(Moniteur belge n°224, du 12 août 1833)
M. de Renesse fait l’appel nominal à deux heures et demie.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
Les pièces adressées à la chambre sont renvoyées à la commission des pétitions.
M. Liedts, organe de la commission à laquelle le projet de loi, qui a pour but d’expulser les locataires de mauvaise foi, a été renvoyé, est appelé à la tribune, et rend compte, dans les termes suivants, du résultat d’un nouvel examen subi par cette loi. - Messieurs, la commission à laquelle ma proposition de loi, sur l’expulsion des fermiers et des locataires, avait été renvoyée, s’est réunie ce matin pour examiner les objections dont le projet de la commission avait été l’objet à la dernière séance, ainsi que les amendements qui avaient été présentés. Je vais vous exposer en peu de mots le résultat de cet examen ultérieur, en vous priant toutefois de faire la part de la précipitation avec laquelle j’ai été obligé de vous soumettre ce rapport.
Il n’est pas inutile de vous dire, messieurs, que trois membres de cette assemblée qui, dans la discussion générale, avaient sollicité des changements dans le projet de la commission se sont rendus dans le sein de la commission, et ont pris part à la discussion.
La commission s’est occupée avant tout d’une proposition faite par M. Dewitte, et qui si elle était adoptée, remplacerait tout le projet de loi. Lorsqu’on a fait connaître à l’honorable membre qu’abstraction faite du délai et de la dépense du préliminaire de conciliation, on retombait et dans les lenteurs et dans les frais d’une procédure ordinaire devant les tribunaux ; que les parties ne pourraient plus comparaître que par le ministère d’un avoué, tandis qu’elles peuvent se présenter en personne devant le président, qui remplit ainsi la double mission et de juge et de conciliateur ; qu’en un mot son projet n’atteindrait en aucune façon le but qu’il se proposait, l’honorable membre a retiré son amendement.
J’arrive au projet même de la commission, et que vous avez tous sous les yeux.
Aucun amendement n’a été présenté sur l’article premier ; mais à la séance de mercredi dernier, la disposition de cet article a été l’objet de deux objections en sens inverse ; les uns ont prétendu qu’en fait d’expulsion de fermiers et locataires, il fallait ôter toute compétence aux juges de paix, et placer la demande quelque minime que fût le prix du bail dans la compétence du juge des référés, conformément à l’article 2 du projet. Les autres ont pensé, au contraire, qu’il fallait étendre la compétence des juges de paix, dans cette matière, au-delà des bornes que lui assigne la loi de 1790.
Cette diversité d’opinions, messieurs, est peut-être la meilleure preuve que la commission s’était arrêtée à un terme moyen qui, sans s’écarter de l’esprit de la législation existante, concilie les justes réclamations des propriétaires avec les garanties qu’on pourrait solliciter en faveur de locataires.
Examinons les motifs allégués de part et d’autre.
Ceux qui veulent ôter toute compétence aux juges de paix en matière d’expulsion, disent d’abord qu’il n’ont aucune confiance dans le personnel des juges de paix, et que, loin d’étendre leur compétence, il convient, dans le doute si les actions en expulsion sont placées dans leurs attributions par la loi de 1790, de décider la question contre eux.
La commission n’a pu partager cet avis ; elle a pensé que s’il est vrai que la composition du personnel, quoique sensiblement améliorée depuis la révolution, laisse beaucoup à désirer, ce n’était pas un motif pour leur refuser la connaissance d’une action qui, et par sa nature et par la modicité de la valeur qui forme l’objet du litige, n’offre pas plus de difficultés et ne demande pas plus de garanties que toute autre action placée dans la compétence de ces juges par la loi de 1790.
On répond, à la vérité, qu’il n’y a pas de raison pour donner plus de garanties, pour donner un juge plus éclairé à un fermier qui exploite une grande ferme, qu’à celui qui n’occupe qu’une petite habitation ; que dans l’un et l’autre cas la valeur de la jouissance est indéterminée relativement au fermier, et qu’ils ont droit à une égale protection de la loi.
Ceux qui ont fait cette objection n’ont pas senti que cette opinion, si elle était fondée, serait la critique de toute loi qui ferait changer la compétence des tribunaux d’après la valeur plus ou moins grande de l’objet qui est réclamé. Car, de même qu’il est vrai de dire que l’homme pauvre a droit à la même protection, quant à la possession de sa chaumière, que le riche qui habite un palais ; de même il est vrai qu’une somme de 50 fr., par exemple, est une somme aussi importante pour un ouvrier qu’un grand héritage pour l’homme favorisé de la fortune, et qu’ainsi il faudrait que le même statuât, avec des formalités aussi multipliées dans un cas que dans l’autre, sur les demandes, quelque minime qu’en fût l’objet.
Malheur au législateur, messieurs, qui se laisserait aller à ces idées, très généreuses en théorie, mais dont l’exécution amènerait nécessairement des résultats désastreux ! Et en effet, messieurs, il en résulterait que, pour un objet d’une valeur insignifiante, il faudrait épuiser toute la série d’actes et de procédure introduite comme des garanties pour la conservation d’intérêts élevés ; et ainsi cette prétendue loi d’humanité absorberait le capital du pauvre, et tournerait contre le but qu’on se serait proposé.
Mais vous avouez vous-même, dit-on, que la procédure devant le juge des réfères ne coûte pas plus que celle devant le juge de paix ; c’est vrai, messieurs ; mais qu’on ne perde pas de vue qu’il y a cependant cette différence que, d’après l’article premier, le juge de paix statuera quelquefois sans appel, et que, même en statuant sauf appel, il connaît de la question au fond, tandis que le juge des référés ne statue jamais que provisoirement, et que le principal peut toujours être débattu devant le tribunal ; de manière qu’en portant devant le juge des référés, par exemple, la demande en expulsion d’une chambre occupée dans une maison, il ne prononcera que par provision, tandis que si cette chambre n’est occupée que pour un an, à raison de 50 fr., la demande portée devant le juge de paix sera vidée définitivement, sans qu’aucun recours ultérieur soit possible.
Quant à l’opinion de ceux qui voudraient voir étendre la compétence que l’article premier reconnaît au juge de paix, vous aurez remarqué, messieurs, que ces honorables membres n’ont attaqué aucun des motifs que la commission a fait valoir dans son premier rapport pour vous mettre sous le yeux les dangers qu’il y aurait à porter une main imprudente à une loi de compétence dont toutes les dispositions sont corrélatives et s’enchaînent au point qu’on ne peut jamais toucher à ses bases sans risque d’branler tout l’édifice.
