(Moniteur belge n°199, du 18 juillet 1833)
(Présidence de M. Raikem)
A midi et demi, M. Raikem occupe le fauteuil.
M. de Renesse, l’un des secrétaires, fait l’appel nominal. 38 membres seulement sont présents.
- Après un quart d’heure d’attente, la chambre se trouvant en nombre, il est donné lecture du procès-verbal de la dernière séance qui est adopté.
Quelques pétitions sont renvoyées après analyse à la commission des pétitions.
M. Brixhe et M. Vanderbelen demandent un congé de quelques jours.
- Accordé.
Le premier paragraphe, auquel avait été introduit un amendement, est remis aux voix et adopté définitivement.
M. le président. - Sur le paragraphe relatif aux digues de l’Escaut, M. Verdussen avait présenté un amendement qui a été ajourné jusqu’au vote définitif. Il est ainsi conçu :
« Reconstruction des digues de l’Escaut et construction d’aqueducs pour écoulements à la mer par le canal d’Ostende et l’écluse du Hazegras : fr. 970,000 »
M. Verdussen. - Messieurs, déjà dans la séance du 11 de ce mois, j’ai présenté les développements de l’amendement que j’ai l’honneur de reproduire aujourd’hui ; les détails dans lesquels je suis entré pourraient me dispenser de prendre la parole sur une question aussi simple, si, à mon grand étonnement, je n’avais entendu que quelques-uns de mes honorables collègues ne sont pas pénétrés de la nécessité de voter un chiffre quelconque dès que la législature autorise le gouvernement à exécuter des travaux spécialement indiqués. Je crois donc devoir ajouter quelques considérations nouvelles à celles que j’ai déjà produites à la chambre.
Je dois, avant tout, déclarer, messieurs, que ma motion ne tend qu’à régulariser la comptabilité des dépenses du budget de l’intérieur, et que je n’ai nullement en vue de modifier ni de discuter le montant de la somme de 970,000 fr.
En réalité, messieurs, je ne vous demande qu’à être conséquents avec nous-mêmes. Lorsqu’à l’article A nous avons énoncé une somme comme limite, nous avons établi un principe très juste et très naturel dont l’oubli annulerait même l’effet de notre décision pour l’exécution des ouvrages reconnus urgents, puisque la cour des comptes devrait refuser son visa à un mandat imputable sur un crédit spécial laissé en blanc.
Si quelques-uns de mes honorables collègues reculent devant l’élévation du chiffre de 970,000 fr. que je propose conformément à celui indiqué au budget, et si la crainte qu’ils peuvent avoir que ce chiffre ne soit trop élevé leur fait préférer de n’en admettre aucun, comment se fait-il qu’ils ne s’effraient pas davantage, et avec plus de raison, d’un crédit illimité dont le gouvernement disposerait à son gré ?
Je sais que quelques membres de cette assemblée n’envisagent point les travaux repris dans le projet de loi que nous discutons comme une fraction du budget général des dépenses ; ils pensent que ce n’est qu’une loi d’application du crédit provisoire ouvert par la loi du 5 juillet 1833. Quoique je ne partage pas l’opinion de ces honorables membres, ils seront au moins convaincus avec moi que si le ministère pouvait recevoir de la législature l’autorisation de faire exécuter les travaux de l’article B sans l’obligation de se renfermer dans le cercle d’une somme donnée, il pourrait se croire autorisé à y affecter la totalité des crédits qui lui sont ouverts ; et dès lors l’irrégularité existe, le vice est reconnu, et mon amendement est suffisamment justifié.
M. Liedts. - Je demande la question préalable sur l’amendement.
M. le président. - Mais cet amendement n’a pas été rejeté, il n’a été qu’ajourné.
M. Liedts. - Je croyais qu’il avait été rejeté ; je retire ma proposition.
M. d’Huart. - Je ne m’oppose pas à ce qu’on détermine une somme, mais il est impossible que le chiffre en soit porté à 970,000 fr. ; car, d’après le budget, ce chiffre s’applique à des travaux beaucoup plus considérables que ceux désignés dans l’amendement, et les voici :
A. Construction d’aqueducs pour écoulements à la mer par le canal d’Ostende et l’écluse du Hazegras, fr. 11,700 ;
B. Entretien des endiguements construits sur la rive gauche de l’Escaut, fermeture de la rupture de Burcht, surveillance et travaux imprévus, fr. 521,300 ;
C. Construction, rechargement, exhaussement, entretien des digues de Liefkenfhoek et du Doel, pour arrêter les inondations, fr. 100,000 ;
D. Mêmes dépenses sur la rive droite de l’Escaut, fr. 337,000.
Total : fr. 970,000.
Il faudrait, pour pouvoir fixer la somme, que M. le commissaire du Roi nous en dît le total.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Par la loi du 5 juillet, il a été établi que le ministre de l’intérieur pourrait prélever, sur les crédits provisoires ouverts, toutes les sommes nécessaires pour tous les ouvrages d’entretien indiqués dans la proposition que j’ai faite, et qui est devenue un projet de loi.
Si telle est la situation des choses, il n’est pas besoin d’établir un chiffre ; si on ne l’entend pas ainsi, il faut peut-être établir ce chiffre ; mais je le crois inutile, car on demande simplement de fixer certaines dépenses à prélever sur les crédits provisoires déjà votés. Les chiffres sont dans le budget, et c’est lorsque vous le discuterez, messieurs, que vous verrez s’il y a lieu de l’adopter.
Les travaux dont il s’agit dans la disposition qui nous occupe, sont des travaux d’entretien. Par ce motif, et puisque vous avez accordé au gouvernement tout ce qui était nécessaire pour ces frais, je demande qu’on s’en tienne à l’indication établie dans le projet de loi.
M. de Brouckere. - Il me semble que la proposition de M. Verdussen est tellement juste, qu’il n’est besoin d’aucun raisonnement pour l’appuyer. Que demande-t-il, messieurs ? Qu’on fixe le maximum des crédits affectés aux dépenses de tels ou tels travaux. Or, je ne pense pas qu’en aucune circonstance on en ait agi autrement, et que la chambre ait jamais permis au gouvernement de faire des travaux sans déterminer un maximum quelconque. L’honorable préopinant a dit que nous votions seulement l’imputation de certaines dépenses.
Quant à moi, messieurs, je veux non pas de certaines dépenses, mais des dépenses certaines, du moins quant au maximum, et je ne suis nullement tranquillisé par la réflexion qu’on nous fait que nous pourrons en fixer le chiffre lors de la délibération du budget. Je ne vois pas ce qui nous empêche de le déterminer dès aujourd’hui, et si ce crédit ne suffit pas, on pourra en demander de nouveaux lors du budget.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Je ferai observer que le maximum est fixé par l’allocation des trois quarts du budget total du ministre de l’intérieur. Du reste, je ne m’oppose pas à ce qu’on établisse le chiffre, puisque cela ne peut être nuisible.
M. de Brouckere. - Nous sommes d’accord alors. M. le commissaire du Roi reconnaît qu’il n’y a aucune difficulté à fixer la somme. Eh bien ! fixons-la, et nous agirons avec plus de régularité.
Il dit, et ici je dois rendre hommage à sa bonne foi, il dit que la fixation de ce maximum ne peut être nuisible, mais qu’il la trouve inutile. Mais nous, nous la trouvons utile, très utile, et c’est pour cela que j’appuie l’amendement de M. Verdussen.
M. Verdussen. - Puisque M. le commissaire du Roi est maintenant d’accord avec nous, je n’entrerai pas dans des détails ultérieurs. Seulement je suis surpris qu’il tienne un langage tout différent de celui qu’il avait tenu d’abord.
Je dois maintenant répondre à ce qu’a dit l’honorable M. d’Huart. Il craint que dans mon amendement ne soient pas compris les travaux auxquels étaient affectés les 970,000 fr. Moi, au contraire, je crois que tous les travaux dont il a parlé sont compris dans la reconstruction des digues de l’Escaut. Mon intention est d’y comprendre tout l’article 3 du chapitre 8, lettres A, B, C, D du budget.
