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Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 13 juillet 1832

(Moniteur belge n°197, du 15 juillet 1832)

Appel nominal et lecture du procès-verbal

(Présidence de M. Destouvelles.)

A midi et demi on procède à l’appel nominal.

M. Dellafaille fait lecture du procès-verbal ; la rédaction en est adoptée.

Projet de loi relatif à l'impôt des distilleries

Mise à l'ordre du jour

M. Zoude. - Je demande que l’on fasse le rapport sur les distilleries.

M. d’Elhoungne. - Mon travail est terminé sur les distilleries ; mais je ne l’ai pas communiqué à la commission, et je ne veux pas prendre sur moi de présenter un travail sans son approbation. Je le communiquerai ce soir à la commission, puis on pourra faire imprimer immédiatement.

M. A. Rodenbach. - Le rapport est fort long, il faudrait une demi-heure pour le lire ; je demanderai qu’il soit imprimé avant d’être lu. (Appuyé ! appuyé ! appuyé !)

M. le président. - Le rapport sera imprimé et distribué.

Projet de loi autorisant le gouvernement à faire des concessions de routes ou de canaux, moyennant péage

Discussion des articles

L’ordre du jour est la reprise de la discussion de la loi sur les péages.

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article premier. La discussion générale est close.

M. d’Elhoungne. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

D’après la résolution qui a été prise par la majorité de l’assemblée, j’avoue que j’ai besoin de quelques éclaircissements pour savoir comment nous allons procéder à l’examen de la loi. Je demanderai au ministre quel est le projet qui est en délibération ; est-ce celui qui a été présenté au nom de la section centrale, ou celui qui nous a été présenté hier par le ministre ?

M. le président. - C’est le projet de la section centrale.

M. d’Elhoungne. - Ainsi les amendements sont proposés par M. de Theux, comme député.

M. Barthélemy. - Je propose le rejet des amendements et du projet de loi lui-même, motivé sur ce que les lois existantes ont suffisamment pourvu aux besoins de l’administration, et qu’elles ne sont pas rapportées par l’article 113 ; subsidiairement, si cette proposition n’était pas adoptée, je proposerais de réduire tous les articles à deux. Ces deux articles auront pour but de déclarer que tous les travaux entrepris dans l’intérêt des communes, des villes, des provinces, seront soumis à l’approbation du Roi ; et que, pour les travaux entrepris dans l’intérêt de l’Etat, la concession en sera soumise aux chambres pendant la session, ou à la session suivante.

La législation existante a suffisamment pourvu à tous les besoins ; c’est d’après la loi du 29 fructidor an II qu’a été faite la concession du canal de Charleroy. Cette législation n’est pas abrogée par l’article 113 de la constitution. Par une loi de 1807, c’est le gouvernement qui est autorisé à faire les concessions relatives au desséchement des marais. Par une autre loi de 1810, il a été déclaré qu’au gouvernement appartenait le droit de déclarer qu’il y avait utilité publique.

Il y a deux questions principales dans l’objet qui vous occupe : Le gouvernement a-t-il le droit de faire des concessions ? Le gouvernement a-t-il le droit de déclarer l’utilité publique ?

L’article 113 a-t-il changé quelque chose à la législation ? Non.

Un arrêté du conseil d’Etat a dit que l’utilité publique résultait de fait, et qu’il n’y avait que l’administration qui pût décider les faits…

M. le président. - Permettez-moi de faire observer que nous rentrons encore une fois dans la discussion générale ; elle est close.

M. Barthélemy. - Il faut bien que je développe mon opinion et que j’expose les motifs de mon amendement.

Ma première proposition est le rejet des articles. Je dis que la législation existante est dans toute sa force, que l’article 113 ne l’abroge pas. Cet article 113 de la constitution dit qu’on ne peut établir de rétribution pour les particuliers ; mais cet article ne dit pas que les entrepreneurs ne seront pas payés.

Dans la législation française qui a détruit les droits de barrières, on a excepté les octrois, les droits de bac et de voitures d’eau, des droits pour indemnité des constructions de ponts, et autres ouvrages d’art ; ainsi on n’a pas confondu dans les droits abolis tout ce qui n’était que le paiement d’un travail. En 1831, on n’a pas pu vouloir qu’il n’y eût plus d’entreprise publique, et qu’on ne payât pas les entrepreneurs. Les travaux d’utilité publique se rapportent à la loi de 1807 et à la loi de 1810. Vous n’avez donc pas besoin des amendements qui supposent qu’il n’y a pas de législation. Décidez donc avant tout que la législation n’est pas abolie. Attendons que quelqu’un nous propose un projet de loi complet sur cet objet, avant d’abandonner les lois qui nous régissent.

M. le président. - M. Barthelemy propose réellement de décider qu’il n’y a pas lieu à délibérer sur le projet ; c’est la question préalable qu’il demande.

- La question préalable mise aux voix est rejetée.

Article premier

M. le président. - La discussion est ouverte sur l’article premier du projet de la section centrale :

« Art. 1er. Les péages à concéder aux personnes ou sociétés qui se chargent de l’exécution des travaux publics, sont fixés pour toute la durée de la concession. »

M. Barthélemy. - Je vois des inconvénients à l’admission de l’article premier. Veut-on se lier et empêcher qu’à l’avenir il ne soit fait par le gouvernement ce qui a été fait par le gouvernement provisoire ? Je voudrais bien savoir comment, avec cet article, le ministre de l’intérieur réglerait ce qui pourrait arriver pendant la durée d’une concession. Pour la Sambre un procès va sans doute avoir lieu, et l’on pourra diminuer les droits.

M. le président. - Il n’a été proposé qu’un amendement sur l’article premier, si je puis donner ce nom à la proposition de M. Gendebien. Je dois en donner lecture.

« Art. 1er. Provisoirement et jusqu’au 1er juillet 1833, au plus tard, le gouvernement est autorisé à concéder des péages aux personnes ou sociétés qui se chargeront de l’exécution des travaux publics tels que routes nouvelles, canaux et canalisations de rivières non navigables, chemins de fer, ponts ; en un mot de tous travaux ayant pour but de procurer à la circulation des voies nouvelles. »

« Art. 2. Les concessions ayant pour objet le pavage ou l’amélioration de chemins de terre et de routes anciennes, la substitution d’un moyen de transport à un autre déjà existant, tel que les chemins de fer substitués aux routes ou chemins anciens, la canalisation d’un fleuve ou d’une rivière navigable, ne pourront être accordées que par le pouvoir législatif. »

M. Gendebien. - Je propose de substituer à l’article premier du projet ministériel les deux articles que je propose par amendement. Je crois que l’article premier du projet de la section centrale est parfaitement inutile. Si on tenait à cet article premier, on pourrait l’admettre après ceux que je propose. Mais je le redis, l’article est inutile parce que le péage est un contrat fait entre les parties de bonne foi ; la concession une fois faite, il n’y a pas moyen d’y revenir ; alors à quoi bon dire que les péages sont fixés pour toute la durée de la concession ?

Les deux articles que je propose ont d’abord cet avantage, c’est de ne donner des pouvoirs aux ministres que jusqu’en juillet 1833. Je pense qu’il est utile de faire quelque chose, mais quelque chose de transitoire. Dans la province du Hainaut plusieurs projets sont prêts à être exécutés ; les plans sont dressés ; on n’attend plus que les concessions du gouvernement. Faisons donc le strict nécessaire sans rien préjuger sur les principes constitutionnels ou législatifs. Mon amendement a cet avantage.

J’ai pensé qu’il fallait borner le pouvoir extraordinaire que nous accordons au gouvernement aux voies nouvelles à créer. Là où il n’existe pas d’anciens chemins ou d’autres moyens de transport on peut autoriser le gouvernement à concéder ; mais quand il y a d’anciens chemins, d’anciens moyens de transport, je crois qu’il faut une loi.

L’article 2 de mes amendements est la conséquence de l’article premier. Il interdit la faculté de faire des concessions pour les communications, en remplacement d’autres communications déjà existantes. Je ne crois pas que parmi les demandes faites au ministère il y a des projets de ce genre.

Je croirais abuser de vos moments si j’en disais davantage.

Je dois répondre à une objection faite par un préopinant. Les péages établis pour toute la durée d’une concession interdiraient les améliorations ; on ne pourrait plus les diminuer. Les améliorations ne sont que des transactions. Le gouvernement fait l’office d’un particulier qui traite avec d’autres particuliers.

M. H. de Brouckere. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

Avant de discuter, il faut savoir pourquoi nous discutons. Est-ce sur les amendements de M. Gendebien, ou sur l’article premier de la loi ?

