Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 9 décembre 1833

(Moniteur belge n°345, du 11 décembre 1833)

(Présidence de M. Raikem.)

La séance est ouverte à une heure moins un quart.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

Après l’appel nominal, l’un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Propositions visant à fixer le commencement de l'année budgétaire au premier juillet

Lecture et développements (première proposition)

M. Pirson. - Ma proposition est ainsi conçue :

« Léopold, etc.,

« Considérant qu’aux termes de l’article 70 de la constitution, les chambres se réunissent de droit en session ordinaire le second mardi de novembre ;

« Considérant que l’intervalle depuis ce jour jusqu’au 1er janvier suivant est insuffisant pour l’examen et la discussion des budgets, tant par la chambre des représentants que par le sénat ;

« Nous avons de commun accord avec les chambres, décrété et nous ordonnons ce qui suit :

« Art 1er. L’année financière commencera dorénavant au 1er juillet.

« Art. 2. Ce changement s’opèrera à partir du 1er juillet 1834 jusqu’au 30 juin 1835 inclusivement, et ainsi de suite d’année en année.

« Art. 3. Un budget transitoire sera voté pour six mois ; à partir du 1er janvier 1834 jusqu’au 30 juin inclus de la même année. »

M. le président. - Quel jour la chambre veut-elle entendre les développements de M. Pirson ?

M. Pirson. - Si la chambre me le permet, deux mots suffiront pour développer ma proposition. Les considérants en disent assez pour faire sentir la position où se trouvent la chambre des représentants et le sénat, par rapport à la discussion des budgets. Il est impossible que, dans l’état actuel des choses, le sénat soit à même de se livrer à un examen mûr et approfondi, et cependant il importe que le contrôle de ce corps ne soit pas une dérision. Je crois donc que mon projet de loi ne rencontrera pas d’opposition.

Maintenant, il y a une dissidence entre la commission centrale qui nous a fait son rapport et moi, mais uniquement en égard à la forme. Cette commission voudrait que le changement que je propose pour le 1er juillet 1834 ne s’opérât qu’à partir du 1er juillet 1835. Le motif qui m’a déterminé, c’est que le ministère, ainsi que vous l’avez tous entendu, messieurs, a annoncé qu’il était prêt à proposer de nouvelles lois financières, et que d’ici au 1er juillet prochain nous pourrons peut-être en examiner quelques-unes. Si vous ajourniez cette mesure jusqu’en 1834, il en résulterait qu’il vous faudrait voter un budget de dix-mois, tandis que d’après mon mode à moi il n’y aurait qu’un budget de six mois. Voilà toute la différence.

M. le président. - Je vais consulter la chambre pour savoir si elle est d’avis de la prise en considération.

M. Pirson. - Je ne crois pas qu’on puisse délibérer dès à présent parce que la question de savoir si l’on doit admettre la date du 1er juillet 1834 ou du 1er juillet 1835 est très importante et a besoin d’être attentivement méditée.

Dépôt (seconde proposition)

M. Verdussen. - Conformément à ce que j’ai annoncé à la suite du rapport que j’ai eu l’honneur de faire devant la chambre au nom de la section centrale, je viens de déposer sur le bureau une proposition tendante à fixer au 1er juillet 1835 le principe posé par M. Pirson. Je désire qu’on ne discute sur la prise en considération de celle de M. Pirson qu’au moment où la lecture de la mienne aura été autorisée.

M. Pirson. - Je crois que M. Verdussen a déjà reconnu la nécessité de ce changement. Il n’y a de difficulté que relativement à l’époque où il sera introduit. Mais il me semble qu’il n’est pas indispensable de faire passer la proposition de M. Verdussen par la filière du règlement.

L’honorable membre peut en faire un amendement à la mienne, ou bien je demande qu’on réunisse les deux propositions ensemble.

- Plusieurs voix. - Il faut suivre le règlement.

M. le président. - Le jour sera fixé ultérieurement pour la prise en considération, et demain les sections seront convoquées pour savoir si elles autorisent la lecture de la proposition du M. Verdussen.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1834

Discussion générale

(Note du webmaster : Le discours qui suit est repris dans un supplément d’un Moniteur dont la date n’a pas pu être déterminée) M. F. de Mérode. - Messieurs, avant de venir au budget des voies et moyens, je crois que nous devons en terminer avec la convention de Zonhoven, et j’ai demandé la parole pour cette discussion.

Messieurs, à entendre les censures impitoyables sans cesse à l’ordre du jour dans cette enceinte, on pourrait faussement se la figurer sous l’apparence d’une volière (on rit) qui contiendrait des aigles et des oies. (Nouveaux rires.) Les oies, bien entendu, représenteraient les individus qui ont appartenu ou appartiennent encore au gouvernement (hilarité) ; les aigles, certains membres qui constituent la fulminante opposition.

Cependant la volière (explosion d’hilarité), qui me sert ici d’image, n’est certainement point occupée par ces deux catégories d’oiseaux si divers. (Rire général.)

M. A. Rodenbach. - La chambre n’est pas une ménagerie.

M. F. de Mérode. - Tous plus ou moins imparfaits, ils diffèrent entre eux particulièrement sous ce rapport que les uns reçoivent force gros et lourds coups de bec (nouvelle hilarité), que les autres distribuent avec un bizarre acharnement. D’ailleurs, on n’aperçoit parmi les seconds ni un plumage plus beau, ni des ailes plus vigoureuses, ni des yeux plus capables de fixer en plein midi le disque du soleil, leur supériorité, si toutefois la chose mérite ce nom, consiste dans un gosier dans les modulations sont très intenses et pénètrent les oreilles, quelle que soit leur défectuosité.

Pardonnez-moi, messieurs, la comparaison véritablement symbolique que je viens de vous soumettre ; elle me paraît parfaitement appropriée à ce qui se passe dans notre intérieur, et c’est d’ailleurs la seule réponse que j’adresserai à tous ces éclats de voix tonnantes, aux bravos qui les accompagnent, aux expressions injurieuses, superfétations parasites et nauséabondes qui encombrent si mal à propos le champ clos de nos débats.

Ce préambule établi contre de ridicules prétentions, j’entre en matière et j’aborde le discours d’un membre de cette chambre, qui ne partage pas mon opinion, quant à l’objet en litige aujourd’hui. J’aborde le discours de mon honorable ami M. Pollénus, qui a traité la question en elle-même sans y mêler les accessoires d’une rhétorique fougueuse et dépourvue d’urbanité.

Le ministre de la guerre, a dit M. Pollénus, a présenté la question comme une question de bonne foi, et c’est sur ce terrain que je vais le suivre. Voyons, messieurs, si c’est en effet sur ce terrain que l’honorable député du Limbourg a suivi M. le général Evain, dont voici les paroles essentielles, paroles qui résument les motifs de sa conduite : « Je crois, messieurs, avoir rendu un véritable service au pays en consolidant, par cette convention militaire, l’état d’armistice jusqu’à la conclusion définitive des arrangements à terminer entre les deux puissances. C’est pour en justifier toutes les dispositions, tant sous le rapport militaire que sous celui des intérêts bien entendus du pays, que j’ai l’honneur d’appeler votre attention sur les considérations que je vais exposer. »

Ces considérations exposées par le ministre sont : 1° que la convention du 21 mai stipulant d’une part l’ouverture de la navigation de la Meuse au commerce belge, conformément aux dispositions de la convention de Mayence relative à la liberté de la navigation du Rhin, en tant qu’elle peut être applicable à celle de la Meuse, stipule de l’autre part des communications libres et sans entraves (remarquez bien ces mots : sans entraves) de la forteresse des Maestricht avec la frontière du Brabant néerlandais ; 2° M. le ministre passe en revue les quatre routes existantes entre ces deux points, et démontre que la route choisie par les commissaires de Zonhoven est la plus convenable pour les deux parties contractantes ; en troisième lieu, il affirme, non sans preuves, qu’il est douteux que le gouvernement hollandais fût aussi pressé qu’on le pense de renouveler la garnison de Maestricht ; enfin il demande s’il fallait sans nécessité laisser nos troupes cantonnées sur la frontière, et prodiguer des sommes énormes qui ne pouvaient avoir aucun résultat utile, puisque la Meuse était ouverte, conformément à la convention du 21 mai, rappelée dans celle de Zonhoven ; continuer de frapper de logements militaires une province qui en a déjà tant souffert, priver de troupes les villes de garnison et refuser des congés temporaires aux jeunes gens qui paient à la patrie une charge très pénible, remettant ainsi en question toutes les économies du budget de la guerre pour 1834.

Voilà donc la question primitive présentée de bonne foi par le général Evain du côté pratique, c’est-à-dire du seul côté véritablement intéressant pour le pays. Est-ce à ce côté pratique que s’est d’abord attaqué M. Pollénus ? Non, messieurs, il s’est plus à analyser des notes de M. Van de Weyer, remises à la conférence. Il a très judicieusement sans doute saisi certaines contradictions qui se rencontrent entre ces notes et le système de transaction plus facile adopté par le ministère ; mais je lui demanderai avec la même bonne foi que l’honorable ministre de la guerre : Que sont des notes ?

Les notes ont-elles un autre but que d’arriver à un résultat possible et prompt, lorsqu’on dépense des sommes considérables ? Ces notes maintenues, les explications successives dans la plus parfaite conséquence mutuelle remplacent-elles les billets d’emprunt et les écus que les chicanes prolongées entre les nations arrachent aux contribuables ? les notes les plus régulièrement conformes et les plus satisfaisantes pour l’amour-propre des diplomates qui les ont rédigées, offrent-elles au commerce et à l’industrie les débouchés que leur procure une trêve illimitée, et plus explicite depuis la convention de Zonhoven ?

Enfin l’accord infaillible et inattaquable des explications fournies par M. le général Goblet, avec d’autres pièces soumises à notre investigation, serait-il enfin le nec plus ultra de l’honneur et de la félicité publique ? Quant à moi, messieurs, j’ignore l’art de soumettre des écritures à un minutieux contrôle. Dans les affaires particulières plaidées devant les tribunaux, cet art peut être infiniment utile, mais dans les procès entre peuples divisés, les faits sont les meilleurs documents, et la raison la plus valide des traités. L’essentiel dans l’affaire qui nous occupe est donc de savoir s’il était avantageux au pays de conclure sans retard indéfini la convention de Zonhoven, ou s’il était préférable de l’ajourner ; en troisième lieu, et c’est selon moi la plus digne de recherche, s’il était possible sans retarder ladite convention de la conclure à de meilleures conditions.

En effet, messieurs, si par négligence et maladresse le conseil des ministres, et M. le ministre de la guerre en ce qui le concerne, ont pu obtenir des stipulations plus propres à vous donner une complète sécurité, ils sont dignes de blâme assurément.

On a discuté avant-hier pendant toute une longue séance, et cependant, sauf les mots honneur et dignité que chacun entend à sa manière, je n’ai pas entendu établir la compensation de notre dépense journalière de 30 mille francs nécessaires pour l’entretien du corps d’observation destiné à empêcher la communication militaire de Maestricht avec le Brabant néerlandais ; je n’ai pas ouï expliquer non plus quelles devraient être les mesures à prendre, afin de maintenir la libre navigation de la Meuse en dépit du mécontentement des Hollandais, s’ils nous trouvaient trop difficiles dans nos prétentions, et interceptaient le passage de nos bateaux.

Faudrait-il recourir subitement aux armes ou bien interjeter de nouveaux appels à la conférence ? le premier moyen ne serait pas très favorable au trésor public, qui par conséquent à notre cause, car j’ai entendu dire à M. Dumortier lui-même, tout belliqueux qu’il soit, que la guerre entre la Belgique et la Hollande était désormais une guerre de finances, et que le premier qui succomberait devait être celui des deux partis dont les ressources pécuniaires se trouveraient plus tôt épuisées. Le recours à la conférence me paraît bon à réserver pour les grandes occasions ; hors de là, je ne suis pas d’avis d’en user ! la raison en est fort simple ; j’aime mon pays comme moi-même, si ce n’est plus que moi-même, et lorsqu’il s’agit de mes intérêts particuliers, j’évite autant que possible l’intervention des tribunaux. Je n’y cherche gain de cause qu’à la dernière extrémité.

Mais j’entends des hommes de cœur me dire : N’est-il pas honteux qu’un pays de quatre millions d’hommes ne puisse imposer la loi au voisin qui n’en a que deux millions ? je répondrai à ce calcul plus arithmétique que raisonné.

Des milliers de cœurs, fussent-ils aussi grands que ceux de César ou d’Alexandre ou de M. Dumortier, ne suffisent pas pour passer un marais. Le général Sébastiani, avec tous les cœurs français qui étaient à sa suite, n’a pu se saisir de quelques centaines de Hollandais fumant leur pipe dans Liefkenshoek et Lillo. Il a, pour me servir du langage usité, subi la profonde humiliation de ne pouvoir approcher de ces forts et de rentrer en France sans avoir déblayé nettement le territoire belge comme il en avait la mission.

