(Moniteur belge n°161, du 9 juin 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure et demie.
M. Dellafaille procède à l’appel nominal, et donne lecture du procès-verbal.
M. Helias d’Huddeghem. - La rédaction du procès-verbal me paraît erronée ; nous avons discuté l’article 18, nous n’avons pas ouvert une discussion générale.
M. le président. - Le mot général sera supprimé. La rédaction du procès-verbal, sauf cette correction, est adoptée.
M. Jacques présente sommairement l’objet de plusieurs pétitions adressées à la chambre ; les pétitions sont renvoyées au comité spécial.
L’ordre du jour est la suite de la discussion des articles du projet de loi relatif à l’organisation judiciaire.
La chambre s’est arrêtée hier à l’article 18, ainsi conçu :
« La cour de cassation se divise en deux chambres, dont l’une porte le titre de chambre des requêtes, l’autre celui de chambre civile et criminelle. »
M. Leclercq. - Messieurs, vous avez vu, par les discussions qui ont eu lieu dans votre séance d’hier, que pour résoudre cette question il fallait commencer par se faire une idée nette et précise du but et de la nature de l’institution de la cour de cassation.
C’est en effet de la nature de cette institution que doivent dériver les principes sur lesquels on repose l’organisation. C’est à ce point que les membres de cette assemblée qui ont parlé pour et contre l’article soumis à votre examen, c’est à ce point qu’ils se sont attachés.
L’honorable orateur qui, le premier, a parlé en faveur de l’article a clairement posé les principes qui constituent la nature de la cour de cassation ; il en a fait apercevoir le but, et je n’aurai plus que quelques développements à ajouter pour porter jusqu’à l’évidence la démonstration que l’institution d’une section des requêtes est à la fois juste et utile.
La cour de cassation, on vous l’a dit, n’est pas un troisième degré de juridiction ; elle n’est point instituée dans l’intérêt des plaideurs ; elle est créée uniquement, exclusivement, pour maintenir l’unité de la législation, par l’unité de la jurisprudence pour parvenir progressivement à l’amélioration de la législation en en faisant ressortir tous les vices dans ses arrêts.
Lorsqu’un procès a été examiné successivement par les tribunaux de première instance et les cours d’appel, lorsqu’il y a eu deux instructions, deux décisions judiciaires, lorsqu’une cour souveraine composée de magistrats choisis avec le plus de soin et qui ne parviennent à leurs sièges, qu’après avoir donné tout à la fois des preuves d’expérience, de lumières et de probité ; il a été satisfait à tout ce que la vérité réclame. Aller plus loin, vouloir un troisième degré de juridiction, c’est vouloir inutilement prolonger les procédures, et par suite de cette prolongation, c’est exciter à l’injustice et au désordre.
C’est exciter à l’injustice en encourageant les plaideurs à prolonger les procès, à fatiguer par des retards, par des frais, les citoyens paisibles et honnêtes, et à les forcer ainsi à renoncer aux droits les plus justes.
C’est exciter au désordre, en prolongeant des débats, qui divisent les familles et les citoyens.
Deux degrés de juridiction sont donc suffisants, et l’on n’en a pas voulu d’un troisième lorsque l’on a institué la cour de cassation.
Si l’on avait voulu faire un troisième degré de juridiction, on n’aurait pas statué que les décisions des cours d’appel sont exécutoires provisoirement ; si l’on avait voulu faite un troisième degré de juridiction, on n’aurait pas statué que les arrêts ne seraient cassés que dans le cas de violation de la loi, et l’on aurait permis, dans tous les cas, le recours en cassation, car les questions de fait sont aussi importante que les questions de droit. Si l’on avait voulu faire un troisième degré de juridiction, on aurait permis à la cour de cassation de juger le fond, au lieu de lui ordonner de renvoyer les questions à la décision d’un autre tribunal. On n’aurait enfin point permis de se pourvoir dans les causes, où l’appel est interdit.
Sous l’ancienne législation, avant 89, les parlements de France étaient souverains juges ; ils étaient jaloux de leurs prérogatives, et jamais ils n’ont trouvé contraires à ces prérogatives le recours aux conseils du Roi. Quand la révolution a éclaté, quand on a institué la cour de cassation, toujours on l’a considérée comme n’étant pas un troisième degré de juridiction.
Si ma mémoire ne me trompe, dans la première loi d’institution de la cour de cassation, il a été dit qu’elle était établie auprès du corps législatif. Toutes les lois qui ont été portées sur la cour de cassation, l’ont été dans le même sens. Dans le code de procédure civile on règle la manière de procéder devant les cours et tribunaux ; un titre spécial est consacré aux voies extraordinaires contre les jugements et arrêts, et pourtant il n’est pas dit un mot de la cour de cassation, preuve nouvelle qu’elle n’est point un troisième degré de juridiction.
Je terminerai cette série de considérations qui vous prouvent sous quel point de vue la cour de cassation s été envisagée à toutes les époques, en vous citant les expressions du savant et judicieux Henrion de Pansey qui en a été le premier président : « La cour de cassation est plutôt une autorité de surveillance qu’une véritable autorité judiciaire. »
Telle est l’idée qu’on doit se former de la cour de cassation, c’est une cour instituée pour maintenir l’unité de la législation, par l’unité de la jurisprudence. Elle n’est donc pas créée dans l’intérêt du plaideur, et dès lors ce n’est pas pour lui un droit de se pourvoir en cassation. Dès lors aussi tombent toutes les objections faites contre la chambre des requêtes à laquelle on a reproché de limiter les droits de se pourvoir en cassation. La cour de cassation n’est pas instituée par le plaideur ; si la loi lui permet de se présenter devant elle, c’est en lui confiant le soin de signaler les violations de la législation ; c’est en stimulant son zèle par son intérêt ; voilà dans quel but le plaideur est admis à se pourvoir en cassation ; la loi a cru que la sentinelle la plus vigilante pour veiller à sa conservation, c’était le plaideur lui-même.
De là deux conséquences : le pourvoi n’étant pas le droit du plaideur, est une faculté que le législateur lui laisse ; en second lieu, le législateur peut assigner des limites à cette faculté, sans qu’on ait le droit de crier à l’injustice, il doit assigner ces limites lesquelles sont nécessaires pour empêcher que la faculté de se pourvoir ne fasse dégénérer la cour de cassation en un troisième degré de juridiction, pour empêcher que le recours ne soit formé, non dans l’intérêt de la loi, mais dans l’intérêt du plaideur lui-même.
C’est pour parvenir à réaliser ces conséquences que la chambre des requêtes a été instituée. Sans elle, la cour de cassation devient un troisième degré de juridiction et produit tous les abus que je viens de signaler. Peu de mots, messieurs, sur la procédure qui a lieu dans la chambre des requêtes suffiront pour démontrer cette proposition.
Qu’arrive-t-il quand un arrêt a été rendu ? Il émane d’une cour souveraine ; il a force de chose jugée ; il doit être exécuté provisoirement. Le plaideur condamné prétend que la loi a été violée ; le législateur veut que la cour de cassation intervienne, mais dans l’intérêt unique de la loi. Le plaideur présente une requête. Dans cette requête, il expose toutes les violations faites selon lui, à la loi ; la cour de cassation, par une de ses chambres, examine les raisons du plaideur ; elle entend celui-là même qui est l’auteur de la requête ; et aux développements insérés dans sa demande, il peut ajouter tous les développements convenables.
Jusque là il n’y a pas de troisième procès. Celui qui n’a pas été condamné, reste tranquille. La cour après avoir mûrement médité la requête, trouve par exemple que l’arrêt dont on se plaint n’a pas jugé une question de droit, mais a jugé une question de fait ; qu’alors il est évident que le cas n’est pas de son ressort ; elle repousse la requête ; elle déclare qu’aucune violation de la loi n’existe, et que celui qui a gagné conserve le gain de cause définitif.
Si la chambre des requêtes trouve que ce n’est pas un point de fait qu’on a jugé, que c’est un point de droit ; si elle trouve que ce point de droit, au premier aspect, ne présente aucune espèce de difficulté, la cour rejette le pourvoi. Si, au contraire, cette question de droit peut donner lieu à quelques doutes, peut faire l’objet d’une discussion, alors la cour déclare qu’il y a lieu de permettre la requête. Dans ce cas, la décision qui sera rendue pouvant être favorable à celui qui a présenté la requête, l’autre plaideur est appelé à intervenir.
Ce simple exposé doit vous prouver que sans la chambre des requêtes la cour de cassation dégénère en troisième degré de juridiction, que tous les abus qu’on a voulu éviter en interdisant ce troisième degré, reparaissent par la suppression de la chambre des requêtes.
Un pourvoi ainsi permis dans tous les cas équivaudrait à un troisième procès, produirait tons les funestes résultats qui ont engagé le législateur à renfermer les plaideurs dans deux degrés de juridiction, détournerait l’institution de la cour de cassation de son véritable but en fournissant à une partie condamnée en appel le moyen d’user du pourvoi dans son intérêt exclusif et non dans celui de la loi.
La chambre des requêtes composée de magistrats pénétrés de leurs devoirs et de la nature de la mission qui leur est confiée, remplit l’objet de l’institution de la cour de cassation sans qu’aucune partie en éprouve un préjudice réel.
Ces considérations, messieurs, me semblent répondre pleinement aux objections dirigées contre l’utilité de la chambre des requêtes. Je crois devoir maintenant m’attacher directement à celles que je n’aurais pas déjà rencontrées.
On a dit que la chambre des requêtes était contraire à la justice parce que le juge n’entendait qu’un seul plaideur. Cette objection aurait de la force pour un tribunal qui jugerait au fond. Elle n’en a pas pour une chambre des requêtes, si les magistrats connaissent leurs devoirs. Si vous supposez qu’ils peuvent les oublier, il faut renoncer à toute institution. Dans un tribunal ordinaire, lorsqu’il s’agit du juger au fond, définitivement, il faut que le juge prévoie toutes les objections, et je crois bien qu’elles ne doivent pas être faites en l’absence d’un plaideur ; mais dans la chambre des requêtes le magistrat qui connaît son devoir sait que la requête doit être admise dès qu’il s’agit d’une question de droit susceptible d’une discussion sérieuse ; et s’il se fait des objections, ce n’est pas un motif pour qu’il la rejette ; c’en est un au contraire pour qu’il l’admette.
De cette instruction résulte, dit-on, un préjugé contre le défendeur qui n’a pas été entendu. C’est une erreur. La chambre des requêtes ne motive pas ses arrêts ; elle admet sans motifs ; ainsi il ne peut pas y avoir préjugé. Elle admet quand il y a le moindre doute, et les juges qui doivent prononcer définitivement ne sont pas les mêmes que ceux qui jugent du mérite de la requête.
On dit que par la chambre des requêtes il existera plusieurs jurisprudences. Cette diversité de jurisprudence ne peut exister parce que dès que la cour admet des requêtes, elle ne les motive pas. Quant aux arrêts contre lesquels elle n’admet pas le pourvoi, on sait qu’ils ne font pas jurisprudence. Nous voyons souvent des arrêts portés dans des sens différents et les pourvois contre ces arrêts rejetés tous, parce que la loi peut quelquefois être entendue dans deux sens différents. Ces arrêts ne lui sont pas contraires, la loi étant obscure, peut être comprise différemment ; tel est le motif pour lequel les arrêts de rejet ne forment point jurisprudence. Le roulement qui se fait chaque année ramènerait d’ailleurs bientôt à l’uniformité si elle avait pu être interrompue.