M. le président. - Nous discutons sur l’article premier ; M. Gendebien a proposé un amendement.

M. H. de Brouckere. - Les amendements n’ont aucun rapport avec l’article premier.

M. le président. - J’ai l’honneur de vous faire observer que l’on soutient que l’article premier est inutile ; et l’on propose d’autres articles pour le remplacer.

M. Gendebien. - Il m’importe fort peu que l’article premier soit adopté ou rejeté.

M. Verdussen. - On peut continuer la discussion sur l’article premier.

M. le président. - Il y a encore, déposé sur le bureau, un amendement de M. Van Meenen. Le voici :

« La loi du 8 mars 1810 et les lois sur la voirie ne seront applicables aux communications à ouvrir ou à rétablir, tant par terre que par eau, qu’autant que l’utilité publique en aura été déclarée par une loi, qui en déterminera les conditions générales et qui pourra fixer le maximum des péages à établir. »

M. Van Meenen. - Je me suis livré à l’étude du projet du ministre et des amendements, lesquels ne laissent pas que d’être passablement nombreux. Après avoir tout examiné, il m’a paru qu’il régnait dans nos esprits beaucoup de vague et d’incertitude, car nous présupposons les principes en discussion. La nécessité qui a été sentie de présenter des amendements, nécessité que le ministre a sentie lui-même, démontre que nous étions dans le vague. J’ai recherché les causes de notre perplexité. Je me suis demandé ce que l’on se proposait.

On s’est d’abord proposé de faire décider la question de constitutionnalité ; ensuite, on a examiné quelle serait l’autorité qui concéderait les péages.

Messieurs, je ne conçois pas la nécessité de faire des concessions de péages ; cette concession ne peut s’appliquer qu’à des travaux d’utilité publique.

Mais qui décidera que les travaux sont d’utilité publique ?

La solution de cette question m’a paru prédominer toutes les autres.

Quant à la constitutionnalité des péages, je crois qu’en examinant cette question de près on la résout affirmativement.

L’article 113 de la constitution a eu pour objet d’empêcher que dans les greffes on ne perçût des rétributions quelconques, à moins que la loi ne les autorise. L’abus des leges en Hollande a donné l’idée de l’article 113. Le mot rétribution qu’emploie cet article ne peut s’appliquer au salaire, à l’indemnité pour un travail. L’article 113 n’a aucun trait aux péages ; les péages sont un droit de louage prélevé par les propriétaires ou les entrepreneurs des canaux ou de la route. Pourquoi le prélèvent-ils ? Pour cause d’utilité publique qu’il a créée ; la création de cette utilité a rendu l’entrepreneur propriétaire de cette utilité ; il exige un salaire, une indemnité, un droit, comme vous voudrez l’appeler, pour l’usage de sa propriété, ainsi qu’un autre pour la location de sa maison.

Il n’y a donc dans l’article 113, ni dans l’article 110 de la constitution, rien qui puisse faire considérer les péages comme inconstitutionnels.

La banque sera bien maîtresse d’établir un péage sur la route qu’elle vient de faire à travers ses propriétés. Elle n’aura besoin de l’autorité que si elle veut faire reconnaître son travail comme étant un établissement d’utilité publique, et lui faire appliquer les règles de la voirie : alors elle ferait reconnaître ses agents comme des agents publics, et les contraventions à ses droits seraient portées devant les tribunaux correctionnels ou de police, au lieu qu’elle n’aura qu’une action civile contre les contrevenants, si elle ne prend pas cette détermination.

Sur la deuxième question, le gouvernement a cherché à vous faire prendre le change, en vous proposant un article qui dans son dispositif est de la plus complète inutilité possible, et qui dans son énonciation est d’un extrême danger. L’article premier dit : « Les péages à concéder aux personnes ou sociétés qui se chargent de l’exécution des travaux publics sont fixés pour toute la durée de la concession. »

Je ne conçois pas un péage qui ne serait pas fixé, et qui ne serait pas fixé pendant toute la durée de la concession. Cet article, comme l’a observé M. de Brouckere, est parfaitement inutile.

En quoi consiste donc l’article premier ? Dans ces mots : « Les personnes ou sociétés qui se chargent de l’exécution des travaux publics. » On ne dit pas travaux de route, travaux de communication ; on dit travaux publics. Mais cette expression se trouve déterminée par l’exposé des motifs qui accompagne le projet du ministre.

Dans cet exposé le ministre nous rapporte une loi de 89 qui dit qu’au gouvernement appartient la concession des travaux de route.

Par le mot travaux publics, on exclut les entreprises privées ; on embrasse sans distinction les péages établis et les péages à établir ; de sorte qu’on pourrait concéder à perpétuité les entreprises actuellement existantes, toutes les grandes routes, etc. On confond tout : les entretiens, les améliorations ; on confond enfin les routes de navigation avec tous les autres travaux par les mots : travaux publics. Ainsi les mots travaux publics excluent l’idée qu’il puisse se faire aucune entreprise particulière sans l’intervention du ministère : tout est à la disposition du gouvernement.

Le mot concéder achève le système que je viens de développer : le mot concéder signifie la propriété de celui qui concède : ainsi ce mot complète l’explication que j’ai donnée sur les mots travaux publics.

Il m’a paru que tout se rapportait à une seule idée ; c’est que nous devons nous entendre sur le sens de ces mots : utilité publique, et en outre c’est que nous devons déterminer quelle sera l’autorité à laquelle il appartiendra d’imprimer le cachet d’utilité publique aux travaux. Les conséquences du caractère d’utilité publique, c’est l’application des lois qui ordonnent l’expropriation et des lois qui s’appliquent à la voirie ; c’est de convertir une obligation privée en obligation publique emportant application des lois pénales.

A qui appartient-il d’imprimer à une entreprise le caractère d’utilité publique ?

Le système français l’attribue au chef du gouvernement. C’était comme souverain que Napoléon l’exerçait par décret ; c’est ce qui résulte d’un arrêté du conseil d’Etat de 1807, et de la loi du 8 mars 1810.

Vous voyez que c’était par un décret qu’on décidait l’utilité publique : ce système peut-il être le nôtre ? ou bien devons-nous en adopter un autre ?

Je pense que ce système ne peut pas être le nôtre ; j’y trouve un obstacle invincible dans les articles 11 et 78 de la constitution.

Déclarer qu’un objet est d’utilité publique, c’est faire tomber sous le coup de répressions graves des contraventions qui étaient dans les principes généraux du droit : cette transformation du caractère des actes n’appartient qu’à la loi.

L’article 11 porte : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d’utilité publique, dans les cas et de la manière établie par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité. »

Il faut donc que quelqu’un dise qu’il y a utilité publique.

L’article 78 porte : « Le Roi n’a d’autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la constitution et les lois particulières portées en vertu de la constitution même.

Il est donc évident que ce n’est pas une conséquence immédiate de la constitution que d’attribuer au gouvernement la déclaration d’utilité publique dans une entreprise quelconque.

J’ai cru, de là, que dans la situation où nous avons placé le projet de loi, ce serait remonter aux principes de vous présenter la proposition que j’ai déposée sur le bureau et que M. le président a lue.

Je dis dans cette proposition : « qu’autant que l’utilité publique en aura été déclarée par une loi ; » je dis en outre que la loi, en déterminant les conditions générales, laissera les autres conditions à la détermination de l’administration. J’ajoute : « et qui pourra déterminer la quotité des péages ; » car la quotité des péages influe sur l’utilité publique.

Quant à la manière dont la loi relative à la concession sera préparée, je crois qu’il est inutile d’entrer dans des détails à cet égard : soit que le projet nous soit présenté par le gouvernement, soit qu’il nous soit présenté par des particuliers, le gouvernement ou les particuliers vous donneront tous les détails nécessaires pour faire juger l’utilité.

Si ces documents ne suffisent pas, si vous ne voyez pas qu’ils puissent vous éclairer suffisamment, vous avez la faculté de faire une enquête pour vérifier les points de détail.

D’un autre côté il y a cet immense avantage que ce sera sous la garantie du contrôle de la plus grande publicité que vous déciderez ; que ce sera pas clandestinement et en cachette que vous prendrez une décision.

Ce n’est qu’après avoir bien examiné que l’idée que je vous soumets m’est venue ; je n’ai pas même eu le temps de la rédiger convenablement ; aussi je ne tiens pas à la forme sous laquelle je vous la présente.

M. le président donne lecture de la proposition de M. Van Meenen et ajoute. - Vous voyez, messieurs, que cette proposition est moins un amendement qu’un nouveau projet qui absorbe le projet ministériel. Cette proposition est-elle appuyée ?