La révolution de septembre n’a donc pas changé la nature du sol de la Hollande, laquelle a résisté à Louis XIV. Elle n’a pas desséché les larges rivières de cette contrée, rasé ses places fortes de premier ordre, apaisé la jalousie des grandes puissances de l’Europe, jalousie qui a limité ses frontières dans le cercle tracé par le traité du 15 novembre. Cela peut être vexant pour nous tous, hommes de cœur ou hommes de réflexion ; mais il faut nous soumettre à l’empire de la nécessité. Briser la patrie contre un roc est un acte liberticide et inhumain ; et peut-on considérer comme une lâcheté, comme une infamie de s’en être abstenu ?

J’en reviens à la convention de Zonhoven, et je demande quelle preuve on apporte de la supposition que des clauses plus satisfaisantes pouvaient être obtenues par nos commissaires.

L’honorable ministre de la guerre nous a dit que depuis longtemps la garnison de Maestricht en retour d’une certaine liberté de navigation qu’elle accordait à travers la forteresse, pouvait faire passer chaque jour et vice versa trente hommes aux frontières du Brabant néerlandais, et que cependant elle n’avait profité pendant quatre mois de cette faculté que pour une centaine de soldats et très peu d’officiers.

En opposition à ce renseignement assez positif, le champ des conjectures est ouvert ; mais, en outre, ceux qui connaissent la répugnance du roi Guillaume à traiter de la manière même la plus indirecte avec le pays qu’il regarde encore comme rebelle, ceux-là, dis-je, croiront volontiers que les instructions données à ses commissaires hollandais n’étaient ni larges ni flexibles en beaucoup de points. Faut-il que nous mettions dans la solution de nos différents avec la Hollande la même raideur que notre ancien roi ? Devons-nous être surtout soumis aux mêmes susceptibilités ?

Dans les procès entre particuliers, du moins au temps du bon Lafontaine, l’huître était pour les juges, les écailles pour les plaideurs ; dans les débats entre nations, trop souvent l’huître n’est pour personne. Ainsi la querelle suscitée par la maison d’Orange entre les Belges et les Hollandais a déjà dévoré 400 millions, lesquels, employés en travaux d’utilité publique, eussent fait de l’ancien royaume des Pays-Bas une terre de promission.

Eh bien ! messieurs, cette affreuse et inutile consommation de ressources sociales n’est-elle pas assez regrettable ? Faut-il l’augmenter encore au bénéfice du génie du mal, d’un prétendu honneur, d’une dignité imaginaire qui épuisent nos derniers moyens, moyens dont on viendra ensuite demander compte au ministère pendant la discussion du budget ? car alors le système d’attaque change tout à coup : il n’est plus question d’honneur et de dignité, mais des sueurs du peuple, de ce peuple qui, dit-on, n’a pas soutenu l’effort révolutionnaire pour payer les impôts de Guillaume ; et ce nom d’impôts de Guillaume est d’une grande élasticité.

Messieurs, les réclamations les plus contradictoires, on en conviendra, se précipitent comme un chaos sur le gouvernement. Faites d’une part, crie-t-on, faites de l’honneur national ; soyez d’une susceptibilité intraitable à cet égard. De l’autre : Ouvrez des débouchés au commerce et à l’industrie, diminuez les charges publiques, procurez-nous les bienfaits de la paix ; tout cela est assurément incompatible. Entendez l’honneur comme on nous le prêche, et vous traiterez la fortune publique à peu près aussi avantageusement que les plaideurs, toujours prêts à soutenir le moindre procès à outrance, traitant leur fortune particulière.

Les avocats, les procureurs des nations, ce sont les soldats. Le juge, c’est le sort des armes. Avez-vous pour système de satisfaire l’amour-propre national ? employez exclusivement et sans vous embarrasser du peuple, toutes les ressources à tenir sur pied des armées formidables, des flottes nombreuses ; ne manquez pas surtout de les confier à la direction des chefs les plus habiles ; et en définitive, si vous n’êtes pas vainqueurs, vous aurez pour vous la honte et les malédictions de vos provinces exténuées ; vous imiterez le gouvernement hollandais qui nourrit sa nation de la fumée de la gloire conquise à Hasselt, et la ruine d’emprunts et de contributions croissantes.

La mission du ministère présent, comme la mission de ceux qui l’ont précédé, a été moins avantageuse. Il a su la remplir avec persévérance, et l’histoire, plus équitable que les partis, reconnaîtra les services qu’il a rendus depuis le jour où MM. Goblet, Rogier et Lebeau conclurent courageusement l’acte de leur association gouvernementale. Quel était alors l’état du pays ? la citadelle d’Anvers, la Tête-de-Flandres et plusieurs forts maintenant au cœur de nos belles provinces, l’ennemi toujours menaçant ; la situation des finances était précaire, les fonds publics à vil prix ; la reconnaissance de deux grandes puissances de l’Europe n’avait pas reçu une dernière et solennelle sanction.

Tout s’est amélioré, vivifié, consolidé sous ce ministère, prétendu incapable et sans énergie. Anvers est délivré ; des terrains, aussi étendus que précieux pour l’agriculture, seront de nouveau fertilisés. Les effets publics sont presque au pair, résultat qu’un pays puissant de 32 millions d’hommes n’a obtenu qu’après plusieurs années de paix. Et, chose inouïe, des armes disproportionnées, comparativement aux territoires et à la population, ont été entretenues magnifiquement avec des diminutions dans les charges publiques, tandis qu’en Hollande les emprunts ont été plus que triples des nôtres, et accompagnés de surtaxes nouvelles ou d’augmentation des anciennes.

Je sais qu’on pourra reporter l’amélioration de nos affaires sur la Providence seule ; j’y consens volontiers ; je ferai abstraction du zèle, de l’activité, de la fermeté unie à la prudence, qu’ont déployée nos plénipotentiaires à Londres, et notamment M. le général Goblet ; je ferai abstraction de leurs efforts patriotiques, et je dirai que si la providence nous a traités dernièrement avec faveur, nous ne devons pas être injustes envers ses instruments, et n’avoir à leur distribuer que des plaintes et des reproches rebutants.

D’ailleurs, si j’en crois un honorable membre placé à ma gauche, les ministres, qu’il n’aime pas assurément (ainsi son témoignage n’est pas suspect) les ministres ont été forcés de conserver leurs portefeuilles dont personne ne voulait se charger ; et cependant un autre membre, placé à ma droite, leur a déclaré qu’ils doivent s’en aller au plus vite, et céder le poste aux hommes capables : le tout est de savoir où sont les capacité d’action un peu plus rares que les capacités de censure, et encore si les capacités d’action consentent à s’exposer à une critique acrimonieuse, sans règle et sans frein.

Ici, je puis citer, entre mille autres exemples, à l’appui de mes paroles, la discussion que vous avez entendues à la fin de la séance de vendredi dernier. Quel était le nouveau crime pour lequel le ministre des finances se trouvait poursuivi devant nous ?

Ce forfait inconstitutionnel consistait dans une minime indemnité consentie pour la fabrication de la monnaie d’argent, et prise sur le bénéfice qu’avait procuré le monnayage de cuivre. Cette indemnité légère et motivée de 3,000 fr. pour une fabrication de la valeur d’un million, le ministre a cru posséder le droit de l’accorder au directeur de la monnaie : il vous a dit, messieurs que s’il s’était trompé, il avait agi de bonne foi, qu’il était prêt désormais à soumettre à la sanction législative la continuation de la mesure prise d’abord par lui seul, dans l’intérêt public. Cette réponse sincère ne devait-elle pas arrêter tout blâme ultérieur d’une faute de si peu d’importance ? loin de là ; elle a ranimé l’accusateur, au point qu’il n’a pas craint de formuler une sorte de propositions tendantes à prélever sur les appointements du ministre les faibles sommes dont il avait disposées utilement, mais hors des strictes règles légales qu’aucun précédent n’avait encore signalées à son attention. Que penser, messieurs, de la dignité de notre gouvernement, si les ministres, premiers fonctionnaires de l’Etat, étaient exposés à de telles amendes ?

Mais, pour justifier à leur égard cette rigueur pharisaïque, quel est donc le sophisme sans cesse mis en avant ? Le voici, et je désire le combattre une fois pour toutes. On connaît notre attachement à la constitution, et l’on dit : Toute atteinte portée à la constitution est d’une haute gravité ; et, avec ce principe, toutes les notions de la justice universelle sont renversées.

Non, messieurs, toute atteinte portée à la constitution n’est point d’une haute gravité. La loi fondamentale est, comme toutes les lois, susceptibles d’éprouver des violations flagrantes et majeures, des atteintes plus ou moins graves et de légères infractions, suite d’erreur involontaire ou d’imprévoyance excusable. La loi fondamentale est des plus importantes assurément, mais elle n’est pas plus indispensable à la société que le respect dû aux propriétés et aux personnes.

Eh bien sous prétexte qu’il est indispensable de respecter les propriétés et les personnes, qui s’est imaginé de confondre un coup donné par mégarde avec un assassinat ? la soustraction d’un centime avec le vol du banqueroutier frauduleux qui ruine un honnête père de famille ? Si je me suis permis cette digression, messieurs, c’est qu’avec des mots ronflants, débités en interminables mercuriales adressées aux ministres, nous sommes occupés des semaines entières de vaines récriminations. Quelque bon qu’il puisse être de gourmander du matin au soir et du soir au matin les hommes constamment répréhensibles, dont le Roi, selon l’assurance qui nous en a été donnée naguère par M. Doignon, a été forcé de composer son conseil, ne serait-il pas préférer de doter sans retard le pays des institutions qui lui manquent, du chemin de fer et d’autres projets de la plus grande urgence ?

Chaque jour, je l’avoue, je subis dans cette enceinte une véritable torture morale, par suite du gaspillage épouvantable que l’on y fait d’un temps précieux, et dont la valeur semble complètement méconnue. Je n’entends parler que de lois ; tout doit être réglé par des lois, les plus simples affaires sont soustraites à l’action directe du pouvoir exécutif et renvoyés au règlement de la loi. Portez donc ces lois que vous réclamez sur toute matière, et, pour les décréter, le temps doit être utilisé et non perdu comme il l’est depuis trois ans.

Il m’en coûte, messieurs, d’abuser de vos moments, mais je vous demande encore la permission de vous dire quelques mots de la convention de Zonhoven. Ne craignez pas que j’examine la difficulté singulière qu’on a opposée au gouvernement, en lui contestant, surtout après la convention du 21 mai, le droit de laisser passer les Hollandais sur le territoire belge ; je m’en occuperai soigneusement lorsque la navigation à travers les airs, au moyen des ballons, aura suivi les progrès de la navigation par la vapeur sur les eaux.

Une objection plus sérieuse et seule digne d’attention, selon moi, a été soulevée, et elle s’attache à l’absence de limitation du nombre de troupes que les Hollandais peuvent introduire dans Maestricht. Je comprends les inquiétudes que peut faire naître telle faculté si large ; toutefois elle résulte assez positivement des expressions de l’article 4 : « Les communications entre Maestricht et le Brabant néerlandais sont libres et sans entraves. »

Je ne me flatte point de posséder les connaissances stratégiques suffisantes pour apaiser sur ce point les craintes de mes collègues. C’est un objet qui concerne spécialement M. le ministre de la guerre. Je dirai seulement que je considère notre existence nationale trop affermie maintenant pour croire que quinze ou même vingt mille hommes isolés dans Maestricht puissent la compromettre ; et j’en reviens toujours à cette idée principale qu’un budget mis en rapport paraît avec nos voies et moyens, et suffisant pour l’entretien d’une force effective de 40 mille hommes, est le meilleur boulevard contre la Hollande et les prétentions de son roi.

(Moniteur belge n°345, du 11 décembre 1833) M. Pollénus. - Messieurs, l’honorable préopinant m’a rappelé sur le terrain où j’avais déclaré avant-hier vouloir suivre le ministre de la guerre. Je m’attacherai seulement à démontrer, autant qu’il sera en moi, que je n’ai pas dévié du plan que je m’étais tracé ; et, sans m’occuper du préambule du discours de M. de Mérode, que les remarques d’approbation de l’assemblée m’ont empêché de saisir (on rit), j’arriverai immédiatement à ce qui concerne les moyens que j’avais fait valoir, à l’effet de prouver que la convention de Zonhoven est contraire au traité du 21 mai, et qu’en conséquence le ministère ne pouvait s’étayer de ce traité.

Le premier reproche qu’on m’adresse consiste à dire que j’ai invoqué à tort les notes diplomatiques pour appuyer mes raisonnements. Cependant, messieurs, ces notes émanaient de notre ministre des affaires étrangères, de notre ambassadeur à Londres et d’autres diplomates, de MM. Talleyrand et Palmerston. Admettre que le reproche d’avoir puisé dans ces pièces est fondé, serait, ce me semble, faire la plus sanglante critique des actes diplomatiques qu’on vient à chaque instant nous opposer dans cette enceinte. Comment ! lorsqu’il s’agit d’expliquer des actes diplomatiques en rapport avec l’objet en discussion, on m’imputera comme un grief d’avoir puisé à une source dont on ne peut contester l’authenticité ? Cela ne se conçoit pas.

