sans l’avis des autorités ; mais souvent l’avis de ces autorités est dicté par des considérations personnelles. Je crois pouvoir dire, sans me tromper, qu’à l’occasion des élections il y a eu quelques démissions de juges de paix qu’il serait difficile de justifier. Dans l’état où en sont les choses, la porte est ouverte à l’intrigue. Je suis convaincu que M. le ministre de la justice est importuné tous les jours par des individus qui sollicitent des places dont les titulaires sont en fonctions et les remplissent dignement ; mais les solliciteurs supposent qu’à la veille d’un remaniement général il sera extrêmement facile d’écarter tel et tel et de prendre leurs places.
Les juges de paix ne peuvent donc pas être considérés comme des magistrats indépendants, quoique l’indépendance sont indispensable aux magistrats. Le ministre nous dit qu’il a cédé à une force majeure ; nous céderons également à une force majeure en adoptant la loi. Mais faut-il laisser le délai jusqu’au 1er octobre ? Je crois qu’on pourrait le mettre au 1er avril : d’ici au 1er avril, en effet, on pourrait voter la loi cantonale.
M. A. Rodenbach. - Le congrès avait décidé qu’on s’occuperait le plus promptement possible de l’organisation judiciaire ; malgré cette décision, la force des choses nous a forcés d’attendre ; nous pouvons encore attendre, relativement aux juges de paix jusqu’au 1er octobre.
Quant aux élections, je dis que l’on a bien fait de destituer des juges de paix, s’ils voulaient coopérer à les diriger dans un sens contraire au vœu national. Dans plusieurs provinces il y a des juges de paix orangistes ; faut-il les conserver, afin qu’ils travaillent les élections ? Pour moi, j’aime mieux qu’on appelle ici des ministériels que des orangistes ; il ne faut plus faire de concessions à ces derniers. Le ministre de la justice est louable d’avoir, par ses actes, dans le sens de la très grande majorité de la nation.
Je voudrais que tous les ministres fissent de même : dans l’administration des finances, il y a des employés orangistes ; il faut cependant que toutes les nominations soient faites conformément aux intérêts de la patrie, aux intérêts de la Belgique, et non conformément aux intérêts d’une nation que nous ne voulons plus voir dominer sur notre beau pays.
M. de Robaulx. - Messieurs, je désirerais voir disparaître de cette enceinte les dénominations d’orangistes…
M. A. Rodenbach. - Il y en a !
M. de Robaulx. - Si leurs opinions ne se manifestent pas au-dehors, je n’en vois pas. Avec des dénominations semblables on prend la place d’autrui. Ce n’est pas ainsi qu’on organise l’ordre judiciaire ou l’administration. Par ces déclamations vous laisserez supposer à l’étranger que le pays est plein d’orangistes, ce qui heureusement n’est pas. Il y a bien des hommes qui ont souffert et qui souffrent encore dans leurs intérêts par suite de la révolution ; consolez-les par de bonnes lois et en ramenant la prospérité dans le pays, et alors vous n’entendrez plus de plaintes.
M. A. Rodenbach. - Qu’un marchand, qu’un industriel soit orangiste, il est libre dans ses opinions ; mais le gouvernement ne doit jamais souffrir que des orangistes occupent les places. Je ne parle ici que contre les hommes qui reçoivent des subsides de l’Etat, qui ont prêté serment, et qui trahissent l’Etat en trahissant les intérêts de notre indépendance. S’ils sont honnêtes, ils doivent se retirer, ils doivent se faite justice à eux-mêmes. Ils ont forfait à l’honneur en ne donnant pas leur démission, puisqu’ils violent leurs serments.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il ne faut pas croire que le ministère se soit amusé à promener la faux des épurations sur les juges de paix, et dans l’intérêt d’une influence quelconque. Par un tableau qui a été soumis à la chambre lors de la discussion de mon budget pour 1833, on a vu que, parmi les mutations assez nombreuses opérées dans les juges de paix, il n’y avait eu que quatre ou cinq révocations. Depuis le dépôt de ce tableau entre les mains de la section centrale, pas une destitution n’a eu lieu, soit à l’époque des élections, soit après cette époque. Je puis donner un démenti formel aux renseignements qui auraient à cet égard induit l’honorable M. de Robaulx en erreur.
