(Moniteur belge n°88, du 29 mars 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Stambier de Wideux, récemment proclamé membre de la chambre, prête serment.
Il est fait hommage à la chambre d’une brochure intitulée : « Projet de loi portant règlement d’administration publique pour les polders et wateringen, » par C. Gheldolf.
M. Donny, rapporteur d’une commission spéciale, est appelé à la tribune. - Messieurs, il est des circonstances qui imposent à l’Etat le devoir de sacrifier les intérêts du trésor à ceux du commerce et de l’industrie. Le congrès national a compris cette vérité, et en a fait une heureuse application dans l’article 4 de son décret du 28 décembre 1830, en affranchissant de tout droit proportionnel certains contrats de prêts, faits à des industriels ou des commerçants.
Dans les conditions exigées par le congrès, pour l’exemption des droits proportionnels, il y en a une dont le maintien rigoureux conduirait à des résultats injustes, on tout au moins inconséquents, c’est celle qui prescrit que les inscriptions hypothécaires, prises en exécution des contrats de prêts, devront être radiées avant le 1er avril 1833.
Parmi les emprunteurs, auxquels la disposition du congrès a accordé l’exemption, il y en a qui déjà sont sortis de l’état de gêne où ils se sont trouvés par suite des événements de 1830, et ceux-là ont pu se procurer, en temps utile, la radiation requise ; mais il en est d’autres, plus malheureux, dont les souffrances durent encore, et qui verront passer le terme fatal sans pouvoir obtenir cette radiation.
Si l’article 4 du décret du 28 décembre 1830 devait recevoir sa pleine exécution, les premiers seraient exempts du paiement des droits proportionnels, tandis que les derniers y seraient soumis. L’espèce de secours qu’on a voulu accorder au malheur, profiterait aussi à ceux qui ont cessé d’être malheureux, et serait refusé impitoyablement à ceux qui le sont encore.
Par ces considérations, la commission spéciale, que vous avez chargée de l’examen du projet de loi présenté par le gouvernement pour remédier à cet état de choses, a l’honneur de vous proposer, par mon organe, l’adoption de ce projet, qui accorde une prolongation du délai fixé pour la radiation.
La proximité du terme de ce délai a fait penser à la commission qu’il serait utile d’ajouter à la loi un article qui la rende obligatoire à compter de sa publication.
Par le même motif, la commission s’est déterminée à vous proposer que la discussion soit immédiatement ouverte sur le projet de loi, tel qu’il est annexé.
« Art. 1er. Le délai, dans lequel doit avoir lieu la radiation des inscriptions prises pour prêts faits à des industriels, aux termes de l’article 4 du congrès national, du 28 octobre 1830, et qui expire le 1er avril 1833, est prorogé au 1er janvier 1835.
« Art. 2. La présente loi sera obligatoire le jour de sa promulgation. »
M. le président. - La commission demande, attendu l’urgence, que la chambre délibère sur-le-champ sur ce projet de loi.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - Le ministère se rallie à la proposition de la commission.
M. Gendebien. - Il est impossible d’adopter une loi sans examen ; attendez à demain.
M. Jullien. - Si M. Gendebien se donnait la peine de jeter les yeux sur la loi, il verrait qu’elle ne peut être susceptible de discussion.
- Les deux articles de la loi sont mis aux voix et adoptés. La loi soumise à l’appel nominal est adoptée à la majorité de 57 voix contre 2.
M. Levae s’est abstenu de voter parce qu’il n’avait pas eu le temps d’examiner la loi.
M. le ministre de la guerre (M. Evain) prend la parole. Il monte à la tribune et dit. - La nécessité me contraint encore à venir vous demander un crédit provisoire pour un mois. J’ai été informé officiellement que le sénat devait suspendre, dans le courant de la semaine prochaine, ses séances, et ne les reprendre que le 25 du mois d’avril, de sorte que le budget de la guerre ne pourra être discuté que dans les derniers jours d’avril : nous avons besoin de fonds pour ce même mois. Voici le projet que nous avons l’honneur de vous soumettre :
« Article unique. - Il est ouvert au ministre-directeur de la guerre un crédit provisoire de la somme de 5,000,000 de fr., pour faire face aux dépenses urgentes du mois d’avril 1833. »
M. le président. - Faut-il renvoyer la loi à une commission ?
- Plusieurs membres. - A la section centrale qui a examiné le budget de la guerre.
- D’autres membres. - A une commission pour aller plus vite.
M. Dumortier. - Je demande que la section centrale examine comme commission spéciale le projet de loi : elle ira plus vite.
M. Van Hoobrouck. - M. Pirson a proposé de donner des crédits provisoires pour six mois ; je crois qu’il faudrait mettre cette proposition aux voix.
M. de Robaulx. - Je proposerai tout à l’heure de donner un crédit provisoire pour trois mois au département de la guerre.
- La chambre décide que le projet de loi sera examiné par la section centrale, comme commission.
L’ordre du jour est la suite de la discussion du projet de loi concernant le budget de la guerre.
MM. les ministres de la justice, des affaires étrangères, de l’intérieur, sont à leur banc.
M. le ministre de la guerre est accompagné de M. le général Nypels, et de M. l’intendant militaire de Bassompierre.
M. Desmanet de Biesme. - Messieurs, en réclamant hier de M. le ministre de la guerre des mesures plus rigoureuses dans un sens général, pour établir la discipline dans l’armée, j’ignorais complétement qu’un homme devait aujourd’hui en subir l’application ; j’aime à croire que personne ne doutera de mon ignorance de ce fait ; et dans cette occasion, je dois rendre grâce à ceux qui ont contribué à lui faire obtenir une commutation de peine.
M. de Brouckere a la parole sur le budget de la guerre, et prononce sur la question générale le discours suivant. - Messieurs, dans une séance précédente j’ai exprimé mon opinion sur le système adopté par le gouvernement relativement à la politique extérieure, parce que l’examen de ce système se rattachait immédiatement à la discussion du budget de la guerre.
Je n’y reviendrai point. La question a été longuement traitée par plusieurs orateurs ; elle le sera sans doute par d’autres encore. D’ailleurs, je ne parviendrai, je le sais, à modifier en rien la ligne de conduite que les ministres se sont tracée, et qu’il leur est si facile de suivre, puisqu’elle leur permet de rester en quelque sorte les bras croisés.
L’honorable M. Lebeau a eu raison de dire avant-hier que notre habitude n’est pas d’être d’accord sur ce point. Cela est vrai, depuis le jour où il nous a dit avec tant d’assurance que nous aurions le Luxembourg et que nous ne paierions rien de la dette, jusqu’aujourd’hui inclusivement. Je dirai seulement que personne n’a, selon moi, mieux dépeint le système des ministres que l’honorable membre qui a dit : Nous avons fait, faisons et ferons ce que l’Angleterre et la France ont voulu, veulent et voudront.
Je regrette, messieurs, de ne pouvoir m’occuper de la marche suivie par le gouvernement à l’intérieur. La chambre a, selon moi, commis une grave imprudence en cédant aux instances, si adroitement faites par les ministres, pour que la discussion du budget de la guerre se fît à part de celle des autres budgets, et surtout en consentant à ce qu’elle ne fût point précédée de la discussion générale, ce qui était, comme l’a dit M. le ministre de la justice, conforme aux usages, aux convenances et à l’esprit de notre constitution.
Cette condescendance de la part de la chambre ne produira aucun avantage ; car, quelle qu’ait pu être notre bonne volonté, l’on n’a pu se dispenser de nous faire une nouvelle demande de crédits provisoires, seul inconvénient que l’on semblait vouloir prévenir ; et une pareille irrégularité ne peut manquer d’avoir des suites funestes, dont la première sera de mettre le ministère de la guerre pour ainsi dire en dehors du gouvernement.
Déjà, vous le savez, chose bizarre et vraiment inconvenante, le chef de ce département est un ministre d’une espèce à part ; lui qui a le ministère le plus essentiel en ce moment, il n’est pas membre du conseil des ministres ; il doit obéir à ses résolutions, sans y avoir voix délibérative ; il n’est pour rien dans les résolutions qui portent sur la politique extérieure, ni même dans celles qui concernent le gouvernement du pays. Nous voterons aujourd’hui une loi de budget pour lui seul, loi qui n’aura aucun rapport avec la loi du budget général : encore un pas et l’on nous annoncera que les affaires de la guerre se décident sans l’intervention d’aucun ministre.
Quoi qu’il en soit, je dois vous présenter quelques réflexions se rattachant exclusivement au département de la guerre. Si toutes n’ont point le mérite de la nouveauté, c’est que sur plusieurs points, je me rencontre avec un honorable orateur qui a parlé avant moi, et dans ce cas elles serviront à donner plus de poids à ses assertions, que M. le ministre a cherché à affaiblir.
Mes principaux griefs à charge de ceux qui ont l’honorable mission d’administrer notre armée sont : la préférence marquée qu’ils affectent de donner aux étrangers, de quelque pays qu’ils nous viennent, sur les nationaux ; leur excessive faiblesse, résultat peut-être d’un grand fond de bonté, mais qui les conduit à de nombreuses injustices ; le peu d’économie qu’ils apportent dans le maniement des deniers qui leur sont confiés.
Je m’occuperai d’abord de l’admission des étrangers qu’on voit dans tous les rangs de notre armée, et de la manière plus qu’hospitalière dont ils sont traités.
Mais je dois déclarer à l’avance, et je le fais sur l’honneur, que je n’ai d’éloignement personnel pour aucun d’eux. Peu me sont connus ; si tous ressemblent à ces derniers, on ne peut leur refuser une profonde estime. Je signalerai entre autres les officiers attachés à la personne même du général Evain, hommes éminemment distingués par leurs connaissances, par leur modestie et par leur éducation ; hommes dignes en un mot (je le dis sans flatterie) du général dont ils ont la confiance.
Ce qui me fait parler, c’est un sentiment d’amour-propre national que sauront apprécier ceux-là même aux intérêts desquels mes paroles seraient contraires, et surtout les Français chez qui ce même sentiment est poussé, je ne dirai point à l’excès, je ne connais point d’excès lorsqu’il s’agit de l’honneur du pays, mais à un point tel qu’ils consentiraient bien difficilement à admettre un étranger dans leurs rangs.
Ce qui me fait parler, c’est que naguère encore on a appelé des officiers-généraux d’un pays voisin, au moment même où on mettait les nôtres en disponibilité ; d’où je conclus qu’on ne compte pas encore s’arrêter.
Le gouvernement, en attirant cette foule d’étrangers, prétend, je le sais, n’avoir fait qu’user du droit que lui avait conféré une loi portée par la législature. Je dis, moi, qu’il a abusé de la latitude que lui laissait cette loi, et je le prouverai.
Le 11 avril 1831, le congrès, après une longue discussion, autorisa le gouvernement à employer, jusqu’à la paix, les officiers étrangers dont voici la désignation :
1° Un général en chef et trois officiers supérieurs ;
2° Dans l’artillerie : un colonel, trois chefs de bataillon, douze capitaines et vingt lieutenants et sous-lieutenants.
