(Moniteur belge n°68, du 9 mars 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. de Renesse fait l’appel nominal à une heure.
M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier) prend la parole pour communiquer un projet de loi sur l’exportation des céréales. - Messieurs, le régime des douanes à l’égard des grains et des céréales résulte des dispositions suivantes :
Un arrêté du gouvernement provisoire, du 21 octobre 1830 (Bulletin officiel, n°15), a par mesure de prévoyance et pour assurer les subsistances dans des moments critiques et difficiles de cette époque, prohibé l’exportation et le transit des grains et des céréales.
Cette disposition ayant paru même insuffisante, un autre arrêté du 16 novembre (Bulletin officiel, n°33) a permis la libre importation de ces denrées en Belgique.
Ces deux dispositions ont de plus été insérées dans un tarif annexé à l’arrêté du 7 novembre 1830, publié plus tard dans le Bulletin officiel sous le n°36.
Enfin la loi du 1er mai 1832, n°316 (Bulletin officiel, n°31), proposée à la chambre par l’honorable M. Osy, a abrogé la prohibition au transit établi par l’arrêté du 21 octobre 1830.
Il résulte de ces mesures successives qu’aujourd’hui :
1° Les grains étrangers peuvent entrés en Belgique sans paiement d’aucun droit ;
2° Que les grains indigènes n’en peuvent être exportés.
3° Et qu’enfin l’importation et l’exportation des grains étrangers, qui y arrivent en transit, peuvent s’effectuer, soit directement, soit par dépôt dans les entrepôts publics ou fictifs, en observant que la loi du 1er mai 1832, qui rétablit le transit des grains, les replace pour cette opération sous le régime du tarif qui existait avant le mois d’octobre 1830.
Le prix des grains qui, en 1830 et 1831, était très élevé, a depuis quelque temps fléchi d’une manière considérable.
Maintenant, l’approvisionnement des céréales, leur prix peu élevé en Belgique et les avantages prochains d’une nouvelle récolte qui promet d’être très productive, ont fait cesser les motifs de ces mesures antérieures de prévoyance, et exigent des dispositions au moins provisoires et immédiates, pour procurer des facilités au commerce extérieur des grains.
La question si importante et si controversée du régime de douane qu’il convient d’appliquer à ce commerce qui, d’une part, semble réclamer le système de liberté, et de l’autre paraît susceptible d’être soumis à un tarif progressif, en rapport avec le prix des céréales, à l’exemple de celui adopté dans un pays voisin, mais dont les résultats paraissent encore incertains, appelle toutes les lumières de l’expérience, et semble ne pouvoir se résoudre d’une manière absolue que lorsque les relations politiques et commerciale de notre pays avec les autres nations de l’Europe auront été assises sur des bases stables qui permettent d’en combiner tous les rapports, et d’en apprécier toutes les conséquences.
La commission supérieure d’industrie et de commerce, à l’examen de laquelle cette question a été soumise, a pensé qu’en attendant qu’elle puisse être mûrement approfondie et que l’on ait pu reconnaître ce qui convient réellement aux intérêts commerciaux de l’agriculture, du commerce et des consommateurs, il était indispensable de pourvoir au moins provisoirement à l’écoulement de nos céréales, en leur ouvrant un débouché par le moyen de l’exportation.
Cette exportation, messieurs, peut être rétablie de deux manières, ou libre, et exempte de tout droit, ou assujettie à un léger droit de balance qui, sans être une charge pour le commerce, présente le meilleur moyen de constater l’importance des quantités expédiées en sortie du pays et dont il peut devenir nécessaire de connaître, le plus exactement possible, le mouvement et le cours. D’une autre part, en rétablissant la faculté d’exportation, qui doit avoir pour but de faire hausser le prix des grains, il paraît rationnel d’en assujettir l’importation à un droit de douane, lors même que, pour ne pas forcer ce droit dans une proportion qui serait contraire à la liberté du commerce, on ne l’établirait également que comme droit de balance.
Le transit est, comme on l’a mentionné plus haut, soumis à un droit de cette nature dont le taux modique n’a jusqu’ici fait naître aucune réclamation, et qui n’a pas empêché l’arrivage en Belgique de quantités considérables de grains déclarés en transit, dont une partie seulement est passée à l’étranger, et dont une autre partie se trouve encore dans les entrepôts du pays.
Il est à considérer que si l’on permet la libre exportation des grains qui jouissent déjà de la libre importation, ce serait virtuellement supprimer le droit de transit existant, dont on ne se plaint pas, puisque dès lors que l’on pourrait importer ou exporter librement les grains, on cesserait de les déclarer sous destination d’un transit frappé de droits quelconques, même très minimes.
Sous ce dernier rapport, et pour donner aux expéditions de toute espèce une forme propre à mieux en constater l’importance, et pour conserver à l’Etat un produit qui, quoique peu considérable, contribue néanmoins à couvrir les frais de surveillance de ces expéditions, il semble utile, en appliquant aux exportations un droit de balance très modéré, de frapper l’importation d’un droit au moins égal à celui qui existe pour le transit, et qui de cette manière, concilierait avec les convenances du commerce celles qu’il faut chercher à établir dans l’équilibre de deux opérations qu’on ne puisse pas éluder l’une par l’autre.
D’après ces observations, messieurs, il y avait à choisir entre deux projets de loi : l’un qui rend l’importation, l’exportation et le transit libres de tout droit ; l’autre qui, en rouvrant l’exportation, la soumet à un léger droit de balance, maintient pour le transit un droit modéré, réduit en nouvelle monnaie décimale, et en rapport très approximatif avec le droit actuel en florins, et applique le même droit à l’importation.
Le gouvernement a cru devoir adopter ce dernier mode et c’est celui qui établit le projet qui vous est présenté.
« Léopold, Roi des Belges,
« A tous présents et à venir, salut.
« De l’avis de notre conseil des ministres, nous avons arrêté et arrêtons :
« Nos ministres de l’intérieur et des finances sont chargés de présenter aux chambres législatives le projet de loi dont la teneur suit :
« Art. 1er. Les arrêtés du gouvernement provisoire des 21 octobre et 16 novembre 1830 (Bulletin officiel, n°15 et 33), ainsi que les dispositions du tarif arrêté le 7 novembre 1830 (Bulletin officiel, n°36), relativement aux grains et céréales, sont abrogés.
« Art. 2. L’importation et l’exportation des grains et céréales, ainsi que le transit de ces denrées rétabli par la loi du 1er mai 1832, n°316 (Bulletin officiel, n°31), sont soumis au paiement des droits de douanes fixés dans le tarif provisoire annexé à la présente loi.
« Art. 3. Il est réservé au Roi d’augmenter le taux des droits d’exportation et même de prohiber la sortie des grains et céréales, lorsque, dans l’intervalle de l’une à l’autre session des chambres, les circonstances et l’intérêt général du pays nécessiteraient cette mesure.
« Dans ce cas, l’arrêté à prendre à cet effet sera publié au Bulletin officiel et soumis à la sanction des chambres dans le mois de la session subséquente.
« Mandons et ordonnons, etc.
« Donné à Bruxelles, le 6 mars 1833.
« Léopold,
« Par le Roi : Le ministre des finances, Aug. Duvivier ;
« Par le Roi : Le ministre de l’intérieur, Ch. Rogier. »
L’ordre du jour est la discussion des projets de loi sur les barrières.
M. de Brouckere. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je veux communiquer à la chambre une pétition sur les barrières qui lui est adressée par la députation des états de Liége. Le rapport sur cette pétition ne devrait être fait que vendredi prochain, et viendrait tardivement ; je demande si la chambre veut que je lui en donne lecture ; l’objet en est très important. (Oui ! oui !)
« Messieurs, dans le projet de loi relatif aux voies et moyens pour faire face aux besoins de 1833, la députation de la province de Liége a remarqué deux articles qui lui ont paru contraires aux lois existantes ; et comme ils portent atteinte à des objets d’intérêt provincial, il était plus particulièrement de son devoir de les signaler à votre attention.
« Le premier et le plus important est la disposition par laquelle le projet de loi énumère, parmi les voies et moyens au profit du trésor de l’Etat, les produits des barrières des routes de première et de deuxième classe.
« Nous n’avons aucune observation à faire pour ce qui regarde le produit des routes de première classe ; mais il n’en est pas de même des routes de deuxième classe : celles-ci sont les routes provinciales. Elles sont d’un intérêt plus local que les grandes communications. De là la distinction établie depuis longtemps, et par suite de laquelle l’entretien et les améliorations des routes de deuxième classe ont été placées sous la direction et la surveillance des états des provinces respectives, chargées d’en faire la dépense.
« La conséquence immédiate de cet état de choses est le droit de chaque province de revendiquer la propriété et la disposition des produits des barrières établies sur ces routes de deuxième classe.
« Sous le gouvernement précédent, les provinces ne jouirent pas complétement de ce droit, bien que l’article 225 de la loi fondamentale en eût consacré implicitement le principe ; par cela même qu’il affectait les produits des barrières, en premier lieu, à l’entretien et à l’amélioration des routes qui les avaient procurés, l’excédant seulement pouvait toujours, dans la même province, être employé sur d’autres routes ; il n’y avait à la disposition du gouvernement que les produits des routes de première classe.
« Malgré une disposition aussi précise, les provinces ne recevaient du trésor de l’Etat que des subsides pour l’entretien et l’amélioration des routes de deuxième classe, soit par suite d’une fausse application de l’article 225, soit parce que les produits des barrières ayant été affectés par une loi au remboursement d’un emprunt fait dans l’intérêt des communications, ceux-ci étaient ainsi absorbés.
« Quoi qu’il en soit, les états de Liége, dont le subside ne s’élevait qu’à 42,536 fl., bien que ses routes provinciales produisissent plus de 60,000 fl., adressèrent des réclamations auxquelles il ne fut pas fait droit.
« Lorsque le congrès s’occupa des droits de barrières, les droits des provinces, bien qu’ils n’eussent plus pour appui une disposition constitutionnelle, fixèrent son attention ; l’équité, autant que l’intérêt de la bonne administration n’eurent pas de peine à convaincre l’assemblée de la nécessite de rétablir, dans le décret du 6 mars 1831, le principe posé par l’article 225 de la loi fondamentale.
« Il se trouve consacré par l’article 3 de ce décret, qui porte : « Les droits payés aux barrières sont exclusivement affectés à l’entretien et à l’amélioration des routes. L’excédant, s’il y en a, demeurera réservé pour des dépenses de même nature dans la même province, à la seule exception des droits perçus sur les grandes communications du royaume, dont l’excédant peut être employé aux mêmes fins, là où le gouvernement l’ordonne, et au remboursement d’avances faites sous le gouvernement précédent pour l’achèvement de la construction des routes de la Belgique. »
« La conséquence logique de cette disposition est que le montant des droits de barrières de chaque route a une affectation spéciale à son entretien, et que dès lors aucun produit de barrières d’une route provinciale quelconque ne peut être employé ailleurs que sur cette même route, ou tout au moins, s’il y a excédant, ailleurs que dans la province même où cette route est placée.
