(Moniteur belge n°151, du 30 mai 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
A midi et demi la séance est ouverte. On procède à l’appel nominal et à la lecture du procès-verbal, dont la rédaction ne donne lieu à aucune réclamation.
MM. les ministres des affaires étrangères et de la justice sont à leur banc.
Les tribunes publiques sont remplies de spectateurs.
M. le président donne communication à la chambre du message par lequel le sénat fait connaître que, dans sa séance du 26, il a rejeté le projet de loi concernant la formation d’un comité spécial des mines.
M. Mary, organe de la section centrale, fait un rapport sur le projet de loi relatif aux douanes. - Messieurs, à l’époque de notre séparation d’avec la France, notre système de douanes était régi par la loi du 22 août 1791, qui est encore en vigueur en France, et que plusieurs orateurs ont plusieurs fois citée dans cette enceinte comme un modèle de clarté et de précision. Depuis lors, le génie de l’innovation nous a valu successivement deux arrêtés-lois de 1814, puis les lois de 1816, de 1819 et de 1822, qui ont chaque fois apporté dans cette partie une nouvelle organisation. Mais toujours la fraude plus adroite que le législateur, trouvait le moyen de s’introduire à travers le réseau des dispositions fiscales.
L’essai que l’on vous propose aujourd’hui se rapproche des dispositions des articles 35 à 62 du titre XIII de la loi de 1791. Ils admettent, comme le projet qui vous est soumis, un territoire réservé de deux lieues (un myriamètre), mais sans diminution vers les côtes maritimes et la loi du 4 germinal an II astreignait en outre les capitaines des bâtiments naviguant, louvoyant ou à l’ancre dans la distance de 4 lieues des côtes, à l’exhibition de leurs manifestes ou la visite à des préposés de la douane. Elle prononçait contre eux des amendes dans le cas où ils étaient trouvés en contravention aux lois de douanes et même la confiscation de leurs bâtiments s’ils contenaient des marchandises prohibées.
L’article 24 de l’arrêté du gouvernement général de la Belgique du 23 juin 1814 avait réduit le territoire réservé à un demi-myriamètre, sans l’étendre sur mer. Les articles 53 et 54 de l’arrêté du 26 octobre 1814 se bornaient même à ne soumettre qu’à des acquits-à-caution ou à des passavants, les propriétaires ou conducteurs des marchandises ou denrées que l’on faisait voyager dans la distance d’un myriamètre de la frontière ou des côtes. La loi du 3 octobre 1816, plus rigoureuse dans ses articles 53 et 71, établissait deux lignes de surveillance, l’une frontière, l’autre tracée à l’intérieur, dans une direction parallèle à la première et à la distance d’une lieue plus ou moins, suivant les circonstances locales.
Les articles 215 à 236 de la loi du 12 mai 1819 maintenaient ces dispositions avec de légers changements de détails ; mais la loi qui nous régit aujourd’hui, celle du 26 août 1822, tout en maintenant dans son article 177 le même territoire réservé de 5,500 mètres (environ une lieue) pour les frontières de terre, le réduisait à 2,600 mètres (une petite demi-lieue) pour les côtes maritimes. En outre l’article 162 exigeait que l’on fût muni d’acquits-à-caution pour la circulation des marchandises dans la distance de 22,500 mètres de la frontière de terre et de 2,600 mètres dans celle de mer.
Il est essentiel de se pénétrer de ses antécédents et de s’éclairer de l’expérience qu’ils ont pu nous fournir, pour pouvoir bien apprécier la proposition législative qui vous est soumise aujourd’hui. Elle tend à nous ramener aux principes de la loi de 1791. Elle soustrait 12,500 mètres en-deçà du rayon de la frontière de terre, aux entraves de la circulation auxquelles les soumettait la formalité des acquits-à-caution et des passavants ; mais elle double en partie l’étendue actuelle du territoire réservé. Cependant on ne peut se dissimuler qu’il existe une espèce d’interdit sur ce qu’on appelle territoire réservé, en ce sens qu’aucune marchandise ne peut y circuler sans être munie de documents ; qu’en général, les transports ne peuvent s’y faire qu’entre le lever et le coucher du soleil ; que dans ce même espace de temps, les employés sont autorisés à faire des visites dans les maisons ou enclos, où ils soupçonnent l’existence clandestine de magasins et dépôts défendus ; que tout grande fabrique, que toute boutique ou débit de sel, vin, boissons distillées, vinaigre ou bière ne peut y être établie qu’avec le consentement du gouvernement.
