(Moniteur belge n°55, du 24 février 1833)
(Présidence de M. Raikem.)
M. Jacques fait l’appel nominal à 1 heure.
M. de Renesse donne lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.
M. Brabant, organe de la commission à laquelle le projet de loi présenté hier par le ministre de la guerre avait été renvoyé, est appelé à la tribune. - Messieurs, dit l’honorable rapporteur, le gouvernement, dans la séance précédente, a présenté un projet de loi tendant à obtenir un crédit de 6 millions de francs, pour faire face aux dépenses du département de la guerre pendant le mois de mars. Comme le budget est susceptible de réductions, la commission a cru devoir n’accorder que la somme de 5 millions de francs au lieu de 6 millions. En conséquence, nous proposons l’article unique suivant :
« Il est ouvert au ministre directeur de la guerre un crédit provisoire de 5 millions de francs, pour faire face aux dépenses urgentes pendant le mois de mars 1833. »
- La chambre décide que le projet sera immédiatement mis en délibération.
Le projet est soumis à l’appel nominal. 55 membres sont présents. 54 votent l’adoption ; un seul, M. Seron, vote négativement. Le projet est adopté et sera envoyé au sénat.
L’ordre du jour est la discussion de la loi sur les distilleries.
M. de Brouckere. - Je demande la parole pour un rappel au règlement. Je vois au banc des ministres un commissaire du gouvernement, chargé, sans doute, de soutenir la discussion ; je désire que l’on nous fasse connaître l’arrêté royal qui autorise M. l’administrateur ici présent, ce dont je me félicite, à remplir les fonctions de commissaire.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Si M. le président veut s’en référer à un arrêté que j’ai transmis à la chambre on verra que MM. les commissaires sont régulièrement autorisés à soutenir les projets de loi.
M. le président. - On va chercher cet arrêté.
M. Zoude, pendant qu’on se livre à cette recherche, prend la parole et s’exprime en ces termes. - Messieurs, depuis son dernier rapport, votre commission de distillerie a encore reçu les observations des chambres de commerce de Ruremonde, Liége, Anvers, ainsi que celles des distillateurs d’Ittre et de Bruxelles.
Ces chambres sont unanimes sur l’appréciation du projet.
Celle de Ruremonde estime qu’il contient la véritable base d’une bonne loi ; Liège, que la simplicité et l’efficacité du système ne peuvent manquer d’obtenir l’approbation ; et Anvers reconnaît que le projet est en rapport avec les progrès de l’industrie et qu’il mérite une sollicitude spéciale des législateurs. (Suivent quelques considérations de détail sur le projet, émises par les mêmes chambres, non reprises dans la présente version numérisée.)
M. le président. - On ne trouve pas l’arrêté demandé ; il a été envoyé au sénat.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Le sénat aurait pu le renvoyer. Je n’ai pas dû m’abstenir de lui transmettre expédition de l’arrêté.
M. le ministre de la justice (M. Lebeau). - On peut toujours commencer la discussion.
M. de Brouckere. - Non, on ne peut pas commencer.
M. le président. - Dans un des procès-verbaux de la chambre il est constaté que M. le ministre a fait remettre expédition de l’arrêté dont il s’agit...
M. le ministre se rallie-t-il au projet de la commission ?
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je me suis rallié au projet en ce sens que j’ai désiré qu’il soit discuté le premier ; mais je me réserve de proposer les modifications que je jugerai convenables.
M. Zoude, rapporteur de la commission chargé de l’examen de la loi sur les distilleries, a la parole. L’honorable membre s’exprime ainsi. - Messieurs, parmi les lois qui ont été soumises à vos délibérations il en est peu qui aient fixé l’attention publique avec autant d’intérêt que celle qui vous occupe.
Réclamée vivement par l’industrie, l’agriculture et le commerce, elle est repoussée par la fraude qu’elle doit extirper et par la corruption qu’elle cessera d’alimenter.
Si nous n’avions d’autres adversaires à combattre, la chambre en aurait bientôt fait justice et le triomphe du projet serait assuré.
Mais il est des hommes dont les intentions sont pures et patriotiques, et qui, dans leur sollicitude pour les intérêts du trésor, craignent de voir tarir une des ressources des revenus de l’Etat.
Pour les détromper, nous rappellerons les faits à notre secours et nous leur dirons que l’impôt qui est proposé à 16 centimes n’était, en 1815, que de 7 1/5 de cent., après déduction du 1/10 accordé sur la capacité de la cuve. et que cependant il a produit au trésor une somme de 1,700,000 fr. ; d’où devrait résulter que si l’industrie était restée stationnaire, une égale quantité de fabrications rapporterait, d’après le projet, une somme de 3,800,000 fr.
Eh bien ! messieurs, sous le rapport de la fermentation, qui fait la base du projet, cette industrie est restée à peu près stationnaire, et les progrès de la distillerie, les perfectionnements qu’elle a acquis ne consistent guère que dans les moyens d’accélérer l’évaporation, de donner à nos genièvres le goût, la limpidité, et enfin cette qualité qui nous permet de concourir à l’étranger avec les genièvres hollandais.
Voilà, messieurs, les vraies et seules conquêtes utiles que l’art ait faites.
Les autres perfectionnements, qui ont eu pour objet de forcer les charges, de précipiter la fermentation, n’auraient pour résultat, avec un impôt modéré, que la ruine des distillateurs qui persisteraient dans l’emploi de ces moyens.
Cependant, messieurs, nous ne prétendons pas vous assurer que le produit de 1815 sera doublé d’abord, mais nous sommes fondés à croire qu’il ne restera pas longtemps en dessous ; et lorsque le ministre des finances lui-même, pénétré de la nécessité de soustraire les distillateurs au joug odieux de la loi de 1822, vous proposa son projet de loi, il ne comptait, ainsi que son prédécesseur, l’honorable M. Coghen, que sur un revenu de 900,000 florins, et c’est dans l’incertitude de la continuation du régime actuel que vous trouvez une somme supérieure au budget des voies et moyens. J’abandonne à la loyauté de M. le ministre des finances de réitérer ici les explications qu’il nous a données à cet égard.
Le droit perçu en 1815 représente, suivant les différents calculs, une fabrication de 450 à 500 hectolitres. Je ne l’élèverai qu’à 450, et je crois pouvoir démontrer que telle est en effet la consommation annuelle du pays ; et, sans outrer dans la quantité plus ou moins grande employée à désaltérer nos libérateurs, les Prussiens, Russes et tout leur cortège, je dirai que, par notre contact avec ces étrangers, et depuis avec les Hollandais, le goût de l’eau-de vie s’est répandu dans toutes les classes de la société, qu’elle est employée aujourd’hui dans beaucoup de fabriques, qui, étrangères alors, sont établies maintenant dans le pays. Telles sont celles de vernis, d’eaux odorantes, savon transparent, et une foule d’autres industries qui en font un emploi vraiment considérable.
Quant à la consommation qui s’en fait par la boisson, il est constant que le minimum de l’évaluation est de 10 litres par habitant, et parmi les écrits que nous avons consultés à cet égard, il en est plusieurs qui élèvent cette consommation à 12 litres ; en Prusse elle est de 14, et de 22 aux Etats-Unis.
Vous admettrez facilement, messieurs, le minimum de 10 litres lorsqu’il est des classes d’artisans à qui un hectolitre suffit à peine.
Il est donc logique de conclure qu’une population de 4 millions consomme, y compris les fabriques, une quantité qui ne peut être inférieure à 450 mille hectolitres.
Et cependant, messieurs, sous le régime déplorable de la loi de 1822, lorsque le droit nominal est de 16 fl. 63 c. et réellement de 11 fl. 9 c., l’impôt pour 1831 n’a rapporté que 1,263,000 fl., ce qui représente une fabrication de 113,8011 hectolitres ou le quart des consommations ; et en 1832, le revenu s’élevant beaucoup plus haut ne représente encore qu’une fabrication de 1,800 hectolitres ou les 2/5 des consommations.
On ne dira pas que le restant est couvert par les importations légales, car elles n’ont produit en 1831 que 94.000 fl. ; il existe donc une fraude énorme qui se commet aux dépens du trésor et de la morale publique ; cette fraude se commet en partie par les distillateurs, elle est pour eux une condition d’existence, à tel point même que si la surveillance était assez sévère pour la rendre impossible, tous leurs établissements seraient immédiatement fermés, et le pays entier ne serait alimenté que par les eaux-de-vie étrangères. Et déjà depuis trop longtemps, messieurs, nos voisins sont en possession d’approvisionner non seulement nos provinces limitrophes, mais encore une partie du centre du royaume.
N’en accusez pas la faiblesse de votre ligne de douanes ; quand même vous la doubleriez, elle échouera chaque fois que l’impôt est excessif.
Le seule remède, la seule barrière à imposer à la fraude, c’est la modicité du droit ; adoptez-la, et bientôt nous rendrons à nos voisins, avec usure, ce qu’ils nous ont donné jusqu’ici avec tant de prodigalité. Ainsi, parmi les mémoires que vous avez fait remettre à votre commission, il en est un qui garantit pour sa seule province une exportation de 100,000 hectolitres vers un royaume voisin.
Il nous a été objecté que, par l’adoption du projet, les petites distilleries ne pourraient pas se soutenir à côté des grandes ; il y a là, messieurs, plus de tendresse envers les distillateurs agricoles que ceux-ci n’en réclament ; et on voudra bien leur concéder qu’ils connaissent mieux leur intérêt que ceux qui leur témoignent tant de sollicitude, et ils savent bien, ces distillateurs, que la fermentation ne pouvant être violentée avec profit, dans un impôt modique, ils ne seront inférieurs aux grands établissements que sous le rapport du combustible ; mais en compensation ils utilisent plus directement les résidus et les fumures.
Aussi, messieurs, ce sont particulièrement les distilleries agricoles qui invoquent de tous leurs vœux la nouvelle loi.
Ils l’invoquent parce que leurs campagnes ont besoin de ce fumier qui n’est jamais si fécondant que lorsque le bétail est nourri d’aliments substantiels, tels que sont les résidus des distilleries.
Ils l’invoquent parce que le bétail gras est devenu fort rare et qu’il est pour eux l’objet d’un grand commerce au-dedans et au-dehors ; et puis, par l’adoption d’un projet qui multipliera les distilleries, ce ne sera pas une considération de peu d’importance que celle de cette plus grande quantité de bêtes grasses qui fourniront à vos marchés des viandes meilleures et en plus grande quantité ; or, l’effet de cette abondance sera nécessairement une baisse dans leur prix, et cette baisse qui est estimée devoir être de 25 à 30 p. c., je la bornerai à 10 seulement, et en abaissant tous les chiffres vous serez encore étonnés du résultat qui présente sur la consommation du pays une économie de plus de 7,100,000 francs.
Mon calcul est facile à vérifier.
Il est connu que la consommation moyenne de viande en Belgique est de deux onces par jour et par habitant, soit de 21 kilos l’an.
Or, en supposant que le prix actuel de la viande ne soit que de 40 cents au kilo (elle est de 60 cents à Bruxelles), la diminution d’un dixième sera par individu de 84 cents l’an, ce qui, pour une population de 4 millions, vous présente une économie de 3,360,000 fl., ou au-delà de 7,100,000 fr. j’approcherais beaucoup plus près de la vérité si j’avais porté la diminution à 20 p. c. et l’économie à 14,000,000 de francs.
Après avoir fait la part des consommateurs dans le bénéfice résultant du plus grand nombre de distilleries, je ferai aussi celle du gouvernement par la grande augmentation du nombre des patentables ; et pour vous en faire apprécier l’importance, il me suffira de vous dire que dans le Luxembourg seul il existait, avant la loi de 1822, au-delà de 3,200 distilleries en grains et fruits, et que le nombre s’en trouve réduit à 65.
Messieurs, en adoptant la loi qui vous est présentée, vous rendrez la vie à une foule de distilleries dont la plupart sont éteintes depuis longtemps.
Vous viendrez au secours de l’agriculture, en lui procurant des moyens de défrichement si nécessaires dans un pays dont les limites ne peuvent s’étendre que par l’accroissement de sa population, qui suivra nécessairement la fertilisation de ces landes et bruyères qui couvrent encore le sol de plusieurs de nos provinces.
Enfin, messieurs, par cette loi vous procurerez à l’Etat des ressources d’autant plus abondantes que l’impôt plus modéré aura comprimé tous les genres de fraude ; et c’est alors que nous dirons, avec l’honorable M. Coghen, dans son rapport sur les distilleries, que nous aurons une loi qui rendra la fraude extérieure inutile et la fraude intérieure ruineuse.
J’ai encore besoin de vous dire quelques mots sur l’influence que la loi doit exercer sur le commerce hollandais, qui non seulement ne pourra plus infiltrer ses genièvres en Belgique, mais nous rencontrera en concurrence avec lui sur les marchés étrangers.