« Il suit de là que ce fonds entier des barrières des routes provinciales appartient aux provinces et est à leur disposition.
« Aussi notre collège, agissant dans l’intérêt de la province dont l’administration lui est confiée, et en exécution du décret du congrès, n’a-t-il cessé d’insister pour avoir à sa disposition le produit entier des barrières provinciales pour les années 1831 à 1832.
« Il l’a obtenu, bien que diverses mesures des départements des finances et de l’intérieur lui fissent présager le projet formé de les dépouiller du produit de ces barrières.
« Le projet de loi soumis à votre discussion ne justifie que trop leurs prévisions, et ils s’empressent de prévenir le danger qui menace leur province et toutes les autres, en vous exposant les motifs qui doivent faire écarter cette proposition ministérielle.
« 1° Le décret du 6 mars 1831, spécial pour les barrières, n’étant pas révoqué, doit servir de règle et fait la loi sur cette matière.
« Ce n’est pas accidentellement et à l’occasion d’un budget qu’il peut être convenable de déroger et de se mettre en opposition à une de ses dispositions principales.
« Cet objet doit faire la matière d’une loi spéciale, d’une discussion approfondie, dans laquelle puissent trouver place d’autres intérêts que les idées fiscales inhérentes au budget.
« 2° La justice, d’accord avec tous les principes, avait dicté l’ancienne disposition de la loi fondamentale, comme l’article 3 du décret du 6 mars 1831. Il n’est rien de plus juste en effet que de faire jouir chaque province de fruits de sa circulation intérieure ; car il est hors de doute que, sur les routes provinciales, ce sont surtout les habitants, le commerce, l’agriculture de la province même qui ont supporté les droits de barrières que celles-ci ont produits.
« 3° La justice exige aussi que chaque route soit réparée, en raison de son importance, de ses besoins et de sa détérioration ; la mesure de toutes ces circonstances est dans le plus ou le moins d’élévation du produit de ses barrières ; de là, la conséquence que ce produit tout entier lui est dû pour retourner, pour ainsi dire, à sa source et à son origine.
« C’est ce qui fait du droit des barrières un des impôts les plus justes.
« Et qui mieux que les députations de chaque province a intérêt à assurer cet emploi exclusif, et présente toute garantie pour être certain qu’aucun des deniers de ce fonds spécial ne sera détourné de sa destination ?
« Comment en suivre aussi facilement l’emploi exclusif dans les caisses du trésor ?
« Il est évident que celui-ci entend profiter de l’excédant et d’en faire emploi a des objets diamétralement opposés à l’origine de ces droits. Aussi place-t-il ces droits de barrières dans la classe des voies et moyens généraux du trésor.
« N’est-il pas à craindre que le trésor pour augmenter ses ressources, ne réduise au strict nécessaire, ou même ne néglige l’entretien des routes provinciales qu’il jugera les moins importantes. Ce danger n’est pas à craindre des provinces elles-mêmes.
« Cet excédant, quand chaque province en trouve, n’est-il pas plus naturel, plus juste, plus conforme aux principes, à la loi, qu’elle le mette à profit dans l’intérêt, soit d’autres communications provinciales à améliorer, soit de nouvelles à construire ?
« C’est ce que le collège de la députation de Liège avait fait avec les excédants qu’elle a pu trouver sur les produits de 1831 et 1832.
« La députation pourrait ajouter d’autres considérations encore ; elle espère que celles-ci suffiront pour que la chambre consacre ses droits par une nouvelle résolution basée sur le décret du 6 mars 1831. »
M. Milcamps, M. de Brouckere, M. Poschet, et M. Berger rappellent à la chambre que d’autres pétitions sur les barrières ont été adressées à la chambre.
- Ces pétitions, ainsi que celle dont M. de Brouckere a donné lecture, resteront sur le bureau de la chambre pendant la durée de la discussion, et elles seront ensuite déposées au bureau des renseignements.
M. le président. - La discussion générale est ouverte sur le premier projet relatif au maintien de la taxe des barrières et à la classification des barrières.
M. le ministre de l’intérieur se réunit-il au projet de la commission ?
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Le nombre des modifications introduites par la section centrale est très restreint, et les modifications sont peu importantes. Je me rallie à quelques-uns des amendements ; mais je crois qu’il convient de mettre en discussion le projet du gouvernement. Le gouvernement se ralliera aux dispositions de la section centrale qui lui paraîtront convenables.
- La discussion a lieu sur le projet du gouvernement.
M. Berger. - Messieurs, nous avons fait beaucoup d’efforts depuis la révolution de septembre, pour étendre nos relations d’industrie et de commerce avec des nations voisines. Les illusions conçues à cet égard se dissipent de plus en plus. Bientôt notre conviction sera complète que nous ne pourrons mieux servir grand nombre d’industries du pays qu’en cherchant à féconder et développer tant de germes de prospérité que nous avons sous la main, que nous trouvons dans notre propre pays.
Parmi les ressources le plus puissantes de ce nombre, on doit placer en première ligne un bon système de communications, des routes nombreuses et faciles. Les routes établissent des moyens d’échange entre les différentes parties du royaume aussi bien qu’avec les pays voisins ; elles augmentent la valeur de propriétés, préviennent les disettes, font pénétrer partout la civilisation et rendent les charges publiques moins onéreuses par l’accroissement de prospérité qu’elles procurent. Dès lors, plus les impôts sont élevés, plus il est du devoir d’un bon gouvernement de reporter son attention vers les développements à donner aux voies de circulation. Malheureusement, le congrès national adopta une mesure que dût paralyser les bonnes intentions du pouvoir.
La concession aux provinces du revenu des routes de seconde classe fut sans doute le résultat d’un reste de souvenir et d’affection pour le fédéralisme qui unissait jadis nos diverses provinces ; en même temps cette disposition portait un coup funeste à l’un de nos plus puissants moyens d’amélioration. Il n’eût donc pas fallu deux années de réflexion au gouvernement pour en proposer l’abrogation ; mais, puisqu’enfin le ministère nous en propose la révocation, j’espère au moins que cette révocation obtiendra l’assentiment de cette assemblée.
Si l’unité nationale d’un peuple est l’un des plus grands bienfaits, le plus grand appui de cette nationalité réside dans l’unité de bien-être. La prospérité du royaume se compose de la prospérité de ses différentes provinces. La ruine du particulier diminue la fortune de la masse. Comment voulez-vous que l’indépendance nous unisse si les intérêts nous divisent ? Si notre industrie succombe, ne prenons pas pour un effet de notre nationalité ce qui ne serait que le résultat d’un esprit de fédéralisme, d’un esprit étroit de province. Puisque nos frontières sont limitées, n’éparpillons pas nos efforts, ne brisons pas le faisceau de nos forces : ce serait la ruine de notre prospérité. Qu’il y ait communauté et fusion d’intérêts comme il y a communauté de sentiments, de droits politiques ! Chaque fois que c’est à ce but que tend le ministère, secondons-le de tous nos moyens.
M. A. Rodenbach. - Je remarque dans notre législation sur les barrières et sur les canaux une espèce d’anomalie. Les barrières de deuxième classe rapportent plus de de deux millions ; il ne faut pas les deux tiers de cette somme pour les entretenir. Il y a un excédant de 700 mille francs. Je sais bien qu’il faut un système de communications dans le pays ; je n’en pense pas moins qu’un excédant de 700 mille francs est trop considérable pour le laisser en entier aux routes. Sous le gouvernement français et sous le gouvernement hollandais, le droit de barrière était à peu près le même que dans ce moment. La France avec ses nombreux départements pauvres exploitait le droit de barrière ; la Hollande faisait de même ; elle faisait des canaux avec notre argent, le temps de nous laisser exploiter est passé.
J’ai dit qu’il existait une anomalie entre les canaux et les routes. Lorsqu’il y a des excédants de recettes sur les dépenses, relativement aux canaux et aux rivières navigables, on ne les emploie pas pour construire ailleurs des canaux ; mais on s’empresse, en vertu d’une loi de Guillaume, de faire des arrêtés pour diminuer le droit de péage. C’est ce que l’on a fait pour Charleroy et le canal d’Antoing, on a diminué de moitié le péage. En continuant cette diminution il ne peut plus y avoir concurrence entre les routes et les canaux ; on a détruit les voituriers. On m’a même signalé un fait important : ceux qui exploitent les mines de charbon sur le canal de Charleroy, sont en même temps propriétaires des bateaux ; ils font une espèce de monopole relativement aux charbons qu’ils fournissent à Bruxelles. Dans l’hiver de 1832, on a été très étonné qu’au lieu d’une diminution dans les charbons, une augmentation ait eu lieu ; ils ont augmenté de un florin par 500 kilo. Ce n’est pas en anéantissant les routes que vous parviendrez au but que vous vous proposez, celui d’enrichir les consommateurs et par conséquent l’Etat par de faciles communications. Dans l’intérêt des consommateurs, il faudra songer à diminuer les droits de barrière dans tout le royaume.
M. d’Elhoungne. - Une question assez grave s’est élevée dans cette enceinte ; c’est celle qui est relative à la diminution du droit de barrière. Il me semble, messieurs, que si, par sa nature, cet impôt est une indemnité perçue pour l’usage d’un service que rend l’Etat, le gouvernement peut en toute justice s’en faire une source de revenus.
Pour les postes, tous les gouvernements tirent de ce service qu’ils rendent au commerce et à la civilisation un revenu très productif ; de même, quand on ouvre au commerce de nouvelles communications, non seulement le gouvernement a le droit de percevoir une juste indemnité pour les capitaux employés pour l’entretien des routes, mais en outre une quotité d’impôt qui lui forme un nouveau revenu.
Du moment que la quotité de l’impôt ne tend pas à entraver les communications du commerce, que cet impôt est d’une recette facile, qu’il n’entraîne aucune vexation, c’est un revenu auquel l’Etat aurait tort de renoncer. Sous ce rapport, je pense que le produit des barrières doit entrer dans le trésor public ; qu’il ne doit pas avoir une affectation particulière au lieu où il a été perçu ; que comme tous les revenus de l’Etat, il doit servir aux besoins généraux de l’Etat.
Trop souvent dans cette enceinte on fait des appels inconsidérés aux passions basses, à ce patriotisme de localité, de paroisse, qui ne tend qu’à faire des Louvanistes, des Brugeois, des Flamands, et point de Belges ; qui ne tend qu’à faire du royaume une association composée d’agglomérations de petites paroisses.
