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Chambres des représentants de Belgique
Séance du lundi 2 décembre 1833

(Moniteur belge n°338, du 4 décembre 1833)

(Présidence de M. Raikem)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. de Renesse fait l’appel nominal à midi et demi. MM. les représentants ne sont pas en nombre suffisant pour se former en séance publique.

Quelques minutes après, la chambre est en nombre pour délibérer.

M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.


MM. les ministres de la justice, de la guerre, des affaires étrangères, des finances et de l’intérieur sont à leur banc.

Les tribunes publiques sont garnies d’auditeurs ; des agents diplomatiques sont dans les tribunes qui leur sont réservées.

Vers la fin de la séance, on remarque la présence de Mademoiselle Adélaïde et du jeune prince de Joinville.

Pièces adressées à la chambre

M. de Renesse fait connaître sommairement l’objet des pièces adressées à la chambre ; ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.


Sur la proposition de M. le président, la chambre renvoie à la commission de la chambre et du commerce les pièces relatives au lin.

Projet de loi qui charge les états députés de la confection des budgets provinciaux de 1834

Rapport de la section centrale

M. le président. - M. de Brouckere, rapporteur de la commission spéciale chargée de l’examen du projet de loi relatif à la continuation des pouvoirs donnés aux députations provinciales de dresser les budgets des provinces, est appelé à la tribune.

M. de Brouckere. - Messieurs, le projet de loi, que vous a soumis M. le ministre de l’intérieur, à l’effet de confier aux députations des états provinciaux le soin de dresser les budgets des provinces pour 1834, sauf l’approbation du Roi, n’est autre chose que la reproduction d’une mesure prise pour les années 1832 et 1833. Aussi, sans s’arrêter à quelques modifications qui ne tombent que sur la rédaction, et qui ont paru sans importance, la commission que vous avez chargée d’examiner ce projet, et dont j’ai l’honneur d’être l’organe, n’a pas hésité à vous en proposer l’adoption.

Sa mission était d’autant plus facile à remplir, que c’est à l’unanimité des voix que vous avez adopté les lois des 8 décembre 1831 et 9 décembre 1832, conçues dans le même esprit, et que les circonstances qui ont amené cette unanimité existent encore aujourd’hui, l’impossibilité d’établir les conseils provinciaux assez à temps pour voter les budgets de 1834, ne pouvant raisonnablement être révoquée en doute.

Nous avons lieu d’espérer, messieurs, que ces conseils seront organisés avant la fin de l’année prochaine, et aussi que c’est pour la dernière fois que nous nous voyons dans la nécessite d’avoir recours à cet égard à des mesures exceptionnelles.

Une simple lecture du projet suffira sans doute, messieurs, pour vous en faire connaître l’urgence, et vous déterminer à en fixer la discussion à l’une de vos prochaines séances. (Suit le projet de loi, non repris dans cette version numérisée.)

Propositions de loi relatives aux droits sur les lins

Développements et prise en considération

M. de Foere. - Je proposerai à la chambre de mettre à l’ordre du jour la proposition que j’ai faite en même temps que celle qui a été présentée par M. Rodenbach sur les lins, parce qu’il y a entre ces propositions une connexité remarquable.

M. Pirson. - Plus haut ! On n’entend rien.

(Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1833) M. de Foere. - Quoique j’aie présenté ma proposition sur les toiles avant celle de M. Rodenbach, je n’aurais aucune objection à réunir la mienne à la sienne, si elle entrait mes vues. Il est vrai que les deux propositions ont le même but ; mais elles diffèrent sur les moyens de l’atteindre.

M. Rodenbach propose d’imposer les toiles étrangères à leur valeur, moi je propose de les imposer à leurs qualités. Ce mode est pratiqué en France, depuis plusieurs années, avec beaucoup de succès. Il ne donne lieu à aucune difficulté entre le fisc et les contribuables, tandis que les droits imposés à la valeur des marchandises suscitent continuellement des discussions, des querelles et des procès résultant du droit dont jouit le fisc de préempter les objets importés, lorsqu’il lui paraît qu’il y a fraude dans les déclarations faits sur leur valeur. Aussi l’Etat est presque toujours en perte, lorsque les importations sont frappées par un droit sur leur valeur.

J’ai donc l’honneur, messieurs, de vous proposer de mettre à l’ordre du jour la prise en considération de ma proposition sur les toiles concurremment avec celle de M. Rodenbach. Les sections pourront d’ailleurs juger mieux ce qui convient aux intérêts du pays en comparant les deux modes d’imposer les toiles étrangères. En outre, messieurs, puisqu’il existe une grande connexité entre l’autre partie de ma proposition, relative aux lins, et celle sur les toiles, j’ai l’honneur de vous proposer encore de mettre aussi à l’ordre du jour la prise en considération de cette deuxième partie de mon projet de loi.

(Moniteur belge n°338, du 4 décembre 1833) M. le président. - L’orateur demande que la chambre réunisse sa proposition à celle de M. A. Rodenbach.

M. Desmet. - Je demande la parole.

Messieurs, une matière de l’importance de celle qui fait l’objet de la proposition de mon honorable ami ne peut laisser aucun doute que la prise en considération en sera décidée par la chambre sans la moindre discussion. Si on n’est point d’accord sur les modifications que la proposition va porter au tarif des douanes, du moins on doit être unanime que l’objet en est assez majeur pour qu’elle soit envoyée dans les sections ou à une commission, pour en discuter et le principe et les détails.

Car, quoique tous nos vœux soient unanimes pour voir approcher cette heureuse époque de la liberté commerciale, si désirée entre tous les peuples, comme un résultat des progrès de la civilisation, encore les plus chauds partisans de cette théorie ont la bonne foi de reconnaître qu’on ne saurait en faire l’application qu’avec d’extrêmes ménagements, c’est-à-dire que de grands maux se produiraient si le système de protection faisait brusquement place au système d’une pleine liberté de transactions de notre pays envers les autres qui ont leur tarif, et que le travail étranger viendrait tout à coup prendre sur notre marché la place du travail national.

Quand nous voyons que dans toute l’Allemagne une conjuration commerciale va éclater au 1er janvier prochain, que l’Angleterre va encore amplifier son tarif de prohibition, et qu’en France le système Saint-Cricq se fortifie de plus en plus, pourrions-nous alors laisser nos industries sans protection, et les voir mettre en péril sur les marchés de la Belgique en présence des industries étrangères ? Non, certainement, et je ne doute pas que sur ce point nous ne soyons tous d’accord.

Je voterai pour la prise en considération et le renvoi en sections.

M. de Robaulx. - Il faut réunir toutes les propositions. Je suis de l’avis de M. de Foere, il ne faut appeler qu’une seule discussion sur les toiles et les lins ; toutes ces matières ne doivent faire qu’une loi ; il y a affinité entre elles, elles nécessitent un examen unique. Je n’ai aucune observation à présenter maintenant sur la question, mais je désire que le gouvernement soit invité à déposer sur le bureau des sections tous les documents qu’il a recueillis ; il a dû demander des renseignements aux provinces, faire une espèce d’enquête ; nous devons connaître tous ces documents. Je désire m’occuper d’une matière aussi importante, je désire aussi que la chambre s’en occupe et ne la laisse pas de côté comme la loi sur l’instruction publique.

M. A. Rodenbach. - Outre ma proposition et celle de M. de Foere, il en existe une autre de M. Desmet ; si les deux premières propositions sont renvoyées aux sections, il faut aussi y renvoyer la troisième.

M. de Robaulx. - C’est ce que je demande

M. A. Rodenbach. - Cependant la proposition sur les lins ne ressemble en rien à celle sur les toiles, les lins sont la matière première et constituent une question d’agriculture, les toiles forment une question de manufacture.

M. Desmet. - Je crois que le département des finances a pris des renseignements sur les lins et les toiles ; quant au département des finances, il déposera sur le bureau de la chambre tous les documents qui lui sont parvenus ; il en attend encore d’autres. il fera imprimer tous les renseignements, tous les éclaircissements désirables.

- La chambre, consultée par M. le président, prend en considération les trois propositions de MM. A. Rodenbach, de Foere et Desmet. Ces propositions sont renvoyées aux sections.

Motion d'ordre

Insuffisances de la législation pour réprimer la sédition d'officiers de l'armée

M. A. Rodenbach. - Avant de passer à la discussion du budget des voies et moyens, je crois devoir faire une interpellation à M. le ministre de la guerre.

En 1831, un membre du congrès, qui ne siège plus dans cette enceinte, nous a soumis une loi qui, si elle eût été adoptée, aurait empêché le scandale résultant de l’acquittement, par les tribunaux, du coupable Grégoire. Il existe des lacunes dans notre législation pénale actuelle. Il paraît que les officiers ne peuvent être punis que par la mise à demi-solde, quand ils ont forfait à l’honneur. Je demanderai si les officiers qui ont, par des cris séditieux, rappelé un prince expulsé, et qui ont cherché à démoraliser l’armée, ne peuvent être rayés des contrôles et être punis comme ils le méritent.

M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Il existe en effet des lacunes dans nos lois pénales ; les cris séditieux ne sont pas atteints par les dispositions de nos lois criminelles ; mais de nouveaux codes sont préparés, et ils renferment plusieurs dispositions oubliées dans le code qui nous régit.

La haute cour militaire a préparé trois projets sur cette matière ; ces projets seront soumis aux chambres après examen préalable par une commission spéciale : aussitôt que cette commission aura terminé son travail, je présenterai les projets à la législature.

Il est vrai que le gouvernement n’a pas d’autre punition à infliger aux officiers coupables que de les mettre en non-activité. Ainsi que le Roi l’a annoncé dans son discours d’ouverture, nous nous sommes occupés d’un projet de loi concernant l’état des officiers ; ce projet a été soumis au conseil des ministres et est en état d’être présenté aux chambres. Ce sera à la fin de cette semaine ou au commencement de l’autre que je le présenterai à votre approbation.

Projet de loi portant le budget des voies et moyens de l'exercice 1834

Discussion générale

M. Angillis, rapporteur de la section centrale qui a examiné le budget des recettes. - Je dois signaler une erreur qui s’est glissée dans la colonne du rapport relative aux totaux ; ce chiffre doit être celui-ci : 55,873,078 fr. Ce qu’il y a de remarquable, c’est que l’addition des chiffres totaux doit rester la même, ou 83,262,578 fr.

M. le président. - La discussion générale est ouverte sur l’ensemble des voies et moyens.

M. Pirson. - Messieurs une question toujours renaissante lors de la discussion des budgets, c’est de savoir si l’on commencera par la loi des voies et moyens ou bien par la loi des dépenses et là-dessus, force comparaisons entre l’administration de la fortune privée et celle de la fortune publique ; cependant, il n’y a aucune analogie entre ces deux fortunes, parce que le particulier ne peut pas à volonté multiplier ses moyens. Mais le gouvernement a ce pouvoir, et nous dirons qu’il est bon ou mauvais selon qu’il usera bien ou mal de ses moyens.

Voici dans ma pensée comment doit procéder un gouvernement constitutionnel. Reposant essentiellement sur des bases fixes, il doit chercher à établir la fixité dans toutes les branches de l’administration et notamment dans la partie financière ; hors celle-ci et la partie militaire, qui ont toujours besoin de la direction du gouvernement, beaucoup d’abandon et de laisser faire auront des résultats plus avantageux et plus économiques que toutes les prévoyances de l’autorité.

Mais ne parlons que de finances maintenant. Il s’agit des voies et moyens : oui, c’est par là qu’il faut commencer lorsqu’à la suite de plusieurs révolutions et de la lutte du privilège contre l’égalité proportionnelle on veut baser un système financier sur les principes constitutifs d’un gouvernement constitutionnel et libéral.

J’ai prononcé les mots d’égalité proportionnelle : messieurs, voilà tout le secret du bon choix des impôts. Je réprouve à tout jamais les moyens indirects de pressurer les classes laborieuses qui ont à peine le strict nécessaire, et dont pourtant le travail fournit toutes les jouissances de la moyenne et de la grande fortune. Des impôts de répartition autant que possible ; ce sont ceux des gouvernants économes, francs et honnêtes gens : des impôts de quotité ou indirects le moins possible ; ce sont ceux des gouvernants prodigues, astucieux ou fripons. Cela est clair, je crois ; mais je n’ai point du tout compris ce qu’a voulu nous dire un commissaire du Roi lors de la discussion du budget de 1833. En matière d’impôt il a parlé de l’élément aristocratique et de l’élément démocratique. Il aura sans doute occasion de nous expliquer sa pensée d’une manière plus intelligible. J’aime à croire qu’elle se rapprochera de la mienne.

Quand on aura trouvé la base proportionnelle de l’impôt direct, on en déterminera le montant d’après les besoins d’une situation ordinaire : bien entendu, après avoir supprimé tous les rouages inutiles et renoncé à toute intervention pécuniaire de détail qui ne peut rien ajouter aux progrès de l’industrie, ni satisfaire à tous les besoins. S’il survient des circonstances extraordinaires qui exigent des dépenses extraordinaires, on n’aura plus qu’à ajouter quelques centimes additionnels. C’est alors seulement que tout naturellement on devra discuter la loi des dépenses avant la loi des moyens, qui ne subira plus d’autre variation que celle du plus ou du moins de centimes additionnels.

Le cadastre nous donnera bientôt une nouvelle base de répartition de la contribution foncière. Si le travail n’est point d’abord parfait, il s’améliorera infailliblement ; mais la valeur locative de toutes les habitations, et même des usines ou fabriques entrant dans la masse imposable de la contribution foncière, c’est une aberration de taxer les portes et fenêtres et les foyers de ces mêmes habitations. C’est taxer deux fois la même chose.

Après la contribution foncière vient la contribution mobilière. La masse imposable, sous cette dernière dénomination, doit comprendre tout ce qu’on entend par biens meubles, c’est-à-dire, les meubles meublants, le bétail, les capitaux et tous objets de commerce : ainsi dans mon système plus de patente, plus d’impôt à l’intérieur sur la consommation. Je reporterais à la frontière ce que nous appelons accises sur les vins et eaux-de-vie étrangères, et j’y ajouterai un impôt sur le café et le tabac, sans préjudice au transit : pour remplacer le droit de consommation à l’intérieur, j’établirais une taxe par personne, un ou deux francs ; mais je voudrais que tout individu n’ayant que sa journée de travail pour vivre fût exempt de ces deux contributions : je suppose qu’un cinquième ou un quart de la population en serait affranchi.

Maintenant la grande difficulté est de trouver la base de répartition ; cependant il faut bien la chercher : le mode existant est l’œuvre d’un gouvernement que le rapporteur de la section centrale a bien caractérisé ; il est réprouvé par toutes les opinions.

Je conçois deux modes de grande répartition, c’est-à-dire, entre les provinces d’abord et ensuite entre les communes.

1° En établissant des catégories et en déterminant pour chacune certain nombre de contribuables, dans la proportion de la petite et de la grande population, il ne s’agirait plus que de classer ceux-ci : cette dernière opération se ferait par un jury d’équité.

2° La première répartition entre les provinces et ensuite entre les communes pourrait se faire sur les trois bases combinées : 1° de la population, 2° des patentes, 3° de la contribution personnelle telle qu’elle est établie maintenant ; mais la sous-répartition entre les contribuables se ferait par un jury d’équité.