Entre autres torts, s’il faut en croire le préopinant, j’ai eu celui de ne pas envisager la question sous ses rapports pratiques. Je vais aborder les questions que contient le discours du ministre de la guerre. Fallait-il, dit le ministre, et le préopinant le répète après lui, fallait-il par un nouveau refus ne plus laisser les choses dans l’état où elles étaient ? Eh bien je réponds oui, il le fallait plutôt que de sacrifier un droit qui était stipulé dans la convention du 21 mai, et qui devait recevoir son exécution, en même temps que le règlement pour les routes militaires.

Il fallait profiter de cette circonstance pour régler l’application du tarif de Mayence à la navigation de la Meuse, tandis que sans aucune garantie vous avez accordé aux Hollandais les communications qu’ils demandaient. Et l’honorable M. Gendebien a prouvé jusqu’à satiété que vous ne deviez pas, d’après vos propres antécédents, disjoindre ces deux questions, et qu’il importait pour la Belgique de profiter du moment où vous étiez appuyés par de hautes protections dont nous n’avons pas eu souvent occasion de nous vanter.

Fallait-il, continue-t-on, laisser nos troupes cantonnées sur la frontière et continuer des dépenses sans résultat ?

A Dieu ne plaise que j’appelle sur la province du Limbourg le fléau des cantonnements militaires, et cette interpellation ne peut s’appliquer à moi. Non, je ne demande pas la continuation des cantonnements ; je ne demande pas la concentration des troupes, non seulement parce que j’ai toujours à cœur de maintenir l’intérêt de ceux dont je tiens mon mandat, mais parce que je n’en vois nullement l’utilité. Depuis la convention du 21 mai qui a stipulé le passage des Hollandais sur notre territoire pour aller à Maestricht, il s’est écoulé assez de temps pour que la Hollande, si elle avait voulu pût renouveler successivement la garnison de Maestricht ; car, et je suis encore obligé ici d’en appeler aux pièces diplomatiques, une disposition y existait déjà qui lui en donnait l’autorisation, sauf toutefois que l’armée hollandaise ne pouvait pas comme aujourd’hui se promener sur notre territoire, mais la garnison pouvait être renouvelée par des envois successifs de 30, 50 ou 60 hommes. Je ne puis donc m’expliquer la nécessité d’une concentration de troupes, ni l’empressement qu’on aurait mis à vouloir renouveler la garnison hollandaise, à moins que ce ne fût dans le but d’accorder aux troupes ennemies la permission de marcher en quelque sorte en triomphe sur le sol de la Belgique.

Fallait-il, dit l’honorable comte de Mérode après M. le ministre de la guerre, se refuser à consentir les communications avec Maestricht, quand nous étions en possession de la libre navigation de la Meuse ? Mais cette possession, de quelle manière nous était-elle garantie ? Nous n’avions aucune garantie. Pourquoi donc n’en pas stipuler dans la convention de Zonhoven sur cet objet, en même temps qu’on en stipulait en faveur de la Hollande sur l’autre question connexe ?

« La Hollande aurait pu rompre l’armistice. » Mais pour moi je pense que l’armistice conclu entre la France et l’Angleterre et la Hollande, et consigné dans le traité du 21 mai, a plus de force qu’une convention entre les commissaires belges et les commissaires hollandais.

Je crois donc n’avoir pas encore mérité cette fois le reproche de m’être étayé sur des subtilités auxquelles l’honorable préopinant a fait allusion.

On dit : On fait un grief au gouvernement d’avoir consenti sur notre territoire le libre passage des troupes ennemies sans l’autorisation de la législature : mais la convention du 21 mai était là, qui la permettait, qui contenait implicitement tout ce que contient la convention de Zonhoven. Or, qui veut la fin veut les moyens.

Messieurs, il a déjà été prouvé par moi et par plusieurs orateurs que la convention du 21 mai établissait deux points, dont l’un ne pouvait être réglé sans l’autre ; que la question des communications avec Maestricht ne pouvait être traitée à l’exclusion de celle concernant la libre navigation de la Meuse. Nous nous sommes plaints de ce qu’on avait tout accordé aux Hollandais sans nous ménager aucune garantie.

Que porte la convention, où l’on aurait pu puiser un exemple, entre le maréchal Gérard et le prince d’Orange, convention dont M. Dumortier a donné lecture ? Elle porte entre autres que la garnison de Maestricht ne pouvait dépasser un maximum déterminé ; c’était cet exemple qu’il fallait imiter, surtout quand on pouvait compromettre le système de défense de notre frontière. Qu’a-t-on répondu ? Que le gouvernement n’avait aucune inquiétude par la raison que, l’armée hollandaise étant limitée, les troupes qu’on enverrait à Maestricht ne se trouveraient plus dans le Brabant septentrional. Je n’ai pas de connaissances militaires, mais il me reste des craintes que M. le ministre de la guerre n’a pas dissipées. Ne peut-il pas se faire, par exemple, qu’il fût d’une grande importance pour la Belgique que ces troupes se trouvassent plutôt dans le Brabant septentrional qu’à Maestricht ?

J’ai cité un fait, j’ai rappelé le mois d’août 1831, et j’ai dit : Supposez que la garnison de Maestricht eût été alors plus nombreuse. N’est-il pas vrai que tout le matériel de l’armée de la Meuse serait tombé dans les mains des Hollandais ? Je le répète, les connaissances militaires me manquent, mais M. le ministre de la guerre ne m’a pas répondu à cet égard.

Dans l’examen de la convention de Zonhoven je n’avais fait d’autres observations que celles qui me paraissent en rapport avec les intérêts généraux, et je ne m’étais pas occupé des intérêts secondaires ; mais puisqu’on m’y force, je présenterai encore quelques considérations.

On astreint différentes communes aux logements militaires des troupes ennemies. Mon honorable collègue M. de Longrée a cru pouvoir se dispenser de prendre la défense des communes à cet égard, par la raison qu’une fraction des conseils communaux avait consenti à ces logements moyennant une indemnité qu’ils ont acceptée. Eh bien ! c’est précisément parce que je vois une partie de l’autorité communale faire abnégation des droits des habitants en faveur de l’ennemi que je crois devoir appeler toute la sollicitude de la législature. De quoi droit un échevin, un assesseur, stipulent-ils que les habitants d’une commune seront obligés de loger et de nourrir les troupes ennemies moyennant une indemnité de 35 cents ? A-t-on bien réfléchi à cette charge énorme ?

Je crois que la pièce dont on a donné lecture pour établir que la commune dont il s’agit s’était obligée, ne porte pas d’autre signature que celle de quelque bourgmestre ou échevin. Or, les bourgmestres, ni même les conseils municipaux ne peuvent obliger leurs administrés vis-à-vis de l’étranger, de l’ennemi. Je ne sais de quelle part le tort est le plus grand, ou de la part des administrateurs communaux qui ont signé de pareilles pièces, ou de la part de ceux qui les ont accueillies.

Mais, dit-on, pouvait-on faire passer les troupes en ballon ? Non, j’en tombe d’accord. Mais n’y avait-il pas un moyen de rendre ce passage moins onéreux, moins dangereux pour le pays ? ne pouvait-on consentir le passage des troupes que par la rive droite de la Meuse ?

Il était donc facile, et la sûreté du pays l’exigeait, d’accorder le transit d’un côté moins dangereux pour nous. Ensuite on pouvait aussi, ce me semble, ne pas charger les habitants des communes de l’obligation de nourrir et de loger les troupes ennemies. Qui empêchait les Hollandais d’avoir leurs entrepreneurs pour leur logement et leur nourriture ? Quel motif y avait-il pour les traiter sur le même pied que les troupes nationales ? l’indemnité de 35 cents est insuffisante pour les habitants des communes, tandis que les entrepreneurs qui, comme on le sait, ont une grande habilité, y auraient trouvé leur compte.

Quel motif, je le répète, y avait-il pour faire en faveur de l’ennemi ce que l’on fait pour les troupes nationales ? Si le ministère avait pris des informations auprès des autorités provinciales, les tuteurs nés des communes, elles auraient pu établi qu’au moyen de l’indemnité de 35 cents, les habitants n’étaient pas suffisamment payées. Mais aucune pièce n’existe à cet égard : c’est que ces autorités n’ont pas été consultées.

Je crois avoir répondu à ce qui m’était personnel dans les observations du préopinant. Quant à celles qui s’adressent plus particulièrement à d’autres membres, je leur laisse le soin de les réfuter ; ils le feront beaucoup mieux que je ne pourrais le faire.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, ce n’est pas la première fois que, dans les discussions de la nature de celle qui nous occupe, l’honneur national se trouve le thème obligé de la plupart des discours de l’opposition.

Vous l’avez vu, messieurs, non seulement dans ce qui concerne la convention de Zonhoven, mais dans ce qui regarde même la convention relative à la banque, l’honneur national a encore été le texte favori de nos adversaires politiques. A entendre l’un d’eux, la dignité non moins que l’intérêt du pays avaient été encore lâchement sacrifiés dans les transactions intervenues avec la banque. Je me suis demandé par quel privilège l’appréciation de l’honneur national, à la différence d’une foule de questions moins délicates, était l’objet de controverses si vives ; comment, alors que l’honneur privé est senti de la même manière par chacun de nous, l’honneur national, échappant à cette unanimité d’opinion, se trouve toujours l’objet de contradictions les plus étranges ; comment, par exemple, à côté de cette déclaration faite par l’honorable député de Tournay, que l’arrangement relatif à la banque blessait la dignité nationale$, de trois membres de cette chambre appelés à juger cet arrangement avant sa consommation, et qui ont dit n’y voir ni lésion pour l’intérêt public ni dommage pour l’intérêt national ?

A l’opinion de ces trois membres, je puis ajouter celle d’un quatrième qui, se trouvant indisposé, est venu, sans aucune sollicitation, nous porter spontanément le secours de son témoignage. Voici une lettre que nous sommes autorisé à publier dans le Moniteur. (Ici l’orateur donne lecture de la lettre de M. Davignon qui se trouve en tête de la séance).

Je le disais tout à l’heure, messieurs, on se réfugie volontiers sous l’égide de l’honneur national, parce que ce mot a du retentissement dans tous les cœurs quand il s’agit de couvrir de ce manteau brillant la nudité des attaques contre le ministère. Et qu’il me soit permis à cet égard de jeter un coup d’œil rétrospectif sur l’étrange abus qu’on a constamment fait de ce mot, qui perdrait chez nous de sa valeur si l’on continuait à en abuser aussi étrangement dans nos discussions.

Dès le 1er janvier 1831, dès le début de notre révolution, lorsque sur l’injonction de la conférence, le gouvernement provisoire, dans l’espérance d’obtenir la liberté de l’Escaut, prescrivait que Maestricht, cerné par nos troupes et près de succomber, fût immédiatement débloqué, du banc qu’occupe un honorable député de Soignies s’élevèrent au nom de l’honneur national, les plus vives attaques contre le gouvernement provisoire.

Les membres du gouvernement provisoire, agissant alors, non en hommes qui ont peur de quelques phrases sonores, mais en hommes d’Etat chargés d’une immense responsabilité, firent débloquer Maestricht, et l’Escaut fut libre ; mais il le fut seulement quelques jours après. Le commerce et l’industrie rendirent hommage au gouvernement provisoire, qui n’avait pas été intimidé par de brillantes déclamations.

Plus tard, messieurs (je vous demande pardon d’entrer dans ces détails, je n’ai pas l’habitude de vous faire des cours d’histoire), quand il s’est agi de la candidature du duc de Leuchtenberg, nous reçûmes du gouvernement français l’invitation, je dirai l’injonction, de ne pas procéder à cette élection, sous peine de rompre toutes relations avec la France ; on alla même jusqu’à notifier par écrit qu’on la regarderait comme un acte d’hostilité. Au nom de l’honneur national, beaucoup de députés, et moi-même, qui apportais alors ici plus de zèle que d’expérience des affaires, je me récriai contre cette espèce d’ordre, que je trouvais humiliant. Le gouvernement provisoire trouva précisément dans cette injonction les motifs les plus impérieux d’appuyer la candidature du duc de Nemours, et la majorité du congrès, dirigée sans doute par les considérations politiques qu’avait fait valoir le gouvernement, vota en faveur du duc de Nemours, dans la crainte d’une crise entre la Belgique et la France.

Arrivèrent les 18 articles. Les rôles alors étaient intervertis. C’est au nom de l’honneur national que les plus vives attaques furent lancées contre l’adoption de 18 articles. Eh bien ! j’en appelle à vous tous, messieurs, sans l’adoption de ce traité, y aurait-il une royauté belge, et sans royauté belge, y aurait-il une Belgique ?...

