(Moniteur belge n°243, du 31 août 1833)
(Présidence de M. Raikem)
M. Liedts fait l’appel nominal à midi et demi.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Ernst, rapporteur de la commission des pétitions, est appelé à la tribune. - La chambre, dans sa séance d’hier, a renvoyé à la commission dont je suis l’organe une pétition concernant les los-renten ; la commission ne peut que vous proposer, comme l’a fait la commission des finances, de retarder toute espèce de résolution sur cette affaire si délicate jusqu’à ce qu’il existe des arrangements définitifs avec la Hollande.
Les pétitionnaires proposent un projet de loi sur la matière. Ils demandent qu’à l’occasion de la discussion de la dette publique une somme soit fixée pour payer l’intérêt des los-renten au taux de 5 p. c.
Voici les conclusions de la commission des pétitions : donner lecture de la pétition à la chambre, et la renvoyer ensuite à la commissions des finances et au ministère des finances.
- La chambre ordonne d’abord la lecture du mémoire.
M. Ernst fait cette lecture.
- La chambre ordonne que cette pièce sera insère au Moniteur. (Note du webmaster : Cette pétition, insérée, dans le Moniteur du 31 août 1833 à la suite de cette décision, n’est pas reprise dans la présente version numérisée.)
M. de Theux. - La commission a conclu en outre au renvoi du mémoire à la commission des finances, et au ministre des finances.
M. Meeus. - Messieurs, il me paraît qu’il est essentiel que chaque membre soit éclairé sur la question relative aux los-renten : il faut que la requête soit publiée par le Moniteur ; il faut que la chambre se prononce une bonne foi, pour que l’on sache si l’on veut être juste ou renoncer à l’être.
M. de Brouckere. - Nous venons d’entendre la commission des pétitions ; son avis est que le paiement des intérêts doit être différé indéfiniment ; mais jusqu’ici l’assemblée n’a pas émis son opinion. Je désirerais, puisqu’aujourd’hui nous nous occupons de la dette, que la chambre prît une résolution sur ce point. Je voudrais que les propriétaires des los-renten sachent à quoi s’en tenir. Je me propose de prendre la parole pour traiter de la matière dans un autre sens que celui adopté par le ministre des finances et par la commission des finances. Si la chambre était décidée à admettre l’avis de la commission des finances, il serait inutile que je prisse la parole.
M. Dubus. - Je crois que la chambre ne peut prendre aucune décision, à moins qu’un membre ne fasse une proposition spéciale. Le rapport de la commission des pétitions est fait ; il n’y a à se prononcer que sur les conclusions qu’on nous soumet.
L’époque de l’année est assez avancée pour que nous ne puissions pas entreprendre l’examen d’une question ardue qui donnera lieu à de longues discussions. Nous discuterons prochainement sur le budget de 1834 ; ce sera là la place où l’on pourra entamer cette discussion.
M. de Brouckere. - Je me range volontiers à l’avis de M. Dubus, mais je m’y range dans l’espoir que le ministère nous présentera prochainement les budgets de 1834, et qu’on pourra les discuter avant le premier janvier prochain. Je renonce donc à la parole sur ce point, me réservant de la prendre lors de la discussion des budgets de l’exercice 1834.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je puis faire la promesse que le budget du département des finances sera présenté avant le 1er janvier prochain.
L’année dernière tous les budgets ont été présentés à la chambre en novembre ; je puis m’engager personnellement à mettre la même célérité dans le budget du ministère des finances.
M. Dumortier, rapporteur. - On vient de dire que les budgets seront remis avant le 1er janvier ; mais cela ne suffit pas : ils pourraient être remis le 31 décembre, et l’on ne sortirait pas, de cette manière, du provisoire qu’il faut enfin repousser.
Je crois qu’il vaudrait mieux que les ministres présentassent les budgets le jour de la séance royale. L’année dernière, les budgets ont été présentés en novembre, soit ; mais il est des articles qui n’ont été remis que dans le courant de janvier, c’est-à-dire deux mois après l’ouverture de la session.
On reproche à la chambre de ne pas marcher ; mais elle marcherait si le ministère la mettait en mesure de pouvoir marcher. Pour que les ministres ne l’empêchassent pas de marcher, il faudrait que le gouvernement déposât sur le bureau tous les budgets le jour de la séance d’ouverture de la session.
M. Gendebien. - M. le ministre des finances nous a promis de remettre les budgets avant le 1er janvier. Notre honorable collègue M. Dumortier vient de demander que les budgets soient déposés sur le bureau de la chambre le jour de la séance royale, et M. le ministre a gardé le silence. Je désire que le ministre réponde à la demande qui est faite. Il me semble qu’il n’est pas difficile, d’ici au second mardi de novembre, de préparer les budgets.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Ma réticence est facile à comprendre. S’il n’était question que de mon département, je promettrais bien d’en présenter le budget à l’époque où la chambre désire l’avoir.
Mais je ne puis prendre d’engagement pour les budgets des autres départements. De plus, il faut que les budgets spéciaux soient comparés entre eux ; il faut un ensemble dans les lois de finances. Il faut que mes collègues prennent un engagement semblable au mien, pour que le travail sur les budgets soit prêt.
M. Legrelle. - L’engagement résulte de la nature des choses. Les chambres doivent voter les subsides pour tous les exercices. Or, il faut un mois pour la discussion préparatoire du budget dans les sections ; il faut 15 jours de discussion générale en séance publique ; il faut donc, pour sortir de l’ornière où l’on nous traîne, que les budgets soient présentés le jour de l’ouverture de la session. Le moins que le ministère puisse faire, ce n’est pas de prendre un engagement qui est dans la nature des choses, mass c’est de mettre la chambre à même de remplir son mandat.
M. Dubus. - En tête des lois de finances présentées par le gouvernement, les ministres déclarent que la présentation du budget de 1834 suivra de près l’adoption du budget de 1833. Si les ministres remplissaient leurs engagements, remplissaient leurs devoirs, le budget de 1834 devrait être présenté dans cette session même.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je ne puis que reconnaître la justesse des observations qu’on vient de faire. Je ferai tout ce que la chambre voudra ; je présenterai mon budget dans cette session s’il le faut ; mais je ne puis prendre d’engagements que pour moi.
M. de Brouckere. - Ce que vient de dire M. le ministre ad interim, prouve ce que j’ai dit hier ; que nous avons des administrateurs et point de gouvernement, point de ministère. M. le ministre de la justice, qui est le chef du cabinet, devrait avoir le courage de répondre aux questions qui sont faites.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - J’ai d’abord deux courtes observations à faire à la chambre. La première, c’est que je ne crois pas qu’il y ait du courage à prendre part à la discussion qui a lieu ; la seconde, c’est que je ne puis parler comme président du conseil, attendu qu’il n’existe pas de président du conseil.
D’après ce que vous entendez, il semblerait que le provisoire est la règle que préfère l’administration financière ; mais le ministère tout entier souffre plus que qui que ce soit d’un régime provisoire qui jette de la perturbation dans l’administration, et qui entretient des inquiétudes dans l’esprit de chaque fonctionnaire, depuis le plus élevé jusqu’au plus infime, sur le sort qui lui est réservé.
Le gouvernement est le principal intéressé à présenter les budgets le plus tôt possible. Je m’engage volontiers, quant à moi, à déposer le budget de mon département sur le bureau le jour de l’ouverture de la session prochaine. Si même nous avions l’espoir de conserver les chambres en nombre après le courant du mois qui va s’ouvrir, nous n’hésiterions pas à présenter le budget de 1834 ; et pour peu que la chambre manifestât le désir de s’occuper du budget de l’exercice prochain, nous prendrions, nous, l’engagement de le lui présenter avant la clôture de cette session.
- La pétition sur les los-renten, est renvoyée à la commission des finances et au ministre des finances.
M. le président. - La parole est à M. le ministre des finances.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, la section centrale, en vous soumettant son rapport sur le budget de la dette publique, a cru devoir le faire précéder d’un aperçu sur la situation financière du pays.
Je suis loin de me plaindre de cette circonstance qui, en appelant l’attention des membres de cette honorable assemblée sur cette partie importante de l’action du gouvernement, me met à même de faire de nouveau ressortir combien les résultats effectifs sont loin des prévisions qui, tant de fois, ont effrayé le pays sur son avenir.
Certes, messieurs, aucun de vous n’a pensé que le maintien de notre armée sur un pied de guerre formidable, pendant la durée de trois années, laisserait disponibles des sommes assez majeures pour solder les charges qui nous ont été imposées, et qui sont en quelque sorte le prix de la paix.
Aussi n’a-t-on jamais considéré l’arriéré de la dette hollandaise comme un déficit auquel on eût dû pourvoir au moyen des ressources ordinaires, mais bien comme un objet en litige, sur l’importance duquel il y aurait lieu d’établir de justes réclamations, et dont l’apurement devait se combiner avec la liquidation générale entre la Belgique et la Hollande, liquidation dont les résultats ne pouvait venir qu’en déduction de ce que nous serions reconnus débiteurs. (Traité du 15 novembre 1831, article 13, paragraphe 5.)
La représentation nationale, tout en votant au budget des dépenses de 1832 l’arriéré et l’annuité de la dette hollandaise, n’a point pour cela accordé les ressources nécessaires pour les couvrir parce que s’il était de la bonne foi de se reconnaître débiteur des charges que nous avions acceptées et consenties, il eût été imprudent de se mettre d’une manière onéreuse en mesure de les acquitter, avant que d’être assuré que la partie adverse remplirait celles qui lui incombaient.
C’est donc avec connaissance de cause et avec sagesse que les chambres et le gouvernement ont laissé en litige cette partie des dépenses publiques, qui ne peut, à la fin de l’exercice 1833, dépasser la somme de 54,712,224 fr. 34 c., et qui, au contraire, selon toutes les probabilités, doit, si elle n’est point entièrement annulées, au moins s’amoindrir :
1° du montant des répétitions que nous aurons à faire pour le maintien forcé de notre armée sur le pied de guerre, et pour la non-jouissance des avantages commerciaux qui nous étaient concédés ;
2° du boni de la liquidation du syndicat et de la banque, et des avances que nous avons faites pour intérêts des cautionnements consignations, etc.