Depuis quelque temps les appels aux intérêts particuliers n’ont pas été ménagés dans cette enceinte, et toutes les passions basses ont été provoquées. Je combattrai les opinions émises tendantes à donner une affectation spéciale à la taxe des barrières ; je suis convaincu qu’il est possible d’augmenter les produits de cette branche des revenus, sans grever le trésor, sans aggraver les taxes. Deux moyens bien simples se présentent pour atteindre ce but : la suppression des ponts à bascule, et en second lieu de légères modifications à introduire dans les tarifs, toutes en faveur du commerce.
Les ponts à bascule sont devenus pour les voituriers un motif pour déserter les routes sur lesquelles ils sont établis. J’ai, sous ce rapport, des renseignements très particuliers, et auxquels je dois ajouter foi entière d’après la source d’où ils partent. Les difficultés que les ponts à bascules font éprouver au roulage sont telles qu’il arrive souvent que les fermiers qui sont dans le cas d’aller chercher le charbon dans les environs de Namur, de Charleroy, de Liége et de Mons, font un détour de trois à quatre lieues, par les routes de traverse, pour éviter les pont à bascule, détour qui diminue nécessairement le produit des barrières sur les grandes routes.
Les ponts à bascule ont été construits lorsque le gouvernement français, après avoir trouvé nos routes dans un état de dégradation complète à la sortie de la tourmente révolutionnaire, a été obligé de consacrer des sommes considérables pour le rétablir. Il a fallu prendre des mesures promptes pour assurer leur conservation, pour empêcher leur dégradation par la surcharge des voitures. Les droits de barrière n’existaient plus à cette époque, et on ne pouvait pas limiter la charge en limitant l’attelage des voitures, en grevant d’un droit plus élevé les chevaux qui auraient dépassé le terme moyen à adopter.
Le système de ponts à bascule, bon dans ces temps, ne convient plus avec le système des barrières établies sur toutes nos routes et à des distances rapprochées. L’on peut fort bien empêcher la surcharge des voitures en bornant le nombre des chevaux attelés : comme on sait quel est le poids moyen qu’un cheval peut transporter, on peut facilement limiter la charge d’une voiture : en rendant la taxe progressive pour les chevaux supplémentaires qu’on devrait employer pour la surcharge, vous désintéressez le voiturier à contrevenir aux intentions du législateur ; vous prévenez plus efficacement le délit que par des amendes.
Les campagnards, quand ils vont chercher le combustible fossile, connaissent rarement avec exactitude la charge réelle qu’ils ont prise ; qu’en résulte-t-il ? C’est que l’on exploite leur ignorance : tantôt on encourage la transgression par une indulgence perfide ; tantôt on déploie une sévérité outrée, et les procès-verbaux pleuvent. Quel est le résultat de toutes ces manœuvres ? Quelques fortunes scandaleuses pour les gardes des ponts à bascule, et la ruine de maints rouliers, vexés, tracassés, rançonnés de mille manières.
Les ponts à bascule n’inspirent d’ailleurs plus de confiance, comme moyen de vérification ; soit par un vice de construction, soit par une défectuosité survenue par le laps de temps qui altère tout, soit par des manœuvres coupables, ils présentent des différences énormes. Je pourrai vous citer un pont à bascule où plusieurs procès-verbaux ont été rédiges, et qui donnait pour la même voiture une différence de 700 kilog., selon le côté par où la voiture y montait.
Il est évident que les rouliers, pour éviter les tracasseries résultant de ce mode de vérification, ont abandonné, autant qu’ils le pouvaient, les routes où l’on trouve les ponts à bascule et leurs gardiens. Je pourrai citer un pont à bascule où l’on pouvait, moyennant un abonnement, surcharger autant qu’on le voulait et dégrader impunément les chaussées publiques.
Messieurs, le moyen le plus simple de prévenir la dégradation des routes, c’est de supprimer les ponts à bascule, et de s’en tenir à la mesure proposée par le projet de loi. Il fixe le maximum des chevaux dont l’attellage peut se composer, et il grève, en outre, d’un droit progressif l’emploi de tout cheval au-delà du quatrième.
Ce mode est simple et n’exige ni instrument ni machines : il suffit d’ouvrir les yeux, pour s’assurer de la contravention, tandis que les procédés mécaniques ne fournissent que des moyens équivoques, des moyens de fraude et de corruption ; enfin le moyen de vexer les uns et d’enrichir les autres.
La suppression des ponts à bascule sera une économie pour le trésor. J’appellerai l’attention de M. le ministre sur ce point. La suppression des ponts à bascule rendrait le droit de barrière plus productif, en rappelant nos voituriers sur des routes qu’ils évitent aujourd’hui.
(Moniteur belge n°69, du 10 mars 1833) M. d’Huart. - Messieurs, d’après le décret du congrès national, en date du 6 mars 1831, le produit des barrières sur les routes de deuxième classe doit être dépensé pour l’entretien et l’amélioration de ces mêmes routes, dans chaque province séparément, ou, en d’autres termes, les routes de deuxième classe sont devenues en quelque sorte, par l’effet de ce décret, la propriété particulière des provinces.
Cette disposition, qui n’a été admise par le congrès que parce que l’on a confondu alors par erreur les routes de la deuxième avec les routes provinciales, est extrêmement préjudiciable à l’extension des travaux publics ; elle met dans l’impossibilité d’ouvrir dans plusieurs provinces des débouchés que le commerce réclame vivement ; et aussi elle restreint d’une manière sensible l’une des sources principales de la prospérité publique.
S’il fallait un exemple frappant du tort considérable que l’imputation par province, du revenu des routes de deuxième classe, a fait aux travaux publics, je ferais remarquer que depuis deux ans ils sont à peu près suspendus partout, faute de fonds à la disposition du gouvernement.
Mais, en rapportant cette disposition du décret susmentionné, ne froissera-t-on pas les intérêts des provinces dont le revenu des routes de deuxième classe excède de beaucoup les frais d’entretien, et qui ont actuellement une espèce de droit acquis au revenu intégral de ces communications ? Je ne le pense pas.
D’abord il est à remarquer que les provinces n’avaient aucun droit sur les routes de deuxième classe, et que celles-ci appartenant aussi bien à l’Etat que les routes de première classe, rien n’empêche la législature de changer, comme elle le juge à propos, l’affectation de leurs produits.
En examinant la question de savoir si les provinces qui ont un excédant de recettes sur les dépenses d’entretien de leurs routes de deuxième classe ont intérêt à maintenir l’état de choses actuel, il est facile de se convaincre de la négative.
En effet, de quelle utilité seraient, pour une province isolément, de nombreuses communications qui s’arrêteraient brusquement à ses limites ; des routes ou des canaux qui ne seraient utiles, en quelque façon, qu’aux promeneurs, puisqu’ils ne serviraient pas même au commerce de l’intérieur d’une province à l’autre ?
Le Hainaut est l’une des provinces où les revenus des routes de deuxième classe sont les plus considérables ; c’est aussi là où l’excédant du produit sur les dépenses est le plus notable : eh bien ! c’est cependant cette province qui a le moins besoin de fonds pour construire des communications, par la raison qu’elle en possède déjà un grand nombre, et parce qu’elle peut obtenir celles qu’elle désire encore par le mode de concession qui y est praticable, à cause des avantages dont elle est richement dotée par la nature, tandis que ce mode est tout à fait impossible dans d’autres provinces moins heureuses.
Je bornerai là mes observations ; elles me paraissent suffire pour justifier mon vote en faveur du projet en discussion, auquel j’applaudis, parce qu’il me paraît conçu dans le but raisonné de servir les véritables intérêts de la Belgique entière, en écartant de la législation actuelle sur la matière tout/span> ce qui se rapporte à l’esprit étroit de localité mal entendu.
M. Pirmez. - Messieurs, si le trésor public devait souffrir par l’adoption de ma proposition, je ne l’aurais point faite. Ce n’est pas, selon moi, lorsque nous sommes assujettis à de si fortes dépenses, que nous devons diminuer nos ressources. J’aurais ajournée jusqu’après la consolidation parfaite de notre indépendance le projet de baisser un impôt, projet qui, je le reconnais, est beaucoup plus facile et plus agréable à présenter que ceux qui élèvent les impôts ou qui en établissent de nouveaux.
Le projet des péages sur les routes n’est point affecté aux dépenses générales de la nation ; il doit être, selon les lois sur la matière, exclusivement employé à la réparation des routes existantes ou à la construction de routes nouvelles. L’excédant du produit ne peut être employé à d’autres usages. Ainsi, les lois qui élèvent ou qui baissent les péages, pourvu qu’elles en les fassent pas tomber au-dessous des frais nécessaires à l’entretien des routes, n’augmentent ni ne diminuent la force et les ressources de la nation ; elles ne feront pas, par exemple, que vous paierez mieux ou plus mal vos magistrats, ni que vous présenterez un soldat de plus ni de moins à l'ennemi. Ce sont plutôt les lois de répartition, par lesquelles une contrée et des citoyens sont plus ou moins imposés envers d’autres contrées et d’autres citoyens, selon que le législateur hausse ou baisse les droits de péage ; car il est bien évident que ce sont ceux qui paient plus qu’ils ne détruisent qui construisent et rétablissent les routes, et non ceux qui détruisent plus qu’ils ne paient. Le trésor public est donc ici hors d’intérêt. Il s’agit seulement de savoir jusqu’à quel point des citoyens paieront pour d’autres citoyens, jusqu’à quel point on fera de nouvelles routes avec l’impôt des barrières.
Il n’est pas difficile de dire pourquoi nous sommes régis par la loi nouvelle des barrières ; c’est parce que nous étions unis à la Hollande, qui, quoi qu’en disent ceux qui la regrettent, nous exploitait en toute matière. La Hollande, où il n’y a pas un caillou, ne peut construire ni entretenir des routes qu’à grands frais, et, comme dans une grande partie de la Belgique, ces constructions sont au contraire très peu coûteuses, le gouvernement partial ne pouvait manquer d’adopter un système de communauté qui nous régit encore, et au moyen duquel le voiturier belge supportait les frais de construction de routes en Hollande.
Et il est à remarquer que cette communauté est entièrement au désavantage des communications par terre. Les produits des canaux en Hollande étaient réduits aussi bas que possible, et même au-dessous des frais d’entretien, et, quant à ceux que l’on construisait en Belgique, la publicité de l’adjudication des travaux devait naturellement réduire le péage, de manière à ce qu’il n’excédât pas de beaucoup les capitaux employés à leur construction.
Sur les routes, au contraire, le péage n’est pas en rapport avec les frais d’entretien, tellement que la route de Charleroy pourrait être réparée avec le quart du produit des barrières. Sans l’intérêt qu’avait la Hollande dans cette question, on ne concevrait pas l’établissement de cette solidarité entre toutes les voies de communication, solidarité qui répartit les profits et les pertes avec l’inégalité la plus choquante.