Les 24 articles furent le prix douloureux de revers dus à l’inexpérience, au relâchement des liens sociaux, des règles de la discipline. Quand des hommes d’Etat, dont je loue le courage dans cette circonstance, vinrent proposer l’adoption des 24 articles à la suite de l’appréciation réfléchie des nécessités qui pesaient sur le pays, c’est encore l’honneur national qui fut invoqué, et, je dois le dire, avec éloquence et habileté.

Eh bien, sans de grands efforts de dialectique, le gouvernement fit comprendre à la majorité des chambres, qui fut bientôt celle du pays tout entier, que hors de l’adoption du traité, il n’y avait pas de salut pour le pays ; que cette adoption était le lien qui devait unir à l’Europe la Belgique, placée alors sur la pente d’un abîme, et l’introduire dans le monde politique. J’en témoigne ma reconnaissance aux membres du ministère d’alors. On appelait aussi leur conduite une lâche concession. C’est en présence de pareilles attaques qu’ils firent ce que j’appelle, moi, un acte de courage, qu’ils se conduisirent en hommes d’Etat ; et le pays a jugé comme eux. Il ne s’est plus inquiété que d’une chose, c’est de l’exécution loyale des 24 articles.

Les mêmes attaques se sont renouvelées dans différentes circonstances. L’expédition d’Anvers, qui n’était que le commencement de l’exécution des 24 articles, qui devait amener l’expulsion de l’ennemi d’une partie si importante de notre territoire alors que cet ennemi menaçait de ses foudres la métropole du commerce belge ; l’expédition d’Anvers fut qualifiée de crime dans cette enceinte avant même que le gouvernement eût exposé le cours des opérations qui devaient conduire à ce résultat. On disait que c’était une violation du pacte national, le déshonneur de l’armée et de la nation ; et cette note du 2 novembre, qu’on nous reproche encore aujourd’hui parce qu’on n’en comprend pas la portée, parce qu’on ne voit pas que son exécution était l’adhésion du roi Guillaume aux 24 articles, adhésion qui, si elle était possible, était le vœu du pays ; cette note devint le texte d’une accusation contre le ministère, et tout cela au nom de l’honneur national.

Trois mois après la consommation du fait, lorsqu’à l’étourdissement dans lequel une presse aveugle et passionnée avait jeté les esprits, eut succédé le calme de la réflexion, on vota des remerciements à l’armée libératrice. Etait-ce pour la remercier d’avoir déshonoré l’armée nationale et le pays ?

La convention du 21 mai rencontra sur quelques bancs la réprobation dont avaient été frappés les différents actes que j’ai cités, et qui tous ont concouru à la consolidation de l’indépendance belge. La convention du 21 mai, contre laquelle ni l’opposition parlementaire, ni l’opposition extraparlementaire n’articulent plus mot, voici comment elle était qualifiée, voici quelques-unes des accusations qu’elle soulevait de la part d’un membre de l’opposition. :

« Le jour viendra où je vous montrerai combien on nous a leurrés avec cette convention du 21 mai, qu’on nous préconise d’une manière si étrange, etc.

« Lorsque par l’incurie du ministère, je suis forcé de rougir d’appartenir à ce peuple de braves qui sut en quatre jours conquérir son indépendance et renverser le tyran, n’est-il pas permis à ceux de nous qui sentent encore leur cœur brûler pour la Belgique, de s’écrier, nouveaux Mathathias : « Mieux vaut mourir les armes à la main que d’assister à la honte et à l’humiliation de la patrie ? »

Voilà, messieurs, ce qu’on disait à propos de la convention du 21 mai, qui a reçu la sanction solennelle de la représentation nationale dans tous les rapports officiels qu’elle a eus avec la couronne.

Messieurs, on peut bien, avec de pareilles phrases, fournir matière à un poème épique ; mais c’est en prose qu’on traite les affaires d’un pays : la politique du 19ème siècle, qui s’occupe des fonds publics, de l’industrie et des chemins de fer, est toute prosaïque. J’ai regret de le dire : avec une telle politique, la poésie épique, les tirades chevaleresques, n’ont rien de commun. Elles peuvent occuper quelques esprits ardents pendant quarante-huit heures ; huit jours après on a cessé d’en parler ; elles passent aux oubliettes avec d’autres épopées modernes ; et les noms de leurs auteurs ne figurent même plus nulle part, si ce n’est dans le catalogue de quelques bouquinistes.

Je demande pardon à la chambre d’un aussi long préambule, et j’arrive à la convention de Zonhoven.

Il est à remarquer que, chaque fois qu’on a fait un pas dans l’exécution du traité du 5 novembre, les mêmes accusations, les mêmes reproches, les mêmes épithètes n’ont pas manqué de se faire entendre de certains bancs de cette chambre. Qu’est-ce à dire ? Que l’exécution du traité du 15 novembre a éveillé des souvenirs douloureux ? Personne assurément ne saurait s’élever contre de pareils sentiments ; mais dépend-il de nous que l’exécution de ce traité ait lieu ou n’ait pas lieu ? L’exécution de ce traité se lie-t-elle à la consolidation de l’indépendance belge ? Voilà la question. La solution n’est pas douteuse pour des hommes d’Etat. Eh bien, la conférence de Zonhoven n’est pas autre chose qu’une partie de l’exécution de ce traité, que le complément de la convention du 21 mai, que la mise en pratique de l’armistice indéfini qui lie la Hollande, non seulement d’une manière implicite envers la Belgique, mais explicitement et solennellement (ce qui vaut mieux) envers la France et l’Angleterre.

Les résultats matériels de cet armistice, qui doit durer jusqu’au traité définitif, qui peut se prolonger, par conséquent, au-delà de toute prévision, sont déjà connus de vous et du pays. Onze millions de dégrèvement en 1833, vingt-six millions pour 1834, c’est-à-dire, jusqu’à ce jour ; six mois après la convention du 21 mai, un dégrèvement de près de quarante millions au profit les contribuables, n’est pas de nature à être considéré avec indifférence par ceux qui se sont constitués les défenseurs presque exclusifs des intérêts du pays et de ce qu’ils appellent les sueurs du peuple.

Demandez aux exploitants des houillères de Liège dont les intérêts avaient tant souffert depuis trois ans, demandez-leur quel fut le résultat de l’arrangement de Zonhoven ; ils diront que c’est surtout depuis cette convention qu’ils ont pu écouler leurs immenses magasins, que le combustible a même augmenté de plus de deux florins par charretée en huit jours. Je pourrais aussi montrer des lettres en opposition à celles qu’on a lues dans cette enceinte.

Mais, dira-t-on, fallait-il acheter, de tels résultats par une lâcheté ? Non, messieurs, il n’est pas plus permis à une nation qu’à un individu de se montrer lâche, même pour de gros bénéfices. Mais il ne faut pas prendre pour véritable courage, je ne sais quelle espèce de don-quichottisme qu’on voudrait parfois prescrire à un gouvernement, et qui ne tient pas contre un examen sérieux et réfléchi.

Le gouvernement est successivement et immédiatement exposé aux reproches les plus bizarres et les plus contradictoires. Agit-il dans le sens de la conférence de Londres, de la France et de l’Angleterre ? Oh ! l’accusation banale arrive tout aussitôt : « Vous n’êtes rien, vous n’êtes qu’un atome entraîné dans l’orbite de météorites plus puissants ; vous êtes traînés à la remorque de la France et de l’Angleterre ; vous n’avez de vie, d’action et de mouvement que par la France et l’Angleterre. »

Aujourd’hui que nous nous avisons de n’être pas de l’avis de la conférence, on nous adresse un autre reproche ; on nous dit : « Vous méprisez les avis de vos protecteurs, et vous n’êtes cependant rien que par eux ; vous êtes bien audacieux d’agi d’après votre libre arbitre, d’oser faire le contraire de ce que la France et l’Angleterre vous indiquent, de vous écarter de la marche qu’elles vous tracent. » C’est cependant que nous avons fait.

Avons-nous eu tort, avons-nous eu raison de ne pas suivre la marche tracée par ces deux puissances ? Ce n’est pas là la question dont il s’agit en ce moment ; mais je l’aborderai tout à l’heure. Toujours est-il qu’en présence des intérêts du pays il a jugé qu’il était de son devoir de dévier de la ligne qu’il avait d’abord jugée la meilleure et qu’on voulait lui tracer ailleurs.

Mais supposons, messieurs, qu’immédiatement après la convention du 21 mai, le paragraphe premier de l’article 4 eût été complètement exécuté par la Hollande ; que la navigation de la Meuse eût été immédiatement rendue libre et sans entraves depuis la partie supérieure de la province de Namur jusqu’à la pleine mer ; qu’avions-nous à faire, sous le rapport des communications militaires ? Nous n’avions qu’à autoriser le passage ; sinon la Hollande pouvait nous dire : « J’ai exécuté les stipulations du paragraphe premier de l’article 4 ; en vertu du droit que me confère le paragraphe 2, je réclame que, de votre côté, vous exécutiez les conditions du traité ; et si, dans tel délai, vous ne les avez pas exécutées, je vous déclare que je me mettrai de moi-même en possession des avantages qui me sont assurés par le traité. »

Je vous le demande, qu’aurions-nous pu répondre ? Il importe peu que les formes d’une réclamation soient plus ou moins brutales, plus ou moins polies ; ce n’est pas là ce qu’il faut examiner. Le droit existe-t-il, oui ou non ? telle est toute la question. Si la Hollande avait rigoureusement exécuté les stipulations du paragraphe premier, nous ne pouvions pas nous opposer à l’exécution du paragraphe 2 de l’article 4. Nous sommes précisément dans cette position : la Hollande s’est mise dans le cas où elle aurait été, si elle avait ouvert immédiatement la Meuse. D’après les enquêtes que nous avons fait faire, les rapports officiels, les déclarations des plénipotentiaires hollandais à Londres, les conditions du pacte sont remplies aujourd’hui.

Mais il n’en était pas ainsi au commencement de juin ; l’idée d’une convention n’est venue au gouvernement que parce qu’il y avait retard, dans l’exécution du paragraphe premier de l’article 4, de la part de la Hollande. L’exécution n’était pas complète : de là la première idée de la nécessité d’une convention réglementaire du paragraphe premier de l’article 4. Si cette cause n’avait pas existé nous n’aurions jamais conçu ni la nécessité, ni la légitimité de la réclamation d’une convention relative à la liberté de la Meuse.

Messieurs puisqu’on accuse toujours le gouvernement belge de trembler devant la Hollande, de montrer sans cesse une lâche condescendance, veuillez fixer les yeux sur de simples dates. C’est au commencement de juin que la Hollande s’est crue en droit d’exiger le libre passage vers Maestricht ; pendant six mois nous l’avons tenue en échec par la menace, que nous lui avons fait notifier : que si le passage était tenté, nos généraux avaient ordre de s’y opposer par la force. Toutes les dispositions avaient été prisés pour l’exécution de cette résolution. Les procès-verbaux du conseil des ministres, des faits antérieurs et notoires en font foi.

Ainsi, pendant six mois, la Hollande n’a pas été mise en jouissance des droits de communication que lui assurait le traité, tandis que nous étions en jouissance d’une grande partie des avantages qu’il nous conférait, la libre navigation de la Meuse. Si, aux états-généraux, un député accusait les ministres hollandais d’avoir négligé les intérêts du pays, d’avoir subi pendant six mois, le veto belge, je crois que leur procès serait plus motivé que celui qu’on fait aux ministres belges. Ce n’est qu’à la fin de novembre que le traité a commencé à se réaliser pour la Hollande et depuis le mois de juin les clauses stipulées en notre faveur recevaient une grande partie de leur exécution.

Mais, nous a dit un honorable député à la séance d’avant-hier, vous avez dévié de votre système : c’est là-dessus que je vous accuse. Je répondrai à l’honorable orateur que le mérite de cette découverte ne lui appartient pas ; le ministre des affaires étrangères lui-même, dans un discours imprimé, avait avoué qu’il y avait eu déviation de son système, et cette déviation il l’a expliquée. Je demanderai à la chambre la permission de lui rappeler brièvement en quels termes il le faisait.

« Ainsi, le litige ne portait plus que sur deux points, à savoir :

« 1° L’application à la Meuse des stipulations de la convention de Mayence sera-t-elle réglée par une autre convention spéciale ?

« 2° Les articles de la convention de Mayence, dont les stipulations doivent être considérées comme tendant à rétablir les relations habituelles de l’état de paix, sont-elles applicables à la Meuse dans l’état actuel des choses ?

« La première question relative à une convention spéciale pour le règlement de la navigation, n’avait d’importance qu’autant que la seconde serait affirmativement résolue. Or, la Hollande avant soumis sa manière de voir sur ce deuxième point aux puissances médiatrices auxquelles la Belgique aussi avait eu recours, ces puissances énuméraient, dans leur note du 29 septembre, une opinion conforme à celle de nos adversaires en s’exprimant de la manière suivante :

« Dans tous les cas, les soussignés sont prêts à reconnaître qu’il n’y a rien, dans la convention du 21 mai, qui oblige le gouvernement néerlandais à permettre aux sujets belges d’entrer sur son territoire ou d’y introduire des marchandises belges.