Si donc le découvert du trésor se borne au résultat de ces compensations, la chambre et le pays non seulement n’auront pas lieu de s’étonner ou de se plaindre, mais ils devront, au contraire, se féliciter de ce qu’avec aussi peu de sacrifices réels et une aussi légère portion d’impôt (19 fr. 50 c. par tête, année moyenne), la Belgique ait pu fonder son indépendance et traverser trois années remplies de difficultés et d’événements graves.
Or, je crois pouvoir établir que là, en effet, se bornera, à la fin de 1833, le découvert du trésor, improprement appelé déficit, et renverser ainsi le calcul de la section centrale, qui porte ce découvert à la somme de 85,969,000 fr.
En effet, les dépenses autorisées par les chambres s’élèvent :
pour 1830, à fr. 28,454,344 10 c.
pour 1831, à fr. 115,776,286 52 c.
pour 1832, à fr. 203,972,286 68 c.
Ensemble, à fr. 348,972,286 68 c.
Le budget de 1833 est de fr. 98,737,296 25 c.
Total : fr. 446,940,217 55 c.
(Je ne porte ici que pour mémoire la demande de 3,895,493 fr. 73 c., faite par le ministre de la guerre, le 2 août dernier, pour solde des exercices 1830 et 1831, cette somme étant déjà distraite des excédants de crédit restant disponibles au budget de la guerre de 1832.)
Mais de ce chiffre l’on doit retrancher :
1° le crédit voté au budget de 1832 pour la dette hollandaise, déduction faite de ce qui a été payé pour intérêts inscrits au livre auxiliaire : fr. 37,546,340 74 c.
2° environ 8 millions excédants de crédits qui ne seront pas employés sur 1831 et 1832, après en avoir déduit les 3,895,463 fr. 73 c. demandé par le ministre de la guerre : fr. 8,000,000
Les dépenses réelles de ces trois exercices ne sont donc que de fr. 401,393,877 81 c.
Les revenus effectifs recouvrés au 1er mai 1833 sont :
pour 1830, fr. 28,453,221 61 c.
pour 1831, fr. 112,636,639 04 c.
pour 1832, fr. 147,774,443 24 c.
Ensemble, fr. 288,864,308 89 c.
Ceux restant à recouvrer à la même époque étaient :
pour 1830, (mémoire)
pour 1831, fr. 2,197,434 39
pour 1832, fr. 5,765,801 62 c.
Ensemble : fr. 7,963,326 01 c.
Les revenus ordinaires de 1833 déjà rentrés jusqu’à concurrence d’une somme de 53,000,000 atteindront : fr. 88,500,000
Le capital de la dette flottante mis à la disposition du gouvernement par la loi du 16 février dernier : fr. 15,000,000.
Total des recettes : fr. 400,327,629 90 c.
La différence entre la recette et la dépense, pour ces quatre exercices, n’est donc que de fr. 1,066,247 91 c.
Et vous supposerez facilement avec moi, messieurs, que les excédants du budget que vous discutez, sur les sommes qui seront réellement dépensées, couvriront, et au-delà, cette différence, puisque tous les crédits ne sont jamais épuisés.
Ce résumé si simple des chiffres effectifs de la trésorerie générale ou d’appréciations modérées, qui ne subiront de variations qu’en faveur du trésor, démontre à l’évidence que le service des finances ne laisse aucun déficit à redouter. L’erreur de la section centrale provient, à cet égard, de ce qu’elle a admis le passif de la situation du trésor, sans le compenser par l’actif.
Si l’on m’objectait que le capital des bons du trésor ne forme pas une ressource, et que leur extinction ouvrira un déficit égal à ce capital, je répondrais que c’est là une grave erreur : en effet, si le renouvellement des 15 millions de bons du trésor n’est pas une ressource pour l’avenir, du moins le produit de la première émission est une recette réelle, comme le résultat de la négociation d’un tout autre emprunt.
Cette dette s’amortit momentanément, se renouvelle avec les besoins du trésor, mais ne dépasse jamais la limite fixée par la loi ; et loin d’être, ainsi que le dit le rapporteur de la section centrale, « la source d’une ruine inévitable lorsqu’elle est prolongée » (expressions modérées, si on les compare à celles de « théorie de la banqueroute subversive du crédit public, destructive de tout crédit privé, » et autres, dont cette opération fut qualifiée), elle est, au contraire, pour le trésor, un moyen de ne point y conserver de fonds improductifs, et une garantie de la non-interruption du service, surtout au moment du passage d’un exercice à un autre.
En tous cas, quel que soit le sort qu’on réserve à cette institution financière, les 15 millions qui ont été votés par la loi du 16 février dernier, l’ont été comme ressource, comme voies et moyens pour aider à effectuer les dépenses de 1833, et l’on ne peut pas plus les considérer comme déficit qu’on ne peut envisager comme tel le capital nominal de l’emprunt de 48 millions de florins.
Le déficit annuel de plus de 8 millions, que prévoit la section centrale, ne me paraît pas plus fondé.
En jetant un coup d’œil attentif sur le budget de 1833, il est facile de se convaincre que dans la circonstance de paix où nous suppose cette section pour 1834, il y aurait lieu de déduire des dépenses, non seulement les 527,797 francs provenant de la cession des territoires, et les 30 millions de la suppression du pied de guerre, mais encore 2 autres millions de dépenses extraordinaires dans lesquels figurent les polders pour 900,000 fr., les avances à faire pour consignations, intérêts de cautionnements, etc., etc.
Le budget ordinaire se réduira donc à la somme ronde de fr. 66,000,00
En y ajoutant la dette due à la Hollande, fr. 17,000,000
Et même un chiffre de deux millions pour intérêt d’un emprunt éventuel destiné à couvrir, s’il y a lieu, le reliquat de l’arriéré de cette dette après compensation, fr. 2,000,000,
Je ne trouve que fr. 85,000,000, somme à laquelle atteindront sans effort les produits des impôts, toujours dans la supposition de l’état de paix.
Je ferai remarquer, en outre, que le budget de la guerre sur pied de paix est, dans ce calcul, porté à 25,000,000, et qu’il est probable qu’après quelques années de transition, il sera réduit à une somme inférieure.
Je ne relèverai ni l’erreur de 1,000,000 fr. dans l’addition du déficit de 85,960,000 fr. (page 4 du rapport), ni celle d’une même somme qui résulte de ce que la section suppose plus loin le remboursement intégral des 15 millions de bons du trésor, et laisse subsister la dépense annuelle des intérêts de la dette flottante. L’ensemble du calcul est trop peu exact pour en rectifier les éléments.
Il est certain que si, pour l’amélioration du bien-être matériel, ou pour effacer les dernières traces de nos commotions politiques, vous décrétez l’établissement d’un chemin de fer, et l’indemnité des dégâts commis par les Hollandais, il y aura lieu de majorer le chiffre du budget ; mais la première de ces choses n’est qu’un placement de fonds avantageux et productif, la seconde qu’un acte de justice et d’humanité peu coûteux, et pour l’accomplissement duquel on supporterait, sans murmures, une minime augmentation d’impôt, si elle était nécessaire. Je ne présume pas que l’intérêt de cette indemnité s’élève à plus de 7 à 800,000 fr.
Le rapport dit, page 3 : « Depuis 3 ans nous ne faisons que voter des crédits et des dépenses, des impôts et des recettes, etc. »
Devrais-je rappeler, messieurs, que, loin d’avoir voté des impôts nouveaux, le gouvernement provisoire et les diverses législatures qui ont siégé dans cette enceinte depuis la révolution, ont réduit ou supprimé des taxes pour une valeur annuelle de plus de 12 millions, et que la loi nouvelle des distilleries les diminue encore de 2 autres millions, tandis que les 40 centimes additionnels sur les contributions ne les ont augmentés temporairement que de 7 millions.
Le reproche de la section centrale n’est donc pas plus mérité par les chambres que par les ministres.
Le gouvernement moins que qui que ce soit, n’a intérêt à dissimuler les faits et leurs conséquences, et la publication de pièces nombreuses a mis à nu, pour qui veut s’en occuper, la situation des finances de la Belgique. Je ne crois pas, messieurs, qu’il puisse être fait à ma gestion le blâme d’avoir celé à la représentation nationale la situation de la fortune publique.
Il y a peu d’exactitude à rappeler, et le sinistre pronostic du 17 février 1832 et la réponse du ministre, comme le fait la section centrale. Il suffira de se mettre sous les yeux ces deux documents pour justifier pleinement les calculs qui furent produits dans la réplique à laquelle il est fait allusion.
J’ajouterai que les domaines, dont la vente avait alors paru nécessaire, ont été conservés, et que cette valeur est intacte en nos mains.
Ayant ainsi rétabli les faits généraux, je passe aux observations sur les détails.
Il est vrai que certaines dépenses du ministère des finances s’effectuent sous la responsabilité du ministre avant que le visa de la cour des comptes ait été apposé sur les pièces comptables.
La cour elle-même a reconnu le 4 mars 1831, qu’il n’était pas possible d’en agir autrement et a proposé, pour obvier à la difficulté, le visa préalable de demandes de paiement par anticipation, ou ouverture de crédit dont elle régularise l’emploi sur le vu des pièces justificatives. Mais de cette difficulté d’exécution de l’article 4 de la loi du 30 décembre 1830, il ne résulte pas, comme dit le rapport, que le ministre dispose à son gré sur les caisses publiques. La loi et ses articles le lient, et il serait plus qu’imprudent s’il les dépassait, ce que la cour d’ailleurs, ne souffrirait pas. On s’occupe, au reste, de remédier à cette apparente irrégularité.
Je ne saurais passer sous silence la singulière réflexion qui suit la comparaison de la situation de la dette publique, aux différentes époques où le budget vous fut présenté ; loin de s’accroître successivement, ainsi que le dit le rapport, cette dette, qui n’était pas seulement originairement formée des pensions, et qui s’élevait, pour 1832, à plus de 45 millions, n’est plus aujourd’hui, même en y comprenant la dette hollandaise dans son intégralité, que de 28,400,000 fr.