- Plusieurs membres se lèvent pour l’affirmative.

M. Rogier. - Messieurs, je croyais qu’après trois jours de débats la discussion serait un peu plus avancée qu’à son début, mais d’après le nouveau projet qu’on vient de lire, loin d’avoir avancé, il est certain que nous avons reculé.

L’honorable M. Van Meenen reconnaît au gouvernement le droit de concéder des péages. C’est ce qu’on avait à peu près généralement reconnu dans cette enceinte, mais on a singulièrement compliqué la question par les amendements proposés et qui tendent à faire intervenir la législature dans l’examen de l’utilité des travaux.

Or admirez maintenant la portée de la proposition de M. Van Meenen ; elle ne tend à rien moins qu’à enlever aux conseils provinciaux et communaux l’une de leurs plus belles prérogatives, le droit de décider quels sont les travaux qu’ils jugent utiles à leurs localités. Bientôt sans doute le temps viendra où ils seront exclusivement juges en cette matière ; d’après la proposition de M. Van Meenen, ils ne le seraient jamais, et ce serait au pouvoir législatif seul, transformé en pouvoir administratif, à les décider. Je ne crois pas, messieurs, que vous vous montriez disposés à sanctionner un pareil système.

Le gouvernement, il est bon qu’on se le rappelle, car la question a été embrouillée et obscurcie par les amendements qu’on a proposés ; le gouvernement, dis-je, est venu demander à la chambre l’autorisation de faire en fait de concessions ce qu’il a toujours fait, ce qu’il faisait encore avant que le droit ne lui fût contesté par quelques membres de cette chambre lors de la discussion du budget et à propos du projet de route d’Anvers à Cologne. Or, est-on fondé à lui contester ce droit ? La question semblait près d’être résolue, et quelques membres, qui s’étaient d’abord montrés disposés à le lui contester, s’étaient pour ainsi dire désistés de cette prétention.

Tel est M. Gendebien, qui par les amendements qu’il propose, ne conteste plus le principe d’une manière absolue, puisqu’il se contente de vouloir restreindre le droit du gouvernement aux seuls travaux nouveaux. Toute la question est donc maintenant de savoir si le gouvernement pourra faire des concessions de péages pour toute espèce de travaux, ou s’il ne le pourra que pour les travaux nouveaux. Réduite à ces termes, la question est fort simple et fort facile à résoudre, et je ne crois pas qu’il soit ni avantageux, ni nécessaire d’en renvoyer la solution à une autre époque. La question n’est devenue si obscure, si compliquée, que par les propositions dont l’ont surchargée quelques honorables membres.

Je viens de dire en quoi elle consistait. Accordera-t-on au gouvernement le droit de concéder des péages pour tous les travaux actuellement existants ? C’est tout ce qu’il s’agit de décider. Quant à moi je suis tellement frappé de l’urgence de la loi et si convaincu du droit du gouvernement à cet égard, que je le déclare, si j’avais eu l’honneur d’être ministre, je n’aurais pas balancé à accorder des concessions sans avoir recours à la législature.

M. Barthélemy. - Ce que vous a dit M. Van Meenen n’est que le développement de ce que je disais tout à l’heure, que les lois existantes étaient suffisantes et en pleine vigueur ; mais je ne m’étais pas attendu, je l’avoue, à ce qu’il contestât la légalité de la loi de mars 1810. Il a cité un avis du conseil d’Etat ; mais cet avis condamne précisément tout son système, car il dit expressément qu’au pouvoir exécutif appartient le droit de juger si les travaux sont ou non d’utilité publique.

Un autre vice de la proposition de l’honorable membre vient de ce que son système enlèverait aux provinces le droit de juger de l’utilité des travaux qu’il leur convient de faire ; elles seraient obligées pour une route provinciale, par exemple, de faire décider par le pouvoir législatif qu’il est de l’intérêt général qu’elle soit faite, tandis que souvent une telle route pourra être fort utile pour la province et être à peu près inutile pour le reste du pays.

Une commune aura un théâtre, une place publique, un marché à faire construire. Qu’importent de tels travaux à l’Etat en général ? Rien ; eh bien, il faudra cependant que la loi décide que ces travaux sont d’utilité publique. Bruxelles voudra un beau marché au poisson par exemple ; il sera nécessaire pour cela d’exproprier toute une rue ; on voudra prolonger la rue de la Régence, faire des boulevards : tous ces travaux ne concernent que la ville de Bruxelles, tout le reste du pays n’y a pas le moindre intérêt ; eh bien, d’après M. van Meenen, il faudrait soumettre tout cela au corps législatif.

Mais, messieurs, c’est vouloir renverser toute l’administration telle qu’elle a existé depuis des siècles. De tout temps, la commune, quand elle a voulu exécuter des travaux, s’est adressée à la province, celle-ci au gouvernement. Il est nécessaire de maintenir cet ordre de choses, de sorte que je ne vois pas la possibilité d’admettre la proposition de l’honorable membre, qui renverserait toutes les lois existantes, et qui est diamétralement opposée au système auquel la France et la Belgique doivent tous leurs travaux.

M. Van Meenen. - Je demande la parole pour répondre à M. Barthélemy et à M. Rogier, qui me paraissent n’avoir nullement compris l’objet de ma proposition. On a dit que j’avais reconnu au gouvernement le droit de concéder des péages ; j’ai dit tout le contraire ; tout ce que j’ai établi et voulu établir, c’est la constitutionnalité de ces droits. J’ai soutenu qu’ils pouvaient s’établir aussi bien en faveur des particuliers qu’au profit des communes, des provinces et de l’Etat, et c’est mon opinion, parce que ces droits n’ont aucun rapport avec les objets qu’ont eus en vue les articles 110 et 113 de la constitution. Mais, je n’ai pas prétendu établir par là que le gouvernement pût concéder des péages, car le droit de péage dépend de la solution d’une autre question, savoir : si les travaux pour lesquels le péage est établi sont des travaux d’utilité publique.

Mais, dit-on, vous allez enlever aux conseils provinciaux et communaux le droit d’établir de nouvelles routes ; mais, messieurs, de quoi donc s’agit-il dans mon projet ? De travaux d’utilité générale pour tout le pays et pour tous les temps, comme les grandes routes, les canaux qui traversent le royaume ou qui vont d’un point important à un autre, et non pas d’objets purement locaux qui doivent rester à la décision des autorités locales. Si on ne trouvait pas que mon projet s’exprimât assez clairement à cet égard, on pourrait y insérer une disposition exceptionnelle pour ces derniers travaux ; quant à moi je n’ai considéré dans mon projet, je le répète, que les travaux utiles dans tous les temps.

On vous a dit que la prérogative du gouvernement n’avait été contestée par personne ; c’est une erreur, je l’ai entendu contester par plusieurs orateurs, et pour ma part je crois avoir prouvé par les articles 11 et 78 de la constitution que cette prérogative ne lui appartenait pas.

M. Barthélemy a dit que l’avis du conseil d’Etat dont j’ai parlé renversait tout mon système ; il en résulte qu’alors que j’ai cité cet avis, l’honorable membre était distrait par autre chose, car je l’ai cité précisément pour vous dire que la législation française était dans un système tout à fait opposé à celui que je propose, et pour vous prouver que nous ne pouvons admettre cette législation, j’ai établi qu’elle était contraire aux articles 11 et 78 de la constitution.

Mais, a dit encore M. Barthélemy, qu’arrivera-t-il si une province veut faire une route, si une ville veut faire construire un théâtre, un marché ? Ce qu’il arrivera ? C’est qu’on fera ces travaux sans avoir recours à la législature, car il n’a aucun trait à des travaux de ce genre, et il ne concerne que des objets d’un intérêt général. Les travaux des communes, des provinces, ne sont pas d’un intérêt général ; ils peuvent s’y lier, avoir avec eux une connexion, mais mon projet ne les concerne en aucune manière. J’y persiste donc de plus fort, et je crois que la chambre doit l’adopter.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je ne vous dissimulerai pas l’embarras que j’éprouve en prenant la parole, car il me serait difficile de savoir ce qui est pour le moment, en discussion. Il y a d’abord en discussion l’article premier du projet ministériel, lequel ne tend qu’à empêcher qu’on ne change le taux du péage pendant la durée de la concession. Il y a ensuite l’amendement de M. Gendebien, consistant en deux articles qui ne touchent pas à l’article premier du projet de M. le ministre. Ces articles distinguent deux espèces de concessions ; les unes qui peuvent être faites par le gouvernement, les autres qui ne peuvent être faites qu’en vertu d’une loi. Il y a ici enfin un nouveau projet de M. Van Meenen qui est tout différent et du projet ministériel et des amendements.