M. d’Huart. - Je persiste toujours à croire qu’en accordant 970,000 fr., vous donnez plus au gouvernement qu’il n’a demande lui-même dans le budget. Ainsi, il faut qu’on nous dise quelle somme est nécessaire pour la reconstruction des digues de l’Escaut.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Les travaux relatifs aux digues de l’Escaut sont de deux natures, les travaux d’entretien et ceux de construction. Quant à ceux d’entretien, les fonds en ont été faits par la loi du 5 juillet : quant à ceux de construction, les fonds n’en sont pas faits. La somme totale de 970,000 fr. est indispensable pour les ouvrages d’entretien et de reconstruction des digues de l’Escaut.
M. de Theux. - Je crois en effet, messieurs, qu’il y a ici quelque confusion. Dans une loi antérieure on a voté les dépenses d’entretien des digues de l’Escaut. Ici il s’agit des dépenses nécessaires pour la reconstruction. Eh bien pour éviter cette confusion, il me semble qu’il faudrait dire : « Pour l’entretien, la reconstruction des digues de l’Escaut et la construction d’aqueducs dans les polders, 370,000 fr. »
M. Teichmann, commissaire du Roi et M. d’Huart se rallient à cet amendement, qui est mis aux voix et adopté.
- Les suppressions du numéro intitulé : « Amélioration de la traverse de Braine-le-Comte, » et de celui intitulé : « Achèvement de quelques lacunes de la route de Namur à Luxembourg, » sont définitivement adoptées.
M. le président. - On passe à l’amendement de M. Jullien précédemment adopté.
M. Pirson. - Je réclame la parole pour demander une explication à M. le commissaire du Roi.
- Plusieurs voix. - Cela ne se peut pas.
M. le président. - M. Zoude propose un amendement.
M. de Brouckere. - Je demande à faire une motion d’ordre. Je crois, messieurs, que dans cette discussion il faudrait observer rigoureusement les termes du règlement, et ne permettre de parler que sur les amendements adoptés et non pour la reproduction d’amendements rejetés ; car nous serions ramenés ainsi dans une discussion déjà vidée. L’honorable M. Zoude doit donc nous faire connaître s’il a en vue de prendre la parole sur une disposition adoptée, ou si, au contraire, il a l’intention de présenter un nouvel article ou un amendement déjà rejeté.
M. Zoude. - J’ai modifié l’amendement que j’ai eu l’honneur de proposer à la chambre, et il deviendra dès lors un nouvel amendement. (La lecture ! la lecture !)
M. le président. - Voici la proposition de M. Zoude :
« Je demande que la route de Marche à Boulogne ainsi que celle demandée par M. de Nef soient comprises dans la nomenclature de celles pour lesquelles a été allouée une somme de 147,000 fr, d’après la proposition de M. Jullien. »
M. de Brouckere. - Il faut nécessairement adopter la question préalable. C’est une demande qui a déjà été faite et rejetée. La chambre ne peut plus s’en occuper.
M. d’Huart. - Je ferai remarquer que la chambre n’a pas eu l’occasion de rejeter l’amendement de M. Zoude. Elle a accordé la priorité à la proposition de M. Jullien qui fixait une somme globale, mais elle n’a pas repoussé l’amendement dont il s’agit. Aujourd’hui M. Zoude demande que deux nouvelles routes soient comprises dans le crédit global, et il n’y a pas lieu d’admettre la question préalable.
M. de Theux. - Il me semble qu’il convient avant tout de discuter l’amendement de M. Jullien. Si cet amendement est maintenu par la chambre, alors il n’y a plus lieu d’examiner les demandes spéciales ; si au contraire il est rejeté, c’est alors qu’on pourra reproduire les diverses spécialités par lesquelles on voudrait le remplacer. (Appuyé !)
M. Teichmann, commissaire du Roi. - En aucun cas, les routes demandées par MM. Zoude et de Nef ne peuvent être comprises dans la disposition dont nous nous occupons, parce qu’elles n’entrent pas dans la catégorie des routes de 1ère et de 2ème classe. Il faudrait un crédit particulier comme pour celle de Dinant à Neufchâteau.
M. de Brouckere. - L’observation faite par l’honorable M. de Theux est pleine de justesse. Nous ne pouvons pas nous écarter de l’objet qui est en discussion, c’est-à-dire l’amendement de M. Jullien.
C’est sur cet amendement que nous devons voter, S’il est maintenu, alors toute discussion cesse ; si, au contraire, il est rejeté, libre à tous les membres de présenter de nouveaux amendements.
Mais voyez, messieurs, ce qui arriverait si vous adoptiez l’opinion émise par M. d’Huart, que nous pouvons discuter l’amendement parce qu’il n’a pas été rejeté. Il arriverait que nous n’atteindrions pas le but que nous nous sommes proposé en accordant la priorité à la proposition de M. Jullien. Lorsque cette proposition fut soumise à la chambre, on a dit que c’était une question préalable ; que si elle était admise, elle entraînerait le rejet des amendements de MM. Rodenbach, Zoude et de Nef. On a donc, par le fait de cette admission, repoussé ces amendements, et ils ne peuvent plus être reproduits.
M. Dubois. - Je voulais faire la même observation. La question est de savoir si la chambre se prescrira aujourd’hui le même ordre de délibération que celui qu’elle a adopté précédemment.
Il y a eu une question de priorité entre l’amendement de Fleussu et de M. Jullien d’une part, et tous les amendements spéciaux de l’autre part. C’est celui de M. Jullien, qui absorbait toutes les spécialités, qui l’a obtenue. Je crois que nous devons encore aujourd’hui procéder dans le même ordre.
M. A. Rodenbach. - Il y a un antécédent contraire au système soutenu par les derniers préopinants. A l’occasion de la loi sur l’organisation judiciaire et lors du vote définitif, divers sous-amendements ont été reproduits par le ministre de la justice d’alors, et ils ont été acceptés. Je crois que nous avons le droit aujourd’hui de sous-amender la proposition de M. Jullien. J’avais retiré mon amendement parce que j’avais cru que nous aurions participé à la somme de 147,000 francs. Je le reproduis maintenant et je l’appuie sur un antécédent de la chambre.
M. de Nef. - Messieurs, avant de voter sur le projet en discussion, je demanderai à M. le commissaire du Roi de s’expliquer catégoriquement sur la route de Turnhout à Diest par Gheel, dont l’urgence et la nécessité sont incontestables ; c’est son explication qui me guidera pour m’abstenir ou bien faire une proposition nouvelle et spéciale.
Ma réclamation, qui ne tend point à obtenir une faveur, mais seulement un acte de justice, n’est dictée par aucun intérêt local ; l’intérêt général exige que le district de Turnhout, dont l’étendue est immense, et qui contient une population très laborieuse d’environ cent mille habitants, ne reste pas plus longtemps séparé en quelque sorte des autres parties du royaume par le défaut de communication.
Il n’y a dans tout le district qu’une seule route établie ; c’est celle d’Anvers à Turnhout, et encore y néglige-t-on les réparations nécessaires ; de tous les autres côtés il n’y a que des chemins de terre qui, surtout en hiver, sont presque impraticables ; ce manque de communication est cause qu’une grande quantité de bruyères qui pourraient devenir productives restent incultes et sans valeur, tandis que d’un autre côté la facilité des moyens de transport rendrait aussi la consommation beaucoup plus importante au profit des autres provinces du royaume.
Il est donc évident que l’intérêt général du pays s’oppose à la continuation d’un état de choses aussi nuisible et contre lequel je ne pourrai jamais assez fortement m’élever.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Le gouvernement sent toute l’importance de la route de Turnhout à Diest ; mais, dans la situation actuelle des choses, il n’a pas cru qu’on pouvait cette année appliquer quelques fonds au commencement de cette entreprise qui exigera au moins 600,000 fr. On ne méconnaît donc pas le besoin de cette route et les avantages qu’elle procurerait, mais on a pensé que la commencer ne serait pas en harmonie avec les autres besoins du royaume. Voilà pourquoi cette route n’a pu trouver place au budget de l’intérieur pour l’exercice de 1833.
M. Verdussen. - Je m’attacherai à la motion d’ordre dont se sont écartés les deux préopinants. J’appuie l’opinion de M. d’Huart le règlement à la main. Et d’abord l’antécédent dont a parlé l’honorable M. Rodenbach existe, et c’est une présomption que ce qui a été jugé bon alors le sera encore aujourd’hui. Voyons maintenant l’article 45 du règlement. Il porte que dans une deuxième séance on discutera les amendements adoptés et les articles rejetés et qu’il en sera de même des nouveaux amendements qui en seront la conséquence. Eh bien que veut M. Zoude ? Il demande à faire un nouvel amendement sur celui de M. Jullien qui a été adopté, et il propose de comprendre deux autres routes dans la nomenclature de routes déjà indiquées. Je ne vois pas là d’inconvenance ni de violation du règlement.