On a dit que c’était occasionner des frais inutiles. Mais le pourvoi n’est pas un droit, c’est une faculté et une faculté illimitée ; ainsi, les frais ne sont pas obligatoires. D’un autre côté, cette augmentation de frais est très faible ; on sait que la procédure devant la chambre des requêtes est très sommaire.
L’institution de la chambre des requêtes est un retard apporté aux procès en France, les requêtes sont souvent une année avant de recevoir une décision... C’est là un inconvénient attaché à la cour de cassation de France. Composée de 52 membres, ce personnel est trop peu nombreux pour 32 ou 34 millions d’habitants. En Belgique, ces inconvénients n’existeront pas.
Je vois, messieurs, mentionner une objection qui, à elle seule, motive l’existence de l’institution de la chambre des requêtes. On a dit d’après M. Isambert, que cette chambre prouvait que le nombre des plaideurs qui se pourvoient en cassation était immense ; mais elle prouve, en même temps, qu’elle empêche un grand nombre de procès. Il n’y a que les plaideurs obstinés, que ceux qui veulent vexer leurs adversaires, qui presque toujours se pourvoient en cassation ; la chambre des requêtes, en repoussant leurs demandes, rend de grands services aux hommes loyaux et paisibles.
Je terminerai en répondant à quelques suppositions.
On défie de citer un seul écrit en faveur de la chambre des requêtes ; mais n’est-ce pas une autorité que l’expérience du 40 années, quand cette expérience n’est pas le résultat d’une seule loi mais de plusieurs lois successives, dans lesquelles la chambre des requêtes a été reconnue ? Ces lois ne sont-elles pas des autorités bien plus importantes que les hommes qu’on a cités. Ces lois, d’ailleurs, ne sortent pas de terre, elles ont été portées par des législateurs et par des législateurs éclairés, après de mûres réflexions.
Ajoutez à cela, qu’au commencement de la révolution, quand on s’attendait à prendre le contre-pied de ce qui se faisait sous l’ancien régime, le germe de la chambre des requêtes a été développé dans toutes les lois.
A cette expérience il faut en joindre une autre, qui a été faite en sens inverse depuis 17 ans en Belgique. Rappelez-vous le rapport de la cour de Liège, à M. Barthélemy, ministre de la justice, rapport qu’elle croyait devoir être communiqué au congrès. Ce rapport est l’œuvre d’une commission de la cour de Liège ; mais la cour l’a adopté et l’a envoyé au ministre comme étant le résultat de son opinion ; je vais lire les faits qui attestent l’utilité de la section des requêtes.
Après avoir dit que l’expérience de la cour de cassation de France, et votre propre expérience, repoussaient ces objections. Vous le savez bien ; à chaque instant il est porté en cassation des pourvois, et l’on pourrait quasi dire, que c’est le plus grand nombre, qui n’ont pas l’ombre de fondement. La plupart du temps il me suffit d’avoir entendu l’exposé des moyens du demandeur pour que votre conscience ait déjà prononcé sa condamnation, même sans avoir eu besoin d’entendre le défendeur ; celui-ci que vous ne pouvez-vous dispenser d’écouter, ou qui, au moins a dû choisir un avocat et faire préparer sa défense, se trouve aussi forcé à subir des embarras, à payer des frais, dont une grande partie n’est point recouvrable et qu’une section de requêtes lui eût épargné, et qu’elle lui eut épargné sans injustice aucune pour son adversaire.
« Dans cet état de chose, rétablir l’institution d’une section de requêtes, c’est empêcher les procès inutiles, c’est ménager les intérêts d’un défenseur qui, certes, a des droits à ces ménagements, puisqu’en faveur de sa cause existe un jugement, ou un arrêt souverain, c’est un frein à l’entêtement des plaideurs, c’est contenir dans les limites que ne doit jamais franchir cet esprit progressif, si souvent funeste aux familles et au bon ordre, c’est atteindre tous ces avantages sans courir le danger des erreurs, suites ordinaires de la précipitation, puisque le demandeur ne peut jamais être éconduit, qu’après que la cour s’est entourée de toutes les lumières possibles, et par la lecture de sa requête et par la plaidoirie de son avocat et le rapport d’un juge rapporteur et par les conclusions du ministère public. »
Je n’en dirai pas davantage, messieurs ; il me semble que l’autorité de la cour de Liége est bien plus forte que celle de trois à quatre écrivains. Une expérience de 17 années prouve davantage que des hypothèses, surtout quand cette expérience est la contre-épreuve de celle qui a été faite en France.
M. Jonet. - Et moi aussi, messieurs, je repousse l’établissement d’une chambre de requêtes, parce que je le crois inutile pour la société ; nuisible et dangereuse pour les personnes qui ont le malheur d’avoir des procès.
La justice, à mes yeux, est un droit, et non une faveur. Dès lors, tout homme a le droit de l’exiger sans être assujetti à aucune mesure préventive.
Si mon voisin s’empare de mon champ, j’ai et je dois avoir le droit de m’adresser directement au juge, pour me le faire rendre. Ce que ce juge statue en fait, est, sauf l’appel définitif, et ne peut plus être revu ni réformé par personne. Mais s’il se trompe en droit, s’il viole une loi, ou s’il y contrevient d’une manière quelconque, j’ai et je dois avoir le droit de faire casser la sentence, car ce droit est une émanation de celui que j’ai de me faire rendre justice, et d’invoquer partout où il se trouve le bénéfice des lois.
Pourquoi maintenant, quand je puis intenter mon action, ou appeler d’un jugement erroné, pourquoi, dis-je, dois-je être assujetti à demander la cassation d’un jugement ou d’un arrêt, qui a méprisé ou mal entendu la loi qui devait me faire rendre ma propriété ?
J’avoue, messieurs, que je n’ai jamais bien compris la raison pour laquelle on soumet, en pareil cas, un plaideur à une demande d’admission préalable.
Quand je dis que je ne l’ai jamais comprise, je m’exprime mal ; je veux dire que je ne l’ai jamais approuvée.
Autrefois, en France, les arrêts rendus par les cours souveraines, étaient définitifs et inattaquables. Cependant les rois permirent bientôt de les attaquer par la voie que l’on appelait « propositions d’erreurs. » Plus tard, ils permirent même la demande en cassation.
Mais, remarquons-le, c’était de leur toute-puissance, de leur autorité souveraine en un mot, que les rois en agissaient ainsi ; et cela est si vrai, que les recours n’étaient pas exercés devant l’autorité judiciaire proprement dite, mais c’était devant le conseil du roi, c’est-à-dire devant une autorité qui n’en était pas une, puisque tous les membres qui la composaient, ne jouissaient d’aucune indépendance, leurs fonctions dépendant entièrement du bon plaisir de celui qui les nommait et les révoquait à volonté ! C’est ce qui fait dire à M. Carré, dans son traité des lois sur la juridiction civile, que « ces recours étaient autorités comme par voie de grâce, et n’étaient qu’un effet de la puissance royale, qui rescindait les jugements, quoique émanés des tribunaux les plus élevés au pouvoir comme en dignité. »
Or, il est dans la nature qu’une grâce soit demandée. Il n’y a donc rien d’étonnant que la demande en cassation fut assujettie à une permission que l’on accordait ou que l’on refusait, sur le rapport d’un simple « maître de requêtes, » qui avait préalablement examiné l’affaire, sans doute superficiellement.
Aujourd’hui les principes de la matière sont changés. ce n’est plus la puissance royale qui statue sur les pourvois, c’est le pouvoir judiciaire, c’est-à-dire, le pouvoir complet pour rendre à chacun le sien. Nous devons cette heureuse innovation à l’assemblée constituante, qui la décréta et l’organisa par la loi du 1er décembre 1790.
Cette loi et les suivantes, je le sais, ont établi un bureau ou une chambre de requêtes, pour statuer préalablement sur l’admission ou le rejet. Mais, n’est-ce pas par suite et sous l’influence d’une ancienne habitude ? Pour moi, je penche pour cette opinion. Car d’après les principes de notre législation moderne, je ne vois plus aucune bonne raison pour maintenir cette mesure préventive.
Du reste, voyons les motifs des personnes qui défendent l’institution dont je conteste l’utilité.
Pourquoi faut-il un arrêt d’admission, ou à d’autres termes, pourquoi faut-il une chambre des requêtes ?
« C’est, dit-on, pour que la mauvaise foi ou l’entêtement d’un plaideur tracassier ne s’empare pas de cette ressource pour tourmenter son adversaire, et tâcher de lui arracher par la lassitude ce qu’il ne peut obtenir à bon droit. » (Rapport de M. Destouvelles.)
Mais si cette raison est fondée, pourquoi n’exige-t-on pas également en première instance ou en appel, un jugement préalable, puisque là aussi, il y a des plaideurs de mauvaise foi entêtés et tracassiers ? Pourquoi faire une différence entre des cas qui sont substantiellement semblables ?
D’ailleurs n’y a-t-il pas d’autres moyens plus naturels et plus légitimes d’arrêter un téméraire plaideur ? Vous le savez tous, messieurs, l’intérêt est la principale mesure de nos actions. Eh bien ! que l’intérêt soit la bannière destinée à mettre un terme à l’ardeur des plaideurs ; indépendamment des frais ordinaires du procès, que l’on condamne les demandeurs qui succombent, à une indemnité pour les démarches et frais extraordinaires des défendeurs, et l’on verra beaucoup moins de recours que l’on n’en voit, même avec une chambre des requêtes.
Les recours en cassation, dit-on encore, sont moins établis dans l’intérêt privé des parties, que dans l’intérêt de toute la société.
Je ne puis admettre cette proposition : le recours en cassation est établi dans l’intérêt public ; cela est vrai, mais il l’est encore dans l’intérêt des parties.
Si l’objection que l’on nous oppose était vraie, il ne faudrait accorder la faculté du pourvoi qu’au seul ministère public, qui, comme tout le monde le sait, est le défenseur, le tuteur né des droits de la société. Cependant toujours on a accordé cette faculté aux parties dont les droits ont été lésés par le jugement de l’arrêt attaqué, et la preuve la plus forte que le pourvoi s’accorde dans l’intérêt des parties, c’est que celle qui triomphe profite de tous les avantages du jugement maintenu, ou de l’arrêt qui casse : comme celle qui succombe en supporte les désavantages, puisque, outre la perte de son procès, elle paie les frais.
Le ministère public n’est admis à se pourvoir en cassation que quand les parties ont laissé écouler le délai que la loi leur accordait pour le faire. Alors seulement le recours a lieu dans l’intérêt de la loi. Dans tous les autres cas il faut bien que tout homme raisonne et qui s’expose à toutes les conséquences d’un rejet.
Le recours en cassation, ajoute-t-on, n’est pas un troisième degré de juridiction.
A cette assertion, je réponds non et oui.
Non, s’il s’agit d’un fait de la cause ; oui, s’il s’agit du droit.