« Les Belges ont, par cette convention, le droit de naviguer en remontant et en descendant tout le cours de la Meuse, mais ils n’ont certainement aucun droit de débarquer dans les limites du territoire néerlandais, à moins que le gouvernement des Pays-Bas ne les autorise à le faire. »

« Cette décision basée sur le droit des gens venant se joindre à la déclaration des plénipotentiaires néerlandais, à Londres, que leur gouvernement maintenait les mesures de prohibition que les puissances médiatrices lui reconnaissaient le droit de prendre, la question d’une convention spéciale relative à la Meuse, la seule encore en litige entre les signataires de l’acte du 21 mai, devait être envisagée par le cabinet de Bruxelles sous un nouveau point de vue.

« Certes, avec l’appui que la France et la Grande-Bretagne accordaient à notre prétention à intervenir, par une convention spéciale, dans les arrangements que nécessitait l’application de la convention de Mayence à la Meuse, nous pouvions nous opposer à la liberté des communications de Maestricht, jusqu’à ce que le gouvernement néerlandais eût consenti à opérer, sous la forme d’abord demandée par nous, l’application dont il s’agit.

« Mais cette observation, qui eût été rationnelle avant la décision émanée des deux puissances médiatrices, était-elle opportune lorsque cette décision, jointe à la déclaration faite postérieurement de la part du cabinet de La Haye devait nous faire abandonner l’espoir de voir admettre dans la convention spéciale (en supposant que la Hollande en reconnût le principe) certaines clauses que l’état actuel du batelage du bassin de la Meuse rendait indispensables pour le transit par mer.

« Telle est la première question que le gouvernement a dû examiner ; elle a donné lieu aux considérations suivantes :

« Conclure une convention de laquelle il fallait exclure les clauses renfermées dans les articles 5, 6, 7 et 10 de la convention de Mayence, c’était, de la part de la Belgique, une renonciation formelle à l’application à la Meuse de ces articles ; c’était confirmer la décision que la France et la Grande-Bretagne avaient portée sur la question soulevée par le cabinet de La Haye.

« Ne valait-il pas mieux laisser, de notre côté, cette question sans solution ? Il n’y avait pas de doute à cet égard. Et en effet, dans la situation actuelle de la Belgique et de la Hollande, l’une vis-à-vis de l’autre, celles de nos prétentions qui n’avaient pas trouvé d’appui auprès des puissances médiatrices n’avaient aucune chance d’être admises, pour le moment, par la partie adverse ; tandis qu’on peut espérer plus de succès à mesure que l’état présent des choses, s’il devait se prolonger, se revêtira, par le fait même de cette prolongation, du caractère d’une paix tacite à mesure que l’intérêt privé, toujours attentif, toujours agissant, opérera des rapprochements mutuels et fera tomber les barrières que la nécessité de se tenir sur ses gardes avait élevées entre les deux pays.

« L’espoir qui vient d’être exprimé n’est pas sans fondement ; il se base sur l’expérience même des bateliers belges naviguant sur la Meuse, et qui, suivant leurs propres rapports, rencontrent dans les autorités hollandaises, aussi loin qu’ils ont eu l’occasion de descendre le fleuve, des dispositions tous les jours moins hostiles.

« Ces considérations devaient engager le gouvernement à ne point insister sur la forme qu’il avait d’abord proposé d’adopter puisque la convention spéciale, à laquelle on vient de faire allusion, n’était pas seulement devenue inopportune, elle était encore complètement inutile. »

Voilà messieurs, sous l’influence de quelles considérations nous avons agi, et je vous demande s’il y a là rien qu’on puisse taxer de faiblesse ou d’abandon des intérêts du pays ? Il peut y avoir erreur dans la manière d’envisager les faits, mais erreur que tout homme d’honneur peut avouer sans crainte. Quant à moi, si j’avais aujourd’hui à résoudre cette question, je la résoudrais encore comme elle a été résolue alors par le gouvernement.

D’ailleurs, messieurs, en soutenant l’opinion primitivement exprimée par nous, sous l’empire de faits qui ont cessé d’exister, et qui, s’ils eussent existé, auraient prévenu ces réclamations ; en persistant dans cette première résolution à nos risques et périls, nous aurions bien pu trouver un appui moral dans la France et l’Angleterre : mais si la Hollande n’avait pas voulu souscrire à l’opinion de ces puissances, qui l’aurait empêché de clore la Meuse ?

Et pour obtenir la réparation de ce grief, quels moyens avions nous ? La guerre ? Il est douteux que la guerre, même la plus heureuse, eût fait disparaître les entraves sur la Meuse ; peut-être même en serait-il résulté la clôture de l’Escaut. Les voies diplomatiques ? Mais combien de fois ne s’est-on pas plaint de la lenteur des négociations ? Et pendant qu’on aurait plaidé ce procès, la clôture de la Meuse eût, à l’entrée de l’hiver, achevé la ruine des houillères de Liége et de la navigation. Voilà ce qui serait résulté de ce système. Nous n’avons pas voulu exposer notre pays à de pareilles chances ; nous avons mieux aimé assumer sur nous la responsabilité d’une autre conduite, suivre un système différent dont les avantages matériels sont immenses.

J’ai peine à concilier les arguments de deux honorables membres de l’opposition. A entendre l’honorable député de Mons, nous avons perdu sans retour l’occasion de stipuler la liberté de la navigation de la Meuse, dont il apprécie avec nous les bienfaits. Si vous écoutez un député du Limbourg, la Hollande n’avait aucun intérêt à la convention que nous avons faite, pour ravitailler Maestricht. Depuis longtemps elle avait trouvé moyen d’établir des communications avec la garnison de cette place, de la renouveler si elle l’avait voulu. Ainsi, voilà sur quoi on base les reproches qui sont adressés aux ministres : d’une part, la Hollande n’avait pas d’intérêt aux communications ; de l’autre, nous avons perdu une occasion qui ne se représentera pas, d’assurer la libre navigation de la Meuse !

L’un des deux honorables représentants auxquels je fait allusion nous reproche d’avoir accepté bénévolement la déclaration des commissaires hollandais à Zonhoven, portant que s’il s’agissait d’introduire une clause (remarquez l’expression) relative à la navigation de la Meuse, ils se retireraient immédiatement, parce qu’ils n’avaient pas de pouvoirs. Eh bien, cette clause relative à la Meuse, dont l’importance est vantée par tous, a trouvé place dans le traité après deux mois de refus de la part des commissaires hollandais, et de résistance de la part des commissaires belges de conclure la convention, si cette clause n’y était pas insérée. Qu’on lise le considérant de la convention, qu’on lise ce considérant pour l’insertion duquel nous avons tant insisté, pris tant de précautions, échangé tant de notes et ordonné même des dispositions militaires, et l’on verra que l’octroi d’une route militaire n’a été consenti que comme conséquence de la liberté de la navigation de la Meuse, reconnue existante, aux termes et dans le sens de la convention du 21 mai, par les commissaires hollandais.

Quoi, messieurs, quand dans une convention on pose comme base l’existence de ce fait, et que les commissaires néerlandais ont apposé leur signature à la reconnaissance d’une condition stipulée comme prémisse des conséquences formulées en articles, peut-on venir dire qu’on a négligé l’occasion d’assurer la libre navigation de la Meuse ?

J’en appelle à tous les jurisconsultes de cette chambre : le jour où la navigation de la Meuse ne sera plus libre, ce jour-là il n’y aura plus de convention, et alors l’article 9, qui exige une dénonciation préalable, n’a pas même besoin d’être invoqué par nous ; car cet article donne le droit de résilier la convention dans tout état de choses, et pour des motifs dont l’appréciation n’est pas laissée à la partie adverse. Mais la condition de la résiliation n’est pas la cessation de liberté de la Meuse ; la résiliation du contrat tient à d’autres causes, dont l’appréciation appartient à chaque gouvernement. La liberté de la Meuse est posée comme base des conditions de la convention, et dès le moment que cette liberté n’existerait plus, il n’y aurait plus de convention, plus de route militaire, sans qu’il fût besoin pour nous de faire de dénonciation préalable ; car la dénonciation n’est pas pour ce cas. La corrélation du considérant énoncé comme cause déterminante du règlement des communications militaires, fait de chaque clause du pacte un tout indivisible.

Cela ainsi posé, pour qui était l’intérêt de conclure une convention militaire ? Pour les deux parties. La Hollande, ayant rempli ses obligations, aurait eu le droit d’exiger le passage de ses troupes ; la Belgique avait intérêt à conclure une convention pour stipuler la route la plus convenable quant à la sûreté extérieure, la moins onéreuse quant aux populations intéressées ; elle devait désirer de prendre des précautions contre la fraude, de régler les rapports entre les autorités belges et les militaires hollandais ; d’éviter enfin des conflits qui sont si faciles entre des troupes et des populations appartenant à deux nations divisées et encore ennemies. La présence d’un commissaire belge était encore une condition utile à stipuler.

Toutes ces précautions ont été prises ; les communes ont été consultées et tout a été fait de commun accord, de manière à accorder la route la plus courte, celle qui froissait le moins les populations, avec les mesures les plus propres à prévenir des vexations ; et je le répète tout cela a été fait avec le libre contour des communes.

Je relèverai ici l’inexactitude d’un orateur qui a prétendu que les contrats avec les communes n’étaient signés que par un bourgmestre ou un échevin ; ces contrats sont signés par le bourgmestre, les échevins ou les assesseurs, et même par des conseils de régence. J’ajouterai qu’une commune, celle de Werth, ayant refusé de consentir aux propositions de l’administration de la guerre, on a renoncé à la prétention de la comprendre dans le parcours. Je demande s’il est possible de respecter l’indépendance municipale plus que nous ne l’avons fait dans cette circonstance.

Quant à la violation de la constitution qu’on a prétendu trouver dans le passage de troupes étrangères sur notre territoire, je dirai d’abord qu’il faut distinguer entre la responsabilité légale et la responsabilité morale. La responsabilité légale est à couvert, sans contredit, par le seul fait de la loi de 1831, loi générale, absolue dans ses termes ; mais je me hâte d’ajouter que nous ne voulons pas nous réfugier dans une interprétation judaïque qui nous mettrait à l’abri de toute responsabilité légale, mais non de l’animadversion de la chambre et du pays, si nous avions substitué ici le texte à l’esprit.

La convention du 21 mai a reçu à différentes reprises la sanction de la chambre ; en l’approuvant, on a dû supposer les moyens d’exécution : voilà sous quel rapport nous avons cru pouvoir invoquer la loi de 1831, et en faire une application sanctionnée à l’avance dans la convention du 21 mai.

Quant aux autre accusations d’avoir violé la constitution, j’avoue qu’elles sont si profondes que je ne puis que m’incliner et me taire, car je n’y comprends rien.

L’exemption des droits de douane est la conséquence du libre passage ; c’est absolument de cette manière que cela se pratique pour la garnison de Luxembourg quand la Prusse veut approvisionner la forteresse ; c’est le droit des gens dans son application la plus vulgaire, la plus incontestable, et il fallait que M. Dumortier vînt la contester pour qu’elle fût mise en doute un seul instant. Ne voyez-vous pas qu’il y a ici transit de Hollande en Hollande ?

On nous fait encore un reproche bien singulier : On nous demande pourquoi nous n’avons pas préfère de concéder l’usage de la rive droite plutôt que celui de la rive gauche ; et là-dessus l’honorable député du Limbourg, prétendant en savoir plus que le ministre de la guerre lui-même, entre dans une espèce de discussion stratégique. Moi, sans aborder cette partie de la discussion pour laquelle je reconnais mon incompétence, je dirai que si, dans cette circonstance, des populations méritaient d’être plus particulièrement ménagées, ce sont celles de la rive droite ; ces populations, incertaines sur le sort qui leur est réservé, n’auraient peut-être pas éprouvé le même sentiment de confiance, auraient craint de ne pas rencontrer un appui aussi efficace dans les autorités belges.

Si nous avions concédé la rive droite, on n’aurait pas manqué de nous adresser une accusation d’une autre nature ; on nous aurait dit : C’est comme à l’époque du 2 novembre 1832, vous êtes pressés de livrer ces populations ; c’est par anticipation de l’exécution du traité du 15 novembre que vous procédez. Ne pouvant les livrer au roi Guillaume, vous les livrez au moins à sa soldatesque. Voila l’accusation que nous n’aurions pas évitée. C’est moins, du reste, pour y échapper que parce que l’intérêt de ces pays le commandait, que nous avons donné la préférence à la rive gauche.

Un honorable député du Limbourg, auquel j’ai déjà répondu, a encore adressé d’autres graves reproches au ministre de la guerre ; il a prétendu que le ministre avait compromis la sûreté du pays en donnant aux troupes hollandaises un facile accès sur notre territoire.

