(Moniteur belge n°333, du 29 novembre 1833)
(Présidence de M. Raikem)
M. de Renesse fait l’appel nominal à deux heures.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal de la dernière séance ; la rédaction en est adoptée.
M. de Renesse fait connaître l’objet des pièces adressées à la chambre, ces pièces sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Dubois demande qu’une pétition relative aux los-renten soit renvoyée à la section centrale des finances.
- Cette demande est accordée.
M. Davignon, M. Cols et M. Berger demandent et obtiennent des congés.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) présente un projet de loi relatif au traitement des auditeurs militaires. (Nous le ferons connaître.)
M. le président. - La chambre donne acte de la présentation et du dépôt du projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’ai encore à présenter une loi ; c’est un nouveau projet relatif aux naturalisations ; comme il diffère peu du projet déjà adopté par la chambre, je crois qu’elle peut me dispenser d’en donner lecture ainsi que de l’exposé des motifs.
- Plusieurs membres. - L’impression ! l’impression !
- La chambre dispense M. le ministre de la lecture du second projet de loi.
Les deux lois sont renvoyées devant les sections.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) monte à la tribune pour présenter un projet de loi, ayant pour but de continuer aux états provinciaux le pouvoir qui leur a été accordé en 1832 de dresser les budgets des provinces.
M. de Brouckere. - Je crois que la chambre devrait ordonner le renvoi de ce projet à une commission.
M. le ministre de l'intérieur (M. Rogier) - Cela est d’autant plus facile que nous proposons la continuation des pouvoirs donnés aux états, en 1832, de procéder à la confection des budgets des provinces.
- La chambre consultée renvoie la loi à une commission que le bureau nommera.
M. le président. - M. Angillis, rapporteur de la section centrale, chargée de l’examen de la loi de finance relative aux voies et moyens ou aux recettes, est appelé à la tribune.
M. Angillis. - Messieurs, dit-il, le rapport est un peu long ; sa lecture pourrait fatiguer votre attention.
M. de Brouckere. - Il suffit d’en ordonner l’impression.
M. Angillis. - Si la chambre veut que je le lise, je le lirai ; elle peut aussi m’en dispenser puisque ce rapport sera nécessairement imprimé.
- De toutes parts. - L’impression ! l’impression !
M. le président. - La chambre donne acte du dépôt du rapport, et en ordonne l’impression.
Quel jour veut-elle fixer pour commencer la discussion du budget des recettes ?
- Plusieurs membres. - Vendredi ! mardi ! lundi !
M. A. Rodenbach. - Il y a une foule de pétitions sur lesquelles on vous fera un rapport vendredi ; il a aussi à discuter la prise en considération de la proposition concernant les toiles ; ainsi on ne peut commencer vendredi la discussion des voies et moyens.
M. de Brouckere. - Il faut que le feuilleton des pétitions soit distribué trois jours avant la séance où l’on entretient la chambre de ces pétitions ; il n’y a pas de feuilleton imprimé ; cependant, si on pouvait en préparer un pour demain, il serait possible de s’occuper des pétitions vendredi.
M. Pollénus. - La commission des pétitions a été convoquée aujourd’hui à dix heures ; elle n’a pu procéder à l’examen des mémoires qui lui ont été renvoyés à cause de l’absence de plusieurs de ses membres. Un feuilleton ne sera pas prêt pour vendredi.
M. Doignon. - Il serait impossible d’ouvrir la discussion du budget des recettes vendredi, le règlement exige deux jours d’intervalle entre la présentation d’un rapport et la discussion de la loi sur laquelle il a lieu : la discussion du budget des voies et moyens est importante ; on doit ne la commencer que lundi.
- La chambre consultée décide que la discussion de la loi de finances sur les recettes s’ouvrira lundi prochain.
M. le président. - Vendredi il y aura séance pour la discussion de la prise en considération de la proposition de M. A. Rodenbach.
M. Doignon. - Messieurs, en commençant les travaux de cette session, je crois devoir fixer votre attention sur un objet grave qui tend à vicier dans son essence notre système représentatif. C’est l’absence trop fréquente ou excessivement prolongée d’un grand nombre de membres pendant le cours de chaque session. Nous voyons à peu près un tiers de cette chambre constamment absent. En ce moment encore plus de 40 représentants sont retournés ou demeurent chez eux ; 60 seulement étaient présents au vote de la dernière adresse. Il en est plusieurs qui, sans avoir reçu ou demandé aucun congé, n’ont point encore reparu dans cette enceinte depuis l’ouverture de la session.