Quant à la proposition de fixer un délai plus rapproché que celui du projet de loi, en supposant que je pusse présenter la circonscription cantonale dans le courant du mois prochain, je ferai remarquer qu’il serait impossible qu’elle fût votée et mise à exécution pour le 1er avril : vous avez à discuter les budgets des dépenses, la loi sur le chemin de fer, la loi provinciale, et ces lois importantes prendront beaucoup de temps ; si l’amendement annoncé par M. de Brouckere était adopté, il faudrait très probablement, au 1er avril, accorder un nouveau délai. J’engage donc la chambre à voter le délai que je demande.
Je ne ferais aucune difficulté d’admettre un terme dans lequel toutes les nominations devraient être faites, à partir de l’adoption de la loi de circonscriptions ; ainsi, par exemple, deux mois après la promulgation de la loi, tous les juges de paix devraient être installés : un amendement de cette nature pourrait être accueilli par le gouvernement si on le présentait.
Le gouvernement sent très bien quelle est la position des juges de paix : il ne veut pas chercher son influence dans la dépendance judiciaire. Il ne faut pas, au reste, s’exagérer cette influence : les juges de paix ne peuvent pas rendre de bien grands services au pouvoir ; ils ne sont pas dans la position élevée et influente des magistrats que l’ancien gouvernement a cherché à tenir pendant quinze années dans sa dépendance.
Par ces considérations, je dois persister à demander l’adoption pure et simple du projet en discussion, tel que l’a admis la section centrale,
M. de Brouckere. - Quand nous en serons à la discussion de la loi sur les circonscriptions cantonales, je demanderai la nomination la plus prompte possible des juges de paix. Je n’insisterai donc pas sur ma proposition.
Puisque j’ai la parole, je témoignerai à l’honorable député de la Flandre le regret que j’éprouve d’avoir entendu sortir de sa bouche la provocation qu’il fait aux ministres d’opérer de nouvelles destitutions. Point de concession aux orangistes, s’est-il écrié ! Evitons de ranger la nation en catégorie ; gardons d’éloigner de nous des hommes qui n’ont d’autre tort peut-être que de ne s’être pas ralliés assez tôt sous nos bannières et qui n’attendent qu’un accueil favorable pour s’y rallier de bonne foi : vous les empêchez de devenir tous patriotes, d’être utiles à la pays, alors qu’ils ont les meilleurs intentions du monde. Laissons aux diatribes quotidiennes des feuilles publiques le soin malheureux de ranger ainsi la nation en classes, en castes ; ce n’est pas là le devoir de la législature. Nous devons rester impartiaux.
Qu’un juge de paix soit soupçonné de voir la révolution avec regret ; s’il remplit bien ses fonctions, s’il ne cherche pas à répandre de funestes doctrines, pourquoi le déplacerait-on ? Avons-nous besoin de descendre dans le sanctuaire de la conscience pour savoir ce qui s’y passe ? Ce qu’il faut à un magistrat c’est l’impartialité, c’est la connaissance des lois, c’est le sentiment profond du juste et de l’injuste : que nous importe une opinion politique quand elle est secrète ?
M. Quirini. - Je désapprouve la position pénible dans laquelle se trouvent les juges de paix ; la commission a été frappée de cet inconvénient grave, mais elle a été également frappée de la nécessité de changer les circonscriptions communales.
Les circonscriptions actuelles ont été formées pour imposer aux habitants du pays l’obligation de parler ou d’entendre une langue qu’ils n’ont jamais comprise ; nous devons anéantir cet absurde édifice.
Quant au délai demandé par le ministre, il ne me semble pas trop long , parce que la loi de circonscription présentera de graves questions à traiter.
Relativement au reproche d’orangisme adressé à des fonctionnaires amovibles, je partage entièrement l’opinion de M. de Brouckere : je crois qu’après une révolution il faut tâcher de réconcilier et non de mettre les partis en présence. Il est bien difficile de connaître l’opinion d’un individu : tel qu’on signale comme un orangiste n’est souvent qu’un malheureux dont les intérêts ont été froissés, II ne faut pas traquer comme des bêtes fauves ceux qu’on croit orangistes : examinez s’ils sont hommes d’honneur, alors soyez sûrs qu’ils seront fidèles à leurs serments.
M. Dumortier. - J’aurais quelques mots à répondre à ce qu’ont dit les honorables préopinants.
Dans mon opinion, les fonctionnaires publics ne sont pas inféodés au pouvoir, ne sont pas nécessairement les instruments des passions ministérielles ; et je blâmerai le ministère toutes les fois qu’il voudra, par des considérations qui lui seront personnelles, faire fléchir les hommes qui sont dans les emplois.