Un de nos honorables collègues pourra vous dire combien nos genièvres ont été goûtés, et avec quelle rapidité ils ont été enlevés lors d’une expédition qu’il a faite naguère.
Messieurs, l’avenir de notre pays n’est pas aussi sombre que quelques imaginations se le dépeignent.
Par la loi qui vous est soumise, vous pouvez enlever à la Hollande une des grandes branches de son commerce.
Et que sera-ce quand vous verrez se réaliser des projets profondément médités par un ancien ministre, notre collègue aujourd’hui, lorsque les eaux des Flandres seront évacuées par des canaux qui n’emprunteront plus le sol ennemi, lorsque vous lui enlèverez ces eaux dont il fait un usage si fatal à nos polders, et qui cependant sont si nécessaires au curement de ses canaux et de quelques-uns de ses ports qui cesseraient bientôt de l’être ?
Lorsqu’enfin un canal d’Ostende à Anvers permettra, aux navires du plus fort tonnage, d’arriver dans la capitale du monde commercial sans le secours de l’Escaut, qui deviendrait stérile entre les mains des Hollandais ?
Si M. le ministre de l'intérieur n’est pas en possession de ces projets, au moins il lui est facile de les obtenir ; leur exécution, qui amènerait une révolution dans le commerce, serait un beau titre d’illustration pour son ministre.
M. H. Vilain XIIII. - Enfin, messieurs, nous allons nous occuper des intérêts matériels du pays. Laissant pour un instant de côté toutes ces longues discussions de théorie politique ou de personne qui ont si souvent rempli nos moments et lassé peut-être l’attention de nos propres mandants, nous allons porter notre sollicitude sur des spécialités dont l’application sera profitable aux classes laborieuse de la société, et je crois qu’il est plus que temps d’y porter une sérieuse attention.
Ce n’est point pas la solution de question de principe, dont les débats sont souvent très dramatiques, mais qui n’apportent à ces classes aucune amélioration palpable, qu’on peut espérer de les satisfaire : on ne nourrit pas les nations avec des journaux et des discours ; elles attendent autre chose de nous. La Belgique, instruite qu’il ne dépend pas toujours de nous de terminer ses embarras extérieurs, a du moins droit d’espérer des décisions plus promptes sur les lois, sur les impôts, sur l’organisation toute nouvelle et toute bienfaisante qui doit la régir dans son intérieur ; et cependant nous sommes loin de pouvoir les lui octroyer. Parvenue au milieu de sa session législative la chambre n’a pas commencé ses budgets ; la loi provinciale est encore en projet ; les lois de barrière, du sel, de douane, de naturalisation, n’ont point dépassé les sections, et voilà cinq mois que nous sommes assemblés, et ces cinq mois ont été pour ainsi dire absorbés dans des abstractions politiques.
Cessons, messieurs, de suivre cette marche que je crois sujette à plus d’un inconvénient ; n’espérons pas, en la suivant, d’arriver jamais à de grands résultats pour la nation. Il est sans doute bien, dans un rapport de pétitions, de surveiller avec soin la conduite des ministres et les droits des citoyens ; dans une question d’élection, d’examiner avec scrupule la qualité et les intentions des votants ; mais c’est rapidement qu’il faut en décider afin d’appliquer toutes ses études à l’examen de difficultés bien autrement graves, bien plus générales, telles que la révision du système financier et industriel. Ce sont là les réformes que la nation demande. Nous lui avons donné assez de libertés, donnez-lui du travail et du commerce. C’est vers ce but que nous devons diriger notre mouvement révolutionnaire, et non à tourner dans un cercle vicieux de récriminations journalières, qui ne tendent qu’à lui imprimer une impulsion rétrograde et par cela même stérile dans tous ses effets.
C’est cette préoccupation si habituelle qui a fait retarder jusqu’à deux fois la présentation et l’examen de la loi sur les distilleries qui nous occupe aujourd’hui, malgré tous les désastres causés à cette branche d’industrie par la fiscalité hollandaise qui la gouverne. Enfin, le zèle de quelques-uns de nos collègues est parvenu à formuler un projet de loi digne de notre attention, et qui déjà a reçu l’assentiment des principales chambres de commerce de la Belgique.
Il ne m’est pas donné de l’appuyer et quelquefois de le combattre dans la plupart de ses spécialités ; je puiserai mes éclaircissements dans les renseignements des plus habiles que nous dans cette partie ; mais dès ce moment je ne puis que sanctionner la modicité des droits qu’on propose. Loin de moi la crainte de voir ravir au trésor l’une de ses plus puissantes ressources en acceptant le système de taxes modérées, système reconnu le meilleur par les plus grands économistes, en ce que d’une part il détruit la fraude, et que de l’autre il double la consommation, et par ainsi les usines et les travailleurs ; et là où le travail et la richesse particulière augmentent, on ne peut croire que le trésor s’appauvrit, car tout s’enchaîne et se compense dans une société bien organisée, et jamais l’on n’a vu péricliter les ressources d’un Etat où régnait la prospérité de l’industrie et du commerce.
Et pour se convaincre de cet axiome tout banal d’économie politique, il suffit de reporter ses regards en arrière de soi et de se rappeler combien les distilleries se sont écroulées dans nos belles campagnes de Belgique sous l’énormité des accises hollandaises.
En 1814, nos usines regorgeaient de produits. Un impôt modique en rendait la perception facile, un excédant de drêche nourrissait de nombreux troupeaux et répandait la fécondité dans nos champs. En 1822 on tua la poule aux œufs d’or, et depuis cette déplorable époque la plupart des distilleries agricoles se sont fermées ; une armée d’employés et de fraudeurs se sont livré bataille sur les débris d’une industrie chaque jour plus défaillante, et qui, sans un prompt secours, se verrait peut-être à jamais éloignée de nos contrées où elle a reçu jadis le jour. Que cette leçon du passé nous profite, et hâtons-nous d’en tirer d’utiles déductions.
D’abord je suis persuadé que la loi proposée ne sera point préjudiciable aux revenus de l’Etat. En outre une de ses premières conséquences sera de relever le prix des grains indigènes en favorisant la consommation dans nos usines. On n’ignore pas que cette consommation était autrefois très considérable, et absorbait autant de produits que la nourriture de la population. De là surcroît de valeur de la propriété foncière, et nouveau débouché pour l’excédant de nos céréales qui, dans ce moment, se vendent à vil prix.
Un troisième bienfait, qui jaillira de l’adoption de cette mesure sera une plus forte introduction de grains étrangers, dès l’instant que notre agriculture ne pourra plus suffire aux besoins combinés des populations et de l’industrie : nos ports s’enrichiront de ce surcroît d’importation, ainsi que des revenus de la douane. « Car, sans aucun doute, dit une intéressante brochure, qui vient de paraître, sur l’état du commerce en Belgique, que l’accroissement de nos distilleries contribuera beaucoup à fixer dans nos ports le commerce des grains du Nord. Déjà cette branche d’affaires a acquis, l’année dernière, une extension dont elle n’avait approché à aucune époque antérieure, en portant à 31,869 lastes l’importation des grains à Anvers, qui ne fut, en 1829, que de 61,234. »
Bientôt le prix lui-même des eaux-de-vie indigènes viendra à baisser et, en empêchant l’importation clandestine des esprits sur toutes nos frontières (importation, ainsi que celle de sucres, que notre ministre des finances endure aujourd’hui d’une manière toute débonnaire), ravira tout bénéfice au fraudeur, et permettra à nos distillateurs de concourir sur les marchés du Nord et de la Hollande.
Une nouvelle considération qui milite en faveur du projet, c’est l’engrais des bestiaux qu’il doit favoriser, au moment surtout où la France semble revenir à des principes plus sages de liberté de commerce et de bon voisinage. Son gouvernement vient de proposer aux chambres une réduction de droit de 25 francs par tête de bœuf sur le taux primitif de 50 francs, fixé par la loi du 7 juillet 1822. Il sent enfin que ses propres consommateurs éprouvent de trop grands dommages, et qu’il ne doit plus au détriment de ceux-ci, favoriser d’une prime exorbitante les herbages de la Bretagne et de la Normandie.
Cette première réduction sera peut-être suivie d’une plus efficace encore, en ramenant insensiblement le droit à son taux de 3 francs, tel qu’il se percevait en 1816. Il faut du moins l’espérer, puisque depuis peu le gouvernement français paraît reconnaître, avec surprise, les blessures qu’il s’est faites lui-même par son système étroit de prohibition. Quoi qu’il en soit, cette première diminution du tarif nous fera un grand bien, en coïncidant avec la nouvelle législation de taxe que nous préparons à nos distillateurs. Ceux-ci pourront immédiatement entreprendre l’engrais des bestiaux pour l’étranger, et les Flandres verront venir leur temps de prospérité.
Ces colonies agricoles qui, dans ce moment, sont menacées d’une complète décadence ; ces bruyères des Campines, qui restent inoccupées et sans fruits, pourront insensiblement se féconder par l’établissement de petites distilleries, surtout si on a le bon esprit au lieu de fonder à grands frais des établissements au milieu de ces landes, de les attaquer par la lisière, de pousser à l’extension des paroisses qui les entourent de tous côtés, et de dégrever du droit d’accises, et même de l’impôt foncier pendant un laps prolongé d’années toutes les distilleries érigées sur ces limites.
Voilà les nombreux bénéfices à retirer d’une bonne loi est la matière. Je regrette de n’y avoir pas vu stipulée la faculté de l’abonnement par catégories : ce mode pourra, j’espère, être plus tard introduit, en facilitant la perception du droit par son extension. On pourrait même alors le convertir en un simple droit de patente, quand les besoins du trésor seront moins urgents. A cette époque seulement, on verra quels puissants résultats peut donner cette industrie qui semble innée dans notre patrie, où se trouvent à vil prix la main-d’œuvre, les grains et le charbon, et qui devrait y être protégée à l’égal de l’agriculture.
On verra quels redoutables rivaux seront nos distillateurs pour la Hollande, à qui la plupart de ces matières premières sont refusées. Les usines de ce pays en ressentiront un fâcheux contrecoup ; et, d’une part, en favorisant les nôtres de toute l’énergie d’une libre fabrication, et de l’autre, en défendant avec plus de vigilance l’abord de nos frontières du nord contre la fraude de genièvres, on sera bientôt témoin du triomphe de notre industrie sur celle de notre jalouse rivale. Ce triomphe est en partie dans vos mains, par l’acceptation de la loi, et déjà, je le répète, il n’a été que trop retardé par des discussions trop étrangères souvent à la prospérité matérielle de la Belgique.
M. Berger. - Messieurs nous voilà donc parvenus à la discussion d’un projet de loi attendu depuis si longtemps et avec tant d’impatience. Les réclamations que fit naître la loi existante devaient être bien vives, les besoins à satisfaire bien urgents, puisque déjà le gouvernement provisoire crut devoir s’en occuper, que le congrès national imita son exemple, et que différentes propositions furent adoptées, tendantes à apporter quelque soulagement à la classe nombreuse des distillateurs ; mais ces efforts partiels ne pouvaient améliorer une loi vicieuse dans toutes ses parties, et la tâche nous reste dévolue tout entière de faire une bonne loi sur les distilleries.
On ne saurait se dissimuler la haute importance du projet de loi qui vous est soumis en ce moment. Destiné à rendre à la vie l’une de nos industries les plus intéressantes, il doit encore concourir, pour sa part, à alimenter le trésor de la nation dans ses besoins urgents.
Mais le rapport sous lequel ce projet de loi mérite particulièrement de fixer toute votre attention, c’est en ce qu’il tend à introduire un nouveau système d’impôts en matière d’accise, système qui consiste dans la substitution d’un droit modéré, donc la perception est entourée de formalités simples mais suffisantes pour garantir les intérêts du fisc, système d’impôts consistant en des droits élevés avec des formes acerbes et contraires aux garanties stipulées dans notre constitution en faveur des personnes et des propriétés.
En reportant notre attention sur les causes qui ont amené le nouvel ordre de choses, nous devons placer en première ligne les désastreuses lois de finances de l’ancien régime ; et si nous voulons éviter le retour d’événements pareils, l’adoption du système des droits modérés en matière de lois fiscales devient d’une indispensable nécessité. Cependant, après douze années et demie d’attente et de réclamations, nous en sommes encore à faire le premier pas. Certes, si une sage lenteur est nécessaire pour la révision de ces lois de finances, personne au moins ne nous accusera de précipitation !