Cette remarque n’a rien d’important en elle-même, car si la dette publique est le résultat de notre situation politique, elle est aussi le résultat de notre indépendance. Personne, d’ailleurs, plus que moi, ne désire la voir réduire à un chiffre moins élevé.
La proposition de formuler, autrement qu’ils ne le sont, les articles relatifs à l’intérêt, la dotation et les frais de l’emprunt de 48 millions de florins, vous est faite d’un commun accord entre le ministre et la section centrale. Toutefois le chiffre de 100,000 fr. pour frais relatifs au paiement des intérêts et de l’amortissement, est inférieur aux nécessités, et je me réserve d’en demander la majoration lors de la discussion de l’article.
La somme d’un million demandée pour les intérêts et frais de la dette flottante est fixée conformément à la loi du 16 février. Elle ne sera point absorbée, puisque même la première émission n’a point été faite aux taux permis par cette loi ; en outre, une échéance est payée, la seconde le sera incessamment, et les besoins du trésor n’ont pas encore exigé qu’il soit émis de nouveaux bons.
Je demande toutefois avec la section centrale, le maintien du chiffre d’un million au budget pour la régularité de la comptabilité et pour qu’il ne soit pas porté d’atteinte indirecte au taux d’intérêt et de négociation fixé par la loi.
C’est encore d’un commun accord avec la section centrale que les intérêts de cautionnements nouveaux sont portés au budget des dépenses, comme les intérêts des obligations d’emprunt, achetées avec le capital de ces cautionnements, figureront au budget des voies et moyens ; de cette sorte, l’excédant de ces derniers, formant un bénéfice pour l’Etat sera facilement apprécié par la législature, et la cour des comptes prendra légalement connaissance des recettes, paiements et mutations de cette institution.
Le ministre n’ignorait pas, messieurs, que les pensions résultant de l’organisation judiciaire s’élevaient à plus de 40 mille fr. ; mais comme des réductions pouvaient se faire sur d’autres allocations pour pensions, il n’a été demandé que 25 mille fr. de plus qu’au budget présenté pour 1833, et il vous a été dit que cette augmentation de 25 mille fr. avait sa source dans les admissions à la retraite qui résultaient de l’organisation judiciaire. Ceci est un fait que les chiffres fournis au budget et à la section centrale établissent à l’évidence, et il est peu concevable qu’après des explications aussi précises, la section centrale dise : « Le ministre s’est trompé en portant à 25,000 fr. les pensions accordées par l’organisation judiciaire. » Le ministre ne s’est pas trompé, messieurs et dans le cas où des doutes auraient pu s’élever sur cet article, les explications claires et les documents authentiques fournis à la section centrale auraient dû les dissiper.
La liste des titulaires au traitement d'attente a été mise sous les yeux de la section centrale. Elle a pu juger par elle-même de l’impossibilité à peu près absolue soit de les replacer, soit de les admettre à la pension. L’intention manifestée par l’honorable M. de Brouckere au congrès national, et dont la section centrale rapporte la manifestation, était celle du congrès, je veux bien le croire, quoique le congrès se soit refusé à se prêter à sa mise à exécution lorsque l’honorable M. C. de Brouckere lui présenta le budget de 1831, dans lequel il proposait de supprimer les suppléments (toelagen) des anciens receveurs généraux, aujourd’hui administrateurs du trésor, en augmentant leurs traitements, de manière toutefois à ce qu’il y eut économie pour le trésor.
Quant à la représentation nationale la pensée du congrès a nécessairement cessé d’être la sienne, puisqu’en acceptant le traité du 15 novembre, elle a consacré les droits des titulaires.
Ce n’est point sur le gouvernement que retombe la critique faite par la section centrale de la répartition des 30,000 fl. alloués provisoirement pour les traitements d’attente, et ce, jusqu’à ce qu’une décision définitive soit prise sur cet objet. L’honorable M. Coghen, alors ministre des finances, répudiant la responsabilité morale d’une telle répartition qui ne pouvait s’effectuer qu’en recherchant la fortune des ayants-droit, demanda à la chambre de nommer une commission pour cet objet ; mais sur l’observation que cet acte rentrait dans le domaine du pouvoir exécutif, une réunion de cinq représentants eut lieu à l’invitation du ministre et ils procédèrent à cette répartition.
Je suis de nouveau surpris de la rigueur de la section centrale à l’égard de la caisse de retraite. Ce n’est pas du fait du conseil d’administration de cette caisse que le fonds qu’elle possède se trouve retenu en Hollande ; y aurait-il justice à lui imposer le paiement des pensions accordées antérieurement à la révolution, sans la mettre à même de rentrer dans le capital qui devait servir à les acquitter, ou au moins, sans lui faire les avances nécessaires pour remplir des charges qui ne lui incombent plus ?
Elever la retenue à cinq pour cent sur les traitements au-dessus de 1,200 francs, serait faire payer le déficit à qui ne le doit pas, et cette mesure injuste n’atteindrait même pas son but, puisqu’elle ne produirait qu’un supplément d’environ 80,000 francs qui, avec le subside alloué par la section centrale, ne formerait que 280,000 francs, tandis qu’il en est demandé et qu’il est indispensable d’en obtenir 380,000. Comment donc sera-t-il possible de parfaire cette somme ? La section n’aurait-elle pas dû en indiquer les moyens ?
Je réserve pour la discussion des articles diverses objections de détail ; mon but n’a été que de prémunir la chambre et la nation contre l’effet fâcheux qu’ont dû produire la lecture et la publication du rapport de la section centrale sur le crédit et la confiance publics : j’ose espérer l’avoir atteint ; car, en présence de l’évidence de mes chiffres, le chimérique déficit de la section centrale ne saurait subsister.
M. Legrelle (pour une motion d’ordre). - Il faudrait que ce nouveau rapport fût imprimé ; nous n’en pouvons saisir les détails à une semblable lecture.
M. Dumortier, rapporteur. - Ce discours aurait dû être déposé hier sur le bureau pour être livré à l’impression ; comment peut-on le comprendre sans l’avoir sous les yeux ? Moi, rapporteur, je ne pourrai répondre aux chiffres qu’il contient. Je le répète, ce discours, qui fait évidemment partie de la discussion générale aurait dû être communiqué dès hier pour que nous pussions discuter aujourd’hui.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Nous sommes à la discussion de la dette publique, et je réponds, chapitre par chapitre à ce qui a été écrit dans le rapport de la section centrale ; je n’ai pas voulu rentrer dans la discussion générale des budgets ; mai j’ai dû suivre la section centrale sur le terrain qu’elle a parcouru.
M. de Brouckere. - Je regrette que le ministre n’ait pas lu son discours dans la séance d’hier. Son discours est relatif à une discussion générale, car tous les raisonnements du ministre embrassent l’ensemble des budgets spéciaux. Je ne sais pas trop comment nous discuterions les points traités par le ministre, alors qu’il est impossible de saisir les calculs qu’il est venu nous présenter. Son but est de prémunir la chambre et la nation contre les impressions fâcheuses qu’aurait pu produire la lecture du rapport de la section centrale ; mais je déclare que je ne suis pas prémuni, puisque je ne puis apprécier l’exactitude de ce qui vient d’être avancé.
Il n’est pas possible d’entamer actuellement une discussion sur les matières traitées aujourd’hui dans le discours qu’on vient d’entendre.
Cependant, je dois réfuter une erreur qui vient d’être énoncée. S’il faut croire le ministre des finances ; il y a eu une commission composée de cinq membres de la chambre, laquelle aurait été chargée de faire la répartition de 30 mille florins entre les personnes jouissant de pensions accordées par la Hollande. J’ai été membre de cette commission ; je déclare que tous ses membres ont refusé de faire la répartition et qu’ils se sont bornés à donner leur avis.
M. le ministre des finances, qui ne voulait pas encourir la responsabilité résultant de la distribution, insistait pour en charger la commission ; mais il fut forcé d’encourir cette responsabilité, car la commission ne voulut pas se charger d’une opération qui appartient évidemment à l’administration et non aux membres de la représentation nationale. Quoi qu’il en soit, relativement aux pensions, je présenterai un amendement pour que les pensions soient toutes payées, malgré les conclusions de la commission et malgré les dispositions du ministre qui n’en a payé que la moitié.
M. Gendebien. - J’étais membre, non d’une commission, mais d’une réunion officieusement établie près du ministère, pour donner son avis sur la répartition des 30 mille florins entre les pensionnaires. C’était pour l’année courante et non pour l’avenir que nous devions donner notre avis ; nous l’avons donné pour un seul exercice, et il n’y a pas de conséquences à en tirer pour les exercices subséquents ; car il a été donné en prenant en considération la situation de la fortune des réclamants ; cette situation évidemment mobile a dû changer.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Mon rapport a dû être identique avec celui de la section centrale ; j’ai suivi fidèlement les questions qu’elle a soulevées, et par là je crois n’être pas sorti d’une spécialité. Je maintiens qu’il y a autant de chiffres dans le rapport de la section centrale que dans ma réponse. Je pense avec M. de Brouckere qu’on ne peut rien faire sans comparer ces chiffres à ceux de la section centrale ; mais j’insiste sur cette vérité, que j’ai suivi la section centrale pas à pas ; que si je suis entré dans quelques détails sur les recettes et les dépenses des exercices précédents, c’est parce que M. le rapporteur y est lui même entré, et de cette manière j’ai présenté une sorte d’aperçu de la situation financière de l’Etat.
Quant à la répartition de la somme votée pour les traitements d’attente, je suis loin de nier ce qui vient d’être dit cet égard. Cinq membres de la chambre ont eu l’extrême obligeance de préparer le travail du ministre : si je me suis trompé dans l’énonciation de quelques faits je prie la chambre de m’en excuser ; je n’étais pas ministre à l’époque que ces faits rappellent.
