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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 4 décembre 1833

(Moniteur belge n°340, du 6 décembre 1833)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

La séance est ouverte à midi et demi.

Après l’appel nominal, l’un de MM. les secrétaires donne lecture du procès-verbal dont la rédaction est adoptée.

Pièces adressées à la chambre

Quelques pétitions sont renvoyées, après analyse, à la commission des pétitions et à la commission d’industrie.


M. de Robaulx. - Messieurs, la chambre est saisie de la question relative aux lins, on en connaît toute l’importance. Il vient de me tomber sous les mains un rapport de la commission supérieure d’industrie qui a été imprimé à la diligence du ministère.

Ce rapport traite à fond la question, et je désirerai qu’il fût distribué à tous les membres de la chambre, aussi bien que ceux qui sont dans les bonnes grâces des ministres. La chambre a le plus grand intérêt à examiner cette pièce qui m’a été communiquée par une personne étrangère, et j’insiste pour qu’elle soit imprimée et distribuée à chacun de nous.

- Quelques voix. - Cela regarde M. le ministre de l'intérieur, et il n’est pas présent.

M. de Robaulx. - J’attendrai qu’il soit ici.


M. de Renesse. - Des procès-verbaux de trois conseils communaux de la province du Limbourg, qui consentent à fournir des logements aux troupes hollandaises, moyennant une indemnité de 35 cents, ont été déposés ce matin pour être ajoutés aux pièces relatives à la convention de Zonhoven. Ils seront imprimés ce soir.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1834

Discussion générale

M. Seron. - Messieurs, je n’ai pas demandé la parole pour vous entretenir des vices du système actuel d’impôts, parce que je ne pourrais, à cet égard, que répéter ce que j’ai dit plusieurs fois, chaque année à cette tribune, à partir des premiers mois de la révolution, époque à laquelle je demandais de nouvelles lois sur les patentes, la contribution personnelle, les droits de succession, ainsi que le rétablissement du droit d’enregistrement à raison de 2 p. c. sur le produit des ventes de bois et des récoltes sur pied, conformément à la loi du 22 frimaire an VII.

Mais je ne puis me dispenser d’appuyer la proposition de mon ami M. Pirson, et voici succinctement mes motifs :

1° Il faut savoir si nous serons éternellement assujettis à des droits de patente dont la fixation est abandonnée à l’arbitraire des agents du fisc, intéressés à les augmenter, ne fût-ce qu’afin de se rendre recommandable aux yeux de ce qu’ils nomment les administrateurs et d’obtenir ainsi de l’avancement ;

2° Il faut savoir si l’on conservera, après trois années d’une révolution faite principalement en haine des impôts hollandais, la loi néerlandaise sur la contribution personnelle avec ses bases vexatoires, ses amendes et ses visites domiciliaires ; ou si, à cette inique contribution de quotité, on substituera une contribution de répartition.

MM. les employés des accises, dont le ministre a demandé l’avis, opineront sans doute en faveur de l’impôt de quotité, pour deux motifs dont je tairai le premier de peur de blesser leur amour-propre. Le second motif, c’est que si l’on rétablit l’impôt de répartition, ils ne pourront plus exercer les contribuables ni constater des contraventions.

En troisième lieu, il faut savoir si nous paierons à la Hollande les 8 millions 400 mille florins que le traité en 24 articles met à notre charge ; objet dont le montant peut aller à 73 millions de francs, y compris l’année 1834, et que le budget de la dette publique passe sous silence sans dire pourquoi. Si l’on a trouvé le moyen de nous en décharger, tout est bien ; mais, dans le cas contraire, il me paraît indispensable d’examiner jusqu’à quel point il est prudent de diminuer les contributions comme on le propose ; il faut être sûr qu’après les avoir diminuées, nous ne serons pas forcés de revenir sur nos pas et de les augmenter. Il faut examiner si, pour couvrir les arrérages de cette dette, on doit recourir à un nouvel emprunt, question importante et qui doit donner lieu à une longue discussion.

Enfin, avant de fixer le montant des recettes, il convient de connaître le montant des dépenses.

L’examen de ces questions me paraît un préalable nécessaire à l’adoption du budget des voies et moyens.

(Moniteur belge n°341, du 7 décembre 1833) M. Meeus. - Messieurs, le budget des voies et moyens qui vous est présenté nécessiterait de ma part une critique très développée, si M. le ministre des finances ne nous avait assuré, au nom du gouvernement que sous peu nous seraient soumis des projets de loi tendant à modifier la nature de nos impôts et à en établir la répartition d’une manière plus équitable. Toutefois, pour éclairer le gouvernement sur ces lois, qu’il nous promet depuis longtemps et qu’enfin il paraît décidé à donner au pays, je ferai remarquer ce que j’ai déjà eu l’honneur de dire à d’autres époques, c’est que l’impôt le meilleur est sans contredit la contribution foncière ; mais par sa répartition vicieuse qui existe actuellement, c’est l’impôt le plus écrasant et le plus injuste.

Dans d’autres circonstances, j’ai fait ressortir les disproportions choquantes qui existent non seulement de province à province, de canton à canton, de commune à commune, mais même de particulier à particulier. Vous vous rappellerez que j’ai prouvé, les tableaux à la main, que tandis qu’une province payait jusqu’à 14 p. c., une autre ne payait que 4 ; que tandis qu’un canton payait jusqu’à 18, un autre ne payait que 2 ; que pour les communes, c’était plus arbitraire encore : qu’une commune payait jusqu’à 20, tandis que d’autres ne payaient que 1 à 2 p. c. J’ai montré que les disproportions n’étaient pas moins choquantes pour les particuliers.

J’ai demandé alors qu’on forçat le gouvernement, en attendant la confection définitive du cadastre à faire une nouvelle répartition de la contribution foncière. On m’a objecté que le cadastre serait bientôt terminé. Mais il y a vingt ans que le cadastre nous est promis, et il n’est pas encore achevé. Faut-il ajouter foi aux nouvelles promesses qu’on nous fait ? Pour ma part, je ne compte pas sur l’application possible du cadastre avant quatre ans, et pendant tout cet intervalle les disproportions vexatoires que j’ai signalées continueront d’exister au grand détriment des contribuables. Pourquoi donc ne pourrait-on pas, en attendant, aviser à une nouvelle répartition, fût-ce même d’après les éléments qui ont servi sous la convention nationale.

Quant à l’impôt personnel, d’autres orateurs ont suffisamment insisté pour sa révision. Chacun sait que tandis que dans une ville, un artisan doit payer une contribution personnelle de 20 à 25 fl., un riche propriétaire qui demeure à la campagne, qui a 200 hectares de terre, ne paie pas un seul cents de ce chef.

Je ne m’étendrai pas non plus sur l’impôt des patentes. J’attendrai avec confiance les lois nouvelles que le ministre a annoncées pour la présente session. Mais si je vote le budget des voies et moyens, c’est, je le répète, parce que je compte, sur l’accomplissement de cette promesse et sur le changement prochain de la base de répartition de nos impôts.

J’arrive maintenant à la convention passée entre le gouvernement et la banque, qui a fait l’objet du discours de l’honorable M. l’abbé de Foere.

Certes, ce n’est pas à moi, messieurs, de faire l’apologie de la conduite du ministre des finances en cette occasion ; mais j’ai été trop initié à la connaissance de cette affaire pour ne pas devoir déclarer que ce ministre a agi dans le véritable intérêt du pays.

On ne s’est jamais assez rendu compte de la situation de la banque vis-à-vis du gouvernement, quant au solde qui restait dans ses caisses. On n’a jamais assez compris que cette banque elle-même était liée ; que les hommes qui la dirigent ne pouvaient agir que dans le cercle des statuts et des règlements antérieurs. Eh bien ! qu’ont dû faire ceux qui sont à la tête de cet établissement ? ils ont dû, conformément à leurs statuts, s’entourer des lumières des jurisconsultes les plus renommés.

Or, tous les avocats consultés ont décidé à l’unanimité que sans assumer sur elle la plus grande responsabilité, il était interdit à la direction générale de compter au gouvernement actuel les sommes dues a l’ancien gouvernement. Voilà donc quel a été l’état des choses jusqu’au moment où le ministre s’est adressé à la banque avec d’autres formes que celles qu’on lui avait suggérées dans cette enceinte. Il ne restait au gouvernement que deux partis à prendre : l’un, et c’est celui que j’ai conseillé moi-même comme député, dans l’intérêt de la banque elle-même, pour le dire en passant, c’était de l’attraire en justice. Ce moyen, il ne m’appartient pas d’expliquer pourquoi le gouvernement ne l’a pas employé. Toujours est-il vrai que si ce moyen avait été employé, il aurait entraîné des longueurs, et qu’on aurait, pendant tout ce temps, laissé oisif un capital énorme.

On a parlé de dignité du pays compromise par la transaction avec la banque. Je ne puis concevoir en quoi la dignité de la nation a été compromise dans cette circonstance. Il était, au contraire, de la dignité du gouvernement de ne pas exiger que les hommes qui dirigent une société particulière assumassent sur leur tête une responsabilité monstrueuse, malgré la décision des premiers jurisconsultes du pays, la responsabilité de sommes énormes, car il n’est pas impossible que cela puisse arriver. Ainsi donc le gouvernement a agi dans les vrais intérêts du pays, je le déclare comme député.

Je vais plus loin : si j’avais été ministre des finances, loin de demander à la chambre de permettre le placement des fonds dont il s’agit, j’aurais fait ce placement de ma propre autorité, parce qu’il était utile au pays. Du jour où l’on serait venu consulter la chambre à cet égard, on aurait éclairé tous les spéculateurs sur ce placement, et le gouvernement n’aurait pu l’opérer qu’à un taux très désavantageux. Il est des cas où le gouvernement doit agir librement et prendre la responsabilité de ses actes.

Je n’en dirai pas davantage sur une opération pour laquelle le gouvernement, je pense, ne rencontrera pas ici beaucoup de contradicteurs, et j’en viens au discours de M. de Foere, que je regrette de ne pas voir en ce moment dans cette enceinte.

Cet honorable membre a attaqué à la fois et le gouvernement et la banque dans leurs rapports mutuels. Il est nécessaire, pour bien faire comprendre la valeur de son discours, de vous en citer plusieurs passages. Il contient non seulement des assertions erronées, mais il contient, en matière de finances et d’économie sociale, des principes faux qu’il est essentiel de combattre. Bien que je reconnaisse à l’honorable abbé de Foere des talents non pas seulement de spécialité, mais même de généralité dans les finances, je dirai avec franchise que ces principes, s’ils étaient admis, conduiraient le crédit public à sa perte.