Cette loi n’était qu’exceptionnelle ; elle était portée en égard aux circonstances. L’intention des membres de l’assemblée était qu’on donnât le commandement en chef de l’armée à une de ces illustrations militaires dont le nom seul est un point de ralliement et exerce un effet moral sur les masses, à un homme « connu par son amour pour la liberté et par ses talents militaires ; » ces dernières expressions sont textuellement copiées de la loi.
On pensait aussi à cette époque que nous manquions d’officiers d’artillerie capables, et l’expérience a suffisamment prouvé que l’on s’était trompé à cet égard ; notre artillerie laisse en effet peu de chose à désirer, et ce n’est pas à des étrangers que nous le devons.
Mais vous avez pu voir avec quelle circonspection la loi s’exprime ; elle dit positivement que « la constitution a fait un devoir au pouvoir législatif de déterminer d’une manière particulière les emplois militaires que le gouvernement pourra conférer à des étrangers. »
J’ajouterai à cela que cette loi ne fut adoptée que par 82 voix contre 40 ; et parmi ces 40 se trouvent des hommes dont vous seriez étonnés d’entendre les noms, parce qu’en effet aujourd’hui ils ne font plus preuve d’un si grand respect pour la constitution, qu’alors ils ne voulaient violer à aucun prix.
Le gouvernement ne fit point usage de cette loi, et le gouvernement a eu tort.
Arrivèrent les fatales journées du mois d’août, journées où nous fûmes victimes de notre bonne foi et de la déloyauté de nos ennemis.
C’est sous l’impression profonde qu’avaient laissée nos désastres dans l’âme de tous les Belges que le gouvernement présenta et que les chambres adoptèrent, presque sans discussion, la loi de septembre 1831, à l’adoption de laquelle, aujourd’hui qu’on en abuse, je me félicite, absent que j’étais de la séance, de n’avoir pu participer.
Cette loi est conçue dans le sens le plus large, j’en conviens ; mais c’est méconnaître l’intention de ceux qui l’ont faite, c’est méconnaître son devoir que de soutenir qu’on n’a à se renfermer dans aucune borne.
Comme l’a dit un honorable orateur, en décrétant cette loi, on obéissait à ce que l’on regardait comme une nécessité ; mais la nécessité et la nécessité seule devait aussi déterminer le gouvernement à appeler des étrangers, c’est-à-dire qu’il ne devait en appeler que pour les places pour lesquelles on ne trouvait pas assez de nationaux capables.
Aussi, je ne blâme en aucune manière le gouvernement d’avoir appelé quelques officiers-généraux étrangers, ni même un petit nombre d’officiers subalternes, pour incorporer dans les régiments, soit comme instructeurs, soit pour remplir d’autres fonctions auxquelles de très anciens services les rendaient aptes.
Mais était-il bien nécessaire que le nombre de ces officiers-généraux fût si grand ?
Etait-il bien nécessaire d’admettre dans des grades supérieurs des officiers polonais n’ayant d’autre expérience que celle de leur révolution, alors qu’on repoussait les hommes de septembre, attendu que des campagnes de ce genre ne donnent aucun titre, aucune connaissance militaire ? Quelle différence y a-t-il donc entre les révolutionnaires de Pologne et les révolutionnaires de Belgique ? Ne serait-ce pas que parmi ceux-ci il s’en trouve peu qui ont le bonheur de porter des noms aristocratiques ? Je suis tenté de le croire.
Etait-il bien nécessaire d’admettre une foule d’officiers subalternes, capitaines, lieutenants, sous-lieutenants, des sous-officiers même, qui, protégés par certains personnages, ont la promesse de passer officiers, avant les sous-officiers belges plus anciens ?
Il serait vraiment curieux de voir recueillis les actes de naissance des officiers composant l’état-major ; en les parcourant, nous douterions si cet état-major est bien destiné à diriger les mouvements de l’armée belge ou si ce n’est pas plutôt d’une armée française ou polonaise.
Les étrangers sont traités d’une manière plus qu’hospitalière, ai-je dit ; voyons si j’ai dit vrai.
Une division devient vacante par la mise en disponibilité d’un général qui, bien qu’homme de talent, n’avait pas eu le bonheur de plaire à de hautes notabilités. A qui est-elle donnée ? A un général de brigade étranger, également homme de talent sans doute, mais dans son grade le plus jeune.
Dans un régiment d’infanterie on biffe d’un trait de plume le colonel et le lieutenant-colonel, dont on fait des présidents de conseil de guerre, et pourtant le lieutenant-colonel est reconnu, on n’oserait me contredire, pour un homme habile et énergique ; il est aimé du soldat, il a sa confiance ! Pourquoi cette double disgrâce ? Pour donner le régiment à un jeune lieutenant-colonel français !
Les appointements pour les promotions postérieures au mois de novembre 1831 ont subi une forte réduction. Cette mesure d’économie, on l’a dit avec raison, ne s’applique qu’aux Belges ; aux étrangers, non ; du moins pas tous. Je pourrais signaler par son nom un officier supérieur français qui nommé au mois de février 1832, touche la solde anciennement affectée à son nouveau grade.
A beaucoup d’officiers étrangers, pas à tous, a dit M. le ministre et je le crois, on accorde une gratification lors de leur entrée au service ; à d’autres on fait de fortes avances, et l’on assure que quelques-uns, contents de la somme qu’ils avaient touchée, s’en sont retournés, sans avoir rejoint leur régiment. Bien plus une gratification est souvent accordée à ceux qui quittent le service. Un capitaine français, qui avait quitté son corps malgré ses chefs, a obtenu une audience du ministre, tandis qu’il était à l’ordre du jour du corps : il a sollicité et on lui a accordé, avec sa démission, une gratification munératoire.
C’est chèrement payer des hommes qui nous quittent avant de nous avoir rendu service ; aussi un major français, obligé de rentrer dans sa patrie, homme délicat et consciencieux, refusa une gratification de deux mois de solde qu’on lui offrait.
Si d’un côté la prédilection des chefs du ministère pour les étrangers, si le favoritisme nous coûtent cher, nous ne payons pas moins la peur qui les domine souvent. Criez, menacez, et l’on vous place, ou du moins on vous paie. En veut-on la preuve ? Qu’on parcoure la liste des officiers en disponibilité et en non-activité.
Il y a un seul général de division en non-activité, un seul en disponibilité. Que sont donc les autres ?
Il en est pourtant qui n’ont point été employés depuis la révolution, d’autres ne l’ont point été depuis le dernier budget. Pourquoi leur donnez-vous, lorsque vous les jugez incapables ou indignes, que sais-je, d’être employés, des appointements qu’ils voudraient mériter, et qu’il doit leur être pénible de toucher, sans rendre aucun service ?
On ne sait que faire pour se débarrasser de nos chefs militaires ; on a été jusqu’à nommer un général de division colonel de la garde civique, et pour ces fonctions essentiellement gratuites, on lui alloue les appointements attachés à son grade de général de division.
Parmi les généraux de brigade, trois sont en non-activité, six en disponibilité, et au lieu d’employer ces derniers, on appelle encore des étrangers.
Il y a en non-activité un colonel et un lieutenant-colonel qui touchent leurs appointements entiers, et l’on assure que nous payons chèrement un chef d’état-major d’une division qui n’existe que sur le papier.
Seize majors sont en non-activité, deux en disponibilité, et cependant quinze à vingt capitaines ont été reconnus majors lors de la formation des cinquièmes bataillons.
Quant à tous les officiers touchant leur solde entière, ou celle de la mise en disponibilité, sans rendre de services, je poserai au ministre ce dilemme, qu’il n’eût dû perdre de vue pour aucune considération, ni par esprit de favoritisme, ni par esprit de crainte : ou ils sont capables et méritent la confiance du gouvernement, et alors il les faut employer sans délai, et ne pas surcharger le budget d’appointements destinés à des gens oisifs, ce qui s’appelle dilapider les deniers de l’Etat ; ou ils ne peuvent être mis en activité, pour une cause quelconque, et alors il faut les mettre en non-activité, et leur donner la solde affectée à cette position jusqu’à ce que leur pension puisse être liquidée définitivement.
La non-activité en effet est destinée aux officiers infirmes ou incapables, c’est une véritable réforme.
La disponibilité est une position de paix, qui s’accorde spécialement aux officiers supérieurs dont les services ne sont pas nécessaires pour le moment ; position dont on les tire, dès qu’ils peuvent être utiles.
Dans le service actif, messieurs, il s’est aussi glissé de nombreux abus ; si, anticipant sur la discussion des chapitres et des articles, je voulais entrer dans des détails, il me serait facile de les énumérer ; j’en signalerai quelques-uns.
Ainsi on a envoyé à deux bataillons de garde civique, qui avaient chacun leur major, deux capitaines qui touchent la solde de major ;
Ainsi les fourrages sont prodigués avec une inconcevable facilité à tel point que, tandis que le colonel des sapeurs n’en a que pour deux chevaux, ce qui suffit, les lieutenants et les sous-lieutenants en ont pour un égal nombre, et les capitaines en ont pour trois chevaux ;
Ainsi il y a à l’hôpital militaire de Bruxelles un personnel beaucoup plus nombreux qu’il ne devrait l’être, et le ministre se déterminera difficilement à entreprendre de justifier sa prodigalité sur ce point ;
Ainsi on demande pour le régiment des guides, composé de 868 hommes, 1,211,000 fr., tandis que pour un régiment de chasseurs à cheval de l,265 hommes, on ne demande que 1,575,000 fr., 1,914,000 fr. pour un régiment de cuirassiers. Un guide coûterait-il donc environ 1,400 fr., tandis qu’un cuirassier n’en coûte que 1,276, un chasseur à cheval que 1,250 ?
Ainsi on sollicite une augmentation pour les employés du ministère de la guerre, tandis qu’il est entré au ministère, depuis les derniers budgets : un colonel d’état-major, deux capitaines (les aides-de-camp du général Nypels) ;
Que trois employés sont devenus sous-intendants, et sont payés par conséquent sur un autre chapitre ;
Que deux sont nommés aspirants ;
Que deux lieutenants ont été promus au grade de capitaine ;
Ce qui dissimule une augmentation que l’on peut évaluer à 30,000 fr.
Ainsi les intendants en service sédentaire reçoivent des rations de fourrages sans avoir de chevaux, tandis qu’ils sont tenus, d’après les règlements, de refuser les allocations de ce genre aux officiers, pour un nombre de chevaux supérieur à ceux qu’ils ont réellement. C’est là ce qui explique l’abus que vous a signalé hier un honorable membre. Comment voulez-vous que les intendants remplissent sévèrement leurs devoirs, quand ils sont eux-mêmes en faute ?
Aussi le corps des intendants a été considérablement augmenté, et cela en partie pour peupler les bureaux des chefs de ce corps, dont les allocations n’ont cependant point été diminuées.
Ainsi l’état-major-général estime sa dépense pour fournitures de bureau à 10,100 fr., tandis que pour ce même article le ministère de la guerre se contente de 15,300 fr., et d’autres ministères de sommes bien moins considérables. 10,100 fr. pour acheter des plumes et du papier, chauffer et éclairer une chambre, deux tout au plus, vous conviendrez que c’est beaucoup.