M. Dumortier, rapporteur. - J’étais loin de m’attendre que le ministre des finances viendrait aujourd’hui lire le discours que vous venez d’entendre et qu’il a eu le loisir de faire. S’il l’avait lu hier, nous aurions répondu aujourd’hui. Ce discours porte sur une discussion tout à fait générale, puisqu’il traite de la situation de nos finances, M. le ministre, pour n’être pas contredit, a pris le moyen tout simple de ne faire connaître son élucubration que le jour du débat. Cependant j’essaierai de répondre à quelques points principaux, si je ne puis répondre aux détails…
M. de Brouckere. - Il vaut beaucoup mieux remettre la discussion à demain ; car si M. Dumortier répond au ministre, celui-ci voudra répliquer, et il n’y aura que deux membres qui comprendront le débat. La section centrale, dans une espèce de préface comme elle l’a dit, a présenté un aperçu de la situation financière de la Belgique ; elle a suivi la marche qu’elle devait suivre ; et pour ne pas nous écarter de la ligne qu’elle a tracée, remettons la discussion générale sur la dette à demain.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Les reproches que l’on m’a adressés tombent à faux, je ne pouvais présenter mon discours hier, car j’y travaillais encore aujourd’hui ; j’ai employé toute la matinée à le terminer.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Le ministre des finances a suivi les antécédents de la chambre. Voici une distinction qu’il me semble qu’on n’a pas assez appréciée. La délibération sur les budgets est toujours précédée d’une discussion générale qui embrasse des questions de politique et d’administrations, et c’est à ce point que l’honorable préopinant, M. de Brouckere, a prononcé hier un discours qui contient la critique de la conduite du ministère sous le rapport politique et sous le rapport administratif.
Cette discussion générale a été close hier : résulte-t-il de là qu’aucune discussion ne puisse s’ouvrir ? Évidemment non : une discussion générale doit avoir lieu sur chaque budget ; et l’on a très bien fait observer hier que la clôture de la discussion générale n’enlevait pas le droit de présenter des observations générales sur un budget spécial. Cela est si vrai, que l’honorable M. Dumortier s’est réservé la faculté de faire des interpellations au ministère lorsque la délibération sera parvenue aux affaires étrangères.
Eh bien ! c’est sur une question générale relative au budget de la dette publique que le ministre des finances a répondu.
Le rapport de la section centrale est à peine connu, cependant le ministre a cru devoir le suivre pas à pas. Si l’on veut, pour être mieux éclairé, remettre à un autre moment cette discussion, rien n’en empêche ; mais le ministre était dans son droit en répondant aujourd’hui à ce qui a été allégué à l’occasion de la dette publique ; rien ne l’obligeait à répondre hier puisque ce budget particulier n’était pas en délibération.
On peut, comme on le propose, renvoyer la suite de cette discussion générale de la dette à demain, et mettre aujourd’hui en délibération les articles. (Appuyé ! appuyé !)
M. Legrelle. - Nous sommes d’accord ; discutons les articles.
M. Dumortier, rapporteur. - Les précédents de la chambre ne sont pas conformes à la conduite tenue en cette occasion par le ministre des finances ; et je ne puis qu’exprimer de nouveau le regret de ce qu’il n’a pas lu son rapport dans la séance d’hier, puisque le rapport s’applique à la discussion générale.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je ne reconnais pas cela !
M. Dumortier, rapporteur. - La discussion générale va recommencer aujourd’hui, nonobstant celle qui a eu lieu hier.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je ne pouvais pas faire mon rapport hier, puisque mon travail n’était pas terminé ; ce matin encore j’ai travaillé longtemps. Indépendamment de cette circonstance, je crois que ce rapport a été présenté en son lieu et place aujourd’hui. Si j’ai tracé une situation du trésor, c’est que je devais réfuter les erreurs qui se trouvent dans un tableau que l’on a fait de cette situation.
M. Meeus. - Il est essentiel de renvoyer la discussion à demain. Il est impossible de voter les différents articles de la dette, si l’on ne compare pas le rapport de la section centrale à celui du ministre des finances. Je crois qu’il y a de l’exagération dans les assertions de la section centrale. Non, notre situation financière n’est pas en aussi mauvais état que M. le rapporteur vent le faire croire. Pour bien apprécier notre situation, il faut savoir si les arrérages de la dette à la Hollande seront payés.
En définitive il ne s’agit pas de dire que 54 millions restent en litige ; s’ils devaient rester en litige pour charger notre avenir, il faudrait préparer les sommes nécessaires pour en payer une partie ; mais il est de toute justice que la Hollande, par suite des dépenses énormes qu’elle nous a forcés de faire depuis trois ans, ne reçoive rien pour les arrérages de ces trois années ni pour les arrérages courants. Ce principe une fois posé, les conclusions de la commission sont erronées.
Il faudra demain entamer la discussion sous ce point de vue, et je me propose de prendre la parole sur cette question.
M. Pirson. - On ne sait pas trop sur quoi nous discutons maintenant. On veut ajourner la discussion sur la dette publique à demain ; cependant il me paraît qu’on pourrait dès aujourd’hui présenter des considérations générales sur cette matière. J’en ai quelques-unes à lui soumettre... (Bruit.)
Je voulais demander à l’assemblée si elle voulait faire un nouveau dictionnaire ; car, pour discuter le fond des choses, il faut s’entendre sur les mots. En 1814 et 1815, on nous disait que la conscription serait abolie, et nous avons eu les milices ; on nous disait que les droits réunis seraient abolis et nous avons eu les accises ; on nous disait qu’il n y aurait plus de dette, et l’on parle maintenant de découvert... (Bruit ; interruption.)
M. le président. - Vous allez discuter la dette ; il ne s’agit maintenant que d’une motion d’ordre.
M. Legrelle. - Il est certain comme l’a dit M. le ministre de la justice, qu’indépendamment de la discussion générale sur l’ensemble des budgets, il doit y avoir une discussion générale sur chaque budget ou spécialité, et c’est de cette dernière que nous avons à nous occuper maintenant. Eh bien M. Dumortier a déclaré qu’il était prêt à répondre à M. le ministre des finances à l’instant même. C’est pour cela que nous avions renoncé à la parole sur la motion d’ordre, quand M. le rapporteur nous y a fait rentrer, en nous entretenant d’une question de forme. En conséquence, je propose, pour ne pas perdre un temps précieux, d’en revenir à la discussion du fonds.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la motion d’ordre de M. de Brouckere, consistant à faire ajourner à demain la discussion générale de la dette publique.
M. de Brouckere. - Pardon ! M. le président, ce n’est pas dans ce sens que j’ai fait ma motion. Ou l’on ne me comprend pas, ou l’on ne veut pas me comprendre. Je sais bien qu’il doit y avoir après la discussion sur l’ensemble des budgets une discussion générale sur chaque budget en particulier ; mais je soutiens que le ministre des finances ne s’est pas attaché à la discussion d’un seul budget, celui de la dette publique ; il s’est occupé de tous les budgets ; d’où il résulte que contre son gré, j’en suis sûr, il nous a fait rentrer dans la discussion générale close hier. Vouloir maintenant arriver au budget de la dette publique avant d’avoir terminé ce qui a rapport à son discours, c’est vouloir, permettez-moi de le dire, atteler la charrue avant les bœufs.
Ma motion tend donc à ce qu’on remette à demain la discussion sur le discours de M. le ministre des finances.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il paraît, messieurs, que nous sommes tous d’accord sur la convenance d’une discussion générale appliquée à chacun des budgets sur lesquels des rapports spéciaux ont été présentés à la chambre. Si M. le ministre des finances s’était borné à suivre pas à pas le rapport sur la dette publique, on conviendra qu’il se serait renfermé dans la spécialité à l’ordre du jour. Or, à cette partie de son discours qui s’applique à la réfutation du rapport de l’honorable M. Dumortier, je crois qu’on peut aussi appliquer une discussion générale, et c’est après que cette discussion générale aura eu lieu, qu’on abordera les articles. Si tous les membres déclaraient être dans l’impossibilité de répondre à M. le ministre des finances, je concevrais la demande d’une remise à demain.
Mais l’honorable M. Dumortier, qui se déclare à même de répondre immédiatement, peut continuer la discussion générale, sans qu’il en résulte pour cela que cette discussion soit close. Si, après l’avoir entendu, la chambre veut ajourner à demain, libre à elle de le faire, et même ensuite, pour ne pas perdre de temps, vous auriez à voir s'il ne conviendrait pas de passer au budget des dotations. Je demande donc que sans rien préjuger sur la clôture de la discussion générale, on accorde la parole à M. Dumortier, sauf à continuer la discussion à demain après l’avoir entendu, et que s’il reste du temps, on passe à la discussion du budget des dotations.
M. Gendebien. - Je ne m’oppose pas à ce que l’on passe au budget des dotations ; ce serait un moyen d’économiser un temps précieux que M. le ministre des finances a failli nous faire perdre. Mais je dois répondre à une observation de M. le ministre de la justice.
En disant que rien n’empêchait d’entendre la réponse de M. Dumortier, il avait probablement perdu de vue que toute l’assemblée a senti la nécessité de faire imprimer et de lire attentivement le discours de son collègue. Eh bien, par la même raison, il est indispensable de remettre à demain la réponse de M. Dumortier ; car, quelque lucide qu’elle puisse être pour M. Dumortier et pour M. le ministre des finances, il est certain que nous, qui n’avons pas compris le premier discours, nous ne comprendrions pas le second ; de sorte qu’il s’établirait, ainsi que M. de Brouckere l’a fait observer, une discussion entre deux membres de cette chambre, sans que nous pussions dire qui a raison.
M. Dumortier, rapporteur. - Lorsque j’ai annoncé que j’étais prêt à répondre à M. le ministre des finances, vous entendez bien qu’il ne s’agissait pas de chiffres, car cela serait maintenant impossible ; mais je voulais détruire les positions sur lesquelles il a basé ces chiffres.
- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !
- D’autres voix. - Passons aux dotations.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la motion d’ordre de M. de Brouckere.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ne tiens pas aux mots, mais je ferai observer qu’on n’établit pas une discussion sur un discours. La motion ne peut être admise dans les termes où elle est conçue.