Quant à l’objection qu’a faite M. Teichmann et relative aux routes de 1ère et de 2ème classe, c’est une distinction qui n’a pas été établie par la législature.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - La législature ne peut envisager les choses autrement qu’elles existent. La classification des routes ne provient pas d’un caprice de la part de l’administration. C’est un ordre de choses réel et dont on ne peut s’écarter.
M. Jullien. - Messieurs, pour vider ce débat, il suffit de faire attention à l’article 45 du règlement et d’examiner dans quelle position nous nous trouvons. L’article 45 du règlement dit qu’à la seconde séance on discutera les amendements adoptés et les articles rejetés. Maintenant dans quelle position vous trouvez-vous ? Dans l’obligation de voter sur l’amendement qui a été adopté. C’est là-dessus que la discussion doit être établie, et on ne peut produire d’autres amendements qui ne soient la conséquence de cette adoption. Il faut donc se résoudre à émettre un vote définitif sur cet amendement adopté, et le résultat de ce vote définitif indiquera aux honorables membres ce qu’ils auront à faire.
Au reste, je prie la chambre de se souvenir du motif qui a fait admettre mon amendement. Nous avons dit que toutes les propositions spéciales étaient de véritables propositions nouvelles, et qu’elles ne pouvaient être soumises à un vote parce qu’il ne s’agissait que de voter sur un projet de loi pris en considération par la chambre, discuté dans les sections et passé ensuite dans la section centrale. Voilà pourquoi mon amendement a été adopté.
Il y a donc lieu de demander, comme le règlement le prescrit, qu’on vote d’abord sur cet amendement. (La clôture ! la clôture !)
M. d’Huart. - Il est évident qu’on peut amender aujourd’hui un amendement adopté dans une précédente séance. Il ne s’agit plus que de savoir si les amendements qu’on propose aujourd’hui sont la conséquence du premier vote. Eh bien, je me prononce pour l’affirmative. En effet, on demandait d’abord 62,000 fr. pour diverses routes ; sur la proposition de M. Jullien on a porté la somme à 147,000 fr. Or, puisque la somme est devenue plus forte, on peut maintenant la distribuer sur un plus grand nombre de spécialités.
Quant aux routes de 1ère et de 2ème classe, dont a parlé M. Teichmann, il n’en est point parlé dans l’article.
L’amendement est donc fondé, et il n’y a pas lieu de passer à la question préalable.
- La clôture est prononcée.
Ensuite la chambre décide qu’il y a lieu de voter d’abord sur l’amendement de M. Jullien.
Cet amendement est remis aux voix et définitivement adopté.
M. le président. - Avant de passer à l’appel nominal, la chambre veut-elle entendre M. Pirson ?
M. Pirson. - Je ne viens proposer aucune modification au projet de loi, mais seulement demander à M. le commissaire du Roi ce qu’on fera de 20,000 florins qui ont été réduits sur la somme de 144,000 florins votés pour la route de Dinant à Neufchâteau. Lorsqu’il s’est agi de voter une somme aussi considérable, j’ai émis le vœu qu’on abandonnât cette route et qu’on prît une autre direction, d’où il résulterait pour l’Etat un boni de 300,000 fr. ; mais comme on a désiré la continuer par la même direction on a proposé une réduction de 20,000 fl. Que deviendront ces 20,000 fl. ?
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Je dois me borner à dire que les 100,000 fr. affectés à la route dont il s’agit suffiront, en 1833, pour l’achever. S’il y a des reliquats de fonds pour les années antérieures, il en sera rendu compte, et la chambre des comptes les apurera d’une manière légale.
M. Pirson. - M. le commissaire du Roi dit que les 100,000 francs votés suffiront ; mais je demanderai si le redressement à Saint-Nicolas est compris dans cette somme. Ce redressement est absolument nécessaire.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Je n’ai à justifier que l’emploi des fonds pour l’exercice 1833 ; je n’ai pas d’autre mission en ce moment.
Il est procédé à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi.
Sur 69 votants, 50 se prononcent pour et 14 contre ; 5 membres se sont abstenus. Ce sont MM. Dellafaille, Devaux, Gendebien, Nothomb et Lebeau.
Les quatre premiers déclarent s’être abstenus de voter, parce qu’ils n’ont point assisté à la discussion.
M. Lebeau. - Je me suis abstenu pour le même motif par suite d’une indisposition qui m’a empêché de me rendre à la chambre.
En conséquence le projet de loi est adopté.
Ont voté pour :
MM. Bekaert, Berger, Brabant, Coppieters, Corbisier, Dautrebande, de Brouckere, de Longrée, de Man d’Attenrode, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, W. de Mérode, de Nef, de Renesse, de Robaulx, Desmaisières, Desmanet de Biesme, Desmet de Stembier, de Terbecq, de Theux, de Witte, d’Hoffschmidt, d’Huart, Donny Eloy de Burdinne, Ernst, Fleussu, Frison, Helias d’Huddeghem, Hye-Hoys, Jadot, Jullien, Lardinois, Legrelle, Olislagers, Pirson, Poschet, Quirini, Raikem, Schaetzen, Seron, Smits, Teichmann, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vergauwen, H. Vilain XIIII.
Ont voté contre : MM. H. Dellafaille, de Roo, de Sécus, Doignon, Domis, Dubus, Dugniolle, Duvivier, Liedts, Milcamps, A. Rodenbach, Verdussen, Wallaert et Zoude.
M. de Robaulx. - Messieurs, depuis quelques jours, nous avons appris que diverses extraditions devaient avoir lieu. Je prie la chambre de me permettre d’interpeller à cet égard M. le ministre de la justice. Je lui demanderai d’abord s’il est vrai qu’on ait renvoyé et qu’on ait livré à la gendarmerie française, à l’extrême frontière, un Français muni de papiers, non domicilié mais résidant à Bruxelles. Je demanderai ensuite si pareille chose a eu lieu à l’égard d’un sujet prussien, réfugié en Belgique. Si cela est vrai, je prie M. le ministre de me dire sur quelles lois existantes entre la Belgique et la France, et surtout entre la Belgique et la Prusse qui ne nous a pas encore reconnus, sur quelles lois il se fonde pour livrer aux autorités de leur pays des individus qui sont venus chercher un asile chez nous.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Avant de répondre à l’honorable membre, je voudrais savoir si la chambre juge convenable de déroger à l’ordre du jour.
- Quelques voix. - Oui ! oui !
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je ferai remarquer qu’en faisant cette déclaration je n’entends en aucune façon me soustraire au devoir qui m’est imposé de donner des explications sur les actes de mon administration. Je ne soulève qu’une question d’opportunité et je désire que ce soit la chambre qui la décide. Si la chambre croit qu’il est du devoir du ministère de s’expliquer immédiatement, je ne m’y refuserai pas.
M. de Robaulx. - Je trouve étonnant qu’après que la chambre m’a permis de faire une interpellation directe, on demande si elle entend interrompre l’ordre du jour. Malgré toute l’étiquette parlementaire de M. le ministre, je crois n’avoir pas besoin de ses leçons à cet égard. S’il pense ne pouvoir pas répondre aujourd’hui, je ne le presse pas de le faire à l’instant même ; qu’il attende jusqu’à demain. Mais, s’il est prêt, et qu’il pousse l’étiquette jusqu’à vouloir que la chambre se prononce avant d’une manière expresse, je suis persuadé que chaque membre de cette assemblée est assez soucieux de l’honneur du pays pour lui ordonner de répondre.
M. de Brouckere. - M. le ministre a dit qu’il n’élevait qu’une question d’opportunité et qu’il était prêt à s’expliquer si la chambre croyait qu’il fallût suspendre l’ordre du jour.
- La chambre, consultée sur la question de savoir s’il y a lieu d’entendre M. le ministre de la justice dès à présent, se prononce pour l’affirmative.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je commencerai par déclarer d’abord qu’en fait il y a eu réellement extradition, dans la véritable acception du mot, pour un Français, et qu’il y a eu expulsion du territoire pour un Prussien.