Avec tout cela, sur quoi discutons-nous ? Nous sommes rentrés dans la discussion générale, à ce qu’il paraît, et en effet elle est ouverte, puisque M. Van Meenen et M. Rogier y sont évidemment rentrés. S’il en est ainsi, je le veux bien, et j’y rentrerai aussi de mon côté. Si ce n’est pas cela, je prierai le bureau de nous dire sur quoi nous discutons.

M. le président. - La discussion était ouverte sur l’article premier projet et sur les amendements de M. Gendebien. Jusque-là c’était bien la discussion telle qu’elle devait être. Mais est arrivée tout à coup la proposition de l’honorable M. Van Meenen, qui absorbe et le projet et les amendements ; et en cela, si sa proposition pouvait être adoptée, il aurait rendu un grand service à la chambre. (Hilarité). C’est pour cela que je proposerai de la mettre aux voix, et ensuite on reviendrait à l’article premier et aux amendements si elle était rejetée. La chambre veut-elle discuter dans cet ordre ? (Oui ! oui !)

M. H. de Brouckere. - Veuillez relire la proposition de M. Van Meenen.

M. le président. en donne une nouvelle lecture.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, ce projet renverse complétement celui de M. le ministre de l’intérieur. D’après le projet ministériel, toutes les concessions, excepté les concessions à perpétuité, pourraient être faites par le gouvernement ; d’après la proposition de M. Van Meenen, au contraire, aucune concession ne pourrait être faite qu’en vertu de la loi : c’est assez vous dire que, quant à moi, j’appuierai la proposition de M. Van Meenen, puisqu’elle rentre dans ma manière de voir et puisque j’ai soutenu que le gouvernement ne pouvait avoir le droit exorbitant de concéder des péages. Un honorable membre réduit la question à ces termes : « Le gouvernement peut-il concessionner des péages pour toute espèce de travaux ? » Eh bien, non, il ne le peut pas, lui répondrai-je, et pour le prouver je vous demanderai la permission de vous lire les articles 1 et 2 du décret du congrès relatif au mode de perception de la taxe de barrières.

« Art. 1er. Le droit de barrière ne sera perçu qu’aux endroits déterminés par le tableau joint au présent décret. »

« Art. 2. Le lieu de perception sera indiqué par un poteau éclairé depuis le coucher jusqu’au lever du soleil. »

Si maintenant nous reconnaissons par une loi, au gouvernement, le droit de faire toute espèce de concessions, qu’arrivera-t-il ? C’est que, par là même, vous lui reconnaissez deux droits : le premier, d’autoriser toutes les expropriations nécessitées par des travaux d’utilité publique ; le second, d’autoriser l’établissement d’autant de barrières que bon lui semblera, et d’élever le taux du péage comme il l’entendra.

Veuillez maintenant jeter les yeux sur l’article 3 de la loi du 8 mars dernier : « La taxe des barrières établies en vertu des actes de concession, sur les routes construites par des compagnies, sera perçue conformément à ces actes.

« Les dispositions du décret spécial réglant le mode de perception, et celles du cahier des charges y joint, sont applicables à cette taxe, sauf les modifications résultant desdits actes de concession. »

Que résulte-t-il de là ? C’est que d’un côté vous refusez au gouvernement le droit de déplacer les barrières, et celui d’en augmenter ou d’en diminuer le nombre même quand elles sont établies à son profit. Et vous voudriez par une loi lui accorder le pouvoir de concéder à d’autres un droit qu’il n’a pas pour lui-même ? Cela ne peut pas être. Et remarquez bien que la perception de la taxe de barrières au profit des particuliers est environnée d’autant de garanties que celle qui est établie au profit du gouvernement ; il me paraît donc qu’il y aurait l’inconséquence la plus grande à ne pas exiger pour l’un ce que l’on exige pour l’autre ; car peu importe à celui qui paie le droit de barrière la caisse dans laquelle va son argent, et que ce soit dans celle du gouvernement plutôt que dans celle d’un particulier. Les garanties pour l’un comme pour l’autre sont les mêmes ; par conséquent, si pour le premier cas il faut un acte législatif, il en faut un aussi pour le second.

Mais, dit-on, la banque vient d’établir une route, elle établira des barrières, elle exigera les droits qu’elle voudra. Oui ; mais pourquoi ? C’est que la banque a établi une route sur son propre terrain ; elle a cru qu’elle n’avait pas besoin de s’entourer des garanties que l’on accorde à tout concessionnaire. Ainsi, par exemple : « Défenses sont faites, d’après la loi, de diminuer le nombre des chevaux des attelages à une distance moindre de 500 mètres de la barrière, pour les atteler de nouveau, après l’avoir dépassée ; de quitter la route à une distance du poteau au-dessous de 500 mètres, pour la reprendre après, et d’éluder les clauses d’un arrangement établi ; enfin de frauder le paiement du droit légalement établi. »

Telles sont les dispositions de la loi du 6 mars 1831, et l’article 12 de la même loi ajoute :

« Toute contravention à l’article 11 sera punie d’une amende à 30 fois le droit exigible, sans préjudice du paiement du droit. »

Messieurs, la banque a cru qu’elle n’avait pas besoin de toutes ces garanties, de manière que, malgré la défense contenue dans les articles que je viens de lire, les chevaux pourraient être dételés et attelés de nouveau à la distance fixée en l’article 11 : on pourrait frauder le paiement du droit que la banque n’aurait pas à se plaindre de ce fait, puisqu’elle pas eu de concession et qu’elle n’a pas cru avoir besoin de toutes ces garanties.

Mais, messieurs, croyez-vous que personne consentît à devenir concessionnaire d’un péage sans les garanties stipulées dans la loi ? Non, sans doute. Il n’y a donc pas d’analogie entre le cas d’une route établie par un particulier sur sa propriété, sans les garanties de la loi, et le cas d’une concession qui a nécessité des expropriations et qui donne au concessionnaire la garantie non pas d’intenter une action civile, mais de poursuivre correctionnellement les fraudeurs du droit de péage et de leur faire appliquer une peine par le juge.

D’après ces considérations, je déclare que je voterai pour la proposition de M. Van Meenen, non pas que je la trouve bonne sous tous les rapports, mais parce qu’elle rentre dans mes principes.

Je terminerai en exprimant le regret que, malgré la proposition qui fut faite hier de renvoyer tous les amendements à une commission, on ait cru devoir continuer une discussion qui a dégénéré en une véritable confusion, et de laquelle il ne sortira certainement qu’une mauvaise loi.

M. Goethals. - Puisqu’il paraît que la discussion roule sur la proposition de M. Van Meenen, je dirai aussi que je l’appuie et que je l’approuve en principe ; mais je dirai cependant que je la trouve défectueuse en ce qu’elle enlève aux provinces et aux communes les prérogatives dont elles jouissent et dont elles doivent, à mon avis, continuer de jouir : c’est pour faire disparaître ce défaut que, si M. Van Meenen veut y consentir, je proposerai un amendement consistant à faire un article 2 de l’article 4 du nouveau projet de M. le ministre, en sorte que cet article 2 serait ainsi conçu : « Néanmoins les péages pour l’exécution des travaux publics entrepris par les autorités communales et provinciales dans l’étendue de leurs territoires, sont autorisés par le Roi. »

Je pense qu’en admettant cet article comme article 2, il serait possible d’adopter le projet de l’honorable M. Van Meenen pour remplacer le projet ministériel.

M. Van Meenen. - Je déclare qu’en principe j’adopte la proposition de l’honorable préopinant.

M. Milcamps. - Il ne me paraît pas possible de penser, messieurs, qu’on puisse admettre la proposition de l’honorable M. Van Meenen ; car aux inconvénients énumérés déjà contre ce projet, j’en ajouterai un qui prouvera de la manière la plus complète qu’il est impossible d’interpréter l’article 6 de la constitution comme on l’a fait sans renverser tous les dispositions qui régissent la grande et la petite voierie.

Par exemple, lorsqu’il s’agira d’une rue, un individu voudra reconstruire sa maison, et l’administration communale intervenant lui dira qu’il faut qu’il recule sa maison d’un pouce. Voyons d’abord, répondra le propriétaire de la maison, si l’utilité publique exige que ma maison soit reculée, et il faudra qu’on s’adresse au pouvoir législatif pour décider la question. On sent très bien, messieurs, qu’une pareille conséquence ne peut être tirée de l’article 6 de la constitution.