Leur objection repose uniquement sur la crainte que l’article premier ne trouve jamais son application, et tandis que ceux dont je viens de réfuter les opinions trouvent dans cet article une extension de compétence pour le juge de paix, ceux à qui je réponds en ce moment appréhendent au contraire que la compétence ne soit trop restreinte.
Cette crainte, messieurs, a paru peu fondée à votre commission ; elle vous prie surtout de ne pas perdre de vue que presque toutes les petites propriétés sont occupées, ou sans aucun bail, ou par tacite reconduction, et que, dès lors, la compétence s’établira sur la valeur d’une seule année de bail ; qu’ainsi l’article ne sera pas sans une application assez fréquente, puisque les propriétés d’une valeur locative annuelle de 100 fr. et au-dessous sont très multipliées, et que ce sont précisément celles-là qui doivent attirer votre sollicitude.
D’ailleurs, je suppose que ces propriétés se louent aujourd’hui pour un terme plus long ; du moment que la loi sera promulguée, les propriétaires verront qu’il est de leur intérêt de ne faire le bail que pour un an, s’ils attachent de l’importance à ce que ce soit le juge de paix qui, le cas échéant, connaîtra de la demande en expulsion.
Et remarquez, messieurs, que ce n’est pas un des moindres avantages du projet, de donner en quelque sorte l’option aux parties de faire juger leur différend, ou par le juge de paix, ou par le juge des référés. Si, en effet, ils trouvent plus de garanties dans le juge des référés, s’ils préfèrent cette procédure, les propriétaires de petites propriétés feront des baux de 3, 6 ou 9 ans. Si au contraire, ils préfèrent la compétence du juge de paix, le bail se fera pour une année, et alors la compétence du juge local s’établira sur la valeur locative de cette année.
Après avoir épuisé ces objections, la commission a examiné de nouveau l’article lui-même tel qu’il lui a été présenté, et elle s’est convaincue de plus que sa disposition doit être conservée ; qu’elle offrait le double avantage de ne point blesser l’esprit de la loi générale de 1790, et d’apporter au mal, si généralement senti, un remède aussi efficace qu’il était possible de l’espérer, en attendant la révision de toutes les lois sur la compétence des cours et des tribunaux. Nous avons donc l’honneur de vous proposer son adoption sans aucun changement.
L’article 2 du projet de la commission avait une rédaction peu claire, et semblait présenter à l’esprit l’idée d’une demande déjà formée avant celle portée en référé. Ce vice de rédaction disparaît par l’amendement que j’ai proposé à la séance de mercredi et que le bureau a fait imprimer. La commission l’a adoptée à l’unanimité.
L’honorable M. Milcamps, dans la dernière séance, s’était élevé contre la rédaction du paragraphe premier de l’article 2 parce qu’il croyait y trouver l’obligation, pour le président, d’accorder l’expulsion sans pouvoir renvoyer la demande devant le tribunal si elle lui paraissait offrir des difficultés.
Dans le sein de la commission on lui a fait remarquer qu’à la vérité l’article faisait au président, jugeant en référé, l’obligation ou d’accorder, ou de refuser l’expulsion, sauf le droit des parties au principal mais que si, par la nature des choses, le pouvoir du président en cette matière est essentiellement discrétionnaire, il est bien évident que cette disposition n’offre pas le danger qu’on croyait y trouver, puisqu’il est bien certain que le président n’accordera l’expulsion provisoire que lorsqu’il aura une conviction pleinement formée sur la provision réclamée, et que dans tous les autres cas, soit parce qu’il n’y a aucune urgence, soit parce que le droit du propriétaire n’est pas évident, il refusera l’expulsion, et renverra les parties à se pourvoir devant le tribunal. On peut, sans aucune crainte, s’en reposer à cet égard à la prudence et à l’expérience du magistrat que vous investissez de ce pouvoir.
Cette explication a pleinement satisfait l’honorable membre, et il s’est rallié à la rédaction définitive de la commission.
Au paragraphe 2 de l’article 2, j’ai proposé la suppression du mot « opposition. » ; c’était par inadvertance que ce mot s’était glissé dans la rédaction de la commission ; l’ordonnance du juge des référés n’étant pas susceptible d’opposition aux termes de l’article 809 du code de procédure civile, il serait absurde d’en parler.
Enfin, messieurs, j’avais, à la séance de mercredi, proposé un article transitoire ; et il semble qu’il suffit de le lire pour en sentir toute l’utilité.
Une loi ne peut jamais rétroagir, mais vous savez tous que ce principe ne reçoit jamais son application qu’au fond du droit, et que lorsqu’il s’agit de l’instruction et de la procédure des affaires, la loi nouvelle, si elle ne porte pas expressément le contraire, règle tous les actes de procédure qui se font postérieurement à la loi nouvelle.
Pour éviter que la loi que nous faisons en ce moment ne porte la perturbation dans les procédures déjà entamées et ne jette les parties dans de nouveaux frais, alors que notre but est de les éviter autant que possible, j’ai cru utile de vous présenter l’article transitoire que vous avez imprimé sous les yeux. De semblables dispositions transitoires sont loin d’être sans exemples. C’est ainsi que la loi du 26 germinal an XI portait « que les demandes en divorce, formées avant la publication du titre du code civil, continueraient d’être instruites conformément aux lois qui existaient lors de la demande. »
C’est encore pour le même motif que la loi transitoire de 1828 portait « que les procès commencés au moment de l’introduction du code de procédure civile seraient continués conformément aux formalités établies par ce code, et jugés quant au fond d’après les lois précédentes. »
Aussi votre commission, messieurs, n’a-t-elle pas hésité à adopter, sans partage, la disposition additionnelle que j’ai eu l’honneur de vous présenter.
Voilà donc, messieurs, la rédaction définitive du projet qui vous est soumis. La commission ne se flatte point, messieurs, d’avoir paré à tous les inconvénients possibles ; mais, arrêtée par les dangers inséparables de toute innovation partielle d’une loi générale, elle a la conviction que le projet tel qu’il est amendé contient une amélioration sensible, sans déranger l’économie des principes sur la compétence. En voulant atteindre la perfection dans cette loi transitoire, craignez, messieurs, d’arriver à un résultant tout opposé, et rappelez-vous que le mieux est souvent l’ennemi du bien.