Mais la force de l’habitude et le corps du waterstaat, dont l’existence est attachée à ce système, le maintiendront longtemps encore. Il a été soutenu l’an dernier au nom de l’intérêt général, mot avec lequel on soutient les choses les plus contradictoires, puisqu’il signifie tout ce qu’on veut. Ainsi, en Angleterre, l’intérêt général consiste à faire payer les routes par ceux qui en usent ; en France, au nom de l’intérêt général, ceux qui les parcourent ne paient rien ; et en Belgique, il est de l’intérêt général que ceux qui parcourent certaines routes paient pour en construire de nouvelles quatre fois ce qu’ils détruisent.
Nous avons donc, en matière de péage comme en toute autre, une idée fort obscure sur ce que c’est que l’intérêt général ; mais nous concevons beaucoup mieux les droits qu’ont les individus, et nous nous entendons assez sur les principes de justice qui y ont rapport : ainsi, par exemple, si le mot intérêt général, que nous entendons de mille manières diverses, ne tombe pas au milieu de nous, nous serons tous d’accord pour admettre que celui qui jouit des avantages doit aussi supporter les charges.
C’est l’infraction à cette règle de justice qui blesse sensiblement la généralité des hommes, surtout lorsque les circonstances la montrent d’une manière évidente, et la navigation sur le canal de Charleroy, qui entre en concurrence avec le roulage, et qui nécessairement doit détruire cette industrie et toutes celles qui en dérivent, fait voir à tous les yeux ans ce moment-ci qu’en matière de routes, de canaux et de communication quelconque, c’est le système d’un impôt proportionné au coût et à la réparation qui est la justice ; car on ne saurait faire admettre à personne qu’au moment où je suis aux prises avec une concurrence qui, par sa nature, à la fin m’abattre, je dois payer quatre fois ce que je détruis, tandis que mon antagoniste ne supporte qu’un péage qui est en rapport avec le coût et l’entretien.
Ce n’est donc qu’en adoptant un système de péage spécial pour chaque communication, et proportionné au coût et à l’entretien, qu’on sera juste. (Je pense que M. de Brouckere avait posé les bases de ce système l’an dernier.) Mais comme je n’étais pas en mesure de vous proposer une loi pour toutes les routes du royaume, que je ne voyais aucune difficulté d’entrer partiellement dans un nouveau système, en commençant par les routes qui, comme celles de Charleroy, Marimont et d’autres qui présentent un grand excès de produit sur la dépense, et de poursuivre cette marche au fur et à mesure qu’on aurait sur le produit et l’entretien des renseignements certains ; et comme d’ailleurs je suis convaincu que le mal que je voulais empêcher sera consommé, je vous ai soumis ma proposition.
Son adoption, aurait, ainsi que le dit la commission centrale, provoqué une foule de réclamations ; sans doute autant de réclamations que de routes, et dans notre petit royaume on pouvait les entendre et y faire droit. Quoique les avantages des petits Etats sur les grands soient fort rares, ils en ont pourtant un, c’est la faculté de s’occuper des intérêts dans leur spécialité et de n’être pas astreints à cette uniformité de marche à laquelle leur multitude force un grand empire.
Comme toutes les sections ont repoussé ce système, il est inutile de le soutenir davantage ; mais, quoi qu’on en ait dit, je n’ai point demandé un privilège sur la route de Charleroy ; car, en admettant même la solidarité entre toutes les voies de communication, ma proposition ne tendait point à diminuer le fonds destiné à leur construction et à leur entretien, puisqu’on verra bientôt, s’il n’est pas apporté de changement à la loi, que cette route produira moins qu’en adoptant mon projet.
Comme ma proposition sera probablement rejetée, je me rallierai à tout amendement qui rapprochera le plus le produit de la dépense, et j’en proposerai un moi-même relativement à la charge.
(Moniteur belge n°68, du 9 mars 1833) M. de Brouckere. - Je crois que des différents orateurs que nous avons entendus, le préopinant est le seul qui ait traité la question sous son véritable point de vue. Ceux qui l’ont précédé sont partis de ce point fixe : que les droits payés aux barrières doivent être affectés à l’entretien et à l’amélioration des routes. Aujourd’hui que nous avons une nouvelle loi à faire, nous devons examiner si les produits doivent être répartis entre les provinces ; s’il faut que l’on fasse, de ce qui entre au trésor comme produit des barrières, une caisse à part destinée à un objet particulier, ou s’il n’est pas convenable de mettre les revenus des barrières sur le même pied que toutes les ressources de l’Etat.
Je dois d’abord dire qu’il me paraît que l’honorable M. Pirmez a parfaitement raison quand il a dit qu’il fallait mettre en harmonie les droits de péage établis sur les routes et sur les canaux, parce qu’il ne fait pas favoriser un moyen de transport au détriment de l’autre ; parce qu’il ne faut pas que les canaux soient favorisés aux dépens des routes, ce qui est l’état actuel des choses.
Je partagerai aussi l’opinion d’un autre préopinant, que les produits d’une route ne soient pas exclusivement appliqués à cette route ; mais que le produit soit appliqué à toutes les routes du pays, si tant est que nous devions conserver l’article 3.
J’avoue, messieurs, que je suis de l’avis de M. d’Elhoungne, et je ne vois pas pourquoi on affecte le produit des routes à un objet spécial ; je ne vois pas pourquoi on ne confond pas cette ressource de l’Etat avec toutes les autres ressources. On a cité l’administration des postes, et la comparaison est bien choisie. On ne calcule pas les produits des postes d’après ce qu’elles coûtent à l’Etat ; mais on fait de cette administration une source de revenus publics. Je me félicite qu’on ait cité l’exemple des postes, parce qu’il est frappant et qu’il saute aux yeux.
De deux choses l’une : ou il faut mettre l’impôt des barrières sur la même ligne que les autres impôts, et laissez-le au taux où il est aujourd’hui, et bornez-vous à supprimer l’article 3 ; ou bien admettrez l’article 3, et réduisez l’impôt des barrières, non pas d’une petite fraction, mais des deux tiers. Voulez-vous avoir la preuve qu’il est trop élevé ? Il résulte des calculs faits, et que je regarderai comme justes jusqu’à ce qu’ils aient été contredits, que les barrières rapportent par an 925,000 fl., et que leur entretien ne s’élève pas à 288,000 fl. ; il y a 637,000 fl. d’excédant.
Cependant il serait impolitique de faire la réduction aujourd’hui que nos ressources sont inférieures à nos dépenses, et que nous sommes obligés de recourir à des emprunts toujours onéreux pour le pays.
J’ai déjà expliqué ma pensée à cet égard lors de la discussion de la loi sur les distilleries, loi que je ne crois pas utile à la nation.
Si nous invitons le gouvernement à nous dire ce que l’on a fait des 637,000 florins d’excédant des recettes sur les dépenses que laisse le droit des barrières ; si l’on a fait une caisse à part de ce produit ; si les 637,000 florins se trouvent encore au trésor, le gouvernement répondrait non, et que la somme n’existe que sur le papier et que le produit a été dépensé comme le produit de nos autres impôts.
Je voudrais délivrer le gouvernement de toutes les entraves que met l’article 3. L’honorable M. Pirmez, dont je suis très heureux de partager les idées dans les questions d’économie politique, parce que je lui reconnais des lumières sur cette matière, a fait allusion à ce que j’ai dit dans une autre occasion. Je prouverai que je suis conséquent avec moi-même.
J’ai soutenu qu’il serait à désirer que nos routes, autant que possible, devinssent des propriétés en quelque sorte particulières ; qu’elles fussent mises en adjudication, à la charge par l’entrepreneur de les entretenir et de payer un subside au gouvernement. S’il est juste le droit de barrière alloué à celui qui fait une route nouvelle, il est juste aussi le subside que je perçois de celui à qui j’abandonne une route toute faite. C’est être très conséquent avec mes principes que d’exprimer de telles opinions. Je déclare que je voudrais hâter le moment où nous pourrons en venir à ce système, qui est, je crois, le plus avantageux pour le public et pour le trésor.
M. Dumortier. - Messieurs, si j’ai demandé la parole, c’est surtout pour présenter quelques observations sur la pétition qui a été déposée sur le bureau et dont il vous a été donné lecture par l’honorable préopinant. Mais puisque la discussion est ouverte sur l’ensemble du projet de loi des barrières, je rencontrerai quelques-uns des arguments que vous ont présentés plusieurs orateurs et notamment M. Pirmez.
D’abord, comme les deux préopinants, je suis d’avis qu’on ne peut pas former une caisse particulière pour le produit des barrières ; il n’y a pas de caisses spéciales pour les postes et pour les douanes, et cependant on ne cesse de répéter que leurs produits ne sont pas des ressources de l’Etat. Messieurs, c’est une erreur ; leur produit constitue des ressources de l’Etat, ils ne sont pas appliqués seulement au paiement des employés, mais ils servent aussi à protéger le commerce et l’industrie du pays.
L’honorable M. Pirmez a admis le principe qu’il fallait mettre en harmonie les routes et les canaux. Il m’est impossible d’admettre cela, car je suppose que demain on crée un chemin en fer dans telle direction. Eh bien ! il faudrait donc, d’après ce système, donner des primes aux voituriers qui parcourent les routes aujourd’hui existantes, afin de les mettre à même de soutenir la concurrence ? (Dénégations.)
Pardon, messieurs, si vous êtes conséquents avec ce principe, et si vous voulez établir entre toutes les communications une harmonie exacte, il faudra y pourvoir par des primes. Si M. Pirmez maintient son amendement qui consiste à faire accorder une diminution à la route de Charleroy à Bruxelles, à cause du canal de Charleroy, je pourrais demander aussi, et précisément par les mêmes motifs, une diminution sur la route de Mons à Tournay, car il y a aussi des canaux dans cette direction. Mais il ne s’agit point ici de plaider des intérêts locaux, c’est de l’intérêt général que nous devons nous occuper.
On vous a dit, messieurs, que les revenus de barrières devaient former autant de crédits spéciaux qu’il y a de barrières. Mais ce serait une absurdité : car qui est-ce qui paie les droits ? Ce n’est pas seulement le roulier, c’est en définitive le contribuable, le consommateur et par conséquent le pays tout entier.
Ce que je viens de dire s’applique particulièrement à la position des états-députés de Liége. Si je ne consultais que les intérêts de ma province, comme député du Hainaut, j’aurais pu parler dans ce sens ; mais je croirais manquer à mon devoir que de sacrifier les intérêts du pays à ceux de la localité à laquelle j’appartiens.
Sous l’ancien gouvernement, la province de Hainaut a réclamé, non pas seulement pour avoir à sa disposition le produit des routes de deuxième classe, qui lui était attribué par l’article 225 de la loi fondamentale, mais pour être dégrevée de la somme qu’elle fournissait sans les frais d’entretien de routes de première classe. Ainsi, pour m’expliquer plus clairement, les routes de deuxième classe du Hainaut produisaient 180,000 florins environ. Eh bien, cette province, non seulement ne touchait pas ce produit auquel elle avait droit d’après la constitution, mais encore elle était tenue de participer pour 400,000 florins à l’entretien et à la réparation des routes de première classe. L’injustice était flagrante, et alors nous avions le droit de réclamer.