Par suite de cet état de choses il arrive parfois que telle opinion, qui est adoptée par la chambre, serait vraisemblablement rejetée par elle, si la généralité de ses membres était présente, et, vice versa, que telle autre opinion qui dans le même cas serait rejetée, se trouve au contraire admise, de manière que, dans plusieurs circonstances, on peut dire qu’au vrai la décision de la chambre n’est pas le vœu de la représentation nationale.
D’un autre côté, les membres absents, en s’abstenant de prendre part aux travaux législatifs, en laissent tout le poids à leurs collègues présents ; et ceux-ci, une fois chargés de trop de besogne, ne peuvent même plus obtenir de congés sans nuire à la marche des affaires, ou, s’ils s’absentent un moment sans congés, pour prix de leur assiduité, on les signale avec les autres dans les journaux.
Il est superflu de vous retracer ici tous les inconvénients résultant de ces absences trop prolongées et trop multipliées ; chacun de nous les connaît parfaitement.
L’expérience a prouvé que la mesure prise de publier dans le Moniteur les noms des absents sans congé, au milieu ou à la fin d’une session, ne produit pas l’effet qu’on en attend.
Si l’indemnité mensuelle, pendant toute la durée de la session, était accordée à chaque député en vertu d’une loi, il serait libre à la législature de stipuler des retenues contre les membres absents.
Mais, cette indemnité étant due en vertu d’une disposition constitutionnelle, il ne paraît pas qu’il soit en notre pouvoir d’y apporter aucun changement, ni aucune dérogation.
Nous devons donc chercher d’autres moyens pour remédier, autant qu’il est en nous, à cet abus.
D’abord aux termes du règlement, aucun membre ne peut s’absenter sans congé. Mais la chambre ne pourrait-elle pas être un peu plus sévère à en accorder ? Ordinairement elle délivre ces congés séance tenante, et sur la lecture fugitive des lettres que lui adressent à cet effet ceux qui les réclament. Outre qu’il répugne à chacun de nous de s’opposer à ce qui peut être agréable à nos collègues, très souvent la chambre n’a pu apprécier les motifs de la demande, et elle l’accueille ainsi sans une pleine connaissance de cause. En prononçant séance tenante, il lui est également impossible de connaître et de juger si le nombre des congés déjà accordés ne s’oppose pas à ce qu’on en donne d’autres pour le moment, ou si celui qui le demande n’abuse pas un peu de la facilité de la chambre, ou si, ayant déjà joui de quelques permissions il n’en sollicite pas au préjudice des membres qui, par leur exactitude et leur zèle, ont acquis des droits à un congé pour vaquer un moment à des affaires indispensables ; si enfin la durée du congé réclamé n’est pas excessive, tandis qu’elle doit être limitée au temps strictement nécessaire.
Ne pourrait-on pas, messieurs, obvier à tous ces inconvénients en nommant une commission ad hoc, à l’examen et à l’avis de laquelle toutes les demandes de congés seraient immédiatement envoyées par M. le président, qui donnerait aussitôt communication à la chambre de cet avis, en même temps que de la demande ?
Cette commission serait aussi spécialement chargée de veiller à ce que la chambre soit en tout temps, sinon au complet, au moins composée du plus grand nombre possible de représentants, et de telle sorte qu’on puisse être assuré que toujours les deux tiers au moins peuvent assister aux séances. Elle correspondrait notamment avec ces membres absents qui, jusqu’ici, passent des mois entiers chez eux, sans qu’on s’informe s’il leur est possible ou non de venir prendre part aux travaux, et sans qu’on leur adresse aucune invitation à cet effet.
Elle veillerait encore à ce que les congés soient distribués de la manière la plus équitable entre les représentants qui en ont besoin. A cet égard, nous pouvons dire que des congés sont même indispensables à nous tous, plus ou moins car il n’est pas possible que, dans le cours d’une longue session, des affaires urgentes ou très importantes ne nous appellent dans nos loyers de temps à autre : à cette fin, la commission ferait tenir par le greffier un tableau de tous les congés accordés avec mention de leurs motifs et de leur durée.
Les représentants les plus assidus se plaignent avec raison de la longue durée des sessions. Mais cet inconvénient cesserait presqu’entièrement si les congés étaient répartis entre tous avec équité. Aussi longtemps qu’ils appartiennent presque constamment aux mêmes membres, ceux qui ont à cœur les travaux de la chambre se voient forcés d’y rester, et sont surchargés de besogne.
Si le temps d’absence qui est accordé en trop à ceux-là était partagé entre ceux-ci, une longue session ne serait plus certainement pour eux un fardeau aussi pénible. Comme la commission dispenserait équitablement les congés entre tous les membres, et de manière cependant à en tenir toujours réunie la plus grande partie, il en résulterait non seulement qu’à toute époque la chambre serait en état de vaquer activement à tous ses devoirs, mais qu’une session pourrait ainsi être très longue sans de graves inconvénients pour chacun de nous. Quelle que puisse être sa durée, ces congés sagement distribués la rendraient très supportable pour tous les représentants. Il paraît d’autant plus nécessaire de régler ainsi la répartition des congés que tout porte à croire que la présente session doit se prolonger fort longtemps.