Je m’arrête ici, messieurs, me réservant de revenir sur ces observations et d’en présenter d’autres quand nous en serons à l’examen des différents articles qui composent le budget.
M. Fleussu. - Il n’est pas nouveau, messieurs, le terrain sur lequel se trouve placée la partie politique de la discussion du budget du département de la guerre ; c’est un lieu battu et rebattu, c’est une arène plusieurs fois ouverte, et dans laquelle nous aurons occasion de descendre encore, si nous nous en rapportons au discours de M. le ministre des affaires étrangères.
Toutes les fois que le gouvernement nous a présenté une demande de subsides, j’ai toujours remarqué le même système d’attaque d’une part, et de l’autre, les mêmes moyens de défense.
Il faut bien en convenir, le rôle de l’opposition est facile, lorsqu’elle dirige ses traits contre la diplomatie dont le nom seul fait mal à presque toutes les oreilles, et qui, selon bien des personnes, est l’équivalente de la fraude, de la ruse et de la déception. L’opposition a beau jeu, lorsqu’elle fait un appel aux sentiments généreux.
Le ministère sent bien la difficulté de sa position ; aussi a-t-il soin de faire des rapprochements ; vous le voyez toujours, dans ces sortes de discussions, lancer des paroles qui semblent annoncer chez lui que, le cas échéant, il saurait prendre des résolutions énergiques ; mais jusqu’à présent, messieurs nous n’avons vu son énergie que dans des paroles, aucun fait ne l’a révélé.
Ce système, messieurs, n’est pas celui du ministère actuel seulement ; c’est le système de tous les ministres présents et passés. Et, en effet, messieurs, faites-moi le plaisir de me suivre et d’examiner ce qui s’est passé à partir de la régence.
Au premier remaniement du ministère, lors du ministère connu sous le nom de Lebeau, les ministres crurent devoir nous faire une profession de foi.
Il faut, nous disaient-ils, faire marcher de front deux choses, l’armement et les négociations ; mais l’armement doit surtout réclamer nos soins, car le rôle de la diplomatie doit être court, très court. Il y a bientôt deux ans que ces paroles ont été prononcées à cette tribune ; jugez, messieurs, si le rôle de la diplomatie a été court ; je me trompe, attendez pour juger.
Un autre membre du même ministère, quelque temps après, monte à la tribune. L’horizon se rembrunit, dit-il ; des nuages s’amoncellent ; il faut nous mettre dans une position telle que nous puissions tenir tête à l’orage. Alors la mobilisation de la garde civique fut un prétexte à l’emprunt de 12 millions de florins. Quelque temps après on nous fait connaître le budget de l’armée, budget qui comporte 68,000 hommes ; mais au moment du danger on ne les trouve que sur le papier.
Après les désastres du mois d’août, désastres qui n’auraient pas eu lieu si le courage du soldat pouvait tenir lieu d’ordre et d’ensemble, il fallut réorganiser l’armée. On ne se fit pas faute de nous donner de beaux motifs : il fallait prévenir le retour de l’agression hollandaise ; il fallait être en état de punir l’ennemi s’il faisait une nouvelle invasion, et éviter à la nation belge le déshonneur d’une nouvelle intervention française.
Nous avons voté des fonds et des hommes, et l’armée s’est trouvée organisée.
Quelques mois se passèrent ensuite dans l’attente des ratifications. Ces ratifications, toujours promises et toujours différées, arrivèrent enfin ; mais après elles vint un calme plat. Nous ne savions plus où en étaient les négociations.
Incertaine de l’avenir du pays, inquiète même de son existence, la représentation nationale crut devoir donner une impulsion au gouvernement, et une adresse fut votée au mois de mai dernier.
Le gouvernement sembla adopter tous les principes qui étaient consacrés dans cette adresse, et vous savez dans quel sens cette adresse a été votée. Il prit acte des offres qu’on lui fit, nous demanda des hommes et de l’argent ; et, encore une fois, des hommes et de l’argent furent accordés. Voilà, comment nous avons une armée, une armée, que l’on dit pleine de discipline, que l’on dit animée du meilleur esprit, et qui est pleine de jeunesse et de vie.
Messieurs, en vous retraçant de quelle manière notre armée a été formée, je n’ai pas besoin de vous dire qu’on annonçait toujours des dispositions énergiques, et que lorsqu’on avait voté des hommes et de l’argent, les dispositions énergiques disparaissaient.
Pourquoi avons-nous voté des fonds ? Pourquoi avons-nous organisé une armée ? Est-ce pour rester l’arme au bras sur la frontière ? Est-ce pour l’obliger à voir les armées étrangères cueillir des lauriers à ses côtés ?...
Je n’ai pas blâmé l’intervention française ; je l’ai considérée comme la conséquence d’un engagement pris à notre égard ; mais j’ai regretté, et je regrette encore qu’on n’ait pas associé nos soldats à cette expédition et qu’on ne les ait pas mis à même de cueillir aussi quelques lauriers sous les murs d’Anvers.
Aujourd’hui on demande un budget considérable pour cette année, et j’ai entendu quelques expressions énergiques de la part d’un membre du ministère ; il a dit : Si les puissances ne parviennent pas à faire adhérer le roi de Hollande aux traités, ou si elles se désistent des moyens de coercition, nous ferons appel à nos forces et à notre droit. C’est le sens des paroles sorties de la bouche du ministre de la justice ; mais il n’était pas d’accord avec son confrère, le ministre des affaires étrangères. Celui-ci veut un autre genre de guerre, une guerre d’attente ; mais ce ministre a-t-il calculé toutes les chances de cette guerre d’attente ? Quelle sera la première épuisée, de la Hollande ou de la Belgique. Je ne sais, mais je n’ai pas confiance dans cette guerre d’attente. Ce dont je suis certain, c’est que la partie qui succombera la dernière, sera tellement épuisée qu’elle ne pourra profiter de son triomphe.
Témoins du rôle qu’on a fait jouer à notre armée, quelques membres de cette assemblée ont demandé : A quoi bon une armée ? Quant à moi, je la crois nécessaire, et je voterai le budget qui nous est redemandé pour son entretien.
Je la crois nécessaire, non que je compte sur l’énergie du ministre ; l’énergie est dans le caractère, et jusqu’à présent il n’en a pas donné des preuves. Mais je pense qu’il est dans l’intérêt de la France que la question belge arrive à une conclusion prochaine ; et je crois qu’il est dans les combinaisons de la politique du cabinet français que nous ayons sur pied une armée imposante.
La France, pour atteindre le but que je viens d’indiquer, doit pouvoir parler haut ; il faut qu’elle puisse faire craindre aux puissances du Nord les suites d’une conflagration générale, et pour cela une armée de 110 mille hommes doit peser quelque peu dans la balance.
Je considère notre armée, à vrai dire, comme l’avant-garde de l’armée française, et je pense qu’elle est entretenue dans l’intérêt commun de la France et de la Belgique.
Lorsque le gouvernement nous a demandé une année de réserve de 30 mille hommes, j’étais de la commission spéciale qui était chargée d’examiner le projet de loi, et j’ai fait l’observation à M. le ministre de la guerre que je pensais que nous armions dans une proportion plus forte que la France.
Bien que je ne sois pas, comme le ministre des affaires étrangères, satisfait des progrès des négociations, je ne pense pas qu’il faille les rompre tout à coup. Nous sommes engagés trop avant dans les chemins tortueux de la diplomatie pour pouvoir nous en relever subitement ; mais il est un expédient, le voici : c’est de renouveler ce qu’a fait le gouvernement au mois d’octobre, c’est de faire voir à la France l’impatience de la Belgique à terminer ses affaires ; c’est de déterminer un délai pour leur conclusion : faisant entendre à nos alliés que, dans le cas contraire, notre intention est de prendre nous-mêmes des mesures coercitives.
Il y a, je pense, messieurs, nécessité d’adopter cette mesure ; et en effet il est facile de contracter des emprunts ; mais ce qui n’est pas aussi facile, c’est de faire face aux intérêts.
Si les emprunts se renouvellent tous les ans, il est évident que nous creusons un gouffre où la nation en ruine viendra s’engloutir. Si cette année nous devons recourir à un emprunt pour entretenir l’armée, il faudra l’an prochain un emprunt plus grand pour payer les intérêts des emprunts précédents. D’emprunts en emprunts nous porterons atteinte à notre crédit ; les derniers emprunts seront plus onéreux que les premiers, et si une guerre arrive, nous ne pourrons faire face aux dépenses nécessaires. Nous ressemblerions alors à ce malade qui, à force de saignées et de sangsues, n’a plus la force de surmonter sa crise de sa maladie.
Il me semble qu’il serait temps de se souvenir de cette proclamation d’indépendance qui est un des premiers actes de la réunion du congrès.
Mais on dirait, en vérité, que les puissances ont pris à tâche de nous punir de ce que nous avons eu l’insolence de nous proclamer indépendants. On dirait qu’elles veulent nous faire payer bien cher cette reconnaissance d’indépendance que nous nous sommes donnée à nous-mêmes, en nous tenant dans un long vasselage.
Nous nous sommes proclamés indépendants, et cependant nous sommes aux ordres de deux puissances qui ont bien voulu nous prendre sous leur protection ; nous sommes indépendants, et il faut que des étrangers interviennent, pour purger le territoire belge de la présence des soldats du roi Guillaume ; nous sommes indépendants, et nous ne pouvons faire respecter nos droits.
Si cet état de choses devait avoir de la durée, je considérerais la déclaration d’indépendance comme une dérision amère, et je proposerais de lacérer du recueil de nos lois le décret qui la consacre.
Mais vous êtes dans la même position que la Hollande, nous dit-on ; quand elles a à se plaindre de nos procédés, elle n’exerce pas des vengeances immédiates ; elle porte plainte à la conférence : messieurs, je serais curieux d’apprendre quelle action elle a portée devant ce tribunal suprême ; je serais curieux de connaître l’acte agressif dont nous nous sommes rendus coupables. La Hollande connaît trop bien les intentions pacifiques des hommes qui nous gouvernent pour rien prendre en mal.
On nous dit, venant à la question de l’Escaut, que la liberté de la navigation de ce fleuve est reconnue en principe : oui, messieurs, elle est reconnue en principe pour tous ceux à qui il plaît à la Hollande de ne pas l’interdire. Tous les vaisseaux neutres y sont admis, ajoute-t-on, il n’y a d’exception que pour les pavillons français, anglais et belge : je reconnais qu’à titre de représailles on n’admette pas les pavillons français et anglais.
Mais nous, si paisibles, pourquoi ne pas nous admettre ? Nous restons témoins de la lutte, et cependant on ne veut pas nous permettre de naviguer sous notre pavillon. L’Escaut, messieurs, est lié à tout ce qui touche à l’existence de la Belgique, et sa navigation importe à notre prospérité. A une autre époque, on nous a dit : débloquez Maestricht et on débloquera l’Escaut ; eh bien, Maestricht n’est plus bloqué, pourquoi le blocus de l’Escaut est-il continué ? Pourquoi ? C’est, répond-on, parce que les puissances de France et d’Angleterre ont établi un blocus maritime qu’on nous défend l’Escaut. Mais d’après le principe de réciprocité établi dans le protocole du 9 janvier, Maestricht n’était pas investi ; non seulement nous devrions jouir de la liberté de l’Escaut, mais encore de la navigation de la Meuse à travers Maestricht.