Voici ce que je lis d’abord dans le discours de M. l’abbé de Foere :

« Je n’entrerai pas dans la question de savoir s’il y a collusion entre le gouvernement et la banque » (je lui sais gré de cette concession), « mais alors, continue-t-il, il en résulte que l’administration actuelle n’est pas à la hauteur des connaissances financières qu’elle doit avoir pour être à la tête des affaires du pays. »

Plus loin il s’exprime ainsi : « Je ne ferai sur ce premier emprunt aucune observation critique (…) Seulement je ferai remarquer à la chambre que la clandestinité avec laquelle cette opération a été faite m’a obligé de voter contre l’emprunt parce qu’on ne voulait pas le proposer à la publicité et à la concurrence des capitalistes du pays ; ils ont été exclus du contrat, etc. »

Il résulte clairement de ces paroles que. M. l’abbé de Foere a voté contre le premier emprunt parce qu’on n’admettait pas la concurrence. Eh bien ! moi je n’ai pas voté alors pour l’emprunt et je n’ai pas voté contre parce que je n’avais pas encore l’honneur de faire partie de la législature ; mais bien certainement si j’avais siégé dans cette enceinte j’aurais voté pour l’emprunt et contre la publicité, et j’aurais cru agir dans l’intérêt du pays. Soutenir la thèse contraire, c’est trouver matière à un discours, mais ce n’est pas dire la vérité.

Messieurs, rappelez-vous quel était à cette époque le crédit belge. Comment pouvait-on espérer des conditions meilleures que celle qu’on a obtenues ? Un mois avant l’emprunt dont il s’agit, les 12 millions étaient cotés à 73. Eh bien ! pouvait-on espérer que les capitalistes du pays, qui obtenaient par ce cours un bénéfice de 32 1/2 pour cent pour 18 mois, auraient voulu contracter à 70 ? C’était impossible ; et la preuve, c’est qu’en définitive, malgré les efforts qu’on fit pour élever l’emprunt de 12 millions, ce ne fut que trois mois après qu’il atteignit le taux de 80 a 85.

Vous voyez donc bien, messieurs, que le gouvernement a bien fait à cette époque de ne pas admettre la publicité, qui l’aurait mis, en quelque sorte, dans l’impossibilité de contracter avec des maisons étrangères ; car du jour où un emprunt livré à la concurrence publique n aurait pas été pris, il aurait fallu recourir aux capitalistes étrangers. Ces derniers auraient bien voulu prêter, mais à des conditions tellement onéreuses qu’elle n’auraient pu être admises. Au lieu de 75 ils auraient prête à 50, parce que vous auriez dévoilé le peu de crédit que vous aviez dans votre propre pays. Le gouvernement a donc bien fait, et M. de Foere a mal raisonné sous ce rapport.

Après avoir énuméré les conditions de ce deuxième emprunt, il ajoute : « La banque de Bruxelles a été cotraitante avec la maison Rothschild. Le premier emprunt lui avait fait faire de gros bénéfices ; il fallait se réserver à elle seule et à la maison Rothschild tous ceux du deuxième. »

D’abord, il est inexact de dire que la banque de Bruxelles était partie contractante lors du premier emprunt ; elle n’est pas intervenue au contrat. Il lui a été offert non pas cinq millions, comme l’a dit M. l’abbé de Foere, mais 1,800,000 florins, ce qui fait une grande différence. Je suis charmé que l’honorable collègue auquel je réponds entre en ce moment, afin qu’il puisse entendre mes paroles.

Il continue : « J’appelle ici toute votre attention sur d’autres ruses financières que la banque emploie dans son intérêt exclusif, et qui surpassent en réprobation celles que j’ai eu l’honneur de vous signaler. La banque de Bruxelles a pris une part de 5 millions dans le premier emprunt et de 8 millions dans le deuxième. Il était dans l’intérêt du pays que la banque fît avant la négociation du deuxième emprunt les publications qu’elle a faites après. »

Messieurs, vous aurez tous lu sans doute le discours qu’a prononcé l’honorable abbé dans la séance d’avant-hier, car vous connaissez ses talents en matière de finances, d’économie sociale, et c’est justement pour cela que je regrette qu’une institution nationale qui rend de véritables services au pays soit attaquée par un homme que nous regardons comme le Ricardo de la Belgique.

Il est curieux de tirer, des termes mêmes dont s’est servi cet orateur, de quoi donner à la banque les louanges les plus flatteuses. Il ne s’agit pour cela que d’intervertir les dates citées par lui.

Il a dit qu’il était dans l’intérêt du pays que la banque fît avant la négociation du deuxième emprunt les publications qu’elle a faites après. Eh bien ! j’invoque à cet égard le témoignage de M. Coghen, qu’il dise si ces publications n’ont pas été faites avant. Il faut donc en conclure que, d’après M. de Foere, la banque a bien mérité du pays. C’est sur la demande de M. Coghen que l’emprunt de 12 millions fut élevé au taux de 80, par l’annonce que fit la banque qu’elle recevrait cet emprunt, non seulement en paiement des biens qu’elle vendait, mais contre ses propres obligations. Voilà ce qui est à l’abri de toute contradiction et ce que M. de Fore aurait dû savoir, s’il s’était donné la peine de lire le Moniteur de cette époque.

« Mais, dit M. de Foere, la banque était intéressée à maintenir bas le cours du premier emprunt, afin de pouvoir prendre le deuxième à un taux plus profitable pour elle. »

Messieurs, la banque n’a jamais désiré de participer à ce deuxième emprunt ; si elle a pris 8 millions, c’est parce que c’était une condition expresse de la maison Rothschild.

L’honorable membre poursuit : « Après la conclusion du deuxième emprunt, qui a eu lieu le 11 septembre 1832, la banque de Bruxelles ne faisait pas encore ses publications. »

Or c’est précisément le 11 septembre que la banque faisait ses publications et qu’elle annonçait, non seulement à toutes les personnes qui achèteraient, mais à celles qui avaient acheté, qu’elle recevrait à 80 l’emprunt Rothschild.

Il ajoute : « En effet, dès le 26 décembre, le ministre des finances a déposé sur le bureau un projet pour une levée de bons du trésor, annonçant en même temps la nécessité d’autres emprunts et pour d’autres besoins. Les discussions privées dans les sections et la section centrale, et la discussion publique à la chambre, n’enfantèrent pas moins de cinq projets, non compris celui du ministre des finances et le deuxième que la commission nommée ad hoc devait encore produire, projets que, pour le bonheur du pays, la discussion publique a fait tous avorter, à l’exception du premier présenté par la commission. Les spécialités financières, comme on dit, de la chambre prirent une grande part à ces projets. M. Coghen en présenta un ; M. Meeus deux ; M. Osy peut être regardé comme auteur principal du projet de la section centrale, et ces trois spécialités ensemble, comme auteurs du projet que la commission proposa avec l’intention ouvertement déclarée à la chambre de nous présenter un autre projet de loi tendant à lever encore d’autres millions dont on avait fait valoir les besoins imaginaires. »

Les honorables spécialités avec lesquelles je me suis entendu, ont non seulement présenté ce projet, mais elles ont combattu celui de M. de Foere. Pour moi, je n’appellerai pas M. de Foere une spécialité, mais une généralité, parce que je reconnais tous ses talents.

Cet honorable membre voulait alors une dette flottante, non pas pour suppléer aux revenus arriérés, mais une dette flottante permanente et non garantie, pour faire face à des dépenses extraordinaires non couvertes par le budget des voies et moyens.

C’est alors que j’ai combattu son système avec M. Osy et M. Coghen, et je m’en félicite. La chambre, dit-il, a bien fait de ne pas voter tous ces millions qu’on proposait pour des besoins imaginaires. Mais il faut rapporter tous les faits.

Dans quelle situation était le gouvernement ? pourquoi avait-on demandé ces millions ? voilà ce qu’il faut examiner, Peu de mots suffiront, messieurs, pour rafraîchir votre mémoire.

On annonçait alors la nécessité de nouvelles charges ; le gouvernement semblait vouloir prendre une attitude moins timide envers la Hollande. Que voulait le ministère ? une ressource qui mît le gouvernement à même de faire face à des dépenses extraordinaires. Il fallait donc nécessairement recourir à de nouveaux impôts ou emprunter. La majorité de la chambre a été de ce dernier avis. Eh bien alors on proposa non pas 72,000,000 de francs de bons du trésor, mais la création d’une certaine portion de bons du trésor pour la dette flottante, et en second lieu une certaine portion de bons du trésor, pour avoir le temps de négocier un emprunt, soit avec les capitalistes belges, soit avec les capitalistes étrangers, dans le cas où la guerre en imposerait la nécessité au gouvernement. Voilà quelles furent nos raisons.

M. de Foere dit après cela : « Remarquez aussi, messieurs, que jusque-là la banque avait suspendu ses publications qui devaient avoir nécessairement pour effet de faire monter les obligations Rothschild ; mais dès qu’elle eut perdu l’espoir de tomber encore sur ces millions visionnaires qui avaient été proposés, seulement alors elle fit ses publications qui firent hausser les fonds du pays. »

J’avoue franchement que ces millions visionnaires, M. de Foere seul les connaît, la banque ne les connaît pas.

Quant aux publications, j’ai déjà démontré que cet honorable membre s’était trompé de date et que sa critique se trouvait être une louange par la banque.

Ensuite M. l’abbé de Foere s’attache à démontrer qu’en faisant hausser les fonds, la banque a eu un bénéfice, parce que les acheteurs de ses biens se sont dit : « Si mon papier monnaie vaut plus auprès de la banque, je puis acquérir ses terres à un prix d’autant plus élevé. » Enfin, la banque a fait un troisième bénéfice en faisant monter les fonds, car elle augmentait ainsi ses propres valeurs.

Messieurs, cela ne prouve qu’une chose, c’est que l’intérêt de la banque est lié à celui du pays. Au reste M. de Foere s’est bien gardé de faire remarquer que la banque a agi ainsi non pas pour les ventes à venir, mais pour les ventes passées, c’es-à-dire qu’elle a permis aux acheteurs de payer en emprunt belge, de sorte que le cours des fonds devait monter sur les places d’Anvers et de Bruxelles. Tout le monde en a profité, peut-être M. de Foere lui-même, et voilà pourquoi c’était une mesure utile.

Je passe à d’autres réflexions, sur lesquelles je ne puis garder la silence, parce qu’elles me paraissent de nature à faire tomber la chambre dans l’erreur.

« Le ministre (c’est M. de Foere qui parle) a fait des effets de la dette flottante des billets à ordre, tandis que la loi du 16 février, qui établissait la dette flottante, n’en parle pas. Il est vrai que l’honorable M. Meeus en avait fait la proposition, mais sa proposition n’a pas même été discutée, et le ministre des finances a fait prendre au Roi un arrêté, dans lequel il est dit que les effets de la dette flottante entreront aussi dans la circulation comme des mandats à ordre. Cette mesure est encore dans l’intérêt de la banque, non seulement afin d’empêcher la circulation des effets d’une dette flottante, mais encore afin de faciliter ses propres opérations de banque, ses escomptes et ses remises. »

Messieurs, la dette flottante, telle qu’elle existe et telle que, je l’espère, vous la conserverez, n’est nullement créée dans l’intérêt de la banque et des capitalistes, mais dans l’intérêt du trésor ; et il me sera bien facile de vous le prouver, comme je crois déjà l’avoir fait à d’autres époques.