En songeant à l’espace de temps qui s’est écoulé depuis le mois de septembre 1830, et à la masse des lois de même nature pour des intérêts non moins en souffrance, et par conséquent, d’une réforme urgente, l’esprit est saisi d’une sorte de frayeur et cherche en vain à démêler dans l’avenir l’époque même éloignée où nous serons débarrassés d’un aussi pesant fardeau. Quant à des droits politiques, certes la révolution nous en dota de manière à satisfaire les plus exigeants. Quant aux dégrèvements d’impôts, des augmentations de charges eurent lieu, et dans ce moment il ne dépend pas même de nous d’en diminuer le nombre. Mais, ce qui dépend de nous, c’est de soulager le poids par une répartition plus sage et plus égale ; il dépend de nous de dégager de ces fatales entraves tant d’industries qui doivent mettre les habitants en position de supporter les charges publiques.
Que le projet de loi qui vous est soumis réponde, en général, aux besoins d’une industrie digne de toute votre sollicitude, qui peut en douter ? Les mémoires publiés sur la matière depuis que le projet de loi est connu, les pétitions des distillateurs de toutes les provinces demandent son adoption ; enfin l’avis favorable de presque toutes les chambres de commerce du royaume, en fournissent la preuve. L’ensemble de la loi ne me paraît donc susceptible que de peu d’observations, surtout, après que le rapporteur de la commission chargée de l’examen du projet a si bien fait ressortir et les vices de la loi existante et les nombreux avantages de la loi nouvelle.
Comme, dans cette loi nouvelle, la quantité de matière mise en macération se combine avec la durée de la macération pour servir de base à l’assiette de l’impôt, il en résulte que toute inégalité du droit disparaît entre les distillateurs de sirops et des matières dans leur état naturel.
En effet, la durée de cette macération étant en raison directe du degré de densité de la matière, ou de sa richesse en alcool, il en résulte que tous ces distillateurs seront frappés d’un droit proportionnel à la quantité d’alcool produite, quel que soit d’ailleurs leur procédé de distillation.
Quelques distillateurs ou quelques chambres de commerce ont manifesté la crainte que les petites distilleries agricoles ne pussent soutenir la concurrence des grandes sans une diminution d’impôt en leur faveur.
On ne peut disconvenir que ces distilleries ne sont guère susceptibles de toutes les améliorations introduites de nos jours dans les grandes usines de cette espèce, et tendant à économiser la main-d’œuvre, le combustible et à abréger singulièrement la durée des travaux. En même temps, la fortune de la grande majorité de nos cultivateurs ne leur permet pas de transformer en grands leurs petits établissements de ce genre.
Cependant c’est plutôt dans l’existence du grand nombre de petites distilleries que dans celle de quelques grandes que me semble reposer l’espoir de voir opérer successivement le défrichement de nos landes ; car, comme il n’y a que l’emploi des moyens les plus économiques qui puisse mener à bonne fin des entreprises de cette nature, ces moyens paraissent être l’apanage presque exclusif des petites distilleries agricoles, puisqu’elles seules procurent à l’industrieux père de famille l’engrais nécessaire à la culture, en même temps que les mains de ses enfants lui fournissent le travail.
C’est donc le distillateur agricole qui seul réunit les deux éléments nécessaires au succès de ses entreprises. Eu égard à ces observations, je ne serai pas contraire à l’adoption d’un amendement tendant à procurer quelque diminution de droit aux petits distillateurs agricoles. La principale considération qui me paraît militer contre une modification pareille est la modicité de l’impôt même fixé dans le nouveau projet.
La disposition de la loi qui accorde une exemption de droit aux distillateurs de fruits à pépins et à noyaux est nouvelle. Mais, une chose digne d’attention, c’est que pas une voix ne s’est élevée pour la combattre : cela prouve bien que la protection accordée à cette industrie naissante n’est pas de nature à porter préjudice ni au trésor ni aux autres classes de distillateurs. Si la distillation des fruits est de quelque importance dans la partie allemande du Luxembourg, c’est le plus souvent le seul produit d’un sol rebelle à toute culture. Il n’y a, d’ailleurs, pas grand mal de donner quelques bonnes lois à des habitants qui continuent si généreusement à contribuer à nos charges ordinaires et extraordinaires : le pouvoir qui doit succéder au vôtre les respectera peut-être.
Je finirai par rencontrer l’objection qui serait sans doute très grave si elle était fondée : elle consiste à dire que la loi proposée ne rapportera pas au trésor les sommes qu’il est fondé à réclamer de cette industrie. Une réponse est d’autant plus nécessaire que, agents du fisc, fraudeurs, et tout ce qui tient aux abus existants, semblent vouloir pactiser dans cette circonstance, et s’en emparer afin de tenter un dernier effort contre le projet de loi.
En supposant même que tout le travail de la distillation puisse être achevé dans l’espace de deux jours sans nuire ni à la quantité ni à la quotité du produit, le droit reviendrait à 32 centimes par 100 litrons de matière, et à 36 centimes en tenant compte de la non-bonification du dixième par le vide qu’il faut laisser dans les cuves de macération, En admettant d’un autre côté une moyenne de six litrons d’eau-de-vie, comme produit d’un travail à charge légère par 100 litrons de matière, le droit à percevoir s’élèverait à 6 centimes par litre d’eau-de-vie, ce qui, pour une consommation de 10 litrons par habitant, donnerait une somme de 600,000 francs par million d’habitants.
L’impôt rapporterait donc au trésor au-delà de 2,100,000 francs, somme qu’il n’est pas permis de dépasser de beaucoup dans les circonstances ordinaires, à moins de compromettre l’existence et la prospérité de cette industrie. Mais la consommation dépasse les 10 litrons par tête, et dans beaucoup de distilleries le travail ne pourra pas s’achever dans deux jours ; il n’y a dans aucun cas une diminution de recette à craindre. Enfin, et pour donner d’autant plus de garantie au fisc, je consentirais même à reporter le taux de 16 centimes par jour et par 100 litrons de matières à 18 centimes, persuadé que je suis que cette légère augmentation, >profitable au trésor, ne détruirait pas l’économie et les salutaires effets d’une loi, dont tout ami de son pays, et qui en connaît les besoins, doit ardemment désirer l’adoption.
M. Desmet. - Messieurs, considérée d’une manière absolue, toute opération qui change la forme des choses, pour augmenter leur valeur, est une véritable production.
Considérée d’une manière relative, c’est une richesse d’autant plus grande pour une nation, que la nouvelle production comporte plus d’importance ; et qu’elle s’exerce elle-même sur des productions indigènes.
Ces axiomes d’économie politique trouvent ici leur place naturelle. Ce sont des vérités que personne ne voudra contester.
Les céréales fournissent au commerce une espèce d’eau-de-vie connue généralement sous le nom d’eau-de-vie de grain. Elles offrent l’avantage de consommer, dans l’exploitation agricole, une portion des récoltes pour les convertir en produits d’une autre nature. L’un de ces produits est l’eau-de-vie, qui, par sa vente, paie plus ou moins amplement au cultivateur la valeur de sa récolte et les frais qu’elle exige pour changer de forme. L’autre est une nourriture abondante et saine, qui entretient des bestiaux, et lui procure un produit considérable, soit en viande, lait, beurre, etc.
A cette fabrication se rattache l’un des principes les plus utiles que l’on ait établis pour la production, et pour augmenter par là-même notre richesse territoriale. Il résulte, en effet, de la nourriture des bestiaux, dans une exploitation rurale, une masse abondante d’engrais, qui meublent les terres, suppriment les jachères et augmentent considérablement la fécondité. C’est particulièrement l’amendement que fournissent les genièvreries qui procure ces bienfaits à l’agriculture, contenant un sel végétal si actif et si puissant qu’il fertilise toute espèce de sol, tandis que d’autres engrais connus ne conviennent, ni à toutes les terres, ni à toutes les semences.
L’utilité de l’introduction des alambics dans les campagnes est trop bien consacré aujourd’hui par l’’expérience pour que j’insiste davantage à en exposer les effets ; qu’il me suffise de répéter encore ce qu’on ne cesse de dire et donc, messieurs, vous êtes tous convaincus, que l’agriculture est en Belgique ce que sont le commerce et l’industrie en Hollande et en Angleterre, le fondement de la richesse et de la prospérité nationale, et que tout ce qui tend à son découragement, à sa décadence, doit être rejeté comme principe d’appauvrissement, de faiblesse et de dissolution.
Mais, messieurs, quand on reconnaît que les distilleries fournissent à l’agriculture tous les éléments de fertilité, que cette industrie est d’autant plus intéressante qu’elle est à la fois agricole et manufacturière, qu’elles transforment une matière première qui se récolte chez nous et que la production se fait à l’aide d’un fossile, dont les mines font une principale partie de notre richesse territoriale et dont l’extraction occupe un si grand nombre de bras, comment se fait-il, dis-je, que vous les laissiez encore sous le poids d’un si lourd impôt et que vous les teniez toujours dans l’esclavage et sous la férule de l’administration fiscale ?
Pourquoi ne peuvent-elles jouir d’autant de liberté que vous accordez aux autres industries et dont plusieurs, certes, n’ont pas le même intérêt pour votre pays ? Si, par exemple, vous laissiez imposer la fabrication des tissus de coton, quel cri d’alarme ne jetterait-on pas dans tous les coins du royaume ?
Cependant, messieurs, rentrez dans votre conscience, et je vous le demande, pourriez-vous dire que l’industrie cotonnière soit plus utile à la prospérité de la Belgique, elle qui la rend tributaire de l’étranger et qui a fait un tort immense au commerce du tissu national.
Comme nous venons de le dire, c’est l’élévation extraordinaire des droits sur la fabrication qui est le premier vice que nous signalons dans la législation actuelle, conservée par la loi du 26 août 1822. Pour se soustraire au paiement de ces droits, des hommes sans fortune, sans état, sans considération, établissent des distilleries clandestines, vendent leur genièvre à vil prix, enfouissent les résidus afin de ne pas être découverts, et portent ainsi un tort préjudiciable aux distillateurs et à l’agriculture.
Cette élévation de droits a encore le grave inconvénient de favoriser l’importation dans le royaume des eaux-de-vie et genièvres fabriqués chez l’étranger.
Le genièvre hollandais se vend 25 p. c. meilleur compte que le nôtre ; comment nos distillateurs peuvent-ils lutter ? Si on le faisait exprès, on ne pourrait jamais mieux servir la cause de notre ennemi.
Par le même motif nous ne pouvons rien exporter ; nos produits restent pour la consommation intérieure, et comme cette consommation est bornée et que l’infiltration nous procure une quantité considérable d’eau-de-vie étrangère, nos distillateurs sont forcés de restreindre leur travail et de ne fabriquer que le quart de ce qu’ils produisaient autrefois ; de là résulte une diminution dans les recouvrements sur lesquels le trésor pouvait compter ; de là résulte aussi le dépérissement de notre agriculture, car les genièvreries sont tellement liées à son succès, que si elles venaient à cesser, ses produits diminueraient de plus de moitié.
En effet, messieurs (et ici je prendrai pour exemple les provinces de Flandre), la prospérité de l’agriculture y était due à l’établissement de nombreuses distilleries répandues çà et là sur la surface de leur territoire. Ces provinces seules en comptaient au-delà de 300 dans chacune desquelles on engraissait communément 30 bêtes à cornes ; et, le renouvellement s’en faisant régulièrement tous les trois mois, il sortait de chaque distillerie 120 bêtes grasses par an, ce qui donnait un total de 36,000, dont 20,000 exportées à l’étranger au prix commun de 300 francs par tête nous importaient une somme en numéraire de 6,000,000 de francs, par an, pour faire fleurir notre agriculture et alimenter notre commerce à ses dépens.
En même temps que nous retirions le numéraire de l’étranger par cette exportation considérable, nos terres étaient fécondées avec l’engrais et l’urine de ces bestiaux, et produisaient un tiers de plus de récolte ; c’est par ce moyen que les landes, les bruyères et des cantons entièrement incultes se transformèrent en plaines fertiles ; les communes de Deynze, de Nazareth, de Renaix, de Wetteren, de Loochristi, et une grande partie des pays de Waes et d’Alost attestent, par l’état actuel de leur culture, la vérité de ce que j’avance.
Il vous est de même connu, messieurs, qu’il y a peu de temps nous étions encore en possession de fournir nos genièvres à l’étranger. Au marché de Courtray (le centre de ce commerce) on vendait, chaque semaine, 15 à 16,000 lots de genièvre ; il y avait donc, année commune une exportation d’environ 780.000 lots de cette liqueur, qui, calculés au modique prix d’un fr. 50 c. par lot, procuraient une rentrée de 1,170,000 fr. du chef de cette exportation.
L’agriculture en Flandre était alors portée au plus haut degré de perfection ; elle fournissait, non seulement aux besoins des distilleries où elle puisait sa fécondité, mais encore à la nourriture de ses nombreux habitants, et en outre plus du tiers de ses produits était encore exporté.