Le projet serait alors ainsi conçu :
« Art. 1er. Lorsque la valeur des loyers ou fermages, pour toute la durée du bail, n’excède pas les limites de la compétence, le juge de paix connaîtra tant de la demande en résolution du bail que de celle en expulsion à son expiration ; il connaîtra, dans le même cas, de la demande en validité de saisie-gagerie, dont il pourra même permettre, sur sa requête, l’établissement à l’instant.
« Dans ces cas, un jugement sera exécutoire provisoirement, nonobstant opposition ou appel et sans caution. »
« Art. 2. Lorsque le juge de paix n’est pas compétent pour en connaître, la demande en expulsion, soit à l’expiration du bail, soit pour défaut de paiement, pourra être portée directement en référé devant le président du tribunal de première instance, qui statuera provisoirement sur la demande, sans préjudice au principal pour lesquels les parties pourront se pourvoir, à l’audience sans préliminaire de conciliation.
« L’ordonnance sera exécutoire sur la minute, nonobstant appel et sans caution. »
« Art. 3. Les demandes formées au moment où la prescrite loi sera exécutoire, continueront d’être instruites, conformément aux lois qui existaient lors de la demande. »
M. le président. - Demande-t-on la parole sur l’ensemble du projet ?
M. Jullien. - Il est assez difficile de saisir les amendements qui viennent d’être présentés par la commission. Il me semble que l’on ferait bien d’ajourner la discussion et d’ordonner l’impression et la distribution du rapport.
M. Liedts. - Je concevrais l’utilité de la remise si la commission proposait de nouveaux amendements ; mais, outre que mercredi dernier vous avez entendu la lecture des amendements, que vous avez eu le temps de les méditer, vous venez d’entendre aujourd’hui les motifs qui déterminent la commission à vous proposer leur adoption.
M. A. Rodenbach. - L’article premier n’a pas subi de changements ; quant à l’article 2, nous le connaissons depuis deux jours, nous avons eu le temps par conséquent de le lire. Il me semble que le projet n’est pas difficile à saisir et qu’on peut le discuter immédiatement.
M. de Muelenaere. - Quoiqu’il n’y ait pas de changements importants apportés à la rédaction primitive du projet, je crois qu’il est utile de faire imprimer et distribuer le rapport dont on vient de donner lecture.
Vous savez que, dans une séance précédente, des objections plus ou moins graves ont été faites ; l’honorable rapporteur vient de soumettre le résultat du nouveau travail de la commission ; pour pouvoir apprécier les motifs qui l’ont déterminée à persister dans sa première opinion, il faudrait être mis à même d’examiner ces motifs. Si je devais procéder immédiatement à la discussion du projet, je craindrais de tomber dans des contradictions : pour que nous puissions prononcer avec toute la maturité que comporte l’objet, je demande le renvoi de la discussion à lundi. Il en résultera une économie de temps car, en lisant le rapport qui me semble parfaitement motivé, nous serons sans doute convaincus, et toute dissension cessera.
M. le président. - La parole est à M. Jullien.
M. Jullien. - Je voulais faire les mêmes observations.
- La proposition de M. Jullien, ou le renvoi de la discussion à une autre séance, est mise aux voix et n’est pas adoptée.
M. le président. - Demande-t-on la parole sur l’ensemble de la loi ?
M. Jullien. - Dans une séance précédente j’ai eu l’honneur de dire à la chambre que je considérais la proposition qui vous est soumise, c’est-à-dire le fond de cette proposition, comme un bienfait pour les justiciables ; j’ai également rendu justice au travail de la commission, et surtout à celui de son honorable rapporteur ; et nous devons d’autant plus regretter de ne pas le voir ici que nous connaissons tous la cause qui l’en empêche.
Quoique le projet en lui-même soit bon, il n’était cependant pas sans imperfections, et elles ont été en partie signalées dans la discussion qui a eu lieu dans la dernière séance.
Aujourd’hui la commission vient proposer à peu près le même projet. Il entre dans mes intentions de renouveler les objections que j’ai déjà présentées.
Et d’abord j’avoue que j’adopte l’article premier. S’il est vrai de dire que dans les provinces riches cet article sera extrêmement rare dans ses applications, il est vrai de dire aussi que là où les baux sont à la semaine, comme à Bruxelles, il sera très utile. Cependant, quand on arrivera à la discussion de cet article, je demanderai le retranchement d’un seul mot.
Quant à l’article 2, je ne suis pas de l’avis de la commission quoique j’en diffère très peu.
Dans le cas de l’article 2, on demande que toutes les actions qui auront pour objet la résolution d’un bail pour cause de non-paiement, et également les actions qui auront pour objet le déguerpissement pour cause d’expiration de bail, soient laissées à la décision du président ou juge tenant audience de référé, et on demande que les ordonnances de référé soient exécutoires sur la minute, nonobstant appel et sans caution.
Messieurs, je crois qu’on peut sans un grand inconvénient laisser au président du tribunal, ou à celui qui le remplace, la faculté de juger en référé sur les demandes qui ont pour objet l’expulsion lorsque cette demande est fondée pour cause d’expiration de bail. La raison en est que lorsque vous demandez que le fermier déguerpisse parce que son bail est expiré, il est facile pour le juge de reconnaître la vérité du fait : si c’est un bail écrit, il porte avec lui sa date ; si au contraire le bail n’est pas écrit, le juge connaît les règles d’après lesquelles les baux doivent cesser, et l’usage des lieux vient à l’appui du code et des connaissances du juge.
Mais voici, selon moi, en quoi consiste la difficulté ; et quoique la matière ne soit pas familière à tout le monde, je vais tâcher de la mettre à la portée de tout le monde.
On demande que les fermiers et locataires puissent être expulsés sur une simple ordonnance de référé, lorsqu’il s’agira de demande en résolution de bail pour cause de non-paiement ; ainsi vous allez investir un seul juge d’un pouvoir exorbitant. Dans tous les baux, l’échéance du paiement est fixée, et s’il ne paie pas à l’époque déterminée, le code dit seulement qu’on pourra demander la résolution du bail ; mais il serait extrêmement sévère, pour ne pas dire cruel, que le propriétaire obtînt déguerpissement parce que le fermier n’aurait pas pu apporter la totalité du prix de son bail. Si vous considérez que les grands propriétaires sont toujours dans la meilleure position en justice, qu’ils peuvent avoir de l’influence sur le juge et sur ses ordonnances, vous concevrez que je n’accorde le déguerpissement que dans une circonstance.