Notre dette flottante a cela de particulier et de différent de celle des autres pays, c’est qu’elle est payable à Paris, et c’est sur ma demande même que cette disposition a été arrêtée. Du reste, elle a le même caractère que la dette flottante française. La preuve le plus convaincante qu’elle est dans l’intérêt du trésor, c’est que, presque tous les bons du trésor, à quelques exceptions près, sont de véritables lettres de change qui vont jusque sur les places d’Amsterdam, de Vienne, de Saint-Pétersbourg. Sans cette condition précieuse, vous ne pourriez point placer à 6 pour cent, à moins de vous adresser à la banque, et puisque M. l’abbé de Foere est désireux de voir le gouvernement se détacher de la banque, il faut maintenir cette condition.

Pour blâmer l’émission des 15 millions de bons du trésor, l’orateur dit : « La loi du 16 février établit un maximum de commission de 2 p. c. Ce taux n’était donc pas obligatoire ; la loi elle-même dit que ce n’était qu’un maximum. On n’était donc pas obligé d’accorder cette commission de 2 p. c., attendu qu’eu égard à la cote de nos fonds, une commission d’un p. c. ajouté à un intérêt de 6 p. c. était déjà une monstruosité. Nos fonds étaient le 1er mars à 85 p. c. et le 8 à 87 p. c. Or, c’est le 12 mars seulement que les souscriptions aux bons du trésor ont été proposées. Il s’en suit que le ministre, en accordant 8 p. c. à une maison étrangère, a négocié nos bons du trésor, comme si le crédit du pays ne valait alors que 60 p. c., ou, en d’autres termes, qu’il a fait perdre au pays 20 p. c. sur 6 millions de bons du trésor concédés à la maison Rothschild et probablement à son correspondant la banque de Bruxelles. »

La question est de savoir si le gouvernement pouvait émettre les bons du trésor à des conditions plus favorables que le maximum fixé dans la loi même. Eh bien ! je vous déclare, messieurs, que ce ne fut qu’à grand-peine qu’on parvint à placer les six millions à Paris ; quant à ceux placés ici, ce n’a pas été dans l’intérêt de la banque, car la banque fit ouvrir des souscriptions à Bruxelles, et les souscripteurs dépassèrent de plus de 3/4 la somme à prendre. Une seule échéance ne fut pas remplie, et une somme de 1,500.000 florins resta à la banque. La raison toute simple c’est que le public savait que ces fonds étaient placés. Voilà pourquoi il y eut un élan aussi grand à cette époque, et je m’en réjouis.

A la sollicitation de la chambre on a voulu dernièrement, et malgré mon opinion, procéder par la publicité si vivement réclamée de M. de Foere. Eh bien ! il est fâcheux de le dire, deux millions et quelques cent mille francs seulement furent offerts. Or, je vous le demande, si la banque n’avait pas été là pour prendre ce qui n’avait pas été pris, croyez-vous que le crédit belge se serait trouvé dans une position bien favorable ? On a parlé des événements, de la mort du Roi d’Espagne, mais de pareilles ou semblables catastrophes qui font tomber le cours de l’un ou l’autre fonds public, arrivent 12 ou 15 fois par an ; tantôt ce sont les perpétuelles qui tombent, tantôt ce sera la rente foncière.

Faut-il subordonner l’action du trésor à toutes ces variations possibles ? Comme je l’ai dit, il y a de la sagesse de la part du gouvernement à recevoir à bureau ouvert toutes les demandes pour les bons du trésor, sans faire connaître au public ni la somme dont il a besoin ni les souscriptions particulières. Si ces souscriptions ne suffisent pas, qu’il s’adresse pour y suppléer aux institutions créées dans ce but. C’est ainsi que procède la France : elle reçoit des souscriptions à bureau ouvert, et en cas d’insuffisance, elle traite avec la banque pour une somme de 10 ou 15 millions, selon les besoins.

M. l’abbé de Foere établit un calcul d’où il résulte une perte énorme sur le capital de la dette flottante ; mais, si l’on continue à calculer ainsi, on ne trouvera bientôt plus que zéro.

Il dit plus loin : « J’ai signalé les ruses financières que la banque a employées dans son seul intérêt, lors de l’emprunt des 48 millions et dans l’exécution de la loi qui créait une dette flottante ; c’est le même esprit qui l’a dirigée dans la proposition de convention dont il a été parlé dans le discours du trône. Remarquez, messieurs, et les circonstances et le temps dans lesquels cette proposition a été faite : c’était lorsque le gouvernement n’avait pas besoin d’argent, lorsqu’il venait d’émettre pour 5 millions de bons du trésor et à la fin de l’année, lorsque les contributions entrent en masse. La banque savait bien que le gouvernement n’avait, pour le moment, pas besoin de ces 12 millions. »

D’abord il faut rectifier les faits. La banque n’a rien proposé ; le gouvernement a fait des propositions, et la direction de la banque a cherché avec lui le moyen de mettre sa responsabilité à couvert ; enfin ce moyen a été trouvé, et le placement que le gouvernement a fait des sommes qui, par suite de la transaction passée avec la banque ont été mises à la disposition du pays, mérite à mon sens l’assentiment des chambres.

Du reste, M. l’abbé de Foere semble n’être pas bien informé de l’état des caisses dans tous les pays, lorsqu’il dit que c’est à la fin de l’année que les caisses de l’Etat sont abondamment pourvues ; car c’est précisément à la fin de l’année que le trésor éprouve toujours une pénurie, par la raison qu’il faut paver les employés et qu’il reste des arriérés énormes sur les contributions.

Permettez-moi de passer maintenant en revue les moyens que l’honorable membre a présentés comme remèdes aux abus qu’il signale. Ils sont au nombre de cinq et voici le premier.

« Le premier moyen que j’ai l’honneur de proposer, c’est la publicité, c’est la concurrence, dans toutes les branches de l’administration des finances. Cette publicité, cette concurrence vous délivreront à jamais de ces odieux privilèges au moyen desquels on a trouvé jusqu’ici à faire ses propres affaires bien plus avantageusement que celles du pays. »

Ce premier moyen a du bon et du mauvais. C’est une chose utile en général que la publicité ; mais, telle circonstance peut survenir où elle serait funeste. J’ai déjà eu l’honneur de vous dire que quand le premier emprunt eut lieu, le taux de l’emprunt de 12 millions remboursables 18 mois après, était coté 70. Eh bien, si l’on avait fait un appel aux capitalistes belges, auraient-ils, je le demande, donné 70, et la publicité, en cette circonstance, n’aurait-elle pas plutôt ébranlé notre crédit ?

Donc la publicité, qui est excellente en thèse générale, souffre quelques exceptions. Par exemple, dans le cas spécial du premier emprunt dont j’ai déjà parlé : certes l’emprunt n’aurait pas été rempli par des capitalistes belges, qui ne plaçaient alors leurs capitaux qu’avec un bénéfice de 33 pour cent pour 18 mois : témoin le cours de l’emprunt des 12 millions à cette époque ; et comme je l’ai déjà dit, alors que le gouvernement aurait échoué en Belgique pour le placement d’un emprunt de 24 millions, croyez-vous que des capitalistes étrangers vous eussent encore prêté à 70 ? Non certes, peut-être pas à 60.

Le second moyen, c’est de mettre en dehors.

« Le deuxième moyen, c’est de mettre en dehors du contact du gouvernement toutes ces sociétés de banquiers, ces compagnies financières qui exploitent le pays, sans modération comme sans pudeur, et qui sont toujours parvenues à appauvrir les Etats, comme le prouve l’histoire générale des finances de l’Europe. Il faut renoncer pour toujours à ces marchés clandestins, dont les conditions sont toujours marquées au coin de la vénalité d’un côté, et de la cupidité de l’autre. Ils échappent souvent aux plus scrupuleuses investigations des chambres. »

Si j’ai bien compris, l’honorable M. de Foere prétend que les sociétés de banquiers, les compagnies financières sont bien loin d’être utiles au pays. Pour peu que j’aie bien étudié, moi aussi, l’histoire générale des finances, pour peu que j’aie étudié les véritables principes de l’économie sociale, j’ai reconnu que là précisément où se rencontre le plus de ces sociétés, de ces institutions de banque, que l’honorable député veut proscrire, là aussi on rencontre le plus de prospérité et d’industrie. Voyez l’Angleterre, voyez la France ! Mais, sans aller si loin, examinons quel était l’état de notre crédit avant l’institution de la banque ; voyons quel était le taux de l’escompte en Belgique, quelles affaires se faisaient sur quelques-unes de ses places. Demandez au Hainaut quel était le taux que payait l’industrie ; demandez-lui s’il trouvait facilement des capitaux pour exploiter ses mines, si riches pourtant et si fécondes !

Demandez-lui si, jusqu’en 1815, il pouvait obtenir à bon marché les fonds nécessaires pour se procurer ces machines à vapeur, ces moyens extraordinaires d’exploitation qui l’enrichissent aujourd’hui. Or, savez-vous quelle somme énorme la banque avait versée dans cette province ? A certaine époque jusqu’à près de dix-huit millions, et en ce moment encore des sommes énormes qui proviennent de la banque y sont employées à faire valoir les riches usines de cette fertile province, qui manque encore de capitaux suffisants pour déployer toutes ses ressources. Vous parlerai-je d’autres provinces ? Mais, je vous en prie, messieurs, consultez les industriels eux-mêmes. Demandez-leur quel intérêt on leur faisait payer autrefois. Des banquiers tant soit peu exigeants prenaient 6 pour cent, 2 pour cent de commission ; et aujourd’hui la banque, combien leur prend-elle ? Cinq pour cent.

Aussi, ne craignez pas qu’ils se plaignent de cette institution dont vous ne voulez pas.

Vous parlerai-je de ce qui se passe à Anvers ? Jamais le taux de l’intérêt n’a été si bas que depuis l’institution de la banque. La banque prend-elle à 4 pour cent les effets de commerce ? Nécessairement les riches capitalistes de cette place ne peuvent placer leurs capitaux qu’à un taux inférieur, et de là nécessairement baisse dans l’intérêt et abondance de capitaux.

Mais M. de Foere doit savoir que de toutes les matières premières pour l’industrie, la plus première, si je puis m’exprimer ainsi, c’est l’argent. (On rit.)

Sans doute il faut aujourd’hui du charbon à bon marché, du fer à bon marché ! mais ce n’est pas tout : il faut encore, et avant tout, de l’argent à bon marché, si l’on veut soutenir la concurrence avec l’Angleterre et la France, mais surtout avec l’Angleterre.

Vous voyez donc bien que cette institution est utile au pays ; mais il reste à examiner si elle est aussi avantageuse au gouvernement : car c’est là le point sur lequel M. de Foere a insisté davantage.