Pour rectifier les erreurs qui résulteront nécessairement de la première répartition entre provinces et communes, il y aurait comme pour le cadastre, pendant quelques années de suite, des assemblées cantonales qui signaleraient les erreurs entre communes, et puis des assemblées de commissaires de provinces qui signaleraient les erreurs entre provinces.

Je sais tout ce que l’on a reproché anciennement à ces jurys d’équité, mais les circonstances ne sont plus les mêmes aujourd’hui.

La lutte du privilège est terminée, personne ne conteste le principe d’égalité proportionnelle ; et puis n’est-ce pas de cette manière que se règlent encore aujourd’hui les patentes ? Toutefois, je conviens qu’il faudrait chercher à améliorer la composition des jurys d’équité ; le moyen de les rendre impartiaux, ce serait d’établir un système de rotation d’après lequel les contributions deviendraient tour à tour taxateurs les uns des autres. Pour trouver de l’impartialité, on serait impartial soi-même.

Le système que je mets en avant aujourd’hui aurait besoin de développements trop longs pour la tribune. Mon but est seulement de soulever des réflexions qui peuvent mettre le gouvernement sur la bonne voie.

Mais il est trop simple mon système ! S’il était adopté, que deviendrait la bureaucratie ? Qui oserait braver ses hourras ? Chaque ministre n’est-il pas le pourvoyeur de sa petite armée d’employés ? Un moment : écoutez-moi, s’il vous plaît. Je veux que l’on soit juste envers les employés honnêtes et capables ; mais je veux que l’on renvoie impitoyablement ceux que l’intrigue a placés furtivement, pendant les variations du haut personnel administratif.

Or donc, tout étant simplifié, je voudrais que dans chaque ministère on fit une liste des employés surabondants et qu’ils jouissent d’un traitement d’attente ; je voudrais que tout emploi, venant à vaquer, fût nécessairement donné à l’un des inscrits sur la liste précitée. De quoi pourraient alors se plaindre les employés ?

J’abandonne ce que des financiers à grand étalage appelleront mon utopie, pour revenir à la loi des voies et moyens soumise à la discussion.

Persuadé qu’en supprimant tous les rouages inutiles, en décentralisant l’administration, le ministère pourrait dans les six premiers mois de l’exercice 1834 opérer de grandes économies, j’aurais désiré que la section centrale proposât de plus fortes réductions d’impôts. Je voterai dans son sens, et j’adhère à tous ses vœux, me réservant de faire plus en faveur des contribuables, si le résultat de la discussion m’en procure l’occasion et le moyen.

Il y a beaucoup d’observations à faire sur plusieurs articles, elles n’échapperont point à la discussion ; mais je ne peux me dispenser de dire un mot sur la banque, dont les redevances au trésor ne figurent nulle part.

Il y a quelque chose de bien étrange entre elle et tous ceux qui ont manié nos finances depuis la révolution. Jusqu’aujourd’hui, il semblerait qu’on s’entend pour tenir en réserve des fonds dont pourrait profiter un jour le roi déchu. A la vérité, c’est un moyen assuré de se faire pardonner des paroles patriotiques ; car on sait combien le roi Guillaume aime l’argent. Chaque fois qu’il a été question d’une investigation que réclament les intérêts publics, on s’est laissé arrêter par des menaces de procès. Des menaces de procès de la part de la banque, qui doit à l’Etat des sommes énormes, qui joue à la hausse et à la baisse avec notre argent, qui vend nos forêts, sans qu’aucune précaution soit prise pour assurer le paiement du capital qu’elle doit verser au trésor public lors de sa dissolution !

Le ministre par intérim et son secrétaire général paraissaient vouloir prendre enfin un parti décisif ; le voile paraissait se soulever, lorsque tout à coup un nouveau leurre est sur le point de nous rejeter dans les ténèbres.

Le roi Guillaume ne nous a-t-il pas indiqué ce qu’il y avait à faire ? ne s’est-il point emparé des biens et des revenus de la banque en Hollande ? Soyons plus justes, ne nous emparons de rien ; mais comptons, et que l’on solde ce qui nous est dû. La banque, qui se dit si patriote répudierait-elle la garantie nationale ? S’il en était ainsi, je provoquerais, avec notre collègue M. Dumortier, la petite loi dont il nous a déjà parlé. Ma longanimité ne peut aller plus loin. Les amis du roi Guillaume appelleront, s’ils le veulent, ma sortie : humeur excentrique.

Je ne parle point d’affaires politiques ; je ne connais pas assez les localités pour entamer des questions sur la dernière convention de Zonhoven et la liberté de la Meuse.

M. Doignon. - Messieurs, c’est pour la troisième fois que la représentation nationale est appelée à voter un budget de voies et moyens, et pour la troisième fois le gouvernement propose de sanctionner la continuation du régime fiscal qui nous a été imposé par une majorité hollandaise.

Mais ce qui doit davantage nous surprendre, c’est que le gouvernement, sorti des journées de septembre, nous a lui-même placé dans une position telle que la législature s'est trouvé, pour ainsi dire, forcée d’adopter encore le même système d’impôts.

Il nous promet à chaque session un changement de système quand nous nous plaignons, dans les discussions des budgets, de n’être pas encore délivrés du régime hollandais ; afin d’obtenir notre assentiment, il nous assure qu’on s’occupe activement de projets de loi, qu’ils seront incessamment présentés ; mais une fois les budgets votés, on n’en entend plus parler ; il oublie dès lors les justes plaintes du peuple, et ses prétendus projets restent ensevelis dans les cartons.

Dans le discours d’ouverture de cette session, il fait de nouveau espérer au pays des modifications importantes à notre législation financière. Le peuple, qui a entendu la parole royale, croit à juste titre qu’il jouira de ces améliorations en 1834 ; mais il n’en est rien : ce n’est que pour l’exercice 1835 que la promesse de novembre 1833 est censée faite.

La marche suivie par le gouvernement est donc constamment en opposition avec celle que réclamaient le vœu et les besoins du pays et que lui indiquaient en même temps la raison et l’ordre naturel des choses. Au lieu de nous faire voter les chiffres des budgets après l’adoption de bonnes lois financières, il nous fait voter sur ces chiffres avant même d’en avoir présenté aucune ; et, pressée par la crainte d’entraver le service ou de devoir encore recourir à des crédits provisoires, la chambre se voit obligée d’accorder rapidement les subsides sans avoir pu obtenir aucun changement au régime actuel, et en courant, pour l’avenir, toutes les chances, des promesses ministérielles.

La législature n’aurait-elle donc aucun moyen de sortir de cette fâcheuse position ? Si les propositions de quelques honorables membres de ne voter l’impôt que pour six mois, ou de commencer l’année financière au 1er juillet, trouvaient quelque appui dans la chambre, il me paraît qu’elle aurait cet heureux résultat. Dans ce cas nous voterions dès à présent pour les six premiers mois de 1834 un budget de voies et moyens et de dépenses. Entre-temps on travaillerait aux modifications à apporter à notre législation des finances, et l’on se trouverait en mesure de voter avant le mois de juillet prochain un budget qui offrirait toutes les améliorations possibles.

L’ouverture de chaque session se trouvant fixée d’une manière invariable au 1er mardi de novembre, et les budgets devant être votes avant le 1er janvier ou peu après, ils devient chaque année moralement impossible de discuter et adopter en même temps, dans un si court intervalle, aucune nouvelle législation, à moins qu’on ne veuille retomber dans les crédits provisoires que nous voulons éviter. Dans cette situation la chambre est, tous les ans, dans l’obligation de voter les budgets avant que ses griefs soient redressés et elle-même prête ainsi la main à les perpétuer.

Mais, d’après la maxime de tous les pays constitutionnels, point de redressement de griefs, point de subsides ; n’est-ce point évidemment la marche tout opposée qu’elle devrait suivre ? L’esprit de la constitution comme l’intérêt du pays, n’exigent-ils pas que les subsides ne soient régulièrement accordés qu’après que la législature a pu admettre les réformes nécessaires et que le gouvernement lui-même y a acquiescé ? En votant les impôts, comme on le fait chaque fois, au commencement des sessions par des considérations d’urgence, le gouvernement devient en quelque sorte indépendant de la chambre.

Le refus des subsides, qui doit être la base de tout régime constitutionnel, devient presque illusoire. La représentation nationale perd d’autant plus de son action et de son influence sur le gouvernement, qu’elle s’empresse trop à se dessaisir de la seule arme à peu près que la constitution lui a donnée contre lui. Un célèbre publiciste de l’autre siècle l’a dit avant nous. Lorsque la puissance législative accorde trop facilement et à la hâte la levée des deniers publics, elle court risque de perdre sa liberté, parce que bientôt la puissance exécutive ne dépend plus d’elle.

Si donc la chambre veut conserver intacts ses droits constitutionnels, elle doit dès ce montent renoncer à la voie qu’elle a suivie. Loin de voter les budgets aussitôt auprès l’ouverture d’une session, elle devrait au contraire combiner ses travaux pour ne les voter que vers la fin, mais toutefois assez à temps pour que, de son côté, le sénat pût les examiner librement.

Le vote des impôts pour six mois seulement ou le changement d’époque de notre année financière, entraînerait sans doute quelques inconvénients pour les écritures et la comptabilité, mais ils ne seront que momentanés et ils sont d’une bien faible considération lorsqu’il est question d’assurer à la chambre l’entier exercice de l’une de ses plus belles prérogatives. Du reste, que d’autres plus habiles que nous indiquent un moyen qui atteigne le même but, et nous nous y rallierons aussitôt. Mais toujours faut-il que la chambre abandonne sa position actuelle, car à coup sûr elle n’est point disposée à abdiquer la moindre partie de ses droits.

Si elle recule devant quelques difficultés pour mettre un terme à cet état de choses, elle doit s’attendre à se trouver dans la même situation en novembre 1834, d’autant plus qu’elle se met à la merci des volontés de nos ministres pour la durée de cette session. Si elle prend au contraire l’un ou l’autre de ces deux partis, le gouvernement, étant dès lors dans la dépendance de la chambre se trouverait obligé de présenter un meilleur système et le temps ne manquerait plus à la législature pour proposer et discuter les réformes qu’elle désire tant dans les finances que dans d’autres branches de l’administration.

Puisqu’entre deux moyens qui offrent des inconvénients, la prudence veut qu’on s’arrête à celui qui en présente le moins, je préférerais même un nouveau crédit provisoire de trois mois au vote actuel de tous les budgets.

Quant à la contribution personnelle, l’on accuse avec raison les lois actuellement en vigueur d’établir l’inégalité dans les charges. Ce n’est point la fortune présumée du citoyen mais le plus ou moins d’importance de son habitation, qui sert de base à cette contribution. Ainsi tel propriétaire qui a 50 mille livres de rentes, paiera même moins que tel autre qui n’en a que 10 milles, parce qu’il lui plaira d’habiter une maison moins spacieuse. Les rentiers qui n’occupent qu’un quartier se soustraient même à la presque totalité de cet impôt.

On se rappelle que c’est dans la vue de favoriser la grande propriété que la majorité hollandaise a admis cette base évidemment injuste. On avait adopté jusqu’alors le système qui est encore en vigueur aujourd’hui en France, et suivant lequel chacun est personnellement imposé d’après son revenu présumé.

L’on a objecté contre ce système qu’il peut faire naître une foule d’injustices à cause de la difficulté d’estimer approximativement le revenu imposable pour chaque habitant ; mais cette objection a été appréciée par les chambres françaises qui n’en ont pas moins préféré ce mode comme plus conforme à l’équité qui doit présider dans la répartition des charges.

Le système que nous avons substitué au régime français en frappant presque toujours d’une manière injuste, consacre l’arbitraire de la loi ; mais n’est-ce pas un principe constant qu’il faut préférer l’arbitraire de l’homme à celui de la loi ?

Il est en cette matière un principe dominant qu’il faut respecter avant tout, c’est que chacun doit contribuer dans la proportion de sa fortune aux charges de l’Etat. Ce principe est écrit en toutes lettres dans l’article 2 de la charte française, et bien que notre constitution ne contienne pas une disposition aussi formelle, l’article 112, en déclarant qu’il ne peut être établi de privilège en matière d’impôts, ne nous permet pas de maintenir un système visiblement introduit en faveur de la grande propriété.

Depuis peu d’années l’on a également créé en Prusse un impôt ayant aussi pour base le degré d’aisance de chaque citoyen, et on en applaudit généralement.

La loi des patentes présente de même des inégalités très choquantes. Par exemple, elle met indistinctement à la charge des bateliers une patente égale à celle que paient les plus grands négociants. Le batelier, dont le bateau ne ferait même aucun voyage dans le courant de l’année est assujetti au même droit. Ne serait il pas plus simple et plus juste de convertir cette patente en un droit de navigation de sorte que les bateliers paieraient à raison du nombre de voyages et, par conséquent, dans la proportion de leur bénéfice. Un grand nombre d’entre eux ont déjà pétitionné à la chambre, qui a reconnu leurs plaintes fondées. Rien n’empêchait le ministère d’y faire droit depuis longtemps.

A l’égard de l’impôt foncier, il ne me paraît point douteux qu’avec un peu plus de prévoyance et de bon vouloir, il eût été possible au gouvernement de libérer entièrement l’agriculture de la surtaxe extraordinaire de 40 p. c. En demandant cette augmentation l’on avait fait envisager au pays, aujourd’hui trompé dans son attente, que cette charge n’était que temporaire et pour une année.

L’arrangement conclu avec la banque sans l’assentiment des chambres et sans l’avis même de la commission nous a révélé une ressource qui seule aurait pu en grande partie couvrir ces 40 p. c. Depuis plusieurs années que le capital dû par cette société repose dans sa caisse, il aurait pu produire quelques millions d’intérêt au profit de l’Etat. Or, au moyen des sûretés dont on a nanti la banque, il est clair que cet arrangement pouvait se traiter tout aussi bien en 1831 que sur la fin de 1833. Ainsi, depuis 1830, la banque a pu jouir elle-même des intérêts de nos 13 millions, dont certainement le trésor aurait profité lui-même s’il avait plu au ministère de faire quelque diligence. C’est là encore une de ces fautes graves dont il est responsable vis-à-vis de la nation.

Si l’on en juge par le résultat de cette affaire, on serait porté à croire que la commission n’aurait été instituée que pour gagner du temps et traîner en longueur puisqu’en définitive, après l’avoir quelquefois réunie sans lui donner d’abord les renseignements nécessaires, on a terminé cet arrangement en se passant de son avis.

Mais, à cette occasion, il est à propos d’en avertir notre ministère. Il est dans l’erreur s’il pense que la création d’une commission met sa responsabilité à couvert : la mission qui est donnée aux membres qui la composent est toujours purement officieuse ; elle ne dispense aucunement le gouvernement de se livrer de suite lui-même à l’examen et à une étude approfondie de la question et de se former au plus tôt une opinion. Or, l’issue de l’affaire de la banque nous prouve que selon lui elle pouvait, il y a deux mois comme en ce moment, se réduire à des termes assez simples.