Je répondrai maintenant au reproche d’inconstitutionnalité articulé par l’honorable M. de Brouckere. Il met sur la même ligne les péages au profit des particuliers pour des ouvrages d’utilité publique et les péages établis au profit de l’Etat ; il y a cependant une grande différence entre ces deux sortes de péages, car ces derniers sont de véritables impôts et rentrent dans les articles 110 et 113 de la constitution.

Voici comment je pense que l’article 113 doit être entendu : s’agit-il de centimes additionnels qui se perçoivent au profit des communes pour faire face à des dépenses communales, aux termes de l’article 113 ces centimes additionnels ne peuvent être perçus qu’à titre d’impôt ; mais l’article dit : « Hors les cas formellement exceptés par la loi, aucune rétribution ne peut être exigée, etc. » Il y a donc des cas où une rétribution peut être exigée à un autre titre qu’à titre d’impôt. Ces cas, les voici : s’agit-il de permettre à une commune d’établir un octroi, des taxes municipales, il suffira pour cela d’une loi ordinaire qui, comme le permet l’article 113, établira une exception au cas qu’il prévoit. Lors donc que l’on établira une rétribution au profit d’une commune ou d’une province, on devra voter annuellement la rétribution ; dans les autres cas il faudra une loi extraordinaire, comme pour l’établissement d’un octroi ou d’autres taxes municipales. L’article 113 ne parle que de rétributions au profit de l’Etat, des provinces et des communes ; il ne dit rien de celles établies au profit des particuliers ; ce n’est que par analogie qu’on a voulu l’étendre à ces derniers, et l’on sent qu’ici l’analogie ne peut pas être admise.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, à l’occasion de l’article premier du projet que j’ai eu l’honneur de vous présenter, on vient vous proposer non pas un amendement, mais un projet tout différent, et qui est totalement contraire aux lois exécutées jusqu’ici. Pour s’en convaincre, il suffit de voir les dispositions du code civil en matière d’expropriation pour cause d’utilité publique, et celles des lois postérieures au code qui toutes ont décidé uniformément que le droit appartenait au pouvoir exécutif de décider quand il y avait utilité publique.

On a voulu distinguer l’utilité publique des travaux faits par les provinces et communes de celle des travaux faits par l’Etat. Cette distinction n’est pas autorisée par le code civil ; ses dispositions ont été maintenues par la constitution qui donne au chef de l’Etat le pouvoir administratif, puisqu’elle lui donne celui de faire les règlements d’administration publique (article 67).

Il est donc démontré que le droit de concession est parfaitement constitutionnel. Il est démontré d’autre part que la proposition de M. Van Meenen n’a aucun rapport avec la véritable question en discussion, an point qu’il y a lieu de la repousser par la question préalable, et j’en fais la proposition formelle.

M. d’Elhoungne. - Messieurs, lorsque j’ai pris la parole au commencement de cette discussion laborieuse, j’ai été le premier à rendre hommage aux intentions du gouvernement et à la louable sollicitude qu’il avait montrée en soumettant à la législature une question de cette importance ; mais en même temps je faisais remarquer que le projet avait été conçu avec tant de légèreté, qu’il était si défectueux et pouvait donner lieu à tant d’intrigues, que je proposai d’ajourner sa discussion à une autre époque et jusqu’à ce que chacun de nous eût eu le temps de le méditer et de se former une idée sur la matière ; car jusqu’ici, messieurs, j’ose le dire, je pense qu’aucun de nous n’a des idées arrêtées sur ce sujet, et si vous en voulez une preuve, il me suffirait de vous signaler les amendements présentés par M. le ministre de l’intérieur lui-même, qui renversent de fond en comble le projet qu’il avait d’abord présenté.

Plus nous avançons dans la discussion, plus la discussion s’embrouille. Il me semble qu’il serait de la dignité de la chambre de sortir de cet imbroglio, et pour cela, je le déclare franchement, nous n’avons d’autre parti à prendre que celui qui fut proposé dès le début par l’honorable M. H. de Brouckere, d’ajourner la discussion à un autre temps.

D’ailleurs, messieurs, je dois vous le dire, depuis deux jours des députations de diverses provinces de la Belgique sont venues chez moi simple député, qui n’ai aucune relation avec elles, pour me signaler ce projet comme le plus désastreux qu’on pût imaginer, et comme le point de mire d’une foule d’intrigants, qui n’attendent l’adoption de la loi que pour l’exploiter. J’ai été chargé par eux, et je me suis acquitté hier de ce mandat, de remettre sur le bureau une pétition, signée par un grand nombre d’habitants respectables de Charleroi, dans laquelle ces intrigues sont signalées ; quand le moment sera venu, je demanderai que lecture soit faite de cette pétition, et vous verrez si les faits qui y sont énumérés ne sont pas assez graves pour vous donner à réfléchir.

L’un de ceux qui ont signé la pétition, m’a remis en outre une note que je demanderai à la chambre la permission de lire ; on y verra d’où viennent toutes ces intrigues, et j’y ajouterai, s’il le faut, quelques développements pour pousser la démonstration aussi loin que possible. Voici comment s’exprime cette note :

« En donnant au gouvernement, c’est-à-dire, au ministre de l’intérieur le droit d’exercer, selon son bon plaisir et sans contrôle, un pouvoir exorbitant, celui de disposer à son gré de la fortune publique et de l’héritage des particuliers, on ouvre la porte à l’intrigue, à la cabale et à l’arbitraire le plus révoltant.

« En effet, le ministre et le gouvernement lui-même seront presque toujours forcés à s’en rapporter entièrement à l’avis des officiers des ponts et chaussées, et dès lors voilà l’avenir de tout un pays, le droit sacré de propriété à la merci d’employés subalternes, et l’on sait avec quelle opiniâtreté ces messieurs soutiennent presque toujours les projets qu’ils ont enfantés ; leur amour-propre compromis leur fait perdre souvent de vue et l’équité et l’avantage général.

« Un exemple récent expliquera mieux ma pensée. Un ingénieur des ponts et chaussées imagina naguère des embranchements partant du canal de Charleroi à Bruxelles, vers les charbonnages de Houdeng, Marimont et Bascoup. L’exécution de ce projet doit anéantir entièrement toute la série de charbonnages du bassin de Charleroi ; aussi ceux-ci y formèrent opposition, et une chose bien remarquable, c’est que les charbonnages de Bascoup et de Marimont repoussèrent le bienfait dont on voulait prétendument les gratifier, en joignant leur opposition à celle de Charleroy.

« L’ingénieur ne se contenta pas de défendre, dans une réunion qui eut lieu à Mons, son projet sous les rapports de l’art, mais il défendit, nous dirons avec impudeur, les intérêts privés des charbonnages de Houndeng ; et sa conduite nous autorise à croire qu’il employa près du ministère tous les moyens qui sont en son pouvoir pour faire admettre son projet.

« L’ingénieur se retira, messieurs, au moment où on allait émettre les votes, et il s’est vanté depuis de vaincre tôt où tard la résistance des citoyens que le projet menace de ruine.

« Pour se faire une idée de la facilité avec laquelle les officiers des ponts et chaussées pourront tromper la religion du ministre lui-même, il suffit de savoir que dans toute espèce d’enquête qui eut lieu pour le projet d’embranchement dont il vient d’être parlé, l’ingénieur ne présenta qu’un plan informe de son projet, sans même y joindre un mémoire explicatif, en sorte qu’il aurait pu après coup le changer à son gré et lui donnes toute l’extension qui eût convenu, à lui ou à ses protégés, les charbonnages de Houdeng.

« Eh bien ! que les chambres abandonnent maintenant leur droit d’enquête et laisse au pouvoir le droit de concéder les nouveaux moyens de communication, il n’y a aucun doute que le projet de cet ingénieur ne soit admis avec toutes ses conséquences funestes. Obsédant sans cesse et le ministre et ses bureaux, ayant connaissances de toutes les oppositions, il abusera de la facilité qu’il a d’approcher le pouvoir, pour les combattre par des moyens qui, restant inconnus des charbonnages opposants, ne pourront être réfutés, et il obtiendra, sans importunité, l’adoption de son projet désastreux.

« A l’effet de se procurer une communication avantageuse, la concession d’une route ou d’un canal, un établissement important, un entrepreneur feront avec plaisir le sacrifice de 50 à 100 mille francs et avec un tel levier on sait vaincre bien des obstacles, et cet argument irrésistible n’a qu’un seul écueil à éviter, c’est la discussion des chambres ; la publicité en amortit toute l’action, et l’on voudrait que les représentants de la nation brisassent eux-mêmes la seule barrière qui arrête l’intrigue et la cabale !