Et d’abord l’honorable membre a eu parfaitement raison de vous dire que la banque cherchait à faire des opérations qui lui fussent profitables. Oui, la banque a ses intérêts en vue : mon intimité avec le gouverneur (on rit) me met à même de déclarer que c’est là en effet sa pensée. Faire des opérations utiles au pays et profitables à l’institution, voilà ce que les statuts de la banque prescrivent ; mais, remarquez-le bien, il y a cette différence entre une banque nationale et un capitaliste ordinaire, que la banque est créée à la condition d’être constamment utile aux pays, tandis qu’un capitaliste ordinaire peut agir aujourd’hui dans l’intérêt du pays et demain contre ses intérêts du moment. Un capitaliste peut venir avec 20 millions à Bruxelles, faire monter les fonds, et le lendemain les faire baisser, si tant est qu’une baisse convienne à ses intérêts. Une banque nationale est forcée par ses statuts à servir les intérêts du pays, et les administrateurs de cette institution y sont tenus par leur devoir et leur conscience. Si vous veniez à la banque, si vous voyiez les sommes énormes de fonds publics qui s’y trouvent déposées, vous auriez une idée des avantages qui en résultent pour le gouvernement et l’institution elle-même.

Mais, a dit M. Pirson, la banque joue à la hausse et à la baisse ; mais la chose est impossible, précisément à cause des mesures que la banque doit prendre pour le crédit belge dans son propre intérêt.

Ce n’est pas quand nous recevons au pair des fonds belges, quand une masse de capitaux est entre nos mains, que nous avons intérêt à les déprécier.

« Le troisième moyen, c’est le système des impôts, toujours préférable à celui des emprunts. Ce que j’avance a été prouvé par des hommes consommés dans la science financière de tous les pays, par les rédacteurs de la Revue d’Edimbourg ; par Ricardo dans L’Encyclopédie britannique, qui avait fait lui-même, comme traitant, de gros bénéfices, mais qui a été assez probe et assez ami de son pays pour lui faire voir le précipice sur les bords duquel il marchait. »

Ricardo peut avoir dit, et je crois avoir lu qu’en définitive il fallait que le gouvernement se tint en garde contre les emprunts. Sans doute, lorsqu’un pays peut supporter des impôts, il vaut mieux y recourir que de grever l’avenir de dépenses énormes ; mais c’est là une doctrine qu’il faut appliquer avec discernement. Sans doute le gouvernement a bien fait d’augmenter, il y a peu de temps l’impôt foncier de 40 centimes, plutôt que de recourir à un emprunt : car il n’avait pas besoin d’une somme considérable, et l’impôt pouvait être supporté ; mais Ricardo, ni personne n’a jamais dit qu’il fallût frapper un pays d’impôts intolérables.

Le quatrième moyen (l’honorable membre n’en a proposé que cinq) c’est d’émettre une véritable dette flottante.

« Le quatrième remède, c’est d’émettre une véritable dette flottante, si le pays en éprouve encore momentanément le besoin. Par son émission vous accroîtrez la masse du numéraire ; vous faciliterez les échanges ; vous allégerez les charges du pays ; vous activerez la circulation de l’argent ; vous ferez baisser le taux de l’intérêt ; vous donnerez plus de vie à toutes les transactions publiques.

« Tous ces avantages, messieurs, remarquez-le bien, sont les mêmes que la banque a mis en avant pour faire valoir auprès de ses intéressés l’émission de ses billets. Si vous ne prévenez la banque, vous la verrez bientôt, d’après les conclusions insérées dans son dernier rapport, émettre avant vous des billets de 20, de 30, de 50 fr., tandis que si le pays les émettait comme effets d’une dette flottante, l’Etat en recueillerait les mêmes bénéfices. La France et l’Angleterre en délivrent chaque jour à 2 1/2 p. c., et la Prusse les fait circuler même sans intérêt. »

Oui, c’est l’avantage d’une dette flottante d’augmenter la masse du numéraire, nous sommes tous d’accord là-dessus ; toute la question est de savoir si nous avons une véritable dette flottante. Eh bien, je soutiens que notre dette a tous les caractères d’une dette flottante, elle a de plus l’avantage d’être un papier échangeable sur la seconde place cambiste du monde.

Mais, dit-on, il lui manque de n’être pas perpétuelle. Vous vous rappellerez, messieurs, que j’ai insisté dans le temps pour qu’on ne fût pas obligé de demander chaque année le renouvellement de la dette flottante. Après une discussion plus du moins vive, tout le monde s’est trouvé d’accord quand on a dit que chaque année la dette flottante serait renouvelée. Remarquez, messieurs, que la liste civile, qui est votée pour tout un règne, doit cependant être votée chaque année : la dette flottante peut être de même.

En Angleterre comme en France on émet des bons de trésor à ordre ; mais nous savons tous que les bons de la dette flottante anglaise portent intérêt et sont remboursables à présentation, ou à quelques jours de vue, je pense.

Si maintenant vous voulez changer le système français contre le système anglais, c’est un point à discuter, et ici, messieurs, se présente pour moi l’occasion de soumettre quelques considérations qui ne seront pas sans intérêt, dans un moment où M. le ministre vient d’accorder une prime de trois au directeur de la monnaie.

En Angleterre le système d’or a prévalu sur celui d’argent ; là il est rare que des exportations de numéraire aient lieu ; là le numéraire reste d’ordinaire et il n’y a pas grand inconvénient à ce que chaque jour on vienne demander le change de billet. Dans ce pays la confiance, la masse des affaires est telle, que l’émission par le gouvernement de billets payables à vue n’a aucun danger : en est-il de même chez nous ? Non, messieurs.

Nous avons des pièces de deux francs, de cinq francs, qui ont le même poids, la même mesure que les pièces françaises. Dans certains moments l’exportation de ce numéraire est si effrayante que le gouvernement pourrait avoir à rembourser des sommes énormes. Il y a 13 mois environ, l’exportation de numéraire français fut telle que presque tous les billets de banque rentrèrent et la banque fut obligée de faire venir force numéraire de France pour éviter une crise commerciale. Par suite de la disparition du numéraire, il lui a fallu plusieurs millions de francs et de valeurs sur Paris pour amortir l’effet de cette exportation.

Je ne sais pas s’il était dans le véritable intérêt de pays d’adopter le système monétaire français dans tous ses points. J’aurais voulu que le numéraire devint moins facile à exporter ; car, messieurs, dès que les négociants voient le numéraire disparaître, ils s’effraient ; le taux de l’escompte monte ; ceux qui ont prêté des capitaux à l’industrie les retirent pour les placer plus avantageusement ; il y a crise.

Je sais bien que le mieux serait d’avoir un seul système de monnaies pour tous les pays ; oui, sans doute, de même qu’il serait à désirer que la liberté illimitée du commerce fût proclamée par tous les peuples. Mais si une petite nation ouvre ses portes, elle fait alors exception, elle perd, elle se ruine il en est de même pour la monnaie. Si nous pouvions tirer de l’Angleterre, de la Hollande de l’Allemagne, le numéraire qui est exporté de chez nous en France, oh ! alors l’argent qui sortirait d’un côté rentrerait par un autre côté. Rien de mieux.

Mais il n’en est pas ainsi, quand l’argent sort d’un pays, il faut attendre 15 jours que le change en rapport avec la place qui vous l’a enlevé se nivelle avec les autres places, et, pendant l’intervalle, la crise a lieu.

Je ne sais pas qu’elle a été l’intention de M. le ministre des finances, en accordant la prime de 3 ; mais j’aime à penser qu’il a voulu rendre l’exportation moins facile, en égard à la révolution de la banque et de France. Il pare donc, pour le moment, à l’inconvénient que j’ai signalé. Oui, il y a paré pour quelque temps, peut-être ; car je ne pense pas que la banque de France revienne de sa décision de ne point recevoir les pièces de 5 francs de ce pays-ci. J’ajoute que l’inconvénient ne sera pas paré en entier, car nos pièces seront admises dans tous les départements comme les pièces françaises ; et c’est pourquoi je ne suis point sans crainte qu’un jour ne vienne où l’exportation du numéraire soit si prompte et si considérable, que la banque de Belgique ne puisse maîtriser la crise commerciale qui en serait la suite. Je vous livre, messieurs, ces réflexions.

Mais venons à l’émission des billets avec ou sans intérêts, mais payables à vue, que propose M. de Foere.

Messieurs, dans un pays comme celui-ci où les capitaux ne sont pas assez abondants, où les industriels sont à la merci des capitalistes, il serait à craindre que le gouvernement se trouvât, dans un moment, forcé de rembourser par exemple son 12 millions, et cela dans un moment où le trésor est peu fourni.

Mais, dira-t-on, il émettra de nouveaux bons. Non, messieurs, il ne pourrait pas, car ce serait se créer de nouveaux embarras, puisque la rentrée de ses billets au porteur aurait lieu à cause de la rareté et de l’exportation du numéraire.

Je la déclare franchement, messieurs, dans mon opinion il faut laisser ces sortes d’opérations aux établissements particuliers. Le quatrième moyen indiqué par M. de Foere ne peut donc être mis en pratique par le gouvernement.

Le discours de l’honorable membre renferme des vues utiles, d’excellents principes. Mais avant de les appliquer, il faudrait consulter le pays. Avant de les admettre, il faudrait encore consulter le goût des capitalistes. Oui, messieurs, le goût des capitalistes, car j’affirme qu’on ne trouverait pas à placer ici des billets au porteur émis par le gouvernement.

Ce que M. de Foere ignore et le gouvernement avec lui, c’est combien la circulation du papier-monnaie est peu employée en ce pays. Jusqu’en 1830, lorsque la Belgique était réunie à la Hollande, et que les billets de banque étaient reçus en contributions dans toute la Hollande, l’émission la plus forte a été de six millions de francs ; si cette émission a doublé, ou à peu près, c’est grâce à la faculté acquise à ces billets d’être échangeables sur toutes les places.

Par suite il arrive souvent à la banque de faire des envois considérables, soit à Anvers, soit à Gand, ou ailleurs pour le remboursement de ses billets : que ferait le gouvernement dans de pareilles circonstances ? lui serait-il possible de descendre dans tous ces détails ? Certainement non.

Ce que M. de Foere doit examiner, c’est la question de savoir si l’institution qui existe aujourd’hui remplit réellement le but pour lequel elle a été créée. Si elle ne le remplit pas, je n’hésite pas à le dire, il faut en créer une autre, car la Belgique ne peut plus se passer d’une banque nationale que la France ou l’Angleterre.

Je n’accuserai pas M. de Foere d’avoir un préjugé contre la banque. Cependant je crois avoir découvert d’où provient cette défaveur où la banque est tombée dans l’esprit de quelques hommes : c’est que le roi Guillaume en est un des principaux actionnaires. Dans tous les pays, le ministère se garde bien de parler de cette institution de manière à la déprécier ; tous ses efforts tendent, au contraire, à la relever dans l’esprit et dans la confiance des citoyens Pourquoi n’en est-il pas de même chez nous ? C’est que le roi Guillaume possède, comme je l’ai appris, les trois quarts des actions.