Voici les circonstances qui ont amené ces deux faits. Déjà, depuis plusieurs semaines, il s’était établi entre le ministère belge et la légation française des relations qui devaient avoir pour résultat d’amener entre les deux gouvernements un arrangement d’après lequel ils se rendraient mutuellement les habitants des deux pays qui pourraient être frappés, par leurs juges naturels, de mandats pour faits étrangers à la politique, et intéressant spécialement le commerce : je veux parler du crime de banqueroute frauduleuse, et de faux en écriture de commerce.
Je n’ai pas dès l’abord exprimé mon opinion, parce que la législation ne m’a pas paru tellement claire qu’il ne fallût pas réfléchir sérieusement avant de prendre une décision. Il va sans dire que, dans la supposition même où l’article 128 de la constitution et la législation existante se conciliassent avec l’extradition, nous n’aurions jamais reconnu son applicabilité aux délits politiques.
J’ai pensé que, sous le rapport de la convenance et de l’utilité actuelle de la mesure, le commerce belge est tout aussi intéressé que le commerce français à livrer aux tribunaux de leur pays les hommes désignés, par un mandat émané de leur juge compétent, comme prévenus de banqueroute frauduleuse ou de faux en écriture de commerce.
Le gouvernement français s’engageait à user de réciprocité envers nous, et je n’ai pas hésité à prendre la même obligation, sauf à m’en référer à la législature en cas de contestation. C’est sous cette réserve qu’une sorte d’arrangement est intervenu entre le gouvernement français et le gouvernement belge.
Les monuments législatifs d’où l’on peut faire dériver le droit d’extradition ne sont pas nombreux, je l’avoue. Cependant il existe un décret impérial du 25 octobre 1811, dont la légalité n’a jamais été régulièrement attaquée et qui prévoit le cas d’extradition, même pour un Français qui a commis un crime en pays étranger. Ici ce n’est pas ce dernier cas, puisqu’il s’agit d’un Français traduit devant ses juges naturels, hypothèse beaucoup moins rigoureuse.
C’est sur cette disposition que je me suis particulièrement appuyé. Il est certain que c’est sur des motifs entièrement étrangers à la politique que j’ai cru devoir prendre l’engagement dont j’ai parlé, engagement subordonné d’ailleurs à la manière dont la législature envisagerait le droit d’extradition.
L’individu auquel j’ai fait allusion a été livré à la gendarmerie française à l’instigation même de ceux qui sont appelés à soutenir et à faire valoir ici les droits des Français. Par conséquent, vous ne devez pas admettre ce qu’ont dit les journaux sur le prétendu mépris que nous aurions fait des droits et des garanties réclamées par la légation.
Voilà les faits qui concernent le Français, prévenu de banqueroute frauduleuse, d’après les termes mêmes d’un mandat émanant de son juge compétent et qui lui a été notifié.
Quant au sujet prussien, il avait, autant que je m’en souviens, été condamné par un tribunal de notre pays comme vagabond, et il a pu être régulièrement expulsé : l’article 272 du code pénal est formel sur ce point.
M. de Robaulx. - Où a-t-il été reconduit ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Où il a voulu ; si on l’a dirigé vers la frontière de Prusse, c’est sans doute parce qu’il l’avait désignée lui-même.
M. de Robaulx. - Je me hâte de le déclarer, en ce qui regarde le Prussien, le gouvernement était dans son droit. Si cet homme avait été condamné par un tribunal du pays, il pouvait ne pas le recevoir ou l’expulser. Mais, dans ce cas encore, le ministère devrait-il prendre l’autorisation du Roi. Quant à la législature, il est bien entendu qu’interpellée elle aurait le droit d’expulser tous ceux qui ont été condamnés dans le pays, et régler elle-même les conditions de l’hospitalité qu’elle accorde. Je prends acte des paroles de M. le ministre de la justice. Il nous a dit que le condamné avait été conduit où il avait voulu ; et en effet, personne n’aurait le droit de livrer à ses bourreaux un homme qui serait venu chercher l’hospitalité sur notre territoire.
Je reviens maintenant sur le fait d’extradition avoué et consenti par le ministre de la justice. C’est une chose singulière, messieurs, que lorsqu’il s’agit de liberté individuelle, de la protection due aux malheureux, de la considération et de l’honneur du pays, on ne juge pas à propos de consulter la législature et qu’on s’en remette au caprice du ministère. M. Lebeau nous a dit qu’il avait cru dans les convenances et l’utilité du commerce des deux pays de stipuler l’échange réciproque des gens prévenus de banqueroute frauduleuse ou de faux en écriture de commerce.
Cette convenance et cette utilité que vous croyiez apercevoir devait vous engager à autre chose qu’à tenir un conseil des ministres ; c’était là un motif pour présenter à la chambre un projet de loi sur la matière, pour s’adresser à nous, afin de savoir comment nous entendions restreindre la protection due aux étrangers.
Mais on a été plus loin ; des négociations se sont ouvertes avec la France, et il en est résulte une sorte d’arrangement subordonné à la manière dont la chambre envisagera la matière. Le ministre est convenu provisoirement de remettre tous ceux qui lui seront désignés comme étant frappés par un mandat d’amener. Malgré la réserve que l’on a faite, vous remarquerez que l’on commence par livrer les individus : on livre tout d’abord les malheureux.
Est-ce ainsi que vous deviez agir, si, comme vous le dites, vous n’aviez pas une opinion formelle ? Si vous en aviez une, il fallait encore vous abstenir, consulter les chambres, et ne pas exécuter provisoirement votre décision.
Comment a-t-on pu s’appuyer sur un décret de 1811 ! Ah ! c’est bien là un appui digne du ministère qui se fait un devoir de singer en tout les doctrinaires de France. Il a été puiser dans l’arsenal impérial le pouvoir par lequel il pourra maltraiter, non seulement les étrangers, mais tous ceux qu’il voudra atteindre. Car, remarquez bien que le décret laisse le droit de citer un Belge devant les tribunaux français. Ainsi donc, s’il est vrai qu’il ait encore force de loi, voilà le ministère qui peut arrêter un Belge et le livrer à la justice prévôtale, comme elle a été établie en France après les journées de juin.
Mais, est-ce que depuis 1811, nous ne nous sommes pas donné une constitution qui règle tout en qui est relatif à la liberté individuelle ? Devons-nous souffrir qu’on lacère notre pacte fondamental, qu’on détruise les garanties de la liberté individuelle, qu’on livre un étranger qui respecte nos lois ? S’il est utile et convenable de former un pacte d’extradition, faut-il pour cela permettre aux ministres d’interpréter la constitution, de la tronquer ?
Messieurs, je ne fais pas l’apologie des banqueroutiers, je parle dans l’intérêt des étrangers de tous les pays. Je veux qu’on maintienne intacts les principes de notre constitution, et je dis qu’on les a violés aujourd’hui en livrant un Français. C’est à l’anéantissement du pacte fondamental que l’on veut nous amener, et si nous ne nous opposons pas aux tentatives, nous nous verrons ravir une à une toutes nos garanties. Je proteste contre ce fait que j’ai signalé, et j’espère que la législature se montrera dans cette occasion digne d’elle-même et du pays.
- M. le ministre de la justice (M. Lebeau) se lève pour répliquer.
M. de Brouckere. - Je demande la parole.
M. Jullien. - Je la demande aussi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je cède pour le moment la parole à M. de Brouckere.
- Une voix. - C’est plus facile que de répondre.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Il serait étonnant qu’on me fît un crime d’un acte de déférence. Comme ministre, ayant la parole toutes les fois que je la demande, je ne veux pas abuser de cette faculté ; je préfère répondre à plusieurs orateurs à la fois. Lorsque M. de Robaulx eût fini de parler, il y eut un intervalle assez long avant que MM. de Brouckere et Julien demandassent la parole ; je me suis levé croyant que personne n’avait plus rien à ajouter, mais puisque d’autres orateurs ont des observations à émettre, j’attendrai ; j’éviterai par là une perte de temps pour la chambre, et à moi-même, dont la santé demande encore quelques ménagements, une inutile fatigue.