Mais ces entraves sont admises dans les Etats voisins, mais l’expérience les a rangées parmi les obstacles les plus assurés contre la fraude, et si l’on veut donner à notre douane des moyens suffisants de surveillance, il faut bien se résoudre à les adopter. Il faut surtout ne pas perdre de vue que, si l’on n’admettait à cet égard que des mesures insuffisantes, une institution qui doit être la protectrice et la sauvegarde de l’industrie en serait l’ennemie la plus sûre. Elle donnerait en effet à la fraude la facilité de ruiner l’industriel, le commerçant honnêtes qui n’auraient pas recours à la contrebande et qui croiraient devoir satisfaire aux droits fixés par les tarifs ; trop souvent même, on les a vu forcés pour soutenir le commerce à devoir employer aussi des moyens qui répugnaient à leur caractère et à leur amour du bien public.
C’est ce que nous a très bien démontré un négociant de Bruxelles dont la pétition a été imprimée par suite de la décision que vous avez prise dans votre séance du 16 mars dernier. Vous n’ignorez pas, messieurs, que la fraude s’opère sur notre ligne de douanes par divers procédés ; tantôt c’est en introduisant ou sortant des marchandises à l’insu des préposés de la douane ou à main armée. On ne peut y mettre obstacle qu’en ayant un nombre suffisant d’employés, afin d’avoir une ligne de surveillance compacte et serrée, en soumettant de plus la circulation à certaines formalités dans un rayon déterminé, en permettant même de poursuivre la fraude en-deçà du territoire réservé, dès que les proposés des douanes l’ont vue pénétrer et l’ont suivie sans interruption.
Tantôt la fraude s’opère en corrompant les employés, afin qu’ils facilitent l’introduction des marchandises sans droit ou avec des droits moindres que ceux établis par les tarifs. C’est ainsi que l’on gagne un visiteur qui classe les objets de manière à ne les soumettre qu’à des droits souvent nuls. C’est ainsi que l’on fait décharger à un bureau de la frontière par des employés corrompus des acquits-à-caution délivrés pour des marchandises faussement déclarées en transit, que l’on ne représente pas à la sortie et qui restent dans l’intérieur du pays. Pour arrêter cette dégoûtante démoralisation, il faut un choix de bons employés, une inspection assidue, un contrôle de tous les jours, en cas de conviction, pour laisser suivre son cours à la loi pénale ; enfin pour obtenir ces divers résultats, il faut pouvoir exercer la surveillance sur les préposés dans un cercle peu étendu.
Notre section centrale aurait voulu, par une révision totale de la loi du 26 août 1822, arrêter les progrès de la fraude qui ne se fait qu’avec trop d’impunité ; elle aurait voulu pouvoir surtout se rapprocher des dispositions de la loi du 22 août 1791, qui nous a régis pendant 18 ans et qui a paru à la plupart de vos sections bien supérieure aux essais multipliés qui ont surgi depuis lors. Tout en répétant cependant le vœu presque unanime de ces mêmes sections pour la prompte révision de la législation actuelle de douane, elle partage leur opinion de borner pour le moment votre discussion au seul point qui vous est soumis par le gouvernement, comme étant le plus urgent.
Pressés que nous sommes par l’examen des lois destinées à compléter notre organisation politique, le temps nous manquerait pour établir avec assez de maturité un nouveau code de douanes. Il doit nous suffire en ce moment d’appeler l’attention du gouvernement sur cette révision, de lui rappeler surtout qu’entrés dans la grande famille européenne, nous devons nous occuper sans retard à former avec nos voisins des traités de commerce, établis sur les bases d’une juste réciprocité, de concessions mutuelles, de compensations respectives, traités qui offriraient des débouchés aux produits de notre industrie, tout en nous enrichissant des productions de nos voisins, et qui feraient disparaître peu à peu des prohibitions qu’il serait imprudent de lever seulement de notre côté, avant d’obtenir des modifications favorables à des tarifs qui ne nous excluent que trop souvent des marchés étrangers.
Il conviendrait encore d’abolir par ces traités les droits différentiels qui assurent un avantage aux marchandises apportées par des bâtiments nationaux, en frappant d’un droit supplémentaire celles qui arrivent sur les bâtiments étrangers.
Ces espérances, ces vœux, la section centrale se plaît à les exprimer ici, car le bien-être matériel de notre patrie est fortement intéressé à leur accomplissement et personne n’ignore qu’à ce bien-être matériel se trouve attachée la prospérité de la Belgique, si riche d’industrie agricole, manufacturière et commerciale.