Eh bien ! messieurs, je déclare que, si les capitaux de notre entreprise pouvaient être remplacés par des capitaux belges, j’en serais fâché. Car, messieurs, ces actions forment pour nous un otage. Nous faisons tourner à notre avantage les capitaux de notre ennemi ; ses fonds sont employés à servir nos intérêts, et je m’en félicite. Ne croyez pas, messieurs, que la banque s’enquière jamais du nom de ses actionnaires ; elle ne considère que ses actions et les intérêts du pays. Voilà ce qui lui importe. J’ai dit.

(Moniteur belge n°340, du 6 décembre 1833) M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Vous venez d’entendre, messieurs, une réplique fort remarquable assurément du discours d’un honorable membre de cette chambre, prononcé dans une précédente séance. Interpellé, par l’auteur de cette réplique, sur diverses citations qu’il a faites au sujet des bons du trésor, je déclare qu’elles sont en tous points conformes à la vérité.

Quelques faits cependant sont encore restés sans réplique et il en est un surtout que je crois devoir expliquer : il concerne la négociation faite en totalité des 15 millions de bons du trésor, lors de la première émission.

Le ministre des finances a négocié la totalité des 15 millions de bons du trésor, parce qu’au moment de cette négociation, c’est-à-dire au commencement de mars, la convention du 21 n’était pas intervenue ; que, conséquemment, les dépenses de la guerre étaient de 2 millions de plus par mois qu’elles ne l’ont été depuis ; et que, s’il est resté quelques millions de trop dans les caisses pendant seulement peu de temps, c’est l’effet de cette réduction dans nos dépenses ; chose dont nous n’avons pas à nous plaindre, et que le ministre ne pouvait pas avoir la prescience de deviner.

Mais ce n’est pas seulement de ce chef que le trésor éprouvait des besoins urgents. A la même époque il fallait encore pourvoir au remboursement des mandats à termes, dont le montant excédait un million ; au paiement des pensions du deuxième semestre de 1832 ; enfin, à l’acquit de certaines créances dont le paiement avait pu être ajourné sans compromettre en rien le crédit de l’Etat.

Quant à la négociation par convention particulière avec la banque, elle a eu lieu sous la réserve d’y admettre le public pour les deux tiers de la somme, et c’est ce qui a été effectué. L’émission subséquente s’est faite par souscription publique dans toutes les provinces, et depuis il a été délivré des bons du trésor à bureau ouvert, ainsi que vient de vous le dire l’honorable M. Meeus, et comme cela se pratique en France.

J’ajouterai que le retard mis à la discussion du projet de loi sur les bons du trésor, qui a été présenté comme urgent le 26 décembre 1832, et qui ne fut converti en loi que le 16 février 1833 avait placé le ministre (qui devait fournir des fonds pour la guerre le 1er mars) sous l’empire de la nécessité.

M. de Foere reproche encore d’avoir créé les bons du trésor à ordre. D’abord ces bons ne sont pas seulement à ordre, ils sont à la volonté du possesseur, au porteur ou à ordre, et conservent la première qualité jusqu’à ce que l’ordre soit formellement inscrit sur le bon.

C’est par cette faculté que les bons du trésor ont acquis les avantages du papier de commerce, et c’est ce qui a facilité leur introduction dans la circulation et fixé rapidement leur crédit.

Cette innovation, que je nommerai heureuse, n’est d’ailleurs, quant à nous, que l’application du système admis en France pour les obligations de l’emprunt national, et les résultats en sont tellement satisfaisants, qu’on va l’appliquer aux bons royaux. Le ministre était loin de s’attendre à ce qu’il lui fût fait un reproche de l’avoir introduite ici.

Les calculs de M. de Foere ne sont pas exacts, en ce qui concerne la commission et les intérêts payés pour la première émission des 15 millions de bons. Cette commission et ces intérêts furent fixés à 7 et à 8 p. c., ou, terme moyen, à environ 7 1/2, et non à 8, comme il le dit (Note du webmaster : le détail de ce calcul est donné en note de bas de page du Moniteur de ce jour et non repris dans la présente version numérisée.) les conclusions que tire M. de Foere de cette première erreur sont également fautives.

M. de Foere demande pourquoi M. le ministre avait proposé une création de 30 millions de bons du trésor tandis qu’en définitive, avec moins de 15 millions il a pu faire face au service.

Parce qu’au moment où le ministre des finances faisait cette demande, le budget de la guerre était fixe à 73 millions ; qu’il fut ensuite réduit par la chambre et le ministre de la guerre à 66 millions et qu’enfin après la convention du 21 mai, il ne fut plus fixé qu’à 55 millions. Or, de 55 à 73 se trouve la différence de 18 millions, égale à celle qui existe entre les sommes employées et celles demandées le 26 décembre. Ces faits sont si récents, qu’il y a lieu d’exprimer quelque étonnement qu’ils soient échappés au souvenir de l’honorable député, et qu’avant d’adresser ses reproches, il ne se soit pas remis les pièces sous les yeux.

Il commet une autre erreur.

« Le ministre, dit-il, raisonne dans son discours contre ses propres propositions, en se félicitant d’avoir provoqué la création de la dette flottante de préférence à un emprunt. » Si M. de Foere s’était remis sous les yeux le projet du ministre présenté le 26 décembre 1832, il n’y eût pas trouvé de proposition d’emprunt ; mais il y eût vu au contraire dans l’exposé des motifs que « ce qui avait fait préférer la création d’une dette flottante à la négociation d’un emprunt, c’est que, si le maintien du pied de guerre ne devait pas avoir lieu pour une année entière, il ne serait émis des bons que pour la somme strictement nécessaire, tandis qu’un emprunt aurait dû être conclu pour la totalité des frais prévus pour toute l’année, en sorte que la perte eût été fort grande et peut-être inutile. »

Ce n’est donc pas le ministre qui voulait un emprunt, mais bien la section centrale.

M. de Foere demande par quelle loi une dette flottante a été créée chez nous ; la dette flottante expire avec l’année, ajoute-t-il. En effet, l’autorisation de créer de nouveaux bons expire avec l’année, et c’est pour cela qu’on demande le renouvellement de cette autorisation, et on reproduira cette demande à chaque budget jusqu’à l’amortissement complet de cette dette ; mais la dette elle-même n’expirera que lorsqu’elle sera remboursée, et non lorsque l’année sera écoulée.

De ce que des fonds ne sont votés pour le paiement de la dette inscrite que pour une année, s’ensuit-il que les intérêts n’en soient pas dus au-delà de cette même année, et jusqu’à ce que le remboursement du cas$ soit effectué ?

Telles sont, messieurs, les observations que j’ai cru devoir livrer au jugement de la chambre, sur la partie du discours de l’honorable M. de Foere, prononcé le 2 décembre, en ce qui concerne les bons du trésor.

M. Dumortier. - Si je me lève aujourd’hui, ce n’est pas pour examiner la convention de Zonhoven ; c’est pour examiner les assertions de l’honorable député de Bruxelles, connu pour son intimité avec le gouverneur de la banque belge, relativement aux bienfaits de cet établissement. Je veux m’expliquer sur cette institution bienfaisante, divine, qui veut le bien du pays, et qui nous le prouve tous les jours. Dans cette discussion, je ne veux pas attaquer l’institution elle-même ; je veux rendre le ministère responsable pour avoir négligé les intérêts du trésor public dans ses rapports avec la banque. Ici, j’ai à citer des faits, non à développer des théories, et ce n’est pas à la banque que je m’adresse. Les banques et les banquiers cherchent toujours à faire leurs affaires ; tout en traitant avec l’Etat, ils ne négligent jamais leurs intérêts.

Je dirai que c’est au ministère qu’est confié le soin de défendre les intérêts du trésor, et si je peux démontrer que le ministère les a négligés, vous verrez de quelle manière ont doit juger le traité qui a été passé par la banque le 8 octobre.

Lorsque le 12 novembre, le Roi vint ouvrir la session actuelle, vous eûtes tous l’occasion de remarquer dans le discours du trône une phrase extrêmement favorable à la banque ; je dirai une phrase adulatrice, parce que le discours du trône est le discours des ministres, et que le ministère ne devait pas mettre une phrase semblable pour une institution qui a fait payer si cher les bienfaits dont on a parlé. Voici comment s’exprime le discours du trône :

« Un arrangement avec la banque en sa qualité de caissier de l’ancien royaume, a mis à la disposition du gouvernement des sommes dont il a été fait immédiatement emploi dans l’intérêt du trésor, sous des réserves consenties par la société générale que témoigne de son désir d’être utile au pays. »

Qui témoigne de son désir d’être utile au pays ! Voilà la phrase charmante. La banque a mis à la disposition du gouvernement les sommes dont elle était redevable comme caissier du royaume uni des Pays-Bas, et le gouvernement en a fait immédiatement emploi dans l’intérêt du trésor ! Je prouverai que cette phrase contient autant d’inexactitudes que de mots.

Je dirai d’abord que la banque ne témoigne pas de son désir d’être utile au pays ; qu’elle n’a pas mis à la disposition du gouvernement les sommes dont il s’agit, et que les choses se sont passées tout autrement que ne le dit le discours du trône.

Et vous pourrez en conclure que le ministère a manqué gravement à ses devoirs en venant déclarer à cette chambre des faits qui ne sont pas exacts ; et vous vous rappellerez à cette occasion la déclaration d’un traité qui, disait-on, avait été passé l’année dernière avec les Etats-Unis, et qui n’existait pas.

Messieurs, quelles sont les dettes de la banque envers la Belgique ? j’aime que la nation sache quels sont les bienfaits qu’on doit à la banque. D’abord cette institution est redevable envers la Belgique du chef de quatre principaux articles.

Je ne parle pas ici de la banque, en tant que banque, en tant que société générale ; je parle de ses rapports avec le gouvernement, avec le trésor public, et c’est à cet égard que je viens faire connaître ce qu’elle doit à l’Etat, au pays.

Elle s’est trouvée en contact avec le trésor public quand elle fut instituée caissier de l’Etat. Lors de la révolution le gouvernement provisoire prit une mesure pour forcer tous les caissiers à verser dans les caisses du gouvernement ce qu’ils devaient à l’Etat en décembre 1830.

Pénétrons-nous bien d’abord que la banque n’est rien qu’un simple receveur comme il y en a plusieurs centaines en Belgique. Si la banque avait eu le droit de ne pas verser les fonds de l’Etat au trésor de la Belgique, les autres receveurs auraient eu le même droit ; et si le gouvernement provisoire a bien fait d’exiger que les receveurs versassent leurs fonds dans la caisse du trésor, il avait le droit de forcer la banque à faire le même versement.

Des motifs nés des circonstances ont pu déterminer le gouvernement à ne pas agir rigoureusement ; mais qu’on le sache, il s’agit de sommes considérables, il s’agit d’une somme de 12 millions de florins : car la banque doit plus de 6 millions de florins à la Belgique.

En outre, elle a joui de l’intérêt de ces millions depuis la révolution, car elle n’a pas laissé oisifs ces fonds dans sa caisse. Elle avait nos écus dans ses sacs, elle nous les a prêtés ; et comment a-t-elle agi ? Elle nous a prêté nos écus dans l’emprunt Rothschild, au taux de 72 p. c., ce qui, déduction faite des frais, ne fait net que 68 p. c. Voilà le premier bienfait dont nous lui sommes redevables. Ainsi, tout en soignant les intérêts publics, elle n’a pas négligé les siens.