Cet heureux état de choses est changé ; nos exportations en bestiaux et en genièvre sont presque nulles ; nos fabriques, si intéressantes alors, s’éteignent successivement et si la législation actuelle doit durer, bientôt elles seront entièrement anéanties, et les grains qu’elles consommaient pourriront dans les greniers du cultivateur malheureux, ou seront vendus à vil prix. Ces précieux agriculteurs, privés du résidu des distilleries, n’auront plus de quoi nourrir même leurs vaches à lait pendant la saison qu’il n’y a point de verdure ; leur terres privées d’engrais redeviendront incultes, et le découragement produit par le défaut de moyen de pouvoir satisfaire aux besoins de leurs familles, les forcera à abandonner ces terrains si fertiles autrefois et redevenus ingrats.
Le mal est grand, messieurs ; je me flatte que vous en êtes persuadés et que vous sentez qu’il est de la plus grande urgence d’y apporter un remède prompt, efficace qui puisse atténuer les malheurs dont l’agriculture est menacée et qui, peut-être, ne se réalisera que trop tôt…
Le second vice de la loi de 1822 consiste en ce qu’elle est elle-même le code du distillateur, qu’elle lui ôte la faculté d’exercer son industrie suivant son art et ses connaissances, qu’elle enchaîne ses opérations et qu’elle stipule diverses obligations qui sont, non seulement vexatoires et fiscales, mais ridicules, puisqu’elles sont impossibles ; par exemple, dans la déclaration qu’elle oblige le distillateur à faire, il doit indiquer, pour la durée de quinze jours, l’heure à laquelle les chargements des matières macérées dans les alambics aura lieu pour chaque bouillée. Aucun distillateur, aucun homme dans le monde ne saurait faire cette déclaration, et il n’est pas plus dans la puissance humaine d’y obtempérer que d’exiger d’un mathématicien la solution qui implique que Dieu seul peut faire cette déclaration.
La fermentation alcoolique comme la fermentation acide dépend d’une infinité de circonstances que nous ne connaissons pas et que nous ne connaîtrons jamais peut-être ; comment les assujettir à des règles positives, lorsqu’à tant de causes inconnues, les divers degrés de température, les différentes qualités des eaux, la force du levain, la plus ou moins grande quantité de farine qu’on macère dans une même partie d’eau, le plus ou moins de degrés de chaleur qu’a le liquide avec quoi se fait la macération, le plus ou moins grand volume d’eau qu’on emploie pour la mise en fermentation, viennent tour à tour exercer sur elles une telle puissance que tantôt elles agissent, tantôt elles se ralentissent, tantôt elles réagissent, et souvent d’une manière différente, qu’il est impossible de dire à 3, 4, 5, 6, 7 et même quelquefois à 15 heures près, le moment où elles cesseront leurs fonctions ; j’en appelle à tous les chimistes, à tous les distillateurs, si je suis dans les termes de la vérité.
Un boulanger, à qui quelque moment suffisent pour obtenir par le levain la résolution du gluten, ne saurait pas dire le moment où son pain sera assez levé pour le mettre au four, tandis qu’ici la loi exige du distillateur de déclarer d’avance quand ses matières seront suffisamment fermentées, et l’heure précise qu’il les mettra en ébullition.
Les pénalités que cette loi prononce à défaut d’observation à la lettre de ces immenses et ridicule formalités, font trembler le distillateur qui est de la meilleure foi possible et peut être ruiné en un jour, et il ne se livre à ses occupations que plein de crainte d’avoir à encourir à son insu une ou dix de ces amendes de 100 à 400 fl. chacune ; qu’elles soient bien ou mal constatées, le distillateur est obligé de payer ou de transiger. Les procès-verbaux des employés font foi, et les tribunaux ne sont là que pour prononcer la condamnation sur le vu de ces procès-verbaux.
Toute espèce de transaction devient d’ailleurs très onéreuse, parce que les employés supérieurs, qui ont une part considérable dans les amendes, sont trop intéressés à exiger la plus forte somme possible du soi-disant contrevenant, et à ne jamais accueillir de justes observations pour absoudre un innocent. Qu’ici les agents fiscaux ne s’avisent point de me chicaner, car je leur ferai voir leurs victimes et leur répondrai par un écrit où se trouve démontré qu’un inspecteur en chef a touché 45,000 fl. pour sa part des saisies dans le courant de trois années. Cet écrit a été imprimé en 1828 ; le nom de l’auteur s’y trouve et, jusqu’à ce jour, il n’a pas encore été démenti.
Tels sont, messieurs, les échantillons de cette loi d’amour en fait d’impôt et de liberté d’industrie ; nous nous flattons que vous en ferez justice et que vous jetterez un regard de commisération sur cette agriculture qui doit être l’objet de toutes vos sollicitudes.
Le premier coup fatal qui fut porté à nos distilleries et qui nous priva du commerce avec l’étranger, fut l’établissement en Belgique de l’administration des droits réunis. Dans ce temps on n’avait cependant pas encore imaginé toutes ces sortes d’entraves que nous ont laissées les Hollandais ; mais les vexations des employés, les nombreux procès-verbaux qu’ils dressaient sans motifs fondés, les procès qui en étaient la suite et qui se terminaient toujours par une transaction onéreuse et forcée à charge du distillateur, firent détester les employés et haïr le gouvernement.
Guillaume le savait bien en entrant chez nous ; il connaissait assez ce que demandaient les distilleries et l’agriculture en Belgique, et comme il voulait plaire aux nouveaux sujets que le congrès de Vienne lui avait vendus, il voulait bien laisser respirer un instant leur industrie. Par la loi du 27 octobre 1814, il permit aux distillateurs de travailler avec la même liberté dont ils jouissaient sous le gouvernement autrichien. Les distilleries abandonnées en partie sous l’administration des droits réunis, reprirent de suite leur activité : le bonheur renaissait insensiblement, et il se serait accru si cet état de choses avait duré ; mais il avait duré deux ans : ce ne fut que trop longtemps pour Guillaume et pour les Hollandais, il fallait le faire cesser ; aussi la loi du 25 septembre 1816 en eut soin ; cependant elle ne fut que le précurseur de celle du 26 août, qui était expressément destinée pour faire main-basse sur toutes nos distilleries et entraîner avec elles la prospérité de notre agriculture.
Instruit par l’expérience du passé, on devait nécessairement revenir à l’adoption des anciens principes, sons l’empire desquels notre agriculture, notre commerce et notre industrie étaient parvenus au plus haut degré de prospérité, et on a senti qu’on devait se rattacher au système de la loi de 1814, qui a été entièrement suivi dans le projet qui est soumis à votre discussion.
Comme celle de 1814, la nouvelle loi perçoit l’impôt par un abonnement fixé d’après la capacité des cuves contenant les matières fermentescibles.
Ce mode simple et uniforme d’assurer l’impôt n’aura besoin de presqu’aucune surveillance. On pourra beaucoup diminuer le nombre des employés ; et je calcule que l’administration devra faire une économie sur ses employés de près de 400,000 fr.
Le taux de l’impôt est fixé à 16 centimes par jour et par hectolitre de capacité des cuves-matures déclarées, plus que le double qu’il l’était par la loi de 1814. Alors que le droit n’était élevé que de 7 1/2 cent., il produisait annuellement, pour les provinces belges, contenant une population de 3,100,000 habitants, 1,700,000 fr. Qui pourrait douter qu’à présent, avec une population de 4,000,000 d’habitants, il produira au moins le double, 3,400.000 fr. ?
Mais, objecte-t-on, en finances deux et deux ne font pas toujours quatre ; je pourrai le concevoir s’il y avait un motif pour soupçonner que la consommation du genièvre sera moindre qu’en 1815 et 1836 ; tout porte à croire, au contraire, qu’elle est augmentée, comme sera plus considérable l’exportation, car depuis lors nos distillateurs ont acquis les connaissances de fabriquer une eau-de-vie aussi blanche et aussi pure en qualité que les distillateurs hollandais, et nous pourrons facilement lutter avec eux pour l’exportation.
Il est constant d’ailleurs que plus l’impôt est modique, moins il y a de fraude et plus il rapporte au trésor. La fraude deviendra presque impossible, car il n’y aura que trois moyens de fraude : 1° celui par l’emploi de cuves non déclarées, 2° par celui des vaisseaux plus grands que ceux déclarées, et finalement par l’agrandissement desdites cuves : et tous ces moyens de fraude, si on pouvait trouver de l’avantage à en faire usage, ne peuvent être tenus longtemps cachés, ils seront trop faciles à être découverts.
L’impôt étant établi par jour, et non pas d’après les renouvellements déclarés des cuves, sera plus également réparti, et l’adresse, la cupidité et la mauvaise foi de quelques distillateurs n’auront plus le dessus sur ceux qui avaient déclaré avec sincérité, et ils ne pourront plus de ce chef frauder impunément.
C’était là un des plus grands vices de la loi du 26 août, et qui offrait le plus de facilité à la fraude.
Le système des taxes modérées, dans les impôts indirects, a été essayé en Angleterre en 1823 ; il a prouvé, dès la première année, son excellence, et combien il était dans l’intérêt de l’Etat, comme dans celui des contribuables et de l’industrie, de suivre le système des taxes modérées, qui est dans l’intérêt du trésor comme dans celui des contribuables.
D’après les comptes rendus à la chambre des communes en 1823, dernière année des hautes taxes, les droits d’accises sur les esprits distillés en Ecosse et en Irlande ne s’élevèrent qu’à 211,800 liv. sterl., tandis qu’en 1824, première année de la réduction du droit, la taxe modérée produisit près de 400,000 liv. sterl. de plus.
Du reste, il est certain que plus on donnera d’étendue et d’intensité au système fiscal, plus on diminuera les recettes de l’Etat et plus on favorisera la contrebande. Le besoin et l’intérêt sont deux puissants mobiles qui portent toujours les hommes à braver les actes du pouvoir législatif, lorsque ces actes tendent à leur enlever tous leurs moyens d’existence ; on leur opposera la force, la confiscation, les supplices, et l’on n’obtiendra rien ; on parviendra à démoraliser le citoyen et à multiplier les crimes et les atrocités qui résultent nécessairement de l’état horrible dans lequel on place et la production et la consommation. La prospérité des gouvernants peut résulter, pendant un temps, des sommes énormes qu’ils prélèvent sur des contribuables qui ne peuvent résister à la force ; mais, dans toutes les branches d’administration comme dans celle du fisc, ils n’amèneront jamais que la dépravation, la misère, et enfin le désespoir des peuples.
Je suppose même, ce qui cependant n’est nullement à craindre, que le droit établi dans le nouveau projet ne produirait pas au trésor toute la somme de revenus qu’il veut en attendre ! Voudriez-vous pour 3 à 400,000 francs laisser subsister cette taxe parricide et anéantir une des plus belles branches de votre industrie et de votre commerce et paralyser la prospérité de votre agriculture ? Voudriez-vous laisser exploiter par les Hollandais votre commerce de genièvre et leur laisser fournir celui dont vous avez besoin pour votre consommation ?
J’entends toujours dire que le commerce, l’agriculture et l’industrie manufacturière font la force et la richesse d’une nation, et que les gouvernements ne peuvent plus avoir qu’un seul but, celui de les protéger et de les encourager ; dans les distilleries vous rencontrez à la fois ces trois branches intéressantes ; vous habitez un pays qui est du petit nombre de ces peuples privilégiés qui, par l’agriculture, peuvent pour ainsi dire se suffire à eux-mêmes, et puis, par l’idée qu’on ferait tort au trésor d’une minime diminution dans ses revenus, vous sacrifieriez cette agriculture et vous lui ôteriez le principal élément de sa fertilité.
Si le fisc se montre contraire au projet, ce ne peut être par la crainte d’une diminution dans le produit de l’impôt ; j’en vois la preuve dans le projet présenté par lui-même, où le droit ne se trouve guère plus que dans celui-ci ; mais s’il peut être contraire au projet, c’est uniquement parce que c’en est fait des procès-verbaux, des transactions et de tous les profits que ses employés tirent de la législation actuelle ; que son despotisme sur les distillateurs y trouve la mort, et qu’il devra licencier une grande partie de son armée de janissaires, qui, comme ceux du sultan, portent la ruine et le malheur dans les familles.
Je borne ici mes observations sur l’ensemble de la loi et sur le système de liberté qu’elle consacre ; je me flatte que vous partagerez mon opinion, messieurs, et que vous aurez égard aux besoins et aux vœux de la nation qui de toutes parts demande avec instances que ce projet reçoive votre sanction. Que du moins nous fassions quelque chose qui soit agréable et au profit de ce peuple, pour lequel nous n’avons encore rien fait, et que, sans discontinuer, nous avons imposé en hommes et en argent ; que du moins il puisse dire : Nous avons gagné quelque chose par la révolution.