Mais il faut bien reconnaître en même temps que dès que la nation a manifesté sa volonté d’une manière aussi solennelle qu’elle l’a fait à la révolution, tout fonctionnaire doit se ranger sous le drapeau qui a été arboré ; sans quoi il est passible d’une destitution. (Marques d’adhésion.)
Maintenant, messieurs, j’arrive à la question qui nous occupe.
Je ferai remarquer qu’il n’est pas nécessaire de reculer très loin l’époque de la nomination des juges le paix. La loi sur la circonscription cantonale est très urgente, et tellement urgente qu’elle doit précéder le vote de la loi sur l’organisation provinciale.
Nous avons une organisation municipale qui marche assez bien ; mais, pour ce qui est de l’administration provinciale, elle est une perpétuelle inconstitutionnalité.
La constitution dit qu’il n’y a plus d’ordres, et les états-députés ont été nommés par les ordres ; la constitution ne reconnaît que l’élection directe, et les états-députés ont été nommés indirectement.
La constitution attribue tout ce qui est d’intérêt provincial aux conseils provinciaux, et, depuis trois ans que la révolution est faite, vous n’avez pas de conseils provinciaux. Les besoins de la société réclament promptement la loi provinciale ; mais comment la faire sans les circonscriptions cantonales ? Les élections des conseils provinciaux doivent, d’après le projet de loi, se faire d’après les circonscriptions cantonales et d’après leurs populations. Il faut absolument que la loi cantonale précède l’autre, et le ministre ne saurait trop se hâter de nous présenter cette loi cantonale. Elle sera promptement votée, car personne ne sera disposé à entrer dans des détails minutieux, et toutes les améliorations se feront dans la section centrale ; par conséquent le délai qu’il faut accorder au ministre ne doit pas être si long qu’on le demande.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Les observations de l’honorable préopinant sont parfaitement justes. Je crois comme lui qu’il est difficile et même impossible d’arrêter la circonscription cantonale dans ses rapports avec l’organisation des conseils provinciaux avant que la circonscription cantonale judiciaire n’ait été déterminée. Aussi ai-je dit, et probablement l’honorable membre n’était pas alors présent, que je ferais tous mes efforts pour présenter la loi concernant ce dernier objet dans le courant du mois prochain.
Vous le sentez tous, messieurs, l’époque ne dépend pas entièrement de moi. J’attends, pour vous soumettre ce projet, les derniers renseignements qui me sont nécessaires. Ces renseignements m’ont déjà été transmis par le parquet de Bruxelles ; j’espère bientôt recevoir les autres des parquets de Gand et de Liége, et ce n’est qu’après les avoir obtenus que je pourrai accomplir ma promesse.
Je ferai remarquer toutefois que la discussion de la loi provinciale n’est pas tout à fait subordonnée à l’adoption du projet de circonscription cantonale judiciaire, car dans la loi provinciale vous aurez d’abord à vous occuper de l’organisation du personnel et des attributions, ce qui compose la partie importante de cette loi ; ce n’est que dans un des derniers articles qu’il s’agira de la circonscription des collèges électoraux ; de sorte que cette discussion ne doit pas être ajournée par le retard qu’on poursuit apporter à la présentation de la loi dont il s’agit.
L’honorable préopinant pense que le projet de loi sur l’organisation cantonale judiciaire n’exigera pas beaucoup de temps, et qu’il sera voté par la chambre à peu près dans les termes où il sera présenté par gouvernement.
Il se fait grandement illusion, et il aura occasion de s’apercevoir qu’à cette occasion beaucoup d’intérêts de localités s’agiteront autour de cette chambre ; lui-même sans doute sera assailli de demandes de cette nature. Ce ne sera pas une querelle de province à province, de ville à ville, mais une dispute de village à village.
Si, par exemple, le gouvernement, d’après les renseignements qu’il s’est procurés, croit qu’il y a lieu de déposséder une localité de sa qualité de chef-lieu de canton, eh bien de nombreuses réclamations s’élèveront à cet égard.