Le ministre a eu beau lui dire : « Nous connaissons les forces de l’armée hollandaise, aucun de ses mouvements ne nous échappe ; » ces assurances ne lui ont pas suffi : il ne conçoit pas qu’on peut se passer même d’espions pour connaître les forces qui entrent dans Maestricht ; qu’il est facile de savoir jour par jour, heure par heure, combien d’hommes y entrent et sortent de cette place. Le devoir du gouvernement est d’avoir toujours, sur un point menacé, des forces proportionnées à celles de l’ennemi ; d’observer tous ses mouvements. La concentration de nos forces sur ce point est d’autant plus facile que les autre points sont à l’abri de toute attaque, tant que l’armistice sera observé.

Le gouvernement a donc pris toutes les précautions que la prudence commandait. En même temps que le préopinant exprimait ces craintes pour la sûreté militaire de la province, il déclarait qu’il ne craignait pas la rupture de l’armistice par la Hollande, liée qu’elle était envers la France et l’Angleterre. L’orateur pourrait mettre plus de logique dans ses accusations. Comment concilier ses craintes d’une agression avec sa confiance dans l’armistice ? De deux choses l’une : ou il ne croit pas à l’armistice, ou il ne peut croire que la sûreté militaire de la province du Limbourg pût être plus compromise que toute autre partie du territoire.

Ce qu’on a dit du maréchal Gérard est tout à fait dénué d’analogie ; car, lors de l’attaque contre la citadelle d’Anvers, le maréchal Gérard n’était pas lié par une convention du 21 mai ; il dictait ses ordres avec la pointe de son épée ; et il ne faut tenir aucun compte des positions respectives d’alors et d’aujourd’hui, pour tirer quelque argument du parallèle qu’on a voulu faire. Du reste, j’avoue que je ne vois pas comment une convention simultanée pour la Meuse pourrait dissiper les inquiétudes de l’honorable préopinant.

En admettant qu’une convention pour la liberté de la navigation de la Meuse ait trouvé place dans l’arrangement de Zonhoven, on ne pouvait contester à la Hollande le droit de faire arriver 20 mille hommes à Maestricht, si elle en avait la fantaisie ; on ne pouvait restreindre, limiter les forces qu’elle entendait introduire dans sa forteresse : ce serait là faire le procès à la convention du 21 mai elle-même. Le gouvernement belge, comme je l’ai déjà dit, ne peut que prendre connaissance des faits et proportionner ses forces à celles de l’ennemi, de manière à prévenir l’effet d’une violation de l’armistice que l’honorable représentant, du reste, déclare ne pas craindre.

Je ne terminerai pas sans témoigner combien j’ai été péniblement surpris d’entendre, dans la dernière séance, des paroles qui semblent porter plus haut que le ministère. On a accusé le gouvernement d’agir dans des intérêts de caste et de dynastie, c’est-à-dire de sacrifier les intérêts du pays à ceux du trône. Ces insinuations sont injustes et peu parlementaires. Je regrette de devoir les relever.

Quoi donc ! A-t-on déjà perdu de vue la situation désespérée où se trouvait la Belgique à l’issue d’une malencontreuse élection ? A-t-on oublié quel est celui qui, sans attendre la reconnaissance des puissances, est venu sauver la Belgique de la terrible alternative de périr dans l’anarchie, ou de servir de butin à ceux qui convoitaient ses dépouilles ? A-t-on oublié quelle fut la bienvenue de celui qui nous tira de cette effrayante position ? A-t-on oublié qu’il quittait à peine la place de l’inauguration, qu’il dut se jeter au milieu d’une armée surprise à l’improviste, désorganisée d’avance par le relâchement de la discipline, résultat inévitable d’une crise révolutionnaire ?

Agissait-il dans un intérêt purement dynastique, celui qui affrontait noblement les balles de Louvain et de Bautersmem, lorsque, privé d’une partie de son armée, sans état-major organisé, sans autres aides-de-camp ou officiers d’ordonnance que quelques hommes de cœur restés autour de lui ? Ignore-t-on quel fut alors le sentiment public envers celui qui eut le privilège de se voir plus populaire après une défaite que certains princes après une victoire ? N’est-il préoccupé que d’intérêts dynastiques celui qui fit toujours abnégation de lui-même et prescrivit constamment au ministère de songer surtout aux intérêts du pays ? Soyez bien sûr qu’il se dit : « Si la reconnaissance du roi Guillaume se fait attendre, je m’en passerai. Je n’en ai pas besoin pour me sentir roi légitime : je le suis par la volonté nationale et si la condition de ma reconnaissance faisait obstacle à des arrangements utiles aux intérêts de la Belgique, passez-vous-en. » (De vifs applaudissements accueillent ces dernières paroles.)

(Note du webmaster : Le discours qui suit est repris dans un supplément d’un Moniteur dont la date n’a pas pu être déterminée. En outre quelques errata ont été insérés dans le Moniteur belge n°347, du 13 décembre 1833) M. Gendebien. - Messieurs, je pourrais, pour toute réponse au discours que vous venez d’entendre, renvoyer à celui que j’ai eu l’honneur de prononcer à la fin de la séance de samedi dernier. Le public a pu juger déjà de l’opinion que j’ai émise ; il jugera le discours du préopinant. Je n’ai pas besoin d’invoquer nos antécédents respectifs à l’effet d’attirer la faveur sur mes paroles ; je demande seulement que l’on juge d’après les faits et les observations produites de part et d’autre. Cependant, je ne puis me décider à passer sous silence tout ce qu’a dit le préopinant, et la fin de son discours surtout me force à prendre la parole.

J’ai dirigé, dit-on, mes attaques plus haut que sur les ministres, et l’on a tiré texte de cette supposition pour faire intervenir bien malencontreusement le nom du Roi. Quelle est ici ma position ? C’est d’admettre pour vrais des faits faux ou de contester ce que l’on a allégué relativement au Roi : c’est ce dont je me garderai bien. Je n’imiterai pas le ministre imprudent, quoique chacun ait le droit de contester ses assertions quand elles ne sont par conformes à la vérité, et il est plusieurs faits que je ne puis admettre pour vrais.

Je ne répondrai donc que par mon silence, et l’on jugera lequel de nous deux a manqué de respect pour les usages parlementaires, lequel a compromis le nom du Roi.

Messieurs, on a commencé par nous faire un long historique des diverses phases de notre révolution et des actes importants des divers ministres qui se sont succédé depuis notre révolution.

Je ne conçois pas comment on a pu pousser la maladresse jusqu’à rappeler certaines époques, certains faits qui, pour l’honneur du préopinant, devraient être dans l’oubli. On a dit que l’on abusait étrangement du mot magique de l’honneur ; on a dit que l’opposition couvrait du manteau brillant de l’honneur la nudité de ses attaques contre les ministres. Eh ! messieurs, nos attaques ont-elles besoin de tout ce brillant qu’on remarque dans les improvisations ministérielles, méditées deux fois 24 heures à l’avance. Non, sans doute, nous parlons ici comme nous sentons ; et nous ne disons même pas tout ce que nous sentons, parce que nous ne voulons pas compromettre ce que ce que le ministère vient de compromettre si inhabilement.

Nous abusons du mot honneur, dites-vous ? Mais qui a le premier fait sonner bien haut ce mot, et au congrès et aux chambres, qui a étrangement abusé de ce mot ? c’est vous, M. Lebeau.

Je suis fâché de devoir rappeler ici les circonstances où vous avez flétri d’avance l’homme dont vous vous dites l’ami, et que vous vous vanté sans cesse d’avoir fait roi.

Rappelez-vous, messieurs, que c’est en invoquant la parole du prince que M. Lebeau a dit, relativement au Luxembourg : « Le prince en fait une affaire d’honneur… Je défie à quelque prince que ce soit de réussir six mois en Belgique, s’il consent à céder le Luxembourg. » Voilà comment on a abusé du nom du Roi ; voilà comment on l’a déjà fait intervenir malheureusement dans nos débats. Voilà comment on a abusé du mot honneur.

Lorsque le gouvernement provisoire, vous a-t-on dit, a ordonné le déblocus de Maestricht, on a crié au déshonneur. Le gouvernement provisoire, aurait-on dû dire, eut l’énergie, avec cinq ou 6,000 volontaires, de faire ce que vous n’avez pas fait avec 110,000 hommes

Une convention avait assuré la libre navigation de l’Escaut ; le roi de Hollande hésitait à l’exécuter : eh bien, le gouvernement provisoire fait mettre le blocus devant Maestricht ; et, avec une armée de cent dix mille hommes, vous vous laissez imposer les conditions les plus humiliantes. Le brave général Mellinet se porta sur Maestricht avec 1,5,000 volontaires ; et vous, au 18 novembre, vous ne vous êtes pas cru assez fort avec cent dix mille hommes pour appuyer vos justes prétentions, alors même qu’elles étaient soutenues par la conférence !

Ce n’est pas le gouvernement provisoire qui a fait lever le blocus, c’est le régent. Le gouvernement provisoire en donna l’ordre, mais il ne fut exécuté que longtemps après que l’Escaut fut libre, et longtemps après que le congrès l’avait décrété. On doit se rappeler que, dans une séance du soir, les députés du Limbourg et M. Charles de Brouckere ont prouvé par plusieurs lettres que le blocus ne remplissait pas son but, et n’empêchait pas qu’on ne fît à Maestricht d’excellents repas de famille. Comment, en effet, aurait-on pu faire un blocus réel avec 1,500 hommes. J’aime à croire que, s’ils en avaient reçu l’ordre, nos volontaires seraient entrés dans Maestricht en passant par-dessus les murs, même sans échelles ; mais quelques braves qu’ils fussent, ils ne pouvaient se multiplier de manière à interrompre toutes les communications.

D’ailleurs, verser du sang n’est pas un jeu, n’est pas une chose que l’on confie au hasard. Nous avons librement consenti le déblocus, et nous avons eu le courage que vous n’avez jamais eu ; nous avons dépassé les lignes derrière lesquelles nos volontaires devaient rester. Nous n’avons commencer à respecter les conventions, que lorsque la Hollande a commencé elle-même à les respecter. C’est maladroitement que vous venez de citer ce fait.

On vous a dit, messieurs, et je ne sais quel remords a rappelé au préopinant le souvenir de cette époque, on vous a dit que, lors de l’élection du duc de Leuchtenberg, le gouvernement français intima avec menace au gouvernement provisoire de ne pas procéder à cette élection ; on cria au déshonneur, mais le gouvernement provisoire n’en proposa pas moins l’élection du duc de Nemours. Eh bien, rien de cela n’eut lieu. Voulez-vous savoir ce qui a été fait ? M. Sébastiani, alors ministre des affaires étrangères, écrivit que la France n’avait nullement le droit ni l’intention de s’immiscer directement ni indirectement dans le choix d’un prince quelconque ; mais ce ministre ajoutait : La France, de son côté, est libre de reconnaître ou de ne pas reconnaître le souverain élu s’il ne lui convient pas ; elle ne reconnaîtra pas le prince de Leuchtenberg.

Voilà ce que dit le ministre français. S’il avait tenu un autre langage, nous eussions repoussé sa lettre. Nous n’aurions jamais imité la conduite de M. Lebeau, qui reçut la lettre infâme de Ponsonby, et vint nous la lire à la tribune. Cette lettre nous menaçait de la perte du nom belge. Elle était plus insultante que celle qu’un maître peut adresser à ses esclaves. J’adjure l’assemblée de relire la lettre adressée à M. Lebeau ; c’est un curieux document historique.

M. Lebeau a la mémoire courte ; il devrait se rappeler que ce n’est pas le gouvernement provisoire, mais un grand nombre de membres du congrès qui ont proposé l’élection du duc de Nemours.

Il devrait se rappeler que, de retour de Paris, je suis venu rendre ici les propres paroles que j’avais reçues en réponse à la mission dont j’étais chargé. Je devais demander si le roi des Français donnerait son fils le duc de Nemours à la Belgique sous la condition d’une alliance avec la famille d’Angleterre, ou s’il consentirait à donner une de ses filles à un prince anglais qui obtiendrait le trône de la Belgique ; il s’agissait du prince de Saxe-Cobourg qui règne aujourd’hui.

Je me rappelle tous les détails de cette mission et d’ailleurs toutes les démarches ont été rendues publiques et prouvent que je n’ai pas imité la honteuse duplicité du ministre Lebeau au sujet de l’élection de Leuchtenberg. Le congrès, pas plus que le gouvernement provisoire, n’a cédé à la peur en élisant le duc de Nemours, car 84 membres de cette assemblée en avaient fait la proposition avant l’arrivé de la lettre de M. Sebastiani, qu’on a si mal à propos rappelé pour en dénaturer le sens et les expressions.