J’arrive maintenant aux sommes dont la banque nous est redevable du chef de la liste civile et du syndicat d’amortissement.

Vous connaissez tous l’infâme tripotage auquel a donné lieu le syndicat : c’était une véritable camera obscura, une véritable chambre obscure, où personne ne comprend rien et où le roi Guillaume arrangeait tout à sa guise.

Le gouvernement du roi Guillaume, qui voulait mener les caisses publiques à sa fantaisie, abandonna à la banque une partie des bois de l’Etat et une partie de la liste civile, contre des rentes annuelles.

Et il fut convenu entre le roi Guillaume et la banque, par contrat passé avec cette société anonyme, qu’elle donnerait à ce prince (article 12 du contrat) des sommes jusqu’à concurrence de 20 millions.

Il est dit dans cet article : « Il sera payé au roi, le 31 décembre de chaque année, la somme de 500 mille fl. pour la liste civile. » Un nouvel ordre de chose a succédé à l’ancien ; un roi sorti des barricades a succédé au roi des grandes puissances, au roi du traité de Vienne.

Vous êtes disposé à croire que la banque viendra à payer à la décharge de la liste civile cette somme de 500,000 florins… Il est très vrai que le député qui est en relation intime avec le gouverneur de la banque nous a un jour déclaré que cet établissement a payé religieusement le roi Guillaume jusqu’au 31 décembre 1830. Mais, depuis lors, qu’a fait la banque ? elle a gardé les fonds. Voilà comment elle se conduit à l’égard du trésor.

Elle lui doit donc 500,000 fl. par an ; elle doit payer pour les années 1831, 1832 et 1833. J’espère qu’on parviendra à la faire payer ; c’est un million et demi de florins.

On trouve en outre dans l’article 12 que j’ai cité que la banque paiera à la caisse d’amortissement, ou à tout établissement qui la remplacerait (c’est le syndicat), d’abord 50 mille florins, puis la seconde année 100 mille florins, et ainsi d’année en année en augmentant de 50 mille florins, et cela jusqu’à ce que la somme soi portée à 500,000 florins ; ainsi voilà une autre dette constituée envers l’Etat.

J’ai trouvé que pour 1830, au 31 décembre, elle devait 300 mille florins ; que pour 1831 elle devait 350 mille florins ; 400 mille florins pour 1832, et 450 mille florins pour 1833. Qu’a fait encore ici la banque. Elle a toujours gardé religieusement les fonds ; elle en profite de même que des autres. C’est bien là une dette incontestable, et je défie que l’on apporte la plus légère objection sur tous ces points. La consultation de cent mille avocats ne pourrait rien contre cette dette.

Il existe un quatrième chef ; ce sont les droits du gouvernement sur le séquestre de biens du roi Guillaume., L’administration du séquestre ne pêche que par trop de patriotisme ; elle n’a saisi que les biens qui ne rapportent rien. Cependant, le roi Guillaume ayant dans la banque les 19/24 du capital total, il serait revenu à l’Etat chaque année plus d’un million de florins, et si le séquestre eût été mis sur ces revenus, nous aurions reçu depuis la révolution plus de trois millions de florins.

Ces quatre sommes réunies font que la banque a maintenant dans ses coffres la modique somme de 12 millions de florins, c’est-à-dire plus de 25 millions de fr., qu’elle doit légitimement à la Belgique. Voilà comment a agi cet esprit bienfaiteur qui plane sur la Belgique ; voilà jusqu’à quel point il fait du bien au pays.

Je ne parle pas encore des intérêts de ces capitaux car vous arriveriez à des sommes plus considérables.

Si le gouvernement avait montré l’énergie qu’il devait développer dans l’intérêt du trésor public, il aurait forcé la banque à payer la somme de 12 millions de florins, et nous aurions pu éviter les emprunts que nous avons été forcés de contracter.

Vous venez de voir, messieurs, le compte de clerc-à-maître de la banque avec le trésor public.

Ceci répond aux arguments que l’honorable membre, qui possède les secrets du directeur de la banque, a fait valoir pour montrer les bienfaits de la banque, et démontrera que la banque n’est pas aussi désintéressée qu’on a voulu le dire.

Messieurs, qu’est-il arrivé ? Le gouvernement avait des devoirs à remplir ; il devait forcer la banque à payer ainsi que tous les receveurs de la Belgique, car elle n’est qu’un receveur, et rien qu’un receveur : un receveur tout semblable au receveur à 700 fr. d’appointements, et pas autre chose. Le gouvernement devait encore exiger que la banque payât ce qu’elle devait au trésor du chef de la liste civile, du chef du syndicat et du chef du séquestre. Le gouvernement devait donc forcer la banque au paiement des deniers dont elle était détenteur ; mais la banque prétend qu’elle a fait des avances au roi Guillaume et qu’il y a des compensations.

Je n’ai jamais été effrayé de ces compensations : le roi Guillaume avait une caisse personnelle ; si vous lui avez fait des avances, c’est à titre d’individu, c’est à lui individuellement ; ainsi, ces avances n’ont aucun rapport avec le trésor public.

Le ministre a préféré faire une transaction, transaction dont on s’est prévalu dans le discours du trône.

Dans son conflit avec le gouvernement, la banque dit : « J’ai fait des avances au roi Guillaume ; » le gouvernement aurait dû dire : « Messieurs de la banque, il s’est passé, en 1827, entre vous et le gouvernement, une convention, et d’après l’article 7 de cette convention les actions du roi Guillaume sont engagées pour les avances faites : établissez donc les compensations avec le séquestre, mais vous ne pouvez pas établir les compensations avec le gouvernement. » Voilà ce que le gouvernement a oublié de dire. Est-ce par négligence ou par incurie qu’il s’est conduit ainsi ? Je l’ignore ; ce que je sais c’est qu’il n’a rien fait dans l’intérêt de l’Etat.

Maintenant une correspondance vient s’établir avec la banque ; j’ai ici cette correspondance, elle est singulièrement curieuse. Il semble, d’après cette correspondance, que le gouvernement s’est mis à genoux devant l’ange tutélaire de la Belgique, c’est-à-dire devant la banque, qui tient, comme on sait, le livre de vie, c’est-à- dire, le grand livre. Il en est résulté une convention dont je vais voir lire l’article 2, et vous verrez si le gouvernement a fait des efforts pour soutenir les intérêts du trésor.

Cette convention est du mois d’octobre dernier.

Cet article 2 est ainsi conçu :

« Le gouvernement, croyant que dans l’intérêt du pays, un arrangement amiable avec la société générale est en ce moment préférable à l’exercice d’une action judiciaire, et sans rien préjuger sur la quotité de l’encaisse déclaré par M. le gouverneur, ladite société s’engage à payer ledit encaisse ; et le gouvernement, de son côté, s’engage à remettre à la société générale, qui offre ce paiement provisoire, une somme égale en bons du trésor de la Belgique, au porteur, échéant de mois en mois, à partir de trois mois jusqu’à un an de date. A chaque échéance de ces bons, le gouvernement en remettra d’autres de pareille somme et aux mêmes termes. »

Je vous le demande, messieurs, où le gouvernement a-t-il puisé un pouvoir aussi exorbitant ? où le gouvernement a-t-il pu puiser le pouvoir de créer des bons du trésor pour donner des garanties à la banque ? Il a donné à la banque, dans cette affaire, des garanties contre le fait de sa propre existence ! des garanties contre le fait d’une restauration ! C’est une honte pour le pays ! (Mouvement.)

Le gouvernement n’a pas touché les fonds, et cependant il s’est engagé à donner à la banque des garanties contre le fait d’une restauration. Si tous les receveurs voulaient avoir des garanties contre le fait d’une restauration, s’ils demandaient des bons du trésor, afin de pouvoir se mettre à l’abri de tout reproche, si le roi Guillaume revenait, que dirait-on dans cette enceinte ? vous repousseriez avec indignation cette proposition ; et c’est cependant ce qui a eu lieu dans la transaction dont parle le discours de la couronne, comme d’une œuvre méritoire pour la patrie. Mais cette opération ne pouvait marcher.

Vous savez que, par la loi qui crée les bons du trésor, ces bons n’ont de valeur que lorsqu’ils sont contresignés par la cour des comptes ; malheureusement la cour des comptes n’est pas inamovible ; elle dépend de la chambre ; elle peut craindre quelques changements après l’expiration de six années, et sa signature peut n’être pas obtenue comme on le désirerait : aussi parle-t-on d’inamovibilité.

A cet inconvénient pour le gouvernement, s’en jouit un autre.

L’autorisation d’émettre les bons du trésor n’est valable que pour une année ; qu’a-t-on fait ? Vous savez que la banque est entrée dans l’emprunt Rothschild, qu’elle nous a prêté nos propres fonds au taux de 68 net ; vous savez qu’elle avait en caisse une grande partie de cet emprunt ; on lui a dit : Rendez-nous ces fonds au taux de la bourse, et nous serons bien et dûment payés.

La bourse a fait une hausse factice sur la place de Bruxelles, une hausse jusqu’à 97 ; toutefois la banque a agi de générosité, elle a donné les bons à 96 1/4 ; les mêmes bons qu’elle a prêtés à 68. Ainsi, le gouvernement a porté l’humiliation devant la banque jusqu’à reprendre à 96 1/4 ce qu’il avait cédé d’abord à 68 !

Nous devons tous flétrir une transaction aussi humiliante pour le pays et aussi désastreuse pour le trésor public.

Mais le gouvernement peut-il disposer de ces bons ? Non ; il ne peut disposer que des bons dont il est possesseur.

S’il pouvait disposer de ces bons, la banque n’aurait plus de garantie contre le fait d’une restauration ; les fonds de l’emprunt Rothschild sont une très bonne valeur ; si le roi Guillaume entrait à Bruxelles, elle se déferait de ces fonds et elle serait nantie. Voulez-vous la preuve de ce que j’avance ? rappelez-vous ce que disait hier le ministre des finances.

Nous pouvons, disait-il, disposer du capital, au moyen de certaines sûretés.

Au moyen de certaines sûretés ! Comment ! vous aurez fourni des sûretés à votre caissier, tandis que votre caissier ne vous en fournit pas ! C’est donc le créancier qui fournit caution à son débiteur ? Mais c’est le monde renversé ; c’est une chose inexplicable ! Voilà pourtant la conduite du ministère dans cette circonstance. C’est une chose odieuse, dégradante pour le pays, que de voir le ministère donner ainsi à une société des garanties de sa propre existence, lui donner au lieu d’en exiger d’elle. Il suffit de signaler un tel fait pour le flétrir.

Mais il fallait, dit l’honorable membre qui a les secrets du gouverneur de la banque, il faillait mettre notre responsabilité à couvert ; soit : en vous forçant à payer, vous aviez votre responsabilité à couvert, et le gouvernement aurait acheté les fonds qu’il aurait voulus.