« Les questions de nouvelles communications sont plus importantes qu’on ne pense ; l’utilité que peut en recevoir un pays dépend presque toujours de la manière dont elles sont traitées ; la prospérité du pays peut même en dépendre ; et après cela on voudrait que les représentants de la nation sanctionnassent un projet qui même, admis transitoirement, peut faire surgir une masse du marché Hambrouk, qui pèseraient pendant 90 ans, de tout leur poids, sur la malheureuse Belgique ! »

Remarquez-le bien, messieurs, la moindre concession pourra peser sur trois générations successives.

« Et ce qu’il y aura de plus honteux dans tout cela, c’est que sous prétexte d’utilité publique, on aura exproprié les citoyens pour satisfaire l’amour-propre d’un agent du pouvoir, une intrigue ou un intérêt purement privé. On ne peut, lorsqu’il s’agit de contraindre un citoyen à abandonner sa propriété, y mettre trop de solennité. « En s’accoutumant à jouer avec la propriété, disait Napoléon, on la viole ; il en résulte des abus révoltants qui mécontentent l’opinion publique. » Les représentants de la nation sauront éviter cet écueil.

« Imitant les Anglais, nos aînés en législation constitutionnelle, en commerce et en industrie, n’abandonnons point le droit précieux d’enquête, et ne laissons pas au gouvernement le moyen d’arriver, sans qu’il y paraisse, à l’erreur, à l’arbitraire, et à toutes leurs suites.

« La confiance dans le ministère actuel ne peut être un motif pour admettre le projet même temporairement ; les lois restent et les ministres changent. »

On a souvent insisté sur la circonstance que différentes demandes en concessions étaient déjà formées : raison de plus d’être circonspects, messieurs. Car une chose me frappe ; c’est de voir, quand tant de demandes sont faites dans un moment si peu opportun, que le ministre ne nous fasse connaître aucune de ces demandes, et il est fort à craindre qu’à son insu il ne soit l’instrument des intrigues de gens qui veulent profiter de la loi.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, je ne suis pas étonné qu’une députation se soit adressée à un membre de cette chambre pour empêcher l’adoption du projet. Les intérêts que cette députation représente s’opposent à l’établissement de l’embranchement du canal de Charleroi, parce que ce canal amènerait nécessairement une baisse sur leurs charbons en établissant une concurrence là où elle n’existe pas en ce moment. La demande de cet embranchement de canal fait encore l’objet d’une enquête. Les parties ont été entendues de part et d’autre. Des commissions ont été nommées : la première n’a pas cru devoir prendre des conclusions, et s’il faut prouver la sollicitude du gouvernement et sa circonspection à n’accorder des concessions qu’avec connaissance de cause, il me suffira de vous rappeler les formalités dont je vous ai fait hier l’énumération et qu’il se propose de mettre à exécution.

On a dit que le gouvernement pourra être surpris. C’est possible ; mais la législature elle-même peut l’être. Je vous rappellerai que le congrès lui-même l’a bien été lorsqu’il crut devoir abaisser les droits sur les charbons ; vous savez combien de réclamations s’élevèrent à la suite de cette décision. Eh bien ! le congrès a été surpris, il fallait abolir le congrès. L’administration peut se tromper, il faut abolir l’administration. Ce n’est pas ainsi, messieurs, que l’on peut raisonner. L’administration fera tout ce qu’il faudra pour ne pas être surprise.

Messieurs, cette discussion prouve que si vous attiriez à vous la connaissance de toutes les demandes de concessions, vous perdriez tout votre temps à débattre des intérêts particuliers ; et qu’on ne pense pas que ces discussions fussent courtes : elles absorberaient au contraire les jours et les semaines, et ce serait à la fin pour décider sans connaissance de cause. En effet quelques membres qui auraient fouillé dans les dossiers sauraient de quoi il s’agit, tous les autres l’ignoreraient ou à peu près, et cependant ils seraient obligés de prononcer ; on sent qu’ils le feraient sans responsabilité aucune.

Je crois prudent de laisser cette responsabilité à l’administration ; car il est un danger grave et qu’il est nécessaire de signaler au moment où nous devons penser à faire plusieurs lois organiques. c’est qu’à force de concevoir des soupçons contre l’administration et de se précautionner contre elle, il est à craindre qu’on ne finisse par rendre toute administration impossible.

Je crois, messieurs, avoir répondu par ce peu de mots aux observations de l’honorable M. d'Elhoungne ; et quant à la proposition de M. Van Meenen, j’ai déjà prouvé et je réitère la demande qu’elle soit écartée par la question préalable.

M. H. de Brouckere. - Messieurs, je ne sais quel est l’intérêt de la députation dont on a parlé à s’opposer à l’adoption de la loi, mais je puis affirmer que toutes les personnes avec qui j’ai parlé du projet actuel ont été unanimes pour le réprouver ; et parmi ces personnes il y en avait de fort instruites et surtout de complètement désintéressées dans la question.

Au reste, d’après les observations qui sont faites, je m’étonne que M. le ministre de l’intérieur ne consente pas à faire passer au creuset son projet de loi. C’est ce qu’il a à faire de plus convenable. S’il craint de le faire remanier par une commission nommée par la chambre ou par le bureau, qu’il le retire ; qu’il s’entoure de nouveau des lumières des gens qui s’y connaissent, et qu’après avoir bien mûri, bien réfléchi un nouveau projet, il vienne le présenter. Ce n’est que par ce moyen que nous pourrons avoir une bonne loi, tandis que si nous persistons à discuter celle-ci, nous nous débattrons vainement dans une complète confusion, et il est impossible qu’il sorte de la discussion autre chose qu’un mauvais projet.

M. le ministre de l'intérieur demande la question préalable sur la proposition de M. Van Meenen, et il se fonde sur ce que le projet n’a rien de relatif à l’expropriation pour cause d’utilité publique ; et, dit-il, d’après les lois françaises, c’est au gouvernement à déclarer l’utilité publique. Mais, messieurs, il faut se rappeler que la loi du 8 mars 1810 a été faite par un gouvernement despotique, et je doute fort qu’elle soit bien en analogie avec nos nouvelles institutions. Il est clair que le projet ministériel confirmerait toute la loi de 1810 s’il était adopté, c’est-à-dire que le gouvernement aurait le droit de faire des concessions de toute sorte de péages.

Quant à ce qu’a dit M. Milcamps, on peut le résumer en ceci : c’est qu’il fait une distinction entre les péages établis au profit de l’Etat et ceux établis en faveur des particuliers : les uns constituent un impôt et non les autres. J’ai déjà dit que cela importait peu, et qu’il importait peu surtout à celui qui payait le droit de savoir où irait son argent. L’honorable membre a aussi parlé de lois ordinaires et de lois extraordinaires. Je ne connais pas une pareille distinction. Je sais bien que par lois ordinaires l’honorable membre a entendu parler du budget, mais son raisonnement ne détruit en rien ce que j’ai dit et démontré, que les mêmes garanties étant données aux particuliers concessionnaires qu’à l’Etat pour le paiement des péages, il fallait qu’une loi autorisât la perception pour l’un comme pour les autres.

L’honorable M. d'Elhoungne a dit que la raison pour laquelle on craignait l’adoption du projet de loi, c’est qu’il laisserait le monopole des routes et des canaux au corps des ponts et chaussées ; rien n’est plus légitime que cette crainte, et j’en vois la preuve dans l’article 2 du projet d’arrêté qu’on nous a lu hier. Voici comment s’exprime cet article :

« Art. 2. Le conseil des ponts et chaussées, lorsqu’il sera réuni, ou, à défaut de ce conseil, une commission d’ingénieurs, émettra son avis sur la possibilité d’exécution du projet.

« L’auteur de la proposition sera entendu par le conseil ou la commission ; il donnera les renseignements qu’il jugera utiles et répondra aux observations qui lui seront faites.

« Le conseil ou la commission fera un rapport sur l’ensemble, indiquera en masse les dépenses nécessaires à la mise à exécution et prendra ses conclusions : si elles tendent au rejet de la proposition, le rapport sera communiqué à l’auteur du projet avec la décision ministérielle. »

Le conseil est composé d’ingénieurs : si ce conseil trouve qu’il n’est pas possible d’exécuter le projet, ou plutôt s’il ne lui plaît pas qu’il soit exécuté, il fera un rapport, et que restera-t-il l’auteur ? Rien qu’un rapport du ministre de l’intérieur qui l’aura condamné en dernier ressort, et contre la décision duquel il n’y aura pas moyen de se pourvoir. Vous voyez, messieurs, que tout est dans les mains du corps des ponts et chaussées, et qu’il fera du projet tout ce qu’il voudra.