Je n’accorderai la faculté d’expulser que dans le cas où il y a bail écrit, et où l’on a formulé la clause résolutoire à défaut de paiement. Alors le fermier a été suffisamment averti ; il a consenti à la condition ; il peut y avoir dureté à demander son expulsion, mais il devait prendre ses précautions. Le juge peut alors apprécier la situation du propriétaire et du fermier, et il peut, en sûreté de conscience, prononcer le déguerpissement.
Vous savez que ces clauses, à défaut de non-paiement, n’étaient que comminatoires dans l’ancienne jurisprudence, et qu’elles doivent opérer dans la jurisprudence actuelle, selon l’article 1184 du code, si j’ai bonne mémoire.
Dans tous les autres cas je refuserai l’expulsion, parce que cela peut donner lieu aux inconvénients les plus graves.
On a beau dire que l’expulsion ne fait pas tort au principal, et que le fermier expulsé pourra obtenir des dommages et intérêts, je vous demanderai dans quelle position vous allez placer le propriétaire et le fermier.
Le propriétaire devra réintégrer le fermier, devra lui donner des dommages et intérêts ; mais il a mis un autre fermier à la place du premier, lequel aura aussi action contre le propriétaire pour dommages et intérêts. Voyez dans quelles difficultés vous allez jeter la propriété et le contrat de bail.
Il y avait sans doute dans l’ancienne manière de procéder de grands inconvénients : si nous voulons faire quelque chose de passable, nous aurons produit un grand bien ; mais il ne faut pas remplacer trop de lenteur par trop de précipitation, parce que ce serait le cas de dire que le remède est pire que le mal.
Je présenterai donc un amendement à l’article 2 tendant à faire prononcer l’expulsion pour expiration de bail, et dans le cas de clause résolutoire inscrites au bail.
Pour toutes les autres actions, je crois qu’on pourrait en revenir à l’amendement de M. Dewitte. Si on veut obtenir plus de célérité, il faut donner la permission de citer directement devant le tribunal sans conciliation, et d’ordonner que les jugements seraient exécutoires provisoirement, mais moyennant caution. Ma doctrine est fondée sur l’expérience. L’expérience montrera une foule d’inconvénients que je ne puis prévoir. Craignez qu’en adoptant la proposition, vous ne fassiez plus de mal que de bien aux justiciables.
M. Trentesaux. - Messieurs, les observations de l’honorable préopinant me semblent fondées.
Je crains en effet une sorte d’interversion de la juridiction, et de fait, la plupart des demandes seront portées devant le président, et c’est le président qui statuera. On va même jusqu’à dire que l’ordonnance sera exécutoire nonobstant appel, et sans caution. Il me paraît que la partie n’est pas égale entre le propriétaire et le locataire : en effet, messieurs, voyez dans quelle position se trouvera ce dernier, une fois que le propriétaire aura obtenu sa demande. Cette position, messieurs, me semble trop inégale et trop malheureuse.
Maintenant je vous soumettrai une observation sur l’article 2. Je crois que nous pourrions en obtenir tous les bons effets en très peu de mots ; il suffirait de déclarer que toutes les demandes spécifiées dans l’article pourront être présentées, et seront instruites et jugées comme requérant urgence. Par cette déclaration, le but que vous vous proposez serait rempli, et il n’y aurait rien de changé à la législation ; par là, en effet, la demande se trouve dispensée du préliminaire de la conciliation.
L’article du code de procédure, qui stipule la dispense de ce préliminaire, a donné lieu à des difficultés, parce qu’il est intervenu quelquefois des arrêts contraires sur l’urgence de la demande. Mais si, par l’article de votre projet lui-même, vous déclarez que la demande sera intentée, instruite et jugée, comme requérant célérité, tout embarras cesse et disparaît.
On vous a proposé de déclarer l’ordonnance exécutoire nonobstant appel ; je vous l’avoue, j’aurai peine à adopter une semblable proposition. L’on ajoute même qu’elle sera exécutoire sans caution. Mais, messieurs, le code de procédure dit aussi qu’elle sera exécutoire sans caution ; mais il ajoute : « à moins que le juge ne l’ordonne. » Je vous avoue que je préfère la rédaction du code de procédure.
M. Liedts. - Je demande la parole pour une simple motion d’ordre. Messieurs, il m’a semblé que les principales observations des honorables préopinant portent sur l’article 2. Or, nous n’en sommes encore qu’à la discussion générale. Il faudrait donc attendre que la chambre eût terminé la discussion générale et se fût prononcée sur l’article premier.
M. Trentesaux. - J’ai proposé mon changement d’article pour que la chambre ait le temps d’y songer avant d’arriver au vote de l’article 2. C’est donc pour éviter toute surprise.
M. Jullien. - J’ai besoin de répondre à l’espèce de reproche qui nous a été adressé par M. Liedts. L’honorable membre n’a pas été exact lorsqu’il a dit que les observations principales des préopinants avaient porté sur l’article 2. Quant à moi, j’ai parlé sur l’ensemble du projet, et si je me suis prononcé plus particulièrement sur l’article 2, c’est qu’il renferme le plus de vices. J’espère donc que l’honorable M. Liedts voudra bien nous rendre à cet égard la justice qui nous est due.
M. A. Rodenbach. - Messieurs, je pense que le projet de loi qui nous est soumis par la commission est d’une grande utilité ; j’ajouterai même d’une grande urgence. A l’appui de mon assertion, je pourrais vous rappeler ce qui a lieu dans certaines provinces des Flandres ; là, en effet, il existe des baux verbaux et dont le montant ne s’élève pas à 100 fr. ; il en existe de semblables dans toute la Belgique, et je pourrais vous signaler l’extrême inconvénient qu’il en résulte pour les propriétaires. Je connais un malheureux vieillard dont toute la fortune s’élève à 160 fr. Il était propriétaire d’une petite maison du prix de 400 fr. Ayant eu le malheur d’avoir affaire à des locataires de mauvaise foi, il lui a fallu plaider, et chaque jugement lui a coûté 130 fr. Or, le loyer de toute la maison était de 20 fr.
Je connais encore une personne qui, forcée d’obtenir l’expulsion de locataires, les a ruinés en se ruinant elle-même.