Tout le monde convient que la loi permet le recours en cassation pour violation de la loi ; mais elle ne l’admet que pour cela. Donc, s’agit-il d’un simple mal jugé, la cour de cassation, différente des cours de révision, rejette la demande comme non convenable, parce que cette cour n’a pas été instituée pour juger les faits, mais uniquement pour conserver les lois et amener une uniformité d’interprétation dans les cas douteux.
Mais s’agit-il d’une contravention aux lois, alors, sous ce rapport du droit, seulement, il y a une troisième juridiction, puisqu’ il y a un troisième juge chargé d’expliquer la loi que j’invoque, d’expliquer comme elle doit être entendue.
Les partisans de la chambre des requêtes avancent encore que cette institution offre de grands avantages sans les inconvénients. (Rapport de M. Destouvelles.)
Je ne suis pas de cette opinion ; et loin de là, j’y vois, moi, beaucoup d’inconvénients, et peu d’avantages.
Les inconvénients que j’y trouve et que je dois signaler sont de quatre espèces.
Les premiers consistent dans une grande perte de temps et dans une augmentation de frais pour les plaideurs.
Les seconds, dans le danger d’une diversité de jurisprudence.
Les troisièmes, dans le danger de laisser juger une affaire sans entendre toutes les parties.
Et, les quatrièmes, dans le danger de laisser ignorer le recours à la partie qui a obtenu l’arrêt attaqué ; cette ignorance l’expose à de grands dommages et intérêts.
Les personnes expérimentées en cette matière savent en effet que le recours en cassation se forme par requête ; que pour l’examen de cette requête, on nomme un rapporteur ; que le rapporteur doit avoir un temps moral pour étudier la cause et préparer son travail ; que quand le travail du rapporteur est terminé, le procureur-général doit commencer le sien ; que ce n’est que quand ces deux magistrats sont prêts, qu’on assemble la cour pour les entendre, et enfin qu’il n’est pas rare de voir s’écoule une année et plus, avant que la partie sache si elle sera admise à faire valoir ses moyens de cassation.
L’admission obtenue, la procédure doit recommencer ; alors seulement la requête est signifiée au défenseur qui a le droit d’y répondre. Viennent ensuite les travaux d’un second rapporteur et du second membre du ministère public. Les plaidoiries contradictions suivent toutes ces procédures ; et ces plaideurs sont bien heureux ; s’ils obtiennent une décision au bout d’une seconde année.
En rejetant la chambre des requêtes, on évite une bonne moitié de ces procédures et de ces longueurs ; et c’est sans doute beaucoup de gagné pour la société et les particuliers, qui, quoiqu’on en dise n’ont pas toujours tort de se pourvoir en cassation.
Le deuxième inconvénient qui résulte d’une chambre de requêtes, c’est qu’elle expose la cour de cassation à deux jurisprudences. Il n’est pas rare en effet de voir juger, par une des chambres, le contraire de ce que l’autre a jugé la veille. Cet inconvénient, qui ne se représentera plus dans le système que nous aurons l’honneur de vous proposer, est bien fait pour faire repousser l’institution que nous combattons.
La chambre des requêtes ne jugeant que sur le dire d’une des parties, il en résulte un jugement précipité et non assez médité.
Une expérience de près de 30 années m’a convaincu qu’une affaire n’était jamais bien jugée, que quand les deux parties avaient bien et valablement défendu leurs droits respectifs.
Avec l’établissement d’une chambre de requêtes, le citoyen qui a obtenu un jugement ou un arrêt en dernier ressort ne sait qu’il est attaqué en cassation, que quand on lui signifie l’arrêt d’admission ; cette signification ne se fait, comme nous l’avons vu tantôt, qu’environ une année après la présentation de la requête. Dans l’intervalle, il est naturel que celui qui a obtenu l’arrêt le fasse exécuter. Cependant, si en définitif il est cassé, à quels dommages et intérêts n’est-il pas exposé ?
Supposé que, soupçonnant le recours, il n’exécute pas, toujours éprouve-t-il une grande inquiétude, tant que le délai nécessaire pour obtenir et un arrêt d’admission et un arrêt de rejet ne sont pas écoulés, et cet inconvénient, quoique moins grave que le premier, est cependant suffisant pour faire repousser l’institution proposée.
Dans notre système, au contraire, le défendeur en cassation est informé du recours, au plus tard dans les six semaines de la présentation de la requête ; par là il évite et les désagréments d’un long retard et ceux d’être exposé à des dommages et intérêts, pour une exécution qu’il peut suspendre pendant un court délai.
Voilà, messieurs, les inconvénients aussi graves que réels, attachés à l’établissement d’une chambre de requêtes.
Quant à ses avantages, j’ai déjà démontré qu’il n’en pouvait exister qu’un, celui d’empêcher des recours téméraires et mal fondés. Mais j’ai dit aussi, et je maintiens, qu’on peut beaucoup mieux atteindre ce but par une condamnation pécuniaire, au profit de la partie que par l’établissement d’une chambre, qui porte atteinte au droit que tout le monde a de se faire rendre justice, qui expose le citoyen victime d’une erreur judiciaire, a des lenteurs et des procédures frustratoires et inutiles ; qui expose la société à voir s’établir deux jurisprudences dans une cour instituée pour l’uniformité ; qui expose le demandeur même à être jugé sans être entendu, ou ce qui revient au même, à voir accueillir des objections qu’il aurait pu réfuter, si un contradicteur les lui avait faites, soit verbalement soit par écrit ; enfin qui expose celui qui a obtenu l’arrêt attaqué à en suspendre l’exécution, pendant un long espace de temps, s’il ne veut pas s’exposer à des dommages et intérêts considérables.
En vain, maintenant, invoque-t-on ce qui se passe en France depuis 40 années, et qualifie-t-on l’opinion que je défends, de théorie dont il faut se défier ; car l’expérience est aussi pour nous.
Depuis 1814, le recours en cassation a lieu à la cour de Bruxelles, sans qu’il faille un arrêt préalable d’admission, et si on avait accordé une indemnité au défendeur triomphant, pour des frais d’avocats, je pense que personne ne se plaindrait de cette législation.
Je ne dois pas laisser ignorer à la chambre que les arrêtés qui ont réglé le recours en cassation devant cette cour, sont l’œuvre du savant procureur général Daniels, qui malgré son expérience n’a pas cru devoir soumettre les recours à l’examen préalable d’une chambre de requêtes.
Qu’on ne dise plus qu’en France l’utilité de cette chambre a été, et est encore généralement reconnue ; car d’abord j’ai à opposer à cette assertion le fait qui précède.
M. Daniels avait exercé les fonctions du ministère public à la cour de cassation de France, longtemps avant de les exercer devant la cour supérieure de Bruxelles ; et cependant, son œuvre, l’arrêté, ne prouve pas qu’il fût très convaincu de cette utilité.
L’honorable M. Jaminé vous a annoncé qu’il vous ferait connaître les auteurs respectables qui, en France même, réclament la suppression de cette chambre, En lui abandonnant cette tâche, je me contenterai de citer l’opinion de MM. Isambert, Carré et d’un des auteurs de la Gazette des tribunaux qui réclament cette suppression. Lecture de la fin du passage de M. Carré, qui traite cette question ne sera pas longue, elle servira d’ailleurs à motiver l’amendement que j’ai eu l’honneur de déposer sur le bureau.
Voici commuent s’énonce cet auteur, après avoir signalé les principaux inconvénients qui résultent de l’établissement d’une chambre de requêtes.
« Dans un tel état de choses, disait-il, mieux valait supprimer la section des requêtes, dont les attributions ont semblé d’ailleurs, nous ne dirons pas seulement inutiles, mais extrêmement préjudiciables à la prompte expédition des affaires, puisque d’ordinaire l’on attend souvent un an au moins pour l’admission des requêtes, et nuisibles aux intérêts de la partie qui a obtenu le jugement attaqué, puisque le pourvoi n’étant pas suspensif, elle peut être expropriée et ruinée même avant d’avoir obtenu seulement la communication. »
Ici M. Carré rappelle les paroles de M. Isambert que M. Helias d’Huddeghem a transcrites hier dans son discours. Il parle ensuite des mesures indiquées par l’ordonnance du 15 janvier 1826, puis il continue :
« Mais, observe l’auteur d’une excellente notice insérée dans la Gazette des Tribunaux du 26 janvier 1826, ces dispositions paraissent insuffisantes ; il faudrait que les affaires urgentes fussent décidées dans le mois comme à la section criminelle, et que les autres fussent jugées au plus tard dans les trois mois, ou si l’on désespère d’obtenir ce résultat, il faudrait supprimer la section des requêtes.
« Pour remédier aux inconvénients graves de la lenteur avec laquelle les affaires se jugent, et les conflits de jurisprudence, l’auteur propose de transformer la section des requêtes en seconde chambre des requêtes, en second chambre civile, en sorte que les affaires fussent sur-le-champ instruites et jugées, comme dans les cours royales et contradictoires ; et pour éviter la diversité de jurisprudence, il propose d’assigner à chaque chambre, comme on le fait pour la cour des comptes, la connaissance d’affaires d’un genre différent. Ainsi, dit-il, toutes les affaires d’enregistrement, de contributions, de douanes, etc., pourraient être dévolues à la première chambre, et toutes les autres à la deuxième.
« Par ce mode simple, chaque chambre connaissant des mêmes matières, on enlèverait d’abord la diversité de jurisprudence, on gagnerait ensuite, dans l’intérêt des justiciables, qui est le seul à envisager, la plus grande promptitude dans le cours de la justice. »
Ce sont ces considérations, messieurs, qui m’ont déterminé à voter le rejet de la chambre des requêtes, et à vous proposer de diviser la cour en deux chambres, dont les attributions seraient entièrement différentes.
Par cette mesure, vous n’éviterez pas seulement les lenteurs, les frais et les autres inconvénients signalés, mais vous éviterez encore que vos deux chambres ne se contredisent ; et par là vous aurez nécessairement une uniformité de jurisprudence sur chaque matière.
Si cette proposition est accueillie, plus tard, lorsque vous discuterez les articles 87 et 88, je vous proposerai d’établir une indemnité en faveur du défendant, qui obtiendra le rejet de la demande en cassation. Si, comme on l’a dit, une indemnité de 150 fr. est insuffisante, on la portera à 3 ou 4 et même à 500 ; je vous proposerai même de l’abandonner à l’arbitrage du juge, en fixant un minimum et un maximum. Par là la cour pourra punir le plaideur vraiment téméraire, et le distinguer du plaideur de bonne foi et malheureux. Ainsi, vous rendrez la cour de cassation ce qu’elle doit être : un réfuge contre toutes les violations des lois ; un tribunal qui écoutera toutes ces demandes, et qui ne punira que les plaideurs vraiment de mauvaise foi, entêtés et tracassiers.
M. Jullien. - Messieurs, la vivacité avec laquelle la chambre des requêtes a été attaquée et défendue vous dit assez qu’il y a une grande difficulté dans la question. Je ne me dissimule pas la force de quelques-uns des arguments qui ont été mis en avant par les adversaires du projet. Je respecte infiniment les autorités qu’ils ont citées, mais malgré tout cela et après mûre réflexion il m’est impossible de partager leur opinion.
