(Moniteur belge n°318, du 14 novembre 1833)
MM. les sénateurs MM. les représentants se sont réunis aujourd’hui à midi dans la salle des délibérations de la chambre des représentants, sous la présidence de M. Van Hoobrouck de Mooreghem, sénateur doyen d’âge. MM. Liedts et Ch. Vilain XIIII, tous deux représentants et les plus jeunes de l’assemblée, remplissaient les fonctions de secrétaires.
A midi et demi, M. le président propose de former, par la voie du sort, les députations qui seront chargées d’aller recevoir, à l’entrée du palais de la représentation nationale, LL. MM. le Roi et la Reine des Belges.
Cette proposition est adoptée.
Le sort amène les noms suivants :
Députation pour la reine : MM. le comte de Quarré et E. de Robiano, sénateurs ; et MM. Helias d’Huddeghem, Milcamps, Dellafaille, de Meer de Moorsel, représentants.
Députation pour le roi : MM. Vanderstraten de Penthoz, marquis d’Ennetières, comte d’Andelot, Borluut, baron Vanderlinden d’Hooghvorst, baron de Snoy, sénateurs ; et MM. Frison, Desmaisières, A. Rodenbach, d’Huart, Simons, Vuylsteke, Polfvliet, de Laminne, A. Dellafaille, le comte de Mérode, comte de Renesse, Brabant, représentants.
Les tribunes publiques sont remplies d’auditeurs ; un grand nombre de dames n’ont pu y trouver place, tant l’affluence était grande.
A une heure, des salves d’artillerie annoncent le départ du Roi et de la Reine de leur palais ; elles arrivent à celui de la représentation nationale à travers une double haie de troupes.
A une heure et un quart, la Reine est introduite. MM. les sénateurs et les représentants se lèvent : de longs applaudissements accueillent la présence de Sa Majesté.
Une tribune symétrique à celle qu’occupe la Reine est destinée au corps diplomatique : on y remarque MM. Adair, ambassadeur d’Angleterre ; comte Latour-Maubourg, ambassadeur de France ; Legare, charge d’affaires des Etats-Unis.
Le Roi, précédé de la grande députation et suivi de son état-major, entre quelques minutes après la Reine ; il est revêtu de l’uniforme de la garde civique. Il monte sur son trône, et est accueilli par de vifs applaudissements. Il s’assied, se couvre, et prononce le discours suivant :
« Messieurs,
« Cinq mois se sont à peine écoulés depuis l’époque où j’ai ouvert la dernière session, et bien que je n’aie à vous annoncer aucun fait important et de nature à modifier notre situation extérieure, j’éprouvais le besoin de me rendre au sein de cette assemblée, où je crois retrouver tout entier le peuple loyal qui me donne tant de marques de confiance et d’affection.
« La naissance d’un Prince royal est venue resserrer encore tous les liens qui unissent le trône à la nationalité belge.
« J’aime à rappeler les sentiments que vous m’avez exprimés à cette occasion, et les témoignages de sympathie que j’ai recueillis, dans cette heureuse circonstance, de toutes les parties du royaume.
« Après la conclusion de la convention du 21 mai, des négociations tendant à arriver à un traité définitif entre la Belgique et la Hollande ont été reprises ; les obstacles qui en ont amené la suspension et qui sont, comme vous le savez par des communications récentes, entièrement étrangers à mon gouvernement, n’ont pas été levés jusqu’à ce jour ; nous restons à cet égard dans la même situation.
« Je vois avec un bien vif intérêt l’amélioration de notre état intérieur. Les espérances que j’avais manifestées en ouvrant la session qui vient de finir, se sont en grande partie réalisées. Un désarmement partiel a été possible : il s’est opéré sans affaiblir l’organisation de l’armée, mais de manière à rendre à l’industrie et à l’agriculture un grand nombre de bras, dont elles éprouvaient le besoin.
« Une conséquence non moins heureuse a été de soulager sensiblement le trésor. Les réductions introduites dans le budget du département de la guerre pour 1833 seront dépassées encore dans les dépenses du même département pour 1834, toujours en maintenant l’organisation de l’armée dans la mesure que commande la sûreté du pays.
« L’instruction et la discipline de nos troupes n’ont cessé de faire des progrès que je me plais à vous signaler. L’armée a acquis ainsi de nouveaux titres à ma sollicitude. Il vous sera soumis des projets de loi pour fixer, sur des bases équitables, le sort des militaires de tous grades, dans les diverses positions où ils peuvent être placés. Je recommande à votre attention le projet de loi présenté dans la dernière session, sur la fixation des pensions militaires et sur les droits à leur obtention.
« Le développement des diverses branches de la richesse publique a exercé une heureuse influence sur les revenus de l’Etat. Le gouvernement se trouve en mesure de faire face aux dépenses de 1833 et, loin d’avoir à demander en ce moment de nouveaux sacrifices au pays pour les services de 1834, il lui est possible de diminuer les charges que ont pesé cette année sur la propriété foncière.
« Un arrangement avec la banque en sa qualité de caissier de l’ancien royaume, a mis à la disposition du gouvernement des sommes dont il a été fait immédiatement emploi dans l’intérêt du trésor, sous des réserves consenties par la société générale que témoigne de son désir d’être utile au pays.
« Il est vivement à désirer, messieurs, que votre session actuelle puisse prévenir le renouvellement du régime provisoire en matière de finances. Dans ce but, les budgets vous seront immédiatement soumis. L’examen récent des dépenses de l’année courante permettra aux chambres d’accélérer la sanction des dépenses pour l’exercice de 1834. Leur patriotisme et leurs lumières sauront toujours concilier une sage économie avec les conditions d’une bonne administration.