M. de Brouckere. - C’est avec intention que je me suis servi de ces termes. Quant à moi, j’attache beaucoup d’importance aux mots, parce qu’ils représentent les idées.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je répète pour la troisième fois que je suis resté dans les termes du rapport de la section centrale, il m’a servi de modèle. (Aux voix ! aux voix !)
M. Coghen. - Messieurs, on a fait un rapport sur le budget de la dette publique. Le ministre y a répondu. Il est impossible à une simple lecture de saisir les chiffres contenus dans le discours que nous avons entendu et d’émettre à cet égard une opinion raisonnée. Je désire qu’on remette à demain cette discussion, et qu’on passe aux dotations. (Appuyé ! appuyé !... Non ! non ! laissez parler M. Dumortier !)
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) - Il me semble que demain la même difficulté se représentera, car nous ne pourrons saisir les chiffres que nous présentera M. Dumortier. Il serait beaucoup plus simple d’entendre cet honorable membre immédiatement, et que son discours fût imprimé avec celui de M. le ministre des finances. (Aux voix ! aux voix !)
- La motion d’ordre de M. Brouckere, consistant à remettre à demain la discussion sur le discours de M. le ministre des finances, est mise aux voix et rejetée.
M. Dumortier, rapporteur. - Messieurs, en prenant la parole pour répondre à M. le ministre des finances, je n’ai point l’intention de saisir au passage les chiffres du discours que vous avez entendu ; mais, pour établir ces chiffres, M. le ministre des finances a pris certaines positions que je ne puis admettre, et c’est sur ces points que je vais lui répondre.
D’abord, comme l’a très bien fait observer l’honorable M. Meeus, toute la question du déficit du trésor public se résume pour la plus grande partie en celle de savoir si la Belgique sera ou ne sera pas tenue de payer à la Hollande les arriérés de la dette qui nous a été imposée par la conférence ; ensuite si la Belgique n’a pas le droit de faire valoir en déduction les dépenses auxquelles elle a été obligée pour maintenir une armée considérable sur le pied de guerre. Depuis trois années, alors que nous avons consenti à tous les sacrifices afin d’obtenir la reconnaissance du roi Guillaume, reconnaissance qui nous a été refusée.
Messieurs, vous connaissez assez mon opinion à cet égard. Je désire vivement que notre gouvernement déclare, d’une manière ferme et positive à la conférence, que jamais et dans aucune circonstance il ne consentira à payer à la Hollande ces arriérés.
S’il était venu nous dire qu’il avait fait cette déclaration aux puissances en s’appuyant sur les charges énormes que nous impose le maintien de notre armée sur le pied de guerre, alors nous aurions mauvaise grâce à mettre ces arriérés dans le montant du déficit. Mais il n’en est pas ainsi. Vous avez entendu au contraire dans le discours du trône que le traité des 24 articles est resté intact. Eh bien, c’est en présence de cette déclaration formelle que je suis venu, moi, vous faire un rapport comme organe de la section centrale. Pouvions-nous, en présence d’une pareille déclaration, sortir des positions dans lesquelles s’était placé le gouvernement ? Non, messieurs, et si je n’avais pas fait figurer dans ce rapport les arriérés de la dette à laquelle nous sommes tenus par les 24 articles, je me fusse trouvé en contradiction avec le discours de la couronne. Le ministre le sent tellement bien qu’il vient de nous dire que cet objet important restera en litige ; eh bien, pour moi ce litige équivaut à une reconnaissance de paiement.
C’est, je le répète, au gouvernement à soutenir auprès de la conférence les droits de la Belgique, non pas en conservant la dette en litige, non pas en suppliant ou par des pétitions, mais par une déclaration franche et énergique
Vous vous souvenez, messieurs, que quand le gouvernement a adressé une pétition a la conférence pour être débarrassé des arriérés dont il s’agit, il a vu repousser sa demande ; et comment en aurait-il pu être autrement, puisqu’il mettait sa demande en question ? C’est donc une déclaration formelle et énergique qu’il doit faire, et ce n’est qu’après que cette déclaration aura eu lieu que tout ce qui a rapport aux arriérés de la dette sera retranché du déficit du trésor.
Mais prendre en ce moment une position différente de celle où s’est placé le pouvoir exécutif, ce serait se fasciner les yeux sur l’avenir ; et comme je l’ai dit dans mon rapport, on ne gagne rien à cela : tôt ou tard la vérité apparaît dans tout son jour et vient faire voir les cruelles conséquences de l’illusion à laquelle on s’était laissé aller.
Ainsi, vous voyez, messieurs, d’où vient la différence que l’on remarque entre les chiffres de M. le ministre et les miens. On le lui a déjà fait observer lors de la délibération de la convention du 21 mai ; alors on venait nous présenter cette convention comme le suprême bonheur de la Belgique. Oui, répondit-on, si elle changeait quelque chose aux charges que nous imposent les 24 articles ; mais si aux frais de notre état militaire nous devons encore ajouter tous les arriérés de la dette, alors elle nous conduit à une ruine complète. La convention sans la dette est une bonne chose ; mais la convention avec la dette, c’est la mesure la plus funeste pour le pays.
Pour détruire les autres chiffres posés dans le rapport de la section centrale, M. le ministre des finances a prétendu qu’il résulterait de la liquidation à faire avec la Hollande un grand bénéfice provenant du syndicat d’amortissement. Quant à moi, messieurs, je ne sais pas quel sera le bénéfice ; mais, je l’avoue, je doute beaucoup que nous en retirions aucun et ce qui me confirme dans mon opinion, c’est l’obstination avec laquelle le roi Guillaume a réclamé que la Belgique participât également dans le mali et dans le boni du syndicat. Soyez-en sûrs, messieurs, si le roi Guillaume n’avait pas le moyen de nous perdre, il n’aurait pas fait cette demande.
Vous le savez, le syndicat est une véritable lettre close, et l’on pourra toujours, dans cette fantasmagorie financière, nous faire voir tout ce qu’on voudra.
Vous vous rappelez que le syndicat a fait des levées considérables pour les 4 p. c., dont il a été levé 110 millions, et dont il reste encore 80 millions à amortir ; les 3 1/2 p. c. dont il existe 30 millions de fl., et les 2 1/2 p. c. les los-renten.
Eh bien ! quand la conférence a constitué la dette de 8,400,000 fl, je ne doute pas que la Hollande a fait entrer toutes ces levées dans les tableaux qu’elle lui a soumis. Si la conférence avait établi un compte spécial pour ces 8,400,000 fl., alors nous aurions pu le critiquer ; mais quand nous n’avons aucun élément de calcul, comment saurions-nous réclamer et dire : Nous ne devons point souffrir le mali de la caisse d’amortissement ? Il faut l’avouer, nous avons encore été dans cette circonstance leurrés par la Hollande et je ne vois pas de quelle manière nous sortirons de ce labyrinthe.
Je fais des vœux pour que nous puissions en revenir sans désavantage ; mais quel espoir, quelle confiance me reste-t-il, alors que nos envoyés à Londres, qui sont chargés de la négociation, ont déjà doté la Belgique de 4 millions de rente annuelle, qu’ils auraient pu si facilement éviter ; alors que ces hommes ne sont connus que par leurs fautes ?
M. le ministre des finances vous a parlé de la dette flottante qui semble être l’objet de sa vive prédilection. Suivant lui nous avons eu tort de ne pas la faire figurer parmi les recettes ordinaires, et c’est là encore une différence de 15 millions dans nos calculs et les siens. Messieurs, si à l’échéance des bons du trésor il ne fallait point payer les porteurs, ce serait un moyen commode pour le gouvernement de se former une recette. Mais comme au jour de l’échéance les porteurs demanderont le remboursement de cette somme, je ne crois pas que la chambre partage l’avis de M. le ministre des finances. Toutes ces opérations financières qui peuvent être utiles dans les moments critiques, sont dans les temps ordinaires des mesures désastreuses. Il faut le dire avec un habile économiste d’Angleterre, M. Huskisson. Lorsque l’on a épuisé toutes les ressources que présentent les opérations financières, il faut en revenir à cet axiome de bon sens, ou bien de baisser les dépenses au niveau des recettes, ou bien il faut élever les recettes au niveau des dépenses.
Ainsi, la dette flottante n’est qu’un moyen temporaire qui peut servir pour passer d’un exercice à un autre, mais qui ne saurait être admis comme une ressource réelle pour le trésor public.
M. le ministre vous a dit encore que, dans la situation que nous avons présentée du trésor, nous n’avions fait figurer que le passif et que nous avions oublié l’actif. Et il vous a cité le syndicat, les domaines, et, je crois même aussi, la banque. Messieurs, j’ai déjà répondu pour ce qui est relatif au syndicat ; je dirai maintenant très peu de mots pour ce qui regarde les domaines et la banque. Vous le savez aussi bien que moi, la question des domaines est connexe à celle du syndicat ; ce sont deux objets dont la liquidation devra se faire en même temps. Mais jusqu’à ce qu’on soit arrivé à cette liquidation, on ne peut se fonder sur des ressources aussi incertaines. Il en est de même à l’égard de la banque, dont les comptes se rattachent aussi à ceux du syndicat.
M. Meeus. - Je demande la parole.
M. Dumortier, rapporteur. - Il faut donc attendre la liquidation, et je crois que lorsque là temps en sera venu, on nous présentera beaucoup de mali qui compensera au moins le boni.
Quand j’ai parlé d’un déficit de 51 millions, je l’ai établi sur le rapport de M. le ministre des finances lui-même, rapport daté du 2 août. A la page 21 de ce rapport, vous trouverez que le trésor est à découvert de 51,375,291 fr. Vous voyez donc que ce n’est pas moi qui l’ai imaginé. Cependant, il est vrai de dire que l’année dernière j’avais avancé que nous aurions un déficit de 50 millions, et malheureusement mes prévisions se sont vérifiées.
Pour prouver que nous avions oublié l’actif, M. le ministre a fait sonner bien haut les excédants disponibles. Mais voulez-vous savoir ce que sont ces excédants disponibles ? c’est vraiment chose curieuse. Je trouve d’abord au chapitre 2, article 2 des finances, un excédant disponible de 232,804 fr., chiffre égal à la somme allouée.