Au point où en est venue la discussion, je me bornerai, messieurs, à établir quelques principes généraux ; j’en déduira les conséquences, j’aborderai ensuite les principales objections en essayant de les réfuter les unes après les autres ; enfin j’essaierai de porter dans cette discussion assez de clarté, s’il m’est possible, pour me faire comprendre de tout le monde.
Messieurs, un principe général et incontestable, c’est que la justice est une dette de toute société envers ses membres, mais cette obligation comme toute autre, a ses bornes. Lorsque la société a fait tout ce qu’il était de son devoir et dans son pouvoir de faire, pour attribuer une bonne et loyale justice, on n’a le droit d’en demander davantage ; elles a rempli le devoir qui lui était imposé.
Voyons dans quelle situation nous placent nos institutions.
D’après nos institutions, messieurs, nous ne connaissons que deux degrés de juridiction. On aura beau dire tout ce qu’on voudra, on n’en trouvera pas un troisième.
Le juge supérieur est établi uniquement pour réparer les erreurs du premier juge ; et lorsque l’on aura ainsi donné au plaideur un second juge, qui par ses lumières, et la considération dont il est entouré, son intégrité et la réputation dont il jouit, lui offre toute les garanties que s’il y a erreur, cette erreur sera réparée, le plaideur n’a pas le droit d’en demander plus, car il n’aurait pas contre les erreurs d’un troisième ou d’un quatrième juge, plus de garantie que contre celles du premier, et on ne sait pas où cela s’arrêterait.
Quand il y a arrêt d’une cour souveraine, la décision est souveraine ; il y a chose jugée, et la chose jugée est considérée comme la vérité elle-même.
Aussitôt que vous avez obtenu un arrêt qui a la force de la chose jugée, le pourvoi n’est pas suspensif, et vous exécutez l’arrêt. Si la partie adverse doit vous rendre une maison ou vous payer une somme de deniers, il faut que l’arrêt s’exécute en entier. C’est au point que si, après la cassation, un second arrêt réforme le premier, mais que la maison ait été détruite, que les deniers aient été dissipés, que l’individu soit devenu insolvable, il n’y a plus rien de réparable, et l’arrêt de cassation ne répare que ce qui est susceptible de réparation. Voilà, messieurs, ce qui se passe, si ce n’est dans quelques cas rares qui intéressent la morale publique.
Mais dans quel but a été instituée la cour de cassation ? Je vais vous le dire.
Bien que la décision d’une cour d’appel soit souveraine et qu’elle soit tenue pour vérité, cependant on a pensé qu’il était possible que les cours de justice par mauvais vouloir, dans un esprit d’usurpation de pouvoir, on même simplement par erreur pouvaient violer la loi, et lui faire dire tout autre chose que ce qu’elle dit et ce qu’elle veut. Alors si on découvre que véritablement il y a violation de la loi, ou bien que les formes protectrices de la justice ont été violées, comme il est naturel que toute présomption cède à la vérité, la présomption de justice donnée à l’arrêt cesse ; elle s’évanouit devant la réalité, et la cour de cassation, instituée pour ramener toutes les cours à l’uniformité de jurisprudence et pour les empêcher de se mettre au-dessus de la loi, casse et annule le jugement.
Vous concevez que si toutes les cours s’entendaient pour les violer toutes dans des vues d’usurpation tel article de la loi, comme il n’y aurait pas moyens de réparer cette erreur, il s’ensuivrait que bien que la loi dirait dans un sens, la jurisprudence dirait autrement, et ce serait la jurisprudence qui deviendrait la loi. Et l’on pourrait ainsi priver le pays de ses lois les plus précieuses. C’est pour éviter ce mal que la cour de cassation a été instituée ; aussi elle ne connaît pas du fond des affaires, elle juge le jugement et pas autre chose. Elle est chargée d’examiner si le jugement est rendu conformément aux lois, si les formes de procédure ont été observées.
Si on reconnaît des contraventions expresses à la loi, il y a raison pour casser l’arrêt ; mais on ne le casse pas dans l’intérêt des parties ; mais bien principalement dans celui de la société. Et il est si vrai qu’elle ne s’inquiète pas de l'intérêt et des parties qu’elle les renvoie devant un autre juge sans s’embarrasser du fonds.
Voilà, messieurs, l’institution de la cour de cassation ; voilà ce qu’elle est encore, et voilà ce qu’elle doit rester si vous ne voulez pas qu’il y ait trois degrés de juridiction au lieu de deux.
Le pourvoi en cassation, comme vous le voyez, est donc un remède extrême. Il a fallu l’entourer de précautions.
La société doit protection, elle doit faveur à celui qui a obtenu un arrêt passé en force de chose jugée. Comment protégera-t-elle celui qui a obtenu cet arrêt ? C’est rendant l’abord de la cour de cassation difficile pour tous ceux qui n’y ont que par témérité et pour mener leurs adversaires ; et facile pour tous ceux qui prouveront que la loi a été violée. Ceux-là seuls doivent être écoutés ; les autres doivent être repoussés.
Il faut donc une chambre qui examine les demandes en cassation et qui dise si les allégations du plaideur méritent l’examen.
Mais, dit-on, on connaît très peu d’avantages de la chambre des requêtes, tandis que ses inconvénients sont nombreux ; moi j’y trouve beaucoup d’avantages, et je n’y vois d’inconvénient que pour les mauvais plaideurs.
Les grands avantages, vous les avez déjà appréciés ; c’est de repousser le plaideur téméraire qui n’a d’autre but que de vexer sa partie adverse. Examinez ce que sont en général les plaideurs ; il y en a une infinité qui poursuivent, non par le sentiment de leur bon droit, mais par haine, par passion, et si malheureusement l’adversaire est pauvre quand le mauvais plaideur est riche, celui-ci profitera des lois pour écraser son adversaire.
Voyez seulement les poursuites intentées par le fisc ; toutes les fois que le fisc perd en première instance, il fait appel. S’il perd en appel, ses avocats ont ordre de se pourvoir en cassation. La cour d’appel aurait jugé que deux et deux font quatre, il n’en faut pas moins se pourvoir et poursuivre les plaideurs jusqu’à la dernière extrémité. Voilà ce que j’ai vu sous l’ancien gouvernement, ce qui, j’espère, ne se fera plus, mais qui, cependant, peut se renouveler encore, parce que le fisc est toujours le fisc.
Vous savez que dans cette loi de contribution personnelle, il y avait deux taxes pour les chevaux, les uns étaient taxés comme chevaux de luxe ; les autres l’étaient moins, parce qu’ils servaient à un usage mixte, à une industrie, à une profession, et que le propriétaire les attelait. Ce principe était juste. Cependant, messieurs, il est passé dans ce temps-là, par la tête de l’administration fiscale de vouloir considérer comme chevaux de luxe, tous les chevaux qui n’étaient pas exclusivement employés aux travaux de la campagne ou à d’autres travaux.
Eh bien ! j’ai soutenu, j’ai connu plusieurs procès dirigés contre des individus qui avaient déclaré leurs chevaux à deux usages ; traduits devant le tribunal de première instance, ils gagnaient leur procès ; l’administration appelait, et le jugement était confirmé ; elle se pourvoyait en cassation, et elle perdait encore. Mais le malheureux plaideur avait mangé en frais plus que la valeur de son cheval.
Croyez-vous qu’il en était quitte pour cette vexation ? Point du tout : l’année suivante il faisait la même déclaration, et bien que l’homme, l’industrie et le cheval fussent restés les mêmes (on rit), on lui faisait un nouveau procès, pour les mêmes motifs, et sous le prétexte qu’une nouvelle déclaration le plaçait, vis-à-vis du fisc, dans une nouvelle position ; et pour ne pas descendre encore une fois et chaque année cette échelle de vexations, le malheureux contribuable était obligé de payer tout ce qu’on lui demandait, malgré les jugements et arrêts qu’il avait obtenus, et qui lui avaient coûté si cher !
Si on me demande les noms de ces particuliers, je les dirai ; si on me demande leur demeure je l’indiquerai. Je n’ai jamais avancé un fait, que je ne fusse en état de le prouver.
Revenons à la chambre des requêtes. Elle n’admettra que les pourvois appuyés sur des moyens raisonnables ; elle repoussera les autres.
Voyons maintenant les objections que l’on a faites contre ce système.
On a dit, c’est une chose insolite, tout à fait extraordinaire, que dans un procès qui intéresse deux parties, on n’en entende qu’une ; il y a ici quelque chose de choquant.
Vous auriez raison, s’il s’agissait d’un troisième degré de jurisprudence, si vous alliez devant la cour de cassation comme vous allez devant le tribunal de première instance ou en appel. Mais encore une fois, l’institution de la cour de cassation est particulièrement établie dans l’intérêt de la société, qui est en droit d’imposer des conditions et des restrictions, quand on veut s’en prendre à la chose jugée.
Mais loin qu’un seul des plaideurs ait le droit de se plaindre de cette précaution, je dis, moi, que tous deux ont lieu de s’en louer.
L’un fait une requête, l’autre, heureusement pour son repos, ne sait pas que son adversaire s’est pourvu en cassation. Celui qui plaide tout seul a-t-il le droit de se plaindre ? Evidemment non. Il parle seul, son avocat parle seul ; il n’a pas de contradicteurs ; et il doit se féliciter d’être seul devant ses juges.
Est-ce l’autre partie qui se plaindra ? Mais c’est précisément dans son intérêt qu’est instituée la chambre des requêtes : C’est pour empêcher que celui qui dort tranquille sur la foi d’une décision souveraine ne soit tourmenté,
Et si ni l’un ni l’autre ne peut se plaindre, qui donc se plaindra ? Ainsi, vous le voyez, l’argument tombe de lui-même ; il n’a pas la moindre consistance.
Mais, ajoute-t-on, et c’est un des principaux arguments, lorsqu’il y a un arrêt d’admission, cet arrêt est un préjugé contre la partie qui a obtenu l’arrêt favorable en appel et contre laquelle la demande en cassation est dirigée.
Je ne partage pas l’opinion du préopinant que les arrêts d’admission ne sont pas motivés. S’ils ne le sont pas en France, ils doivent l’être d’après notre constitution. Ainsi, supposons que l’arrêt d’admission soit motivé, où donc est le préjugé ? où est le préjudice ? Cela influera, dit-on, sur la section civile. Mais ce ne sont pas les mêmes juges ; les sections de la cour de cassation n’ont aucune convention entre elles, relativement à cet arrêt. Les membres de la section civile savent que l’arrêt d’admission n’est qu’une présomption ; qu’il y a eu violation de loi ou de formes. Loin que le défenseur en éprouve un préjudice, cela lui fera connaître les moyens qui sont invoqués contre lui. Il trouve un avantage, parce que, connaissant tous les moyens de sa partie adverse, qui lui sont signifiés trois mois à l’avance, il aura tout le temps de les examiner, de les réfuter ; tandis que s’il ne les eût connus qu’en comparaissant à l’audience, il aurait pu être embarrassé pour les combattre.
Une réflexion qui paraissait spécieuse est celle qui a été présentée par l’honorable M. Van Innis.
Il a dit, vous allez porter préjudice à la partie qui n’est pas encore appelée devant le juge, parce que le procureur-général ou son organe va faire valoir, pour l’admission, des motifs dont le demandeur et son avocat ne se feraient pas doutés.