Aujourd’hui que nous n’avons pas de troupes devant Maestricht ; aujourd’hui que nos troupes les plus rapprochées de cette place se trouvent à Tongres, je demande pourquoi le gouvernement ne fait pas d’efforts pour que nous jouissions de la libre navigation de la Meuse. La fermeture de la Meuse est une caisse de ruine pour la province à laquelle j’appartiens. Il est des industriels qui se tiennent éloignés de l’ordre de choses actuel parce qu’ils sont froissés dans leurs intérêts, et vous ne les rapprocherez pas si vous ne rendez pas libre la navigation de la Meuse. Je veux parler des possesseurs de houillères et d’autres industries.
On a dit, messieurs, que le principe de la liberté de l’Escaut avait été reconnu et que la Hollande n’exerçait aucun acte de souveraineté sur l’Escaut ; on se trompe. Il est de fait que les vaisseaux neutres, admis dans l’Escaut, sont convoyés. A quel titre la Hollande se permet-elle de les convoyer, et d’entraver l’arrivage des vaisseaux dans les bassins d’Anvers ? Cette entrave est suffisante pour détourner les arrivages de nos ports. Je vois dans ces actes vexatoires de la Hollande, sinon la dénégation du principe de la liberté de ce fleuve, du moins des mesures très funestes à notre commerce.
Nous ne pouvons l’empêcher, nous fait-on observer ; nous n’avons ni flotte, ni marine : je le sais ; mais la Hollande, ou tout au moins Maestricht, fait son commerce avec l’Allemagne en traversant une partie du territoire qui nous reste jusqu’à l’échange à faire par suite du traité. Eh bien ! je demande qu’on empêche les communications de la Hollande avec l’Allemagne, tant que la Hollande mettra des entraves à la libre navigation de l’Escaut. Nous pouvons faire aux Hollandais, sur terre, tout le tort qu’ils nous font par eau. En agissant ainsi, nous donnerions de temps en temps un signe de vie ; nous prouverions à la Hollande que nous sommes en position de venger les affronts du mois d’août, affronts qui me pèsent à moi, affronts que je ne cesserai de reprocher à ceux qui, trop confiants dans la diplomatie, ont compté qu’elle terminerait nos difficultés, et qui, par suite, ont négligé d’organiser une armée, dont ils ne prévoyaient point le besoin.
Si, par un défaut de précaution inconcevable, et qui touche presque à la culpabilité, vous n’aviez congédié les plus anciens soldats de l’armée, les miliciens de la classe de 1826, qui ont été rappelés après le danger, vous auriez eu 68,000 hommes ailleurs que dans le budget ; l’armée aurait repoussé les Hollandais, et plus efficace que la diplomatie, elle aurait sauvé le pays.
M. Angillis. - Messieurs, je m’étais proposé de m’occuper aussi un peu de la diplomatie, mais cette tâche a été si bien remplie par les honorables MM. Dumortier et Gendebien, que je ne pourrais plus que glaner, si je voulais les suivre dans cette route. L’honorable M. Dumortier vous a soumis des considérations importantes sur la division de la dette hollandaise, et méritait toute l’attention de la chambre, du gouvernement, et de tous les diplomates connus et inconnus. J’ajouterai donc d’autres considérations. (Ici l’orateur entre dans des détails sur les erreurs commises par la conférence, et poursuit : )
Notre diplomatie, messieurs, est toute du juste-milieu : elle veut avant tout le repos et la tranquillité quand même. Ces hommes doux sont dupes de leur faiblesse, et sans le vouloir, ils placent le pays dans une fâcheuse position. Quand il arrive que la chambre traite un peu de leurs affaires, on la voit venir faire parade d’un enthousiasme de commande, promet tout et n’exécute rien, voilà toute son histoire. Cependant, un honorable diplomate, dans un très long discours, nous a prouvé hier que la diplomatie belge a montré beaucoup d’énergie ; il a cité à l’appel de ses assertions la prise de la citadelle d’Anvers ; mais cette reddition confirme tout ce que nous avons dit dans une autre discussion ; la France, par cette prise, a fait faire à sa cause un pas immense, nos affaires sont demeurées dans le malheureux provisoire.
Il a ajouté qu’elle a même trouvé une force irrésistible dans un dilemme ; il serait heureux pour le pays qu’elle trouvât dans un autre dilemme les fonds nécessaires pour payer une partie de notre déficit, qui est causé par l’état provisoire dans lequel la diplomatie nous retient.
Le même orateur nous a déroulé un tableau brillant, et de notre heureuse situation présente, et sur notre avenir. Quant à l’avenir, je n’ai rien à dire, car l’avenir ne nous appartient pas, et l’expérience nous a démontré que l’avenir se plaît souvent à tromper les calculs humains. Pour ce qui regarde notre position présente, il manque une chose au tableau de l’honorable membre, mais une chose essentielle, pour que nous soyons les gens les plus heureux du monde. Au reste, messieurs, je ne veux troubler la douce illusion de personne en déroulant un autre tableau ; je ne veux pas même combattre les objections que je ne partage pas, mon intention n’étant qu’à faire quelques remarques sur la discussion qui nous occupe.
Une question principale domine toute la discussion, c’est celle de savoir si d’après nos relations politiques, une partie de notre armée ne peut pas être réformée ? Si M. le ministre des affaires étrangères avait mis dans ses réponses moins de diplomatie et plus de franchise, la question eût été déjà résolue. Mais comme l’honorable ministre-député a jugé bon de parler longuement sans nous rien apprendre, la question est demeurée intacte et la discussion s’est prolongée.
Cependant, messieurs, il faut que nous sachions, il faut surtout que le peuple qui nous a envoyés ici sache, si les immenses sacrifices auxquels nous consentons en son nom, sont destinés à lui faire obtenir le prix de sa révolution, ou s’ils ne serviront qu’à maintenir le pays dans cette fâcheuse position, et qu’à ajouter quelques pièces de plus à cet immense recueil de mystifications qu’on nomme protocoles.
Oui, il faut qu’il sache bien tout cela, car lorsqu’on vient nous demander l’énorme somme de 73 millions pour l’entretien de notre armée, notre devoir est de vérifier, d’examiner si notre armée est destinée à remplir le but pour lequel elle a été créée. Il nous est certainement bien permis d’examiner si les puissances qui prétendent exercer une tutelle sur la Belgique sont dans l’intention de finir nos affaires, ou si elles veulent permettre ou s’opposer à ce que nous les finissions nous-mêmes, et si, par un abus de la force, on veut nous maintenir dans cet état de dépendance continuelle, de manière à rendre une partie de notre armée inutile ; alors il nous sera bien permis à nous, de rejeter les fonds que l’on demande pour cette partie d’une armée que nous chérissons comme nos frères, d’une armée animée d’un bon esprit, qui aime la gloire, qui voudrait sceller de son sang l’indépendance de la Belgique, mais qui, comme nous, doit être indignée du rôle par trop ridicule que l’on lui fait jouer. Il faut enfin, messieurs, que la nation connaisse sa position.
En insistant sur ces explications, on va encore une fois crier à l’opposition ; et vous savez, messieurs, que le mot opposition, d’après le vocabulaire de certaines gens, veut dire autant que le mot jacobin ; d’où il arrive que la position de l’opposition n’est rien moins qu’agréable.
Vous vous rappelez, messieurs, qu’à l’occasion de la discussion de l’adresse en réponse au discours du trône, des hommes, amis de leur pays, et dont les antécédents déposent de la pureté de leurs intentions, furent bafoués dans les journaux qu’on dit ministériels : ce fut un hourrah continuel d’injures, de plats quolibets et d’insinuations perfides. Il faut donc qu’on soit soutenu par un sentiment profond de ses devoirs, pour s’exposer à être calomnié et à d’autres désagréments qu’il est inutile d’énumérer quant à présent, mais dont plus tard je parlerai. Mais, messieurs, ce qu’on appelle si plaisamment l’opposition n’est dans le fait que l’esprit national ; mais cet esprit est éminemment constitutionnel : le dévouement à la monarchie constitutionnelle, c’est-à-dire la monarchie fondée sur la liberté et sur la loi, la ferme volonté de réunir les droits du trône et les garanties dues à la nation, sont les sentiments de cette opposition, qu’on ne cesse de représenter comme si hostile au gouvernement.
Mais que demande donc cette opposition ? Elle ne demande que bien peu de chose ; elle réclame une administration puissante et inébranlablement énergique, une administration qui sente le besoin de se placer au niveau de la révolution, et qui fasse obtenir au peuple belge le prix de tous ses sacrifices. Que le ministère, pour lequel l’opposition n’a ni haine ni amour, se mette dans cette position, et l’on nous verra disputer de zèle pour lui fournir les moyens d’atteindre ce but désiré.
Nous avons une armée dont le nombre atteint la plus grande proportion qui doit exister entre une armée et la population ; et malgré un armement aussi considérable, notre indépendance est loin d’être assurée, et la navigation de l’Escaut est loin d’être libre ; oui, messieurs, elle est loin d’être libre, et tout ce qu’on a dit pour prouver le contraire doit fléchir devant des faits connus par tout le monde. Cette navigation, immense par l’étendue qu’elle donne à notre commerce, infinie dans ses détails, intéresse l’agriculteur comme l’artisan, le manufacturier comme l’homme de mer, le riche comme le pauvre ; cette navigation est pour la Belgique une question de vie ou de mort ; et cependant, messieurs, nous continuons à rester dans cette position indéfinissable qui n’est ni la guerre ni la paix, qui nous donne toutes les charges de la guerre et aucune des jouissances de la paix.
Je pense donc que nous devons trancher la question, car je ne veux pas tout sacrifier par amour pour la paix ; je demande avant tout l’indépendance de la Belgique, et cette indépendance, je la réclame à tout prix. Si donc notre armée est destinée à nous procurer cette indépendance, je voterai avec plaisir toutes les sommes nécessaires. Mais si, comme M. le ministre l’a déjà fait sentir dans son discours de samedi, les puissances nous empêcheront d’agir, alors une grande partie de l’armée devient inutile.
Mais, dit-on, l’ennemi pourrait nous attaquer à l’improviste, et, avant l’arrivée de nos protecteurs, il pourrait envahir une grande partie du pays, et causer ainsi des pertes et dommages irréparables. Cela serait très vrai si on demandait la suppression de l’armée, et je n’ai pas entendu qu’une pareille demande ait été faite ; on a soutenu seulement que, si l’armée ne peut être employée comme force agressive, il faut la réduire au nombre strictement nécessaire pour garder l’offensive ; et comme nous pouvons toujours compter sur le secours de la France, moyennant paiement à ce qu’il paraît, on pourrait se contenter d’une force suffisante pour tenir tête à l’ennemi pendant le temps nécessaire pour l’arrivée de nos protecteurs. Voilà ce qui a été soutenu, et de pareilles considérations, si elles ne sont pas fondées, méritent au moins une bonne et satisfaisante réfutation ; c’est ce qu’on n’a pas encore fait.