Eh bien c’est là justement le montant de l’indemnité qui est accordée à la banque. Il en est de même pour d’autres objets. A l’égard de l’administration des douanes et accises, par exemple, on dit qu’il y a de ce chef six millions et demi en allocation et un excédant de 2,400,000 fr. Cependant vous n’ignorez pas que les six millions et demi ont été absorbés ; car alors pourquoi ne nous demandiez-vous pas aujourd’hui 4 millions, seulement pour cet objet ?
Le premier article additionnel porte en allocation 228,783 fr, et même somme en excédant disponible. C’est le montant des traitements des employés des contributions des parties cédées ; comment donc est-il possible de présenter tout cela comme excédant disponible ?
C’est au moyen de pareilles absurdités qu’on veut établir des excédants, et ce que j’ai dit suffit pour vous démontrer, messieurs, que ces prétendues ressources ne reposent sur rien.
Ainsi tous les arguments présentés par M. le ministre des finances ne détruisent en aucune manière les observations de la section centrale. Nous nous sommes basés sur les pièces mêmes qu’il a remises à la chambre et qui ont été imprimées.
Les arriérés de la dette que le ministre laisse en litige, sont pour nous une dette aussi longtemps que le gouvernement persistera dans les 24 articles ; les bons du trésor sont pour nous un moyen temporaire et non pas une ressource du trésor. Voilà ce qui établit la différence entre le ministre et nous.
Maintenant M. le ministre fait remarquer dans mon rapport une erreur d’un million, erreur qui déjà a été rectifiée ; mais si j’avais été aussi vétilleux, je vous en aurais signalé bien d’autres dans le budget qui vous a été remis par lui.
J’avais travaillé pendant plusieurs jours, jamais je ne pouvais arriver au même résultat. Alors j’ai suivi les calculs établis dans le budget remis par le ministre, et j’ai trouvé que là était l’erreur. Je n’en ai pas fait mention dans mon rapport parce que je sais que tout le monde peut se tromper.
M. le ministre des finances a parlé aussi des deux tiers du foncier que nous avons accordés par anticipation ; mais quand on est venu nous les demander et que nous les avons votés, c’est qu’il y avait déficit et que nous avons voulu empêcher un pareil système de se perpétuer.
Je vais traiter maintenant un point qui est fort grave, c’est celui relatif aux parties des deux emprunts qui ont été laissés à la maison Rothschild. Il paraîtrait que la maison Rothschild touche les intérêts de ces portions d’emprunts, et comme elle perçoit les intérêts de la totalité, il s’ensuit que nous les payons deux fois. C’est un fait qui nous a été signalé par un honorable membre dont je regrette l’absence en ce moment. Mais s’il est vrai, la responsabilité ministérielle serait gravement compromise. Il est nécessaire que nous ayons une explication catégorique à ce sujet.
J’ai encore d’autres explications à demander relativement aux détails du budget ; je m’en abstiens en ce moment, mais je ne puis m’empêcher de vous signaler encore un fait de la plus haute importance.
Vous vous en souvenez, messieurs, quand le congrès a institué la cour des comptes, il a voulu qu’aucune dépense ne pût être effectuée sans un visa préalable de cette cour. Son but était d’éviter que le gouvernement entrât dans des dépenses inconstitutionnelles, et il a mis ainsi un terme à des abus qui avaient lieu sous le gouvernement précédent. Eh bien ! n’est-il pas étrange de voir que cette règle posée par le congrès soit devenue l’exception ? Presque toutes les demandes à la cour des comptes sont faites pour dépenses à justifier, et très peu pour dépenses justifiées. M. le secrétaire-général des affaires étrangères et de la marine a encore à justifier de 86,000 fr. pour l’exercice de 1832.
Au département des finances on a imaginé autre chose encore. On n’a pas même demandé à la cour de comptes de pouvoir disposer préalablement des fonds ; ou a demandé des crédits pour dépenses à faire. C’est au moyen de cet abus que l’on a payé les employés avec des fonds qui n’avaient pas été votés. Voilà donc une somme énorme qui est prélevée sur les caisses du trésor, et qui se dépense sans l’autorisation de la cour des comptes. C’est un scandale auquel il est temps de mettre un terme ; c’est un abus qui exige une réforme radicale. Je me propose de présenter à la fin du budget un amendement pour en prévenir le retour.
Je bornerai là, pour le moment, mes observations.
M. Meeus. - Puisque M. le ministre de la justice et la majorité de la chambre ont décidé qu’il fallait continuer la discussion et en conséquence parler sur des chiffres qu’on n’a pas entendus, je chercherai à résumer le plus brièvement possible ce que j’ai compris dans le discours de M. le ministre des finances et le rapport de la section centrale.
Vous devez savoir messieurs, que la dette de 8,400,000 fl. qui nous est imposée par les 24 articles n’incombait pas à la Belgique d’après les principes de la justice et de la logique. Je crains fort que nos ministres, devant la conférence, n’aient mal défendu sur ce point les intérêts de la Belgique. On a posé des chiffres, tandis que c’était des principes qu’il fallait poser. C’est une grande erreur que de croire qu’en finances les chiffres sont quelque chose. Ils ne sont que la conséquence des principes antérieurement établis. Les ministres belges auraient dû poser ces questions à la conférence :
1° Chacune des parties formant le royaume des Pays reprendra-t-elle la dette qu’elle avait pendant l’union ?
2° Dans quelle proportion chacune de ces parties entrera-t-elle dans la dette ?
3° Et dans quelle proportion l’actif sera-t-il partagé entre elles ?
Si ces questions avaient été soumises à la conférence, je n’hésite pas à croire qu’on n’aurait pas commis à notre égard l’injustice dont nous sommes victimes. Ce qui s’est passé antérieurement me force à demander une explication franche sur ce point. On a dit que nous avions acheté à ce prix l’alliance de l’Angleterre et de la France ; mais aujourd’hui ne craignons pas d’invoquer les véritables principes de la justice et de l’équité.
Depuis les 24 articles, quelle est la position de la Belgique et de la Hollande ? Nous avons accepté un traité qui nous était imposé par la conférence ; la Hollande s’y est refusée. Qu’en doit-il résulter ? C’est que la Hollande nous doit des dommages-intérêts pour l’état fâcheux dans lequel elle nous a placés. Non seulement nous avons dû payer les frais d’une armée sur le pied de guerre, mais encore nous avons été privés d’avantages commerciaux dont il est impossible à personne d’établir le chiffre.
C’est donc aujourd’hui qu’il faut poser un principe ; c’est là une question première à mon avis, et comme je trouve dans le discours de M. le ministre des finances plusieurs phrases qui me font croire que la pensée du gouvernement est d’accord avec la mienne sur ce point, je ne doute pas que la représentation nationale ne se montre jalouse d’établir un principe dont il n’y aura plus à revenir.
Je l’avoue, le discours de M. le ministre des finances m’a paru réfuter en grande partie le rapport de la section centrale. Pour rendre justice à chacun, je dois dire que j’ai trouvé dans ce rapport beaucoup de phrases, mais que je n’y ai pas vu de conclusions.
On vous annonce que vous aurez un déficit de 84 millions si vous payez les arrérages, et un déficit de 30 millions si vous ne les payez pas. Il me semble que la section centrale devrait prendre sur elle d’admettre le principe que je n’ai pas craint de poser. S’il pouvait en être autrement, je ne consentirais pas à ne voter par rapport à la dette publique que la somme portée dans le budget des finances, par le motif qu’il est impossible d’imposer en une année la nation de manière à payer tous les arrérages. Il faudrait dès aujourd’hui accroître nos fonds d’amortissement, afin de pouvoir supporter avec plus de facilité les nouvelles charges que la nécessité nous imposerait.
Répondant à M. le ministre des finances, l’honorable M. Dumortier vous a dit que M. le ministre fait valoir dans l’actif ce que rapportera le syndicat, et il a semblé élever des doutes à cet égard. Quant à moi, je crois que lors de la liquidation une commission devra être nommée de part et d’autre, et qu’il en résultera un boni assez considérable pour la Belgique. Tout au moins il ne peut nous incomber de nouvelles charges. Ainsi donc nous avons beaucoup à espérer et peu à craindre.
Quant à la banque, a ajouté M. Dumortier, c’est un objet qui rentrera dans la question du syndicat. Messieurs, il y a ici erreur : le contact qui a existé entre ces deux institutions n’avait lieu que pour les revenus. D’après les statuts de la banque, c’est dans la caisse de l’Etat belge que doit être versée la somme qui était autrefois payée au roi.
On ne peut plus admettre la distinction qui était faite sous le gouvernement précédent. Une grande partie des 20 millions doit donc revenir à la Belgique. Prétendre le contraire, ce serait supposer que le gouvernement trahira ses devoirs.
Je passe à une erreur de principes que j’ai cru remarquer dans le discours de M. le ministre des finances, et qui a déjà été relevée en partie par M. Dumortier. Elle porte sur les bons du trésor. M. le ministre vous a dit que ces bons étaient une ressource ordinaire. Cette doctrine tendrait à détruire tout ce que j’ai dit dans cette assemblée à une autre époque. La chambre peut se le rappeler ; j’ai dit qu’il fallait bien distinguer dans une émission de bons du trésor deux principes distincts. J’ai fait observer qu’il y avait de ces bons qui n’avaient pour but que d’amener à l’avance, dans les caisses de l’Etat, les revenus ordinaires. Je citerai un exemple : Si, par un incident imprévu, les accises venaient à ne pas rapporter pour les premiers mois de l’année ce qu’elles rapportent ordinairement, faudrait-il pour cela que le trésor suspendît ses paiements, que l’Etat ne fût pas forcé à ses engagements ? Non, sans doute. Eh bien, pour éviter ce désordre, on émet des bons dus trésor.