Je persiste à demander l’ajournement de la loi ou le renvoi de tous les amendements à une commission.

M. Dumortier. - Messieurs, vous aurez tous remarqué comme moi qu’il plane sur cette discussion une confusion extrême. Cette confusion provient de ce que deux systèmes entièrement différents sont en présence.

D’abord vous avez le projet du ministre qui ne demande qu’une mesure provisoire et temporaire pour faire des concessions de péages ; à ce système se rattachent mon amendement, celui de M. Mary et celui de M. Dellafaille. Un autre système est celui de M. Gendebien ; par lui nous aurions une loi définitive : à ce système se rattache la proposition de l’honorable M. Van Meenen. Voilà deux systèmes contraires en présence, voilà la seule et véritable cause de la confusion qui empêche la discussion de faire un pas.

Pour sortir d’embarras, je voudrais d’abord que la chambre se décidât entre les deux systèmes. Le projet du ministre n’est que transitoire, mais il demande que nous accordions au gouvernement un pouvoir exorbitant. L’amendement de M. Mary a pour but de limiter la durée de la loi. Celui de M. Dellafaille veut enlever au gouvernement le droit de faire des concessions pour travaux de canalisation. Le mien bornerait les concessions de péages à accorder par le gouvernement aux routes provinciales et communales ; voilà trois systèmes dans un : on peut les voter l’un après l’autre, et il y a ainsi possibilité de faire une loi passable. S’ils sont tous rejetés, il n’y aura pas de loi, le ministre n’aura rien.

Si vous préférez le système de MM. Gendebien et Van Meenen, renvoyez leurs propositions à la commission pour qu’elle les mûrisse et nous propose un projet de loi : c’est le seul moyen de faire quelque chose de bon ; sans cela, nous trouvant à la fin de la session, nous ferons à la hâte une loi absurde et ridicule.

Ce qui m’a particulièrement dirigé dans l’amendement que j’ai proposé, c’est le grand danger d’accorder au gouvernement le droit de faire toute espèce de concessions. Pour prouver ce danger, ma tâche a été rendue facile, grâce à ce que vient de vous dire l’honorable M. d'Elhoungne, en vous parlant du canal de Marimont. Je faisais partie des états provinciaux du Hainaut, avec l’honorable M. Pirmez, quand ce projet fut proposé. Il y avait dans le conseil des personnes propriétaires de charbonnages, et qui eussent été intéressées à l’érection du canal ; eh bien, messieurs, le projet fut jugé tellement dangereux qu’il fut rejeté tout d’une voix, malgré les efforts du gouverneur de la province, qui fit tout ce qui dépendait de lui pour le faire adopter.

Voulez-vous un exemple du danger d’accorder au gouvernement le pouvoir de concéder des travaux de canalisation ? Je ne parlerai pas de la canalisation de la Sambre ; tout le monde sait quels en ont été les funestes résultats. Je ne vous parlerai pas non plus du canal de Terneuze, qui cependant a ruiné d’immenses propriétés dans les Flandres. Je vous citerai un autre fait : L’honorable M. Barthélemy vous a dit qu’on demandait à grands cris la canalisation de l’Escaut. Si de grands cris s’élèvent à propos de cette canalisation, je dirai à l’honorable membre que c’est pour la repousser. Les terrains les plus précieux et les plus productifs de toutes les parties du royaume, ce sont sans contredit les prairies qui longent l’Escaut depuis Tournay jusqu’à Gand. Il n’est pas de produit plus riche que les foins qu’on y récolte, c’est une véritable mine d’or. Il a été démontré, à mon avis, car je conçois qu’il puisse y avoir des opinions différentes de la mienne, il a été démontré que la canalisation de l’Escaut compromettrait ces prairies et les ruinerait ; c’est pour cela qu’on ne veut pas de cette canalisation.

Mais, dit-on, on accordera une indemnité aux propriétaires. Une indemnité ? Mais d’abord est-il possible de les indemniser comme ils devraient l’être ? D’ailleurs, quand vous pourriez les indemniser, ne privez-vous pas le pays d’un riche produit qui lui est assuré ? Au reste, pourquoi canaliser l’Escaut, qui ne tarit jamais, sur lequel peuvent naviguer des bateaux chargés deux ou trois fois autant que des bricks de mer ? Vous voyez, messieurs, le danger qu’il y aurait à accorder au gouvernement le droit de canalisation.

On vous l’a dit avec raison, le corps du waterstaat est un corps compact : ce qu’il n’obtiendra pas aujourd’hui d’un ministre, il l’obtiendra plus tard de son successeur, car vous savez qu’il est de l’essence du gouvernement représentatif de voir se succéder les ministères. Il faut donc limiter le pouvoir du gouvernement sous ce rapport, afin de n’avoir pas à gémir sur l’abus qu’il en pourrait faire, même à son insu. Si vous voulez qu’il ne puisse faire de concessions que pour les routes provinciales et communales, adoptez mon amendement. Si vous voulez ne réserver à la loi que les concessions de canalisation, adoptez l’amendement de M. Dellafaille ; si vous voulez qu’il puisse faire toute espèce de concessions, adoptez le projet du ministre ; et si vous voulez que la loi ne soit que temporaire, adoptez l’amendement de M. Mary. En procédant ainsi, vous pourrez parvenir à avoir une loi passable. Mais si vous voulez continuer de discuter et le projet et nos amendements, et le système de MM. Gendebien ou Van Meenen, il est impossible que nous arrivions à quelque chose de bon.

M. Poschet. - M. le ministre a déjà donné les explications que je me proposais de donner à propos de l’embranchement projeté du canal de Charleroi ; je n’ajouterai qu’un mot, c’est que M. d'Elhoungne a fort mal choisi son exemple, car jamais le gouvernement n’avait pris autant de précautions que pour ce canal : il a refusé de prendre aucune décision jusqu’ici, et je l’engage à ne pas en prendre légèrement, car sans cela il compromettrait de graves intérêts.

M. d’Elhoungne. - M. le ministre a dit qu’on prendrait les plus grandes précautions avant de faire aucune concession, et je le crois ; les arrêtés dont il nous a donné hier connaissance prouvent sa bonne volonté à cet égard.

Mais quelle garantie trouve-t-on dans un arrêté ? Aucune. Aujourd’hui on prend un arrêté, demain on le révoque, et que reste-t-il ? L’arbitraire. D’ailleurs à qui l’exécution en est-elle confiée ? à des fonctionnaires amovibles. Messieurs, ce n’est pas avec aussi peu de garanties que je consentirais à livrer la fortune de mes concitoyens.

Je déclare en conscience que je suis encore dans l’incertitude par rapport aux questions que soulève le projet, et, et cependant je suis peut-être celui qui applaudit le plus sincèrement à la sollicitude du gouvernement ; je suis un de ceux qui dans cette chambre sont peut-être les plus sincères partisans des concessions ; mais je veux les garantir contre l’arbitraire et l’intrigue, et à cet effet je veux prendre mes précautions.

On vous a dit que si l’instruction se faisait devant les chambres, ce serait une mer à boire : qu’on n’en verrait ni la fin, ni le résultat ; je crois que c’est une erreur. Mais du reste il n’est pas question de cela. Qu’on nous présente un projet mûri et réfléchi, et nous verrons ce que nous aurons à faire ; d’ailleurs le système que l’on redoute si fort est suivi depuis longtemps en Angleterre, et une brochure toute récente nous apprend que dans l’espace de 30 ans on a fait dans ce pays pour 10 milliards de routes ou de canaux. Je vous demande, messieurs, si un système qui dans un aussi court espace de temps a permis de réaliser des travaux pour une somme aussi énorme, est aussi hérissé de difficultés qu’on s’efforce de nous le faire croire ?

M. Gendebien. - Je crois que nous avons la conviction qu’il n’y a pas moyen d’arriver à un résultat en discutant, je ne dirai pas le projet, mais les quelques lignes que le ministre nous a présentées.

Si nous arrivons à un résultat, il sera désastreux pour le pays. Je déclare retirer mon amendement ; je ne veux pas participer à la rédaction d’un projet aussi informe, et je déclare que je ne prendrai plus part aux discussions ; je ne resterai à mon poste que pour déposer un vote négatif.

M. Mary. - Je me félicite de m’être hier opposé à l’ajournement de la délibération sur la loi. Nous sommes placés entre deux dangers : nous avons à craindre d’être sans loi, et nous avons à craindre l’inconvénient d’une loi temporaire ; mais au moins avec une telle loi le pouvoir aura une action. Depuis deux ans l’industrie demande des communications. J’admettrai donc volontiers une loi transitoire ; je ne puis admettre la proposition de M. Van Meenen, car je ne puis en concevoir toute la portée.