M. Vandenhove. - Messieurs, si depuis longtemps je ne m’étais familiarisé avec les procédés de la distillation, je serais dans une grande perplexité car, au milieu de la divergence d’opinions, qui existe entre les pétitions des distillateurs, les réponses des chambres de commerce, et l’exposé des motifs qui accompagne le projet de loi à l’ordre du jour, il doit être assez difficile d’émettre un vote de conviction.
Le mien sera négatif, messieurs, parce que les dispositions du projet sont préjudiciables au trésor ; parce que je ne vois pas la nécessité d’abaisser un impôt, qui s’élève à 16 fr. 63 cent. par hectolitre, à 2 fr. 24 cent, impôt qui produit beaucoup à la caisse de l’Etat sans exciter les plaintes des classes infimes de la société, et qui serait susceptible d’en supporter un bien plus considérable si l’on pouvait empêcher la fraude ; parce qu’elles établissent un privilège au bénéfice des appareils à distillation continue, et des distillateurs des villes, qui déjà ont tant d’avantages sur ceux des communes rurales.
Avant de procéder à la vérification des supputations qui ont concouru à motiver mon vote, il est essentiel de vous faire remarquer, messieurs, que la commission spéciale, la pétition de M. Plumier et consorts, et la chambre de commerce de Louvain, ne sont point d’accord sur la durée indispensable de la macération, base fondamentale du droit sur l’eau-de-vie.
Dans la première hypothèse, la plus favorable, vous ne pourriez compter que sur une rentrée de 1,200,000 francs ; dans la seconde, que sur 960,000 francs, et dans la troisième, celle qui se rapproche le plus des faits antérieurs à 1822, que sur 480,000 francs ; et je crois le prouver par les calculs suivants, fondés sur la quantité de 4,000,000 d’hectolitres qui ont été macérés en 1832.
Au prescrit de l’article 2 du projet qui est déposé sur le bureau, l’accise est fixée par jour de travail à raison de 16 c. par hectolitre de la capacité des vaisseaux à macération : M. Plumier et consorts avancent que ce n’est qu’après deux jours de fermentation que l’on peut mettre les matières en ébullition, ce qui répond à deux jours de travail. Ainsi 4,000,000 d’hectolitres, multipliés par 32 c., feraient 1,280,000 fr.
La commission spéciale estime que trente-six heures suffiraient pour donner la maturité convenable à la matière. Donc 4,000,000 d’hectolitres, multipliés par 24 c. pour un jour et demi de travail, donneraient 960,000 fr.
Aux termes de la réponse de la chambre de commerce de Louvain, qui invoque ce qui s’est passé en 1822 et antérieurement, « la matière est susceptible d’être convertie en alcool en dix-huit à vingt heures de fermentation, sans que la qualité d’eau-de-vie en souffre, et elle ajoute que si la quantité en est un peu moindre, cette perte n’est que fictive, car le distillateur retrouve l’alcool dans le résidu, et l’utilise dans l’opération subséquente. » Ainsi 4,000,000 d’hectolitres, multipliés par 12 c., parce que les dix-huit heures ne font que les trois quarts de la journée de travail, produiraient 480,000 fr.
Ce dernier chiffre forme à peu près le quart des résultats annoncés dans le rapport de la commission spéciale, qui soutient que 2,000,000 de francs suffiraient au gouvernement, tandis que, dans les voies et moyens, l’impôt sur les eaux-de-vie figure pour 3,500,000 francs que nous tenons être le chiffre officiel.
Vous venez de voir, messieurs, ce que vous pourrez espérer en frappant d’un droit insignifiant les produits de la distillation : suivons maintenant un moment les errements de la commission, qui, raisonnant par analogie de ce qui a eu lieu avant 1822, promet des succès que vous ne pourriez obtenir, même en admettant ce qu’elle annonce, que sous le régime actuel on dérobe à la perception de l’impôt plus de deux tiers des matières imposables : ce qui paraît sortir de la sphère des probabilités ; car les distillateurs devraient avoir, dans des lieux inaccessibles aux commis aux exercices, à peu près la même quantité de vaisseaux à macération que ceux placés dans leurs usines : ils devraient s’exposer pendant une seconde partie de la journée, égale à celle fixée par la loi, à distiller, à l’insu des employés, toutes ces matières macérées en cachette : ces opérations peuvent se faire de temps en temps, et elles ont lieu, je n’en doute pas ; mais leur prêter autant de régularité et de durée me semble impossible, à moins de supposer que toute l’administration ne soit de complicité avec les producteurs.
Mais disons un instant, avec le rapport de la commission, que plus les 2/3 ont été soustraits à l’impôt, et ajoutons-les aux 4.000,000 d’hectolitres fabriqués l’an dernier ; nous trouverons 2,700,000 hectolitres (6,700,000) à multiplier par 16 centimes. Soit une journée de travail, terme extrême assigné par la chambre de commerce de Louvain pour opérer une macération, et vous aurez 1,072,000 fr. Si ces matières se macéraient en 18 heures, elles donneront un quart de moins, donc que 804,000 fr. et, pour peu que les progrès de la chimie interviennent, il ne rentrera pas grand-chose au trésor.
La différence de mes chiffres avec ceux de la commission provient de ce que j’ai pris pour base les produits de l’exercice de 1832, tandis qu’elle a calculé sur ce qui se pratiquait avant 1822 ; c’est aussi en s’appuyant sur ces données qu’elle assure que le droit sur un hectolitre de genièvre sera de 5 fr. ; cependant il ne s’élèvera réellement qu’à 2 fr. 24 c., car il est reçu qu’il faut 14 hectolitres de matière pour un hectolitre de genièvre ; ainsi, en multipliant par 16 centimes, vous trouveriez 2 fr. 24 c.
Cette erreur a conduit la commission à proposer dans la loi une restitution de droit à la sortie de 4 fr. les 4/5 de l’impôt ; ainsi on restituerait 1 fr. 76 de plus que l’on n’aurait perçu.
Sous l’empire de la loi de 1822 encore en vigueur, tantôt les petites, tantôt les grandes distilleries ont remporté des avantages sur leurs concurrentes ; je n’ai cessé de défendre les intérêts de toutes, et c’est dans les mêmes sentiments que je viens encore combattre les propositions de la commission ; si elles étaient adoptées, elles précipiteraient la chute des distilleries répandues dans les campagnes, dont le sort est devenu plus précaire, notamment depuis la découverte des appareils à distillation continue : il y a de ces établissements qui, avec trois appareils, ont mis 500 hectolitres de matière en ébullition en seize heures ; si vous les affranchissiez de tout contrôle, ils pourraient en distiller 750 dans les vingt-quatre heures.
Ces résultats immenses n’auraient-ils pas une plus grande influence sur la diminution de nos distilleries agricoles que celle que l’on voudrait rejeter sur l’introduction frauduleuse des genièvres étrangers ? Ne point limiter les heures de travail est leur donner le coup de grâce ; c’est ce que craignent les employés supérieurs des accises ; c’est ce que m’ont assuré des commis aux exercices, jadis distillateurs ; c’est ce que pensent les distillateurs sincères qui n’ont pas osé présenter des pétitions à la chambre pour le maintien de la loi actuelle, modifiée par l’arrêté du gouvernement provisoire et le décret du congrès, dans la crainte d’encourir l’animadversion de leurs adversaires. Le silence des distillateurs opposés à la loi déposée sur le bureau ne peut s’interpréter en sa faveur ; car, il y a des localités où ces industriels sont dans une grande inquiétude : ils craignent que, la loi étant adoptée, les établissements se multiplient de manière à ce qu’avant un an tous chômeront, à cause de l’exubérance des produits.
Le projet proposé est tout en faveur des distillateurs des villes et de ceux à appareils à distillation continue : les premiers pourront se procurer chez les brasseurs les matières propres à accélérer la macération ; les seconds, ayant la faculté d’opérer sans interruption, produiront de telles quantités d’eau-de-vie qu’ils baisseront leurs prix, calculant leurs bénéfices sur les masses.
Il est possible, messieurs, de concilier les intérêts du trésor avec les adoucissements à porter à l’état de distillateur, sans se jeter dans un système désastreux pour la partie la plus intéressante de cette industrie.
Voici, messieurs, les modifications les plus importantes à faire à la loi, modifications qui entraîneraient la suppression de dispositions vexatoires ; d’abord, laissez la faculté au distillateur de faire ses trois ou quatre bouillées dans un temps donné ; exigez que la contenance des cuves de macération soit en rapport avec la chaudière ; calculez le temps à accorder à chaque distillateur pour ses bouillées, sur la surface de chacun des alambics, supputations devenues faciles d’après les théories consignées dans divers ouvrages de chimie, et dans les traités de la distillation, par Dubrunfaut.
Si vous ne voulez point supprimer la cuve de vitesse, messieurs, l’imposer comme une cuve de macération, ainsi que le propose la commission, est de toute justice : il n’est point de distillateur honorable qui n’avoue que c’est le moyen de fraude le plus efficace, car elle coopère à activer les bouillées de manière à les abréger de trois ou quatre heures, temps suffisant pour distiller une macération clandestine.
Pendant le dernier exercice, la distillation des eaux-de-vie a pris un essor inconnu depuis plusieurs années ; aussi a-t-elle produit au-delà de 4,000,000 fr., malgré la diminution des 2/7 consentie par arrêté du gouvernement provisoire.
En 1833 on ne demande que 3,500,000 fr. à cette industrie ; si vous fixiez l’impôt à un franc par hectolitre de matière, sans déduction aucune, il verserait au trésor 4,000,000 fr., la prospérité des distilleries se soutenant, et vous autoriseriez la simplification des comptes des receveurs des accises et des distillateurs.
Si nos observations et celles des honorables membres qui auront pris la parole dans cette discussion ne parvenaient point à faire écarter le projet de loi, je n’hésiterais pas à prédire qu’elle n’aurait pas deux ans d’existence.
Avant cette époque, on adresserait à la chambre des pétitions en sens inverse à celles présentées aujourd’hui, dans l’intérêt de la première des industries, l’agriculture. Il me semble incontestable qu’il faut limiter les heures de travail, pour avoir une fabrication aussi régulière que possible ; alors vous pourriez compter périodiquement sur des engrais nécessaires aux terres arides, et sur une quantité à peu près égale de bétail engraissé par les résidus des distilleries. Emancipez les distillateurs, messieurs, et vous verrez surgir des intermittences de fabrication d’eau-de-vie, préjudiciables aux agriculteurs et aux consommateurs : les uns seraient privés d’engrais, les autres paieraient la viande à des prix très élevés, par la rareté du bétail propre à la consommation.
M. A. Rodenbach. - Je me propose de relever plusieurs inexactitudes dans les assertions de l’honorable préopinant.
Je crois qu’il nous a dit que dans les voies et moyens les produits des distilleries figuraient pour 3.500,000 francs ; je dirai que c’est abusivement que cette somme s’y trouve ; le ministre des finances peut le déclarer à l’assemblée.
Dans le discours de la couronne, S. M. a parlé du projet de loi qui nous serait soumis sur les distilleries, et le projet ministériel nous a en effet été présenté. Il a été renvoyé à une commission dont j’ai fait partie. Nous avons examiné la loi ; nous avons eu plusieurs conférences, peut-être dix, avec les agents du pouvoir et avec le ministre des finances lui-même ; nous avons demandé à combien s’élèverait le produit du projet du gouvernement ; on nous a répondu 900,000 florins.
La commission a cru devoir modifier le projet ministériel et formuler une autre loi. Voici comment nous l’avons basée. Nous connaissons l’arrêté de 1814 qui a fait prospérer les distilleries dans notre pays. Cet arrêté faisait payer, tous les cinq jours, un abonnement de 40 centimes ; et nous avons dit : Etablissons une loi à l’instar de l’arrêté ; mais au lieu d’un abonnement pour cinq jours, faisons que l’abonnement soit pour un jour, et fixons-le à 16 centimes.
L’arrêté de 1814 exige 40 c. pour cinq jours ; par conséquent, 8 c. par jour : nous avons doublé cet abonnement, puisque nous avons mis 16 c. Nous avons calculé, qu’avec cet impôt, les distilleries rapporteraient 2,500,000 fr. environ. Le projet du ministère ne pourrait produire que 1,800,000 fr.
D’après les calculs ministériels, la consommation moyenne en Belgique des eaux-de-vie, est de 7 litrons par tête ; c’est là, selon les agents du pouvoir, le maximum de la consommation moyenne. Il suit de là que 3,700,000 habitants consommeront au-delà de 3,000 hectolitres, ce qui, à raison de 6 fr. 55 c., donnera un peu plus de 1,700,000 fr. Ainsi d’après l’aveu du ministre lui-même, les distilleries ne rendent pas autant que le chiffe des voies et moyens semblerait l’indiquer.