Mais les choses ont changé depuis. L’article 225 de la constitution ancienne a été retranché. Et qu’on ne vienne pas dire que la propriété des routes de deuxième classe est acquise aux communes ! Non, messieurs, il n’y a pas propriété acquise. Lorsqu’après la révolution française, les routes étaient dans un état déplorable, les villes et les communes rejetèrent la proposition qui leur fut faite de réparer ces routes, et ce fut le trésor public qui fit en entier les frais de réparations. Les villes ont donc renoncé à leur droit de propriété, si elles l’avaient. Mais, plus tard, quand les routes ont été parfaitement restaurées, je n’ai pas de peine à concevoir qu’elles aient désiré les avoir ; car, pour me servir des termes de notre honorable collègue M. Boucqueau, elles auraient été bien dégoûtées de n’en pas vouloir. (On rit.)
Depuis quelques temps, messieurs, je ne cesse de répéter qu’on s’occupe beaucoup des intérêts locaux et qu’on néglige les intérêts du trésor public. L’honorable préopinant a lui-même touché cette question. Je ferai remarquer à la chambre qu’on a déjà dégrevé les provinces des frais d’entretien qu’elles payaient pour les routes de première classe ; on les a dégrevées aussi des sommes qu’elles donnaient pour l’administration du waterstraat, qui se trouve aujourd’hui à la charge du trésor public ; on les a dégrevées pareillement de l’impôt qui leur incombait pour les enfants trouvés ; enfin, on les a dégrevées pour ce qui concerne l’instruction publique, et cependant on ne diminue en rien les charges du trésor. Indépendamment de cela, il y a une mesure de toute justice qui devra encore être prise : c’est celle consistant à dégrever les villes relativement aux routes de traverse. M. Teichmann, ingénieur en chef des ponts et chaussées, m’a fait l’honneur de me dire qu’un projet de loi serait présenté incessamment sur cet objet.
De plus, messieurs, vous venez de réduire de nouveau les revenus du trésor public en adoptant la loi des distilleries. Aujourd’hui on veut encore les diminuer en appliquant aux provinces le produit des routes de deuxième classe. Si nous adoptons un pareil système et si nous continuons à retrancher d’un côté et de décharger de l’autre, nous ferons les affaires des villes et des communes, mais nous sacrifierions les intérêts de l’Etat. Comme représentant du pays, je n’admettrai jamais un pareil système. C’est pourquoi je m’opposerai de toutes mes forces à la pétition de la députation des états de Liége, et à tout amendement qui aurait pour but de dégrever les provinces des charges qui leur appartiennent pour les faire peser sur le trésor public.
M. Jullien. - Messieurs, on a parlé deux langages dans cette discussion ; on a parlé le langage de l’intérêt du trésor, et ensuite le langage des principes. Quant à moi, je commencerai par vous parler le langage des principes, sauf à concilier autant que possible les principes avec les intérêts du trésor.
S’il y a une charge qui doit être essentiellement publique, essentiellement générale, c’est incontestablement celle de l’entretien des routes et canaux. En effet, les gouvernements doivent aux peuples qui les paient, la liberté d’aller, de circuler ; ils doivent donner à l’industrie tous les moyens de faire prospérer l’Etat. C’est donc là une dette essentiellement publique. Mais le fisc qui trouve toujours d’excellents motifs pour créer des impôts a raisonné d’une autre manière. Il a dit : N’est-il pas juste que ceux qui dégradent les routes les paient ? Or, quels sont ceux qui les dégradent ? Ce sont les voituriers, les rouliers ; donc nous pouvons établir un droit sur ces personnes. Et l’on a considéré cela comme juste. Cependant, messieurs, c’est un impôt qu’on a fait peser sur une classe d’individus, tandis qu’on a dégrevé l’Etat qui devait supporter cette charge. Le gouvernement français a si bien senti que c’était une mesure contraire aux intérêts du commerce et de l’industrie qu’il a supprimé le droit de barrières ; il n’existe plus en France. Il n’existait pas en Belgique au moment où nous avons été, comme l’on dit, restaurés. Eh bien ! qu’a-t-on fait en 1814 ? Pour le rétablir, on a fait revivre le droit sur le sel lui-même, et l’on a toujours maintenu le droit des barrières.
Je vous prie, messieurs, de prêter une attention sérieuse à ceci. Lorsque le gouvernement français a établi pour la première fois le droit de barrière, il a si bien compris qu’il portait atteinte aux principes qu’il a cru devoir consacrer, par une disposition expresse, que le produit de ce droit serait spécialement et uniquement affecté à l’entretien et la réparation des routes. On a dit alors : « Puisque nous faisons payer les frais des routes à ceux qui s’en servent, il est au moins juste de ne pas les faire payer au-delà des besoins. » Voilà le principe posé dans la loi du 24 fructidor an V, qui porte :
« Le conseil des cinq cents, considérant qu’il importe de prendre sans délai le moyen d’assurer les réparations et l’entretien des grandes routes,
« déclare, etc.
« Il sera perçu sur toutes les grandes routes de la république une taxe d’entretien, dont le produit sera spécialement et uniquement affecté aux dépenses de leur entretien, réparation et confection, ainsi qu’à celle de leur administration. »
Ce principe se retrouve dans toute la législation sur la matière dans l’article 228 de l’ancienne loi fondamentale, qu’on vous a citée tout à l’heure ; et il se reproduit encore dans l’article 3 de la loi mise à votre délibération, article contre lequel j’ai vu avec étonnement que s’élevait un honorable collègue.
On a dit que cet article 3 devait disparaître ; et moi, messieurs, je vous engage à le maintenir de tout votre pouvoir. Que si, contre le principe, vous voulez faire d’une charge générale une charge particulière, au moins persistez dans la disposition qui veut que le produit du droit soit spécialement affecté à l’amélioration des routes. Je ne vous dis pas encore ce que vous ferez de l’excédant, mais il faut au moins ne pas distraire un denier du produit des routes, si ce n’est pour les routes elles-mêmes, pour réparer celles existantes, ou pour en créer de nouvelles. Si vous laissez ce fonds s’abîmer dans le gouffre général, on l’appliquera à tout ce qu’on voudra, selon le caprice ministériel, et il arrivera encore ce que l’on a vu en 1810, où l’on pouvait à peine passer sur les grandes routes sans accident.
Que résulterait-il encore de la violation du principe ? C’est que vous engageriez le gouvernement à faire sans cesse, de charges essentiellement publiques, des charges privées.
On nous a dit : Vous avez l’exemple des postes. Je vous avoue que cette idée, qu’on vous a présentée comme très lumineuse, ne m’a pas illuminé, du tout. (On rit.) Au contraire, l’impôt sur les postes est un monopole ; et, sous un gouvernement comme le nôtre, où l’on a proclamé la liberté en tout et pour tout, il est certain qu’on pourrait prétendre, contre ce système de monopole, à faire le service des postes par entreprises particulières Je ne dis pas qu’on en viendra là, mais on l’a déjà demandé. Ainsi, qu’on n’invoque pas un abus pour détruire un principe.
Après ces simples observations sur lesquelles je reviendrai lors de la discussion des articles, je ferai remarquer à la chambre que feu notre collègue, M. Barthélemy, lui a démontré par ses calculs que l’impôt des barrières en Belgique s’élève au moins à 2,000,000.
Je crois qu’il figure au budget pour 2,066,000 fr. Eh bien, d’après les calculs dont je parle, les frais d’entretien et de réparation s’élèvent tout au plus au tiers de cette somme. Si ces chiffres exacts, il resterait donc à peu près 1,300,000 fr. d’excédant.
Maintenant vous avez deux partis à prendre. Si vous voulez venir au secours des roulages qui ne peuvent pas soutenir la concurrence avec les canaux, vous profiterez de cet excédant pour diminuer en général le droit de barrière, et alors ceux qui ont réclamé dans un intérêt privé, jouiront de ce bénéfice, sans toutefois avoir un privilège. Si au contraire vous pensez qu’on ne peut pas diminuer cet impôt, du moins vous prendrez une mesure tendante à ce que l’excédant n’en soit affecté qu’à des améliorations ou à de nouvelles constructions de routes, pour que le produit du droit ne soit pas détourné de sa destination. Pour moi je déclare que je soutiendrai de toutes mes forces le principe maintenu dans l’article 3 du projet.
M. de Theux. - Les opinions émises dans cette discussion se rapportent à trois points principaux.
Y a-t-il nécessité de faire un fonds spécial du produit des routes ?
Faut-il différencier le péage sur chaque route de première ou de deuxième classe ?
Les provinces ont-elles le droit de réclamer les produits des routes de deuxième classe ?
Plusieurs orateurs ont critiqué la disposition du projet du gouvernement qui oblige à affecter l’excédant du produit des barrières à la construction de routes nouvelles.
Dans le projet que j’avais présenté l’an dernier, et que la chambre n’a pas eu le temps de discuter, j’avais omis cette affectation spéciale, par la considération qu’il fallait avant tout consulter l’opportunité des dépenses de cette nature ; qu’il fallait les élever au-dessus de l’excédant des produits, ou les ajourner suivant leur plus ou moins d’utilité et l’état de nos finances.
C’est à tort que l’on a voulu envisager la taxe des barrières comme excessive, comme constituant un véritable impôt préjudiciable au commerce ou à l’industrie. En effet, loin de constituer un impôt au profit de l’Etat, cette taxe ne remboursera jamais les avances faites pour la construction, pour l’entretien et la surveillance des routes ; je pense même que la moitié des frais de construction peut être envisagée comme une dépense irrécupérable, faite à titre d’encouragement de l’agriculture, de l’industrie et du commerce, si l’on considère l’ensemble des dépenses pour les routes de première et de deuxième classe, et l’ensemble de leurs produits.
La section centrale a adopté un terme moyen, en chargeant le gouvernement de présenter annuellement au budget l’emploi de l’excédant du produit des routes, sauf aux chambres à rejeter cette proposition, et à laisser les fonds au service des besoins généraux de l’Etat.
On a prétendu que les canaux étaient traités plus favorablement que les routes ; c’est une véritable erreur : les canaux rapportent au-delà de ce qui est nécessaire à leur entretien et au remboursement des avances ; ce sont, au contraire, les routes qui sont traitées plus favorablement, puisqu’elles sont loin de produire pour rembourser les frais de construction.
Les provinces ont-elles droit aux routes de deuxième classe ?
Pour décider cette question, il suffit de rappeler que l’article 2 du décret du 1er décembre 1790, sur la législation domaniale, déclare domaine public toutes les grandes communications.