M. de Brouckere. - On n’a pas montré depuis longtemps un grand respect pour la constitution ; cependant j’ai éprouvé un sentiment extrêmement pénible à entendre M. le ministre de la justice faire l’aveu devant la législature d’un fait que j’avais déjà lu dans les journaux, et auquel j’avais jusqu’ici refusé d’ajouter foi, tant il me paraissait odieux. Vous connaissez l’article 128 de la constitution votée par le congrès ; vous vous le rappelez, messieurs, cet article fut adopté sinon à l’unanimité, du moins à une majorité immense ; il assure aux étrangers qui viennent se réfugier sur le sol de la Belgique qui devait être, disait-on, le plus libre de l’Europe, protection pour leur personne et leurs biens.
Eh bien ! un Français dont je ne connais pas le nom, soupçonné de banqueroute frauduleuse, vient se réfugier à Bruxelles ; le gouvernement français le réclame, et le ministre de la justice le fait arrêter par la gendarmerie. Il est jeté dans les prisons, garrotté comme un criminel et conduit jusqu’à la frontière où il est livré à ceux qui le poursuivent. Sur quel texte s’est-on appuyé ? Sur un décret du 25 octobre 1811, que M. le ministre de la justice a découvert tout à coup. Je ne connais pas ce décret, et il me paraît que M. le ministre de la justice ne le connaissait pas non plus avant le fait dont il s’agit, car il nous en a parlé comme d’une découverte. Mais s’il est remis en vigueur, le pacte fondamental n’existe plus ; nous ferons aussi bien de déchirer la constitution et de nous retirer chacun chez nous. Désormais le ministre est libre de nous faire arrêter les uns après les autres, et de nous livrer les uns après les autres si les gouvernements étrangers nous réclament ; le décret de 1811 lui en donne le pouvoir.
Ce n’est pas que M. le ministre n’ait hésité longtemps ; mais ce qui l’a déterminé, c’est l’utilité, la convenance ; c’est le désir de protéger le commerce de la Belgique par la réciprocité qu’il obtiendra de la part de la France. On fait remarquer, d’ailleurs, qu’il s’agit d’un homme poursuivi par la justice et qu’on ne fait que le livrer à ses juges naturels. Tout cela signifie qu’à l’avenir il suffira qu’un procureur du Roi, d’accord avec un juge d’instruction, lance un mandat d’amener contre un Français, pour qu’il soit extradé. L’article 128 de la constitution pourra toujours être violé, car c’est toujours par un mandat d’amener que commencent les poursuites en matière criminelle.
Vous avez pu voir que M. le ministre de la justice n’était pas peu embarrassé de justifier sa conduite.
Car elle est injuste ; elle est une violation flagrante de notre pacte fondamental. Si un pareil fait pouvait se renouveler, la Belgique serait dégradée dans l’estime des nations ; car aucun pays ne doit souffrir un acte de tyrannie.
En vérité. je suis tenté de croire que M. le ministre y mettait de l’ironie lorsqu’il affirmait que l’extradition avait en lieu à l’instigation même de ceux qui sont chargés de défendre ici les droits des Français.
Savez-vous à qui il faisait allusion alors ? A l’agent du gouvernement français, à celui qui doit faire exécuter ici les ordres de ce gouvernement, et l’on voudrait vous donner sa demande comme une protection ! Ainsi donc c’est pour protéger le Français que M. l’ambassadeur a demandé son extradition.
Je ne crois pas que jamais, sous le gouvernement hollandais, on ait poussé les choses plus loin. On s’est tant récrié à l’occasion de l’extradition de deux ou trois condamnés français.
On accusait d’infamie le ministère hollandais qui avait livré ces hommes. Eh bien ! ce qui s’est passé est l’équivalent de ce fait ; c’est le ministère actuel qui a ouvert la voie funeste des extraditions en Belgique : le gouvernement provisoire, lui, avait constamment refusé de s’y engager.
Il s’est présenté en Belgique, pendant le gouvernement provisoire, un employé prussien qui avait soustrait des sommes considérables à l’administration des postes dont il faisait partie. Cet homme a été pris nanti de tous les fonds soustraits ; il avouait son crime. Un magistrat de son pays arriva chez nous pour constater le délit et demander l’extradition du coupable. Le gouvernement provisoire a refusé, parce qu’il sentait que nous n’avions pas fait une révolution pour attenter aux droits que tous les hommes peuvent réclamer.
L’employé dont je parle était arrivé sans papiers ; il avait été condamné comme vagabond. Le gouvernement provisoire, reconnaissant qu’il y avait lieu à le faire conduire hors des frontières lui demanda où il voulait aller. Il désigna le territoire français, et c’est là qu’il fut conduit.
On avait jugé qu’il y aurait infamie à livrer un homme à ses bourreaux.
M. Jullien. - Le discours des honorables préopinants m’ont laissé peu de chose à ajouter. Il est à regretter qu’une question de cette gravité s’agite incidemment dans cette chambre ; car il est difficile de traiter un sujet de cette nature sans aucune espèce de préparation.
M. le ministre de la justice nous a dit qu’il n’existait pas de législation précise d’extradition. Mais, s’il n’existe pas de législation précise, c’était d’abord un motif pour le ministre de s’abstenir et c’est une raison pour nous d’examiner les principes généraux sur cette matière.
Je suis bien aise de rappeler à M. le ministre de la justice que, toutes les fois qu’un individu a touché le sol d’un pays libre, par ce fait seul il devient libre. C’est là une vieille maxime du gouvernement français sous la monarchie. Alors cependant les gouvernements constitutionnels n’existaient pas, et je vous demande si la maxime que j’ai citée ne doit pas opérer, à bien plus forte raison, dans un pays où l’on en a fait une disposition précise de la constitution.
Quand on touche le sol d’un pays libre, on devient libre ; voilà donc le principe. Il s’agit de savoir maintenant si l’espèce d’impunité qui en résulte ne pourrait pas recevoir quelqu’exception.
Quand il s’agit d’un crime qui blesse la société à laquelle le coupable appartient, on ne peut pas le refouler dans le pays qu’il a quitté, pour le livrer à ses bourreaux. On suppose que le crime n’intéresse que la société qu’il abandonne. En effet, messieurs, il est possible que ce qui est crime dans un pays ne le soit plus dans un autre ; il serait donc barbare de rejeter cet homme au milieu de la société qu’il a voulu fuir.
On a été plus loin, et l’on s’est demandé si l’on ne pourrait pas établir le droit d’extradition pour les crimes qui intéresseraient la société tout entière. Ainsi, par exemple, le faux en écriture de commerce : vous comprenez, en effet, qu’un billet faux peut être souscrit à Paris et être payable à Londres, et compromettre ainsi le commerce de plusieurs villes intéresser plusieurs sociétés à la fois. On s’est demandé, dis-je, si ce crime pouvait légitimer l’extradition ? Sur ce point plusieurs légistes ont répondu par l’affirmative. Mais ce n’était pas au ministère lui-même à trancher une question aussi grave que celle de l’extradition et de la réciprocité.
Il a paru sur le sol de Belgique un Français ; il est prévenu, nous dit-on, de banqueroute frauduleuse.
Mais d’abord, messieurs, faites une distinction entre la prévention et la culpabilité. La prévention n’est pas même le premier degré de la culpabilité ; cette prévention peut être purgée : souvent un homme sous le poids d’une prévention criminelle s’épouvante, la terreur s’en empare. J’en ai vu beaucoup d’exemples dans ma carrière d’avocat. Le prévenu alors prend la fuite, et c’est peut-être ce qui est arrivé au Français dont il s’agit. Que la prévention soit fondée ou qu’elle ne le soit pas, il n’y avait pas à son égard motif légal d’extradition ; il fallait lui laisser le temps de purger sa contumace.
Est-ce une justification maintenant de vous dire : Mais il était prévenu de tel crime ou de tel autre ; ou, dans d’autres termes, on avait besoin de cet homme ? Si les rois de la Sainte-Alliance sont les geôliers les uns des autres, il ne faut pas qu’un roi constitutionnel imite cet exemple. Vous avez proclamé la liberté pour tous, il faut la respecter, au moins dans les limites de la constitution.
Lisez l’article 128, et voyez si la doctrine ministérielle peut être admise. La constitution a été sage, elle n’a pas voulu faire du pays un repaire de brigands, elle n’a pas voulu faire un appel aux gens prévenus ou suspects de tous les pays ; mais elle n’a voulu admettre à la loi qu’une exception légale. Or, je défie M. le ministre de livrer un étranger qui est simplement prévenu. Sa conduite dans cette occasion est donc impardonnable ; elle l’est encore à l’égard du Prussien.