Dans tous les cas, la chambre ne pourrait aujourd’hui laisser figurer à son budget les intérêts de son capital qu’avec la réserve de tous ses droits aux intérêts depuis 1830. L’article 1996 du code déclare « que le mandataire doit l’intérêt des sommes qu’il a employées à son usage, à dater de ces emplois, et de celle dont il est reliquataire, à compter du jour qu’il est mis en demeure. » Il y a donc avant tout deux faits à constater : La banque a-t-elle employé le capital dont s’agit à son usage ? En second lieu, a-t-elle été mise en demeure comme elle devait l’être par le gouvernement ?

Mais il y a plus, cet arrangement est encore une autre inconstitutionnalité dont le ministère s’est rendu coupable. Cette convention renferme un emprunt éventuel qui ne pouvait se faire qu’avec l’autorisation des chambres. L’article premier stipule en terme formel que c’est à titre d’avance que cette somme est remise par la banque, et l’article 3 déclare que le gouvernement belge sera tenu de lui rembourser la somme dont le caissier général de l’ancien gouvernement serait déclaré débiteur envers la Hollande lors de la liquidation de son compte.

Le ministère dit en outre, dans sa lettre du 10 novembre 1833, qu’il consent le placement du capital de 13 millions environ en fonds nationaux, toutefois en subordonnant expressément l’opération à l’approbation des chambres : il a donc lui-même écrit dans cette lettre sa propre condamnation, puisqu’il n’est intervenu aucune autorisation de la législature, et que celle-ci, dans son adresse au discours du trône, s’est bornée à demander communication des pièces sans rien préjuger sur la validité de cette transaction.

Mais on croirait que le gouvernement prend tâche de violer à chaque pas la constitution : c’est ce qu’il vient de faire plus récemment encore en accordant, sans le consentement des chambres, des primes pour l’argent monnayé ; en grevant le territoire de plusieurs communes belges par l’humiliante convention de Zonhoven, et en exemptant de certains impôts les Hollandais qui devront les parcourir.

J’adopte entièrement l’avis qui a été émis à l’autre chambre, que la surtaxe de 40 p. c. sur le foncier aurait pu encore être facilement remplacée par un droit sur des objets de luxe, et sur le thé, les tabacs étrangers, le sucre, etc.

M. le ministre nous annonce depuis un an qu’il a des projets tout préparés ; mais, s’ils existent réellement, pourquoi les laisse-t-il dans son portefeuille ? Nous reconnaissons avec lui qu’en général il ne convient de toucher à l’ensemble du tarif des douanes que par une révision complète. Mais l’expérience nous a aussi montré que cette opinion n’est pas absolue, et que, sans nuire au système général, la législature peut s’occuper particulièrement de certains articles, et admettre à leur égard des augmentations ou des diminutions de droit.

Déjà la plupart des objets ci-dessus indiqués se trouvent imposés par le tarif ; il serait donc aisé au ministère, s’il en avait la volonté, de nous présenter de suite un projet de légère augmentation, et de le faire discuter et adopter par les deux chambres avant le 31 décembre.

Les droits établis sur les marchandises sont ceux que les peuples sentent le moins, parce qu’on ne leur en fait pas une demande directe et formelle. Ils peuvent être si sagement ménagés que le peuple ignorera presque qu’il les paie. L’impôt foncier, étant une contribution directe, est par conséquent regardé comme beaucoup plus onéreux. Le gouvernement doit donc se hâter de faire totalement disparaître cette augmentation extraordinaire de 40 p. c.

Sans la diminution de l’impôt sur les distilleries, son produit qui était de plusieurs millions eût suffi à peu près pour remplacer les 25 centimes restant des 40 p. c. Mais, après avoir diminué cet impôt, n’est-il pas contre les vrais principes en cette matière que, pour combler le déficit, on substitue, comme on le fait au résultat, un impôt foncier à une contribution indirecte ?

Mais si nos renseignements sont exacts des à présent même, ou d’ici à quelque temps, le droit sur les distilleries pourrait être légèrement augmenté. Nos distillateurs considèrent comme minime le droit existant et ils le trouveraient encore léger, si l’on y ajoutait ou six ou même dix centimes. Une augmentation aussi faible n’inviterait pas davantage à la fraude, et d’une autre part la morale publique est intéressée à ce que les liqueurs spiritueuses ne se vendent point trop bas prix.

Il y a lieu, d’autant plus, de retrancher des voies et moyens sinon la totalité, au moins la plus grande partie des 40 p. c., que d’après les opinions déjà émises dans les sections sur les budgets des dépenses, il est indubitable que la chambre rejettera une grande partie des majorations demandées pour cet exercice par les ministres, s’élevant ensemble à 1,500,000 fr. environ.

Malgré la déclaration positive de M. le ministre qu’aucune recette n’est omise dans son budget des voies et moyens, la section centrale a néanmoins découvert quelques articles qui n’ont figuré nulle part jusqu’à présent.

L’administration de la monnaie a aussi un produit annuel dont on n’a fait aucune mention jusqu’ici.

Le séquestre des biens de la maison d Orange a coûté chaque année à l’Etat des sommes majeures : il est de notoriété que le roi Guillaume possède les 19/24 dans les sections de la banque. Le gouvernement avait donc un moyen de recouvrement dans la saisie des dividendes considérables, qui jusqu’ici ont sans doute été comptés annuellement au roi de Hollande : pourquoi n’a-t-il pas fait usage d’un moyen aussi sûr qu’il est légal ?

Les droits d’hypothèque et de transcription sont évalués à 650,000 fr. : leur produit serait plus élevé si l’on réduisait à un taux convenable les remises des conservateurs. Ces fonctionnaires, au moyen de leurs remises, ont la plupart des traitements supérieurs à ceux de nos ministres. Quelle que soit leur responsabilité, ces traitements sont certainement excessifs.

On porte au budget pour le produit des canaux 425 mille francs. Si ce qu’on nous rapporte est vrai, ces canaux pourraient être d’un bien plus grand produit. Tous, et nommément le canal de Pommerœul, sont mal administrés ; leur entretien est négligé, et on y fait à grands frais et sans recours public à des constructions et ouvrages peu utiles, si point superflus. Cet état de choses a fait penser dans une section qu’il serait préférable de remettre nos canaux aux soins de l’intérêt privé, et par conséquent d’en opérer la vente.

Nous remarquons enfin dans ce budget la somme d’un million pour remboursement d’avances faites pour achat de matières premières pour le travail des prisons et bénéfice sur ce travail.

La commission des prisons a pensé depuis longtemps qu’on y gagnerait sous tous les rapports en louant le travail des prisonniers. Malgré les assurances de M. l’administrateur, il est bien difficile de croire qu’en l’absence de toute publicité et concurrence, le gouvernement puisse faire des achats et ventes pour 1 million, en surveillant ses intérêts comme pourrait le faire un particulier.

Tout le monde sait qu’il ne peut être dans les attributions d’un bon gouvernement de faire lui-même le commerce et de se constituer fabricant et marchand. Ce mode est contraire à tous les principes. Nous en parlons dès à présent, afin que la chambre invite l’administration à adopter aussitôt le sage système de la commission, et qu’on ne vienne point prétexter au mois de janvier que l’exercice est commencé, pour contester cet abus.

Mais, en terminant, je ne puis m’empêcher d’entretenir un instant la chambre d’un objet de haute importance, puisque le vote des budgets peut en dépendre.

Tout le pays le sait aujourd’hui, le ton audacieux de quelques orangistes dans l’armée, les fausses alarmes répandues parmi nos industriels, la nouvelle tactique des organes de la presse orangiste, ces circonstances, jointes à d’autres faits que la police ne peut ignorer, doivent nous faire penser que l’ex-roi Guillaume voudrait tenter un dernier effort et semer la division parmi nous.

Mais, nous en avons la conviction : aujourd’hui, comme antérieurement, toutes ses machinations contre l’indépendance nationale viendront se briser contre l’union belge.

C’est en vain que le ministère lui-même sert d’auxiliaire au parti orangiste, en conservant en place les personnes les plus connues par leur attachement au gouvernement déchu, en affectant d’appeler ces mêmes personnes à de nouveaux emplois, et en se montrant assez faible et assez rampant pour tendre la main à quelques puissants ennemis de l’ordre actuel des choses, qui au fond dédaignent et méprisent ses avances.

C’est en vain encore que, par sa manière d’administrer, il ne nous rappelle que trop souvent ce qu’il y avait d’odieux dans le règne de Guillaume, comme si son dessein était de faire regretter au peuple la révolution qu’il a faite.

En dépit de ce faux juste milieu, qui semble n’avoir été imaginé que pour favoriser une restauration, nous osons en porter le défi au gouvernement hollandais ; non, il n’y aura point de division parmi nous. Le peuple, plus sage et plus fort que le ministère, resserrera de plus en plus les liens qui l’unissent au trône de Léopold. Dans cette conjoncture comme dans plusieurs autres, il saura se sauver lui-même et sans son gouvernement.

Cependant nous ne pouvons le dissimuler, et notre amour de la patrie nous force à le dire tout haut, je ne vois qu’un seul événement qui puisse la mettre en danger. Notre ministère a-t-il bien prévu le cas ou notre armée se trouverait seule en présence de celle du roi Guillaume, sans pouvoir espérer d’être assisté par la France que des embarras intérieurs ou des passions politiques empêcheraient absolument de nous secourir ?

Pour nous, ce qui s’est passé à Hasselt n’était pas nouveau ; mais si le ministre a pu ignoré ce qui est connu de tout le monde, ne devons-nous pas tressaillir à la seule idée de l’événement dont je viens de parler ? Le gouvernement, obligé de reconnaître qu’il a commis une faute grave en se reposant sur la fidélité de tous ses officiers, profitera-t-il de cette nouvelle expérience ? Pourquoi, à la suite des désastres du mois d’août n’a-t-il pas fait l’épuration que toute la nation demandait ?

Notre belle armée est inviolablement attachée à la cause de la révolution ; elle ne manque point d’officiers instruits, prêts à verser leur sang pour cette noble cause, mais ce qu’il y a de fatal dans notre position, c’est qu’ici, comme dans les autres branches de l’administration, le gouvernement est tellement circonvenu qu’il ne peut prendre conseil qui de ceux-là même dont il devrait se défier et dont presque toujours il ignore les antécédents.

Le moment viendra où la Hollande elle-même démasquera bien des personnages ; elle mettra au grand jour les gages qu’ils ont donnés dans ces derniers temps à la maison d’Orange, et le gouvernement rougira de honte d’avoir placé sa confiance en de hommes dont tout le patriotisme n’est autre chose que l’amour de leur intérêt, des honneurs et des hauts emplois

M. l’abbé de Foere. - Messieurs, la manière déplorable dont nos finances ont été conduites et le contact pernicieux de la banque avec le gouvernement m’imposent enfin le devoir de signaler les opérations par lesquelles nos finances ont passé, et qu’elles sont encore sur le point de subir.

Rien n’a pu éclairer l’administration actuelle, ni discussions publiques ni conseils privés, ni les faits si souvent et si lumineusement développés devant ses propres yeux, ni enfin l’histoire des finances des autres Etats lorsqu’ils ont été en contact avec les compagnies des banquiers qui ont été toujours aimés de l’esprit de lucres énormes, et en dehors de toute modération.

Je dis enfin, car deux documents officiels nous ont été communiqués dernièrement, qui ne me permettent plus de garder le silence. Le premier est le discours du trône, dans lequel le ministre accueille une déclaration de la banque, par laquelle « elle témoigne de son désir d’être utile au pays. « L’autre est le discours du ministère des finances qui précède le budget de 1834, et dans lequel il déclare qu’il persistera dans son erreur : c’est là du moins la conséquence d’une partie de ses opinions.

Je n’entrerai pas dans la question de savoir s’il y a collusion entre le gouvernement et la banque ; je veux bien écarter cet odieux soupçon ; mais alors il en résulte que l’administration actuelle n’est pas à la hauteur des connaissances financières qu’elle doit avoir pour être à la tête des affaires du pays. Malgré cette déclaration, je sens que je vais marcher sur un sol ardent ; mais je sens aussi que, comme député, je dois remplir mes devoirs. Si la chambre, par sa vigilance et sa fermeté, excite les ressentiments de ceux dont les intérêts pourraient s’en trouver froissés, elle devra s’en louer. Son anxiété dans l’exercice de ses fonctions financières l’honorera.

Pour bien faire comprendre la direction financière de nos affaires, telles qu’elles ont été menées, tantôt par la banque et tantôt avec la banque, il est nécessaire de tracer un aperçu historique des opérations financières du pays.

Je commencerai par le premier emprunt de 24 millions.

On vous a dit que cet emprunt avait été contracté au taux de 75 p. c. Ce taux réduit déjà à 3/4 la somme totale qui était la moitie de l’emprunt de 48 millions. Ensuite, par les conditions de l’emprunt, il a été accordé aux traitants une commission de 2 1/2 p.c., ce qui a réduit le capital à 72 1/2. De plus, il a été alloué pour chaque trimestre, à la maison contractante, une commission de 1 p. c., tant sur le montant des semestres, que sur celui des obligations partielles amorties par son entremise.

Le change a été fixé à 25-20 par livre sterling, alors que le change sur Londres avait été continuellement, depuis plusieurs années, à 25-60 et 25-80. Il en est résulté une perte de 60,000 francs par an, pour le trésor. Les paiements, que la maison Rothschild s’était obligée à faire, ont été divisés en 10 parties, et ils devaient s’effectuer chaque premier du mois, et commencer du premier janvier jusqu’au premier octobre ; mais l’intérêt courait du premier novembre précédent. Cette stipulation a encore entraîné une perte de 60,000 fr. La perte totale sur le capital de ce premier emprunt monte à 15,699,238 fr. 89 c.

Je ne ferai sur ce premier emprunt aucune observation critique, parce qu’il faut tenir compte des circonstances et du temps dans lequel il a été confronté. Seulement je prierai la chambre de remarquer que la clandestinité avec laquelle a été fait cet emprunt a été très nuisible au pays. C’est la raison pour laquelle j’ai voté contre l’emprunt, c’est-à-dire, parce qu’on ne voulait pas le proposer à la publicité et à la concurrence des capitalistes du pays. Ils ont été exclus du contrat ; s’ils y avaient été admis, l’emprunt aurait été contracté à un taux bien supérieur. Cette clandestinité, d’où résultent d’odieux privilèges pour les mains qui ont négocié l’emprunt, jouera un rôle bien plus odieux encore et bien plus contraire aux intérêts du pays dans le deuxième emprunt et aussi dans notre prétendue dette flottante.

Voici les conditions de ce deuxième emprunt. Les premiers sont les mêmes ; mais remarquez, messieurs, que l’anticipation des intérêts dans le premier emprunt n’avait été que de 12 mois, tandis que dans le deuxième elle est de 17 mois ; remarquez aussi que le versement du premier emprunt était divisé en dix parties tandis que pour le deuxième ils le sont en douze. Il en est résulté que ce deuxième emprunt a été contracté presque au même taux. Le gouvernement a dit qu’il avait été fait au taux de 79 p. c. ; mais l’un et l’autre l’ont été réellement à 70 p. c. et quelques fractions, de sorte que, la perte sur les deux emprunt a été au moins de 30 millions, ou que le gouvernement a 7 p.c. d’intérêt. C’est ainsi que le ministère parvient à tromper le pays, par des conditions clandestines insérées dans les contrats.