Dans une commune, parfaitement connue de M. Angillis, un petit cabaretier eut l’idée de convertir son écurie en petites maisons. Pendant deux années il eut affaire à des locataires de mauvaise foi ; il les fit citer, ils ne comparurent pas : de là jugement sur jugement, et finalement ce malheureux a dépensé au-delà du 600 fr., c’est-à-dire au-delà de la valeur de ses maisons.
Vous le voyez donc, messieurs, la loi qu’on vous propose est urgente ; d’ailleurs, avec la loi actuelle, un propriétaire n’est pas maître de sa maison. Il est souvent obligé de payer des locataires même solvables pour s’en débarrasser ; une pareille législation doit cesser. Il est possible que la loi qu’on nous présente ne soit pas parfaite, mais c’est au moins une amélioration ; ce n’est pas précisément un essai, car on m’assure que cette législation est en vigueur à Liége et qu’on s’en trouve bien.
M. Pollénus. - Je ferai remarquer qu’il est question dans le rapport de M. Liedts d’une pétition adressée à la chambre par des habitants de Bruxelles ; cette pétition contient sans doute des observations sur le projet qui nous est soumis, et il me semble qu’en présence des difficultés qui surgissent, en présence d’amendements nombreux, dont il est impossible de calculer tout d’abord la portée, il serait bon de s’entourer de toutes sortes de renseignements. Je prierai, en conséquence, la chambre d’ordonner qu’il soit donné lecture de la pétition dont il a été parlé.
M. Liedts donne lecture de cette pétition, et ajoute. - Vous le voyez, messieurs, elle ne contient aucun renseignement de beaucoup d’importance ; il en résulte seulement que des locations se font à la semaine, même dans Bruxelles. La pétition est signée par 50 pétitionnaires de la ville.
M. Helias d’Huddeghem. - Il faudrait savoir si M. Dewitte renonce à son amendement, et s’il y renonce, M. Jullien devrait nous dire s’il le reprend.
M. Dewitte. - J’ai déclaré renoncer à mon amendement parce qu’on m’a démontré que l’exécution provisoire prêtait à conciliation. (Erratum, Moniteur belge n°226, du 14 août 1833 :) Je l’avais envisagé comme un véritable service accéléré (on rit) : on pouvait assigner à trois jours sans permission, de sorte qu’on avait un jugement aussi vite qu’une ordonnance en référé.
M. Jullien. - Je demanderai la suppression du mot « opposition » qui se trouve dans le premier paragraphe de l’article premier du projet de la commission ; et, messieurs, vous allez comprendre les motifs de ma demande.
Lorsqu’un individu est cité à comparaître devant un juge, et qu’on a la certitude qu’il a été frappé de la citation, il est juste qu’il porte la peine de sa négligence, s’il n’a pas comparu. Cela est déjà assez rigoureux pour des pauvres paysans qui seront attaqués à l’occasion d’un bail de 100 fr. Mais je vous prie d’observer que dans les petites localités il peut se rencontrer un huissier peu délicat, qui, au lieu de remettre la citation, la garde, ou, pour parler le langage du métier, la souffle (on rit), en sorte que l’individu sera condamné par défaut, jeté lui et ses effets dans la rue ; et il n’y aura pas de réparation possible pour ce malheureux, condamné sans avoir été, sans avoir pu être entendu.
Vous voulez protéger, dites-vous, les petits propriétaires ; mais il me semble que les locataires ayant des baux sont aussi de petits propriétaires. Il faut bien accorder quelque chose à ceux qui n’eut d’autre propriété que la jouissance d’un bail : oui, messieurs, la jouissance d’un bail est souvent toute la fortune mobilière d’un homme, et il pourrait, d’après l’article tel qu’il est maintenant conçu, en être dépouillé par une mauvaise action à laquelle certains praticiens, praticiens de campagne surtout, ne sont que trop enclins.
En terminant, messieurs, je vous rappellerai que l’on a déjà effacé le mot « opposition » de l’article 2, et que les mêmes motifs demandent la même suppression dans l’article premier.
M. Dubus. - Messieurs, pour appuyer son amendement, l’honorable préopinant vous a fait remarquer qu’on avait déjà fait disparaître le mot « opposition » de l’article 2, et les motifs, a-t-il dit, sur lesquels cette suppression est fondée, exigent la même suppression dans l’article premier. Mais, selon moi, si la chambre se déterminait d’après ces motifs, il faudrait laisser subsister le mot dans l’article 2 : et en effet on l’a effacé dans cet article comme inutile ; il faudrait donc le conserver dans l’article premier, où il est utile, puisque les jugements des juges de paix sont susceptibles d’opposition.
Le préopinant a parlé du danger qu’il y aurait qu’un huissier vînt à souffler une citation ; je lui dois répondre en faisant connaître les motifs de l’article premier. Cet article est dirigé contre les détenteurs de mauvaise foi. On a eu en vue de fournir les moyens d’expulser les locataires de mauvaise foi avec des frais minimes. Si maintenant vous supprimez le mot « opposition », le but sera manqué ; car le locataire, après avoir fait défaut, fera opposition tout exprès pour se perpétuer détenteur, et alors, pour obtenir l’expulsion, il faudra faire rendre deux jugements.
Je le déclare donc, le but de la loi sera manqué si vous n’insérez pas dans la loi une disposition qui autorise le juge à déclarer que le jugement sera exécutoire nonobstant opposition.
M. Ernst. - Je ferai observer à l’honorable préopinant qu’on ne doit pas présumer que tous les locataires seront de mauvaise foi. Un locataire peut en effet être de fort bonne foi, et si l’on rend contre lui un jugement exécutoire sans opposition, ce sera une injustice ; or, sous prétexte d’accorder des facilités à un propriétaire, il n’est pas permis de consacrer une injustice .
M. de Muelenaere. - Messieurs, dans une précédente séance j’ai eu l’honneur de faire observer qu’à mes yeux la législation sur la matière était vicieuse, et c’est même sous le rapport qui vous a été indiqué par l’honorable M. A. Rodenbach que j’ai combattu le projet présenté par la commission. Je voulais aussi accorder aux propriétaires des moyens forts, des moyens prompts de faire abandonner leur propriété par des locataires qui seraient dépourvus du droit d’occupation ultérieure.
Mais si d’un côté il faut venir au secours du petit propriétaire, de l’autre il ne faut pas livrer sans défense les intérêts du locataire. Ce sont ces deux intérêts qu’il faut chercher à concilier.