Le décret du 16 décembre 1811, sur la classification des routes, divise les routes en routes impériales et en routes départementales.
Les routes départementales, ou de troisième classe, comme l’a qualifié le décret, sont à la charge des départements.
Les routes impériales, divisées en trois classes, sont pour les deux premières classes à la charge de l’Etat, et pour la troisième, à la charge de l’Etat et des provinces.
Les arrêtés du 19 mars et du 15 mai 1814, rétablissant le droit de barrière, ont maintenu indistinctement les revenus des grandes routes au profit de l’Etat.
L’article 225 de la loi fondamentale le fait également.
Les arrêtés du 25 juillet 1816 et du 13 mars 1821, sur la classification des routes ont conservé à l’Etat la propriété et les revenus de toutes les grandes communications, conformément à l’article 225 de la loi fondamentale, quoiqu’ils aient divisé ces grandes routes en deux classes.
Cette division n’est relative qu’à la surveillance des travaux d’entretien, et n’a aucun rapport à la propriété ni à la jouissance des produits des barrières ; le gouvernement s’étant réservé le tout, sauf à accorder des subsides à déterminer par lui pour pourvoir à l’entretien.
Le décret du 6 mars 1831, porté par le congrès national, est la seule disposition qui ait donné aux provinces les revenus des routes de deuxième classe ; mais cette disposition a dépouillé l’Etat sans imposer les charges compétentes aux provinces.
Les charges inhérentes à cette jouissance sont, outre les frais d’entretien : 1° les traitements des ingénieurs, en proportion de l’importance des routes de deuxième classe ; et 2° le remboursement à l’Etat ou aux tiers intéressés de tous les frais de construction.
Reste à examiner si, à ces conditions, il est de l’intérêt des provinces d’accepter cette cession, et de l’intérêt de l’Etat de la faire.
Je borne ici mes observations sur la discussion générale ; la discussion des articles me fournira l’occasion d’entrer dans plus de détails.
M. Gendebien. - Je considère la matière comme épuisée ; je ne me propose pas de prolonger la discussion. Cependant je ne crois pas devoir laisser sans réplique le système tout nouveau qui a été exposé et qui m’a paru si extraordinaire.
On vous a dit, messieurs, que les barrières étaient susceptibles d’impôt, que le produit devait en être versé au trésor comme le produit de tous les impôts ; c’est une chose que je ne puis admettre. On vous l’a déjà fait observer, les routes livrées aux caprices des chefs d’administration, ou aux systèmes divers du gouvernement, pourraient être, sous tels ministres, entretenues avec luxe, et sous tels autres, abandonnées au point d’être détériorées tout à fait. Il faut faire au gouvernement un devoir de faciliter la circulation d’un pays à un autre ; il ne faut pas que la liberté consiste seulement à penser librement : il faut liberté pour l’industrie, pour le commerce, comme pour la pensée.
Il ne fait pas s’y méprendre, notre pays ne ressemble pas aux autres ; tel système qui pourrait être bon, appliqué à tel ou tel pays, serait détestable dans le nôtre. Notre véritable industrie consiste dans l’échange de toutes les matières ; eh bien, le seul moyen d’encourager cette industrie, c’est de diminuer autant que possible tous les frais qui sont à sa charge. Il en résultera que nous transporterons à l’étranger à meilleur compte que nos voisins, et nos fers et nos houilles, et nos marbres, et toutes les matières dont notre pays abonde.
En même temps qu’on veut charger la véritable, la seule industrie nationale, on propose des centaines de mille francs pour encourager des industries qui nous sont étrangères ;c’est-à-dire que l’on abandonne aux ministres, à l’incapacité, à l’intrigue, la dispensation de millions, tandis qu’on entrave la source de la richesse de l’Etat, laquelle ne demande aucune prime d’encouragement. Dans un tel état de choses, le système mis en avant est-il soutenable ?
Mais, a-t-on dit, l’administration des postes produit au trésor ; l’excédant de ses recettes sur ses dépenses y est versé ; et il y a identité entre les services rendus par les postes et ceux rendus par les routes : non, messieurs, il n’y a pas identité. Les routes sont un capital qui appartient à telle province ; pouvez-vous la dépouiller du capital qu’elle a avancé et des nombreux travaux qu’elle a faits ? Y a-t-il pour les postes une province qui ait fait des avances de capitaux ? Non, messieurs ; les postes sont un monopole qu’exerce le gouvernement, et il verse dans le trésor l’excédant des recettes sur les dépenses. Le gouvernement peut-il imposer la circulation ? C’est à vous, représentants de la nation, de savoir si vous devez admettre des moyens d’entraver la liberté des communications.
L’idée d’établir de telles entraves est pour moi insoutenable. Veuillez bien remarquer que ce serait établir un impôt sur une catégorie de citoyens. Si on vous proposait d’établir un impôt sur ceux qui ne marchent pas, que diriez-vous ? Si vous ne percevez pas d’impôt sur ceux qui ne marchent pas, pourquoi en percevoir sur ceux qui marchent ? Vous ne devez demander à ceux qui marchent que l’indemnité due pour les dégradations qu’ils occasionnent, et pas davantage.
Au mois d’octobre 1830, il fut question de diminuer le péage sur le canal d’Antoing ; il fallait le mettre en proportion avec les autres droits ; la difficulté était grande. J’eus alors une conférence très longue avec un ingénieur des plus capables, et, dans notre embarras, il nous vint cette idée, que je considère comme la seule bonne à suivie dans cette matière, c’est de faire payer à ceux qui usent des voies de terre ou d’eau d’abord une somme pour l’entretien du canal ou de la chaussée, une somme pour rembourser le capital dépensé pour l’établissement de la route ou du canal, puis une rétribution représentant l’intérêt du capital non-remboursé. Telle est la seule règle à suivre pour être juste envers tout le monde, et les routes paieraient ainsi ce qu’elles doivent à l’Etat, ce qu’elles coûtent pour l’entretien, et on rembourserait le capital.
Les routes ont été faites aux frais de l’Etat ou des provinces ou des particuliers ; le capital de ces routes peut être évalué ; on peut donner à l’Etat, aux provinces ou aux corporations, la partie qui revient pour ce capital, l’entretien et les intérêts ; l’excédant sera pour améliorer les communications, faire de nouvelles routes.
Vous faites payer une patente à des hommes pour circuler ; voulez-vous encore leur faire payer un impôt parce qu’ils circulent ? Cela est impossible dans un pays où sont répandues les premières notions de justice. Adoptons des idées plus larges ; supprimons les sommes données en encouragement à des industries que repousse notre sol et que préconise l’intrigue, et dégageons de toute entrave notre propre industrie. Cette industrie a, comme toutes les autres, pour base le fer et la houille, parce que tout se fait avec des machines, à vapeur ; ne vous ôtez donc pas les moyens de concurrence que vous avez, relativement au fer et à la houille, avec les autres pays. Savez-vous pourquoi la France est en arrière ? C’est parce que le fer est la houille y sont à un très haut prix.
M. Pirmez. - Je ne veux pas faire une législation plus favorable pour les canaux que pour les routes ; je voudrais que les choses fussent égales entre les routes et les canaux ; et l’on a mal compris mes idées. J’ai montré que les droits sur les routes de Charleroy à Bruxelles étaient trop élevés, et mon système a été admis par quelques orateurs, et notamment par M. Dumortier.
M. de Robiano de Borsbeek - Messieurs, je pense aussi que le meilleur système est de regarder l’impôt des routes comme un impôt général, comme un autre impôt, entrant dans les caisses de l’Etat pour contribuer à subvenir aux charges publiques ; cependant avec une réserve spéciale, qui tendrait à faire peser l’entretien des routes sur ce droit.
Les députés seraient juges tous les ans de l’état des routes, et ne manqueraient pas de réclamer pour leurs localités les dépenses d’entretien. Les états-provinciaux ne manqueraient pas non plus de réclamer pour les routes négligées.
Je pense donc que la législature aurait tous les moyens possibles de forcer le gouvernement à entretenir les routes, dès que la loi dirait que l’excédant des recettes sur les dépenses doit être employé en tout ou en partie à cet objet.
Dans ce système les chambres pourraient juger aussi s’il est plus urgent d’employer cet excédant à d’autres besoins. Dans le moment actuel, où il est nécessaire de lever des capitaux avec une très grande perte pour l’Etat, les chambres verront s’il est plus opportun d’affecter l’excédant des recettes sur les dépenses aux routes ou à un emploi qui éviterait des emprunts onéreux à l’étranger.
La section centrale donne aux chambres la facilité de déterminer à quelles routes le produit des barrières sera affecté ; je combats cette opinion ; je crois que les chambres doivent dire que l’excédant sera appliqué à de nouvelles routes ou à d’autres besoins.
En versant dans le trésor le produit des routes, on simplifie la perception.
Les routes se font quelquefois par des particuliers qui en retirent un péage moyennant une rétribution au gouvernement ; c’est cette rétribution qui doit être portée au trésor.
Il ne faut pas négliger d’ouvrir des routés dans les provinces pauvres ; car, par là, on augmente le revenu général. Ces provinces augmentent leur culture et leur industrie en proportion des moyens de communication ; leur aisance enrichit le pays.
On s’est élevé contre les bascules ; elles présentent des inconvénients, il faut en convenir. Elles prouvent la grande difficulté d’avoir dans les emplois subalternes des hommes à l’abri de la corruption. Cependant il ne faut pas les détruire ; il faut seulement s’occuper à diminuer, à détruire les abus.
On propose un impôt progressif sur les bêtes de trait, et on autorise huit chevaux ; mais huit chevaux, dans nos contrées où ces animaux sont heureusement d’une grande force, peuvent traîner des fardeaux énormes, sous lesquels les routes doivent être nécessairement dégradées. Il faut une autre mesure que le nombre des chevaux pour évaluer le poids des masses que transportent huit chevaux, et même quatre.
Ceux qui sont abonnés aux routes les dégradent, a-t-on dit ; cela prouve que si on détruisait les bascules, on les dégraderait bien plus aisément. Si les bascules étaient établies plus généralement, on ne pourrait les éviter par des circuits. Je conviens que leur entretien est dispendieux, que les gardiens occasionnent une dépense ; mais il y a peut-être des moyens de diminuer ces inconvénients.
Le droit de barrière est-il trop élevé ? D’après le projet de loi, il sera réduit de 5 p. c., à cause de la conversion des florins en francs. Je ne crois pas que, tel qu’il est, l’impôt soit exorbitant ; on y est habitué. Ce n’est pas parce que le droit est élevé qu’il n’y a pas de circulation, c’est parce qu’il n’y a pas de commerce.
L’année dernière, en revenant d’Allemagne, des voyageurs et moi nous avons été frappés de la quantité de voituriers qui étaient sur les routes ; c’est parce que le port d’Anvers était alors fréquenté.