A l’égard des membres qui s’absenteraient sans congés, ou qui continueraient leur absence malgré l’expiration du terme, le greffier serait d’abord chargé, par la commission, de publier immédiatement leurs noms dans tous les journaux de la capitale. Si, quelques jours après cette publication, ces membres persistaient à ne point se rendre à leur poste ou à garder le silence, le greffier, d’après les ordres du comité, leur adressera à leur domicile réel, de la part de la chambre, une invitation expresse de venir assister aux séances. La réponse qui serait faite à cette invitation sera de suite communiquée à la commission qui, si elle admet l’excuse, en fera rapport à la chambre, qui décidera s’il y a lieu d’accorder les congés : au cas contraire, si l’excuse est reconnue inadmissible, ou s’il n’est fait aucune réponse, cette invitation elle-même pourra être insérée dans les journaux.
J’ai une trop haute opinion du patriotisme de mes collègues pour supposer que ces démarches n’auraient pas l’effet de les déterminer tous à venir s’acquitter du mandat que le peuple leur a confié. Mais si (ce que je ne puis croire) je pouvais me tromper à cet égard il sera toujours temps que la commission, instruite par l’expérience, propose quelques moyens plus efficaces.
Dans le cas où, contre toute attente, des membres ainsi invités par elle s’obstineraient, malgré tout, à ne point répondre au vœu de la chambre elle verra s’il n’y a pas lieu d’insérer itérativement dans les feuilles les nouvelles invitations qu’elle pourra leur faire adresser. Loin de nous l’idée qu’il soit possible qu’un député résiste à tant d’instances ; mais, s’il en était autrement, la commission aura à examiner si une insouciance et une négligence aussi graves pour les intérêts du pays ne méritent pas d’être censurées dans cette enceinte, et si enfin ce député ne devrait même pas être invité à donner sa démission puisqu’en définitive il refuserait de remplir ses fonctions. Nous laisserons à la commission le soin de nous faire, sur ces différents points, telles propositions qu’elle jugera convenables.
L’article 46 de la constitution autorise la chambre à régler son règlement intérieur, et déjà, par l’article 31 de son règlement, elle permet à son président de rappeler à l’ordre le représentant qui commet quelques écarts. Si la chambre use alors de son droit de discipline, ne doit-elle pas en faire usage à plus forte raison à l’égard de ses membres constamment absents, puisqu’ils compromettent d’une manière bien plus sérieuse toute l’économie de la représentation nationale ?
La commission pourrait encore examiner s’il ne conviendrait point que tous les deux ou trois mois il fût rendu compte à la chambre des présences et des absences de chacun de ses membres.
Les mêmes motifs nous paraissent commander les mêmes mesures à l’égard des absences dans nos sections.
Mais il nous semble qu’il convient dans ce cas d’adopter pour règle que, sauf les circonstances extraordinaires, il n’y aura dans la même journée qu’une seule séance, soit en public, soit en sections. On ne doit pas s’étonner que les sections soient souvent désertes, lorsqu’on veut exiger que le député, après y avoir siégé pendant plusieurs heures, soit encore tenu, aussitôt après sa sortie, de venir assister à une autre séance publique de 4 à 5 heures, et cela tous les jours d’une semaine sans aucune interruption.
L’on ignore probablement que, d’après l’usage suivi jusqu’ici, un député qui veut chaque jour remplir toute sa tâche doit y consacrer 9 à 10 heures au moins ; car, outre les doubles séances en sections et en public, il ne peut se dispenser de donner plusieurs heures à la lecture et l’examen des pièces nombreuses qui lui sont tous les jours remises à domicile, et surtout à la méditation des lois et objets mis ou à mettre en discussion. Nous ne croyons pas qu’il y ait dans l’Etat un corps constitué qui soit tenu régulièrement à vaquer autant que la législature.
Aussi, que résulte-t-il de l’ordre actuel des choses ? C’est qu’en exigeant un peu trop du député, on n’en obtient pas ce qu’on serait en droit d’en attendre ; c’est qu’en embrassant différents objets à la fois, on court le risque de ne pouvoir les approfondir comme il conviendrait de le faire ; qu’enfin la chambre, malgré les grandes occupations auxquelles elle semble se livrer, est loin de faire dans une session tout ce qu’elle serait capable d’exécuter si son travail était un peu mieux distribué, et qu’en même temps il y eût moins d’absences.