La banque de Bruxelles a été cotraitante avec la maison Rothschild. Le premier emprunt lui avait fait faire de gros bénéfices ; il fallait se réserver à elle seule et à la maison Rothschild tous ceux du deuxième ; ce dernier emprunt a été contracté clandestinement sans publicité, sans concurrence, sans même que les quelques Belges, qui avaient pris part dans le premier emprunt en fussent avertis.

J’appelle ici, messieurs, toute votre attention sur d’autres ruses financières que la banque emploie dans son intérêt exclusif, et qui surpassent en réprobation celles que j’ai eu l’honneur de vous signaler.

La banque de Bruxelles a pris une part de 5 millions dans le premier emprunt, et de 8 millions dans le deuxième. Il était dans l’intérêt du pays que la banque fit, avant la négociation du deuxième emprunt, les publications qu’elle a faites après.

Le cours du premier emprunt aurait haussé, et cet emprunt aurait servi de point de départ pour fixer le taux du deuxième plus avantageusement pour le pays.

Mais la banque était intéressée à maintenir bas le cours du premier emprunt, afin de pouvoir prendre le deuxième à un taux plus profitable pour elle.

Après la conclusion du deuxième emprunt qui a eu lieu le 11 septembre 1832, la banque de Bruxelles ne faisait encore ses publications. Elle savait que le gouvernement était disposé à lever encore d’autres millions. En effet, dès le 26 décembre, le ministre des finances déposa sur le bureau un projet pour une levée de bons du trésor, annonçant en même temps la nécessité d’autres emprunts et pour d’autres besoins.

Les discussions privées dans les sections et la section centrale, et la discussion publique à la chambre, n’enfantèrent pas moins de cinq projets, non compris celui du ministre des finances et le deuxième que la commission, nommée ad hoc, devait encore produire, projets que pour le bonheur du pays, la discussion publique a fait tous avorter, à l’exception du premier présenté par la commission. Les spécialités financières, comme on dit, de la chambre prirent une grande part à ces projets. M. Coghen en présenta un ; M. Meeus deux ; M. Osy peut être regardé comme auteur principal du projet de la section centrale, et ces trois spécialités ensemble, comme auteurs du projet que la commission proposa avec l’intention ouvertement déclarée à la chambre de nous présenter un autre projet de loi tendant à lever encore d’autres millions dont on avait fait valoir les besoins imaginaires.

M. Coghen proposa de lever 62 millions, avec une réduction éventuelle de 15 millions ; M. Meeus 72 millions, avec une réduction de 25 après la conclusion de l’emprunt. La commission alla encore au-delà et proposa de lever 80 millions. La commission nommée par suite de la discussion publique ne proposa de lever que 15 millions, mais elle annonça qu’elle nous proposerait un autre projet destiné à lever les millions que les autres projets avaient proposé d’emprunter.

Or, messieurs, le chiffre de 15 millions a seul été adopté par la chambre. Les faits ont prouvé que cette somme a suffi, que l’administration a marché ; et de plus M. le ministre des finances a déclaré dans son discours qu’il y avait en ce moment seulement pour 6 millions et demi de francs en circulation. Eh bien ! messieurs, si la chambre avait eu le malheur de céder aux propositions qu’on lui faisait de lever 60 à 80 millions, il en serait résulté que le pays aurait payé l’intérêt de son propre argent et que la banque seule, comme caissier de l’Etat, aurait profité de ces millions et aurait pu les employer à ses propres fins.

Remarquez aussi, messieurs, que jusque-là la banque avait suspendu ses publications qui devaient avoir nécessairement pour effet de faire monter les obligations Rothschild ; mais dès qu’elle eut perdu l’espoir de tomber encore sur ces millions visionnaires qui avaient été proposés, seulement alors elle fit ses publications qui firent hausser les fonds du pays.

C’est le 4 février qu’elle a annoncé qu’elle prendrait les obligations Rothschild à un taux plus élevé que celui coté à la bourse et dès le 8 février ces obligations étaient à 85. La société générale a prétendu qu’elle avait fait monter nos fonds dans l’intérêt du pays. Je vais démontrer que c’est une véritable déception .

Elle aurait effectivement produit cet effet si elle avait fait ses publications avant la conclusion du deuxième emprunt. Le cours du premier aurait servi alors de base à l’autre. Alors elle aurait évité une grande perte au trésor ; mais, comme je l’ai déjà dit, il était de son intérêt de ne pas faire ces publications avant le deuxième emprunt et avant qu’elle n’eût perdu l’espoir de réaliser de gros bénéfices sur les 80 millions qu’on proposait de lever soit en bons du trésor, soit en emprunts.

Je vais maintenant prouver qu’elle a fait monter les fonds exclusivement dans son propre intérêt. Elle a fait un triple bénéfice : d’abord, en maintenant le bas cours du premier emprunt, elle a pu prendre sa part sur le deuxième à un taux plus avantageux ; ensuite, en déclarant qu’elle recevrait les obligations Rothschild à un taux supérieur à celui de la bourse, et seulement en paiement de ses domaines, elle les vendait d’autant plus élevé.

Les acheteurs se sont dit : « Si mon papier monnaie vaut plus auprès de la banque, je puis acquérir ses terres à un prix d’autant plus élevé. » Enfin, la banque a fait un troisième bénéfice en faisant monter les fonds, car elle augmentait ainsi ses propres valeurs. Elle avait pris des obligations pour 5 millions dans le premier emprunt et pour 8 millions dans le deuxième ; elle doit, par suite de la hausse de ses propres fonds, avoir réalisé de 2 à 3 millions, sans qu’il soit résulté aucun bénéfice pour l’Etat, attendu qu’il n’avait plus d’emprunts à lever.

J’examinerai maintenant la malheureuse exécution de la loi du 16 février, exécution qui pèse encore tout entière sur le ministère et sur la banque. Vous verrez encore ici dans quel sens le gouvernement veille aux intérêts de l’Etat et à la fidèle exécution des lois, et comment aussi la banque favorise les intérêts du pays et témoigne de son désir de lui être utile.

La loi dont il s’agit créait une dette flottante ; l’émission de cette dette ne devait se faire qu’au fur et à mesure que l’Etat en aurait éprouvé le besoin. La discussion publique avait imprimé ce caractère à notre dette flottante, et sans ce caractère une dette flottante n’est pas même concevable. Remarquez, messieurs, que le ministre des finances lui-même nous dit dans son discours : « Je ferai remarquer que ce n’est pas un des moindres avantages d’une dette flottante, que l’on augmente ou que l’on diminue selon les besoins réels, que de n’en payer l’intérêt qu’autant qu’elle est strictement nécessaire. »

Eh bien ! messieurs, le ministre des finances lui-même, malgré la volonté expresse de la chambre, malgré ses propres déclarations, a converti la dette flottante en un emprunt remboursable, et cela, de son chef, de sa propre autorité. Il émet les 15 millions tout d’une fois. Il s’ensuit qu’une grande partie de cet emprunt reste sans emploi pour l’Etat pendant plusieurs mois de l’année ; que, pendant tout ce temps, l’Etat paie à la banque un intérêt de 7 à 8 p. c., et qu’en outre la banque use des fonds pour son propre compte.

La banque a toujours empêché l’établissement d’une véritable dette flottante. C’était dans ses intérêts. La raison en est qu’elle émet des billets sans intérêt, et que, du moment où le pays possèdera des effets d’une véritable dette flottante, ces effets devront nécessairement remplacer dans la circulation les billets de la banque, attendu que les émissions de la dette flottante porteront l’intérêt et que celles de la banque n’en portent pas. Ainsi donc, la banque jouit du privilège de remplacer le numéraire du pays par du papier sans intérêt. Par la création d’une dette flottante, l’Etat pourra faire lui-même, ou concurremment avec la banque, tout ce bénéfice.

Le ministre, a fait des effets de la dette flottante des billets à ordre, tandis que la loi du 16 février, qui établissait la dette flottante, n’en parle pas. Il est vrai que l’honorable M. Meeus en avait fait la proposition, mais sa proposition n’a pas même été discutée, et le ministre des finances a fait prendre au Roi un arrêté, dans lequel il est dit que les effets de la dette flottante entreront aussi dans la circulation comme des mandats à ordre. Cette mesure est encore dans l’intérêt de la banque, non seulement afin d’empêcher la circulation des effets d’une dette flottante, mais encore afin de faciliter ses propres opérations de banque, ses escomptes et ses remises.

La loi du 16 février établit un maximum de commission de 2 p. c. Ce taux n’était donc pas obligatoire ; la loi elle-même dit que ce n’était qu’un maximum. On n’était donc pas obligé d’accorder cette commission de 2 p. c., attendu qu’eu égard à la cote de nos fonds, une commission d’un p. c. ajouté à un intérêt de 6 p. c. était déjà une monstruosité. Nos fonds étaient le 1er mars à 85 p. c. et le 8 à 87 p. c. Or, c’est le 12 mars seulement que les souscriptions aux bons du trésor ont été proposées. Il s’en suit que le ministre, en accordant 8 p. c. à une maison étrangère, a négocié nos bons du trésor, comme si le crédit du pays ne valait alors que 60 p. c., ou, en d’autres termes, qu’il a fait perdre au pays 20 p. c. sur 6 millions de bons du trésor concédés à la maison Rothschild et probablement à son correspondant la banque de Bruxelles.

Dans tous les Etats, lorsqu’on veut contracter un emprunt, le crédit public sert de point de départ pour fixer le taux des nouveaux emprunts. Chez nous on n’en tient aucun compte. Notre crédit public était à 87 p. c., et le ministre des finances le fixait, lui, en partie à 60 p. c., et nous faisait subir une perte énorme sur le capital de notre dette flottante.

La banque de Bruxelles, non contente de ses énormes bénéfices, clandestinement recueillis, concurremment avec la maison Rothschild, convient encore avec le ministre des finances de la négociation des autres neuf millions restants. Le ministre offre aux capitalistes du pays à 7 p. c. les inscriptions qu’il venait de concéder à 8 p. c. à des étrangers et à la banque. Celle-ci, trouvant que 7 p. c. offrait encore un assez joli bénéfice, crut donner une nouvelle preuve de sa sollicitude pour les intérêts du pays, en entrant dans cette négociation de la manière suivante :

Elle eut soin de se faire réserver par le ministre les moyens faciles de s’emparer d’une partie des autres 9 millions, pour lesquels la souscription était ouverte. Il ne fut accordé aux capitalistes du pays que quatre jours pour délibérer, pour déplacer leurs capitaux, et pour venir prendre inscription à Bruxelles, seule place où il était permis de souscrire aux bons du trésor. Au surplus, les souscripteurs devaient opérer dans les ténèbres. Il avait été statué que les excédants des souscriptions pour chaque échéance seraient réduits au marc le franc, et qu’en conséquence ils ne seraient pas réversibles sur les échéances qui n’auraient point été corrigées.

Il en est résulté que la banque de Bruxelles a rempli, à elle seule, les déficits de quelques échéances, non compris les souscriptions que d’ailleurs elle avait pu prendre pour son propre compte, et qu’elle a réalisé à elle seule de gros bénéfices, grâce à cette nouvelle clandestinité, à l’absence de toute publicité, de la libre concurrence, pour tous les capitalistes du pays. Le ministère accordait ainsi d’odieux privilèges à des compagnies de banquiers, contrairement aux intérêts du pays, contrairement à l’esprit de la constitution, qui proclame l’égalité de tous devant la loi, et qui proscrit toute espèce de privilèges.

Toutes ces manœuvres ont eu pour effet de détruire entièrement le caractère de la dette flottante créée par la loi du 16 février. En émettant tout à la fois les 15 millions, alors que le pays n’en éprouvait pas le besoin, le ministère a fait payer, pendant quelques mois, des intérêts énormes pour des capitaux dont la marche de l’administration n’éprouvait pas le besoin. Le ministère a grevé le pays d’une masse d’intérêts anticipés ; il a fourni à la banque les moyens d’acheter les bons du trésor avec l’argent de l’Etat, de sorte que l’Etat a payé de gros intérêts pour des capitaux qui lui appartenaient ; il a laissé prélever par l’étranger, en concurrence probable avec la banque, 6 millions à 8 p. c. que les capitalistes du pays ont pris à 7 p. c. et qu’ils auraient pris à un intérêt inférieur.

J’ai signalé les ruses financières que la banque a employées dans son seul intérêt, lors de l’emprunt des 48 millions et dans l’exécution de la loi qui créait une dette flottante ; c’est le même esprit qui l’a dirigée dans la proposition de convention dont il a été parlé dans le discours du trône.

Remarquez, messieurs, et les circonstances et le temps dans lesquels cette proposition a été faite : c’était lorsque le gouvernement n’avait pas besoin d’argent, lorsqu’il venait d’émettre pour 5 millions de bons du trésor et à la fin de l’année, lorsque les contributions entrent en masse. La banque savait bien que le gouvernement n’avait, pour le moment, pas besoin de ces 12 millions.

En proposant donc de verser ces millions dans un moment où le trésor n’en éprouvait aucun besoin, la banque était sûre de pouvoir employer encore pendant quelques mois ces mêmes millions, attendu que, comme caissier de l’Etat, elle en aurait opéré le versement à elle-même, soit en argent, soit en bons du trésor, comme elle le proposait. Il en serait encore résulté que si ce dernier mode avait été adopté, l’Etat aurait encore payé des intérêts pour son propre argent. Voilà, messieurs, de quelle manière la banque témoigne de son désir d’être utile au pays ; voila comment le ministère a été fondé à accueillir cette déclaration de la banque, même dans le discours du trône. Si la société générale avait fait sa proposition avant la dernière émission de 5 millions de bons du trésor, elle aurait pu prétendre d’avoir été en partie, c’est-à-dire pour ces 5 millions seulement, utile au pays, si toutefois utilité il y a à payer son créancier trois ans après l’échéance de la créance.

Après ces observations, je vais vous rapporter quelques passages du discours du ministre des finances sur l’administration financière du pays, discours qui précède les budgets de 1834. Le ministre dit dans ce discours : « Il n’existe en ce moment que pour 6 millions et demi de francs en circulation. On ne doit point, toutefois, inférer de ce qui précède que l’excédant que je prévois soit de 8 millions et demi et qu’une somme égale de bons du trésor en demeurera éteinte ; mais on peut en induire que la situation de la caisse a permis de faire le service avec une circulation de ce papier inférieure aux 15 millions votés, et que, conséquemment, il n’a point été payé d’intérêt pour du numéraire inactif. »

Puisque le ministre avoue maintenant qu’il n’existe que pour six millions et demi de francs en circulation, je lui demanderai dans quel but il était venu nous proposer une levée de 30 millions pour les besoins de l’administration, et en nous faisant entrevoir encore la nécessité d’une autre levée de millions, qu’après le vote des 15 millions il déclara abandonner aux soins de la commission ?

Fort heureusement, messieurs, la discussion de la chambre a fait avorter la levée de ces millions ; car aujourd’hui le ministre nous déclare qu’il n’y a que pour six millions et demi en circulation, et que conséquemment l’administration a marché sans les autres 60 à 70 millions qu’on proposait encore d’emprunter. Cela vous prouve, messieurs, combien la chambre doit se tenir sur ses gardes, quand on vient lui proposer une levée de millions.