L’honorable M. Jullien a fait valoir des motifs très graves pour supprimer dans l’article le mot « opposition. » En réponse à ses jugements, l’honorable M. Dubus a dit qu’un premier défaut constituait déjà un locataire en mauvaise foi. Cela serait vrai, si toujours le premier défaut était réel. Mais c’est précisément parce que ce premier défaut n’est pas toujours réel que M. Jullien a demandé le retranchement dont j’ai parlé.
Il vous a dit qu’il était possible qu’une citation fût soufflée, et que le locataire n’en eût aucune connaissance. Souvent celui qui est assigné, surtout à bref délai, n’arrive qu’après le prononcé du jugement, soit parce que son habitation est éloignée du tribunal, soit parce que les chemins sont mauvais, soit par toute autre circonstance. Ainsi donc, s’il arrive une minute trop tard, y aurait-il mauvaise foi de sa part ? Non, certainement, et cependant, voilà un jugement qui sera rendu et exécutoire contre lui, nonobstant opposition ou appel et sans cautions, et il se trouvera expulsé de son habitation sans moyen quelconque de se défendre. Je crois qu’il faut nécessairement dans cet article supprimer le mot « opposition », et qu’il y aurait inhumanité à le conserver.
M. Liedts. - Je pense aussi, messieurs, que si d’un côté nous devons introduire dans la législation une procédure rapide et peu coûteuse, de l’autre il ne faut pas laisser le locataire sans garantie. Mais je crois que toutes les exigences seraient satisfaites si l’on adoptait l’amendement qu’a annoncé l’honorable M. Dubus.
D’après cet amendement vous donneriez au juge une espèce de pouvoir discrétionnaire d’accorder l’exécution provisoire, nonobstant opposition. Le juge apprécierait la position des parties. Par exemple, s’il voyait que l’exploit a été donné à une personne étrangère, il la refuserait ; mais s’il voyait qu’il a été remis en mains propres, il pourrait croire que le locataire est de mauvaise foi s’il ne se présente pas, et il accorderait l’exécution provisoire du jugement, nonobstant opposition. Si vous ne laissiez pas au juge cette faculté, vous n’atteindriez pas le but qu’on s’est proposé. Je me rallie donc d’avance à l’amendement de M. Dubus.
J’ajouterai que le législateur, dans la loi sur la compétence de 1827, loi qui n’a jamais été mise en vigueur, était allé beaucoup plus loin. Aux termes de cette loi, le juge de paix pouvait connaître d’une demande de 100 fl. sans appel, et d’une demande de 200 fr. sauf appel ; et dans l’un et l’autre cas, ses jugements étaient exécutoires nonobstant opposition.
- Il est donné lecture de la proposition de M. Dubus, qui consiste à retrancher du deuxième paragraphe les mots « opposition ou, » et à y ajouter : « Le juge pourra même le déclarer exécutoire nonobstant opposition. »
- Cette proposition est appuyée.
M. Dubus. - Ainsi qu’on vous l’a fait remarquer, lorsqu’a été votée la loi de 1827, on a inséré dans l’un de ses articles une disposition semblable à celle du projet actuel, tant on a senti alors que le but serait tout à fait manqué si l’on n’accordait pas l’expulsion du locataire nonobstant opposition.
Le but principal de la loi que nous discutons, c’est d’obtenir l’expulsion la plus rapide et aux moindres frais possible ; si vous ne disiez pas « nonobstant opposition, » vous la rendriez coûteuse, car le locataire ferait défaut d’abord, et ensuite opposition pour se maintenir dans la détention. Je ne suis pas arrêté par la crainte que l’exploit soit soufflé. Cette présomption n’a pas été prise en considération dans le code de procédure civile lorsqu’il s’est agi d’affaires minimes : on n’a pas supposé que pour un intérêt aussi mince on soufflerait un exploit.
J’ajouterai à ces observations que le juge prendra en considération les diverses circonstances et appréciera la position du locataire. Si l’exploit n’est pas parvenu à la personne à laquelle il s’adressait, ou bien si cette personne est regardée comme solvable, alors il ne déclarera pas que le jugement sera exécutoire nonobstant opposition ; mais quand il aura la preuve qu’il s’agit d’un locataire de mauvaise foi, il déclarera son jugement nonobstant opposition. Au reste, les lois doivent être faites pour les cas les plus ordinaires, et celle-ci deviendrait inutile si vous alliez la modifier dans l’appréhension d’un cas extraordinaire qui ne se présentera pas.
- L’amendement de M. Jullien est mis aux voix et rejeté.
La proposition de M. Dubus est ensuite adoptée.
L’article premier ainsi modifié est également adopté.
« Article 2. Lorsque le juge de paix n’est pas compétent pour en connaître, la demande en expulsion, soit pour cause d’expiration du bail, soit pour défaut de paiement, pourra être portée directement en référé devant le président du tribunal de première instance, qui statuera provisoirement sur la demande, sans préjudice au principal pour lequel les parties pourront se pourvoir à l’audience sans préliminaire de conciliation.
« L’ordonnance sers exécutoire sur la minute, nonobstant opposition ou appel et sans caution. »
M. Trentesaux. - Je propose de rédiger ainsi l’article : « Lorsque le juge de paix n’est pas compétent pour en connaître, la demande en expulsion, soit pour cause d’expiration du bail, soit pour défaut de paiement, pourra être intentée et sera instruite et jugée comme requérant célérité. »
Vous voyez, messieurs, que ce n’est pas un simple amendement que je présente, c’est un changement de l’article ; mais un changement qui a pour but d’obtenir le même résultat que celui qu’on avait en vue. Je n’ajouterai plus rien après les mots « comme requérant célérité », parce que toutes les conséquences sont de droit. Tout ce qui est prescrit au titre du référé aura lieu : on obtient ainsi la dispense de conciliation, l’assignation en bref délai, etc. Je laisse subsister le code tel qu’il est. Si vous disposez autrement, ce qui a été exécuté jusqu’aujourd’hui comme exception deviendra la règle.
Si, au contraire, vous adoptez ma proposition, vous obtenez de plein droit tous les résultats que vous désiriez. Je demande à tous les jurisconsultes qui sont dans cette enceinte si ce n’est pas là la vérité.