De plus, il n’y aurait pas eu des fonds toujours entre les mains de la banque.

La preuve de tout ce que je dis est écrite. Voici l’article 3 de la transaction et la lettre de la banque :

« Art. 3. Cette opération cessera aussitôt que la liquidation du compte de la caisse générale de l’ancien gouvernement aura été arrêtée, conformément au traité. A cette époque le gouvernement belge remboursera à la société générale une somme égale à celle dont le caissier général sera déclaré débiteur envers la Hollande. »

Maintenant voici la lettre du 11 novembre, lettre de la banque :

« Art. 3. La direction ajoutera, M. le ministre, que tant que le gouvernement conservera ce capital en emprunt belge, et tant que la société générale en sera dépositaire, il lui tiendra lieu des bons du trésor qui, d’après la convention du 8 de ce mois doivent lui être remis. »

Ainsi, la banque conserve les bons Rothschild, et du jour où un embarras arriverait, le gouvernement devrait donner des bons du trésor. Je ne saurais trop m’élever contre un pareil système et contre un établissement qui, depuis la révolution, a causé la ruine du trésor public.

Vous savez que dans bien des circonstances la banque ne s’est pas montrée amie du trésor public, et que le ministre a toujours fléchi devant elle ; que la direction des affaires de cette banque reste en Hollande, tandis que l’établissement est tout entier en Belgique ; vous savez que cette institution a exigé une augmentation de son denier de recette, comme caissier de l’Etat ; vous savez ce que la banque a fait relativement aux vieilles monnaies retirées de la circulation ; vous savez ce qui s’est passé relativement au receveur de Turnhout qui a laissé prendre sa caisse par les Hollandais. Cette institution divine ne nous a pas dédommagés du préjudice ; dans toutes les circonstances elle s’est mise en dehors du gouvernement ; elle s’est constituée puissance à part ; elle menace même de ruiner le trésor public.

Pourquoi, vous a dit l’orateur qui est dans l’intimité du gouverneur, pourquoi les bons du trésor valent-ils 4 p. c. ? C’est parce que la banque le veut. Parce que la banque le veut ! Ainsi il dépend de la banque de ruiner le crédit public ! Eh bien, dirai-je à l’orateur, allez dire à votre gouverneur que la nation a en horreur une institution qui peut causer la ruine du trésor public, et qu’elle saura prendre des mesures pour empêcher la banque de compromettre l’Etat.

On énumère longuement les capitaux qu’elle met en circulation. Quels sont donc ces capitaux ? Ce sont les capitaux du pays et rien autre chose. Pour moi, quand je vois des faits tels que ceux que j’ai cités, je repousse cette institution, je repousse toute institution de ce genre ; c’est une lèpre, c’est une gangrène dans un pays ; elle ne profite qu’à cinq ou six individus ou établissements.

La banque, dit-on, a été cause de la baisse de l’intérêt en prenant les bons du trésor à 4 p. c., et a forcé les capitalistes à les prendre à 3 1/2 p. c. La réponse est facile : si la banque avait pour but de faire baisser le taux de l’intérêt, elle prendrait elle-même un intérêt moindre que les capitalistes qui seraient obligés de la suivre ; mais puisque les capitalistes prêtent à un taux inférieur à la banque, il est inexact de dire que c’est elle qui fait baisser le taux de l’intérêt.

La banque a un privilège énorme, celui d’émettre des bons au porteur. Je ne sais si je suis bien informé, mais on m’a assuré qu’elle en demandait un autre.

J’ai entendu affirmer de la manière la plus positive que la banque demande à émettre des bons de 20 fr., de battre monnaie enfin : s’il en est ainsi… On me fait un signe affirmatif ; et c’est le membre qui est dans les secrets du gouverneur qui me le fait. S’il en est ainsi, je prie le ministère, je prie le conseil tout entier de réfléchir sur ce qui adviendrait ; je prie le ministère d’examiner s’il peut donner cette autorisation inconstitutionnelle : je crois que cette autorisation dépasse ses pouvoirs ; je le prie de plus de prendre en considération les intérêts du pays.

Tous les gouvernements détruisent le papier-monnaie trop faible, et ce n’est pas à nous à permettre qu’on en crée. Le gouvernement, loin d’accorder cette autorisation, doit voir si la banque n’émet pas trop de valeurs proportionnellement à ses capitaux. En Angleterre, en Hollande, aux Etats-Unis, partout les gouvernements surveillent les banques quant à l’émission de leurs papiers, et surtout ils s’opposent à la création de papiers de valeur de pièces monétaires.

Après avoir parlé de la banque sous tous ces rapports, il est de mon devoir de demander à M. le ministre dans quel article de la constitution il a puisé le pouvoir d’aliéner, comme il l’a fait, les intérêts du trésor.

Le pouvoir exécutif est un mineur : dans un gouvernement constitutionnel, les chambres en sont le tuteur légal ; le gouvernement est donc sans pouvoir pour aliéner la moindre somme du trésor public. J’ai démontré que le gouvernement avait aliéné un capital de 12 millions de francs, dont l’emploi est impossible ; que le gouvernement a poussé la vileté jusqu’à se donner des gages de sa propre existence ; je le somme maintenant de dire dans quel article de la constitution, il a puisé le pouvoir de faire un pareil acte ? Messieurs, si vous sanctionnez cet acte, prenez-y garde, : il pourrait dans d’autres circonstances s’appuyer sur de nouveaux subterfuges, et compromettre la fortune publique. Tant que les chambres n’ont pas consenti à l’aliénation des droits de la nation, le ministre est sans pouvoir pour le faire.

Je demande aux ministres des explications positives sur ce point. Actuellement je dirai que je ne suis pas ébloui de ce qu’a dit le ministre de la justice, quand il a fait sonner un bénéfice d’intérêt de 2,000 fr. par jour. Si les ministres, dans leur sagesse, venaient à trouver une mine du Potose dans le Parc de Bruxelles, et rapportant 2000 fr. par jour, nous leur en saurions gré, assurément ; mais, quand ils aliènent la fortune publique, leur argument de 2.000 fr. par jour n’est pas de nature à nous toucher. Cet argent appartient à la nation : au lieu de lui procurer quelque chose, vous n’avez fait qu’aliéner ses droits.

Après vous avoir entretenus, messieurs, de cette convention qui est aussi déshonorante pour le pays que la convention de Zonhoven, je devrais vous dire quelques mots sur les autres parties de la dette que la banque a contractée envers d’autres établissements de la Belgique.

Je demanderai aux ministres : Qu’avez-vous fait relativement à ce que la banque doit à la Belgique du chef du syndicat et de la liste civile ?

Vous n’avez rien fait ; vous avez aussi aliéné les droits de l’Etat ; non, vous avez été jusqu’à négliger les intérêts de trois années, tandis que la banque vous prêtait à 65 ; vous ne nous avez procuré que honte et humiliation.

J’attendrai maintenant les explications du ministère. Je parlerai cependant de deux autres objets : j’ai vu dans le rapport de la section centrale que les fonds du séquestre ne s’élèveraient qu’à 200,000 francs ; je suis convaincu que ces fonds s’élèvent à 574,000 francs.

Voilà les avances que le gouvernement belge a faites au séquestre ; notre devoir, à nous tuteurs du gouvernement, à nous mandataires du peuple, est de nous faire donner des garanties pour les avances faites par l’Etat au séquestre. Eh bien, puisque le gouvernement a fait des avances pour plus de 500,000 fr., quels moyens prendra-t-on pour rentrer dans ces sommes ? Les lois sont formelles : on vend le mobilier quand les revenus du séquestre sont insuffisants pour en couvrir les dépenses.

Il y a dans ce mobilier des tableaux dont la vente procurerait aux jeunes Belges qui suivent la carrière des beaux-arts, d’excellents modèles. Pourquoi dont hésite-t-on de les vendre au pays pour ses avances ?

J’arrive au droit pour fabrication de monnaies. Vous connaissez l’arrêté du 11 novembre dernier qui a été publié dans le Moniteur du 23 novembre ; par cet arrêté le ministre s’arroge le droit d’accorder une prime supplémentaire de trois pour mille pour la fabrication des monnaies. Dans quelle loi le ministre a-t-il puisé ce pouvoir ?

Une pareille disposition est-elle légale ‘ ? Entre-t-elle dans les attributions du pouvoir exécutif ou dans les attributions du pouvoir législatif ? Que le ministre nous indique où il a puisé le pouvoir de rendre un pareil arrêté.

Dans le budget des voies et moyens il n’est porté aucune somme pour la fabrication des monnaies de cuivre ; je demanderai au ministre dans quel endroit le bénéfice de cette fabrication apparaît.

M. de Brouckere avait fait remarquer l’année dernière que cette somme devait figurer au budget.

Je me résume, messieurs. Je demande que le gouvernement justifie la constitutionnalité de son traité avec la banque ; je demande qu’il dise quelles sont les mesures qu’il a prises relativement aux fonds du syndicat et de la liste civile ; je demande que le gouvernement dise quelles sont les mesures qu’ il a prisés relativement aux avances faites au séquestre des biens de la famille de Guillaume ; je demande enfin que le gouvernement dise dans quel article de loi il a puisé le pouvoir d’augmenter les frais de fabrication des monnaies d’argent.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je laisserai à l’habile financier qui a captivé tout à l’heure, à si juste titre, l’attention de la chambre, le soin de répondre à ce qui lui est plus directement personnel dans les observations de l’honorable préopinant. Si j’ai demandé la parole, c’est pour donner quelques explications sur l’arrangement que le gouvernement a pris avec la société générale.

Je dois témoigner ma surprise de ce que l’honorable membre auquel je réponds ait réservé toute la virulence de ses reproches et de ses accusations pour le ministère actuel. Je suis à me demander comment il se fait que cette inaction du gouvernement envers la banque soit si amèrement reprochée à l’administration d’aujourd’hui tandis que l’on a traité avec autant d’indulgence toutes les administrations précédentes, qui se sont trouvées dans une position absolument identique.

M. Dumortier. - J’ai fait les mêmes observations chaque année.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Nous, cependant, nous ne sommes pas restés inactifs, et nous avons obtenu des résultats. Nous ne sommes pas restés inactifs, car un de nos premiers soins a été du soumettre à l’investigation d’une commission spéciale, composer de personnes capables et à l’abri de tout soupçon, l’examen des droits du trésor à l’égard de la banque considérée comme caissier général de l’Etat. Et lorsqu’à côté de cette première mesure nous pouvons présenter un résultat dont l’utilité pour le pays n’est pas contestable, comment se fait-il que des accusations si vives tombent sur nous ?

On a commencé par contester le droit d’action au gouvernement, au moment même où on lui reprochait de n’en avoir pas fait usage ; car que lui reprochait-on ? de n’avoir pas assigné la banque ? Il est certain que quand le gouvernement rencontrait dans la banque une résistance invincible, la voie des tribunaux seule lui était ouverte. Mais quiconque a le droit de plaider, a, ce me semble, le droit de recevoir. Je ne veux pas dire cependant que le droit de plaider aille jusqu’au droit d’aliénation ; mais il va tout au moins jusqu’à celui de recevoir à l’amiable, jusqu’à pouvoir donner quittance en accordant et des sûretés et des gages.