Si la chambre avait consenti à une levée de 80 millions, vous auriez au-delà de 70 millions déposés aujourd’hui inutilement dans les caisses de l’Etat, et la banque, en les prêtant à l’Etat concurremment avec Rothschild, vous en aurait encore fait payer les intérêts.

Le ministre affirme en outre « qu’il n’a point été payé d’intérêt pour du numéraire inactif, » tandis qu’il est de fait qu’en émettant 15 millions à la fois, plusieurs millions ont dormi improductifs, pendant plusieurs mois, dans les caisses de l’Etat.

« Cet avantage, dit encore le ministre, que présente une dette flottante, ne pourrait être trop signalé, et je me félicite de plus en plus d’en avoir proposé la création, pour pourvoir à l’insuffisance des ressources de 1833, de préférence à un emprunt définitif dont les fonds seraient aujourd’hui improductifs dans nos caisses, tandis que nous en paierions les intérêts après avoir fait des sacrifices sur le capital. »

Le ministre raisonne ici après coup contre ses propres propositions qu’il avait faites à la chambre.

Ici, j’aurais donc à reproduire les observations que je vous ai présentées tout à l’heure ; car il est bien certain que si les emprunts dont il s’agit avaient été levés, nous aurions dû faire d’énormes sacrifices sur le capital, et payer encore des intérêts pour des capitaux inutiles. Encore n’est-il pas exact de dire qu’il n’a pas laissé des fonds improductifs ; car, comme j’ai eu l’honneur de vous le faire observer, messieurs, par suite de l’émission de 15 millions à la fois, plusieurs millions de la dette flottante sont réellement restés sans emploi dans la caisse de l’Etat, pendant que nous en avons payé les intérêts. L’Etat ne pouvait pas en éprouver le besoin, car les 15 millions ont été empruntés alors que chaque 1er du mois, les versements du deuxième emprunt se faisaient à la caisse de l’Etat jusqu’au 1er septembre 1833.

« Les intérêts et frais de la dette flottante ne sont calculés, dit encore le ministre, pour une circulation moyenne de 12 millions qu’à raison de 6 p. c., quoique la loi du 16 février dernier en concède 8 p. c. ; mais le crédit du papier belge est aujourd’hui établi de manière à ne laisser aucun doute que ce taux sera plus que suffisant pour les émissions qui pourront être faites, et je m’empresse d’ajouter que la situation des caisses et la facilité des recouvrements donne la presque certitude que le chiffre demandé ne sera pas absorbé. »

Le ministre revient donc ici aux vrais principes en matière de haute finance. Il condamne don, les 8 p. c. d’intérêt que lui seul a concédés, lorsque le papier belge était à 87 p. c. La loi du 16 février lui en accordait seulement la faculté. Maintenant, tout en adoptant le principe, il en dévie encore dans ses applications ; car il fixe l’intérêt de son nouvel emprunt de 12 millions, comme si le papier belge n’était qu’à 88 p. c., tandis qu’il est à 96 p. c.

Je suis persuadé que, par les mesures que j’aurai l’honneur de vous présenter tout à l’heure, il nous sera possible d’émettre les effets d’une vraie dette flottante, à 3 et même à 2 1/2 p. c., si toutefois vous ne préférez pas d’adopter le système prussien, qui consiste à émettre des bons royaux sans intérêt, et, pour en assurer la circulation, avec l’obligation légale, imposée aux contribuables, de payer les contributions moitié en bons royaux.

« La loi, ajoute le ministre, qui crée la dette flottante, ayant borné son action au 31 décembre de cette année, j’ai inséré dans le budget des recettes un article qui autorise le renouvellement et le maintien en circulation des 15 millions des bons du trésor. Cette disposition purement d’ordre est la conséquence de l’institution de cette dette, et se reproduira chaque année jusqu’à son amortissement. »

Je demanderai à M. le ministre par quelle loi ou par quelle autorité l’institution d’une dette flottante a été créée chez nous ? La loi du 16 février n’autorise que pour un an la circulation des effets d’une dette flottante. Cette loi n’a rien créé d’une manière permanente. L’année écoulée, la dette flottante expire. D’ailleurs n’ai-je pas déjà prouvé que le ministre avait effacé un à un tous les caractères d’une dette flottante ? Le ministre des finances raisonne sur une véritable chimère, car une dette n’a pu être instituée par continuation. La loi du 16 février n’en dit mot.

Après être entré dans ces observations critiques sur les erreurs financières de l’administration actuelle, je ferais preuve de peu de justice, si je ne proposais pas les moyens de les corriger.

Le premier moyen que j’ai l’honneur de proposer, c’est la publicité, c’est la concurrence, dans toutes les branches de l’administration des finances. Cette publicité, cette concurrence vous délivreront à jamais de ces odieux privilèges au moyen desquels on a trouvé jusqu’ici à faire ses propres affaires bien plus avantageusement que celles du pays.

Le deuxième moyen, c’est de mettre en dehors du contact du gouvernement toutes ces sociétés de banquiers, ces compagnies financières qui exploitent le pays, sans modération comme sans pudeur, et qui sont toujours parvenues à appauvrir les Etats, comme le prouve l’histoire générale des finances de l’Europe. Il faut renoncer pour toujours à ces marchés clandestins, dont les conditions sont toujours marquées au coin de la vénalité d’un côté, et de la cupidité de l’autre. Ils échappent souvent aux plus scrupuleuses investigations des chambres.

La publicité et la concurrence doivent être l’âme de la société moderne, Elles remplaceront avec avantage, dans la civilisation moderne, toutes ces déclarations et ces protestations de vouloir être utile au pays, ainsi que ces anciennes promesses et serments, si souvent et si honteusement violés. La publicité et la concurrence doivent rendre à jamais impossibles les anciens abus qui ont ruiné les Etats.

Elles rendront impossible le retour des fermes générales, des sociétés de finances, des compagnies privilégiées de banquiers qui exploitaient scandaleusement à leur seul profit les besoins, l’ignorance et la vénalité.

Le troisième moyen, c’est le système des impôts, toujours préférable à celui des emprunts. Ce que j’avance a été prouvé par des hommes consommés dans la science financière de tous les pays, par les rédacteurs de la Revue d’Edimbourg, par Ricardo dans l’Encyclopédie britannique, qui avait fait lui-même, comme traitant, de gros bénéfices, mais qui a été assez probe et assez ami de son pays pour lui faire voir le précipice sur les bords duquel il marchait.

Le quatrième remède, c’est d’émettre une véritable dette flottante, si le pays en éprouve encore momentanément le besoin. Par son émission vous accroîtrez la masse du numéraire ; vous faciliterez les échanges ; vous allégerez les charges du pays ; vous activerez la circulation de l’argent ; vous ferez baisser le taux de l’intérêt ; vous donnerez plus de vie à toutes les transactions publiques.

Tous ces avantages, messieurs, remarquez-le bien, sont les mêmes que la banque a mis en avant pour faire valoir auprès de ses intéressés l’émission de ses billets. Si vous ne prévenez la banque, vous la verrez bientôt, d’après les conclusions insérées dans son dernier rapport, émettre avant vous des billets de 20, de 30, de 50 fr., tandis que si le pays les émettait comme effets d’une dette flottante, l’Etat en recueillerait les mêmes bénéfices. La France et l’Angleterre en délivrent chaque jour à 2 1/2 p. c., et la Prusse les fait circuler même sans intérêt.

Le cinquième remède consiste à créer un conseil des finances. Il est démontré qu’un seul homme ne peut supporter tout le poids d’un semblable département, le plus important d’ailleurs pour le pays. Ce conseil pourrait être composé de trois membres, qui se partageraient entre eux les branches les plus importantes de l’administration de nos finances. La condition constitutionnelle de responsabilité se trouverait remplie, si un seul d’entre eux l’assumait sur lui.

Aussi est-il prouvé que les chefs des différentes branches de ce département exercent trop d’autorité et trop d’influence. Nous les avons vus dernièrement décider, contre l’avis des chambres et contre les promesses du ministre, dans la question de la caisse de retraite.

Telles sont, messieurs, les observations que je désirais vous soumettre sur la marche générale de l’administration des finances, et tels les remèdes que j’avais à vous signaler contre des erreurs et des abus si ouvertement pernicieux au pays.

M. de Robaulx (pour une motion d’ordre). - Je demande la parole pour faire une motion d’ordre. Je n’ai pas l’intention de détourner l’attention que la chambre a donnée à plusieurs discours qu’elle a entendus sur les lois de finances et à ceux qu’on se propose de lui faire entendre encore ; mais je voudrais qu’avant de continuer cette discussion générale, nous puissions profiter des lumières que le ministre des finances a pu recueillir relativement à l’assiette de nos impôts. Voici de quoi il s’agit :

Quand on discute les voies et moyens, il doit être dans l’intention de la chambre d’améliorer cette loi. Depuis trois ans, nous demandons une refonte des lois de finances ; nous ne voulons plus de la continuelle répétition des lois des voies et moyens de Guillaume ; nous voulons une autre répartition des impôts. Jusqu’ici le ministre des finances nous a dit : Votez encore une fois les lois telles qu’elles sont proposées ; la nécessité vous y oblige ; mais au prochain exercice vous aurez une nouvelle loi sur le système des impôts.

Eh bien, messieurs, j’ai cru pendant quelque temps, malgré le peu de confiance que je mets habituellement dans les paroles ministérielles, que le ministre ne tromperait pas toujours la chambre ; mais je vois que nous ne marchons que de leurre en leurre, que le ministère ne vit que d’abus, et ne peut vivre que par eux ; que sans abus la machine ministérielle se détraquerait.

Le ministre nous a dit qu’il prendrait des renseignements près des administrations provinciales pour aviser aux meilleurs moyens de baser les impôts ; il a pris ces renseignements ; et si je suis bien informé, une nouvelle loi sur un autre système financier a été formulée au ministère des finances. Je demanderai pourquoi il n’a pas présenté cette nouvelle loi.

S’il veut persister dans son ancien système, je demanderai que les renseignements qu’il a recueillis dans les provinces soient déposés sur le bureau de la chambre, afin que chacun de nous puisse y puiser les documents nécessaires pour soumettre des propositions de loi et améliorer la répartition des impôts. Je demande que le dépôt soit fait avant d’entendre de nouveaux discours plus ou moins longs, que je comprends plus ou moins, car j’avoue que j’entends fort peu de chose aux spéculations mondaines dont l’orateur vous a entretenus. (On rit.)

Je n’examinerai pas si la banque a spéculé, si elle a fait des profits. Depuis la révolution bien des gens ont fait des profits : la banque, les agents de l’administration, les orateurs, les journalistes se sont bien pourvus. Si la banque a gagné, tant mieux pour elle, elle a fait comme beaucoup d’autres. Je connais beaucoup de personnes qui ont des bons dans leurs portefeuilles et qui cependant s’élèvent contre ces bons.

Messieurs, si nous continuons dans le système actuel de lever les impôts, ce ne sera ni la banque ni le gouvernement que nous pourrons en accuser ; ce sera nous-mêmes qui serons coupables en restant dans la même incurie.

Un second point sur lequel je veux appeler votre attention, c’est que nous devons savoir, avant de voter des fonds, si le ministère a traité des affaires du pays à des conditions qui puissent mériter notre approbation pour ce qui est effectué, et notre confiance pour l’avenir.

C’est toujours avec un profond dégoût que je parle de diplomatie ; mais j’ai vu dans le Moniteur une convention récemment conclue. Si je l’ai bien lue, elle ne stipule pas des droits synallagmatiques entre les contractants ; c’est une convention léonine, toute à l’avantage des Hollandais qui prennent passage sur notre territoire ; convention qui organise la domination hollandaise, et d’après laquelle nos frères belges seront obligés de recevoir, d’héberger nos ennemis ; je veux savoir jusqu’à quel point la dignité nationale a été respectée dans cette convention.

On ne dira pas ici qu’il ne s’agit pas d’un fait consommé ; ainsi toutes les pièces relatives à ce fait peuvent être déposées sur le bureau ; c’est ce que je demande formellement.

Quant au budget des voies et moyens, si on nous présentait le nouveau système de répartition d’impôt, nous aurions le temps nécessaire pour l’examiner et modifier nos lois financières. Employer les formes du gouvernement représentatif pour maintenir les anciens abus est un malheur dont je ne veux pas la prolongation.

M. de Foere. - (Erratum au Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1833 : ) Je ne dirai pas à l’honorable préopinant que j’ai, ou non, pris des Rothschild ou des bons du trésor ; mais si j’en ai pris, la conséquence directe du discours que viens de prononcer est que j’aurais parlé contre mes propres intérêts.

(Moniteur belge n°339, du 5 décembre 1833) M. de Robaulx. - J’ai parlé en général ; je ne m’occupe pas des individus. C’est M. de Foere lui-même qui s’applique ce que j’ai dit pour en constituer un fait personnel.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - L’honorable préopinant a réclamé le dépôt de toutes les pièces que j’ai fait recueillir dans les administrations financières des provinces ; je crois pouvoir me dispenser d’acquiescer à cette demande, puisque avant peu je pourrai déposer les lois financières nouvelles elles-mêmes.

Ces lois auront pour appui les renseignements que nous avons pu nous procurer.

Parmi ces lois qui seront présentées incessamment à la chambre se trouve une loi sur la contribution personnelle, une loi sur l’enregistrement, enfin une loi générale de douane.

La chambre sait avec quelle persévérance on s’occupe, tant au département de l’intérieur qu’au département des finances, à rassembler les documents et à recueillir les éléments dont on a besoin pour appliquer des modifications aux tarifs en vigueur. Relativement aux tarifs, vous savez qu’il est de toute importance, qu’il est de toute nécessité de différer encore ce travail, puisque sous peu s’établiront des relations entre deux pays dont les intérêts se confondent pour ainsi dire en matière du commerce, et par conséquent en matière de douane.

La prudence exige que l’on ajourne quelque temps toute détermination en ce qui concerne les tarifs.

Lorsque ces lois vous seront soumises, j’espère, messieurs que durant leur discussion on aura le temps nécessaire pour mettre en vos mains les renseignements qu’on a également recueillis sur les patentes, et qui seront l’objet d’une loi de réforme ; ainsi il sera fait, pour ce chef, droit aux nombreuses réclamations auxquelles les patentes ont donné lieu.

Voilà, je crois, ce qui devra satisfaire le préopinant, puisqu’il a maintenant la certitude que les documents et les lois qu’il demande seront soumis à la chambre.

M. de Robaulx. - Cela ne peut me satisfaire, ni satisfaire la chambre. Je sais trop combien on nous a bercés d’espérances fallacieuses depuis notre révolution pour croire à celles qu’on nous donne maintenant ; je juge de l’avenir par le passé, je n’ai pas plus de confiance aux paroles ministérielles actuelles que je n’en ai accordé aux paroles ministérielles précédentes. Pourquoi ne voulez-vous pas communiquer les documents qu’on demande ? C’est, dites-vous, parce que vous avez un projet de loi tout préparé ; soit, mais ce projet a été formulé sous votre influence ; donnez-nous les renseignements qui vous ont été envoyés, et nous verrons ce qu’il y a à faire, et nous pourrons apprécier mieux votre travail.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - En vous présentant la loi on vous communiquera les documents.