Voilà encore un de ces moyens qui paraissent quelque chose, mais qui s’évanouissent quand on les examine de près.
Les moyens que fait valoir le ministère public, quand on discute l’admission de la requête, il les aurait fait valoir devant la section qui jugerait définitivement ; celui qui est attaqué connaît ces moyens plus tôt que s’il eut été mis directement en cause. Voilà toute la différence,
Par la chambre des requêtes on est emporté, dit-on, à une grande diversité de jurisprudence ; et il n’est pas rare de voir que la cour des requêtes est en opposition avec la chambre civile… Je dis que cela est très rare au contraire. Au reste si vous voulez scruter tous les inconvénients possibles, vous en trouverez dans la cour de cassation sans chambre des requêtes. Car les roulements des membres occasionneront aussi la diversité de jurisprudence. Tous ces inconvénients ne me touchent pas parce qu’ils sont inhérents à la nature des choses.
La dépense, dit-on, pour la partie qui se pourvoit en cassation est double, parce qu’il doit faire les frais des distances pour obtenir l’admission de son pourvoi et encore devant la section civile. Qu’importe que la dépense soit double dés que vous admettez que la cour de cassation n’est pas un troisième degré de juridiction. Il faut bien que le plaideur qui recourt à un remède extrême se soumette aux conditions qui lui sont proposées pour en user.
On a parlé de l’opinion de M. Isambert : l’honorable M. Leclercq vous a expliqué quelle était cette opinion. Cet ancien avocat près la cour de cassation de France, et qui maintenant en est membre, veut que l’on admette plus facilement les pourvois, il veut que l’on aborde la cour de cassation comme une chambre de première instance. C’est parce que l’on a voulu le contraire qu’on a établi une section des requêtes.
Outre les autorités très rares qu’on a citées, avez-vous jamais vu les jurisconsultes se prononcer contre la chambre des requêtes ? Quel est le fond de l’opinion des adversaires de cette chambre ? Elle occasionne des lenteurs dans la justice. En France cet inconvénient peut exister, il ne peut exister chez nous. Le moyen de ne pas encombrer la cour de cassation, c’est de ne pas admettre tous les pourvois, et vous ne pouvez le faire qu’avec la chambre des requêtes.
Ce qui est un inconvénient dans un pays peut être un avantage dans un autre.
Si vous ouvrez Merlin, au mot « cour de cassation, » il cite un arrêt du conseil d’Etat très bien raisonné qui est dans les mêmes principes que ceux que j ai l’honneur de vous développer et qui sont par conséquent bien loin de détruire la chambre des requêtes.
Un orateur nous a dit qu’à la prochaine législature de France, on demanderait la suppression de la chambre des requêtes. Si cette demande est faite à la prochaine législature, il faut avouer que les inconvénients de cette chambre ont été bien longtemps à se faire connaître. Mais qui donc autorise l’orateur à nous assurer qu’une pareille proposition sera faite ? Pour nous, nous avons l’expérience de 40 années ; nous ne sommes pas en peine de l’institution. En France, on l’a conservée ; c’est une raison pour l’établir chez nous, puisque cela est en harmonie avec toutes nos lois, car vous ne faites pas une loi d’organisation judiciaire, vous ne faites qu’un projet d’organisation de la cour de cassation.
D’après ces considérations, messieurs, je voterai pour le projet.
M. Barthélemy. - Messieurs, avant de vous parler de ce que je me suis proposé de vous dire, je dois répondre un mot à l’orateur qui m’a précédé. Il semble d’après son système que la cour de cassation n’étant pas un troisième degré de juridiction, on pourrait à la rigueur s’en passer. Mais l’honorable préopinant a confondu deux choses essentiellement distinctes, les griefs sur les questions de fait et les griefs quant à la question de droit.
Pour les points de fait, la loi ne veut que deux degrés de juridiction, elle n’en doit pas vouloir davantage. Mais pour les points de droit, comme les juges peuvent avoir mal interprété, ou mal appliqué la loi, il faut bien ouvrir un troisième recours et aux plaideurs et au ministère public pour rectifier l’erreur du juge qui préjudicie non seulement à l’intérêt particulier, mais à l’intérêt général. C’est pourquoi anciennement nous avions, pour le point de droit, la faculté de nous pourvoir en grande révision ; l’institution d’une cour de cassation n’est pas nouvelle. En grande révision on ne s’occupait pas des questions de fait, le recours était admis sans qu’il y eut de section des requêtes, et l’on jugeait sur les mêmes actes, sans pouvoir poser de nouveaux faits. La cour de cassation a été instituée dans le même esprit, et pour remplacer la grande révision qui existait tant en France que dans ce pays-ci.
L’honorable préopinant nous a dit que la chambre des requêtes avait été instituée dans l’intérêt d’une bonne justice et afin que les plaideurs ayant obtenu gain de cause devant les juges de première instance et d’appel ne fussent pas vexés par un adversaire chicaneur ou de mauvaise foi.
Non, messieurs, la chambre des requêtes n’a pas été instituée pour cela, mais pour empêcher la trop grande quantité des affaires qui auraient encombré la chambre civile et pas pour une autre raison. Car quand la grande révision fut autrefois établie, les mêmes raisons existaient en faveur du défendeur, et jamais cependant on n’a pensé à lui épargner les frais d’une défense devant une chambre des requêtes. Au surplus tout cela est indifférent, car si celui qui gagné son procès est sûr de son bon droit, il peut rester tranquille chez lui et ne pas suivre son adversaire devant la cour de cassation, certain que si la requête est basée sur le point de fait, on l’écartera, si elle est fondée sur le point de fait et sur le point de droit, on divisera la requête en ne conservant que ce qui est relatif au point de droit ; c’est ainsi que l’on fait à la section des requêtes (j’en ai vu plus d’un exemple). Ce n’est donc pas par des arguments de cette espèce que la question doit être décidée.
Que nous propose-t-on ? de nous traîner toujours sur nos anciens errements, d’imiter les autres, et de ne rien faire qui nous soit propre. S’agit-il de l’organisation judiciaire ? On veut nous faire adopter les lois rendues du temps des consuls ou de l’empire. S’agit-il d’administration ? On nous conserve les règlements et arrêtés du roi Guillaume. Quand donc ferons-nous quelque chose de notre chef ? Quand ferons-nous quelque chose pour nous et qui convienne à notre situation comme à nos intérêts ? C’est parce que je voudrais que nous commençassions dès aujourd’hui à travailler pour nous, que je viens soutenir la suppression de la section des requêtes.
Combien y a-t-il de pourvois en France ? Il y a par année environ 800 demandes en cassation. Elles passent toutes par la chambre des requêtes, composée de 16 juges ayant l’un parmi l’autre cinquante rapports à faire : il y a trois séances par semaine, ce qui donne par an 150 séances, et on expédie 5 à 6 affaires par jour. Sur 800 demandes il y a 600 rejets. Cela est exact, je l’ai vérifié à Paris, avec des avocats à la cour de cassation. Sur 800 pourvois, 200 demandes sont admises. Ceci est parfaitement d’accord avec ce que vous disait hier M. de Gerlache, que l’on rejetait à peu près les trois quarts des pourvois. 200 demandes admises passent donc à la section civile, qui l’une portant l’autre en expédie trois en deux jours.
Vous voyez par cet exposé que là on ne pourrait pas atteindre le but qu’on se propose en demandant, comme quelqu’un a prétendu qu’on en avait le projet, la suppression de la chambre des requêtes et la conversion en chambre civile. Si on la supprimait il faudrait trois chambres civiles, indépendamment de la section criminelle, et on n’y gagnerait rien. Voilà pourquoi elle sera maintenue. Elle est nécessaire pour débarrasser la cour de cassation de toutes les demandes indiscrètes ; je crois que c’est cette nécessité qui l’a fait maintenir pendant 40 ans, et comme cette nécessité peut durer longtemps encore, il n’y a pas d’arguments à tirer de ses quarante ans d’existence, pour prouver qu’elle nous serait nécessaire.
Quand nous voulons imiter en Belgique ou copier les institutions de nos voisins, cherchons pourquoi elles ont été établies et voyons si elles nous conviennent sous les mêmes rapports.
En Belgique nous avons deux cours d’appel qui en formeront trois à l’avenir. Elles jugent par année environ 800 affaires. J’en ai le tableau qui a été produit à la commission de la loi d’organisation judiciaire dont je faisais partie. On a dit que ce tableau n’était pas tout à fait exact, mais j’ai combiné ses résultats avec le montant des droits d’enregistrement pour les mises au rôle, et s’il y a une différence elle est peu importante.
Sur 800 causes, 500 viennent à la cour de Bruxelles, 300 environ à la cour de Liége. De ces 800 combien croyez-vous qu’il en arrive en cassation ? Le quart tout au plus, et c’est beaucoup, puisque c’est le quart de ce qui a lieu en France, cela fera 200 causes. Une seule chambre peut les expédier en moins de six mois, parce que, d’après ce que disait hier M. de Gerlache, il y en a les trois quarts évidemment non recevables, et qui ne méritent pas l’honneur d’une discussion.
Dès lors pourquoi établir deux chambres pour ces 200 affaires qui peuvent être expédiées par une seule ?
Admettez une section de requêtes qui en expédiera cinq par jour elle aura terminé son travail en 40 jours. Admettez les trois quarts des affaires en rejet, il en restera cinquante pour la chambre civile, qui en expédiera une par jour, vous aurez par là deux chambres, l’une occupée 40 jours, l’autre 50. Voilà tout le travail qu’elles auront à faire. Ça vaut-il la peine de diviser votre cour de cassation en deux chambres ?
Mais ; dit-on, il y a les affaires criminelles, soit ; quel est leur nombre ? En dix ans on en a jugé 5,600, cela fait 560 affaires par année. En admettant qu’il y ait cent pourvois, il n’y a pas de quoi occuper 15 séances. Vous savez combien peu de temps il faut pour juger de telles affaires ; on peut en expédier dix dans une séance, sans cela il serait impossible d’y suffire en France.
J’ai vu, par exemple, la cour s’occuper de la question de savoir si une de ces grandes barques que vous voyez ici sur le canal chargées de plâtre, était une maison habitée (on rit) dans le sens du code pénal. On avait commis un vol sur cette barque, et on voulait faire décider s’il avait ou non été commis avec la circonstance aggravante.
Mais, dit-on encore, vous aurez la question des conflits, de règlements de juges, de nouvelles affaires du chef des matières électorales et de milice, etc., etc. Il en faudrait énormément pour occuper la cour de cassation pendant 15 jours, car remarquez que les questions de droit seront rares en pareilles matières,
Somme totale, lorsque la cour siégera en deux sections, elle pourra prendre des vacances de six mois ; oui, de six mois, je le déclare sur mon honneur et j’en ai la conviction ; et si vous ne la chargez pas de réviser la législation et de fouiller dans l’immense arsenal des lois qui nous régissent pour nous débarrasser de toutes celles qui sont inutiles, elle n’aura pas de travail pendant une bonne moitié de l’année. Ça vaut-il la peine d’aller discuter pour savoir si nous aurons une chambre des requêtes afin de débarrasser la chambre civile du trop grand nombre de pourvois ? Mais elle-même les écartera, aussitôt qu’on lui en aura fait l’exposé, en disant : Attendu que la cour a décidé en fait ... rejette. Voilà comment sur des pourvois absurdes les arrêts se font sans que les juges se lèvent de leurs bancs (Hilarité.)