« Notre législation financière réclame diverses modifications. Elles n’ont pas été perdues de vue. Dans le travail auquel elles ont donné lieu, on a eu égard aux vœux et aux observations que vos débats ont fait naître.
« L’administration intérieure a continué de marcher avec l’ordre que comporte l’état provisoire des autorités provinciales et municipales. L’organisation définitive qu’il vous est réservé de donner à ces administrations particulières, imprimera une nouvelle régularité à l’administration générale.
« Le gouvernement s’attache avec constance à tous les travaux qui peuvent contribuer à l’accroissement de la prospérité publique.
« Un vaste projet de communication, déjà soumis à votre examen, et sur lequel les renseignements des principaux organes du commerce et de l’industrie ont jeté de vives lumières, deviendra bientôt la matière de vos délibérations. Le pays doit en recueillir de grands bienfaits, et nos communs travaux sur cet important objet témoigneront de la sollicitude des grands pouvoirs de l’Etat pour les intérêts matériels du royaume.
« Les arts ont pris un nouvel essor. Là encore résident de précieux éléments de nationalité. Nos annales attestent l’éclat que les artistes belges jetèrent jadis sur leur patrie, et la considération dont ils la firent jouir à l’étranger.
« Messieurs, c’est par la loyauté de sa conduite dans les négociations que le gouvernement s’est fait considérer à l’extérieur. Nos droits n’ont pas manqué d’y trouver des appuis. Cette circonstance, et la sécurité dont nous jouissons au-dedans, doivent nous rassurer sur l’avenir de notre patrie, et nous faire attendre avec confiance la fin de nos différents avec la Hollande. Je continuerai de veiller à ce que les droits de la Belgique soient maintenus conformément aux vrais intérêts du royaume.
« Je compte, messieurs, sur cette loyale et constante coopération qu’un gouvernement né de la volonté nationale, et qui eut toujours la ferme intention de s’appuyer sur elle, doit attendre des mandataires du pays. »
- Ce discours est suivi par de longues et vives acclamations.
Le Roi, suivi du même cortège se retire, et MM. les députés et sénateurs se forment en séance publique dans leurs salles respectives.
(Présidence de M. Pirson, doyen d’âge.)
MM. Liedts et Charles Vilain XIIII remplissent provisoirement les fonctions de secrétaires.
Après avoir ouvert la séance, M. le président prononce le discours suivant. - Messieurs, en montant au fauteuil , je n’ai de remerciements à faire à personne ; je dirais, pas même à l’âge qui me procure cet honneur si je regrettais la vie : mais point du tout ; si je la recommençais, je ferais ce que j’ai fait. Sans vanité, sans ambition, content de ma position, je serais toujours indépendant sous tous les régimes, et je mourrai comme j’ai vécu.
Si je n’ai point de remerciements à faire, j’ai besoin, messieurs, de toute votre indulgence. Déjà vous m’en avez donné des preuves. Je compte sur la continuation de vos bontés.
Nos opérations préliminaires seront de courte durée. Les pouvoirs de quelques membres de la chambre seulement sont à vérifier, et puis nous procéderons à la formation du bureau définitif.
Nos travaux législatifs seront d’autant plus longs qu’ils sont nombreux et importants. La nation est impatiente. Ses institutions sont incomplètes ; il faut encore qu’elle tienne l’arme au bras pour faire reconnaître son indépendance vis-à-vis de la Hollande. Sous le rapport des institutions, elle peut justement accuser le législatif s’il tarde de les lui donner dans un terme raisonnable. Il n’en est pas de même sous le rapport politique ; des tiers sont là plus ou moins intéressés à nous harceler. Je partage toutes les espérances, j’applaudis au statu quo ; mais entendons-nous : le statu quo nous est favorable si nous ne devons payer ni arriérés de la dette ni par conséquent les intérêts des arriérés à la Hollande, depuis l’époque de notre acceptation du traité du 15 novembre jusqu’à l’acceptation de la Hollande elle-même ; mais il est favorable à la Hollande si nous devions payer ces arriérés et ces intérêts. En effet, toute la fortune hollandaise consiste en capitaux qu’elle peut placer avec plus de chances de perte ailleurs qu’en Belgique, si riche par son sol ; elle trouverait ici une hypothèque réelle qu’elle ne trouverait pas ailleurs.
Elle ne demanderait donc pas mieux, je crois, que de nous prêter. Je ne doute pas que le gouvernement n’ait fait tout ce qu’il devait pour la désabuser sur ce point. C’est à lui que la constitution donne l’initiative en fait de relations extérieures ; mais c’est à la chambre des représentants que la constitution donne le droit de prononcer la première en public sur tous les intérêts financiers. Eh bien que les échos de cette tribune portent donc à la Hollande que jamais cette chambre ne consentira à payer les arriérés de la dette lui assignée, pour tout l’intervalle de notre première acceptation jusqu’à la sienne.
Nous reviendrons, j’espère, incessamment sur cette proposition. Pardon si je manque peut-être un peu à la forme : il me tardait, comme il tarde, je crois, à tous ici, d’avoir l’occasion de se prononcer énergiquement ; car ce n’est qu’au sortir de l’ornière diplomatique que nous pourrons travailler sans distraction au bien-être intérieur qui repose sur les institutions, le bon ordre et la paix.
Messieurs, nous allons tirer au sort la nomination d’une commission de sept membres pour vérifier les pouvoirs des nouveaux membres de la chambre.
M. le président tire au sort la commission qui sera chargée de la vérification des pouvoirs des députés nouvellement élus. Cette commission est composée de MM. de Sécus, Hip. Vilain XIIII, Smits, Dumont, Meeus et Liedts.
- La séance est levée.