On a dit que l’on avait encore invoqué le talisman de l’honneur pour repousser les 18 articles. Eh bien, oui ; et l’on avait raison, tous les faits qui se sont passés depuis prouvent combien on avait raison. Pourquoi repoussions-nous les 18 articles ? Nous disions, avant l’élection du Roi, qu’il fallait profiter de notre position vis-à-vis des puissances qui avaient le plus grand intérêt à nous constituer afin d’éviter les effets de la propagande, et surtout pour nous empêcher de nous donner à la France ; cette occasion perdue pour nous, les puissances revinrent à leurs protocoles des 20 et 27 janvier 1831.

Les 18 articles arrivent : M. Lebeau affirme qu’il y était tout à fait étranger, bien qu’il les eût négociés et sollicités ; il n’osa pas même les présenter sous sa responsabilité ; ce sont dix membres du congrès qui en furent les parrains. Il a donc, sous ce rapport, raison de vanter le courage de ceux qui ont présenté les 24 articles, car lui n’a pas eu le courage de présenter les 18 articles qui étaient son ouvrage.

Nous repoussions ces 18 articles, parce qu’ils n’étaient que la traduction des protocoles contre lesquels le congrès avait protesté énergiquement et que la nation repoussait avec indignation ; ils étaient un moyen de nous faire adopter ces protocoles ; il y avait déshonneur à les admettre, puisque c’était revenir sur une décision du congrès, c’était une atteinte à la constitution, qui avait déclaré l’intégrité du territoire. Depuis, de nombreux aveux de ceux mêmes qui les ont négociés et sollicités prouvent que nous avions raison de dire que l’honneur national les repoussait.

Les 24 articles, dit M. Lebeau, ont été accueillis comme les 18 articles ; je laisse à chacun d’apprécier de quel côté fut la raison. Depuis deux ans que le traité du 15 novembre est accepté, je demande si nous en sommes plus avancés.

Mais depuis longtemps ce traité des 24 articles n’existe plus que comme base d’un nouveau traité définitif et irrévocables ; et c’est parce que la convention du 21 mai remettait en question le traité définitif et irrévocable, c’est parce qu’il ordonnait la levée du blocus et faisait cesser toutes les mesures coercitives qu’il a été repoussé. Aussi, dans les conférences qui ont eu lieu à Londres, vous avez offert à Hollande, et vous n’oseriez le nier, la moitié des droits qu’elle demandait sur l’Escaut et les eaux intérieures, et relativement au transit, c’est parce que le roi Guillaume ne se contentait pas de vos concessions qu’il n’y a pas eu un nouveau traité définitif. Et vous aurez encore la honte de vous donner un démenti à vous-même si vous avez la faiblesse d’accepter le traité définitif qu’on vous proposera, car vous passerez par toutes les conditions qu’on vous imposera.

L’expédition d’Anvers a été déclarée déshonorante, et 3 mois après on en a reconnu l’utilité, dit le ministre. Personne n’a jamais contesté l’utilité de la possession de la citadelle d’Anvers, mais tout le monde vous a dit que la note du 2 novembre était déshonorante pour la Belgique, parce que vous livriez poings et pieds liés à la Hollande la moitié du Luxembourg et la moitié du Limbourg, sans les garanties stipulées par le traite du 15 novembre. Voilà pourquoi nous avons flétri vos négociations pour la prise d’Anvers.

Nous nous sommes plaints aussi de ce que l’on avait exclu l’armée belge de l’honneur de combattre, et à cet égard je pourrais invoquer le témoignage d’un haut personnage : ce n’est pas celui du Roi, c’est celui d’un brave maréchal auquel on peut s’en rapporter pour la question d’honneur. Il voulait, si je suis bien informé, retourner en France, parce que l’on ne voulait pas permettre que l’armée belge prît part aux dangers d’Anvers. M. Lebeau et moi, nous avons sans doute une définition différente de l’honneur. Quant à moi, je m’en tiens à la mienne. Il me permettra, j’espère, de la préférer à la sienne.

Enfin, messieurs, on vous a vanté les avantages du traité du 21 mai. Il doit produire, pendant l’année 1834, 40 millions d’économies, nous en attendrons la réalisation. Mais nous avons le droit de douter des résultats, car veuillez-vous rappeler que les 18 articles devaient diminuer notre budget de 50 p. c., devaient réduire de 25 millions les dépenses de l’armée. M. Lebeau nous reprochait d’arrêter la main prête à recevoir la quittance de la dette, et depuis lors vous savez ce qui est arrivé. Non seulement nous paierons la dette hollandaise, mais elle sera doublée par la nôtre, si nous restons dans un système qui n’est ni la paix ni la guerre.

Mais, dit-on, demandez aux exploitants de Liége les avantages qu’ils retirent du traité de Zonhoven ; qui donc a contesté les avantages de l’ouverture de la Meuse ?

C’est, au contraire, parce que ces avantages sont immenses, vous disais-je samedi dernier, que vous deviez saisir l’occasion qui se présentait d’en faire l’objet d’une stipulation ; vous avez si bien compris vous-même cette nécessité que deux fois vous avez rompu les négociations parce que la Hollande refusait d’admettre cette clause ; vous vous êtes adressé deux fois à la conférence de Londres, qui vous a donné gain de cause.

Comment, poursuit le ministre, concilier l’opinion de deux membres de l’opposition ? l’un prétend que la Hollande n’avait pas besoin de ravitailler Maestricht, et l’autre prétend qu’elle va saisir l’occasion qui lui est offerte pour ravitailler cette place.

En fait d’opposition, je ne comprends pas le langage du ministère. Je ne sais si l’honorable député du Limbourg est ou n’est pas de l’opposition : pour moi, je prétends n’être d’aucun parti, d’aucune coterie, n’importe le nom qu’on lui donne ; je ne connais que mes devoirs ; je saurai toujours les remplir sans m’informer avec qui je marche ; je n’ai aucune relation avec l’honorable députe du Limbourg, je n’ai pris conseil que ma conscience. A part l’état réel ou fictif de Maestricht, vous aviez pour vous un traité, celui du 21 mai ; et c’était en conséquence de ce traité qu’il fallait saisir l’occasion d’agir vigoureusement : la conférence non seulement vous en donnait le conseil, mais elle vous assurait que vous en aviez le droit ; elle vous donnait gain de cause sur toutes vos prétentions.

A ce sujet que dit M. Lebeau ? Chose étrange ! s’écrie-t-il, on nous accuse de nous laisser depuis deux ans traîner à la remorque de la France et de l’Angleterre, et lorsque nous nous affranchissons des conseils de ces puissances, on nous accuse encore. Il faut avouer qu’il y a absence de logique et de raison dans cette tête ministérielle ; comme, c’est dans le moment où, pour la première fois peut-être, la conférence vous donne gain de cause que vous repoussez ses conseils ou plutôt ses arrêts ! Oh, malencontreux homme d’Etat, vous choisissez, il faut en convenir, bien mal votre temps pour faire acte d’émancipation. Il y a deux ans que vous devez ne pas vous laisser traîner à la remorque, mais ce n’était pas dans le moment où on vous conseillait de faire usage de vos droits.

S’il y a là progrès, c’est progrès de peur. Autrefois, on n’osait pas, parce qu’on craignait de blesser la conférence ; mais aujourd’hui on n’ose plus, alors même qu’on y est encouragé par la conférence, alors même qu’il s’agit d’exécuter ses arrêts qui nous donnent gain de cause. Mais vous faites injure à la France et à l’Angleterre ; que doivent dire, que doivent penser de vous ces puissances ? Elles doivent se dire : voilà des hommes incurables, oui incurables, car ils veulent toujours ce que nous ne voulons pas ; et, quand nous voulons ce qu’ils demandent, ils n’en veulent plus. Ils demandent notre appui, nous le leur accordons, et ils n’osent pas en tirer parti ! Comment ! vous vous adressez à la France et à l’Angleterre ; elles prononcent un arrêt qui vous est favorable, et ensuite vous abandonnez vos prétentions ?

Comment qualifier une telle conduite ? si ce n’est point là de la honte, je dois convenir que sous ce rapport comme sur celui de l’honneur, ma définition ne ressemble en rien à celle de M. Lebeau. De deux choses l’une : ou il y avait incurie quand vous avez insisté, pendant 5 mois dans les conférences de Zonhoven, pour obtenir ces clauses, ou il y avait incurie aujourd’hui à ne pas persister quand on vous accordait gain de cause. Choisissez de tous les côtés il n’y a qu’incurie et honte.

M. Lebeau a parlé de don-quichottisme, M. Lebeau a fait à l’opposition un reproche de don-quichottisme ; mais le reproche est trop plaisant dans la bouche de M. Lebeau. Quoi, c’est M. Lebeau qui ose ainsi accuser l’opposition ! Le don-quichottisme, si j’en connais la définition, est la provocation malencontreuse et incessante d’un homme qui recule toujours. Eh bien, rappelez-vous les provocations de M. Lebeau.

Ne vous a-t-il pas dit : La moindre menace de la part de la Hollande, cause de guerre ; l’inondation d’un polder, cause de guerre ; la violation la plus minime du territoire, cause de guerre… Si le roi Guillaume n’accepte pas les 18 articles, il faudra qu’il nous fasse la guerre, disait-il à la séance du 5 juillet 1831 ; or, qu’il y vienne, s’écriait-il d’un ton superbe… qu’il y vienne !...

Eh bien, messieurs, il est venu, et le ministère Lebeau et son don-quichottisme ont été flétris dans les champs de Louvain et d’Hasselt : son système et sa nullité ont été mis dans toute leur honteuse nudité. Si la nation et si la chambre avaient à me reproche un fait de cette nature, non seulement je donnerais ma démission, me considérant comme indigne de représenter un peuple libre et brave, mais je m’enfoncerais cent pieds sous terre pour cacher ma honte à tous les regards ; et c’est M. Lebeau qui ose accuser l’opposition de don-quichottisme !

On a lu des passages du rapport de M. Goblet pour justifier la malencontreuse convention de Zonhoven, on a lu des passages d’une note de la conférence où elle donne le conseil de s’entendre : mais on n’a pas lu le passage de cette même note que j’ai lu à la séance de samedi, et qui condamne, en toutes lettres, les propositions de la Hollande, et nous donne raison relativement à nos réclamations. Les textes étant imprimés, je ne répéterai pas cette lecture qu’on peut trouver maintenant dans tous les journaux ; seulement je ferai remarquer en passant combien il est maladroit d’invoquer un texte qui est précisément la condamnation du ministère.

On est revenu sur le considérant de la convention de Zonhoven, et le ministre de la justice a osé faire un appel à tous les jurisconsultes : moi, qui n’ai pas, comme M. le ministre de la justice, la prétention d’être jurisconsulte, et qui ne dois pas l’être comme lui par mes fonctions, mais qui suis simple avocat depuis 23 ans, je n’ai jamais entendu dire que les considérants d’un arrêt ou d’une convention puissent avoir le même effet que le dispositif, encore moins qu’ils puissent le remplacer.

C’est dans le dispositif d’une convention que vous trouvez les points consacrés et non dans les considérants. C’est là un des premiers éléments de la jurisprudence ; vous n’avez donc rien dans votre considérant, puisqu’il ne se trouve reproduit dans aucun des articles.

Admettons un instant qu’à l’aide du bouleversement de toutes les doctrines, on puisse chercher une stipulation dans les considérants ; voyons en fait ce qu’on peut trouver dans ceux de Zonhoven. Voilà le passage que le ministère appelle à son aide :

« Considérant que la déclaration de messieurs les plénipotentiaires des Pays-Bas dans la note remise par eux le 14 septembre passé, a établi que la navigation de la Meuse est libre et ouverte aux bâtiments belges, conformément… »

Que signifie cette déclaration si ce n’est que la navigation est libre. Mais pour constater ce fait vous n’avez pas besoin d’un considérant ; M. Lebeau vous a dit lui-même que la déclaration d’un bureau constatait le même fait. Remarquez que le considérant ne fait que constater un fait actuel ; mais constate-t-il un fait pour l’avenir ? Non, messieurs, il ne contient donc et à plus forte raison aucune stipulation ni pour le présent ni pour l’avenir. Les plénipotentiaires hollandais n’ont pas fait autre chose que ce qu’aurait fait un homme qui aurait été voir passer les bateaux et qui aurait ensuite dit : La Meuse est libre. C’est un fait, qu’on a constaté dans les considérants de Zonhoven, et non un droit, alors même qu’on pourrait envisager le considérant comme ayant la même force qu’une stipulation dans un des articles.

Il est une observation sur laquelle on a gardé le silence, qu’on n’a pas même essayé de réfuter.