Déjà, dans l’espèce d’enquête à laquelle le gouvernement a procédé, ces discussions ont été vives, et des pétitions nombreuses en font foi. La délibération du projet ne sera donc pas si courte qu’on semble le croire, et c’est dans cette prévision et eu égard à la maturité que vous devez apporter à l’examen de la loi provinciale que j’ai fixé la date du 1er octobre. Mais je prends l’engagement, et vous comprenez que cela est dans l’intérêt bien entendu de la responsabilité du gouvernement, de ne pas prolonger le délai que j’ai assigné tout à l’heure, à moins d’y être forcé. (La clôture ! la clôture !)
M. Dumortier. - Je demande la parole contre la clôture. Il me semble que l’assemblée ne trouvera pas mauvais qu’on discute encore un instant sur ce dernier incident qui est d’une haute importance.
- La chambre consultée ferme la discussion générale.
On passe à celle des articles.
« Art. 1er. Le délai fixé par l’article 54 de la loi du 4 août 1832 (Bulletin officiel, n°582), pour la nomination des juges de paix, est prorogé jusqu’au 1er octobre 1834. »
M. Dumortier. - Je demande qu’on change l’époque du 1er octobre en celle du 1er avril.
M. de Theux. - Je ferai observer qu’il serait imprudent de fixer un délai aussi court, car il faut que la loi, après avoir été votée par la chambre, soit adoptée par le sénat.
M. de Robaulx. - Je demande qu'on mette le 1er juin.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne m’opposerais pas à la fixation au 1er juin, si j’étais sûr que la loi de circonscription cantonale fut adoptée pour le 1er mars, ou même pour le 1er avril. Dans ce cas, je le répète, je ne verrais pas d’inconvénient à fixer le 1er juin, le 1er mai et peut-être le 1er avril.
Mais j’ai déjà fait remarquer que la loi de circonscription exigera probablement une longue discussion. Si je demande cette prolongation, c’est pour ne pas être obligé plus tard de venir réclamer un nouveau délai de la chambre ; car on s’est expliqué ici trop franchement de part et d’autre, pour que je n’obtienne pas un nouveau délais si on limitait trop le premier ; mais je pense qu’il n’est pas utile, pas convenable d’occuper sans cesse la chambre de lois transitoires. D’ailleurs, messieurs, si vous avez assez de confiance dans le gouvernement pour lui accorder trois mois, vous ne pouvez guère lui refuser trois autres mois.
Déjà, si je l’avais voulu, me prévalant des dispositions de la loi du 4 août, j’aurais pu proposer la retraite ou la révocation, avant le 31 décembre, d’autant de juges de paix que je l’aurais trouvé convenable. C’est un droit qui se trouve formellement stipulé dans la loi du 4 août. Si donc je prie la chambre de ne rien changer au délai que j’ai proposé, c’est sans aucune arrière-pensée. Le gouvernement prend volontiers l’engagement, la loi de circonscription votée, de procéder, dans le plus bref délai possible, à la nomination des juges de paix. On peut prendre acte de ces paroles.
M. d’Huart. - Il me semble que le but que s’est proposé M. Dumortier, c’est de hâter la présentation de la loi de la circonscription cantonale judiciaire, pour qu’elle ait lieu avant la discussion de la loi provinciale. Si M. le ministre fait une promesse dans ce sens, il n’y aura plus de difficulté.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je prendrais d’autant plus volontiers cet engagement qu’il est moins rigoureux que celui que j’ai pris tout à l’heure, puisque j’ai promis de faire tous mes efforts pour présenter la loi dans le courant de janvier.
M. Dumortier. - D’après ce que vient de dire M. le ministre de la justice, je retire ma proposition.
- L’amendement de M. de Robaulx tendant à fixer le 1er juin est mis aux voix et rejeté.
L’article premier du projet de loi est adopté sans modification, ainsi que l’article 2 ainsi conçu : « La présente loi sera obligatoire le jour de sa promulgation. »
On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de ce projet. Il est adopté par 62 voix contre une.
M. Brabant, rapporteur de la commission, se dispose à lire ce travail ; mais on en demande l’impression et la distribution, qui sont ordonnées.
M. Brabant, rapporteur. - Messieurs, je dépose en même temps sur le bureau le rapport du projet de loi relatif au contingent de l’armée pour 1834. C’est le même que celui de 1833. Les circonstances exigeant le maintien d’une armée considérable, au moins sur le papier, la commission, à l’unanimité, vous propose l’adoption de ce projet.
- La séance est levée à trois heures et demie.