Messieurs, quand le peuple nous a nommés pour le représenter, il nous a donné la mission de consentir, en son nom, à toutes les dépenses qui sont strictement nécessaires pour les besoins publics ; si nous accordons au gouvernement plus qu’il n’a besoin pour couvrir les dépenses de l’Etat, nous outrepasserons les bornes de notre mission, et nous violerons le premier de nos devoirs.
La conduite des puissances envers la Belgique donne lieu à de graves réflexions. Je pense, avec d’autres membres, qu’il y a arrière-pensée de la part de ces puissances ; mais j’ai la certitude que les Belges ne souffriront pas qu’on la partage facilement ; car il n’y pas à balancer, nous devons périr ou vaincre ensemble. Mais, que les puissances prennent garde, car leur existence n’est pas beaucoup plus assurée que la nôtre. Rien ne saurait plus faire reculer la marche du monde entier à la conquête d’un ordre nouveau ; tous les actes de violence qu’on exerce contre les peuples qui réclament des améliorations dans leurs institutions ne font qu’irriter les esprits et resserrer davantage les liens communs, et finissent par créer une force vitale contre laquelle aucun gouvernement ne pourra bientôt plus agir. La véritable force d’un gouvernement est dans l’amour et la confiance du peuple ; c’est là que réside la force morale la plus puissante de toutes, et on n’acquiert cette force qu’en se rattachant aux principes sur lesquels son existence est fondée.
Je me résume : si on me donne l’assurance qu’on prendra une autre attitude dans les négociations, l’attitude qui convient à un peuple qui veut être libre, alors je voterai sans hésitation toutes les sommes nécessaires pour assurer notre indépendance ; mais si on veut rester dans cette malheureuse route du juste-milieu, de ce juste-milieu qui prêche la patience pour toute consolation, qui veut endormir la nation pendant qu’elle épuise ses ressources et que son patriotisme se perd avec son énergie, si notre armée doit rester spectatrice immobile de notre humiliation, alors il me serait impossible de payer notre honte au prix de la fortune publique.
M. Deleeuw. - Messieurs, je me bornerai à considérer brièvement le budget de la guerre dans son rapport avec la question diplomatique. Ma tâche est déjà considérablement allégée par les opinions manifestées par quelques-uns des honorables préopinants.
Permettez-moi, messieurs, de vous faire remarquer préalablement une chose qui m’a paru étonnante, je dirai même étrange. Le ministère, qui a mission de défendre la diplomatie, qui lui accorde une grande confiance, qui paraît persuadé qu’elle finira nos affaires pacifiquement ; le ministère propose un budget sur le pied de guerre, le ministère veut une armée nombreuse et bien organisée ; et d’un autre côté, quelques membres de l’opposition, qui n’ont aucune foi dans la diplomatie, qui la répudient, qui la croient fatale à la Belgique, paraissent disposés à rejeter le budget et croire qu’une armée sur le pied de guerre n’est pas nécessaire. Je crois, messieurs, que les rôles sont singulièrement intervertis.
Je n’ai demandé la parole ni pour accuser ni pour défendre le ministère. Le temps approche où l’on pourra le juger définitivement, et je ne précipiterai point une opinion à cet égard.
Je ne partage point l’opinion de mon honorable collègue, M. Gendebien, relativement aux intentions secrètes de l’Angleterre et de la France. Je ne crois point que ces puissances veuillent sérieusement le partage de la Belgique : leurs intérêts respectifs me rassurent à cet égard ; l’Angleterre ne peut le permettre, et le cabinet français doit savoir ce qu’il aurait à redouter de sa puissante alliée s’il était soupçonné d’une tentative aussi hardie.
D’après cette opinion que j’ai des intérêts de l’Angleterre et de la France, j’ai eu foi dans la convention du 22 octobre, contractée entre ces deux puissances, non pas seulement en ce qui concernait la citadelle d’Anvers, mais dans une interprétation plus large, et telle que j’ai eu l’honneur de la soumettre à la chambre lors de la discussion de l’adresse. Cependant, messieurs, le temps marche rapidement ; nous approchons de l’époque où la saison plus favorable permettra contre la Hollande des mesures plus efficaces de coercition ; et j’avouerai franchement que si cette époque se passe sans que la France et l’Angleterre emploient des moyens suffisants, je me suis cruellement trompé, et je commencerai à douter qu’elles veuillent nous procurer l’exécution intégrale des principaux articles du 15 novembre.
Messieurs, il n’est pas probable qu’il en soit ainsi ; mais cela n’est pas impossible, et j’argumenterai un moment dans le sens de la possibilité. Je suppose que l’on nous propose des modifications désavantageuses au traité du 15 novembre : quel parti prendrions-nous ? Sans doute nous les repousserions avec indignation, nous prendrions une attitude ferme, digne ; nous aurions une volonté à nous (ici je me sers avec plaisir de l’expression de l’honorable M. de Brouckere) ; et pour mieux soutenir cette opinion, cette attitude d’une nation trompée, mais encore indépendante, sans doute aussi il nous faudrait une armée forte et bien organisée. Vous voyez, messieurs, qu’il est impossible de ne pas tirer des prémisses de l’honorable M. de Brouckere et de ses sinistres prédictions une conclusion contraire à la sienne.
Je me bornerai à ces courtes observations, et je voterai pour le budget en discussion, sauf peut-être quelques modifications qui résulteront de la discussion des détails.
M. Marcellis. - Messieurs, je voterai pour le budget de la guerre sur le pied actuel, parce que la Hollande a une armée aussi nombreuse que la nôtre, parce que notre armée a été utile à nos négociations, et parce que vraisemblablement notre armée prendra une part active à la conclusion de nos affaires.
J’ai dit que je voterai le budget de la guerre, parce que la Hollande a une armée aussi nombreuse que la nôtre ; c’est en effet ma première raison. Je ne conçois rien à un système de désarmement tant que notre adversaire ne désarme point ; parler de désarmer quand notre ennemi arme, est une boutade d’impatience, mais non un raisonnement politique. Nous devons donc armer tant qu’il plaira à la Hollande d’armer, et dans la même proportion ; dans une plus grande proportion même, car nous n’avons point de fleuves qui nous défendent, point de flotte, point de forteresses sur nos frontières. La Hollande en a jusque dans l’intérieur de notre pays.
J’ai dit que je voterai pour le budget, parce que l’armée a été utile à nos négociations. Les faits sont patents à cet égard : l’intervention française en a été le fruit ; mais l’armée a plus fait que favoriser les négociations, elle a contribué au succès du siège d’Anvers, en se portant sur la ligne des frontières, en tenant en échec les forces hollandaises. Leur immobilité pendant les attaques dirigées contre les plus braves soldats de la Flandre est le premier hommage rendu à notre armée, comme à la sagesse des chambres qui ont voté les moyens de l’organiser.
J’ai dit enfin que je voterai le budget, parce que, d’après les vraisemblances, notre armée prendrait une part active à la conclusion de nos affaires. Oui, messieurs, telle est mon opinion. Mais ici mes explications vont se confondre avec la deuxième partie de ma tâche, c’est-à-dire avec les conseils qu’un représentant doit aux ministres en leur accordant les sommes qu’ils réclament.
Quelle est la conduite que doit tenir le ministère ? Il nous a déjà répondu. Il fera comme auparavant ; il sollicitera l’exécution du traité du 15 novembre, en invoquant le dilemme dont l’honorable M. Nothomb nous a donné le développement. Exécutez le traité, ou nous-mêmes nous l’exécuterons. Ce dilemme a été bon ; mais il ne l’est plus, parce qu’il est rare que deux fois le même raisonnement convienne en politique. Les faits marchent et la politique se modifie. Le siège de la citadelle d’Anvers était une affaire exceptionnelle. Cette combinaison était adroite, puisqu’elle a réussi. Nous l’avouons, nous n’avions pas cru qu’elle pouvait soustraire Anvers à un incendie. Le système d’action de la part des alliés et d’inaction de notre part a été justifié par l’événement.
Nous rentrons aujourd’hui dans la règle générale, qui certes n’est point de combattre sans ses alliés, mais d’agir concurremment avec eux. Provoquer aujourd’hui une intervention par terre, sans notre concours, serait une faute ; car s’il faut ménager ses alliés et leur politique, il faut ménager aussi les sentiments nationaux. Telle est même la condition première de l’existence des gouvernements. J’appartiens, messieurs, au juste-milieu, mais non tel qu’on le comprend aujourd’hui ; ce juste-milieu est trop souvent voisin d’une excessive circonspection.
Il faut donc négocier dans le but d’obtenir une intervention avec notre concours. Il faut négocier avec urgence, et pour cela il faut maintenir notre armée sur le pied actuel ; des congés multipliés seraient une contradiction. Comment l’étranger croira-t-il à l’urgence de nos demandes, quand notre armée se désorganise et prend le pied de paix ?
Mais, dit-on, une telle négociation ne peut réussir ; la neutralité et le traité du 15 novembre s’y opposent. Je réponds : une telle négociation peut réussir ; elle doit être tentée, car elle est aujourd’hui la seule ligne que la politique puisse tenir. Tout présage même qu’elle doit réussir. Pourquoi nos alliés négligeraient-ils des forces aussi considérables que le sont aujourd’hui les forces belges ? Pourquoi chercheraient-ils à démoraliser l’armée belge en l’humiliant ?
Notre neutralité de l’article 7 du traité du 15 novembre, que signifie-t-elle ? Suivant moi, c’est une précaution que les puissances représentées à la conférence ont prise, les unes à l’égard des autres, pour empêcher que la Belgique ne s’unît à la France contre l’Angleterre, à l’Angleterre contre la France ; mais une précaution qui empêcherait la Belgique de concourir à l’exécution d’un acte émané de la conférence elle-même, serait à mon avis un non-sens politique. L’homme neutre est celui qui ne se mêle point des affaires des autres ; mais quel nom mériterait celui qui néglige et abandonne les siennes ?
Le vrai sens de l’article 7 n’est donc point obstatif à notre concours. Puis, qu’est-ce qu’un traité, en n’exagérant ni en ne diminuant son importance ? Un traité est un acte qui naît des faits, et qui leur demeure subordonné ; il n’est point de vérité historique mieux démontrée. Notre propre expérience, qui n’est pas longue, nous l’as déjà prouvé, car après les 18 articles sont venus les 24 articles. Et quoi de nouveau dans nos relations avec la conférence dans l’espace de temps qui sépare les traités ? Quelques faits et voilà tout.
Or, depuis le 15 novembre, de nouveaux faits se sont accomplis et cette fois ils sont loin de nous être défavorables. Ces faits sont l’organisation de l’armée, le mariage du souverain, le bill de réforme, la naissance du crédit public, la prise d’Anvers, l’immobilité de la Hollande pendant ce siège, et surtout la question d’Orient. Ces faits établissent bien la compensation du désastre du mois d’août. Je n’en dirai point davantage, car je fais de la diplomatie cartes sur table le moins que je puis. Nous devons d’ailleurs nous en tenir au traité du 15 novembre. Mais il nous est permis de l’interpréter d’une manière plus hardie, et d’en demander une exécution plus complète.