La commission est persuadée que la consommation moyenne par individu est plus considérable que ne l’annonce le ministère ; elle croit que cette consommation est de 10 litrons par tête ; et d’après l’abonnement qu’elle propose, 3,700,000 habitants donneront un produit de 2 millions 3, 4 ou 500,000 fr.
L’impôt actuel est de 16 fr. 35 c., a dit l’honorable préopinant : il ne connaît pas la loi ; l’impôt est de 9 fl. et quelques cents. La loi a été modifiée par le congrès. Partant d’une base erronée, tous les calculs qui en dérivent sont erronés.
On prétend que les distilleries rapportaient, par le projet ministériel, 4 millions.
Messieurs, vous savez tous que dans ce moment les genièvres de Hollande ne peuvent être introduits en fraude. Nos douanes, il faut en convenir, font mieux le service. Nous avons des troupes qui garnissent les frontières, et qui empêchent aussi la fraude. Cependant, en 1831, les distilleries n’ont rapporté que 1,800,000 fr. Pendant trois mois nous avons eu sous les armes 150,000 hommes ; il y en a encore 100,000 sous les armes. Quand nous serons en paix, le projet ministériel ne rapportera pas 2,000,000 fl.
On a fait une distinction assez mal fondée entre les distilleries : en Belgique, toutes les distilleries sont agricoles ; toutes donnent, avec de l’alcool, des résidus qui servent d’engrais ou qui nourrissent les bestiaux. Nulle part on ne jette les résidus.
Les petites distilleries demandent toutes la nouvelle loi ; les petites distilleries fabriquent avec plus d’économie que les grandes ; les petits distillateurs emploient leurs propres grains, ils se servent des résidus comme engrais. Avec une petite chaudière, on peut faire des eaux-de-vie d’une aussi bonne qualité qu’avec les grandes, et on en obtient proportionnellement une quantité aussi abondante. Dans une petite cuve, les matières fermentent aussi bien que dans les très grandes cuves ; or, c’est sur les étuves, les cuves, que la loi de la commission est fondée.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Il faut le reconnaître, messieurs, les distilleries ont supporté depuis longtemps, sous le gouvernement français comme sous le gouvernement hollandais, un impôt élevé sur le genièvre parce que cette boisson a paru devoir être frappée d’un droit de consommation proportionné à celui auquel étaient et sont encore soumis d’autres liquides, plus ou moins analogues. Mais l’impossibilité de le percevoir directement du consommateur en a toujours fait établir l’assiette à la source, c’est-à-dire à la fabrication, mode qui astreint cette industrie a des obligations et à des restrictions inévitables, en constituant en quelque sorte le producteur receveur de l’impôt envers l’Etat, position dont il ne laisse pas cependant de retirer quelque compensation et quelque bénéfice, puisqu’en définitive c’est toujours le consommateur qui paie cet impôt au producteur même avec intérêts ; d’où il résulte que cette fabrication est pour un grand nombre d’industriels une branche de spéculation très lucrative.
La loi hollandaise de 1822 avait poussé trop loin le système fiscal et les restrictions qui en résultaient à l’égard des distilleries, en limitant l’emploi des matières premières, et en circonscrivant leur produit à des proportions arbitraires ; le régime des arrêtés exceptionnels du 19 juin 1827 et du 27 juin 1829, loin de remédier à cette rigueur, dénaturait le principe d’uniformité et d’égalité de concurrence, et donnait trop d’avantages à l’intérêt privé, qui savait en abuser, contre l’intérêt général que ces abus blessaient. Ils avaient ouvert la voie à de grands inconvénients qui, exigeant une surveillance rigide, ont excité contre ce système des clameurs plus ou moins fondées.
Aussi, un des premiers actes du gouvernement provisoire fut-il d’apporter, par son arrêté du 17 octobre 1830, les modifications que permettaient les circonstances au régime de l’impôt sur les distilleries.
C’est ainsi qu’il supprima le contrôle et la surveillance des farines, celui de la production des genièvres, l’exercice sur les produits fabriqués, et qu’il réduisit à cinq litres le taux de production pris comme base de l’impôt, diminution qui a eu réellement pour résultat un rabais de 30 p. c. sur l’impôt de 1822, et qui a tourné entièrement au profit des distillateurs.
Dès lors, la loi, dépouillée de ses conditions les plus acerbes, semblait supportable aux distillateurs, dont un très grand nombre considéraient l’arrêté d’octobre 1830 comme un acte de la plus haute importance en faveur des distilleries. Il faut reconnaître aussi, messieurs, que les distillateurs du pays en général ont supporté depuis lors la charge élevée de l’impôt avec la résignation et l’assentiment que devaient exiger d’eux la loi de la nécessité et les besoins urgents de l’Etat. Le gouvernement leur doit ce témoignage.
Beaucoup ont cependant réclamé et réclament encore vivement un système d’impôt plus léger et plus libéral qui affranchisse leur industrie des gênes et restrictions auxquelles elle se trouve encore assujettie, et notamment du mode du double contrôle ou de l’exercice à la chaudière, sans lequel l’assiette d’un impôt élevé sur les cuves est totalement illusoire.
Vous savez tous, messieurs, que rien n’est plus facile que de diminuer ou de supprimer des impôts. Mais rien n’est plus difficile que d’établir les moyens de remplir le vide de ces suppressions dans le trésor sans blesser de grands intérêts.
La difficulté de concilier dans un nouveau système les convenances des petites avec celles des grandes distilleries a toujours présenté un sujet de dissidence entre les distillateurs de toutes les classes. On a eu recours à leurs propres lumières, pour essayer un moyen qui semblait promettre les meilleurs résultats. Ce fut la mesure de la réunion à Bruxelles de distillateurs élus dans tous les arrondissements.
Un projet de loi conçu, discuté et adopté dans une assemblée de ces distillateurs, fut présenté au congrès national le 30 mai 1831, et reproduit à la chambre des représentants le 1er juin 1832. Il établit également le mode du double contrôle.
Ce projet, d’abord vanté par un grand nombre d’assujettis, ne semble plus obtenir maintenant le suffrage même de ses premiers approbateurs.
Un autre projet fut entre-temps conçu, puis abandonné par la commission de révision créée par arrêté du 21 octobre 1831.
Enfin, un dernier projet, messieurs, vous fut présenté au mois de juillet 1832, par un comité de membres de votre assemblée ; il établit le mode d’impôt à un taux fort léger, en forme de simple abonnement sur les cuves à fermentation seulement.
Appelé il y a peu de temps dans le sein de votre commission, chargée de vous faire rapport sur les deux projets qui vous sont présentés, elle m’a paru donner son assentiment à ce dernier qu’elle considère comme le plus propre à satisfaire l’attente des distillateurs, et à ranimer dans le pays une branche d’industrie dont les progrès se lient si intimement à notre prospérité agricole qui, depuis 1830, a déjà repris une grande activité. Votre commission a désiré connaître, messieurs, quelle était la disposition du ministre à l’égard de ces projets.
Je lui ai déclaré que je n’avais nullement l’intention de m’opposer à la mise en discussion, ni même à l’adoption du dernier projet au sujet duquel je me conformerais et me rallierais entièrement au vœu de la chambre, en me réservant toutefois de lui présenter quelques observations propres à fixer son opinion sur les produits de l’impôt que peuvent fournir les projets présentés, comparativement à celui qui s’est perçu en vertu de la loi actuelle, celle de 1822 modifiée par l’arrêté d’octobre 1830 et le décret du 4 mars 1831, ainsi que de présenter à la chambre les amendements dont la discussion amènerait l’opportunité.
Il résulte, messieurs, de relevés fournis à l’administration, que pendant l’année 1831 le nombre d’hectolitres de matières distillées dans le royaume s’est élevé à 2,500,000, et que la recette de droits a été comme suit :
En 1831 :
Principal : fl. 990,460 45 c.
26 p. c. additionnels : fl. 257,519 72 c.
Ensemble : fl. 1,247,980 17 c.
Timbre 10 p. c. : fl. 124,798 01 c.
Total : fl. 1,372,778 18 c.
En 1833 :
Principal : fl. 1,554,626 77 1/2 c.
26 p. c. additionnels : fl. 404,202 96 c.
Ensemble : fl. 1,958,829 73 1/2 c.
Timbre 10 p. c. : fl. 195,882 97 c.
Total : fl. 2,154,712 70 1/2 c.
Ce qui se rapporte à une quantité de matières distillées que l’on peut évaluer à environ 3,000,000 d’hectolitres.
Le produit présumé de l’impôt pour 1833, évalué en conséquence et d’après la loi actuellement existante, est porté au budget des voies et moyens, savoir :
En principal et additionnels : fr. 3,500,000.
Timbres : fr. 350,000.
Total : fr. 3,850,000
Le projet de loi de 1831 réduit le taux de l’impôt à 25 cents par hectolitre de matières farineuses (additionnels et timbre proportionnel compris) donc à moins d’un tiers de l’impôt actuel.
Ce rabais permet de hausser l’évaluation des quantités de matières à distiller à 4,000,000 d’hectolitres, chiffre qui, jusqu’à la cession des parties du Limbourg et du Luxembourg désignées dans le traité du 15 novembre 1831, répond proportionnellement à la consommation présumée de 6 à 7 litres de genièvre par tête de population, à raison de la production de 6 à 7 litres de ce liquide par hectolitre de matière. Après cette cession, on ne pourra guère estimer cette quantité qu’à 3,700,000 hectolitres.
C’est sur cette base, et déduction faite des décharges à l’exportation, que l’on a porté au budget de 1832 le produit éventuel, de cette nouvelle loi à 900,000 florins, soit 1,800,000 francs.
Enfin, la loi projetée par la commission fixe le taux de l’impôt à 16 centimes par hectolitre de contenance des cuves et par jour de leur emploi.
En appliquant ce taux à la quantité supposée de 4,000,000 d’hectolitres présumés devoir se distiller pendant une année, on obtient, pour produit 640,000 fr., si la fermentation des matières s’opère en un jour ou 24 heures, ou celui de 960,000 fr. si cette fermentation est supposée devoir durer 36 heures (un jour et demi), ou enfin 1,280,000 fr. si partout on la prolonge pendant 48 heures, Ce que l’expérience, de l’aveu même d’un grand nombre de distillateurs de bonne foi, ne permet pas d’admettre, et sans tenir compte de ce que la suppression du double contrôle sur la distillation procurera aux distillateurs de facilité, surtout dans les villes, à soustraire à l’impôt une partie plus ou moins considérable des matières mises en fermentation.,
Quelque conjecturales que soient les probabilités d’après lesquelles on chercherait à évaluer les produits de l’impôt d’après le dernier projet de loi, il est de toute évidence que le rabais du droit à 16 centimes par jour et la suppression du double contrôle doivent inévitablement diminuer d’une portion considérable le produit actuel et celui présumé de l’impôt porté au budget à 3,850,000 francs, y compris le timbre, outre que le système nouveau qu’il établit ne saurait être considéré que comme un essai dont il est impossible de prévoir la portée.
Je ne crois pas, messieurs. exagérer ma prévision en estimant cette diminution au moins de 2,800,000 à 3,000,000 fr.
Le projet de loi ainsi proposé aura l’avantage incontestable de satisfaire au désir des distillateurs de voir changer la législation, bien que le système qu’il établit doive être infiniment plus favorable aux grandes qu’aux petites distilleries, celles-ci devant subir les conséquences de tous les avantages attachés à de grands établissements, contre lesquels elles ne pourront jamais lutter, tant sous le rapport de la bonne qualité des produits que sous celui de la quantité et du prix relatif de la production ; et il est à remarquer que les petites distilleries sont dans le pays beaucoup plus nombreuses que les grandes.
Il aura aussi celui de procurer à cette importante industrie une liberté telle qu’elle n’en a jamais obtenu sous aucun régime, et qui fera cesser pour le gouvernement une source de plaintes et de clameurs que tout impôt élevé fait nécessairement naître.
Vous aurez donc à juger, messieurs, si en faveur de ces avantages, il faut consentir au sacrifice de cette partie des revenus publics, dont la perception est devenue le sujet de tant de récriminations.
Mais, dans ce cas, il est indispensable de pourvoir au remplacement de cette ressource de l’Etat par des moyens qui sont a trouver et à établir.
On ne saurait y parvenir qu’en augmentant certains autres impôts, tels que la contribution foncière, ou les contributions indirectes, ou bien en créant de nouveaux impôts sur des matières imposables qui n’y sont pas encore soumises, telles que certaines denrées coloniales, le bois du Nord ou autres, etc.
Mais le peu d’assentiment que chacun de ces moyens rencontre dans les diverses opinions sur chacune de ces matières, ne permet pas à l’administration de déterminer celui auquel il convient de donner la préférence, afin d’en faire l’objet d’un projet de loi à soumettre à la législature.