M. de Robaulx. - Vous ne présenterez pas de projet de loi sur une nouvelle manière d’asseoir l’impôt ; d’ailleurs, quand vous présenteriez ce projet, il ne pourrait concerner que l’exercice 1835.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Sans doute !

M. de Robaulx. - Eh bien, moi, je demande des améliorations pour 1834. Vous, que voulez-vous ? jouir des abus, parce que vous n’existez que par eux, et parce que vous n’êtes pas capable de les redresser.

M. Dumortier. - Je demande la parole.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je résume ma réponse à l’honorable préopinant, en déclarant de nouveau que je suis en mesure de soumettre à la chambre l’examen des lois dont je viens de faire l’énumération, et que lorsque ces lois seront présentées, les documents nécessaires seront en même temps communiqués aux sections, ainsi que cela a lieu ordinairement.

Je ne puis pas faire d’autres promesses, et si dans quelque temps je ne les tiens pas, alors l’honorable préopinant pourra revenir sur les doutes qu’il conçoit ; doutes déplacés, car je montrerai combien ils sont dépourvus de fondement.

M. A. Rodenbach. - Le ministre ne présentera-t-il pas aussi une loi sur les patentes ?

M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Oui, M. le ministre des finances vient de le dire.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - J’ai déclaré que nous allions mettre la dernière main à la loi sur les patentes.

M. Gendebien. - Je commencerai par dire comme M. de Robaulx, que j’éprouve un profond dégoût à revenir sur des choses tant de fois demandées et promises. Depuis 1831 on nous a promis un nouveau système d’impôts. Tous les ministres qui se sont succédé depuis le congrès ont tous reconnu que le système actuel des impôts était odieux. Au mois de décembre 1831, j’ai proposé de ne voter les impôts que pour 6 mois, afin de mettre les ministres en demeure d’exécuter leurs promesses, bien convaincu cependant qu’ils ne les rempliraient pas.

Les ministres disaient : Tout est prêt et dans six mois la perception des impôts aura lieu selon un nouveau système. Qu’on relise les discussions qui eurent lieu en 1831, et l’on verra qu’elles sont la critique la plus virulente de la conduite des chefs de l’administration. Les promesses faites n’ont pas été tenues. Elles ont été renouvelées en 1832 et l’on voudrait qu’aujourd’hui nous acceptassions des promesses de même genre et de même valeur. Les projets sont prêts : eh bien, pourquoi ne les présente-t-on pas ? Si on les eût présentés, nous aurions pu aller jusqu’à adopter le budget actuel dans l’espoir d’une amélioration ; mais on se gardera bien de présenter le projet nouveau, parce que la partie qui concerne l’impôt sur la propriété est encore plus mauvaise que celle qui a provoqué notre révolution.

Vous parlez des lois sur l’enregistrement. Malheureux ! n’y touchez pas ! Vous voulez changer les droits d’enregistrement ; n’y mettez pas la main, vous gâteriez cette partie de notre législation comme vous gâtez d’ailleurs tout ce que vous touchez. Commencez par rétablir un impôt juste que vous avez supprimé et qui n’atteint que les gros propriétaires, auxquels le pouvoir fait sa cour en méprisant le peuple par la volonté duquel il existe cependant et sans la volonté duquel il ne peut continuer d’exister.

Je déclare que je suis prêt à consentir les impôts pour trois mois, mais pas pour un jour de plus. D’ici à trois mois, si vous présentez des lois que nous puissions accepter, je consentirai les impôts sur l’ancien système pour trois mois encore. Mais, messieurs, n’attendez rien du ministre des finances placé, comme certain animal, entre deux picotins, il est condamné à mourir de faim.

Dans son travail sur les matières imposables, il en a trouvé qui, selon lui, sont aristocratiques et d’autres démocratiques, division nouvelle qu’il s’est mise en tête et qui l’effraie.

Pourquoi s’effrayer ? Il faut prendre l’argent là où il est ; mais ce n’est pas ce que vous faites. Vous prenez l’argent au peuple : vous prélevez des impôts sur le sel, substance qui sert à donner de la saveur aux aliments grossiers des malheureux ; vous faites payer l’impôt personnel.

A propos des impôts, je me rappelle les paroles prononcées par M. Trentesaux au congrès : « Par votre loi vous encouragez le célibat ; elle est la plus immorale que l’on puisse proposer au législateur : c’est une loi favorable à l’oisiveté et au luxe. »

Vouloir modifier l’enregistrement ! Mais ce simple énoncé prouve votre défaut de capacité ; car cette loi est la dernière à laquelle vous deviez toucher. Rendez-vous justice : si vous êtes trop enfoncés dans l’ornière, retirez-vous ; faites place aux hommes plus capables ; laissez-les opérer.

En deux mots, je déclare que je n’ai nulle confiance dans les promesses ministérielles, pas plus pour ce ministère-ci que pour tout autre ; appuyant la motion de M. de Robaulx, je n’attends aucun succès de sa demande.

Je voterai contre le budget des recettes à moins qu’on ne borne les recettes à trois mois.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - En parlant de la loi de l’enregistrement, j’ai dit que le projet qu’on proposerait tendrait à y apporter quelques changements, mais il ne s’agit pas de la faire disparaître. J’en connais tout le mérite, et si l’on y touche, ce ne sera que pour faire droit à quelques réclamations élevées dans le sein de la chambre elle-même.

Ainsi, je crois pouvoir calmer les inquiétudes du préopinant à cet égard. Je lui ferai en outre observer qu’en France, d’où est sorti ce chef-d’œuvre, trois lois successives y ont introduit des changements ou des améliorations. Tel est aussi le but qu’on se propose ici. Ce n’est pas la destruction de cette loi, et son remplacement par une autre, que l’on demandera, mais des modifications à celles qu’on a reconnues depuis l’époque où elle a été créé jusqu’à l’époque actuelle.

Quant à la loi sur le personnel, que dès à présent, sans l’avoir vue ni examinée, on semble déjà signaler comme inférieure à celle maintenant en vigueur, je ne puis réclamer que du temps ; quand elle sera déposée, on verra si cette prédiction est réelle, et dans tous les cas, je compte sur les lumières de l’assemblée pour l’améliorer.

M. Dumortier. - Messieurs, vous avez entendu M. le ministre des finances déclarer qu’il était disposé à présenter incessamment une loi sur l’impôt foncier, loi réclamée par l’honorable député de Soignies. Je désirerais savoir s’il est également disposé à remplir les obligations qui lui sont prescrites relativement à la cour des comptes, à la commission des monnaies et au fonds des cautionnements.

Dans la loi concernant la cour des comptes, il a été dit que la révision devait en avoir lieu dans le cours de l’année 1832 ; quant à la commission des monnaies, vous vous rappellerez qu’elle a été organisée d’une manière très peu constitutionnelle, et qu’afin de la rendre légale, vous avez inséré dans la loi sur les monnaies une disposition qui prescrivait au ministre des finances de présenter un nouveau projet dans le cours de 1833. Voilà donc des obligations qui lui incombent, et je désire qu’il nous dise s’il a l’intention de les remplir.

J’ajouterai que je compte peu sur la présentation de ces lois, et je suis confirmé dans cette idée par ce qui s’est passé relativement au fonds des cautionnements. Lors de la discussion du budget de 1832, l’honorable M. d'Elhoungne proposa un amendement, tendant à faire présenter les comptes des cautionnements avec le budget de 1833. D’après cela, on aurait pu croire que le ministre se serait empressé de présenter des comptes, et cependant cela n’a pas eu lieu, non seulement pour le budget de 1833, mais même pour le budget de 1834.

Je demande que M. le ministre des finances explique catégoriquement ses intentions sur les trois objets dont je viens de parler.

M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je déclare que le ministre des finances est également prêt à soumettre à la chambre la loi qu’il est obligé de présenter relativement à l’administration des monnaies. Il a recueilli tous les renseignements qui lui étaient nécessaires. Ces renseignements lui sont parvenus depuis très peu de temps ; cependant le projet sera présenté avant la fin du mois.

Quant aux comptes des cautionnements on s’en occupe à la trésorerie, et c’est encore un objet qui sera incessamment soumis à la chambre.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la première partie de la motion de M. de Robaulx qui tend à ce que M. le ministre des finances dépose sur le bureau les renseignements qu’il a recueillis sur le système financier.

M. Gendebien. - M. le ministre des finances, en répondant à M. de Robaulx, a dit que la loi tendant à modifier ce système était prête. Je ne vois aucun inconvénient à ce que cette loi soit jointe aux renseignements demandés. Il ne s’agit point là d’une présentation ; mais je désire qu’on la mette sous nos yeux pour que chacun soit à même d’y puiser les éclaircissements dont il a besoin. (Bruit.)

M. de Robaulx. - Je crois que l’on se trompe. M. Gendebien n’a pas l’intention de forcer le ministre à présenter immédiatement son projet de loi ; seulement il le prie de nous le communiquer à titre de renseignement. Si M. le ministre des finances à réellement l’intention de nous fournir tous les renseignements dont nous avons besoin, il pourra le mettre sous nos yeux.

M. Gendebien. - L’honorable préopinant m’a parfaitement compris. J’ai dit qu’il n’y avait aucun inconvénient à ce que le ministre des finances joignît aux renseignements qu’on lui demandait le projet de loi, mais à titre de renseignement lui-même.

- La première partie de la motion d’ordre de M. de Robaulx est mise aux voix.

Une double épreuve étant douteuse, on procède à l’appel nominal. En voici le résultat : sur 71 membres présent, 31 votent pour et 40 contre. En conséquence elle est rejetée.

Ont voté pour :

MM. Angillis, Bekaert, Brabant, Dams, de Brouckere, de Longrée, de Meer de Moorsel, de Puydt, de Robaulx, de Renesse, de Roo, Desmet, de Stembier, d’Hoffschmidt, d’Huart, Doignon, Dubus, Dumortier, Eloy de Burdinne, Fallon, Frison, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Pirson, Pollénus, A. Rodenbach, Seron, Trentesaux et Vergauwen.

Ont voté contre :

MM. Coghen, Coppieters, de Behr, de Foere, A. Dellafaille, H. Dellafaille, F. de Mérode, W. de Mérode, de Muelenaere, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Dewitte, d’Hane, Dubois, Duvivier, Ernst, Fleussu, Goblet, Lardinois, Lebeau, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Quirini, Raikem, Rogier, Schaetzen, Smits, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Verdussen, Ch. Vilain XIIII, Vuylsteke, Wallaert et Zoude.

M. le président. - La deuxième partie de la motion de M. Robaulx tend à ce que le projet de la convention de Zonhoven soit déposé sur le bureau.

M. le ministre de la guerre (M. Evain) - La convention de Zonhoven est le résultat de stipulations verbales entre les commissaires hollandais et belges. Il n’y a que les ordres adressés par moi au général baron Hurel qui pourraient être déposés sur le bureau, parce que tout le reste a été fait verbalement.

M. Dumortier. - Je ne puis admettre le système de M. le ministre de la guerre ; car du moment où une convention est faite, c’est toujours avec l’assentiment du ministère, qui est responsable. Or, la convention que nous avons vue insérée dans le journal officiel, ne peut être étrangère aux ministres ; ils ne peuvent en décliner la responsabilité, alors qu’elle attente à l’honneur du pays, à la dignité nationale.

Je vous signalerai, messieurs, quatre violations flagrantes de la constitution ; je vous montrerai la dignité nationale indignement outragée. Je demanderai formellement à M. le ministre des affaires étrangères quels ordres il a donné à son envoyé, je lui demanderai de déposer les pièces qui ont donné lieu à ces négociations, car il faut que la nation sache quels sont ceux qui ont compromis sa dignité, son honneur : il faut qu’elle connaisse les coupables.

M. de Brouckere. - Je ne sais jusqu’à quel point il est régulier d’engager une discussion sur une convention dont les pièces ne nous ont pas été communiquées.

J’ai lu, il est vrai, dans le Moniteur, et comme un acte du ministère de la guerre, une prétendue convention passée entre des officiers belges et des officiers hollandais. Mais je n’en ai aucune connaissance officielle comme représentant. La chambre doit exiger qu’une connaissance directe lui soit donnée. J’ajouterai donc à la motion qui vous a été faite, une demande de communication du traité. La discussion s’ouvrira lorsque le ministre nous aura fait connaître comment il en est venu à conclure ce traité, quelles circonstances l’y ont amené. Voilà son devoir, et je ne doute pas qu’il consente à le remplir.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet) - Il m’est revenu hier et de plusieurs côtés que des interpellations seraient adressées au ministre des affaires étrangères sur la convention conclue à Zonhoven. Toujours empressé à fournir les explications qui peuvent éclairer sur ma conduite, j’ai réuni quelques observations que je vais avoir l’honneur de vous faire connaître : elles vous prouveront, je l’espère, que dans cette circonstance, comme dans toutes les autres, nous avons consulté les véritables intérêts de l’Etat.

Les conférences qui ont eu lieu, à diverses reprises, dans le village de Zonhoven, entre les commissaires délégués par les généraux commandant les divisions d’armée en présence, ont eu pour objet de régler l’exécution de l’article 4 de la convention du 21 mai dernier. Cet article est ainsi conçu :

« Immédiatement après l’échange des ratifications de la présente convention, la navigation de la Meuse sera ouverte au commerce, et jusqu’à ce qu’un règlement définitif soit arrêté à ce sujet, elle sera assujettie aux dispositions de la convention signée à Mayence le 31 mars 1831, pour la navigation du Rhin, en autant que ces dispositions pourront s’appliquer à ladite rivière.

« Les communications entre la forteresse de Maestricht et la frontière du Brabant septentrional, et entre ladite forteresse et l’Allemagne, seront libres et sans entraves. »

L’article dont on vient de rapporter les termes se compose, comme on voit, de deux parties connexes l’une à l’autre.

Le paragraphe premier, relatif à la navigation de la Meuse, détermine le mode suivant lequel il doit être fait usage de cette navigation : c’est en se conformant autant que les circonstances le permettront aux dispositions de la convention de Mayence. Si, dès le principe, l’application de ces dispositions à ladite navigation avait été complètement effectuée par la Hollande, il n’y aurait eu aucun motif pour demander une convention spéciale réglant cet objet ; nos garanties sont nettement formulées dans le paragraphe dont il s’agit, combiné avec la convention de Mayence. La seule chose qui restait indéterminée, c’était de savoir quels articles seraient exclus de l’application à cause de la situation respective de la Belgique et de la Hollande. On verra tout à l’heure la solution que cette question a reçue pendant les débats auxquels l’existence de certaines entraves sur la Meuse a donné lieu : circonstance dans laquelle il faut uniquement chercher l’origine de la demande d’une convention spéciale postérieurement faite.

Quant au second paragraphe en lui-même, l’exécution devait en être réglée d’après des considérations de convenance militaire qui ne pouvaient avoir de meilleur appréciateur que le département de la guerre ; c’était donc naturellement au chef de ce département à établir ce règlement de la manière qu’il jugerait la plus avantageuse à la sûreté du pays, et toute latitude devait lui être laissée à cet égard, tant à cause de la nature même de l’objet à traiter, qu’eu égard aux lumières et au caractère de ce ministre, toujours à la hauteur de la confiance dont il jouit à juste titre.