Je n’ajouterai que quelques mots sur la question d’Orient, dont j’ai été surpris de n’avoir pas entendu parler jusqu’ici, vu sa corrélation étroite avec la question belge, vu son incidence favorable sur cette question, dans le sens des Belges s’entend.
La question d’Orient a dû exciter la jalousie de l’Autriche contre la Russie ; par suite, rapprocher l’Autriche de la France et de l’Angleterre. Sans l’Autriche, la Russie ne peut rien dans la question belge, et la Prusse ne fera rien sans l’assentiment et le concours de la Russie. Cette question a donc amélioré la position de nos alliés et par conséquent la nôtre. L’union de la France et de l’Angleterre est devenue plus étroite, la conclusion de nos affaires plus facile. Avis au ministère.
Convenons, cependant, qu’une circonstance fugitive, j’espère, peut entraver la marche du ministère pendant quelques jours. Le cabinet de Londres a été modifié par la retraite de lord Durham. Ceux qui connaissent mieux que moi la politique anglaise, disent que la politique extérieure n’y est pour rien ; qu’il ne s’est agi que de l’Irlande. En France le ministère vient aussi de subir des modifications par la rentrée du général Sébastiani. La prudence veut donc qu’on s’assure d’abord du résultat de ces modifications sur l’esprit des deux cabinets ; mais dans peu de jours il s’agira de prendre une marche décidée, sans laquelle notre gouvernement ne peut compter sur la nation, ni sur les budgets quand ou en redemandera aux chambres.
M. Mary. - Messieurs, j’aurai peu d’explications à donner à la chambre, convaincu que, dans les circonstances actuelles, le budget de la guerre ne peut être réduit au pied de paix. Il me semble, et je partage à cet égard l’avis de quelques membres, que, dans la position de la Belgique, quatre combinaisons peuvent amener la conclusion de la paix avec la Hollande.
D’abord persister dans le statu quo et conserver notre position défensive, ou continuer notre négociation directement ou par l’intermédiaire de nos alliés, ou recourir à une nouvelle intervention étrangère, ou enfin se décider à une guerre entre la Hollande et nous. Dans toutes ces combinaisons, il est nécessaire que nous ayons une armée préparée à la guerre.
Pour le statu quo défensif, c’est une position qui nécessite plus de monde que l’offensive. Suivant l’opinion de Napoléon, une armée agressive peut se porter sur le point qui lui convient, et c’est un grand avantage, tandis que l’armée qui se tient sur la défensive doit étendre sa ligne afin de défendre tous les points qui pourraient être attaqués. Les affaires du mois d’août furent le résultat de cette position : notre ligne s’étendait sur le Demer, la Dyle et le Ruppel ; les Hollandais firent leur irruption sur le centre dont ils eurent bon marché ; ils divisèrent alors notre armée, et nous jetèrent dans la situation d’où l’armée française est venue nous retirer. Cette position défensive exige donc une armée nombreuse.
Pour la seconde combinaison, continuer les négociations diplomatiques, ce qui s’est passé depuis quelques mois prouve la nécessité d’avoir une armée assez forte pour que notre diplomatie soit convenablement appuyée : l’épée d’Alexandre a toujours pesé dans la balance. Ainsi, on n’osera pas traiter de nous et sans nous, parce que, le cas échéant, nous aurions une armée qui pourrait nous faire raison de la partie adverse, et si nous n’avions pas une armée respectable, nous devrions subir le traité qu’on voudrait nous imposer.
Vient la troisième position : une intervention étrangère. Dans ce cas, notre intérêt exige encore une armée nombreuse ; les alliances enrichissent les Etats : Napoléon a gagné des batailles par ses alliés. Heureux qui peut avoir des alliés ! Mais comme ils peuvent manquer, il faut donc que le pouvoir puisse résister par ses propres forces. Pendant le siège d’Anvers, comme l’armée hollandaise pouvait attaquer, l’armée française ne serait pas venue avec 50,000 hommes si nous n’avions pas eu 120,000 hommes sous les armes.
Dans la quatrième combinaison, dans une guerre directe avec la Hollande, direz-vous que nous n’avons pas besoin d’une armée assez forte, équivalente au moins à l’armée hollandaise ?
A cette occasion, je dois rectifier un fait qui a été mal compris : on a cru que la prise de la citadelle d’Anvers était peu de chose, un avantage médiocre. Examinons notre base d’opération en 1831. Nous avions laissé occuper notre droite par la garnison de Maestricht, pendant que le flanc était attaqué par la citadelle d’Anvers ; aujourd’hui, par la prise de la citadelle, notre ligne s’étend depuis Bruges jusqu’à Maestricht, et nous n’avons plus à craindre que les Hollandais jettent sur nos derrières quelque corps qui viendrait occuper la Campine, ce qui pouvait parfaitement arriver avant l’évacuation de la citadelle d’Anvers.
Messieurs, dans tous les cas donc, il est nécessaire que nous ayons une armée établie sur le pied de guerre, et nous ne pouvons surtout nous en dispenser vis-à-vis d’une puissance qui a une armée considérable, une nombreuse marine et une ligne de défense formidable.
Si j’examine maintenant la position actuelle du pays, je vois dans la note du 14 février les bases sur lesquelles on espère en venir à une convention provisoire. Le troisième des projets proposés à la Hollande par la France et l’Angleterre lui laisserait les forts de Lillo et de Liefkenshoeck, pendant que nous garderions les parties du Limbourg et de Luxembourg, elle reconnaîtrait notre neutralité et laisserait la navigation de l’Escaut libre de tout péage ; enfin par ces arrangements on arriverait à une espèce de statu quo indéfini.
Un honorable membre, M. Fleussu, voit dans cette combinaison la ruine de l’un et de l’autre pays : on devrait attendre que l’un des deux fût épuisé ; quant à moi, je persiste à croire que, dans cette position, nous aurions les avantages de notre côté.
Je ne pourrai, messieurs par ces motifs, consentir à voir décimer notre armée ; ce serait limer les dents du lion belge pour le livrer à notre ennemi.
M. de Laminne. - Messieurs, notre gouvernement n’a que deux voies devant lui.
L’une entraîne à la guerre immédiate en déchirant violemment les liens de la diplomatie tardipède ;
L’autre est celle ouverte par cette même diplomatie, qui pourrait nous consumer dans les lenteurs des temporisations et des conférences si nous ne nous ménagions toujours la possibilité et, en quelque sorte, la menace, de rentrer dans la première voie avec 130,000 baïonnettes.
Chacune de ces deux issues a ses inconvénients ; toutes deux sont à perte de vue, et il serait impossible de prédire par laquelle nous arriverions le plus tôt à la stabilité et à la prospérité que nous cherchons.
Il faut suivre en ceci les enseignements de la prudence et la volonté nationale.
Or, je crois que la sagesse et la nation ne désapprouvent pas le principe adopté par le gouvernement et qui consiste à nous montrer nombreux et bien armés, en même temps que prêts à signer la paix, pour n’exposer qu’à la dernière extrémité l’Europe à une conflagration universelle, qui pourrait résulter peut-être de notre rencontre avec la Hollande.
Réduisez l’armée ou employez-la, nous dit-on ? Mais ce n’est pas le moment de faire ni l’un ni l’autre, quand, arrivés au printemps, on doit être à la veille de clôturer le traité ou d’entrer en campagne.
C’est bien plutôt le cas de sommer la diplomatie d’en régler à terme fixe.
Commençons par constituer les hautes puissances en demeure ; après quoi le monde entier ne pourra que reconnaître le droit légitime qui reste d’attaquer notre ennemi avec l’impétuosité et la confiance qui entraîne la victoire et captive l’approbation.
Mais, messieurs, ne nous laissons pas éblouir par le prétendu besoin de séparer notre échec du mois d’août, dont on fait tant d’éclat : visons droit au bonheur de la patrie, et secouons le préjugé de ces faux points d’honneur dont le système ne tendrait qu’à éterniser les conflits.
Nous pouvons tout au plus considérer l’invasion du mois d’août comme une revanche prise par les Hollandais, mais non comme un déshonneur national. S’il y a quelque part honte et lâcheté, n’est-ce pas réellement dans la peur de nos ennemis qui, armés de pied en cap, se sont enfuis devant les blouses insurrectionnelles ?
Enfin, avant de rougir de ce que les armes, qui sont journalières, nous auraient une fois failli quand l’organisation nous manquait encore, je voudrais voir quelle armée ou quel peuple serait en droit de nous jeter la première pierre comme n’ayant jamais éprouvé de revers.
Revienne l’occasion, et, plein de confiance dans la supériorité morale et guerrière de notre armée, je ne doute pas que le combat en soit la victoire.
Mais ne cherchons une collision qu’autant qu’elle soit nécessaire et dans l’ordre des intérêts nationaux.
Savez-vous ce qui déshonore un pays ? Ce n’est pas une bataille perdue... Ce sont les mauvais citoyens et les mauvais principes.
Je ne me sens pas touché non plus du prétendu affront du siège d’Anvers. Et je préfère que nous possédions aujourd’hui le fort et la ville, que si notre coopération avait donné un motif d’incendier la rivale d’Amsterdam.
Je sais que nous sommes maltraités par les 24 articles, et que notre position serait tout autre sans les désastres du mois d’août ; mais cependant, que devons-nous envisager dans notre situation actuelle ? Un nouveau royaume qui vient de se donner l’être et de recevoir le baptême de politique qui le fait enfant de l’Europe, l’égal en droit et l’associé des autres puissances
Que, pour achever sa consolidation, il lui faille, au sortir d’une alliance impure, quelques années de patience, et laisser sécher quelques éclaboussures du tyran qui s’en va, est-ce bien humiliation ?
Est-ce là payer trop cher une existence dont on eût consenti à donner bien un autre prix si on nous avait mis le marché à la main en juillet 1830 ?
Nous ressentons un grand malaise dans plusieurs parties de notre corps social ; mais quelle nation peut-on citer comme heureuse et digne de notre envie ?
Messieurs, s’il est un pays capable de se suffire à lui-même et de supporter plus longtemps que tout autre une sorte d’isolement et de blocus, c’est bien le nôtre.
La fertilité de son sol, l’abondance de ses mines, l’aptitude de ses travailleurs lui assurent toujours le pain et le feu, du drap et du canon. Si plusieurs grands producteurs ont été fort maltraités dans leurs hauts fourneaux et leurs houillères, d’un autre côté nos draperies, nos clous, nos armes et notre agriculture ont même prospéré en dépit des circonstances. Beaucoup d’autres industries sont dans un état supportable, et peuvent encore se soutenir en attendant des temps meilleurs. Nous n’avons donc aucun motif de nous fatiguer du statu quo avant notre ennemi.
Non, messieurs, n’outrons rien ; sachons supporter les premiers inconvénients d’une nouvelle condition, et soyons confiants dans l’avenir sans le vouloir faire avorter.