J’ai dit samedi dernier que la note mentionnée dans le premier considérant de la convention de Zonhoven est du 14 septembre ; or, veuillez ne pas oublier que c’est quinze jours plus tard, c’est-à-dire le 29 septembre, que la conférence, répondant à cette note, la regardait comme insuffisante, condamnait les prétentions de la Hollande, et décidait qu’une clause, au sujet de la navigation de la Meuse, devait être insérée dans la convention et que nous avions droit de l’exiger. Je demande de quelle valeur est le considérant après cette décision de la conférence ? le ministère est condamné par la note même de la conférence, dont il a cité des passages. Renoncer à faire entrer dans le texte d’une convention une stipulation sur laquelle on a insisté pendant cinq mois, et qui a été reconnue nécessaire par toutes les parties pour consacrer un droit, n’est-ce pas renoncer à son droit et se contenter d’une jouissance de fait, c’est-à-dire précaire et subordonnée à une volonté, à un fait contraire.

Vraiment, messieurs, il y a découragement bien légitime quand on est obligé de revenir sur des choses aussi claires et démontrées, jusqu’à l’évidence et jusqu’à satiété.

Messieurs, j’avais l’intention de terminer là ma réponse. Cependant je ne puis, malgré moi, m’arrêter. Il faut que je m’explique une bonne fois au sujet du reproche que le ministre de la justice m’adresse en terminant son discours. J’ai l’habitude d’être franc ; j’ai l’habitude de dire toute ma pensée et je ne crains pas de mettre toutes mes actions au grand jour ; ce sera d’ailleurs le moyen de faire taire certains propos colportés en secret.

Eh bien, je déclare nettement, lorsqu’il s’est agi, au congrès de la question de savoir si on établirait la royauté ou une autre forme de gouvernement en Belgique, j’étais, en principe, comme plusieurs de mes collègues, tout à fait disposer à repousser la royauté et même à admettre la république, quoique ce mot effraie à tort bien des gens. Il est un membre du gouvernement provisoire, ici présent, qui doit se souvenir pour quelles raisons le gouvernement provisoire ne se décida pas à proclamer la république. Il n’a pas oublié qu’il a eu plus de peine que moi à renoncer à l’établissement de la république ; et s’il y a renoncé, c’est parce qu’il n’a pas voulu même une apparence de dissidence au gouvernement provisoire.

Nous partagions tous à peu près les mêmes principes politiques, mais nous étions dans la position d’un peuple dont la révolution avait singulièrement remué l’Europe et effrayé les souverains absolus qui nous environnaient. Notre amie la France était gouvernée par un homme qui déviait déjà des principes qui l’avaient porté sur le trône ; cet homme avait déjà pactisé avec la sainte-alliance ; il avait préféré s’appuyer sur la sainte-alliance plutôt que sur l’énergie de la nation à laquelle il devait la couronne. Nous avions la certitude que de ce côté l’appui pourrait nous manquer, si nous proclamions la république, et qu’on ne serait peut-être pas fâché de s’emparer de quelques-unes de nos places fortes.

Au congrès les mêmes idées ont été partagées par beaucoup de membres. Il a été reconnu tout d’abord que la forme monarchique aurait une majorité notable. Que devait faire le gouvernement provisoire ? Il ne pouvait proclamer la république quand la majorité était contre elle. Voilà ce qui a déterminé le gouvernement provisoire à agir comme il l’a fait. Nous considérâmes tous que la royauté pouvait être établie de la même manière qu’en France, qu’on pouvait en faire une monarchie républicaine ou une république monarchique. Nous avons voulu faire un nouvel et dernier essai de la royauté.

On nous la dépeignait sous des formes si séduisantes, sous le costume d’un bon bourgeois, se promenant à pied le parapluie sous le bras ; nous nous étions fait, d’après ces peintures, une idée telle de la royauté que nous étions persuadés qu’elle ne sortirait pas de cette modeste allure ; mais d’un autre côté nous avions confiance ; s’il ne s’agit pas ici du Roi régnant, on ne savait pas alors qui sera élu ; plusieurs candidats se présentaient, et M. Lebeau était constamment en quête tantôt c’était le prince Othon, le duc d’Arenberg, le prince de Ligne ; M. Lebeau n’avait d’exclusion que pour le prince de Saxe-Cobourg, qui fut son dernier candidat ; nous avions, dis-je, confiance dans un roi qui devrait tout à notre choix, et accepterait les conditions que nous lui imposerions.

Nous voulions donc une monarchie dans l’intérêt du peuple ; et nous pensions qu’en définitive, une constitution telle que nous voulions la faire, étant bien exécutée, n’étant interprétée par aucun ministère, car aux chambres seules appartient le droit d’interprétation, nous n’avions rien à craindre pour nos droits, et nous consentîmes la royauté.

Mais aujourd’hui, messieurs, réfléchissez-y bien, nous sommes loin de tous ces éléments qui ont déterminé nos résolutions. Quand, en décembre 1830, je me suis chargé avec mon collègue Van de Weyer de combiner un mariage entre un prince français et une princesse anglaise, ou entre un prince anglais et une princesse française, c’était, bien entendu, à la condition que le prince ferait respecter l’intégrité du territoire ; à la condition que, ne désertant aucune des droits de la Belgique, il ferait respecter le nom belge ; cependant, qu’est-il arrivé ? Vous savez que l’élection du mois de juin nous coûte la moitié du Limbourg et la moitié du Luxembourg ; notre constitution a été violée. Les députés devaient être respectés dans leurs opinions ; à plus forte raison, n’être pas destitués. Eh bien ! des fonctionnaires ont été destituées : les uns, sous prétexte de républicanisme ; d’autres, sous prétexte de catholicisme ; les autres, sous d’autres prétextes. Le ministère a proclamé hautement que des opinions émises à la chambre en étaient le seul motif. A l’égard de l’un d’eux c’est le désappointement de quelques fonctionnaires aux dernières élections qui a motivé la destitution.

Pour l’armée, messieurs, les actes du premier ministère ne sont-ils pas subversifs de votre révolution ? n’a-t-on pas sacrifié tous les hommes de cette révolution ? ne les a-t-il pas calomniés, même dans cette enceinte ? Et, croyez-vous qu’un homme qui s’est livré tout entier à la révolution, dans l’espoir de faire quelque bien à son pays, puisse douter que c’est la révolution qu’on attaquée dans les hommes, et au profit d’une dynastie qui a cru ne pouvoir se maintenir qu’en offrant en holocauste les éléments révolutionnaires aux despotes dont on mendiait la reconnaissance ? oui, messieurs, j’ai cru pour un instant que le peuple pouvait être heureux avec une dynastie ; mes illusions sur la royauté sont passés, je n’ai plus la même confiance en cette institution.

Je le déclare ouvertement, plus j’ai médité sur cette question élevée relative à la forme des gouvernements, et plus je suis convaincu que les royautés à dynasties sont pernicieuses pour les peuples. En voici la raison : il s’établit aussitôt deux intérêts ; l’intérêt du pays et l’intérêt de la gloriole de la dynastie ; or, l’intérêt du pays n’est bientôt plus que secondaire ; il est toujours négligé et sacrifié au profit de l’autre intérêt, qui est bientôt considéré comme la base et le principe de tous les autres ; c’est ce qu’on ne cesse de vous répéter chaque jour.

Je ne dis pas que la royauté soit absolument inconciliable avec le bonheur du pays : si, au lieu de payer certains journaux pour insulter les hommes qu’on désespère d’effrayer ou de corrompre ; si on s’occupait des intérêts de tous, sans distinction de castes ; si on savait se dépouiller de tout préjugé ; si on prenait pour règle unique la constitution et rien que la constitution, on pourrait bien gouverner, et avec beaucoup moins de peine qu’on ne s’en donne pour mal faire. Par la constitution on écarterait la légion de ces parasites qui tendent sans cesse la main ; on soulagerait l’administration des trois quarts de sa besogne, car on perd plus de temps à écouter les solliciteurs ou à exciter l’appétit d’hommes qu’on veut s’attacher, que l’on n’en emploie pour l’administration du pays.

Chacun connaissant ses droits et ses devoirs, administrants et administrés, au lieu de perdre leur temps en intrigues et sollicitations, travailleraient tous à la prospérité et à la gloire de la commune patrie.

Je n’aurai foi dans une dynastie que lorsque j’aurai vu la constitution considérée comme sacrée aux yeux de tous ; lorsque j’aurai vu le chef de l’Etat briser comme verre le ministère qui y porterait la plus légère atteinte.

Il est temps encore, on peut rentrer dans la constitution : que des hommes nouveaux la mettent à exécution ; qu’ils ne s’occupent point des partis : les partis ne se sont formés, en Belgique comme en France, que parce qu’ils ont vu le gouvernement dévier de son origine, et méconnaître le principe de son existence ; faites exécuter la constitution envers et contre tous ; rendez justice à chacun ; appuyez-vous sur l’honneur et les susceptibilités nationales, ne vous laissez pas insulter par des négociateurs hollandais. Dans une lettre adressée par un général hollandais à un major belge, on ne daigne pas même parler du gouvernement belge ; un simple général vous trouve indigne, vous membre du gouvernement et qui représentez quatre millions d’habitants, d’une correspondance directe, et cependant vous regardez sa lettre comme un bienfait, comme un titre remplaçant des stipulations que vous aviez le droit d’exiger.

Hommes du gouvernement, faites votre devoir en gens d’honneur ; avec dignité à l’extérieur, avec zèle et justice à l’intérieur ; ne connaissez aucune coterie ni dans cette enceinte, ni hors de cette enceinte ; dégagez-vous de toute prévention comme de toutes suggestions. Et nous, qui n’agissons et ne parlons que par conviction, nous sommes tous disposés à céder à une conviction contraire à celles qui nous anime aujourd’hui, quand on prouvera qu’on veut soutenir les intérêts matériels et moraux de la nation. Alors on trouvera de l’appui dans la Belgique. Et celui qui a fait sa profession de foi avec franchise vous donnera, placé toujours sur ce même banc, son appui, et il est possible que sa voix ait du retentissement alors comme il y a trois ans. (A la fin de ce discours, des bravos se font entendre dans les tribunes publiques. M. le président agite sa sonnette et le silence se rétablit).

(Moniteur belge n°345, du 11 décembre 1833) M. Pollénus. - Le ministre de la justice m’a adressé le reproche d’être en contradiction avec moi-même ; la lecture de l’opinion que j’ai émise lui eût prouvé le contraire. J’ai manifesté des craintes ; en voici les motifs : Les dispositions de la convention du 21 mai ne me paraissent pas rassurantes ; de plus, le projet de loi présenté par le ministre de la guerre sur le contingent de l’armée est loin de me rassurer. On nous demande de conserver l’armée sur le même pied qu’en 1833, parce que, dit-on, il est impossible de prévoir les événements. Je suis sans doute de l’avis du ministre ; mais, en partageant son avis, je n’ai pas plus de sécurité.

M. Dumortier. - J’ai fait des interpellations graves au ministère sur la manière dont il interprète des lois importantes. J’ai demandé si par l’une il se croyait autorisé à introduire nos ennemis mortels sur notre territoire ; si par d’autres il était prêt à violer de nouveau la constitution, et à faire de nouvelles concessions : le ministre de la justice a gardé le silence sur ces points. S’il ne fait aucune réponse, je serai forcé de renouveler mes interpellations. Il faut que l’on sache si nous sommes vendus, si nous sommes liés par les actes ministériels. Si le ministère arrivait avec un traité tout fait, faudrait-il sacrifier le pays, ou sacrifier la parole royale ? J’attendrai une réponse avant de faire de nouvelles interpellations.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je déclare que si c’est en qualité de président du conseil qu’on m’interpelle, je n’ai rien à répondre. Si je m’attachais à la forme sous laquelle l’interpellation est faite, je me renfermerais dans le silence, parce qu’elle n’est pas parlementaire : mais je dirai à la chambre, et non à l’orateur, que, selon moi, le traité du 15 novembre a épuisé les effets de la loi toute spéciale qui a autorisé ce traité.

M. Dumortier. - Je demande acte des paroles du ministre, parce qu’elles sont de la plus haute importance ; elles doivent être insérées dans le procès-verbal.

Je désirerais que M. le ministre des affaires étrangères fût présent ; j’ai plusieurs observations à présenter sur la convention de Zonhoven.

M. F. de Mérode. - Faites toujours vos observations ; le ministre les lira dans le Moniteur.

M. Dumortier. - Si l’on ne clôt pas la discussion, je pourrai parler demain ; l’heure est avancée.

M. F. de Mérode. - Parlez ! parlez ! On ne peut pas continuer la discussion pendant 10 jours.

M. Dumortier. - Puisque le ministère a jeté le gant à la nation, puisqu’il a méconnu ses devoirs les plus sacrés, puisqu’il a méconnu la dignité royale dont il est le représentant, je parlerai, et dût la discussion continuer 10 jours, le temps sera bien employé en combattant un acte aussi désastreux que la convention de Zonhoven.

- L’honorable membre commence en effet à développer quelques considérations sur cette convention ; mais à peine est-il entré dans quelques détails qu’un grand nombre de membres se lèvent et quittent la salle.

MM. les représentants n’étant plus assez nombreux pour délibérer, la discussion est continuée à demain.

La séance est levée à quatre heures et demie.