Je dirai franchement que l’impôt n’atteint pas le commerce ; il ne faut pas considérer ses effets relativement à ceux qui paient la patente de roulier ; c’est le consommateur qui paie l’impôt quand la denrée hausse de prix ; mais l’impôt des barrières ne peut agir ainsi ; il est trop faible.
La France répugne à l’idée de rétablir les barrières ; aussi s’en trouve-t-elle très mal ; ses routes sont moins bonnes que celles de la Belgique. Si nos routes sont dans un tel état de supériorité relative, il faut l’attribuer aux barrières.
Le droit de barrière a ceci de particulier : il ne coûte rien à percevoir. On adjuge les barrières, et il y en a beaucoup où l’adjudicataire ne profite de son adjudication que pour vendre aux voituriers ce dont ils ont besoin pour eux et pour leurs chevaux, preuve que le droit n’est pas trop élevé.
Le droit de barrière doit autant que possible être uniforme : j’ai voyagé en Allemagne, et j’ai éprouvé tous les inconvénients de l’inégalité des péages ; ils sont plus grands qu’on ne se l’imagine. Il est bien préférable de savoir ce que l’on a à payer chaque fois que l’on rencontre une barrière.
M. Marcellis. - Messieurs, je me prononce pour le projet du gouvernement. Il se résume, ainsi que l’a prouvé la discussion qui vient d’avoir lieu, dans l’article 3. Cet article 3 élève la question de savoir quel emploi on fera des produits des barrières. Les uns se déclarent, pour l’application spéciale de ces produits, soit à l’amélioration, soit à l’extension des routes ; les autres veulent qu’ils entrent dans le trésor public et qu’il en dispose comme de tout autre revenu.
Avec le projet du gouvernement, je préfère de beaucoup l’application spéciale, soit à l’amélioration, soit à l’extension des routes. Ma raison, c’est qu’il faut pousser le gouvernement, autant qu’il est en nous, à donner plus d’extension aux communications de la Belgique et le véritable moyen de l’amener là, c’est de lui allouer un crédit spécial en-dehors des variations ministérielles, comme l’a très bien dit notre honorable collègue M. Gendebien, en-dehors même des variations de la chambre.
On a objecté le droit perçu pour les postes. L’analogie existerait pour moi si la poste éprouvait, ainsi que les routes, le besoin d’une plus grande extension. Mais la poste a acquis à peu près la limite que lui imposent les besoins du commerce, tandis que les routes sont extrêmement éloignées de ce terme. Dans les circonstances où nous nous trouvons, c’est peut-être là le point qui doit fixer nos regards. Notre industrie et notre commerce souffrent ; nous cherchons à les soulager, et comment ? par des moyens en-dehors de notre puissance. La diplomatie et la guerre ont leurs lenteurs, et si nous ne pouvons apaiser le commerce et l’industrie qu’en leur présentant l’espérance de débouchés extérieurs, je crains que cette espérance ne leur paraisse bien peu certaine, et par suite, bien insuffisante.
Mon intention est surtout d’appeler l’attention de la chambre sur les communications intérieures. J’ai eu des preuves remarquables des produits qu’on peut obtenir par l’amélioration des communications intérieures. A Liège, messieurs, par suite d’une faible amélioration de ce genre, la houille prend la direction des Ardennes, et les habitants des Ardennes, qui vivent au milieu des forêts, trouvent de l’avantage à user de ce combustible dans un rayon de cinq à six lieues. Si cette amélioration de communications était poussée plus loin, nous verrions le bois, que souvent on ne peut plus employer utilement au charbonnage, prendre la direction des villes et servir à la construction. Ainsi de plusieurs autres produits. Quel est l’obstacle qui s’y oppose ? La difficulté des communications intérieures.
Je dis donc, messieurs, qu’il faut faire des produits des barrières une application spéciale au besoin de nouvelles routes et à l’amélioration des autres. D’ailleurs, si l’on ne fait pas cette application spéciale, il faut donc nécessairement dans le budget un crédit spécial pour cet objet. Je ne pense pas que l’on y ait songé. D’une autre part, si l’on ne fait pas cette application spéciale, il faudrait voir figurer l’excédant des produits parmi les voies et moyens.
- Quelques voix. - Cela s’y trouve.
M. Marcellis. - Eh bien, messieurs, c’est donc un double emploi. Car cet objet ne peut figurer parmi les sommes disponibles. Au reste, j’attache peu d’importance à ce dernier argument, c’est surtout sur les raisons précédentes que je me fonde. Bien nouveau dans la carrière parlementaire, je puis et dois me tromper souvent dans les faits. Je désire que l’on m’en avertisse.
Je passe à la seconde question. Cette seconde question est celle de savoir s’il faut laisser aux provinces les routes de deuxième classe. A la vue de cette réclamation on se demande quelles sont ces routes de deuxième classe ? Pour la province de Liége, par exemple ce sont celles de Liège à Namur, de Liége à Dinant, de Liége à Aix-la-Chapelle ?
Mais qui ne voit qu’il ne s’agit point là d’un intérêt purement provincial ? En s’en rapportant aux provinces, une administration soigneuse peut nous offrir ces routes bien entretenues jusques à la limite, tandis qu’elles demeureront très négligées dans la partie qui excède la limite. Une province riche communiquera avec une province pauvre par une route qui devient négligée précisément au point où la nature présente le plus d’obstacle. Je pense ici au Luxembourg auquel nous devons donner quelques apaisements. Nous le pouvons en dotant le Luxembourg de routes ; nous ne le pouvons guère que de cette manière.
Ceci prouve que je suis bien éloigné de donner mon assentiment à la pétition des états-députés de la province à laquelle j’appartiens.
Mais il me semble qu’il serait possible d’adopter un terme moyen ; voici comment : Je diviserais par moitié le produit des barrières de deuxième classe ; en opérant cette division, j’établirais une sorte de contrôle pour la caisse spéciale, que je laisserais entre les mains du gouvernement. L’expérience a prouvé que ce contrôle ne serait pas inutile. Il s’établirait aussi une concurrence avantageuse pour l’emploi des fonds. On pourrait voir qui fait mieux cet emploi, de la province ou du gouvernement.
Maintenant, je finirai en me ralliant à l’observation de M. de Robiano qui nous a dit que les provinces riches ont intérêt à voir des routes s’établir dans les provinces pauvres. En effet, l’établissement des routes élève les impôts, et les impôts qui s’augmentent dans une province dégrèvent nécessairement les provinces associées dans une perception commune.
M. de Muelenaere. - Messieurs, si nous nous trouvions dans des circonstances telles que l’état du trésor nous permît de diminuer ses ressources, je douterais encore que ce fût par la réduction du droit de barrière qu’il fallut commencer. Comme vous l’a dit M. de Robiano, il n’y a là rien de vexant, rien d’odieux, rien d’écrasant pour l’industrie, tandis qu’il est une foule d’autres impôts considérables dont on devrait changer l’assiette et la quotité.
Quoi qu’il en soit, si notre position était telle qu’il ne fût pas nécessaire de venir au secours du trésor, dans ce cas nous pourrions admettre le principe que l’excédant du droit de barrière fût affecté à l’amélioration et à l’extension des routes. Mais vous devez vous rappeler, messieurs, que nous venons d’adopter une loi qui diminuera les ressources du trésor. Je ne regrette pas d’avoir voté cette loi, et j’en attends le résultat ; mais voici maintenant l’occasion de compenser en quelque sorte ce déficit.
Il me paraît que nous pouvons affecter le revenu des barrières à une triple destination. En premier lieu, on l’emploierait à l’entretien et à la réparation des routes ; en second lieu, à la construction de route nouvelles ; et en troisième lieu, l’excédant serait versé dans la caisse du trésor et serait considéré comme une des ressources générales du royaume. Cette opinion qui a déjà été présentée par deux honorables préopinants, me semble devoir obtenir votre sanction, et toutes les objections qu’on y a faites ne me paraissent nullement fondées.
La première objection consiste à dire que l’impôt, ne pesant que sur une certaine classe d’individus, ne peut pas être considéré comme ressource générale. Mais mon honorable collègue M. Dumortier vous a fait observer, que ce ne sont pas les rouliers, mais les consommateurs qui le paient. Il en est de même des autres impôts. Sur qui pèsent le droit des patentes, l’impôt foncier ? Sur les patentables, sur les propriétaires. Eh bien, ira-t-on prétendre que, cela étant, ces impôts ne doivent pas être considérés comme ressources générales ?
On a dit qu’il était à craindre qu’en laissant ce produit à la disposition du gouvernement, il ne fût employé au caprice des ministres. C’est pour cela que j’engagerai la chambre à adopter la proposition faite par MM. d’Elhoungne et de Brouckere. Si vous admettez que le produit du droit de barrière doit être considéré comme faisant partie des ressources générales ; et si vous affectez aux routes un crédit spécial, chaque année vous discuterez cet objet, vous examinerez si les routes sont convenablement entretenues, s’il faut en construire de nouvelles, et quel est le crédit spécial à porter au budget. Si, au contraire, vous affectez exclusivement ce produit à l’entretien des routes, il arrivera que ce ne sera qu’accidentellement que vous aurez à vous en occuper.
Je ne vois donc pas qu’on soit obligé de donner au revenu des barrières une affectation plus spéciale que celle des autres impôts. Il est vrai cependant, comme l’ont dit plusieurs membres, que nous avons encore beaucoup à faire pour nos communications. Mais je pense que, pour le moment, le mieux est d’adopter la proposition de M. d’Elhoungne, et c’est dans ce sens que je désire voir amender l’article 3.
- On demande la clôture de la discussion. Elle est mise aux voix et adoptée.
Plusieurs voix. - Il est quatre heures ! A demain !
D’autres voix. - Non ! non ! Continuons : faisons au moins les deux premiers articles.
L’article premier du projet est mis en délibération. Il est ainsi conçu : « La taxe des barrières établies sur les routes est maintenue. »
M. d’Elhoungne présente un amendement dans les termes suivants :
« Le droit de barrières sera perçu sur toutes les routes pavées et ferrées de la Belgique, en raison d’une distance de 5 kilomètres.
L’article premier, tel qu’il est rédigé, est évidemment incomplet : il ne fixe point la base de l’impôt ; il ne s’applique point aux communications à ouvrir au commerce. Il maintient simplement le droit de barrière tel qu’il existe sur nos routes actuelles. Pour l’étendre à des routes nouvelles, il faudra donc recourir chaque fois à la législature.
Cette marche, fausse par elle-même, et peu digne de la représentation nationale. Décréter en principe que le gouvernement percevra un droit de barrière sur toutes les chaussées qui lui appartiennent, et qu’il construira à l’avenir ; fixer la base de l’impôt qui doit être une distance déterminée, et que je crois être de 5 kilomètres, voilà, à ce qu’il me semble, le mode que la raison indique. C’est ainsi qu’on a fait en France, quand en l’an VI on a établi la taxe d’entretien des routes, et je me suis borné à extraire de la loi du 7 germinal, an VIII, la disposition que j’ai l’honneur de vous proposer comme amendement.