D’autres bons ont pour but de faire face à des besoins extraordinaires, et en attendant un emprunt ; mais parce que nous aurons voté 15 millions, par exemple, de bons du trésor pour ressources extraordinaires, est-ce à dire qu’il faille considérer cette émission comme une ressource ordinaire ? Non, car il peut se faire qu’une crise commerciale empêche le gouvernement d’y avoir recours. Ce n’est donc pas une ressource ordinaire. Il n’y a pas si longtemps que le gouvernement français ne pouvait pas placer ses bons sur la place de Paris. Il peut y avoir aussi pour un gouvernement nécessité de rembourser, et alors on trouve un déficit.
Pour nous, ce que la sagesse nous conseille, c’est d’émettre des bons du trésor, puisque notre crédit éprouve un mouvement ascensionnel que rien n’arrêtera, sans doute ; nous sommes fondés à croire que nos fonds seront au pair avant peu de temps, si du moins la conférence veut bien le permettre en terminant nos affaires. (On rit.)
M. le ministre des finances nous a parlé d’excédants considérables : ici j’aurais besoin d’avoir sous les yeux les chiffres de son discours en opposition avec ceux du rapport de M. Dumortier.
Il m’est impossible d’établir maintenant aucune comparaison, et c’est pour cela que je demandais le renvoi de la discussion à un autre jour. La majorité en a décidé autrement. Elle s’expose peut-être être à prononcer sans avoir entendu. Quant à moi, je crois avoir rempli mon devoir ; j’ai loyalement exposé ce que je savais pour éclairer lala chambre sur la question qui nous occupe.
M. Coghen. - Je dois à la chambre de répondre à quelques assertions de M. le rapporteur de la section centrale. M. le ministre des finances, dans son discours, a déjà fait justice de tout ce que M. le rapporteur dit à l’égard de la situation financière du pays qu’il représente sous un aspect si lugubre et qui est loin de devoir nous alarmer.
D’accord avec mon honorable ami M. Meeus, d’accord avec M. le rapporteur, nous devons exiger de la Hollande une compensation pour les énormes dépenses d’armements auxquelles la résistance du roi Guillaume nous a forcés depuis environ 2 ans. C’est un objet qui se traite en ce moment à Londres, qui rentre donc dans la négociation ouverte.
Et certes, les ministres méconnaîtraient l’opinion de la nation entière, s’ils ne faisaient valoir nos droits pour tâcher d’obtenir cette indemnité, afin de nous dédommager des frais considérables que nous avons dû faire malgré nous pour conserver une armée sur le pied de guerre.
M. le rapporteur, en parlant du syndicat d’amortissement paraît douter qu’il puisse en résulter un solde en notre faveur ; avant d’émettre une semblable opinion, n’aurait-il pas été prudent de sa part de s’entourer au moins de quelques renseignements ? N’aurait-il pas dû savoir de quelle manière on a établi la somme de 8,400,000 fl. qui nous a été imposée pour notre part dans la dette publique de l’ancien royaume des Pays-Bas ? Il aurait alors évité d’avancer un fait si en opposition avec ce qui est.
Oui, messieurs, nous pouvons compter sur un solde considérable ; tout le passif du syndicat d’amortissement est compté dans la somme qui a servi de base à la fixation de notre part dans la dette commune ; même on y a fait un double emploi. Or donc, lors de la liquidation nous aurons à partager l’actif du syndicat qui se compose de dette active, de dette différée, de kans billeten, de l’emprunt fait aux colonies, avances pour les canaux et routes, avances à des communes, etc., au fonds de l’industrie, redevance annuelle de la société générale, etc., etc.
Les bons du syndicat, à 2 1/2, encore en circulation, sont représentés par les domaines vendus et non payés, et ceux qui étaient encore à vendre en Hollande ne peuvent donc être une charge lors de la liquidation. Je regrette que tous les documents que j’avais recueillis concernant le syndicat d’amortissement, et même le rapport que j’eus l’honneur de faire en comité secret, lors de la discussion pour l’acceptation des 24 articles, se trouvent en ce moment à Londres ; sans quoi je pourrais étendre mes explications et prouver jusqu’à l’évidence que nous pouvons compter sur un solde si les 24 articles s’exécutent, de manière à pouvoir combler peut-être la différence qui existe en ce moment entre la dépense présumable et les voies et moyens votés ; toutefois, en y comprenant nos domaines encore invendus, et ce qui nous reviendra pour notre part dans les 20 millions que la banque doit pour la cession des domaines, vente qui lui a été régulièrement faite par notre ancien roi.
L’honorable M. Meeus regrette que le gouvernement n’ait pas posé des principes pour la liquidation avec la Hollande, au lieu de chiffres. Messieurs, lorsqu’il s’est agi du traité de paix, le ministère a fait son devoir ; il ne s’est pas élancé dans un dédale de chiffres, parce qu’il le croyait imprudent, et au surplus, qu’il était privé de tous les documents nécessaires pour les fixer avec exactitude. Toutes les administrations ayant toujours été en Hollande, on n’a pu trouver ici aucun élément pour établir l’état réel des finances du royaume des Pays-Bas.
C’est le gouvernement hollandais qui seul a fourni des chiffres dont on a vivement combattu et contesté à Londres l’exactitude. Si mon honorable ami avait consulté le recueil des pièces diplomatiques, il y aurait trouvé à sa satisfaction sans doute que le ministère dont j’avais l’honneur de faire partie, aussi bien que les ministres et envoyés à Londres, ont fait ce que les véritables intérêts du pays exigeaient.
Vous trouverez, messieurs, comment le gouvernement voulait la séparation financière avec la Hollande dans le recueil des pièces diplomatiques, et vous y trouverez la justification complète de sa conduite.
M. Dumortier, rapporteur. - L’objet qui nous occupe est un des plus importants dont la législature puisse avoir à s’occuper ; la question, j’ose le dire, a été portée sur son véritable terrain, quand on a dit qu’il fallait faire valoir le droit des Belges à obtenir un dégrèvement pour les arriérés de la dette. Je démontrerai tout à l’heure que nous devons encore obtenir un dégrèvement de la dette elle-même. Mais d’abord je vous présenterai quelques observations en réponse aux discours des honorables préopinants.
L’honorable M. Meeus a prétendu que les chiffres de la section centrale étaient erronés, que le rapport ne tenait pas compte des excédants disponibles, et enfin qu’il manquait de conclusions.
Si les chiffres de la section centrale sont véritablement erronés, c’est aux chiffres du budget de M. le ministre des finances qu’il faut s’en prendre. La section centrale n’en a pas posé d’autres que ceux de M. Duvivier.
On se trompe, lorsqu’on nous accuse de n’avoir pas tenu compte des excédants disponibles. Tout à l’heure j’ai déjà démontré à quoi se réduisaient en définitive ces prétendus excédants. Non, messieurs, ces excédants n’existent pas, ou bien M. le ministre des finances a commis une faute en n’en tenant pas compte à la chambre, puisqu’il lui demande des crédits pour des encaissements que la banque ne réclame pas, puisqu’il ne dit pas que les douanes sont réduites de 6 à 200 mille francs.
Le rapport manque de conclusions ? Mais qu’est-ce donc, je vous le demande, que cette conséquence tirée de l’état de nos finances, qu’il faut rétablir l’équilibre entre les dépenses et les recettes, qu’il faut exiger de la conférence un dégrèvement sur les arriérés de la dette et sur la dette elle-même ? Ne sont-ce pas des conclusions précises et bien établies ?
M. Coghen, pour établir que les comptes du syndicat d’amortissement présentaient un reliquat favorable à la Belgique, a fait emploi de documents inconnus jusqu’aujourd’hui. Je le déclare, c’est la première fois que ces pièces me passent sous les yeux. Ceux d’entre nous qui ont assisté à la discussion des 24 articles savent qu’on nous en a formellement refusé la communication. Aujourd’hui qu’elles sont produites, je désire vivement en prendre connaissance, et voir, par là, jusqu’à quel point je dois revenir de l’opinion que j’ai émise. Je rappellerai encore que M… a demandé le dépôt de tous les documents d’après lesquels notre part de la dette était fixée à 8,400,000 fl., et que cette demande n’a pas eu de résultat.
On vous a dit que la vente des domaines et le produit du syndicat vous donneraient de quoi couvrir ce que vous deviez. Mais peut-on espérer couvrir avec ce produit les 8,400,000 fl. de la dette, et les arriérés de cette dette ? Car enfin, messieurs, on vous l’a dit, le traité des 24 articles est intact, et alors il est prudent de nous réserver les moyens de fournir aux arriérés de la dette. Toute espérance contraire serait chimérique ; et les calculs qui ne porteraient pas sur cette base, ne reposeraient que sur une idéologie sans raison.
M. Meeus me semble se reposer dans la sécurité la plus trompeuse, lorsqu’il se fie aux assertions de M. Duvivier et raisonne d’après elles. M. Duvivier n’est pas membre du cabinet ; ses paroles n’engagent pas le ministère. Je voudrais que le chef du cabinet, comme l’appelle M. Nothomb, vînt nous déclarer hautement que le gouvernement belge est décidé à ne pas payer les arriérés.
Si nous n’obtenons pas cette déclaration, il est sage de nous préparer à les$ autrement que par des réflexions sur le passé, et d’inutiles regrets.
Mais il est encore un objet sur lequel il faut que l’on s’explique. Qu’a-t-on fait des droits de la Belgique ? A-t-on réclamé le juste dégrèvement de quatre millions de francs de rente annuelle dont nous avons été chargés par l’incurie de nos agents ? A-t-on revendiqué nos droits est faveur de la moitié de la flotte, des colonies acquises en commun, etc., etc. ? Ces objets, et tant d’autres, méritaient bien de faire l’objet des soins du gouvernement, et nous ne voyons pas que l’on s’en soit occupé. Je prie le ministère de répondre sur ces points importants.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Messieurs, je n’ai pas de nouvelles déclarations à faire sur la question de la dette. Ce que j’ai dit est écrit, et dès demain vous l’aurez sous les yeux. Je crois m’être expliqué avec assez de détails sur les divers faits allégués dans le cours de cette discussion.
Un honorable membre a dit que les deux tiers de la contribution foncière avaient été mis en recouvrement à une époque antérieure à celle où ils sont ordinairement exigibles, pour couvrir un déficit dans l’exercice de 1832. Cette allégation n’est pas exacte.