- Un membre. - Mais le Prussien avait été condamné par un tribunal du pays.
M. Jullien. - Je ne me rappelais pas cette circonstance ; il mérite alors les éloges de la chambre et du pays. Il faut ajouter cependant que, sur ce point, il faut que nous ayons assez de confiance dans le ministère pour le croire sur parole.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Messieurs, je crois que les honorables orateurs auxquels je vais répondre sont moins préoccupés du fait en lui-même que des antécédents que le ministère aurait posés par ce fait. Les préopinants ont craint, ce me semble, que le gouvernement n’essayât, par une série de faits sur lesquels on garderait le silence, de se créer un droit d’extradition en matière politique. Là est la vraie question en matière d’extradition. Eh bien ! je n’hésite pas à déclarer que je donnerais plutôt ma démission que d’ordonner, dans les circonstances actuelles et sous l’empire des lois existantes, une extradition pour délit politique. J’ajouterai, pour donner tout apaisement à des craintes qui prennent leur source dans des sentiments honorables, pour prouver que le gouvernement n’a pas d’arrière-pensées, qu’il est prêt à limiter, à préciser son droit en soumettant à cet égard un projet de loi aux chambres.
Il reste maintenant un fait dont on a cherché à démontrer l’illégalité. Je n’ai pas cru, je le déclare, à cette illégalité ; mais, si la chambre pouvait croire qu’elle existe en effet, je n’hésiterais pas, fort de la pureté de mes intentions dans cette occurrence, à lui demander un bill d’indemnité.
Mais, d’un autre côté, si je compare la constitution actuelle avec la loi fondamentale des Pays-Bas, je vois que celle-ci stipulait, à l’égard des étrangers, des limites infiniment plus rigoureuses que l’article 128 de la constitution actuelle ; et en effet elle assimilait complètement les étrangers aux indigènes. Eh bien ! malgré cette disposition formelle, le gouvernement hollandais a procédé, sans réclamation de la part des chambres et de la presse, à des extraditions d’étrangers. Pendant le cours de ce gouvernement, on a rendu aux gouvernements voisins des banqueroutiers, des assassins, des hommes coupables de crimes intéressant la société tout entière.
Quand ce gouvernement a livré des hommes prévenus de délits politiques, alors seulement les journaux et les chambres ont retenti d’unanimes et d’énergiques réclamations. La France, qui possède à peu près les mêmes institutions que la Belgique, ne passe pas pour être dégradée, parce qu’elle s’est engagée à livrer à la Belgique des hommes qui se seraient réfugiés chez elle après avoir attenté à la vie ou à la fortune de nos concitoyens. Je ne pense pas que cette conduite justifie, à l’égard de la France, l’épithète sévère dont on s’est servi tout à l’heure à l’égard de la Belgique.
L’article 128 parle des exceptions établies par la loi. Ce n’est pas seulement des lois à faire que parle l’article, mais bien évidemment aussi des lois qui existent. Or, ici, il en existe ; ces lois sont donc applicables ; et pour vous montrer combien le gouvernement est en effet disposé à tourmenter sans motifs les étrangers, je vous dirai qu’il existe une disposition beaucoup plus large dont nous aurions pu nous autoriser pour agir contre eux. C’est une loi de vendémiaire an VI, qui a force obligatoire. Le gouvernement français l’a récemment appliquée à un puissant personnage.
Les chambres ont reconnu unanimement que cette loi n’était pas abrogée. Le gouvernement est donc armé de cette loi, et s’il était disposé à persécuter brutalement les étrangers, il ne l’aurait pas laissée dormir jusqu’aujourd’hui dans l’arsenal des lois anciennes.
J’ai cité un décret impérial. Mais, dit-on, si vous ressuscitez la législation de l’empire, ce n’était pas la peine de faire une révolution pour nous débarrasser de tout l’attirail du despotisme.
Sous ce rapport, les tribunaux ne sont pas de l’avis des honorables préopinants. Tous les jours dans la Belgique régénérée, la magistrature régénérée comme elle, la magistrature indépendante déclare que les décrets impériaux font loi.
On a mal interprété mes paroles, en disant que j’ai pris un engagement avec la France, en doutant de mes droits à le contracter. J’ai pu dire à la légation de France que je ne répondais pas de faire adopter mon opinion sur la légalité des extraditions ; j’ai dû, au contraire, annoncer que je ne pouvais pas garantir que la législature partageât mon opinion et sanctionnât la mesure, et que si elle ne la consacrait pas, je m’en abstiendrais.
Il y a donc eu de la bonne foi de la part du ministère à ne pas prendre d’engagement absolu afin qu’on connût la portée de celle qu’on prenait par réciprocité.
Du reste, je ne tiens pas à mon opinion ; je n’en fais pas une question de prérogative. Le gouvernement est tout à fait désintéressé dans cette question ; il ne vient pas vous demander de sanctionner une extradition en matière politique, et nous présenterons volontiers à la chambre un projet qui pose les limites du droit. Si l’on contestait le principe de la loi d’extradition, si l’on prétendait que le territoire belge fût un asile inviolable pour tous les étrangers qui s’y réfugient, vous feriez de notre pays un véritable Botany-Bay, un réceptacle de banqueroutiers et d’assassins.
L’assassin qui aurait commis un crime sur la frontière n’aurait donc qu’à s’avancer d’un quart de lieue dans le pays limitrophe pour être à l’abri de toute espèce de répression. Que deviendraient alors les garanties de la société en Belgique, si, à leur tour, les criminels de ce pays devaient trouver l’impunité en France, en Prusse, etc. ? L’exil est une peine sans doute ; mais, entre l’exil et la peine capitale, la différence est grande ; si les criminels peuvent avoir la certitude d’échapper aux poursuites judiciaires en mettant le pied sur le territoire étranger, la société belge abdiquerait une partie précieuse de ses garanties.
Quant aux circonstances dont on dit que les faits avaient été environnés, j’affirme qu’il y a eu inexactitude dans les renseignements qu’on vous a donnés. J’ai recommandé les plus grands égards ; on a offert au prévenu de le conduire dans une voiture, il a refusé ; on lui a remis de l’argent en lui demandant s’il en voulait d’avantage, il a refusé. On a employé envers lui tous les égards compatibles avec l’acte qu’on devait exécuter. Vous comprenez facilement l’impossibilité qu’il n’y ait pas toujours, aux yeux de l’homme arrêté, quelque chose d’un peu brutal dans l’exécution d’une pareille mesure. Mais il est au-dessous de moi de défendre le gouvernement d’avoir aggravé, de gaieté de cœur, la position d’un malheureux.
M. de Robaulx. - Quand on est près de se noyer, on s’attache à la branche qui se présente, fût-elle mauvaise, et c’est ce que vient de faire M. le ministre de la justice.
L’article 128 dit que les étrangers jouiront de la protection accordée aux Belges, et ne reconnaît d’exceptions que celles établies par la loi. Or, voici avec quelle puissance M. le ministre a raisonné : il a dit : Les exceptions établies, quelles sont-elles ? Est-il question de peines établies par les lois à faire, ou bien de celles que stipulent les lois déjà faites ? Et M. le ministre conclut qu’il s’agit des exceptions établies par les lois déjà faites. Eh bien ! selon moi, cette argumentation ne mérite pas d’être réfutée, et je l’ai vue avec peine dans la bouche de M. Lebeau.
Qu’avons-nous voulu dire lorsque, dans l’article 17, nous avons stipulé que l’enseignement public serait réglé par la loi ? Avons-nous entendu qu’il serait réglé par les lois anciennes ? Non sans doute ; nous n’avons pas voulu rétablir des règlements contre lesquels on s’est tant récrié. En parlant de lois, vous avez compris les lois à faire, les lois organiques du principe que vous avez posé. On ne peut affirmer le contraire qu’en usant d’un jeu de mots, subterfuge auquel personne ne se laissera prendre. Je n’insisterai pas davantage. D’ailleurs le discours de M. Lebeau est moins une défense qu’une défaite, et il y est habitué, j’en conviens.