Afin de pouvoir réunir d’autant plus facilement et promptement la commission dont s’agit, elle serait composée de trois membres seulement. Le bureau veillerait à la tenir toujours au complet.
En provoquant ici quelques mesure contre les absences, mon dessein est particulièrement de rappeler dans le sein de cette assemblée plusieurs membres qui, à chaque session, nous privent beaucoup trop longtemps de leurs lumières et de leurs talents.
Par ces motifs, j’ai l’honneur de proposer à la chambre d’instituer une commission de trois membres, qui sera chargée de donner aussitôt son avis sur les demandes de congé, et de lui conférer tout ou partie des attributions sus-énoncées.
M. de Foere. - Je demande la parole.
- Plusieurs voix. - C’est une proposition. Le renvoi en sections !
M. de Foere. - Si c’est un projet de loi, je n’ai pas le droit de prendre la parole ; mais si c’est une motion d’ordre, je la réclame. (Parlez ! parlez !)
Messieurs, la proposition qui vient de vous être faite par l’honorable M. Doignon est une véritable utopie, et une utopie pernicieuse pour le pays et d’ailleurs inexécutable. Je vais le prouver par les faits.
Les chambres en France et le parlement en Angleterre se composent de 500 à 600 membres ; et dans les cas ordinaires, toutes les fois qu’un objet n’est que d’une importance secondaire, on ne discute, terme moyen, en Angleterre, qu’au nombre de 40 à 80 membres, et en France qu’au nombre de 60 à 80, de sorte que les absences peuvent être portées à plus de 400. Lorsqu’il s’agit de questions d’une grave importance, chaque parti appelle au parlement les membres qui lui appartiennent respectivement. La même chose a lieu dans les chambres françaises.
Si la proposition de M. Doignon devait être adoptée, il en résulterait que la chambre serait abandonnée à de jeunes nobles, à des gens qui n’ont rien à faire et qui viendraient passer agréablement quelques mois dans la capitale et jouir d’un traitement pour leur inutilité ; ou bien la chambre serait composée de jeunes avocats sans clientèle, qui viendraient faire ici leurs propres affaires. Or, si vous consultez l’histoire parlementaire, vous trouverez que ce sont les hommes qui ont le plus d’affaires chez eux, et qui ont l’habitude de bien les soigner, qui gèrent le mieux celles de la nation.
Ensuite, messieurs, il est de fait que les membres qui s’absentent, quand ils sont consciencieux et qu’ils attachent de l’importance aux intérêts du pays, travaillent chez eux ; et souvent ce travail est bien plus utile à la chose publique que s’ils assistaient continuellement aux séances, dans lesquelles il ne se traite que des objets d’un intérêt minime. Les conséquences de votre vote approbatif seraient d’exclure de la chambre les membres les plus utiles dans une représentation nationale. Aussi les membres qui font des absences, alors qu’il ne s’agit que des questions ordinaires, ont assez de confiance dans leurs collègues pour les abandonner à leur examen et à leur vote.
Si vous entrez, messieurs, dans ces considérations et dans plusieurs autres qui se rattachent à l’intérêt général, vous trouverez ainsi que je l’ai dit, que la proposition est une utopie pernicieuse au pays et d’ailleurs inexécutable, et qu’il vaut mieux laisser aux électeurs le jugement définitif. Si un membre fait, sans motifs valables, des absences trop prolongées et nuisibles à la chose publiques, il ne sera pas réélu.
M. Doignon. - Je ne sais pas si l’honorable préopinant a bien saisi le but de ma proposition ; elle tend d’abord, et avant tout, à ce qu’une commission soit nommée pour donner son avis sur les demandes de congé qui seront adressées à la chambre. Je ne vois pas ce que cette proposition a d’impraticable. En effet, ne renvoyons-nous pas tous les jours aux sections ou bien à une commission les objets qui nous sont soumis ? Pourquoi les demandes de congé ne seraient-elles pas renvoyées de même, puisqu’elles touchent à l’intérêt du pays et de la représentation nationale ?
L’honorable préopinant a voulu citer, pour me répondre, ce qui se passe en Angleterre et en France ; si je voulais suivre ses objections, je serais forcé d’entrer dans des discussions dont je veux m’abstenir.
Je ne m’oppose pas à ce que ma proposition soit renvoyée aux sections.
M. Legrelle. - L’honorable membre a fait une motion d’ordre ; il faut qu’il la rédige comme une proposition, pour qu’elle puisse être renvoyée dans les sections.
- Plusieurs membres. - Nous nous en occuperons plus tard.
- Sur la proposition de M. Dumortier, la chambre s’ajourne à lundi, pour la prise en considération de la proposition de M. Rodenbach et la discussion du budget des voies et moyens.
- La séance est levée à trois heures et un quart.