Il reste une objection à faire ; selon ma manière de voir, une seule section suffirait pour tout, mais la constitution veut qu’il y en ait deux ; comme il ne faut pas faire mentir la constitution (on rit), ayons deux chambres si vous le voulez (nouveau rire), mais ayons-en une petite et une grande (on rit plus fort), car il est évident que 22 juges ne sont pas nécessaires ; on dit à la vérité qu’il en faut au moins neuf pour la cassation en matière civile. Neuf soit pour les affaires civiles ; mais quand il s’agira de toutes ces autres questions électorales, de conflit de juridiction, de renvoi pour cause de suspicion légitime, je crois que sept juges suffiront bien, et au maximum en tout vous pourriez vous contenter de seize juges ; c’est une assez jolie cour pour un pays comme le nôtre (nouvelle hilarité), car 22 juges, c’est la moitié à peu près de la cour de cassation en France.
Ayons donc seize juges, c’est bien assez. Mais on me dira, il faut prévoir les cas de maladie, d’empêchement, de récusation. Messieurs, ça n’y fait rien du tout (hilarité), parce que rien n’oblige les deux sections à siéger en même temps. l’une peut même siéger le lundi, l’autre le samedi (nouvelle hilarité), et quand un juge appelé en remplacement aura siégé deux fois dans une semaine ; il n’aura pas fait un travail trop fatigant.
D’après ces considérations, soit que vous admettiez une section des requêtes, soit que vous ne l’admettiez pas, je ne vois pas que le nombre de seize juges soit insuffisant ; et si vous adoptiez l’amendement de M. Jonet, qui propose une chambre dont il n’a pas désigné le nom, mais qui pourrait être composée de sept membres, et qui serait chargée des pourvois en matière correctionnelle, criminelle, électorale, de conflits, etc., je crois que vous feriez tout ce qu’il y a de mieux à faire. Dans tous les cas vous pourriez nous tirer d’embarras en admettant la chambre des requêtes, vous pourriez, dis-je, ne la composer que de 7 et même de 5 juges, parce que, après tout, pour permettre d’assigner une partie on n’a pas besoin de grandes lumières ni de grandes discussions.
Je me résume en disant, messieurs, que je ne vois pas de nécessité d’une chambre des requêtes, et que votre cour ne doit tout au plus se composer que de seize membres.
M. Fallon. - Lorsqu’il fut question de réformer et de perfectionner le système judiciaire en France, l’institution d’une chambre des requêtes fut adoptée comme une amélioration précieuse dans l’administration de la justice.
Cette institution a traversé la république, le directoire, le consulat, l’empire et la restauration, et aucune de ces secousses politiques si fécondes en innovation, ne l’a ébranlée. Sous aucun de ces régimes, la législature n’a pensé à contester son utilité.
Il s’agit cependant aujourd’hui de lui faire son procès ici et en France.
Où convient-il que ce procès soit jugé ?
C’est la première question que je me suis faite, et vous prévoyez déjà, messieurs, comment j’ai dû la résoudre.
Sans doute, nous pouvons discuter et juger ici ce procès. Mais cependant, si nous considérons qu’une institution ne peut être mieux appréciée que sur le terrain même où elle a germé, et où elle a été cultivée depuis si longtemps ; que c’est là, que l’on peut interroger l’expérience avec plus de garantie ; que c’est là aussi, qu’un plus grand nombre d’hommes éclairés et un plus grand mérite, interviendront aux débats, il semble que la prudence nous conseille de ne pas prendre l’initiative, et d’attendre que le procès soit d’abord jugé par les chambres françaises.
En ajournant ici la discussion, nous profiterons ainsi de l’avantage incontestable, lorsque nous nous occuperons de l’organisation définitive de nos institutions judiciaires, de décider à notre tour la question, entourés de plus de lumières et avec plus de maturité.
Cet ajournement est, d’ailleurs, la conséquence rationnelle de la règle que nous nous sommes déjà tracée.
Ce n’est pas à une nouvelle organisation judiciaire que nous voulons actuellement nous livrer, c’est sur un système de procédure et d’attributions déjà organisé, que nous voulons établir la cour de cassation ; c’est avec une procédure toute faite, que nous voulons provisoirement la faire marcher.
Lorsque l’on veut continuer à se servir d’un édifice que le temps a vieilli, on n’en détache pas une partie, si petite qu’elle soit, sans s’exposer à devoir tout démolir et tout reconstruire sur un autre plan.
C’est la procédure française que nous voulons adopter et cette procédure, qui remonte au règlement de 1738, est éparse dans une foule de lois et d’arrêtés que nous n’avons pas actuellement le temps de réviser.
Or, c’est là une considération importante qui doit fixer notre attention, c’est que ces lois et règlements sont appropriés au système d’une chambre des requêtes, et qu’en conséquence, en supprimant cette chambre, nous détruisons l’ensemble du système ; nous y plaçons le germe d’une confusion d’idées, et nous n’avons plus que des lambeaux que nous ne prenons pas même le temps de recoudre.
Quant à moi, messieurs, je n’oserai pas garantir qu’en supprimant la chambre des requêtes, sans réviser tout le système d’attribution et de procédure, on ne le placera pas dans un dédale inextricable où l’on se trouvera arrêté tous les jours par des dispositions contradictoires et inconciliables.
Quels que soient dons les inconvénients que l’on signale dans la conservation de la chambre des requêtes, le plus grand inconvénient à mes yeux, c’est de porter la hache dans un système complet d’attributions et de procédure, sans réviser en même temps tout ce qui restera debout, et s’assurer qu’il pourra commodément s’approprier au nouvel œuvre.
Cette considération suffit à elle seule pour que j’appuie l’article proposé par la section centrale.
Il en est d’autres, cependant, qui me détermineraient encore à adopter pour la Belgique, le système d’une chambre de requêtes alors même que la France le répudierait.
Voici sur ce point les motifs de mon opinion.
Je trouve d’abord la réfutation des principaux arguments opposés à la chambre des requêtes, dans cette considération, qui me semble dominer toute la discussion. C’est que dans le système français que nous voulons nous approprier, la cour de cassation ne forme pas un troisième degré de juridiction, et que, pour la Belgique, elle sera une autorité autant administrative que judiciaire.
Dans le système français ce n’est pas même une autorité judiciaire proprement dite ; c’est une autorité de surveillance constituée bien plus dans l’intérêt de la loi que dans l’intérêt spécial des particuliers, qui est destinée à maintenir l’unité de législation et à prévenir la diversité de jurisprudence.
La cour de cassation décide uniquement si, dans un jugement ou un acte contesté, le juge s’est écarté du texte de la loi ou des formes qu’elle prescrit, sans pouvoir examiner si, d’ailleurs, il a bien ou mal été jugé. L’examen du fond lui est interdit, et il est si vrai que le jugement des procès lui reste étranger, que si elle casse, elle renvoie le jugement à un autre corps judiciaire.
Or, si la cour de cassation ne forme pas un troisième degré de juridiction, les arguments que l’on tire de la procédure devant les tribunaux ordinaires ne sont pas du tout concluants, puisqu’il s’agit ici d’un tout autre ordre de chose.
Si là la discussion contradictoire est impérieusement requise, elle n’est pas toujours indispensable ici.
Les justiciables n’ayant aucun moyen de fond à présenter à la cour de cassation, l’arrêt seul, le rapprochement seul de l’arrêt avec la loi peut suffire pour s’assurer d’abord s’il peut y avoir lieu à discussion. Par conséquent, si l’accès des tribunaux est et doit être entièrement libre à tout plaideur sans examen préalable de la demande, sur le mérite de laquelle il serait d’ailleurs difficile de se faire une juste idée sans entendre la partie adverse, ce n’est pas une raison pour lui ouvrir un même avis à la cour de cassation, ni surtout pour obliger son adversaire à l’y suivre.
Comme je viens de le dire, la cour de cassation en Belgique formera une autorité autant administrative que judiciaire.
Nous plaçons dans ses attributions la loi électorale et les conflits et nous ne tarderons probablement pas à étendre son action sur d’autres décisions administratives et nommément en matière de milice.
Il faut donc nécessairement concilier ici les formes judiciaires avec les formes administratives et sous ce rapport, la chambre des requêtes est précisément la combinaison qu’il faudrait créer ici, si nous ne pouvions l’emprunter an voisinage.
Des lors que nous avons la garantie qu’un acte judiciaire ou administratif ne pourra être passé sans avoir entendu au préalable la partie intéressée à le défendre, et la chambre des requêtes nous laisse cette garantie toute entière, nous aurons satisfait à toutes les exigences du droit de la défense.
Quant au droit de la demande, en la soumettant à l’examen d’une espèce de chambre d’arrestation, nous y aurons satisfait plus largement encore, puisqu’elle y sera examinée et appréciée sans contradiction, et en satisfaisant ainsi à toutes les exigences ; nous aurons évité qu’un plaideur opiniâtre et téméraire n’oblige son adversaire à se ruiner avec lui.
La justice, messieurs, est gratuite, mais elle n’en sera pas moins encore énormément pleine si, surtout dans les matières administratives graves qui ont toujours été dispensées des frais de justice, on ne peut arriver à la cour de cassation sans le cortège des avocats et des huissiers, et si l’on est obligé de l’y défendre avec tout ce même cortège contre un pouvoir téméraire et évidemment destitué de raison.
La témérité est à la vérité tempérée par une amende et une indemnité, mais l’indemnité est loin de compenser les frais d’une instruction contradictoire et ne retient pas toujours le plaideur de mauvaise foi. D’un autre côté si on la porte à un taux trop élevé, la crainte d’en être atteint produira cet autre inconvénient de soustraire à la cour régulatrice des actes qu’il importait à l’intérêt général de voir soumettre à la censure.
Enfin, n’oublions pas que dans les matières fiscales, les contribuables, privés dans certains cas d’un second degré de juridiction, sont souvent appelés en cassation pour des sommes très modiques, et que c’est encore la chambre des requêtes qui seule peut les préserver de vexations.
Si maintenant de ces considérations générales, je descends aux objections de détail, je ne rencontre rien qui soit de nature à faire fléchir mon opinion.
On a parlé d’inconstitutionnalité, mais ce que l’on a dit sur ce point n’a rien de concluant.
La constitution n’a pas dit que les jugements devront être contradictoires, et elle ne pouvait pas le dire, puisque tous les jours les tribunaux sont obligés de juger par défaut.
Elle a dit, à la vérité, que les jugements seront motivés et prononcés en audience publique, mais le travail de la chambre des requêtes ne se trouvera pas en opposition avec ces dispositions constitutionnelles.
Le jugement de rejet est nécessairement motivé et il est rendu en séance publique.
Le jugement d’admission n’a de jugement que le nom. C’est une simple disposition sur requête qui, par sa nature, ne peut même être motivée, qui ne préjuge rien et qui par conséquent n’est pas un jugement proprement dit.
On a dit que la filière de la chambre des requêtes aurait l’inconvénient de retarder inutilement l’instruction des affaires.