J’ai été scandalisée d un argument présenté par M. le ministre. Il a comparé la loi fondamentale à l’ancienne constitution. Il nous a demandé si on pouvait trouver mauvais ce qui n’a soulevé aucune réclamation sous le gouvernement hollandais. Mais, après ces paroles, je vous demande à quoi bon une révolution ; pourquoi l’avons-nous faite ? Oh ! alors M. le ministre a bien raison d’aller où il va, car il nous ramène où nous étions. Je réprouve autant la comparaison qu’il a faite que je trouve exacte l’assimilation de son ministère avec celui de Van Maanen ; et comme la mesure que je dénonce aurait soulevé les imprécations contre le ministre hollandais, je livre aux imprécations l’acte du ministère actuel.
Ainsi donc on va travailler chaque jour à détruire la constitution. Vous avez conclu, dites-vous, une sorte d’engagement ; mais maintenant vous avez donc tendu un guet-apens contre les étrangers ? Vous tenez le traité dans vos cartons ; il reste discret, et quand un étranger se présente, vous lui mettez la main sur le collet, vous le livrez à ses bourreaux. Est-ce là ce patriotisme dont on se vante ? Est-ce là ce respect de la constitution dont on est fier ? Messieurs j’ai confiance dans votre patriotisme à vous, et j’espère que vous flétrirez une pareille conduite.
Du reste, blâmez tout ce que vous voudrez, vous n’aurez pas mieux d’ici à longtemps.
Toutes ces importations funestes nous viennent de France, non pas de cette France de juillet que j’admire et pour laquelle je n’ai cessé de faire des vœux, mais du gouvernement français qui gouverne tout ici, et dont un simple ordre a suffi pour faire reconduire chez lui un étranger qui devait trouver secours et protection sur notre territoire.
Mais, nous a-t-on dit, la Belgique ressemblera à un Botany-Bay si nous accueillons tous les criminels, tous les condamnés à mort. Ainsi, par cette raison, vous renverriez à leurs bourreaux ces malheureux que l’on condamne à mort à Turin, dans le Piémont, dans toute l’Italie, et même en France ; car, il n’y a pas si longtemps encore que l’on poursuivait, sous la prévention de crime capital, des écrivains politiques, des hommes de la rue des Prouvaires ou du cloître St.-Méry : voila des gens condamnés à mort. Admettrez-vous que nous ferons de la Belgique un Botany-Bay parce que nous aurons le courage de montrer plus de générosité que la France, et d’accorder un asile à des victimes du despotisme ?
Un Botany-Bay, c’est le pays où l’administration ne laisse aucune liberté aux citoyens ; un Botany-Bay, c’est le pays où l’on ne veut que des esclaves, et c’est la prétention du ministère qui nous régit.
M. de Brouckere. - M. le ministre nous prête un langage autre que celui que nous avons tenu. Les préopinants, a-t-il dit, se sont plaints du fait en lui-même bien moins qu’ils n’ont exprimé des craintes sur les antécédents qu’il pourrait consacrer. Il est vrai, la conduite du ministre est bien faite pour inspirer ces craintes ; mais nous nous récrions surtout contre le fait en lui-même. Vous avez fait un malheureux, et vous aurez à vous le reprocher dans tous les temps.
Oui, je regrette amèrement le fait en lui-même, bien que je ne connaisse pas le malheureux qui en a été victime. Au reste, le ministère lui-même reconnaît ses torts, et se borne à vous demander un bill d’indemnité. Quand un coupable avoue sa faute, c’est l’ordinaire de se montrer indulgent. Pour moi, je le déclare, je ne traiterai jamais avec indulgence celui qui déchire la constitution.
On nous a dit : Pourquoi vos craintes ? voyez si le gouvernement cherche à user de la loi de vendémiaire. D’abord il y a une différence immense entre l’extradition et l’expulsion. Le ministère serait bien moins coupable s’il eût laissé au malheureux le choix de la frontière. Mais non, le ministère a livré à ses bourreaux un homme dont tous les papiers étaient en règle, et qui n’était coupable d’aucun délit selon nos lois.
On nous a fait entendre que nous étions plus ignorants que les tribunaux qui appliquent tous les jours des décrets de l’empire. Nous n’avons pas dit l’absurdité qu’on nous prête ; nous avons prétendu seulement qu’on ne devait pas faire revivre les dispositions contraires à la constitution, ces décrets infâmes à jamais abolis par notre pacte fondamental. Il fallait une administration comme celle qui nous régit pour pousser l’impudeur à ce point.
S’il était vrai que la Belgique fût habitée par une foule d’assassins, que le gouvernement propose un projet à la chambre. Dans le cas où la chambre croira que la sécurité du pays est menacée par des bandes de malfaiteurs refoulés sur son sol, elle n’hésitera pas à adopter ce projet. Mais nous ne souffrirons pas que, sous le prétexte d’assurer l’existence des Belges, il soit laissé au caprice d’un ministre le pouvoir d’extrader un individu.
Quant à la conduite tenue envers le malheureux dont il est question, si j’ai dit qu’il avait été garrotté, c’est que je l’ai lu, et comme les autres circonstances relatives à cette arrestation et à cette extradition sont avouées par M. Lebeau, je crois à la première. Le ministre prétend avoir recommandé l’individu ; mais la gendarmerie garrotte quand bon lui semble. Si les gendarmes de Bruxelles ont pu ne pas faire usage de cette rigueur, ceux d’une autre brigade ont pu l’employer s’ils ont cru cela nécessaire pour garder l’individu. Et il s’en est suivi qu’un homme contre lequel il n’y a que de simples soupçons, contre lequel il n’y a qu’un mandat d’amener, qu’un homme qui appartient peut-être à une famille considérée, a été traité comme un vil brigand, a été conduit à la frontière et livré à ses bourreaux qui, aujourd’hui, en feront ce qu’ils voudront.
M. le comte F. de Mérode. - Je me trouve fort souvent, messieurs, dans un pays limitrophe des deux frontières belge et française, et là plus que partout ailleurs on sent la nécessité des cartels d’échange pour les crimes contre les personnes et les propriétés. Figurer-vous, en effet, qu’un citoyen belge, assassiné sur notre sol, perd la vie avec pleine impunité pour le meurtrier français ou belge, n’importe, si celui-ci quitte le territoire où il a commis le crime. Considérez la malheureuse situation des habitants d’une longue frontière, si tel est l’ordre naturel des choses, si telle est la justice libérale et constitutionnelle établie par notre loi fondamentale, il en résulterait pour les citoyens la plus périlleuse des situations, la plus criante iniquité. Doit-on supposer sans preuve évidente que la constitution a placé en quelque sorte hors la loi les honnêtes gens, en les mettant à la merci des voleurs et des assassins qui passent avec autant de facilité du territoire belge sur le territoire français, et réciproquement ?
Messieurs, on s’est échauffé à froid contre le ministère à propos d’un fait qui, selon moi, est parfaitement motivé en raison. Je ne suis pas assez fort sur le code civil, sur la valeur des décrets impériaux pour décider la question légale ; mais je trouve contraire au sens commun, comme à l’humanité bien entendue, de mettre un criminel souvent infâme à l’abri de toute poursuite, parce qu’il a eu l’adresse de passer d’un territoire sur un autre territoire.
M. d’Huart. - Je demanderai quelle est la conclusion du débat soulevé par l’incident. On a demandé, je crois, le jugement de la chambre sur la conduite du ministre ; ce jugement me paraît extrêmement important. Nous ne pouvons laisser une pareille chose inaperçue. Il est évident que la constitution a été violée ; il ne nous été donné aucune raison à l’appui d’une telle conduite. Le ministre dit qu’il demandera un bill d’indemnité ; je ne suis pas d’avis qu’on le lui accorde. Si l’individu était un assassin, je pourrais être indulgent sur un acte aussi irrégulier ; mais c’est peut-être un homme fort innocent qu’on livre à ses persécuteurs, à ses bourreaux.
M. de Brouckere. - La chambre et la nation tout entière doivent des remerciements à l’honorable M. de Robaulx. Dorénavant, grâce à lui, le ministère n’osera plus se permettre d’extraditions sans y être autorisé par une loi ; grâce à notre honorable collègue, le cartel, consenti si imprudemment, si inconstitutionnellement par M. Lebeau, ne sera plus appliqué.