Le règlement dont il s’agit n’est pour ainsi dire qu’une disposition d’ordre, sans portée politique ; il ne pouvait être ajourné que jusqu’à ce que la Hollande aurait complété, autant que possible, le fait de la libre navigation de la Meuse, garanti par l’article 4 de la convention du 21 mai.

Ainsi, ce règlement était obligatoire pour nous du moment où satisfaction entière était donnée aux griefs dont s’étaient plaintes les personnes faisant la navigation de la Meuse. Ce sont là des principes évidents qui résultent des termes de l’article 4 et de la connexion établie, comme il vient d’être dit, entre les deux paragraphes de cet article. Je ne doute pas que M. le ministre directeur de la guerre ne donne à la chambre tous les apaisements nécessaires sur les divers points sur lesquels il croira pouvoir s’expliquer.

Je n’ai dans le moment actuel qu’à faire apprécier les motifs qui ont engagé le conseil des ministres à autoriser le département de la guerre à conclure les arrangements militaires dont il jugerait l’opportunité sous le rapport de la responsabilité qui lui incombe.

Cette tâche ne saurait être remplie qu’en exposant le cours des négociations qui ont eu lieu, des discussions qui ont été agitées. On s’attachera à le faire aussi succinctement que possible.

Les motifs qui ont engagé le gouvernement à provoquer l’ouverture des pourparlers de Zonhoven sont exposés dans la note que les PP. belges ont adressée le 1er août à ceux de France et de la Grande-Bretagne à Londres.

Les premiers se sont exprimés, dans cette note de la manière suivante :

« Les soussignés ont à plusieurs reprises eu l’honneur d’attirer l’attention de LL. EE. sur l’article 4 de la convention du 21 mai.

« L’exécution de cet article, en ce qui concerne la navigation de la Meuse et l’application à ce fleuve du tarif de Mayence, aussi bien que par rapport aux communications entre la forteresse de Maestricht et la frontière du Brabant septentrional, exigeait que le gouvernement belge et le gouvernement hollandais réglassent d’un commun accord ces points importants. LL. EE. les PP. de France et de la Grande-Bretagne pensèrent avec raison, que des commissaires, nommés de part et d’autre et chargés de s’entendre sur les lieux mêmes, traiteraient les questions avec plus de promptitude et de facilité que ne l’eussent pu faire les PP. résidant à Londres. »

La citation qui vient d’être faite montre que le gouvernement avait un vif désir de prévenir les obstacles qui s’opposaient ou pouvaient encore s’opposer à l’ouverture régulière de la navigation de la Meuse. Ce désir n’a pas besoin d’être justifié : tout le monde sait que la clôture de cette rivière était particulièrement préjudiciable à la province de Liége, et que le rétablissement de la navigation sur les bases posées dans la convention du 21 mai ne devait pas être sans importance pour cette province et pour certains cantons de celle du Limbourg.

Un intérêt auquel tout le monde faisait au gouvernement un devoir de se montrer attentif, était donc attaché à la prompte et entière exécution de l’article 4 de ladite convention, c’est-à-dire à ce que la Meuse fut complètement ouverte au commerce, ce qui impliquait la disparition simultanée des entraves qui, du côté de la Belgique, s’opposaient à la liberté des communications de Maestricht.

La connexion qui existait entre ces deux objets fut d’abord entièrement méconnue par les commissaires hollandais qui s’étaient rendus à Zonhoven. Le projet qu’ils présentèrent ne faisait nulle mention de la navigation de la Meuse ; les tentatives faites par les commissaires belges pour introduire dans la convention à conclure une mention relative à cet objet furent alors totalement infructueuses.

Le désaccord qui existait entre les commissaires respectifs, sur ce point fondamental, était tel que le gouvernement hollandais crut devoir s’adresser aux puissances médiatrices pour le lever.

C’est le but de la note des PP. néerlandais, en date du 27 juillet dernier ; mais ces PP. s’y montrent aussi peu disposés que les commissaires délégués à Zonhoven, à admettre la connexion que nous avions signalée entre les deux parties de l’article 4.

Cette note communiquée aux PP. belges donna lieu à celle qu’ils adressèrent, le 1er août, aux PP. de France et de la Grande-Bretagne, et dans laquelle, après avoir rétabli les faits avancés par la partie adverse, ils firent la déclaration suivante :

« Le gouvernement du Roi est loin de s’opposer aux communications entre le Brabant septentrional et l’Allemagne ; il est prêt à donner à cet égard toutes les facilités possibles ; mais il demande, en même temps que le gouvernement hollandais exécute avec la même promptitude le paragraphe premier de l’article 4 ; que la navigation de la Meuse soit régulièrement ouverte au commerce, et que l’application à ce fleuve du tarif de Mayence soit réglée d’un commun accord. »

Par suite des explications données de la part du gouvernement à Londres, les PP. des puissances médiatrices, dans leur note du 5 août, réclamèrent avec instance du gouvernement néerlandais que les commissaires nommés de la part de ce gouvernement « fussent munis sans aucun délai d’instructions et de pouvoirs nécessaires pour se concerter avec des commissaires belges sur l’application des dispositions de la convention de Mayence à la navigation de la Meuse, dans tout son cours, autant que ces dispositions peuvent y être applicables. »

Pendant que ces pourparlers avaient lieu, le gouvernement néerlandais avait fait ouvrir le passage à travers Maestricht aux bateaux belges ; toutefois cette navigation était encore assujettie à des entraves et certaines illégalités qui ne permettaient pas de la regarder comme libre conformément à la convention de Mayence. C’était une première satisfaction donnée à nos réclamations ; mais elle ne suffisait pas, il fallait que la navigation, sur tout le cours du fleuve, fut libre et sans entraves.

Nous persistions à soutenir, fondés sur l’opinion de la France et de la Grande-Bretagne, que cet objet devait être traité, soit dans la convention militaire, soit dans une convention spéciale ou du moins qu’il devait être constaté à l’avance par un acte formel que la convention du 21 mai était pleinement exécutée en ce qui concerne la navigation de la Meuse. Les commissaires néerlandais professaient une manière de voir entièrement opposée, et s’obstinaient à déclarer leur incompétence en ce qui concernait la navigation de la Meuse.

Cette dissidence était alors, du côté de la partie adverse, tellement formulée qu’un recours des puissances médiatrices était indispensable. Les PP. belges furent en conséquence chargés d’expliquer à Londres par quels obstacles l’article 4 de la convention du 21 mai était encore sans exécution de la part de la Belgique. C’était l’objet de leur note du 3 septembre, par laquelle ils firent connaître la rupture des pourparlers de Zonhoven.

Le gouvernement néerlandais ne tarda pas, de son côté, à faire parvenir ses réclamations et ses explications aux PP. de France et de la Grande-Bretagne.

Les motifs et considérations qui le dirigeaient sont exposés dans la note remise, le 14 septembre, par MM. Verstolck et Dedel ; voici en quels termes :

« Quant à la navigation de la Meuse, la cour de La Haye a dû croire qu’en la demandant, les deux puissances n’eurent en vue que de la voir ouvrir par Maestricht, attendu que les entraves apportées à cette navigation à Maestricht interrompaient toute communication de la Meuse supérieure belge, avec les districts baignés par la Meuse inférieure jusqu’à Mook, et aujourd’hui en possession des Belges. Voici sur quoi se fondait cette conviction.

« D’abord, l’on ne connaît point d’exemple pendant les quinze années de la réunion des deux pays, d’une navigation immédiate belge depuis Liége jusqu’à l’embouchure de la Meuse, ni de là jusqu’à Liége ou jusqu’à d’autres endroits sur la Meuse supérieure.

« En second lieu,, le peu de profondeur de la rivière rendrait cette navigation singulièrement difficile, le bâtiment venu de la mer ne pouvant, dans des circonstances ordinaires, remonter la rivière pour arriver à la Meuse supérieure et le bâtiment venant de la Meuse supérieure ne pouvant, dans des circonstances ordinaires, entreprendre la navigation maritime. »

Le troisième motif allégué par les PP. néerlandais était qu’il ne s’agissait pas « d’un traité définitif destiné à aplanir tous les obstacles du commerce, mais d’une convention provisoire laissant subsister dans toute sa vigueur, sauf les stipulations explicitement mentionnées dans la convention, l’état présent des choses, et par conséquent la défense du gouvernement des Pays-Bas de toutes communication entre la Hollande et la Belgique, défense qui implique infailliblement que les bâtiments belges ne sauraient aborder les rives de la Meuse sur le territoire hollandais. »

Il résulte de ce qui vient d’être cité que le gouvernement néerlandais prétendait d’abord limiter la navigation sur la Meuse, stipulée dans la convention du 21 mai en faveur de la Belgique, au « passage des bâtiments belges par Maestricht. »

« Or, continuent les PP. hollandais, pour faire jouir les Belges de cet avantage très réel, stipulé par la convention, le gouvernement néerlandais n’a pas attendu ni jugé nécessaire un concert de commissaires sur lequel la convention garde un silence absolu et dont il ne saurait être question avant la conclusion du traité définitif… ; mais il a procédé de suite à l’ouverture de la libre navigation par Maestricht en percevant les droits d’après le tarif de Mayence, pris dans son acception la plus restreinte, mesure dont l’importance est suffisamment constatée par le grand nombre de bâtiments passés à Maestricht depuis les premiers jours de juillet. »

Après s’être ainsi attachés à justifier leur gouvernement de n’avoir pas étendu tout d’abord la liberté de la navigation de la Meuse à tout le cours de cette rivière, les PP. néerlandais font la déclaration suivante par laquelle, selon eux, satisfaction entière est donnée à nos réclamations :

« Toujours habitué à exécuter ponctuellement ses engagements, le gouvernement néerlandais poussa ses scrupules au point que le département des finances, tout en doutant que la chose fût possible, donna l’ordre de ne pas écarter au dernier bureau sur la Meuse supérieure les bâtiments belges venant par exemple de Liége ou de Ruremonde, à l’effet de se rendre immédiatement en mer, et d’agir de la même manière à l’égard des bâtiments venant de la mer et voulant remonter la Meuse pour aller à Ruremonde ou à Liége.

« Il ne sera pas nécessaire d’ajouter que cet ordre rend sans objet toute demande à établir des bureaux intermédiaires, attendu que ceux de la Brielle et de Katwvk (près de Mook) suffiront pour la perception des droits selon le tarif de Mayence lors du passage infiniment peu probable de bâtiments de la mer à la Meuse supérieure et vice-versa. »

Arrêtons-nous un instant pour voir quel était alors le véritable état de la question. Celle-ci peut se résumer en peu de mots.

Le gouvernement néerlandais admettait le droit de la Belgique à la libre navigation sur tout le cours de la Meuse, sans reconnaître toutefois qu’une convention, entre la Belgique et la Hollande, fût nécessaire à cet effet ; cependant il déclarait avoir pris toutes les dispositions pour l’application convenable du règlement de Mayence.

Il excluait de cette application toutes les stipulations incompatibles avec l’état actuel des choses, c’est-à-dire celles tendant à rétablir entre les deux pays les relations de l’état de paix, telles que la faculté d’aborder le territoire hollandais qui ne saurait être, disait-il, que la conséquence d’un traité définitif.

En étudiant la convention de Mayence, il est facile de se convaincre que cette exclusion portait sur les articles 5, 6, 7 et 10 de cette convention, relatifs à l’entreposage ; car les transbordements, hors les cas de force majeure, sont interdits, à moins de se soumettre alors à l’application des lois sur les impôts de chaque pays.

Ainsi, le litige ne portait plus que sur deux points, à savoir :

1° L’application à la Meuse des stipulations de la convention de Mayence sera-t-elle réglée par une autre convention spéciale ?

2° Les articles de la convention de Mayence, dont les stipulations doivent être considérées comme tendant à rétablir les relations habituelles de l’état de paix, sont-elles applicables à la Meuse dans l’état actuel des choses ?

La première question relative à une convention spéciale pour le règlement de la navigation, n’avait d’importance qu’autant que la seconde serait affirmativement résolue. Or, la Hollande avant soumis sa manière de voir sur ce deuxième point axu puissances médiatrices auxquelles la Belgique aussi avait eu recours, ces puissances énumérait, dans leur note du 29 septembre, une opinion conforme à celle de nos adversaires en s’exprimant de la manière suivante :

« Dans tous les cas, les SS. sont prêts à reconnaître qu’il n’y a rien, dans la convention du 21 mai, qui oblige le gouvernement néerlandais à permettre aux sujets belges d’entrer sur son territoire ou d’y introduire des marchandises belges.

« Les Belges ont, par cette convention, le droit de naviguer en remontant et en descendant tout le cours de la Meuse, mais ils n’ont certainement aucun droit de débarquer dans les limites du territoire néerlandais, à moins que le gouvernement des Pays-Bas ne les autorise à le faire. »

Cette décision basée sur le droit des gens venant se joindre à la déclaration des PP. néerlandais, à Londres, que leur gouvernement maintenait les mesures de prohibition que les puissances médiatrices lui reconnaissaient le droit de prendre, la question d’une convention spéciale relative à la Meuse, la seule encore en litige entre les signataires de l’acte du 21 mai, devait être envisagée par le cabinet de Bruxelles sous un nouveau point de vue.

Certes, avec l’appui que la France et la Grande-Bretagne accordaient à notre prétention à intervenir, par une convention spéciale, dans les arrangements que nécessitait l’application de la convention de Mayence à la Meuse, nous pouvions nous opposer à la liberté des communications de Maestricht, jusqu’à ce que le gouvernement néerlandais eût consenti à opérer, sous la forme d’abord demandée par nous, l’application dont il s’agit.

Mais cette observation, qui eût été rationnelle avant la décision émanée des deux puissances médiatrices, était-elle opportune lorsque cette décision, jointe à la déclaration faite postérieurement de la part du cabinet de La Haye devait nous faire abandonner l’espoir de voir admettre dans la convention spéciale (en supposant que la Hollande en reconnût le principe) certaines clauses que l’état actuel du batelage du bassin de la Meuse rendait indispensables pour le transit par mer ?

Telle est la première question que le gouvernement a dû examiner ; elle a donné lieu aux considérations suivantes :

Conclure une convention de laquelle il fallait exclure les clauses renfermées dans les articles 5, 6, 7 et 10 de la convention de Mayence, c’était, de la part de la Belgique, une renonciation formelle à l’application à la Meuse de ces articles ; c’était confirmer la décision que la France et la Grande-Bretagne avaient portée sur la question soulevée par le cabinet de La Haye.

Ne valait-il pas mieux laisser, de notre côté, cette question sans solution ? Il n’y avait pas de doute à cet égard. Et en effet, dans la situation actuelle de la Belgique et de la Hollande, l’une vis-à-vis de l’autre, celles de nos prétentions qui n’avaient pas trouvé d’appui auprès des puissances médiatrices n’avaient aucune chance d’être admises, pour le moment, par la partie adverse ; tandis qu’on peut espérer plus de succès à mesure que l’état présent des choses, s’il devait se prolonger, se revêtira, par le fait même de cette prolongation, du caractère d’une paix tacite à mesure que l’intérêt privé, toujours attentif, toujours agissant, opérera des rapprochements mutuels et fera tomber les barrières que la nécessité de se tenir sur ses gardes avait élevées entre les deux pays.