Ici il faut distinguer.
C’est vrai en ce qui concerne les affaires qui sont réellement susceptibles de cassation, mais cela n’est pas exact en ce qui regarde les affaires dont la témérité et la mauvaise foi saisiront la cour, et ces affaires sont à coup sûr les plus nombreuses.
Or, puisque celles-ci pourront être expédiées sommairement et sans débats préalables, il est plus vrai de dire que bien loin de retarder en général l’instruction des affaires, la chambre des requêtes servira à expédier plus promptement le plus grand nombre.
On a objecté que l’existence de la chambre des requêtes nuisait à l’uniformité de doctrine ; mais cette objection n’est pas concluante non plus, puisqu’à cause du roulement des conseillers, une seule chambre n’assurerait pas mieux cette uniformité. Nous n’avons pas vu d’ailleurs en France, que la chambre de cassation a été plus souvent en contradiction avec la chambre des requêtes qu’avec sa propre jurisprudence.
On a dit que la chambre des requêtes n’avait eu pour objet que d’empêcher l’encombrement des affaires, et qu’en conséquence, elle est inutile ici, où il n’y aura pas assez d’affaires pour qu’un encombrement soit à craindre.
Je ne pense pas que tel soit le seul but d’utilité de la chambre des requêtes, son existence tient à des considérations plus élevées que je crois avoir suffisamment signalées.
On a fait remarquer qu’en France, des jurisconsultes très distingués censuraient l’institution de la chambre de requête, et à cela, je réponds que j’aimerais bien autant voir discuter la question par des hommes d’Etat que par des jurisconsultes ; qu’il n’est d’institution qu’on ne puisse critiquer avec plus ou moins d’apparence de fondement, et qu’au reste, il faut que généralement en France on soit bien peu convaincu de l’inutilité de l’institution, pour qu’elle ait résisté jusqu’à présent, à de si puissantes attaques.
On a dit que la chambre des requêtes avait cela de vicieux qu’elle n’examinerait que superficiellement les affaires. Mais ce n’est pas là un argument, ce n’est qu’un outrage qui blesse le personnel, mais qui n’atteint pas l’institution. La chambre des requêtes comme la chambre de cassation sera composée des sommités dans la magistrature, et ce ne sont pas là des hommes habitués à n’examiner que superficiellement les affaires.
(Moniteur belge n°162, du 8 juin 1832) M. Jaminé. - Messieurs, dans la discussion sur l’ensemble du projet, je me suis élevé contre la chambre des requêtes. Après avoir rappelé ce qui se pratiquait en France, et ce qui s’y pratique encore aujourd’hui je cru devoir m’arrêter devant l’observation que la critique de cette partie du projet viendrait plus à propos, lorsque nous en serions à l’examen des articles. Nous y sommes maintenant.
Vous présenterai-je le résumé fidèle des objections qu’on fait en France, contre le maintien de la chambre des requêtes ? Je ne le puis presque plus. Quand on a entendu deux ou trois orateurs pour, deux ou trois orateurs contre, on sait à peu près à quoi s’en tenir. Essayons pourtant ; peut-être tout en répétant les arguments qu’on a fait valoir, rencontrerai-je ceux de mes adversaires, et peut-être répondrai-je aux traits lancés contre moi par un député dont je ne suspecte pas les intentions, mais dont les paroles sont susceptibles d’une double interprétation
Ce qui plaide le plus pour le maintien d’une chambre des requêtes, c’est l’idée, dont on a peine à se défaire puisqu’on la dit avoir présidé à sa création, que par là, on évite l’examen solennel et contradictoire d’une foule de pourvois, dictés par l’humeur ou la légèreté ; et ce qui ne plaide pas moins pour son maintien, c’est que le défendeur, qui a souvent gagné sa cause en première instance et en appel, ne doit pas, sans de justes motifs, être exposé à de nouveaux frais, à de nouvelles inquiétudes.
Si ce raisonnement ne pouvait pas être victorieusement réfuté, on demanderait si l’avantage qu’on se promet en établissant une chambre des requêtes, en balance les inconvénients ?
On a tenté de prouver que la chambre des requêtes contentait tout le monde, demandeur et défendeur. Je m’impose la tâche de prouver le contraire.
La violation de la loi, la fausse application de la loi est dénoncée. Mémoire, rapport, conclusions, et puis un long délai avant que la chambre décide ; je ne dis pas un an, nous n’avons pas besoin d’exagérer.
Le pourvoi est rejeté ! Une seule voix peut avoir déterminé le rejet. Peut-on dire en âme et conscience que la loi a été bien appliquée ? Oui, car s’il y avait un doute, on aurait renvoyé ; ou, le pourvoi devait être peu fondé, puisque le demandeur seul a été entendu.
Quand il y a doute, on renvoie. D’où vient donc qu’il y a des arrêts de rejet et de cassation sur des questions identiques ? D’où vient donc, et on est forcé de le reconnaître, que jamais arrêt de rejet n’ait exercé la moindre influence sur les jurisconsultes, les cours et les tribunaux ?
Le demandeur est seul entendu ! mais qui empêche le défenseur de présenter des mémoires, qui l’empêche de solliciter ? et malheureusement les sollicitations sont bien dangereuses. Il y a là un juge, mais il y a là aussi un homme. Il sort souvent de son cabinet avec une prévention contre le demandeur, et cette prévention le suit à la cour.
Mais nonobstant ces mémoires ou ces sollicitations, le pourvoi est admis. Ou il est rejeté, ou il y a cassation, Dans le premier cas, le demandeur n’a-t-il pas raison de se plaindre de ce que la chambre des requêtes n’a pas mieux examiné l’affaire ? Pourquoi l’exposer à ces alternatives de craintes et d’espoir, pourquoi ne l’avoir pas arrêté sur le seuil s’il devait périr en entrant ?
L’arrêt est cassé. Si le défendeur a exécuté l’arrêt attaqué et qu’il soit devenu insolvable, le demandeur n’aura pour prix de ses peines et de ses frais que le plaisir d’avoir fixé un point de droit contesté.
Soit, dira-t-on. La position du demandeur ne doit pas être favorisée. Il a perdu en première instance et en appel. Cela n’est pas tout à fait exact ; il peut avoir gagné en première instance et perdu seulement en appel, et nous savons que ce sont de pareils plaideurs qui ordinairement se pourvoient en cassation.
Tout pour le défendeur. Il sera l’objet spécial des faveurs, de la prédilection du législateur et on se trompe encore. Le défendeur aussi va se plaindre.
Il ignore qu’il y a pourvoi ; il exécute l’arrêt. Cet arrêt est cassé ; le voilà exposé aux plus grands désagréments. Passe encore s’il ne s’agit que de la restitution d’une somme d’argent, mais qu’en sera-t-il s’il est question d’une maison adjugée, abattue ? et s’il perd, quels frais ? et si le pourvoi est admis par la chambre des requêtes, quel préjugé ? Méprise-t-on à la première chambre les lumières de la seconde ? Sont-ce les mêmes magistrats, le même corps ? Sera-t-il motivé l’arrêt d’admission ? Non, dit l’un ; oui, dit l’autre. Oui, disons-nous aussi, car l’article 97 de la constitution veut que tout arrêt soit motivé et il y a ici arrêt, Il sera donc motivé et comment ? Sans doute, il contiendra les moyens fournis par le demandeur, et sans doute, il établira un préjugé en sa faveur. Donc plaintes de tout côté et si, comme le dit un jurisconsulte français, le demandeur, entendu seul à la chambre des requêtes, outrage le défendeur, qui répondra pour ce dernier ?
Les pourvois dictés par l’humeur et l’amour-propre doivent être écartés. S’il y a discussion sur des intérêts minimes, ne craignez rien, l’amende et les frais arrêteront les mauvais plaideurs. S’il y a débat sur des intérêts majeurs, quel mal y a-t-il à un examen approfondi et contradictoire ? « Et qu’importe au surplus, dit un jurisconsulte français, quelques-uns de ces pourvois interjetés à la hâte, poursuivis par amour-propre ! Faut-il que les bons souffrent pour les mauvais ? Pour quelques pourvois dont une discussion contradictoire aurait fait justice de suite, que peut-être même elle eût arrêtés, c’est celui qui en définitive a juste sujet de se plaindre, qui éprouvera dommage, obligé qu’il a été d’attendre longtemps devant la chambre des requêtes avant d’obtenir la permission de citer sa partie adverse devant la chambre civile. »
De pareilles pourvois, dit-on, resteront du moins dans le vestibule. Est-ce que la justice serait avilie pour avoir repoussé une chicane ? Le sont-elles les cours supérieures qui ne peuvent se refuser à la stigmatiser portes ouvertes, toges déployées ?
Nous mutilons, nous dégradons l’institution ? Non, nous élevons un bâtiment plus simple, plus approprié à nos besoins.
Quarante ans d’expérience sont cependant quelque chose. S’il y avait un vice, n’y a-t-il pas longtemps qu’on aurait provoqué des changements ? Ces quarante ans ne prouvent autre chose pour moi sinon que le vice signalé n’a pas disparu plus tôt.
Le silence gardé par le législateur ne me touche pas davantage. Voyez ce qui en était du code pénal. Tout le monde convenait que c’était une monstruosité, et n’est-il pas resté debout tout entier, et quinze ans après que la critique la mieux fondée en eût démontré l’atrocité ? Et où sont donc les autorités de nos adversaires ? Nous citons, nous, Dupin, Isambert, Carré, le savant avocat de la cour de cassation qui rédige les principaux articles de la Gazette des Tribunaux, les Annales de jurisprudence et de législation, le Manuel de cassation… Nous nous trompons. Ils ont aussi une autorité, bien respectable sans doute : la cour de Liége a fait présenter dans le temps un mémoire, à l’effet de voir rétablir la chambre des requêtes.
Oui, voilà une autorité respectable ; mais l’est-elle moins celle de la cour de Bruxelles qui s’est levée en masse pour proscrire la chambre des requêtes ? Et qu’on ne nous parle donc plus tant d’expérience, nous aussi nous pouvons invoquer de l’expérience. S’est-on plaint depuis 1815 de la manière de procéder devant la cour de cassation, a-t-on regretté ici l’absence d’une chambre des requêtes ? et non, on a critiqué l’établissement de trois cours de cassation, on ne voulait pas qu’une cour de cassation connût du fond et voilà tout.
Répéterai-je avec l’honorable M. Jonet que si la cour de cassation était uniquement instituée comme cour régulatrice dans l’intérêt de la loi, ainsi que le prétendent nos adversaires, il faut défendre aux parties de se pourvoir, il ne faut plus permettre qu’au ministère public de dénoncer les contraventions aux lois ? et c’est là cependant la base de tous les raisonnements des partisans d’une chambre des requêtes.