A la veille d’une clôture il nous faut une loi transitoire. Il nous faudra sortir du système que nous avons, et voir si dans le système anglais nous ne trouverons pas quelque chose de mieux que dans la législation française.

Maintenant, que demande le gouvernement ? Il demande d’être à même de faire ce qui s’est fait depuis 25 ans ; car depuis 25 ans le gouvernement a droit de concéder. On ne nous le demande pas d’une manière définitive, mais d’une manière momentanée.

Je crois que la proposition peut être adoptée ; le moment n’est pas venu de l’examiner dans tous ses détails.

M. Barthélemy. - Je me rallie à l’avis de M. Van Meenen : on jette des cris en faveur de l’industrie ; on dit que depuis deux ans elle est enterrée ; l’industrie, malgré l’imperfection des lois, n’en marche pas moins ; elle prospère. Pour le moindre petit travail entrepris on jette de hauts cris ; on dit que, s’ils sont exécutés, l’industrie est perdue ; ces travaux sont-ils terminés, tout le monde va les admirer. J’ai vu, relativement à des travaux à faire, la régence de la ville de Bruxelles ne pas comprendre que ce fût un avantage d’avoir les charbons à deux florins de moins.

- Plusieurs membres. -Nous ne pouvons pas délibérer, la chambre n’est pas en nombre suffisant ; nous ne sommes que 45.

M. Barthélemy. - On fait ici l’histoire d’une intrigue : je connais la probité de l’ingénieur ; les réclamations sont faites par des gens qui ne sont contents de rien. Si j’avais le temps, je vous ferais l’historique de toutes les intrigues qui ont été ourdies pour empêcher l’exécution d’un travail utile.

Toutes les entreprises sont ruineuses pour les entrepreneurs ; les entreprises sur la Sambre, à Maestricht, à Charleroi, n’ont pas été productives ; il n’y a que celle du canal d’Antoing qui ait fait prospérer son auteur, et cela tient à un hasard, à un droit établi par la France, et qui fait que pour gagnes 120 florins on se jette du côté de Charleroi. Ainsi par un accident imprévu l’entrepreneur a pu faire un bénéfice. Le gouvernement a racheté le canal, et ii a réduit les droits à 5 pour cent.

M. le président. - M. Dumortier propose d’ajourner à six mois les amendements de MM. Gendebien et Van Meenen.

M. Gendebien. - Et moi je réunis mes amendements à ceux de M. Dumortier. (On rit.) (La clôture ! la clôture ! la clôture !)

M. Van Meenen. - Je demande la parole contre la clôture.

Une loi provisoire est demandée par M. Mary ; mais les lois provisoires sont perpétuelles comme les autres : j’adopterais le mezzo termine de M. Mary, si l’on disait : La loi ne sera exécutoire que tant de temps.

Quant à M. Barthélemy, qui vous dit qu’il y aura inconvénient de s’emparer de l’administration, par mon amendement on ne s’emparera pas de l’administration ; l’utilité sera établie par l’administration, et vous jugerez si l’administration a bien jugé. Il ne doit être accordé au gouvernement que l’exécution des lois.

- La chambre ferme la discussion.

M. le président. - Je vais mettre aux voix l’amendement de M. Van Meenen, avec le sous-amendement de M. Goethals.

M. Dumortier. - Je crois qu’il faut mettre aux voix ma proposition d’ajourner les amendements.

- La proposition de M. Dumortier est mise aux voix. Une première épreuve est douteuse.

M. Legrelle. - On n’a jamais mis aux voix l’ajournement d’un amendement ; je conçois que l’on ajourne une proposition, mais je ne puis concevoir qu’il en soit ainsi pour l’amendement ; le règlement s’y oppose formellement. Il autorise l’ajournement des propositions et non des amendements.

M. Dumortier. - Il existe deux systèmes en présence et absolument différents l’un de l’autre. Les propositions de M. Van Meenen et de M. de Theux sont des projets de loi nouveaux et ne sont pas des amendements. Je crois qu’il faut réviser la législation ; mais si vous ne séparez pas les deux systèmes, vous ne pourrez pas voter. M. Gendebien l’a bien compris, puisqu’il a retiré son amendement. Si vous voulez adopter le système d’un ministre avec les amendements qui s’y rattachent, j’y consens ; mais mettez de côté les systèmes différents.

M. le président. - La chambre avait reconnu que la proposition de M. Van Meenen absorbant et la proposition principale et les amendements, il y avait lieu à lui donner la priorité.

M. Barthélemy. - Eh bien ! qu’on mette aux voix la proposition de M. Van Meenen.

M. le président. - Permettez.., il faut s’entendre... Je crois aussi qu’il faut mettre aux voix la proposition de M. van Meenen.

- La proposition mise aux voix est rejetée.

M. le président. - La proposition de M. Goethals, étant une conséquence de celle que l’on vient de rejeter, ne peut être mise aux voix.

- L’article premier du projet ministériel est mis aux voix et adopté.

Article 2

« Art. 2. La perception des péages est autorisée par le Roi lorsque la durée de la concession n’excède pas 90 ans.

« Aucune concession ne peut avoir lieu que par voie d’adjudication avec concurrence et publicité. »

M. le président. - Plusieurs amendements sont proposés à cet article. Le premier est de M. Dellafaille ; un autre est de M. Mary ; un troisième est de M. Dumortier. Ces amendements ont été imprimés et distribués, ainsi que ceux de M. de Theux.

Un nouvel amendement déposé sur le bureau et non imprimé est de M. Goethals. (A demain ! à demain !)

- Plusieurs membres. - Quel est l’amendement qui aura la priorité ?

M. H. de Brouckere. - Il faut suivre un ordre. Je ne crois pas que nous en puissions suivre un bon...

M. A. Rodenbach. - Le renvoi à une commission !

M. H. de Brouckere. - Il est quatre heures moins un quart ; je demande que l’on renvoie à une commission.

M. le président. - C’est le seul moyen d’en sortir.

M. Rogier. - Quelles seront les attributions de la commission ?

Présentera-t-elle un projet nouveau ou ne rédigera-t-elle qu’un article avec tous les amendements ?

M. Dumortier. - J’approuve la nomination d’une commission : mais il faut auparavant que la chambre décide ce que le gouvernement pourra concéder ; si vous ne décidez pas cela, la commission ne saura sur quoi agir.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Si l’on doit décider toutes ces questions, la loi sera véritablement adoptée, car c’est en cela que la loi consiste.

M. le président. - Il paraît que le vœu de l’assemblée est que la commission coordonne les amendements avec la loi.

M. Legrelle. - Mais les amendements ne peuvent se coordonner entre eux, ni avec la loi ; ils sont contraires les uns aux autres.

M. Gendebien. - Il faudrait adopter un principe ; il n’y a pas de principe dans la loi. Il faut donc que la commission travaille sur un principe : la chambre admettra ou rejettera ceux qui seront présentés ; mais enfin procédons d’après une idée bonne ou mauvaise.

M. Mary. - Il vaut bien mieux qu’on mette aux voix les amendements ; la chambre rejettera ceux qui ne conviendront pas ; sans cela la commission ne pourra rien faire.

M. le président. - Ceux qui veulent une commission...

M. Rogier, M. Zoude et d’autres réclament la parole.

M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Tous les amendements et le projet contiennent le même principe ; ils sont d’accord que le gouvernement accordera des concessions ; il ne reste plus que de savoir sur quels travaux les concessions auront lieu. Cette réflexion doit concilier tous les avis.

M. Rogier. - Je ne sais si on a bien pris garde à ce que vient de dire M. le ministre de l’intérieur : le gouvernement fera des concessions ; voilà le principe admis. Plusieurs amendements sont proposés ; il s’agira de savoir quels travaux seront concédés par le pouvoir exécutif.

M. le président. - La séance est levée, et vous aurez tout le temps d’y réfléchir jusqu’à demain.

M. Rogier. - Si M. le président consultait l’assemblée.

- Plusieurs membres. - Nous ne sommes pas en nombre ! Nous ne sommes pas en nombre.

- La discussion est renvoyée à demain.


Noms des membres absents sans congé à la séance de ce jour : MM. Angillis, Dams, Dautrebande, de Foere, Delehaye, de Meer de Moorsel, F. de Mérode, de Robaulx, Desmanet de Biesme, de Woelmont, Dumont, Fallon, Fleussu, Gelders, Jacques, Jaminé, Jullien, Pirson, Seron et Ch. Vilain XIIII.