L’espoir qui vient d’être exprimé n’est pas sans fondement ; il se base sur l’expérience même des bateliers belges naviguant sur la Meuse, et qui, suivant leurs propres rapports, rencontrent dans les autorités hollandaises, aussi loin qu’ils ont eu l’occasion de descendre le fleuve, des dispositions tous les jours moins hostiles.

Ces considérations devaient engager le gouvernement à ne point insister sur la forme qu’il avait d’abord proposé d’adopter puisque la convention spéciale, à laquelle on vient de faire allusion, n’était pas seulement devenue inopportune, elle était encore complètement inutile.

En effet par suite aux réclamations adressées par le gouvernement à Londres, ou communiquées aux commissaires néerlandais à Zonhoven, et pendant que l’on discutait sur le principe de la convention, le cabinet de La Haye avait pris successivement toutes les dispositions propres à assurer la libre navigation de la Meuse, telle que l’avait stipulée, d’après la déclaration des deux puissances médiatrices, conforme à l’opinion de la Hollande, le paragraphe premier de l’article 4 de la convention du 21 mai.

Ici ce sont des faits que l’on doit citer.

Des le 6 juin dernier, le passage à travers la forteresse de Maestricht fut ouvert aux bâtiments belges ; mais ils étaient soumis à des péages autres que ceux qui résultaient du tarif de Mayence, et à des retards très préjudiciables. Néanmoins, plus de 2,000 bateaux de toute grandeur passèrent sous le pont de Maestricht dans les trois premiers mois de cette ouverture restreinte de la navigation de la Meuse.

Plus tard et voulant mettre ses PP. en état d’affirmer qu’il y avait de sa part exécution entière de l’article 4, le cabinet de La Haye fit donner l’ordre de ne pas écarter les bâtiments belges qui se présenteraient pour monter ou descendre la Meuse en transit, entre Mook et la mer. Les bateliers qui, jusqu’aujourd’hui, se sont trouvés dans le cas de naviguer sur cette partie de la rivière, n’ont pas eu à signaler au gouvernement des obstacles contraires à la déclaration renfermée dans la note des PP. hollandais du 14 septembre.

Quant au passage à travers Maestricht, tous les griefs signalés par nous ont été apaisés.

D’abord, on supprima la perception de l’ancien péage, établi sur la Meuse, au profit de certaines provinces, par un arrêté du 17 décembre 1819. Il avait été exigé, contrairement à la convention de Mayence, au bureau situé sur le territoire dépendant des fortifications de Maestricht, lors de la réouverture de la Meuse en juin dernier.

Enfin, par un nouveau règlement qui porte la date du 3 novembre, le général commandant supérieur de Maestricht a modifié le règlement auquel il avait soumis les passages de manière à ne plus laisser aux bateliers, de leur propre aveu, aucun sujet de plainte fondé.

Ainsi, il a fait réunir le bureau de recette à celui de la visite qui doit avoir lieu d’après la convention de Mayence, ce qui a supprimé les retards considérables et presque arbitraires que la séparation des bureaux entraînait.

Il a multiplié les heures de passage, au point que les bateaux n’ont pour ainsi dire plus à attendre que durant le temps exigé par la visite.

Il a permis le passage de dix personnes non militaires, en sus des bateliers, par chaque bateau.

Le libre passage des armes et des munitions de guerre a été également accordé, ce qui a rendu la liberté de transit aussi complète que possible.

Dans cet état de choses, le gouvernement n’avait réellement plus rien à demander de tout ce que les deux puissances alliées, d’après leur propre déclaration, avaient stipulé en faveur de la Belgique, dans le premier paragraphe de l’article 4 dont il s’agit. Les dispositions prises par le gouvernement hollandais et officiellement notifiées, soit à Londres, soit à Zonhoven, devaient, en effet, être considérées comme satisfaisant à ce qu’exigeaient les circonstances du moment ; elles s’étaient établies dans le contrôle de nos commissaires, de manière qu’il y avait eu, en fait, concert des deux parties à cet égard. Quoique ces dispositions n’eussent pas revêtu la forme d’une convention spéciale.

Fallait-il faire de cette forme une condition sine qua non de tout arrangement ? et quelles eussent été les conséquences immédiates d’une telle résolution ?

La Hollande à qui nous aurions refusé les avantages stipulés en sa faveur dans l’article 4, usait de représailles en suspendant d’abord la jouissance de ceux qui nous sont accordés par le même article, en réciprocité et en retour des premiers. Ce n’eût été que la conséquence du principe même sur lequel nous nous fondions.

En second lieu nous devions incontestablement rester en mesure de nous opposer à la résolution qu’aurait pu prendre le cabinet de La Haye, de se mettre par la force en possession des communications de Maestricht.

Dès lors, sous tous les rapports il résultait pour la Belgique de notables préjudices.

La clôture de la Meuse était un coup sensible porté au commerce de la province de Liége, qui retire des avantages incontestables des facilités offertes à la navigation de cette rivière.

La possibilité d’une tentative pour renouveler par la force la garnison de Maestricht, exigeait la continuation de dispositions telles que le gouvernement eût dû définitivement s’arrêter dans la voie des réductions où il était engagé.

Le chef du département de la guerre pourra faire apprécier l’étendue des sacrifices que cet état de choses nous imposait sans offrir aucun avantage pratique équivalent.

C’est d’après ces faits et ces considérations mûrement pesées, que le gouvernement a cru devoir se déterminer à ne pas insister plus longtemps sur la forme de convention spéciale qu’il avait d’abord proposé de donner à l’application de la convention de Mayence à la navigation de la Meuse.

Mais en prenant cette résolution, il ne devait pas perdre de vue que certaines garanties étaient nécessaires et convenables.

Il fallait que la fixation d’une route militaire en faveur de la Hollande ne pût être considérée que comme accordée à titre d’échange de la liberté de navigation, dont le commerce belge jouissait et devait continuer à jouir sur la Meuse, conformément à l’article 4 de la convention du 21 mai. De cette manière, la durée de la convention militaire se trouvait subordonnée à l’état de choses établi sur la Meuse, c’est-à-dire à l’exacte et stricte observation, de la part de la Hollande, des dispositions du paragraphe premier dudit article 4. C’est le but que l’on s’est efforcé d’atteindre dans le préambule de la convention militaire ; on y a expressément établi la même connexion que présentent, dans la convention du 21 mai, les deux paragraphes de l’article dont il s’agit : connexion qui fait de la liberté des communications de Maestricht et de celle de la navigation de la Meuse, deux objets essentiellement liés l’un à l’autre.

On croit avoir, dans l’exposé qui précède, fourni tous les éléments nécessaires pour faire apprécier la conduite du gouvernement dans l’affaire qui nous occupe.

On a fait voir par quelle succession de faits et de circonstances, résultat de l’attitude que nous avions prise, les questions litigieuses ont fini par se réduire à une seule, qui portait sur la forme de l’accord relatif à la navigation de la Meuse.

On a soumis toutes les considérations pratiques sur lesquelles l’attention du conseil a dû se porter alors : on a montré que l’adoption par la partie adverse de la forme qui était devenue le seul objet du débat, n’offrait en perspective aucun avantage, tandis que notre persévérance à cet égard devait nous coûter des sacrifices dont l’étendue, facile à mesure par les dépenses extraordinaires auxquelles le département de la guerre avait été astreint pendant les négociations, n’était pas en rapport avec des avantages qui formaient question, s’ils n’étaient pas complètement illusoires.

Il doit donc résulter de l’exposé qui a été fait que le gouvernement, en autorisant la signature de la convention militaire, a agi conformément aux véritables intérêts de la Belgique. C’est pour servir ces intérêts qu’il a pris la résolution de mettre fin à une discussion qu’il devait ne se croire autorisé à prolonger que dans le cas où il eût dû en sortir une amélioration matérielle de l’état actuel des choses. Mais sous ce point de vue, elle apparaissait non seulement oiseuse, mais encore propre à continuer, sans objet utile, des charges onéreuses au pays.

Le gouvernement est donc convaincu d’avoir fait ce qu’il devait ; il l’est d’autant plus que le pays n’a pas manqué d’apprécier les heureuses conséquences qui sont la suite nécessaire de la résolution dont la conclusion des conférences de Zonhoven a été le produit.

Comment, en effet, blâmer un acte qui assure à plusieurs de nos provinces industrielles, encore souffrantes des suites de la révolution, des avantages incontestables qui déjà ont eu des effets très sensibles sur leur bien-être et qui promettent de s’agrandir successivement ; un acte qui a soustrait le Limbourg fatigué, épuisé par la présence d’un nombreux corps d’armée, à toutes les conséquences et aux inconvénients que la permanence de cette situation entraînait avec elle ; un acte qui a permis d’améliorer la situation matérielle des troupes en les faisant rentrer dans les villes de l’intérieur, ce qui n’est pas sans importance pour ces villes elles-mêmes, celles surtout dont les principales ressources sont dans la présence d’une garnison ; un acte enfin qui, écartant tout motif de collusion nouvelle, permet au département de la guerre de continuer les réduction commencées dans l’armée, et de rentrer dans la voie des économies dont la prudence politique lui avait fait un devoir de s’écarter momentanément ; économies si fortement recommandées par les chambres elles-mêmes, qui en diminuant considérablement les charges de l’Etat tourneront ainsi au profit de la prospérité nationale, dont l’accroissement est et doit être le constant objet de la sollicitude du gouvernement.

M. Dumortier. - Les explications que vous venez d’entendre m’étonnent singulièrement ; elles provoqueraient bien des observations de ma part, mais je me garderai bien de les présenter aujourd’hui : il faut d’abord que nous ayons une connaissance officielle de la convention ; il faut qu’on nous donne communication des pièces dont on veut faire la justification, car c’est une justification, et rien de plus. C’est donc le moment d’insister sur la motion de M. de Robaulx, et je l’appuie de toutes mes forces.

M. de Robaulx. - Il y a d’autant plus de motifs de persister dans ma proposition, que si le ministre vient de dire la vérité, il ne lui reste aucun intérêt à cacher les pièces. Si tout ce qui vient de nous être rapporté se trouve en réalité conforme à ce qui a été dit et écrit, le refus de M. le ministre ne serait donc fondé sur rien, ou bien il faudrait lui supposer une arrière-pensée ; mais je n’en viens jamais à supposer cela qu’à défaut de toute autre explication légitime.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet) - Je suis prêt à déposer les pièces qui servent de justifications aux observations qui vous ont été soumises.

M. Dumortier. - Ce sont, au contraire, vos observations qui m’ont paru servir de justification aux pièces. Nous devons connaître non seulement les pièces imprimées, mais encore toutes celles qui lui ont donné naissance.

M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Il s’agit ici d’une convention militaire et non d’un traité ; je déposerai une copie conforme de la convention, et de l’autorisation que j’ai donnée (d’après l’autorisation que j’avais reçue moi-même du conseil) à M. Hurel de nommer une commission chargée d’entrer en conférence avec les Hollandais, pour arriver à conclure une convention militaire, car, je le répète, il ne s’agit pas ici d’un traité, mais d’une convention toute militaire.

M. de Brouckere. - Je veux appuyer la motion faite par MM. de Robaulx, Dumortier, et la mienne. Il faut que la chambre ordonne d’abord l’impression du discours du ministre des affaires étrangères, dont nous n’avons pu saisir tous les développements à une simple lecture. Je croyais que le ministre aurait fait comme les ministres ont toujours fait ; c’est-à-dire, qu’il aurait distribué son discours imprimé ainsi que les pièces qui y sont relatives. Le ministre ne peut se refuser à suivre la marche tracée par ses prédécesseurs.

Ce que dit M. le ministre de la guerre, que l’acte dont il s’agit n’est pas un traité, mais une convention militaire, ne me touche pas ; la manière dont on qualifié une pièce n’en change pas la nature. Quand on nous l’aura communiquée ainsi que les pièces à l’appui, nous examinerons jusqu’à quel point nous pourrons la considérer comme liant les Belges.

M. le ministre de la guerre (M. Evain) - Je renouvelle la proposition que j’ai faite de déposer sur le bureau les pièces originales insérées dans le Moniteur.

M. de Robaulx. - Je ne conçois pas que le ministère veuille se circonscrire dans deux ou trois pièces qu’il désigne ; je demande le dépôt de toutes les pièces ; s’il n’y en a que trois il n’en déposera que trois. Ce que je veux savoir, c’est si la dignité du pays a été respectée ; pour cela j’ai besoin que les documents soient tous soumis à l’inspection des membres de cette assemblée.

M. Dumortier. - C’est une chose réellement étrange qu’on nous vienne dire que c’est le conseil des ministres qui a agi, et qu’on pousse le ministre de la guerre, qui n’en fait pas partie, à déclarer qu’il déposera les pièces.

Nous devons connaître les pleins pouvoirs qui ont été donnés au ministre de la guerre ; nous voulons savoir si on a donné les pleins pouvoirs de violer la dignité royale, la dignité nationale. C’est par ces pleins pouvoirs que nous connaîtrons les vrais coupables. Il serait injuste de rejeter sur le ministre de la guerre un fait dont le conseil des ministres peut seul être responsable.

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet) - Je n’ai pas eu en vue de discuter la convention dans ses dispositions ; dans mon discours j’ai voulu prouver que le conseil des ministres avait pu se contenter de l’état des choses et autoriser le ministre de la guerre à traiter un point tout à fait à sa convenance. Le département des affaires étrangères ne se refuse pas à déposer les pièces relatives à ce point ; mais le ministère des affaires étrangères n’a en sa possession que les notes dont j’ai cité les passages, l’ordre donné au ministre de la guerre de traiter des passages militaires relativement à la Meuse.

M. Dubus. - Et les pleins pouvoirs ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet) - Il n’y a pas de pleins pouvoirs.

M. de Robaulx. - Par ma motion je ne demande pas autre chose que ce que vous avez.

M. Gendebien. - je crois que nous sommes d’accord. La seule chose qui nous ait jetés dans le doute, c’est l’intervention de M. le ministre de la guerre, intervention qui dans le fait a dû nous paraître étrange. Nous n’avons pas à voir si M. le ministre de la guerre a qualité pour d’occuper de cet objet. Il a annoncé qu’il déposera aussi des pièces sur le bureau. Eh bien ! qu’il le fasse, et nous saurons d’autant mieux ce que nous avons à faire.

M. le ministre des affaires étrangères a dit de son côté qu’il était prêt à remettre son travail pour qu’il fût imprimé dans le Moniteur et en outre à communiquer toutes les pièces. Persiste-t-il dans son offre ?

M. le ministre des affaires étrangères (M. Goblet) - Oui !oui !

- Un grand nombre de membres quittent leurs places.

M. Dumortier. - Je prie M. le président d’engager nos collègues à reprendre leurs places. La question est très grave. M. le ministre de la guerre a déclaré qu’il avait reçu des ordres du conseil des ministres.

M. F. de Mérode. - Il a été autorisé.

M. Dumortier. - Eh bien ! c’est cette autorisation que nous voulons connaître. (A demain ! à demain !)

- La séance est levée à quatre heures et demie.