Mais, pour remuer l’impassible conférence et la contraindre de hâter le dernier dénouement de nos affaires, il est bon qu’on sache à l’étranger, par l’exaspération qui règne dans nos débats parlementaires, qu’il nous reste des germes énergiques d’une impatience qu’il serait facile d’exalter, de propager et de nationaliser encore une fois si on différait une conclusion que les grandes puissances doivent désirer autant que nous.
Cependant, messieurs, le dirai-je ! ma confiance dans l’avenir n’est point illimitée.
Quoi qu’il en soit, et pour contribuer autant qu’il est en moi à l’issue possible de nos affaires, je voterai les fonds indispensables pour maintenir, pendant un temps encore, l’armée au complet, et je fais aussi la proposition que le gouvernement soit invité à faire expliquer la conférence sur le délai fatal qu’elle assigne à la conclusion de notre procès, afin qu’ensuite nous puissions, par nous-mêmes, le plaider à l’arme blanche avant septembre, c’est-à-dire avant les trois ans accomplis depuis notre révolution de 1830.
Je crois, au reste, que tout ce qui s’est dit depuis trois jours dans notre enceinte, aura laissé les opinions telles qu’elles étaient au début, et que le vote du budget aura lieu comme si on avait tout d’abord commencé par voter.
M. Fallon. - Messieurs, je prends la parole, non pas pour me rendre l’écho des sentiments patriotiques qui, depuis quatre jours, se sont reproduits sous tant de formes différentes, et non pas surtout pour ajouter à la confusion d’une discussion qui ne s’est déjà que trop souvent écartée de son véritable objet mais pour exprimer en peu de mots les motifs qui dirigeront mon opinion sur la question qui domine l’examen du budget de la guerre sur le pied de guerre, c’est-à-dire sur la question, que je ne crois pas avoir été soulevée bien sérieusement, de savoir s’il importe de conserver l’armée, même pour n’en rien faire actuellement.
Je lis dans le discours du trône :
« Après de longs délais… le moment est enfin arrivé où j’ai pu répondre aux vœux des chambres et de la nation, en amenant les puissances garantes du traité du 15 novembre à en assurer l’exécution. Les puissances avaient acquis la certitude qu’en s’abstenant plus longtemps de recourir à des moyens coercitifs, elles plaçaient la Belgique dans l’imminente nécessité de se faire justice à elle-même. Elles n’ont pas voulu courir cette chance de guerre. »
Telles sont, messieurs, les paroles que le gouvernement fit entendre à l’ouverture de la session actuelle.
Ces paroles se résument en peu de mots, et elles indiquent parfaitement, me semble-t-il, ce-que nous avons droit d’exiger du gouvernement dans les circonstances actuelles.
Il avait fallu de longs efforts pour amener les puissances à remplir leurs engagements, et ces efforts n’allaient être couronnés de quelque succès que parce que la Belgique s’était montrée menaçante, que parce qu’elle était dans l’imminente nécessité de se faire justice à elle-même. Au fond de ces paroles, il y avait une grande vérité qui devait servir de leçon pour l’avenir.
C’est que, aussi longtemps que nous nous contenterions des moyens de la diplomatie pour sortir du statu quo, il ne fallait pas espérer que les cabinets français et anglais se mettraient en devoir de faire exécuter le traité par la force des armes.
C’est que ce n’était que parce que la Belgique avait pris la résolution de provoquer elle-même l’exécution du traité, que les cabinets français et anglais, craignant une collision bien plus pour eux que pour nous, s’étaient décidés à un commencement d’exécution.
Comment se fait-il qu’après avoir proclamé solennellement cette vérité, le gouvernement semble l’avoir sitôt méconnue ?
Aux termes de la convention du 22 octobre, le cabinet français avait pris l’engagement de commencer par faire évacuer la citadelle d’Anvers et les forts qui en dépendent.
La citadelle d’Anvers ne fut pas plus tôt enlevée que l’armée française se retira et recula devant deux forts qui devaient faire partie de l’expédition.
Quels furent les motifs d’une dérogation aussi prompte à la convention du 22 octobre ?
Ce n’est pas sans doute à raison que le cabinet français n’avait pas suffisamment calculé les difficultés de l’entreprise. Notre ministère ne lui fera pas l’injure d’un semblable reproche.
Est-ce à raison que la docilité et la soumission de notre armée pendant le siège de la citadelle donnèrent aux cabinets français et anglais une garantie suffisante que la nécessité de pousser à bout les moyens coercitifs n’était pas aussi imminente que l’avait proclamé le discours du trône ?
Est-ce plutôt à raison qu’en n’arrêtant pas la bravoure de l’armée française devant les forts de Liefkenshoek et Lillo, on allait donner ouverture au blâme hypothétique du projet de votre commission de réponse à l’adresse, et justifier trop complétement l’opposition des 42, dont les intentions toutes patriotiques furent si violemment calomniées ?
Je le crois aussi, messieurs, je crois que c’est bien là la cause du retour subit de l’armée française avant l’entier accomplissement de sa mission.
Je crois encore que c’est bien à ce consentement trop imprudemment donné à l’évacuation réciproque sans aucune condition sur la reconnaissance préalable de notre indépendance, que nous devons d’être replacés dans l’ornière de la diplomatie.
Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas ces considérations, ni toutes autres, qu’on a fait retentir dans cette enceinte, qui détermineront mon vote sur le budget de la guerre, parce que je suis convaincu de la nécessité de conserver l’armée en raison des efforts que font les cabinets alliés pour nous replacer dans la voie des négociations. Mais j’en tire avantage, quant à présent, pour rappeler au gouvernement que, s’il est vrai, comme il l’a dit dans le discours du trône, que ce n’est que parce que la Belgique s’est montrée menaçante, et à la veille de se rendre justice à elle-même, qu’il a pu amener les puissances à recourir aux moyens coercitifs, il doit d’abord, sous peine de trahison, se refuser avec énergie à toutes négociations qui n’auraient pas pour objet la reconnaissance immédiate de notre indépendance, et la possession des avantages qui nous sont garantis par le traité du 15 novembre.
Il doit également, et sur ce point j’emprunte le langage de mes honorables collègues, MM. de Brouckere et Fleussu, il doit notifier à nos alliés que la volonté de la Belgique est d’en finir dans un temps donné, faute de quoi elle concourra par elle-même à l’exécution du traité.
M. de Robaulx. - Messieurs, au point où nos affaires publiques sont arrivées, quand près de trois années d’une triste expérience n’ont point suffi au gouvernement pour lui faire sentir que les puissances, même celles qui se proclament nos protectrices, ne veulent pas sincèrement constituer la Belgique en Etat libre et indépendant ; quand notre soumission à la conférence, et les nombreux sacrifices que nous avons faits, n’ont pu nous faire sortir du cercle vicieux que nous parcourons, et dans lequel nous nous épuisons sans fruit ; quand il est évident pour chacun de nous que toutes les promesses de nos officieux médiateurs ne tendent réellement point à mettre une fin honorable à nos débats avec la Hollande, comment se fait-il que la représentation nationale persiste seule dans son aveuglement, lorsqu’elle seule peut apporter un remède à nos maux, en se montrant ce qu’elle doit être ?
Je lui ai dit maintes fois, et, malgré mon profond découragement, je lui répéterai encore que depuis la régence jusqu’aujourd’hui un système de peur, suggéré par de faux amis à des hommes perfides ou dupes, a rendu la Belgique le jouet des intrigues de la diplomatie, qui, sous l’aspect d’une indépendance éphémère, ne lui a en effet donné qu’un misérable et honteux vasselage.
La preuve de cette vérité, c’est qu’avant la reconnaissance de la Belgique par l’Angleterre et la France, nous étions comptés pour quelque chose dans la politique européenne, qui craignait ce qu’elle appelait nos mauvaises têtes ; mais depuis que, comme on vous l’a dit, « nous sommes entrés dans la grande famille, » sous le patronage d’un prince qu’on a trompé en nous trompant, notre crédit a été perdu, et, en résultat, nous avons été rayés de la liste des nations indépendantes ; aussi l’on a disposé de nous comme d’un troupeau : on a morcelé notre trop petit territoire, on nous a chargés de tributs envers la Hollande, on a fermé nos rivières, on nous a laissé et peut-être fait insulter dans notre honneur et nos intérêts, et l’on nous a défendu de faire usage de nos forces pour en exiger réparation ; et, pour couronner l’œuvre, un gouvernement voisin, infidèle à son origine, infiltre chez nous, petit à petit, son système doctrinaire et rétrograde, son luxe de cour aristocratique et ses dédains pour ces roturiers qu’on a caressés tant qu’on en a eu besoin. En un mot, nous sommes indépendants comme le sont les mineurs en tutelle.
Quand il en était temps encore, j’ai dénoncé à cette tribune la tendance de l’intervention étrangère et le danger qu’il y avait pour nous à accepter la fameuse suspension d’armes en novembre 1830 : lisez aujourd’hui les actes diplomatiques de cette époque, lisez les déclarations de lord Aberdeen, alors ministre, et vous jugerez si, comme l’a supposé M. Dumortier, l’Angleterre était l’amie de la Belgique, et si elle nous était plus attachée que cette France (je parle de la nation), qui nous a préservés deux fois de la restauration. Peu à peu et en proportion que la fatigue et l’or de cette même Angleterre amortissait ici l’esprit public, les intentions des cinq rois de la conférence se dévoilaient, et nous avons vu comme les « simples médiateurs officieux » de 1830 nous ont parlé en maîtres dans la lettre de Ponsonby, dans les protocoles et successivement dans les 18 et les 24 articles : alors, et chaque fois, messieurs, je redoublais d’efforts pour faire apercevoir au gouvernement et à la représentation nationale les pièges qu’on nous tendait.
Mais les optimistes, en calomniant les intentions de l’opposition, ont trouvé moyen de rendre vaines ses protestations, et ce bon congrès et ces bonnes chambres de croire à la reconnaissance immédiate de toutes les puissances, à l’exécution pleine et entière des traités proposés, au prochain traité de commerce qui devait ouvrir la frontière de France à nos produits, à la conservation de Maestricht et de Luxembourg, à la réduction de notre armée, à la paix avec la Hollande, au désarmement général, etc., etc.
Voilà, messieurs, en partie les éléments de bonheur que notre ambassadeur à Paris et nos ministres venaient chaque fois promettre à la Belgique, et ce pour obtenir de ses députés des votes qui convenaient au juste-milieu français. J’en appelle à cet égard non seulement à ceux qui assistaient à nos débats publics, mais encore à ceux qui ont pris part aux communications officieuses faites par M. le Hon et autres, dans la salle du gouvernement de la province.
Ces messieurs alors ont rendu de grands services, non pas à la France, mais aux vues de son gouvernement. Je n’ai pas été la dupe de ces menées, j’ai cherché à les dévoiler ; aussi vous pouvez être certains que je ne serai jamais ni commandeur ni chevalier de la Légion d’honneur.
Actuellement que nous nous sommes remis à la discrétion des puissances, que l’on ne nous croit plus à craindre pour personne parce que l’on compte sur notre docilité et notre crédulité, on en agit sans façon avec nous, on nous fait tenir sur pied de guerre une armée qui nous surcharge d’impôts, et l’on nous défend d’en faire usage même quand on enlève ou quand on assassine nos concitoyens sur notre territoire ; et c’est pour conserver un tel état de choses que tant de millions nous sont demandés par le ministre de la guerre. Faut-il voter ces fonds ?