Si je m’étais trompé sur la distance que le gouvernement a adoptée sans l’indiquer dans le projet, il y aurait lieu de changer le chiffre de 5 kilomètres. Mon intention n’est pas d’innover sous ce rapport. D’avance je me rallie au projet du gouvernement, en ce qu’il maintient l’état actuel des choses.
- Cet amendement est appuyé.
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Il est vrai que, d’après l’ancienne législation, le droit devait être ainsi perçu ; mais les localités s’opposent à ce que ce principe reçoive sa stricte exécution.
Par exemple, la route de Bruxelles à Anvers est divisée en deux parties égales par Malines ; eh bien ! de Bruxelles à Malines il n y a que quatre barrières, tandis qu’il y en a cinq de Malines à Anvers. Cette anomalie résulte des embranchements de la route ; plusieurs localités se trouvent dans le même cas, et je pense qu’il faut maintenir les barrières telles qu’elles sont établies.
M. de Robiano de Borsbeek. - Je crois que ce qu’il importe le plus de faire, c’est de mettre de l’uniformité dans la taxe des barrières. Il s’agirait donc d’admettre dans la loi une distance déterminée. Mais M. d Elhoungne a proposé d’établir la taxe sur toutes les routes pavées et ferrées. N’y a-t-il pas une trop grande généralité dans cette expression ? Il y a beaucoup de petites routes qui sont pavées ou ferrées, et qui ne sont pas astreints au droit.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je regarde l’amendement comme inadmissible. D’abord, il est certain que l’emplacement de barrière tel qu’il existe n’a donné lieu à aucune réclamation. En second lieu, M. d’Elhoungne veut, je pense, prévenir l’inconvénient qui pourrait résulter de la construction de route nouvelles, et sur lesquelles le droit de barrière ne serait pas perçu. Mais, remarquez que les lois n’ont de durée que pour un an, et que le gouvernement pourrait venir demander à la chambre une nouvelle disposition. L’article premier est clair ; il n’y a pas eu de ce chef de réclamations, et il faut le maintenir pour cette année.
M. Gendebien. - Je ne puis admettre ce qu’a dit M. le commissaire du Roi. La distance de Bruxelles à Malines et de Malines à Anvers est égale, et cependant il n’y a que 4 barrières d’un côté et 5 de l’autre. M. le commissaire du Roi reconnaît lui-même qu’il y a là une anomalie ; mais, pour la justifier, il a objecté les embranchements de la route. C’est un système que je ne puis adopter, car les embranchements ne change en rien la distance à parcourir des deux côtés, et des voyageurs ne doivent pas être plus surchargées que d’autres qui font le même chemin, il n’y a là nulle justice
Quant à ce qu’a dit M. le ministre de l'intérieur contre l’amendement, je ne le regarde pas comme une réponse sérieuse. Le gouvernement pourra s’adresser aux chambres ! Mais pourquoi ne pas faire aujourd’hui ce qu’on serait obligé de faire peut-être dans 3, dans 6 mois ?
M. Teichmann, commissaire du Roi. - Je m’aperçois que j’ai oublié de justifier l’anomalie dont j’ai parlé. Le premier devoir du gouvernement est de rendre la perception de l’impôt la moins onéreuse possible. Lorsqu’il existe à un point d’une route des embranchements, il arrive quelquefois qu’au lieu de trois bureaux de perception, il n’y en a qu’un, d’où il résulte une grande économie. Autrefois, on avait établi que la perception se ferait sur une distance de 5 kilomètres ; mais cette disposition ne put être exécutée, car elle obligeait à construire des barrières dans des déserts où la perception était non seulement onéreuse, mais dangereuse. C’est par ce motif qu’on a dévié du principe.
M. le ministre de l’intérieur (M. Rogier). - Je dirai à M. Gendebien que c’est très sérieusement que j’ai répondu à M. d’Elhoungne. Un amendement ne doit être admis que quand il est utile. Or, il est d’usage de ne pas percevoir de droits de barrières sur une route nouvelle, afin d’y attirer les voyageurs ; et d’ailleurs, l’article premier de la seconde loi s’opposerait à l’adoption de cet amendement, car il porte : « Le droit de barrière ne sera perçu qu’aux endroits déterminés par le tableau joint à la présente loi.
Eh bien ! aujourd’hui il serait impossible de déterminer à quels endroits on doit percevoir le droit des barrières.
M. Verdussen. - Je proposerai de confondre les articles premier et 2 en un seul, et de dire : « La taxe des barrières établies sur les routes sera perçue à compter du 1er avril 1833, à minuit, conformément à la loi spéciale et au cahier des charges joint à la présente loi. »
M. de Brouckere. - Je m’oppose à l’amendement de M. Verdussen, car je n’en vois pas la nécessité. Et quant à celui de M. d’Elhoungne, il n’atteindrait pas le but qu’il se propose. Il est impossible d’observer une égalité parfaite dans la distance des barrières. Par ces considérations, je voterai pour le maintien de l’article.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, il me semble que les objections que M. le ministre de l'intérieur et M. le commissaire du Roi viennent d’opposer à l’adoption de l’amendement que j’ai eu l’honneur de soumettre à la chambre, prennent leur source dans une erreur, dans une véritable confusion d’idée.
En effet, à les entendre, j’aurais proposé de fixer le lieu de la perception de la taxe précisément au point mathématique où commence et où finit la distance, en raison de laquelle serait due la taxe. Ce n’est pas là ma pensée, et la rédaction de l’amendement ne met plus d’obstacle à ce que le gouvernement rapproche ou éloigne d’un kilomètre un bureau, quand les localités mettent obstacle à ce qu’on le place convenablement ailleurs. Tout ce que j’ai eu en vue c’est de préciser la base de l’impôt, afin qu’on ne puisse point arbitrairement augmenter ou réduire le nombre des bureaux, sur une route quelconque, au détriment de ceux qui les parcourent, ou au préjudice du trésor.
Et les détails dans lequel M. le commissaire du Roi est entré, viennent précisément justifier mon amendement si, dans un pays régi constitutionnellement, la nécessité de bien déterminer la base de l’impôt ne se liait pas intimement au vote de l’impôt, et ne constituait pas le moyen naturel d’empêcher que ce vote ne devînt illusoire. En effet, que vous a-t-on dit, messieurs, pour vous engager à rejeter mon amendement ? Que sur la route de Bruxelles à Anvers on ne trouve que neuf bureaux, quatre en deçà de Malines et cinq au-delà, quoique cependant les deux sections de la route ne présentent pas de différence dans leur longueur. Cette inégalité, messieurs, est-elle juste ? Est-elle justifiée par la nécessité ? Est-elle la seule que les termes élastiques dans lesquels l’article du projet est conçu soient appelés à dérober à votre attention, à empêcher que vous ne la répariez ?
Sous ce dernier rapport, je vous signalerai une nouvelle inégalité. La distance qui sépare Bruxelles de Malines est plus grande que celle qui sépare la première de ces villes de Louvain.
M. le commissaire du Roi vient de nous apprendre que sur la plus longue de ces routes on n’a établi que quatre bureaux de barrières ; sur la plus courte, il en existe cinq au détriment des voituriers, qui la parcourent au préjudice du principe d’égalité, qui est la base de notre droit public. Quand on s’écarte ainsi d’un principe fondamental, qui est un élément de toute justice, aux portes de la capitale, où les chambres se tiennent réunies pendant une grande partie de l’année, pouvons-nous nous défendre contre les doutes qui s’élèvent dans mon esprit sur la rigoureuse exactitude de la distribution des bureaux de barrières sur toutes nos routes ?
Mais, dit M. le commissaire du Roi, il y a impossibilité de placer les bureaux à la distance rigoureusement prescrite ; dans l’exécution, on rencontre mille difficultés qui s’y opposent.
J’ai déjà eu l’honneur de faire remarquer à la chambre qu’il ne s’agit pas dans mon amendement du placement de chaque bureau ; que je consens volontiers à ce que le gouvernement jouisse d’une grande latitude dans cette fixation, qui, comme mesure d’exécution, est toute entière dans ses attributions ; mais qu’il s’agit de mettre le contribuable et la nation toute entière en état de vérifier si le ministère a fait cette fixation conformément aux lois, sans faveur pour les uns comme sans préjudice pour les autres, et toujours dans l’intérêt de la justice et du trésor. Ce que mon amendement a pour objet d’empêcher, c’est que le voyageur ne paie plus 5 taxes sur une route moins longue, pu tout au plus aussi longue, qu’une autre où le parcours n’est imposé qu’à 4 taxes.
Quant aux obstacles dans l’exécution qu’on m’objecte, à une assertion toute nue j’opposerai des faits.
Sous le gouvernement autrichien, tout comme sous le gouvernement français, le droit de barrière a été perçu d’après une base bien déterminée, en raison des distances. Sous le premier, on avait assigné sur toutes nos routes des habitations déterminées pour la perception du droit, et toutes avaient été établies à une lieue de distance. Quand le gouvernement français a rétabli, en 1798, le droit de barrière, qu’il avait supprimé deux années auparavant, il parvint fort bien à établir les bureaux partout, non plus dans les anciennes maisons de barrières, qui se trouvaient déjà en majeure partie aliénées, et qui toutes avaient été louées comme bien domanial ; e ce qu’on a fait alors, comment et par quelle cause serait-il devenu impraticable aujourd’hui ?
Un autre motif qui milite en faveur de mon amendement, c’est qu’il pourvoir à une lacune manifeste du projet ministériel. Celui-ci ne dispose tout au plus que pour les routes existantes ; mais pour celles qui sont en construction, il est muet. Pourquoi ce silence ? Y aura-t-il en Belgique des routes appartenant à l’Etat, dont l’usage est grevé d’un impôt, et d’autres que les voyageurs pourront parcourir gratuitement ? ou renouvellera-t-on l’exemple de ce qu’on a vu récemment, établir par arrêté des taxes de barrières sur des routes nouvelles, en dépit d’une constitution qui réserve les votes de l’impôt à la législature ? ou bien faudra-t-il, à l’ouverture de toute route nouvelle, réunir bien vite les chambres pour décréter une addition à un tableau qu’il n’est pas dans la dignité de la loi de lui voir accouplé ?
Pour prévenir tous ces inconvénients et dégager la loi de détails qui contrastent avec sa dignité, avec sa majesté, il n’y a qu’un moyen, c’est de déterminer la base de l’impôt en principe : l’amendement que j’ai eu l’honneur de vous soumettre à ce but pour objet.
On demande la remise de la discussion à demain.
La séance est levée à 4 heures et demie.