- Il est donné lecture de l’amendement de M. Jullien, ainsi conçu :
« Art. 2. Lorsque ces demandes excèdent la compétence du juge de paix, elles pourront être portées directement en référé devant le président du tribunal de première instance ou le juge qui le remplace, mais seulement dans les cas où elles seront formées pour cause d’expiration du bail ou à défaut de paiement, lorsque de ce chef la clause résolutoire aura été formellement stipulée dans l’acte de bail.
« L’ordonnance sera exécutoire nonobstant appel et sans caution, si le juge n’a pas ordonné qu’il en serait fourni une. »
« Art. 3. Dans tous les autres cas, ces demandes pourront être portées directement, sans préliminaire de conciliation, et sur assignation à bref délai, devant le tribunal de première instance. »
M. Jullien. - Messieurs, j’ai déjà développé les motifs de mon amendement, mais je prierai seulement la chambre de faire attention que je suis entièrement d’accord avec la commission quant au premier point de l’article 2, c’est-à-dire sur l’assignation en déguerpissement qui a pour cause l’expiration du bail. Je ne diffère avec elle que parce que je restreins le pouvoir du juge, qui tient les référés au cas où il existe dans l’acte de bail une clause résolutoire ; et c’est, en effet, dans ce cas seulement qu’on peut investir ce juge du droit de prononcer l’expulsion du fermier ou du locataire.
Si on le lui donnait dans les autres cas, ce serait donner lieu aux inconvénients les plus graves. Quand cette clause n’est pas insérée dans le bail, on rentre dans l’article 1784 du code civil, et d’un autre encore qui permet au juge d’accorder un délai. Je n’ai pas cet article à la main, mais vous vous écarteriez de la jurisprudence en laissant une telle faculté à un seul juge, parce qu’il arrivera bien souvent que le défaut de paiement sera le résultat du fait du propriétaire, soit, par exemple, parce qu’il n’aura pas fait les réparations convenables, soit parce qu’il n’aura pas mis le fermier en jouissance de la chose louée, soit par d’autres causes encore.
Je diffère encore d’avis avec la commission, en ce que je ne veux pas que l’ordonnance soit exécutoire sur la minute. Je ne conçois pas cette extrême précipitation. Dans le code de procédure il est formellement dit que l’exécution n’aura lieu sur la minute que dans les cas d’absolue nécessité. Or, je demande s’il y aura toujours absolue nécessité.
Pourquoi le législateur a-t-il mis la condition d’absolue nécessité ? parce qu’il y a le plus grand inconvénient à confier une minute à un huissier qui peut la perdre, à qui on peut l’enlever. Encore une fois je ne conçois pas qui a pu déterminer la commission à introduire ici cette disposition.
Quant à l’article 3 que je propose, il a pour objet d’accélérer toutes les autres demandes. Je fais disparaître l’obligation d’aller en conciliation, quand il s’agit d’une résiliation de bail. C’est là tout ce que vous pouvez accorder au propriétaire si vous ne voulez pas livrer le locataire à ses caprices. Il ne faut pas, ainsi que l’a fait observer M. Ernst, mettre toujours la bonne foi du côté du propriétaire.
- L’amendement de M. Jullien est appuyé.
Celui de M. Trentesaux, n’étant pas appuyé, n’a point de suite.
M. Dubus. - L’amendement de M. Julien a trois objets : limiter les cas où l’on pourra se pourvoir en référé, c’est-à-dire restreindre la demande en référé aux cas où l’on demande l’expulsion fondée sur l’expiration du bail, ou à défaut de paiement, dans le cas de non-paiement, quand il y a clause résolutoire ; secondement, que l’ordonnance de référé ne soit exécutoire par provision, nonobstant appel et sans caution, qu’autant que le juge n’en aura pas exigé une : troisièmement, que dans tous les autres cas la demande d’expulsion soit faite par assignation à bref délai.
Si l’on veut rester sous l’empire de l’ancienne procédure, ou des article 809 et 811 du code de procédure, il faut supprimer le deuxième paragraphe de l’article 2 du projet.
Il ne faut pas de dispositions nouvelles pour rester dans les termes du droit ancien ou du droit commun.
Il faut dispenser de la conciliation toutes les demandes en expulsion autres que celles pour lesquelles on autorisera à agir en référé ; mais dans ce cas il est inutile de dire que les poursuites se feront sur assignation à bref délai, car cette condition exigerait que l’on s’adressât au président afin d’assigner à bref délai, ce qui rentre dans les dispositions du code de procédure, et ce qui dès lors devient inutile.
Selon l’honorable membre, il y aurait des inconvénients trop graves si l’on autorise le référé lorsqu’il n’y a pas clause résolutoire dans le bail ; je ne peux pas saisir la raison de la différence qu’il veut établir entre le cas où il y a clause résolutoire et le cas où cette clause n’existe pas.
Quand il n’y a pas clause résolutoire, il peut y avoir des motifs d’urgence pour obtenir le référé, et alors pourquoi le juge ne prononcerait-il pas ? S’il y a des circonstances qui justifient un délai, le magistrat en accordera un. Par exemple, le fermier ou locataire peut venir à l’audience de référé son argent à la main, et prouver qu’il a été négligent et non de mauvaise foi, et qu’il n’y a pas lieu à expulsion.
Remarquez que nous faisons une loi pour répondre au vœu qui a été manifesté de toutes parts, et que nous la faisons pour les cas les plus ordinaires.
Quels sont ces cas les plus ordinaires ? C’est lorsqu’on poursuit un locataire insolvable. Voudriez-vous alors suivre les formes ordinaires ? Ce ne serait pas une amélioration dans la législation.
Quelle différence peut arrêter le juge ? Est-il difficile de constater le non-paiement ? Non sans doute ; les quittances règlent tout. Dans le cas où il y aurait compte ouvert entre le propriétaire et le locataire, le juge n’ordonnera pas l’expulsion. Quand il n’y aura pas clause résolutoire dans le bail, il y aura lieu à prendre en considération les circonstances favorables au débiteur, et elles pourront déterminer le juge à accorder un délai.
En résumé, je pense qu’il y a lieu à rejeter l’amendement présenté par M. Jullien, sauf à retrancher de l’article 2 sa dernière disposition, au moyen de quoi on rentrera dans les articles 809 et 811 du code de procédure.