L’incident soulevé dans la chambre aura des résultats dont le pays s’applaudira ; cet incident aura ce résultat important, c’est qu’il mettra le pays en état d’apprécier M. Lebeau à sa valeur. Qu’on appelle le jugement de la chambre sur la conduite de ce ministre ; qu’on aille aux voix ; qu’il demande un bill d’indemnité ; je ne m’occupe pas de ces choses ; pour moi je refuserai tout bill d’indemnité ; mais je vois une utilité dans le débat qui vient d’avoir lieu, c’est que, malgré son audace, le ministre n’aura pas celle de renouveler un acte aussi attentatoire à l’honneur national, aussi attentatoire à la constitution.
M. Jullien. - Existe-t-il réellement entre le gouvernement français et le gouvernement belge un cartel d’extradition pour les individus accusés de crimes et de banqueroutes ? J’ai entendu M. le ministre parler de cartel ; mais je ne sais s’il est échangé entre les deux pays ou s’il est en projet.
Si le cartel existe, il faudrait que la chambre se prononçât sur-le-champ contre ce cartel ; mais s’il n’existe pas, si le ministre veut présenter un projet de loi, c’est autre chose. On dit que la France extraduit les banqueroutiers belges ; c’est une allégation que les faits ne confirment pas : je connais beaucoup de banqueroutiers belges qui sont en France fort tranquilles ; le gouvernement, quelles que soient les inquiétudes dont il est agité, ne prendrait pas sur lui une tache semblable.
On a cité des lois, maïs elles parlent d’expulsion et non d’extradition. Un individu était-il signalé comme un criminel, les lois autorisaient l’administration à l’expulser, mais on ne le livrait pas à la société qu’il venait de fuir.
De quelque manière qu’on présente cet acte, il n’est pas excusable, il n’est pas pardonnable. Veut-on un bill d’indemnité, qu’on le demande, nous nous consulterons pour savoir s’il faut l’accorder ; mais que le ministre le demande ou non, il ne pourra jamais se justifier ni aux yeux de la chambre, ni aux yeux de la nation.
M. de Robaulx. - Si le ministre ne présente pas un projet de loi sur la matière il sera libre à chacun de nous d’en présenter un puisque nous avons l’initiative. Quant au bill d’indemnité, je ne l’accorderai pas, parce que ce grief sera un de plus à ajouter à ceux en grand nombre qui figureront dans l’acte d’accusation contre le ministre, acte d’accusation que je me chargerai de rédiger quand il en sera temps.
M. de Brouckere. - Je demande qu’on passe à l’ordre du jour. (Appuyé ! Appuyé !)
M. Liedts, organe de la commission à laquelle le projet a été renvoyé, est appelé à la tribune. - En l’absence de M. Fallon, dit-il, la commission m’a chargé de vous rendre compte du résultat de son nouvel examen.
Le ministre de l’intérieur demandait à l’article 2 du projet un transfert pour une somme de 129 fr. Cette dépense était relative au personnel du ministère. Elle avait été rejetée par la commission parce qu’elle n’avait pas été justifiée. Dans votre précédente séance, il a été dit par M. de Mérode que la dépense avait été occasionnée par un travail extraordinaire ; depuis on a justifié, devant la commission, une dépense de 50 florins : la différence de 29 fr. étant minime, la commission croit devoir vous proposer d’accorder l’augmentation de 129 fr.
Le ministre demande sur un autre chapitre une augmentation de 5,633 fr. La commission n’avait admis qu’une partie de cette somme.
Il a été mis sous les yeux de votre commission un relevé détaillé des dépenses extraordinaires faites en 1832 pour le matériel de ce ministère, et il a été prouvé qu’une somme de 1,836 fr. avait été dépensée pour le matériel des bureaux. La commission croit donc avoir obtenu la conviction que l’allocation demandée est nécessaire, et elle vous propose de l’accorder.
M. le président donne lecture des deux articles du projet de loi ; ils sont ainsi conçus :
« Art. 1er. Le crédit ouvert à l’article 3 du chapitre VII, pour le service séparé au budget des dépenses du ministère de l’intérieur pour l’exercice est diminué d’une somme de trente-quatre mille deux cent vingt-huit fr. quarante-un cent. (34,228 fr. 41 c.) »
« Art. 2. Au moyen de la diminution mentionnée ci-dessus, le ministre de l’intérieur est autorisé à majorer :
« 1° D’une somme de cent vingt-neuf francs soixante-dix centimes, l’article 2 du chapitre premier du budget de 1832 (fr. 129 66) ;
« 2° D’une somme de cinq mille huit cent trente-trois fr. dix centimes, l’article 3 du chapitre premier du même budget (fr. 5,833 10) ;
« 3° D’une somme de quatre mille cinq cents francs l’article 2 du chapitre III dudit budget (fr. 4,500)
« 4° D’une somme de vingt-trois mille sept cent soixante-cinq francs soixante-cinq centimes, l’article unique du chapitre XV du même budget (fr. 23,765 65)
« Ensemble : fr. 34,228 41 »
M. Dubus. - La section centrale a proposé un changement de rédaction à l’article 2. Le ministre ne peut être autorisé à augmenter les chiffres d’un budget ; mais le ministre peut être autorisé à appliquer les sommes restées sans emploi aux dépenses qu’il indique.
- L’avis de M. Dubus est adopté.
Les deux articles sont également adoptés.
La loi, dans son ensemble, est ensuite soumise à l’appel nominal. Elle est adoptée à l’unanimité des 57 membres présents.
M. le président. - Le ministère se rallie-t-il aux conclusions présentées par la commission ?
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - M. Rogier, qui ne peut encore s’occuper d’affaires, m’a dit que de nouvelles relations s’étaient établies entre la commission et des employés de son ministère. Je ne sais si je fais confusion, mais il me semble qu’il m’a annoncé que la commission avait admis les explications...
- Plusieurs membres. - C’est pour l’autre projet ! c’est pour l’autre projet !
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - Je demanderai alors que la discussion du projet actuel soit remise à une autre séance ; je n’ai pas de renseignements suffisants. Je crois que le ministre de l’intérieur tiendra à son projet primitif, parce que les dépenses que la commission propose de supprimer, et qui, il est vrai, sont assez bizarres, résultent de contrats... La chambre voudra bien excuser l’incertitude des explications que je donne, incertitude qui s’explique elle-même par la situation où est le ministre.
M. le ministre des finances (M. Duvivier) - Je crois que l’intention du ministre de l’intérieur est de se rallier au projet de la section centrale. Il s’agit d’une somme de 2,500 fr. environ que l’on ne veut pas allouer entièrement. Toutefois le ministre, en se ralliant à l’avis de la commission, désire pouvoir liquider les dépenses relatives à un tableau fourni à la Hollande et à l’impression d’un livre : il paiera ces dépenses à titre d’avance…
M. Liedts. - Messieurs, vous entendez avec quelles restrictions le ministre se rallie à l’opinion de la commission. Il s’agit d’éviter ici un antécédent fâcheux plutôt que d’éviter le paiement de la somme. Je conçois que dans le budget, à l’article encouragement des arts, on puisse demander une somme qui serait distribuée entre les artistes et au moyen de laquelle on pourrait payer les créances dont parle le ministre de l’intérieur ; mais, par cela seul que les réclamants sont Belges, il ne faut pas autoriser le paiement de leurs créances. Il est beaucoup de Belges créanciers de la Hollande pour des canaux construits, et pour d’autres travaux, que nous ne pouvons solder. Il ne faut pas que le ministre ait la liberté de payer, à titre d’avance ou autrement de semblables créances.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau) - En définitive tout cela revient à ce que je disais : que je ne croyais pas que le ministère se ralliât complètement au rapport de la section centrale. Dans cette occurrence, je crois qu’il est plus prudent d’ajourner la discussion. Il y a acte de franchise et de loyauté de la part du ministre de l’intérieur de déclarer dans quel sens il entend employer la somme globale qu’il demande.
M. Legrelle. - Il me semble que le ministre, connaissant les intentions de la chambre, s’y conformera et qu’on peut toujours délibérer sur la loi.
M. de Brouckere. - Je ne vois pas pourquoi la chambre serait plus empressée que le ministère à voter des crédits provisoires. Avant de voter, il faut que nous connaissions les intentions de l’administration, et tant que nous ne les connaîtrons pas il faut interpeller les ministres. Le ministre demande un délai ; il faut l’accorder.
- La chambre ajourne la délibération sur le projet de loi.
La séance est levée à quatre heures.