Il est donc de mon devoir, messieurs, de fixer l’attention de votre assemblée sur la nécessité de se prononcer elle-même sur le choix de ces moyens, en posant aussi les principes d’après lesquels le gouvernement, sans exposer les finances de la nation aux chances d’incertitude qu’il rencontrerait dans la divergence d’opinion des pouvoirs supérieurs de l’Etat, pourrait projeter les mesures législatives à adopter sur les bases que vous auriez admises.
M. A. Rodenbach. - D’après ce que vient de dire M. le ministre des finances, il est possible que le projet de loi actuel rapporte un million de moins. Mais, messieurs, doit-on faire de cet objet une question d’argent et sacrifier une richesse de 50 à 60,000,000 par an, parce que le revenu serait d’un million de moins, ce qui encore n’est pas prouvé ? Quant à moi, je ne le pense pas. D’ailleurs, vous savez que depuis 15 ans on a fait des essais, et des essais très malheureux. On a anéanti les petites distilleries, et les grandes seules ont réussir. Sous ce rapport, ce qu’a dit M. le ministre tombe à faux.
M. Vandenhove a parlé aussi des petites distilleries. Eh bien, sous le gouvernement autrichien et postérieurement, il y avait dans son pays, à Diest, 72 petits établissements de distillerie ; qu’il dise combien il en existe aujourd’hui.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je ferai observer à l’honorable membre qu’entre les distilleries de l’époque reculée qu’il a citée et celles d’aujourd’hui, il y a une différence essentielle ; car alors les distilleries à vapeur n’étaient pas connues, et ce sont celles-là qui sont destinées à envahir toute cette industrie.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, au point où en est venue la discussion, je n’aurai pas de peine à défendre le projet de loi, par la raison qu’il a été mal attaqué, ou plutôt qu’il n’a pas été attaqué. En effet, qu’a-t-on mis en avant ? Deux systèmes que vous ne pouvez pas admettre.
Le seul orateur qui a combattu le projet de la commission, que vous propose-t-il ? Le système hollandais. Or, je vous demande si après la révolution vous pouvez maintenir ce système ? Nous n’en avons pas le choix, car si nous faisons ce que Guillaume a fait, si nous refaisons le système du double et du triple contrôle, comme M. Appelius, nous arriverons, dans un espace de temps plus ou moins éloigné, aux mêmes résultats. La loi de 1822 a été une des causes qui ont amené nos troubles politiques. C’était un des plus grands griefs contre l’ancien gouvernement. Il est donc impossible de la laisser subsister. Peu importe que ce système ait produit 2,154,000 florins ! Quand il aurait même produit 5 et 10 millions, nous ne saurions le conserver, car la nation n’en veut plus.
Restent deux autres systèmes qui se trouvent en présence. C’est d’abord celui élaboré dans la réunion des distillateurs en 1831, et ensuite celui proposé par d’honorables membres de cette chambre l’année dernière. Il y a quelque chose de commun entre les deux systèmes, c’est qu’ils donnent également pour assiette à l’impôt la quantité des matières premières servant à la fabrication.
Cette mesure est la plus rationnelle, parce que le temps de la manipulation et de la fermentation se prolongeant jusqu’au troisième jour, le fisc jouit d’une grande facilité pour empêcher la fraude. Les pénalités sont sévères, les amendes très élevées et du moment où le contribuable se trouve placé entre l’intérêt de se soustraire au droit, et le risque imminent d’expier son imprudence par des pénalités pécuniaires considérables, vous voyez que le droit se trouve assuré autant qu’il est possible.
Mais, sous ce rapport, le projet actuel offre une garantie que ne présente pas le projet de 1831. D’après ce dernier, le droit reviendrait à 5 fl., outre les 26 p. c. de cents additionnels, et les 10 p, c. des droits de quittance, c’est-à-dire à 8 fl. 30 cents ; tandis que par le projet actuel, si je m’en rapporte aux calculs de l’honorable adversaire de ce projet, l’impôt se trouverait réduit à 2 fr. 24 cent.
Je vous laisse à juger, messieurs, si l’appât de la fraude est encore de quelque considération, en face d’un système qui porterait l’impôt à 8 fl. 30 c. Tout le danger est pour le dernier système, et le remède peut seul se trouver dans l’impôt modique.
Dans tous les temps, l’expérience a démontré, d’une manière irréfragable, que les petits droits sont plus profitables au trésor que les grands ; dans la Revue britannique vous trouverez des exemples saillants qui le démontrent. Chaque fois que le droit sur la consommation a été diminué, il y a eu augmentation de produit pour le trésor. A cette occasion, je me permettrai de citer des faits récents, qui me sont fournis par la Belgique même.
A Gand, le droit sur la fabrication du savon s’élevait autrefois à 15 cents ; il a été réduit l’année dernière à 4 cents, c’est-à-dire, presque au quart ; et il a rapporté 50 p. c. en sus de ce qu’il produisait auparavant.
A Namur, on a fait la même expérience et obtenu le même résultat : l’impôt sur les huiles était de 2 fl. 65 c. On l’a séduit à 50 c. Et qu’en est-il advenu ? Une augmentation de produit à la fin de l’année de 50 p. c.
Il en a été de même pour les vins. L’impôt s’élevait à 9 fl. par hectolitre ; il a été réduit à 5, et le produit a été doublé. Ainsi la réduction à moitié de la quotité de l’impôt sur ces différents objets a doublé le revenu.
Vous voyez, messieurs, que du moment que l’impôt baisse, le produit augmente nécessairement, et cela par deux causes fort simples, et qui vous ont déjà été signalées par la diminution du droit, les fraudeurs ne trouvent plus d’intérêt à se livrer à un commerce accessoire très lucratif, quand l’impôt est élevé, mais dangereux et peu productif quand il est modéré ; et l’exagération de l’impôt réduit la production, parce qu’il détourne de la consommation.
De cette manière tout ce qu’on a dit contre le projet en discussion, pour démontrer qu’il ne répondrait pas aux prévisions de ses auteurs, tombe à faux, par là même qu’on a supposé que la modération de l’impôt ne produirait pas son effet ordinaire, celui d’augmenter le revenu.
Et comment vous a-t-on représenté ce projet ? On vous a dit : Il crée un privilège en faveur des appareils à vapeur, car ceux qui font usage de ces appareils paieront le même impôt que ceux qui se servent de procédés moins perfectionnés. Je suis vraiment étonné qu’on appelle cela un privilège.
En effet, la franchise de l’industrie est son état naturel ; l’imposition, au contraire, l’état exceptionnel. Comment l’honorable préopinant voudrait-il agir si l’état de nos finances nous permet un jour de réaliser le plan très libéral et très sage du prédécesseur de M. le ministre des finances ? Faudrait-il dans ce cas payer une prime au distillateur qui suit le procédé ancien, ou imposer seulement le producteur qui userait d’appareils à vapeur, d’appareils plus perfectionnés ? Ce serait un bizarre système d’encouragement pour l’industrie que de niveler de cette manière les conditions des différents producteurs, en enlevant à l’intelligence les fruits de ses travaux, pour faciliter à l’esprit stationnaire les moyens de rétablir la concurrence.
Le projet de loi, plus juste, ne fait que maintenir un avantage naturel fondé sur l’équité ; il est conforme au principe qui veut qu’on laisse la carrière libre à l’industrie, et qu’on laisse aux industriels les fruits de leurs travaux et de leurs inventions.
Mais dit-on, votre impôt ne sera que de 2 fr. 24 c. Je ne sais pas où l’honorable orateur a puisé ses informations, mais on dirait qu’il est complétement étranger à un genre d’industrie très commun chez nous, et sur lequel il est facile de recueillir des renseignements.
Quelles sont les bases de l’évaluation ? On n’en a pas d’autres que la consommation d’après les données statistiques. Or, d’après ces données, la consommation annuelle en Belgique est de 10 litres par tête. Quelques-uns la portent même à 12 litres En Prusse elle est de 14, et aux Etats-Unis de 21 litres et demi par tête. Il n’y a donc pas d’exagération à l’évaluer chez nous à moins de moitié. Sur ce pied, le chiffre total de la consommation annuelle est de 370,000 hectolitres. Et pour produire un hectolitre d’eau-de-vie, combien faut-il de matière macérée ? 20 fois autant. C’est la base admise dans le rapport qui précède l’ancien projet de loi si préconisé, et néanmoins abandonné par son auteur. On y lit : « L’impôt est fixé à 12 fl. par baril d’eau-de-vie, ce qui répond à 60 cents par baril de matière, c’est-à-dire un vingtième de la taxe. »
Ainsi, nous sommes parfaitement d’accord sur ce point avec le ministre qui a adopté ce projet, avec ceux qui l’ont révisé, et enfin avec les données qui existent sur cette matière.
On vous a dit : on fera fermenter la matière en un espace de 18 heures. On le fera même dans un espace moindre. Mais de quelle manière ? En employant des moyens très coûteux, et en produisant moins d’eau-de-vie en quantité et en qualité, de telle façon que le distillateur qui procéderait ainsi courrait à sa ruine. La quantité de l’impôt n’équivaut pas à la perte qui résulterait pour lui de l’emploi d’un moyen de s’y soustraire. Or, je ne pense pas qu’on se livre à la contrebande par goût ou par caprice. C’est par l’appât de l’intérêt qu’on s’y adonne, et du moment où le contribuable cesse d’y trouver des avantages pécuniaires, il y renonce et se garde bien de compromettre son repos et ses intérêts, en affrontant de gaieté de cœur les pénalités de la loi.
Voilà précisément la garantie de l’impôt et la sûreté la plus complète de l’impôt, tel que quelques-uns de nos honorables collègues le conçoivent.
7,400,000 hectolitres de matière macérée, combien doivent-ils produire ? Pour en tirer tout l’alcool, avec économie en frais de production, et supériorité en qualité, on doit prolonger la macération an moins jusqu’au troisième jour. Nous ne prenons que deux jours complets ; ce qui fait, en raison d’un abonnement de 16 centimes par jour, une taxe de 32 c. par hectolitre de matière, s’élevant à la quantité de 7,400,000 hectolitres. Ainsi l’impôt produirait un revenu de 2,400,000 fr. Mais il faut faire aussi la part des éventualités, y compris la fraude. En passant encore 20 p. c. de ce chef, il restera encore un chiffre total de 2,000,000 fr.
Le projet que M. le ministre vous propose, produirait-il cela ? Non, messieurs avec mille vexations et des dispositions qui portent atteinte aux droits les plus sacrés, il ne rapporterait qu’un revenu évalué à 900,000 fl., auquel il n’atteindrait jamais. En effet, M. le ministre ne réduit le chiffre extraordinaire de ces calculs que de 10 p. c., pour la fraude, quand, sous la loi actuelle, pendant une année extraordinairement favorable, l’impôt n’est pas payé pour la moitié de la consommation ordinaire de la Belgique.
Puisque l’on a parlé de privilèges et d’exagérations dans les calculs que nous avons eu l’honneur de présenter, je voudrais bien savoir si l’on a examiné avec attention les dispositions onéreuses du projet dont on se fait le panégyriste ? Je n’ai qu’à vous indiquer quelques-unes des dispositions les plus saillantes de ce projet pour faire voir qu’il est inadmissible. Lisez l’article 20. Il y est dit :
« S’il était constaté que l’on eût changé de forme l’alambic ou le fourneau, de manière à augmenter ou l’action du feu, ou la surface de chauffe, l’administration est autorisée à restreindre le délai fixé, en raison de l’accélération que le changement effectué procurerait à ces opérations. »
C’est-à-dire que l’administration peut à son gré changer la base, l’assiette de l’impôt ; qu’elle peut le rendre accablant pour les uns et un objet de faveur pour les autres au gré de ses caprices.
Dans les articles suivants, on règle le travail du distillateur : on lui compte, minute par minute, le temps dans lequel il devra achever ses bouillées ; il lui est interdit d’employer les matières dans l’ordre de leur maturité. Il faut qu’ils les emploient dans l’ordre des numéros que ses vaisseaux portent. Or, tout le monde sait que, par mille causes physiques, des cuves préparées avant d’autres n’achèveront leur fermentation que trois ou quatre heures après celles-ci.
Au sujet des appareils à vapeur, il est dit dans l’article 21 du même projet : « Il est défendu aux distillateurs d’établir des alambics, ou appareils dans lesquels ou distillerait les matières au moyen de la vapeur ou d’eau bouillante, sans en avoir obtenu l’autorisation de l’administration. »
Ainsi il appartiendra à l’administration de dire à un industriel : « Vous voulez exercer l’état de distillateur, mais je vous interdis l’emploi des appareils les plus favorables à votre industrie ; je vous condamne à vous servir de ceux qui remontent à l’enfance de l’art ; les confectionnements seront pour votre concurrent ; à vous le statu quo.