Je ne m’adresse pas aux avocats, a dit un honorable membre, mais aux législateurs. Manquent-ils d’expérience ou de lumières ces avocats ? Mais ils peuvent souvent mieux juger du mouvement que ceux qui se trouvent dans le tourbillon. Sont-ils mus par un intérêt personnel ? Mais alors ils doivent demander une chambre des requêtes, car la plupart du temps ils auront deux procès au lieu d’un. Intérêt personnel ! Non, on ne l’a pas entendu ainsi. On sait que si nous déposons nos qualités à cette porte, nous y déposons aussi nos affections et notre intérêt. Et ne le prouvons-nous pas ? Pourquoi abandonnons-nous une vie douce et paisible pour nous jeter au milieu des orages politiques ? Pourquoi perdons-nous la majeure partie de notre clientèle en venant siéger ici ? Nous voulons servir notre pays... On n’a pas articulé le reproche, on n’y a pas pensé peut-être, mais sans doute on a donné lieu à penser ; et pour ma part je m’explique, je suis avocat ; que les autres disent s’ils démentent mon langage !
Ne dit-on pas aussi que la chambre des requêtes préviendra l’embarras et une perte de temps considérable ? Comment, parce qu’il y a là deux chambres, on irait plus vite et plus régulièrement ! Mais non, car en cas de rejet par la chambre des requêtes, on a déjà employé presque autant d’heures qu’il en faut pour un examen contradictoire ; mais en cas d’admission, le procès va seulement commencer.
Ne tire-t-on pas aussi un argument de l’existence des chambres de mise en accusation ? Lorsqu’il s’agit de vérifier une accusation criminelle, de constater et d’apprécier toutes les circonstances du fait complexe qui en forme le sujet, on ne peut trop multiplier les examens préparatoires, les jugements d’instruction. Mais le problème que présente à résoudre un pourvoi en cassation, est d’une nature bien différente. Toutes ses données se trouvent dans la comparaison de l’arrêt attaqué avec la loi qu’on lui impute d’avoir violée, et l’opération par laquelle on parvient à résoudre ce problème n’est point de celles qui peuvent être préparées par une chambre et terminées par l’autre.
De quoi s’agit-il, en effet, ? de bien déterminer le principe, la disposition législative qui régit la matière et d’en déduire, par une chaîne de raisonnements rigoureux, la conséquence qui s’applique à l’espèce. Cette œuvre de science et de logique ne peut être scindée ; il faut laisser la tâche entière à la chambre chargée de la remplir ou ne lui en laisser aucune partie. Voilà la réponse que fait un autre jurisconsulte français à une objection qui n’a plus le mérite de la nouveauté.
On est toujours admirateur de ce qu’on n’a pas ; mais jusqu’à présent nous n’avons rien, mais nous travaillons pour avoir quelque chose.
Que ceux qui vantent une cour de cassation néerlandaise la prennent ! Mais on n’en voudra pas ; on ne l’a pas vantée, on a tout simplement donné des éloges au législateur de 1815 pour avoir établi qu’on avait accès à la cour de cassation, sans devoir solliciter un passeport.
Je ne dirai rien de l’encombrement des affaires. L’honorable M. Barthélemy rend inutile l’exposé de mes calculs. Certes, pendant une grande partie de l’année, la cour de cassation chômera, si on admet une chambre des requêtes. Cependant comme on vient de le dire à l’instant, cette cour sera composée des sommités de l’ordre social. Qu’en adviendra-t-il ? Que ces sommités se rouilleront.
Voici un autre argument qui séduit au premier aspect. Le fisc est infatigable. S’il succombe en première instance, il appelle, s’il succombe en appel, il se pourvoit en cassation et le malheureux contribuable se ruine s’il veut suivre son adversaire ; ou bien il est contraint de signer une transaction scandaleuse. Dans l’impossibilité où nous sommes d’empêcher le fisc d’aller en appel, faisons du moins en sorte que ses injustes pourvois soient immédiatement rejetés.
Il en était ainsi sous le gouvernement déchu ; cent fois nous avons gémi sous les moyens infâmes employés pour forcer nos concitoyens à renoncer à leur bon droit. Il n’en est plus tout à fait ainsi aujourd’hui. Le fisc appelle encore, il va encore en cassation, mais il est rare de le voir poursuivre une affaire, si les avis recueillis sont défavorables. Ces appels, ces pourvois ne sont que des mesures de précaution, pour éviter que le délai fatal s’écoule. Je le sais : nous ne travaillons pas pour quelques jours. Si le fisc est aujourd’hui raisonnable, modéré, tendre, il peut redevenir injuste, tracassier, tyrannique.
Mais, combien de pourvois y a-t-il à craindre, de la part du fisc ? On raisonne comme si tout pourvoi du fisc devait être porté devant la section civile. Il est constant que la masse des procès fiscaux sont relatifs aux douanes, aux accises. Dans ces sortes d’affaires, c’est le tribunal correctionnel qui décide ; si contre un arrêt prononcé en appel le fisc se pourvoit en cassation, ce pourvoi est porté immédiatement devant la chambre criminelle et correctionnelle. Ce ne sont que les pourvois du fisc en matière civile, par exemple, dans les affaires de domaines, d’enregistrement, qui pourraient être dévolus à la connaissance d’une chambre des requêtes. Et combien y en a-t-il de cette espèce ? Deux, peut-être, en un an ? Ainsi, pour ces deux procès, on établirait une chambre des requêtes. Ainsi, on en voudrait, parce qu’elle est utile dans un seul cas, inutile dans tous les autres.
Je ne crains pas une diversité de jurisprudence. Le roulement, s’il ne tombe pas en désuétude comme en France, préviendra cette diversité ! Mais, cependant, au commencement il y aura embarras, il y aura divergence. Je cite un exemple.
L’orateur après avoir établi que dans la question du dessaisissement de plein droit en matière de faillite, la chambre des requêtes peut rejeter aujourd’hui un pourvoi, tandis qu’un an après la chambre civile peut obtenir le renvoi d’une affaire identique et casser, dit :
Que reste-t-il des arguments de nos adversaires ? Les dégradations, les mutilations, l’expérience. Tout cela peut faire une terrible impression sur les personnes qui sont étrangères à la matière, mais il laisse froids ceux qui connaissent, qui méditent, qui calculent. Comme je connais un peu, que j’ai calculé un peu, que j’ai un peu médité, je persiste dans mon opinion.
(Moniteur belge n°161, du 7 juin 1832) M. de Gerlache. - Je demande la parole pour un fait personnel. Messieurs, il semblerait résulter des paroles de l’honorable préopinant que j’aurais voulu, dans mon discours, déverser indirectement le blâme sur l’ordre des avocats. Ce serait l’avoir fait tomber sur moi-même tout à fait d’aplomb car, messieurs, j’ai fait partie de cet ordre respectable, et je regrette toujours ce temps, ce fut le plus beau de ma vie. L’honorable membre s’est mépris sur mes intentions. J’ai parlé des avocats qui se font auteurs, et qui ne peuvent guère se faire de réputation qu’en attaquant ce qui est. C’est comme auteurs que j’ai voulu parler d’eux, et non comme avocats.
Avec des probabilités, des argumentations plus ou moins adroites, on peut attaquer tout ce qui existe. On présente les institutions que l’on veut saper sous leur mauvais côté, on s’efforce d’en mettre en relief les inconvénients. On prend au contraire ce qu’on veut mettre à la place, on met de côté tous les inconvénients du nouvel ordre de choses et quand sur la foi de tels auteurs vous avez adopté l’institution nouvelle, quand vous reconnaissez que vous vous êtes trompé, tant pis pour vous. Moi auteur, je m’en inquiète peu ; j’ai pris ma plume pour renverser ce qui me déplaisait : j’ai réussi, c’est tout ce que je demandais. Voilà comme on raisonne, on a atteint son but, on s’est acquis une réputation ; car, messieurs, il y a une espèce de mérite à réussir dans de telles entreprises ; on s’inquiète peu du reste.
Mon opinion s’adressait donc, non pas à l’ordre des avocats, à cet ordre, la pépinière de la magistrature, auquel on s’honore toujours d’avoir appartenu, mais à ces théoriciens sans nom, qui veulent à tout prix s’en faire un. Trouvez-vous, messieurs, que l’opinion de tels hommes ait assez de prix pour vous engager à porter la main sur une institution aussi belle que celle de la cour de cassation, quand les Henrion de Pansey, les Daniel, et tant d’autres noms illustres n’ont jamais songé à en blâmer la composition ?
On a dit que l’on se proposait en France de présenter un projet de loi pour supprimer la section des requêtes. Mais, messieurs, vous avez un projet qui est le résumé de ce qui existe en France. Si on doit toucher à la cour de cassation chez nos voisins, attendons que la loi dont on parle ait été proposée et adoptée, vous profiterez ici de ce qui aura été fait en France ; mais jusque là, il me semble très prudent de conserver l’institution telle qu’elle est, pour ne pas nous trouver exposés à de fâcheux mécomptes.
M. Jaminé a dit encore qu’il ne serait pas compris par ceux qui n’entendaient rien à la matière. Il me semble, messieurs, qu’il y a dans ces mots un peu de malignité. Je ne sais si ces mots je dois les prendre pour moi. ; mais je crois comprendre assez la matière, je l’ai étudiée, mon devoir était de la connaître ; et d’ailleurs, de toutes les institutions judiciaires, celle de la cour de cassation est la plus facile à comprendre, car son mécanisme est le plus simple ; je crois, dis-je, la connaître assez, et si je me trompe, mon opinion est du moins basée sur une profonde conviction. Je prie donc la chambre de m’en croire, quand je lui conseille le maintien de cette belle institution.
M. Jaminé. - Je ne répondrai qu’un seul mot. Je connais tellement la loyauté de M. de Gerlache, que le mot qui se trouvait dans son discours ne m’avait même pas frappé ; mais depuis, ce mot a été répété, commenté, colporté, on l’a employé avec une certaine affectation, comme pour m’en faire un reproche, j’ai cru devoir répondre, et dire quelques mots, afin de provoquer une explication.
M. le président. - M. Bourgeois a la parole.
M. A. Rodenbach. - A demain la cause ! (Hilarité générale.) (A demain ! à demain !)
- D’autres voix. - Non ! Il est de bonne heure encore.
M. Ch. de Brouckere. - Je demande la parole pour un rapport.
M. le président. - M. de Brouckere a la parole.
(Moniteur belge n°162, du 10 juin 1832) M. Ch. de Brouckere, rapporteur de la commission chargée de la révision de la loi sur les mines, lit le rapport suivant. - Messieurs, la commission que vous avez chargée de revoir en tant que besoin la loi du 21 avril 1810 et d’examiner les projets relatifs aux mines, a été saisie du projet que le sénat a substitué à celui que vous aviez discuté antérieurement.
Il se borne à l’institution d’une commission pour remplacer le conseil d’Etat dans les attributions qui lui sont confiées par l’article 5 de la loi, en restreignant les pouvoirs de la commission et du gouvernement aux demandes en maintenue de concessions ou d’exploitations anciennes.
Votre commission a été unanimement d’accord qu’il y aurait déni de justice à prolonger l’état d’incertitude où se trouvent ceux dont les droits sont clairement établis, elle a approuvé de la même manière la composition de la commission. Cependant un membre, craignant qu’il ne résulte des abus de l’article 3, et que par la délimitation des maintenues les droits de propriété de tiers ne soient lésés, n’admet point la rédaction de cet article. A cet incident près la commission a unanimement été d’avis que le projet de loi était indispensable pour régler beaucoup d’intérêts en souffrance et qu’il était suffisant pour le moment, en conséquence elle vous en propose l’adoption.
- La séance est levée à quatre heures.