Il y avait des recouvrements à opérer en 1830 pour une somme égale à celle qui restait due sur 1832 et provenant de l’emprunt des 12 millions.
Si ces recouvrements ont été consacrés à l’emprunt de 1832, d’un autre côté, les fonds qui appartenaient à cet exercice, et s’élevant à une somme égale, ont été appliqués à 1833. Il n’y a donc pas eu déficit ; ce fut tout simplement un emprunt fait sur la contribution foncière. Après le mois de janvier, MM. Rothschild ont remis au trésor une somme égale aux deux tiers de l’impôt dont on a parlé.
On vous a parlé d’un fait relatif à la cour des comptes. On se plaint de ce que certaines dépenses se font sans visa préalable de cette cour. Je n’ai pas dissimulé cette circonstance. J’ai rappelé la correspondance qui a eu lieu entre la cour des comptes et le ministère, et dans laquelle les membres de cette cour reconnaissent que jusqu’à ce qu’un nouvel ordre de comptabilité soit établi, il est impossible qu’elle appose son visa préalable à toute espèce de dépenses. Je n’ai donc pas caché que des dépenses aient lieu avant le visa de la cour des comptes.
Mais il y aurait une difficulté extrême à faire venir ici tous les états collectifs de tous les employés des douanes, par exemple, qui sont en effet payés par les bureaux du ressort où ils exercent. S’il fallait que tous ces états fussent visés, ordonnancés, etc., avant d’être payés, il se rencontrerait de très grandes difficultés. Ces difficultés ne nous rebuteront pas pourtant. Nous ferons tous nos efforts pour rentrer dans la régularité à cet égard. Il nous sera nécessaire d’avoir des rapports multipliés avec les membres de la cour des comptes pour amener une régularité qui, je l’avoue, n’existe pas encore. Toutefois nous espérons pouvoir lever bientôt toutes les inquiétudes de la chambre.
Quant aux bons du trésor, je ne sais qu’abonder dans le sens des paroles de l’honorable M. Meeus. Je considère néanmoins ces bons comme une ressource qui, bien que soumise à des échéances successives, n’en est pas moins perpétuelle. Les bons sont, dans ce sens, une ressource pour le trésor ; ils facilitent les paiements de l’Etat. On a demandé une déclaration de la part du chef du cabinet. Mes assertions, a-t-on dit, n’engagent pas le ministère. Je n exerce, il est vrai, mes fonctions que par interim. Mais le chef de l’Etat n’ayant pas cessé de placer sa haute confiance dans mes faibles moyens, j’ai toujours assisté aux délibérations du conseil dont je partage toute la responsabilité avec mes honorables collègues.
M. Coghen. - Les documents dont j’ai parlé sont déposés dans les archives. C’est M. le greffier qui me les a communiqués sur ma demande.
M. Verdussen. - Lorsqu’on a appelé votre attention sur les excédants que présentent les exercices précédents, pour détruire l’impression fâcheuse qui aurait pu résulter des paroles de M. Dumortier, je crois qu’on n’est pas entré dans assez de détails pour vous faire sentir l’exagération de son discours. M. Dumortier a appelé votre attention sur la page 14, et il en a tiré cette conséquence que les chiffres y étaient portés comme s’il s’agissait d’excédants sur les chiffres antérieurs ; mais l’honorable membre n’a pas l’intitulé de ce passage ; il s’agit seulement de la situation du budget de l’Etat ; il est divisé en trois colonnes.
Dans la première les sommes votées comme crédits, dans la seconde les sommes déjà dépensées, dans la troisième les sommes encore disponibles. Il ne s’agit pas là d’excédants, mais de sommes qui peuvent encore être réclamées ; la banque, par exemple, peut ne pas encore avoir réclamé son encaisse, lorsque l’exercice n’est pas écoulé.
Si M. Dumortier avait porté les yeux sur la page, il aurait vu que l’on compte couvrir le défit au moyen d’économies de 2 millions sur les sommes votées en 1831, de 6 millions sur celles votées en 1832, et ensuite avec les fonds provenant du non-paiement de la dette et des arriérés, et qui s’élèveraient à 37 millions, et enfin avec 6 millions d’économies sur l’exercice de 1833.
M. Dumortier, rapporteur. - Si l’honorable préopinant avait lui-même jeté les yeux sur le verso du tableau qu’il a cité, il aurait vu que les excédants dont par M. le ministre des finances se composent de l’addition des sommes portées aux trois colonnes. Vous voyez donc que j’ai porté mes regards plus loin que l’honorable membre, et que j’ai parcouru tout le volume. Du reste, ce qu’il vient de nous dire confirme davantage les résultats de mon rapport : je n’ai pas dissimulé la situation de nos finances ; mais il n’y a jamais rien à gagner à se faire illusion.
Je veux bien supporter que nous ayons la paix, et que notre crédit s’améliore ; mais alors il nous faudra accorder des indemnités à ceux qui ont éprouvé des pertes par suite de la révolution. M. le ministre des finances nous a dit qu’il n’y aurait que quelques centaines de mille francs à donner ; mais c’est assez pour faire disparaître ce que pourra nous rapporter le syndicat ; il faudra ensuite créer des pensions ; elles seront nombreuses, car l’armée est considérable ; il faudra créer une marine marchande, établir des chemins de fer, tout cela aux dépens du trésor. Vous voyez donc bien qu’il n’y a rien d’exagéré dans le rapport de la section centrale.
M. Legrelle. - Le déficit, dont on a tant parlé, se réduit à 30 millions qui proviennent des frais extraordinaires nécessités par l’état de guerre. Voilà en définitive le résumé du rapport et du déficit.
Si M. Dumortier, en signalant un découvert du trésor de 84 millions, a voulu seulement tirer cette conséquence qu’il fallait réduire les dépenses au niveau des recettes, je suis parfaitement de son avis, et je saisirai toutes les occasions pour diminuer les charges publiques ; mais si les chiffres de M. Dumortier devaient être interprétés comme ils l’ont déjà été au-dehors par nos ennemis et contrairement aux vœux de l’honorable membre, de manière à jeter du discrédit sur nos finances, je m’élèverais de toutes mes forces contre ses assertions. L’état de nos finances, messieurs, est bien loin d’être mauvais ; après des sacrifices immenses et des embarras sans nombre, il est étonnant que notre position soit encore aussi prospère. Je ne veux pas conclure de là qu’il faille augmenter nos dépenses : ; non, messieurs, lorsqu’un père de famille est bien dans ses affaires, il en devient plus économe ; mais celui qui désespère de satisfaire jamais ses créanciers, ne recule pas devant quelques dettes de plus.
Nous avons l’espoir de faire face un jour à toutes nos dettes, de voir notre crédit au moins égal à celui de la France. Je ne connais pas de puissance dont le crédit mérite plus de confiance que le nôtre : aucun point du globe ne réunit autant d’élément de prospérité. Mais il faut que nous sachions en profiter, nous abstenir de ces dissensions éternelles qui prolongent le malheur du pays. Si nous avions été unis comme les Hollandais, nous eussions bien mieux avancé nos affaires ; ce n’est pas en récriminant sans cesse, ce n’est pas par une opposition systématique que nous rendrons nos affaires plus faciles. C’est en excusant quelques erreurs et en donnant de bons conseils (ce que je dis est d’abondance et vient du cœur : je n’ai voulu accuser personne.)
M. Gendebien. - M. Legrelle est venu récriminer contre l’opposition : il l’a signalée comme la cause de la division qui peut exister dans le pays. C’est à elle qu’il faudra s’en prendre si nos finances sont en mauvais état et si notre crédit n’obtient pas toute la confiance qu’il mérite. Eh bien ! moi je le déclare, si le pays a trouvé dans cette chambre une source de défiance et de désunion, c’est dans le discours de celui d’entre nous qui est venu faire le procès à notre révolution, de celui qui est venu dire inopinément, à propos de je ne sais quelle discussion, qu’il était l’ennemi de la révolution et des révolutionnaires. Voilà ce qui a pu faire croire à la désunion dans le pays, alors surtout que cet imprudent membre a été récompensé par le pouvoir, plus imprudent encore, dont il a reçu une décoration. De quel côté, je le demande maintenant, a été jeté ce discorde ? Et le gouvernement n’a-t-il pas commis une grande imprudence en récompensant un discours tout au moins blâmable ?
M. Legrelle. - Il n’a pas été dans mes intentions de récriminer contre tel ou tel membre. Je déclare sur l’honneur n’avoir pas attaqué M. Gendebien, dont j’estime en toute occasion la franchise. Cependant il a cru devoir revenir sur quelques expressions qui m’étaient échappées au sujet des révolutions et des révolutionnaires. J’ai dit que je n’aimais ni les uns ni les autres ; mais alors j’entendais par révolutionnaires ces hommes qui ne veulent que le désordre et le bouleversement, et mes paroles ne peuvent s’appliquer ni à M. Gendebien ni à aucun des hommes qui nous ont fait ce que nous sommes aujourd’hui. Ce n’est pas à eux que j’ai entendu faire le procès.
Dans le principe, j’ai pu ne pas aimer la révolution, je craignais trop les malheurs qui sont la suite de ces événements politiques ; mais quand la révolution était faite, je m’y suis rallié sincèrement ; l’ordre de chose actuel n’a pas de plus chaud partisan que moi dans cette enceinte, et s’il était menacé, je serais le premier à le défendre contre une restauration hollandaise. Quant à la récompense dont j’ai été l’objet, je ne crois pas devoir en parler ; mais, à coup sûr, on doit l’attribuer à des motifs tout différents de ceux que l’on a développés tout à l’heure.
M. Verdussen. - Le résumé des sommes disponibles s’élève à 18 millions. Si c’est là ce que le ministre des finances a voulu donner pour un excédant, je n’ai plus rien à dire. (La clôture ! la clôture !) Mais je n’ai pas examiné le budget à la légère. (D’autres voix : à demain ! à demain !)
- La séance est renvoyée à demain midi.