Ce n’est pas tout, messieurs, l’administration ne se contente pas d’assujettir les industriels nouveaux à obtenir son autorisation ; mais elle anéantit les autorisations précédemment accordées. En effet, l’article que je viens de citer porte :
« Les alambics et appareils de l’espèce, servant à distiller les matières macérées, déjà établis, ne pourront continuer d’être en activité, à moins que le distillateur ne consente à la fixation des quantités des matières macérées, qu’en raison de la capacité et des dimensions de ces ustensiles et des renouvellements d’ébullition il sera censé y distiller : fixation déterminée ou à déterminer provisoirement par l’administration générale, sous telles restrictions qu’elle jugera nécessaire d’y établir ou d’y apporter dans l’intérêt de trésor. »
Avec des lois semblables, messieurs, il n’y a pas d’industrie possible : c’est l’arbitraire organisé ; c’est le régime du bon plaisir légalisé.
Pour mettre de l’économie dans les travaux de la distillation, on ne doit jamais éteindre le feu sous les chaudières. Eh bien ! d’après le projet de loi qu’on a préconisé, il faut tous les jours interrompre les travaux pendant plusieurs heures.
Dans tous les laboratoires de chimie, il y a des soupapes de sûreté, pour mettre la vie des ouvriers à l’abri des explosions. Il existe à ce sujet un arrêté du roi Guillaume, qui, comme mesure de police, est une véritable loi, et qui ordonne à ceux qui font usage des appareils à vapeur d’établir des soupapes de sûreté. Les agents des ponts et chaussées sont même chargés de visiter les usines, à certaine époque de l’année, pour vérifier si les soupapes existent et si les propriétaires observent ces dispositions d’une prévoyance louable.
Eh bien ! avec le projet de loi dont il s’agit, l’observation de l’arrêté devient délit et le distillateur devient passible d’une forte amende. Et voilà ce que l’on préconise.
Mais on ajoute : « La loi actuelle sera destructive des petites distilleries. » Messieurs, je pense que les meilleurs appréciateurs des intérêts privés, ce sont les intéressés eux-mêmes. Eh bien ! est-ce qu’il est arrivé à la chambre des pétitions de la part des propriétaires des petites usines, qui aient représenté le projet de loi maintenant en discussion comme une mesure destructive de leur industrie ? Loin de là. Je citerai un fait, car à de vagues assertions il faut opposer des faits, contre lesquels ne peuvent prévaloir la rhétorique des mots.
Dans une localité du Brabant, à Lembeke, existe un des plus grands établissements de distillerie du pays. C’est là ou nulle part que l’influence funeste du projet, signalée par quelques membres, devrait se développer, Eh bien ! prenez des informations, et vous apprendrez que, depuis la publication du projet de loi, 22 petits agriculteurs de cette localité, dans un rayon d’une lieue, ont acheté des alambics, des cuves à macération et tous les ustensiles nécessaires, et n’attendent que l’adoption du projet pour ouvrir leurs usines.
Dans un sens inverse, on vous a cité des faits notoires, aussi les adversaires du projet se sont-ils gardés de les contredire. Il n’est que trop vrai que, depuis 1822, plus de trois mille distilleries ont disparu dans le Luxembourg, où il en reste à peine une soixantaine. D’ailleurs, le système à double et triple contrôle, véritable Potose des agents fiscaux, a également anéanti des milliers de ces intéressantes usines ; et dans la ville de Tirlemont, sur 90 distilleries que l’on y comptait, il n’y en a plus qu’une douzaine en activité.
On a prétendu que le double contrôle était une garantie de plus pour le trésor. Messieurs, la loi de 1822 avait établi le triple contrôle, et, vous le savez, elle a produit le plus funeste résultat, car l’industrie elle-même se trouve en quelque sorte détruite dans notre pays, tandis qu’ailleurs elle a pris des développements immenses. En Prusse, elle prospère sous une loi dont le principe se rapproche de celui du projet. D’après la loi de 1822 il y avait contrôle sur les bouillées, contrôle sur la macération, contrôle sur la production même, contrôle sur les magasins de distillerie ; et les procès-verbaux se multipliaient, les vexations allaient leur train, les distillateurs se ruinaient ou fermaient leurs usines ; mais la fraude donnait naissance à de scandaleuses fortunes.
Par un raffinement de fiscalité, la loi avait évalué les produits à tirer de telle quantité de matière ; on ne pouvait produire moins, et il était défendu de produire, de manière que le producteur ne pouvait échapper à l’amende qu’en restant précisément dans les termes d’une évaluation erronée, et qu’on était puni pour des faits qui impliquent contradiction.
Lisez un écrit qui n’a pas été contredit, et qui a été publié en 1828 par M. François. Vous y verrez qu’un inspecteur a recueilli pour sa part d’amendes, 45,000 fl. pour 3 ans, ou terme moyen 15,000 fl. par année. (Mouvement.) Je vous laisse à juger, messieurs, si cette loi trouve des partisans parmi les employés des accises.
Il est un point sur lequel je regrette de me trouver en opposition avec M. le ministre. Il m’est déjà arrivé plus d’une fois de me voir contredit par M. le ministre sur des faits trop réels. Heureusement j’ai aujourd’hui à la main une preuve écrite à lui opposer. C’est une lettre du 1er février 1833, d’après laquelle il ne vous restera plus de doute sur l’adhésion complète de M. le ministre des finances au projet de loi en discussion. En voici le texte :
« Monsieur,
« Par suite de ce qui a été convenu, lorsque je me trouvai réuni à la commission chargée de l’examen du nouveau projet de loi sur les distilleries, j’ai l’honneur de vous transmettre ci-joint les observations qu’a suggérées la révision ultérieure de ce projet, et qui m’ont paru de nature à motiver des amendements.
« Agréez, etc.
« Signé, A. Duvivier. »
Voici ces observations : elles forment un petit volume. Il était très superflu de se livrer à ce travail, quand on avait l’intention de combattre le projet, d’en contester le principe, de s’opposer à son adoption. Une seule supposition est admissible : on n’amende que le travail dont on approuve le fond ; toute autre hypothèse ferait tort au caractère de M. le ministre, à qui l’on ne peut prêter l’intention, sans injustice, d’avoir entrepris un travail fastidieux, l’avoir soumis à la discussion d’une commission prise dans votre sein, puis avoir proposé de nombreux et de minutieux amendements, pour venir vous dire, en séance publique : Tout ce que j’ai fait, de concert avec votre commission, je le répudie maintenant.
M. le ministre des finances (M. Duvivier). - Je puis approuver en tout point ce que vient de dire l’honorable orateur sans dévier en rien de la manière dont je me suis exprimé avant même de soumettre à la chambre les observations générales que j’ai eu l’honneur de lui communiquer.
En effet, lorsque je me suis rendu, dans le sein de la commission, je n’ai manifesté qu’une inquiétude, c’est que la loi ne produisît pas assez, eu égard aux besoins de l’Etat. Personne, messieurs, n’est plus impatient que moi de voir sur les distilleries une législation qui concilie en même temps les intérêts des contribuables et ceux du trésor. Je vous avoue que la position du gouvernement, sous ce rapport, est des plus pénibles pour moi ; car je déclare que je suis ennemi de toute injustice et de tout arbitraire dans les lois et les institutions du pays.
Mais résulte-t-il de mes paroles que je voudrais qu’on en revînt à la législation de 1822 ? Non, je la proscris tout le premier et n’en veux pas plus qu’aucun membre de cette assemblée. Si le projet qui vous est soumis, messieurs, n’était pas agréé, il est bien certain que je me hâterais de m’entourer de toutes les lumières pour le remplacer. Je le répète, je ne veux pas plus qu’un autre de la loi de 1822, et je reconnais que les nombreuses plaintes qu’elle excitées étaient justes et fondées. Cependant je ne me dissimule pas les améliorations apportées à cette même loi par l’arrêté du gouvernement provisoire et le décret du congrès pris sur la proposition de M. Teuwens.
Quoi qu’il en soit, il n’y a pas de doute que je reste dans les termes de ma déclaration précédente, en disant que ma participation aux travaux de la commission n’avait pour objet que l’amélioration du projet de loi ; car je ne pouvais le retirer sans l’autorisation du souverain par l’ordre duquel je l’avais présenté.
C’est dans le but de l’améliorer que j’adressais mes observations à la commission, et elle y a eu le plus grand égard. Si l’on passe aux articles, je me propose de présenter des amendements tendant à y apporter de grandes améliorations, amendements reconnus justes par la commission elle-même. J’ajouterai que mon discours a été absolument rédigé dans ce sens, et que je n’ai manifesté qu’une inquiétude relativement au produit des distilleries. Du reste, je conviens que cette inquiétude n’est que conjecturale, comme les prévisions de la commission, par rapport au revenu que la loi nouvelle doit procurer au trésor.
M. A. Rodenbach. - M. le ministre des finances vient de dire que le souverain lui a fait soumettre un projet de loi sur les distilleries à l’assemblée ; je lui demanderai si, par ce projet, on croyait avoir un produit supérieur à 900,000 fl. ? Si le projet du gouvernement ne pouvait rapporter que cette somme, je demanderai de plus quelles objections on peut faire contre le projet de la commission, qui peut rapporter 2,500,000 fr.
Pour prouver que la diminution des droits donne une augmentation de produits pour le fisc, on a cité Gand, Namur ; je citerai Rouen. Le conseil municipal de cette ville décide que les droits d’octroi seront diminués de moitié ; qu’en est-il arrivé ? C’est que les recettes de l’octroi ont augmenté d’un tiers. Je pourrais citer encore l’Angleterre, où la diminution des droits sur la bière a donné une augmentation dans la recette. Diminuer un impôt, c’est porter un coup mortel à la fraude, en même temps que c’est augmenter la consommation ; de plus, il faut remarquer que l’administration, craignant moins la fraude, a besoin d’un personnel moins nombreux.
M. d’Elhoungne. - Nous sommes parfaitement d’accord avec M. le ministre des finances, lequel se rallie au projet de la commission.
Le ministre, il est vrai, a toujours manifesté des craintes sur les produits du projet de la commission. Certainement les besoins du trésor sont urgents ; certainement nous devons y pourvoir plutôt par une taxe sur les eaux-de-vie que sur des objets d’une nécessité plus impérieuse. Mais, messieurs, rendons-nous compte des effets des taxes considérables sur cette matière, et vous verrez qu’il y a un intérêt d’une tout autre importance qu’il faut considérer et qui doit faire renoncer à l’idée de rester sous l’empire de la loi actuelle, laquelle n’est que la loi de 1822 modifiée.
L’année dernière, combien a-t-on fabriqué d’eau-de vie ? Environ 20,000 hectolitres. Quelle a été la consommation dans le royaume ? Environ 3,700,000 litres. La différence a été fournie par l’étranger. Ainsi l’eau-de-vie s’introduit en fraude, et le service des douanes est mal fait.
Si vous dites que des fraudes par infiltration du dehors n’ont pas lieu, c’est alors que la fraude se fait à l’intérieur et que le trésor ne perçoit que le tiers du droit.
Changez votre loi. Au lieu de percevoir un impôt si considérable, qui permet à la Prusse, à la Hollande, à la France, de venir sur nos marchés vendre avec avantage leurs eaux-de-vie, abaissez l’impôt, et les introductions de spiritueux étrangers n’auront plus lieu ; bien loin de là, c’est nous qui fournirons des alcools, et à la Prusse, et à la France et à la Hollande.
Du moment que vous réduisez l’impôt au-dessous de celui qui est perçu dans ces pays, et au-dessous de la prime que le gouvernement accorde pour l’exportation, la concurrence n’est plus possible. Voilà le but du projet : c’est de donner à la Belgique un commerce d’exportation considérable, de lui procurer une main-d’œuvre importante, et d’augmenter une industrie qui influe d’une manière avantageuse sur son agriculture.
Remarquez que vous procurez un million de plus au trésor.
Voyez aussi la part que vous faites aux consommateurs de viande de boucherie : cette part s’élève à 7 ou 8 millions de florins par an.
Vous craignez que le trésor ne perde un million : supposons que cela soit ; comment pouvez-vous pour cette somme faire perdre 7 à 8 millions aux consommateurs de viande de boucherie, indépendamment de ce que vous faites perdre à l’industrie du pays et à l’agriculture ?
- Plusieurs voix. - A demain ! à demain !
- D’autres voix. - La clôture ! la clôture de la discussion générale !
M. de Brouckere. - Je m’oppose à la clôture de la discussion générale, je veux parler. (A demain ! à demain !à demain !)
- La séance est levée à 4 heures et la discussion continuée à demain midi.