M. Jullien. - Il me semble qu’il suffit d’y réfléchir un peu pour savoir combien la différence est grande entre les cas : on aperçoit tout de suite combien il est facile de reconnaître si la clause de résiliation existe dans un bail. Mais, dit-on, si elle n’existe pas, où est alors la différence dont vous parlez ? Je réponds qu’alors il ne s’agit plus que d’une demande en résiliation de bail pour cause de non-paiement, et qu’alors encore il vaut mieux la garantie de trois juges, la garantie d’un tribunal enfin, que celle d’un seul juge dans un jugement.
D’après la façon de raisonner des personnes dont je combats l’opinion, on dirait qu’ils regardent le juge en référé comme infaillible ; mais comment veut-on que l’on n’arrache pas à la fatigue de cet homme, qui sera surchargé de demandes, un jugement dont les tribunaux feront justice ensuite, et qui placera le propriétaire dans la nécessité d’accorder des indemnités au fermier qu’il aura expulsé et à celui qu’il aura mis à sa place ?
Le projet de la commission m’avait paru bouleverser les articles 806 et suivants du code de procédure, et voilà pourquoi j’ai présenté une modification expresse.
M. de Theux. - Je viens appuyer la suppression demandée du deuxième paragraphe de l’article. Je vous ferai observer que les référés sont traités dans un titre spécial du code de procédure ; il suffira donc de déclarer par la loi que les causes pour expulsion d’un locataire seront jugées en référé pour que toutes les dispositions de ce titre soient applicables. Ceci mérite d’autant plus l’attention de la chambre, que l’article 811 dit : « En cas d’absolue nécessité le juge pourra ordonner l’exécution de son ordonnance sur la minute. »
Ces mots « en cas d’absolue nécessité » prouvent combien l’on a redouté les abus qui résulteraient d’une exécution sur la minute dans tous les cas.
M. Dubus. - J’aurai l’honneur de présenter un sous-amendement à la disposition proposée par M. Jullien ; j’en ai fait disparaître les mots « sur assignation à bref délai. »
Au lieu de ces mots : « Dans tous les autres cas, » j’ai pensé qu’il valait mieux mettre ceux-ci : « Dans tous les cas. » Il m’a paru utile d’éviter qu’on puisse argumenter de ces mots : « Dans tous les autres, » dans un sens d’exclusion.
M. Liedts. - Je dois avouer que je ne comprends pas la distinction établie entre les cas par M. Jullien.
M. Jullien. - Il n’est pas difficile de vérifier le non-paiement sans doute ; mais considérer que lorsque la clause résolutoire pour non-paiement n’est pas dans le bail, le non-paiement n’est que comminatoire ; dès lors, il faut que les causes du non-paiement soient appréciées par le juge. Quand le fermier, à l’audience, offre de payer, le juge prononce rarement le déguerpissement.
M. Dubus. - Pour quel cas la loi est-elle faite ? Un locataire ne paie pas, il est insolvable ; tous les frais que l’on pourrait faire seraient en pure perte ; le propriétaire n’a pas d’autre ressource que de l’expulser.
C’est précisément cette ressource que l’on veut dénier au propriétaire. Mais dit-on, vous accordez là un bien grand pouvoir au juge. Ce pouvoir n’est pas plus grand que celui qui, dans les mêmes matières, était accordé au magistrat municipal sous la domination autrichienne, et cependant l’expérience n’a pas fait voir de danger dans l’exercice de ce pouvoir ; aujourd’hui que ce sera un juge qui prononcera, la garantie sera plus grande.
On se défie d’un seul juge : mais il me paraît qu’il y a au contraire un motif de sécurité ; le juge sentira qu’une grande responsabilité pèse sur lui, il pèsera avec soin toutes les circonstances : ce qu’il y a à craindre, c’est qu’il ne soit trop enclin à renvoyer les parties devant le tribunal. (Aux voix ! aux voix !)
M. Jullien. - Je ne tiens à parler que dans l’intérêt de la chose publique. La chambre veut-elle me le permettre ? (Oui ! oui !)
Il me semble que tout roule ici sur des pétitions de principes, c’est-à-dire qu’on pose constamment en fait ce qui est en question. On suppose que les locataires seront des gens de mauvaise foi ; mais c’est précisément ce qui est en question. Moi je soutiens qu’ils seront de bonne foi et qu’ils seront solvables. Ils pourront bien ne pas payer, mais ils auront pour cela d’excellentes raisons : soit par exemple, ainsi que je l’ai dit, parce qu’ils n’auront pas été mis en jouissance de toute la chose louée, soit par toute autre circonstance.
En tout cas le retard d’une quinzaine de jours, d’un mois, qu’ils auraient apporté au paiement ne suffirait pas devant un tribunal entier pour prononcer la résiliation du bail, tandis qu’un seul juge le fera. Vous craigniez, dit-on, que ce juge soit investi d’un grand pouvoir ; mais c’est précisément à cause de cela qu’il agira avec plus de prudence et de circonspection. Messieurs, c’est là un excellent argument pour faire supprimer les tribunaux et les remplacer par un seul juge. (On rit.) Car du moment où vous admettez que ce juge procédera avec plus d’attention et de soins, il ne faut point hésiter à retrancher les tribunaux, et vous procurerez aux justiciables et à l’Etat une grand économie.
Messieurs, quel grand mal quand vous accorderez quelques jours de plus à un homme, alors qu’il s’agira peut-être de sa ruine ? D’ailleurs le tribunal jugera sur son opposition comme en matière sommaire ; et je ne comprends pas pourquoi on lui enlèverait le bénéfice de ce délai.
- L’amendement de M. Jullien est mis aux voix et rejeté.
M. le président. - Je vais mettre aux voix l’article 2.
- Quelques voix. - La division !
- Le premier paragraphe est mis aux voix et adopté.
Le deuxième paragraphe est rejeté.
La rédaction de M. Dubus, à laquelle se rallie M. Jullien, est également adoptée en ces termes :
« Toute demande d’expulsion de fermier et de locataire pourra être portée directement, sans préliminaire de conciliation, devant le tribunal de première instance. »
Article 4
M. le président. - M. Liedts a proposé un amendement qui devient l’article 4 et dont voici les termes :
« Les demandes formées au moment où la présente loi sera exécutoire, continueront d’être instruites conformément aux lois qui existaient lors de la demande. »
M. Legrelle propose de dire : « Les demandes formées jusqu’au moment, etc. »
- L’article est adopté avec cette modification.
Le vote sur l’ensemble du projet de loi est remis à lundi prochain.
La séance est levée à 5 heures.