Cette question est très embarrassante pour tout homme de bonne foi ; car, d’un côté, il faut reconnaître que la situation de l’Europe est loin d’être rassurante ; car, malgré la crainte évidente que chaque puissance a de commencer une lutte dont les résultats sont incertains pour tous, malgré l’éloignement de chaque gouvernement à jouer son va-tout, aucune nation ne paraît disposée à désarmer sincèrement, car chaque souverain a ses appréhensions et ses espérances : chacun, dans cette incertitude, attend des événements ; le temps, et peut-être le hasard, règlent sa conduite à tenir.
Et provisoirement la politique expectante à main année est à l’ordre du jour. Peut-être serait-il d’une imprudence extrême de vouloir nous soustraire à une nécessité qui pèse sur bien d’autres que sur nous, surtout quand on considère que, malgré les pas immenses que nos ministres prétendent avoir fait faire à la diplomatie, ils sont réduits à répondre sur mon interpellation qu’ils n’ont plus une foi suffisante dans l’exécution des décisions de la conférence pour être assurés que les puissances empêcheront tout nouveau conflit entre la Hollande et la Belgique : de là il semblerait nécessaire de conserver l’armée sur pied de guerre pour être prête en toute occurrence.
D’un autre côté, admettre purement et simplement la continuation du pied de guerre pour un an, c’est approuver indéfiniment une politique qui nous ruine, c’est donner au ministère la facilité et le droit de continuer des relations diplomatiques qu’il est de notre devoir de faire abréger autant qu’il est en nous ; car remarquez-le bien, aussi longtemps que nous attendrons la fin de nos affaires, on aura beau tromper la nation par une prospérité factice, les parvenus auront beau faire danser dans leurs salons et étaler leur luxe, tout cela ranimera le commerce des colifichets de la rue de la Madeleine ; mais le véritable commerce et l’industrie du reste de la Belgique n’en seraient pas moins en souffrance.
Si la chambre désire sincèrement une issue, il faut qu’elle emploie de nouveau la recette qui lui a réussi pour Anvers, dont l’évacuation (soit dit en passant) est un véritable succès pour la cause des révolutions, car c’est une position militaire et commerciale dont l’Angleterre et la France sentent toute l’importance. Il faut déclarer au ministère que nous ne voulons pas de sa « diplomatie stationnaire ; » il faut lui donner un délai de trois mois, dans lequel il promettra d’exiger de la France et de l’Angleterre l’exécution complète du traité du 15 novembre, et de déclarer que, passé ce délai, la Belgique se considérera comme dégagée d’un traité honteux qu’elle seule a toujours reconnu, tandis que les autres signataires en suspendent volontairement la mise en vigueur.
Si le ministère ne veut point prendre cet engagement, il faut lui refuser des subsides, et d’autres plus hardis suivront le vœu du pays.
Songez-y bien, messieurs, si vous n’employez pas ce moyen, on vous mènera jusqu’à la fin de la session sans avoir rien terminé, et l’année prochaine nous retrouvera plus pauvres et plus avilis.
Je propose donc à la chambre de ne voter les fonds demandés pour l’armée sur pied de guerre que jusqu’au 1er juillet.
M. Marcellis. - Le juste-milieu, tel que je l’ai défini, conviens, je crois, à tout homme s’occupant d’affaires publiques ; c’est un système qui s’éloigne autant de l’exagération que de la peur, et si l’honorable M. de Robaulx ne partage pas cet avis, je ne l’en blâme pas, mais je regrette de n’être pas aussi souvent que je le voudrais dans cette position.
M. Pirson. - Messieurs, je pourrais donner bien de l’étendue à mes développements si, pour appuyer mes motifs, je faisais, même en abrégé, l’histoire de notre malencontreuse diplomatie ; si je voulais user de récrimination envers des ministres qui, pour détourner les accusations qu’ils méritaient peut-être, se sont appliqués constamment à donner le change à l’opinion publique.
Mais, ne vous impatientez point d’avance, messieurs, je ferai court.
Il serait inutile de répéter ce que des orateurs distingués et énergiques, les Gendebien, les de Brouckere, les Dumortier, etc., ont si bien fait sentir ; il serait à désirer que de hauts personnages, ici et en France, fissent surtout attention à la finale du discours de M. Desmanet de Biesme.
Cependant, j’ai besoin de redire qu’aujourd’hui, comme lors de la discussion de l’adresse, les ministres sont venus fort maladroitement nous prêter le flanc.
Alors, ils étaient tous disposés à abandonner les positions qui nous servent encore jusqu’à un certain point à tenir notre ennemi en échec, aussi longtemps qu’il voudra nous disputer nos droits ; et c’est l’opposition qui les a empêchés de lâcher prise.
Aujourd’hui, si l’attitude guerrière a secondé jusqu’à un certain point les tristes efforts de notre diplomatie, c’est à l’opposition que cette attitude est due, et non au ministère.
En effet, celui-ci est resté dans l’inaction la plus complète jusque l’époque des désastres du mois d’août, malgré les avertissements des représentants qu’il trompait indignement. Depuis lors, tous les moyens offensifs et défensifs ont été bien organisés ; mais quel usage a-t-il fait de notre élan national ? Lorsqu’il allait recueillir les fruits d’une attaque sur Maestricht, il a abandonné tous nos avantages, et n’a cessé de repousser les cris de guerre et de vengeance qui partaient de tous les rangs.
Enfin, la distribution des drapeaux d’honneur en septembre l’a un tant soit peu éveillé. Il dormait depuis six mois, à l’ombre des budgets que vous lui aviez accordés. Il a donné son grand lever le 5 octobre.
On croit qu’il va tâcher de réhabiliter l’honneur national ! Point du tout, c’est une armée étrangère qu’il appelle et qui vient recueillir toute la gloire d’une entreprise, qu’à la vérité nous ne pouvions tenter, mais que nous pouvions ajourner en dirigeant nos attaques sur tout autre point.
Encore s’il y avait eu partage de travaux et de mérite pour nos soldats ! Si l’on avait appris à se connaître des camarades qui peuvent un jour se trouver sur le même champ de bataille ! Mais c’est assez parler de l’expédition d’Anvers. On a dit sur ce sujet au ministère tout ce qu’il y avait à dire. Je ne rappelle cette époque que pour en faire mon point de départ et jeter un coup d’œil sur l’état actuel des choses. C’est cet état qui doit nous déterminer à voter ou refuser les fonds pour une armée sur pied de guerre.
Le roi Guillaume se montre aujourd’hui moins disposé que jamais à terminer. Nonobstant, vous désapprouveriez, je crois, le gouvernement, s’il sollicitait une troisième expédition française ; cependant il paraîtrait qu’il en a été question, non certainement sur la demande de notre ministère ; ces bruits sont tombés ainsi que ceux d’un accroissement de territoire que devait obtenir la France.
Aujourd’hui c’est le paiement des frais des deux expéditions françaises qui est sur le tapis : ample matière à réflexions ! Ajoutez à cela d’autres bruits : il semblerait que depuis peu le roi Guillaume aurait offert à la France d’accepter des propositions qui lui auraient été faites antérieurement. Quelles sont ces propositions ? L’intérêt de famille s’opposera, dit-on, aujourd’hui à ce que semblable projet se réalise. C’est très bien ; mais on sait ce que Louis-Philippe a répondu lorsque nous offrions la couronne à son fils le duc de Nemours : « Si à cette occasion il survenait une guerre, il ne faut pas que la France puisse m’accuser d’user ses ressources pour un intérêt de famille. »
Enfin les événements et les discussions diplomatiques semblent se multiplier à l’infini sur tous les points de l’Europe : qu’en arrivera-t-il ? Il faut être de bon compte, nos ministres n’en savent rien, parce que les ministres français, anglais, prussiens, russes, autrichiens, n’en savent rien eux-mêmes. Chacun projette, contre-projette, et tient en réserve son dernier mot ; c’est son secret.
Au milieu de ce chaos, il faudrait examiner la question de savoir si, en prenant une attitude offensive envers la Hollande, nous ne parviendrions pas à déchirer un coin du voile sombre qui couvre notre avenir. Une invasion dans le Brabant septentrional produirait peut-être un plus grand effet qu’on ne pense. Si nous ne tentons rien par nous-mêmes, si nous persistons dans notre inaction, je crains bien la perte de notre indépendance dont on finira par avoir bon marché.
Je n’ai point confiance dans l’énergie du gouvernement, et cependant je ne puis, sans danger pour la patrie, lui refuser hic et nunc, les subsides nécessaires à l’entretien de notre armée sur le pied de guerre. Je les lui accorderai donc pour six mois ; déjà trois mois sont à peu près écoulés. Le 15 juin au plus tard, s’il en fait un bon usage, et si nous jugeons nécessaire de les lui continuer pour les six mois restants de l’année, rien ne sera plus simple : une petite loi en un seul article suffira pour cela.
Messieurs, les antécédents du ministère vous commandent la mesure de précaution que je vous propose. Si vous votiez le budget de la guerre sur le pied de guerre pour l’année entière, vous le verriez bientôt licencier, non une partie de l’armée, mais bien la représentation nationale qui le gêne ; il se reposerait et mangerait tranquillement tous vos budgets. Quand il aurait fini de digérer, il vous rappellerait, si toutefois vous et lui existiez encore comme hommes politiques.
J’avais d’abord le projet de vous proposer la nomination d’une commission que vous auriez chargée d’examiner la situation politique du pays et de vous faire un rapport. Mais, tout considéré, je crois que nous ferons bien d’attendre un peu. D’ici à un mois des événements majeurs peuvent se dessiner. Ils nous en apprendront plus que la diplomatie. Ne nous en rapportons point à elle ; soyons là au besoin, et jugeons par nous-mêmes. Au mois de juin prochain, nous saurons si le blocus coercitif s’exécute loyalement.
Toute la question repose sur ce fait-là. Oui, messieurs, voilà, quant à présent, toute la question.
Je dis donc avec le ministère : « système d’attente, mais courte attente dans toute la vérité, » dans une vérité plus que royale. Trois mois et rien de plus.
Ma proposition doit être accueillie par tous ceux qui désirent une réduction dans notre armée ; car enfin la dépense est faite pour les trois premiers mois, et il en faut bien trois pour opérer le travail de réduction, s’il est jugé possible.
Je finis par une observation de toute justice. Ce que j’ai dit d’un peu amer relativement à la question politique ne concerne aucunement le ministre actuel de la guerre, puisqu’il n’est qu’homme d’exécution et nullement homme politique.
Je suis persuadé qu’il s’empressera de tenir note de tous les abus qui lui sont signalés, et qu’il ne dépendra pas de lui qu’ils ne disparaissent bientôt. (La clôture ! la clôture !)
M. Gendebien. - Comme on peut encore avoir quelque chose à répondre, je demande le renvoi à demain, attendu qu’il est 4 heures et demie.
- La séance est levée à 4 heures et demie.