La question ainsi résumée, nous avons à nous demander si dans l’état actuel des choses, et en considérant les liens qui rattachent le crédit public à la banque elle-même, il était de l’intérêt bien entendu du pays d’appeler la banque devant les tribunaux.

D’abord je crois qu’un conflit de cette nature n’eût pas été sans influence sur notre crédit public à l’intérieur et sur la confiance que nous devons inspirer à l’extérieur. Première considération, messieurs, qui frappera chacun de vous.

Vous avez en outre à voir si la banque, étant convaincue qu’elle ne devait payer qu’après y avoir été condamné par un arrêt en dernier ressort, vous pouviez espérer, avant deux ou trois ans d’ici, d’arriver au résultat où nous sommes parvenus par l’opération amiable soumise en ce moment aux délibérations de la chambre.

Quant à l’intervention de la législature, quelle que soit l’idée qu’on se fasse de sa puissance, il est permis de se demander si en droit public, en morale, en équité, il est loisible de substituer ainsi l’action législative à l’action judiciaire. A cause de ma position personnelle, je dois m’abstenir de me prononcer à cet égard, mais les opinions sont au moins divisées sur ce point.

Si les opinions étaient unanimes, pourquoi l’honorable préopinant n’a-t’il pas pris depuis longtemps l’initiative ? Il ne s’agissait, d’après son vocabulaire, que d’un petit bout de loi. Eh bien ! il était capable de faire mieux ; pourquoi n’a-t-il pas présenté une loi tout entière, une loi bien motivée ? Ainsi l’on reproche au gouvernement de douter de ses droits alors qu’on n’a pas cessé de douter des siens propres. Je voudrais qu’en pût concilier ces reproches d’inertie avec la conduite du préopinant.

La véritable question était celle-ci : Fallait-il appeler la banque devant les tribunaux ?

La banque affirme que, d’après l’avis unanime de ses conseils, elle n’a pas cru pouvoir se dépouiller de la somme qui lui restait entre les mains, sans la garantie d’un arrêt, ou sans une garantie amiable. il n’y avait donc, je le répète, pour le gouvernement qu’un procès à faire ; mais, avant de l’intenter, il fallait encore examiner si depuis le traité du 15 novembre, accepté par la représentation nationale, la situation du gouvernement vis-à-vis de la banque n’avait pas été notablement modifiée. Or, je maintiens, le traité du 15 novembre à la main, que les choses n’étaient pas restées entières, attendu que ce traité a reçu force de loi.

Qu’on lise le paragraphe 5 de l’article 13, et l’on y verra ces mots : « Des commissaires, nommés de part et d’autre, se réuniront dans le délai de quinze jours, en la ville d’Utrecht, afin de procéder à la liquidation du fonds du syndicat et de la banque de Bruxelles, chargée du service du trésor général du royaume uni des Pays-Bas. »

D’où je conclus que si vous aviez appelé la banque devant les tribunaux, les questions à résoudre n’eussent pas été si simples ; la banque pouvait vous opposer votre propre fait, l’acceptation du traité du 15 novembre, et dire qu’elle ne devait rien jusqu’à la liquidation à intervenir. Voilà ce qui a notablement altéré la position du gouvernement envers la banque. C’est ce que les administrations précédentes ont dû comprendre, et c’est ce qui a dû les arrêter comme nous.

On nous a reproché de n’avoir pas fait valoir jusqu’ici beaucoup d’autres prétentions que le trésor a à exercer à l’égard de la banque. Mais j’ai déjà annoncé qu’une commission spéciale avait été nommée à cet effet, et elle jettera des lumières sur toutes ces questions qui sont le sujet permanent de la sollicitude de l’administration.

Du moment, messieurs où il est reconnu, aux termes du traité du 15 novembre, que l’encaisse de la banque est un fonds sujet à liquidation, la banque pouvait soutenir qu’il lui fallait des garanties avant de s’en dessaisir, A-t-elle eu raison de demander des garanties et de n’avoir pas confiance dans le pays, si toutefois cette idée est entrée dans son esprit ? C’est ce que je n’examinerai pas ; mais je ferai remarquer qu’autre chose est la position d’un particulier stipulant dans son intérêt propre, et autre chose la position des administrateurs qui doivent agir d’après leur qualité et le mandat qui leur est confié.

Examinons maintenant en elle-même la convention telle que vous la connaissez. On l’a critiquée sous tous les rapports ; mais on a oublié deux mots qui changent tout l’état de la question.

On vous a parlé de bons du trésor ; mais je ne sais par quelle réticence involontaire on ne vous a pas dit que ces bons du trésor sont créés sans intérêts. (Dénégations.) Je prouverai tout à l’heure qu’ils sont sans intérêts, en ce sens que le trésor ne les supporte pas.

Si le gouvernement avait eu besoin de faire une émission équivalente au montant de l’encaisse, il aurait reçu immédiatement une somme de 12,900,000 fr. sans une obole d’intérêt. Ne croyant pas avoir besoin de ce capital, il a dû le faire fructifier.

Ce n’est pas d’ailleurs à la légère que le gouvernement a pris sa décision. Je ne dis pas cela pour décliner la responsabilité de l’acte dont il s’agit, mais la commission de la banque a été consultée, je crois être assez sûr de mes souvenirs pour dire que la majorité de cette commission fut d’avis que ni l’intérêt ni l’honneur du pays n’ont été lésés dans l’arrangement avec la banque.

Je répète, messieurs, que l’on pouvait remettre, si le besoin s’en était fait sentir, des bons du trésor à la banque, bons au moyen desquels la somme de 12,900,000 fr. passait immédiatement dans les caisses de la trésorerie. On ne l’a pas fait parce que c’était perdre l’intérêt du capital qu’eussent représenté ces bons, et dont nous n’avions pas besoin au moment du contrat.

Tel est, messieurs, l’arrangement fait avec la banque.

Le gouvernement, dit-on, ne peut disposer des fonds nationaux acquis pour son compte. Où a-t-on vu cela ? M. le ministre des finances dit bien, dans son discours, qu’il serait impolitique d’enchaîner le capital pour toute l’année, en disposant de l’intérêt dans les voies et moyens. Mais s’ensuit-il que ce capital soit réellement enchaîné ? Non certainement. Du jour où les fonds publics seront à 96 1/4 par exemple, on peut les placer aux bourses d’Anvers, de Bruxelles, de Londres et de Paris. Voilà ce qui arriverait si la chambre, d’accord avec le gouvernement, croyait devoir leur donner une autre destination. Je ne pense donc pas qu’on puisse blâmer comme on l’a fait une opération qui nous vaut, je le répète, un bénéfice de 2,000 francs par jour.

Je crois en avoir assez dit sur ce point. M. le ministre des finances, et l’honorable financier auquel j'ai fait allusion, pourront dissiper tous les doutes, s’il en reste.

M. A. Rodenbach. - Mon collègue M. Dumortier a donné un tel développement aux points qu’il a traités que je n’ai que quelques mots à ajouter.

Je suis assez porté à croire, par ce que j’ai entendu dire, que M. le directeur de la monnaie n’a battu que pour 4 millions, tandis que les ateliers sont montés à Bruxelles pour battre 30 millions par an ; on a accordé une prime de trois pour mille à ce directeur ; l’arrêté est totalement inconstitutionnel.

C’est une dépense que cette prime ; il faut donc que la chambre la vote. Le ministre nous doit des explications claires à cet égard.

J’aurais encore un mot à dire sur les monnaies. On nous assure qu’on a battu pour 800,000 fr., un million de monnaies, et que cette opération a produit un bénéfice de 300,000 fr. ; on ne nous rend pas compte de ces 300,000 fr.

Hier j’ai cité plusieurs articles semblables omis. Nos voies et moyens sont enflés de plusieurs millions.

Il existe une commission qui a été chargée d’examiner les opérations de la banque et du gouvernement ; je demanderai que les membres de cette commission déclarent s’ils ont donné leur assentiment à ces opérations.

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - La commission de la banque n’a pas été consultée sur le placement des fonds, mais sur l’arrangement qui a précédé le placement. C’est ainsi que je me suis expliqué.

M. Angillis. - L’honorable M. Dumortier a contesté l’exactitude du calcul de la section centrale relativement au séquestre. La section centrale a pris ses renseignements au ministère ; s’il y a erreur, elle ne peut être attribuée qu’au ministère.

Quant à l’observation relative à la vente des biens séquestrés jusqu’à concurrence de la somme due, cette vente est dans le désir de la section centrale. Mais, si on adopte cette mesure, je présenterai les moyens de l’exécuter.

Quant aux monnaies, la section centrale n’a pu parler que sur les communications qu’on lui a faites ; or, elle n’a pas eu de renseignements sur les bénéfices signalés par M. Rodenbach. D’après mes informations particulières, les bénéfices ne sont pas de 300,000 fr., mais de 270,000 fr. Je demande aussi que le ministre s’explique sur ce point.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - On s’est plaint à diverses reprises de ce que l’on ne faisait figurer aux voies et moyens aucune recette pour le compte du séquestre. On a cru devoir agir de cette manière, et agir légalement parce que la constitution elle-même dit positivement que le budget ne doit présenter que les recettes et les dépenses qui ont lieu au profit de l’Etat ; or, ici les recettes qui s’appliquent aux dépenses du séquestre s’opèrent au profit du séquestre et en déduction de ce qu’il doit au trésor.

Si la chambre le veut, il sera très facile de se conformer à sa volonté.

Quant au remboursement montant à 208,000 fr., qui résulte des avances que le trésor a faites au séquestre, il est à la connaissance de tout le monde que déjà le séquestre commence à faire vendre des parties qui procureront des recettes capables de rembourser le trésor. Il est décidé en ce moment que d’autres objets que ceux qui sont affichés seront vendus, et que très prochainement le trésor sera couvert des avances qu’il a faites jusqu’ici.

Quant au reproche concernant la non-insertion des bénéfices des monnaies, je dirai que mon honorable prédécesseur a annoncé que lorsque la fabrication des cuivres sera terminée, il sera soumis aux chambres un compte général et des dépenses et des recettes Les coins, coussinets et autres ustensiles nécessaires à la fabrication des monnaies ont été payés sur ces bénéfices. Un compte général sera donc établi. Mais, si on pense que les recettes de cette nature doivent figurer aux voies et moyens, on les y consignera.

Enfin, relativement à l’arrêté qui accorde une prime de 3 pour mille pour la fabrication des monnaies d’argent, je ne m’attendais pas à être interpellé sur cet objet aujourd’hui, et ne me suis pas pourvu du dossier ; mais demain je pourrai satisfaire l’assemblée sur cet acte. Je me munirai des documents les plus détaillés.

- La séance est levée à quatre heures, et la discussion est continuée à demain.