Nous allons rentrer maintenant dans les détails du projet de loi qui vous est proposé.
Cinq sections se sont fait représenter à la section centrale, une seul n’a pas envoyé de rapporteur. Toutes ont été unanimes pour l’adoption d’un rayon unique au lieu d’un double rayon de douanes. Elles y ont vu non seulement une économie pour le trésor, mais elles pensent qu’en concentrant la surveillance sur une ligne plus resserrée dans un pays qui, ainsi que le nôtre, est d’une médiocre étendue, on apportera plus d’obstacles à la fraude.
Quant à la manière dont ce rayon serait établi sur terre et sur mer, les avis sont divisés. Le gouvernement voulait porter la moitié de ce rayon sur mer, mais ne proposait pas des moyens d’exécution et de surveillance sur cette dernière partie. Cependant la loi du 26 août 1822, n’étendant pas le rayon de la douane sur mer, ne contenait aucune disposition à cet égard, et dès lors il pouvait sembler ridicule de vouloir appliquer à des bâtiments navigant loin des côtes des dispositions qu’il leur serait impossible d’accomplir et qui n’ont été faites que pour les cas de transports intérieurs ou d’arrivages. Votre section centrale n’a donc pas cru devoir étendre le rayon sur mer, mais a voulu se borner à y établir une simple surveillance ; c’est ce qui a nécessité la rédaction du dernier paragraphe de l’article premier et l’adjonction de deux nouveaux articles 2 et 3.
Cette surveillance, elle l’a étendue sur l’espace d’un myriamètre et c’est effectivement sur cette distance des côtes des Flandres que le gouvernement autrichien semblait porter autrefois ses droits de suzeraineté. L’article a indiqué comment s’établira cette surveillance : c’est au moyen d’une croisière, destinée à prévenir et à empêcher les introductions et importations frauduleuses. L’article 3 parle de bâtiments qui seront soumis à la visite et à l’exhibition de leur connaissement ; ce sont ceux en dessous du port de 50 tonneaux et qui se trouvent louvoyant ou à l’ancre, dans la distance d’un myriamètre de la côte, hors le cas de force majeure. Ainsi l’on pourra facilement reconnaître ou signaler les bâtiments contrebandiers.
La section centrale a pensé que vouloir aller plus loin et soumettre à des formalités spéciales les capitaines ou patrons de navires dont les manifestes ne seraient pas reconnus en règle ou qui auraient à bord des marchandises dont l’entrée ou la sortie est prohibée en Belgique, ce serait peut-être amener des collisions avec des puissances voisines et entraîner à des représailles, alors surtout que nous n’avons que dix lieues de côtes maritimes. Si, d’ailleurs, plus tard cette possibilité, cette nécessité étaient reconnues, il serait toujours facile de l’introduire dans la loi pénale sans troubler en rien l’harmonie des dispositions qui vous sont soumises aujourd’hui.
L’article 2 du projet ministériel, qui devient le 4ème de celui que nous aurons l’honneur de vous proposer, n’a éprouvé d’opposition que dans la cinquième section. Elle proposait de ne pas étendre les dispositions de l’article 177 de la loi du 26 août 1822 au-delà des distances qui y sont établies et de n’appliquer au surplus du nouveau rayon que les restrictions portées par l’article 162. Votre section centrale n’a pu partager cet avis, puisqu’il lui a semblé que c’eût été dès lors rétablir deux rayons distincts, dont le second eût été moins étendu qu’il ne l’est maintenant. Elle a cru qu’il fallait accroître les moyens de surveillance et appliquer ainsi à tout le nouveau rayon les dispositions de l’article 177 de la loi du 26 août 1822. Elle a fait plus en reproduisant ici la clause de l’article 35 du titre XIII de la loi de 1791, qui autorise les proposés des douanes, en cas de poursuite de la fraude, à la saisir même en-deçà du rayon établi, pourvu toutefois qu’ils l’aient vu pénétrer et qu’ils l’aient suivie sans interruption.
Quant à la fin de l’article qui nous occupe et à l’article 3 qui le suit, dont le premier exempte de l’autorisation préalable les boutiques, usines et fabriques établies dans l’adjonction du nouveau rayon à l’époque de la mise à exécution de la nouvelle loi et dont le second cesse d’assujettir aux restrictions prescrites par l’article 162, la partie de territoire qui reste en dehors de la nouvelle ligne, la section centrale vous en propose la suppression, elle est d’accord et ce point aura la majorité des sections, qui ne voient pas qu’il faille énoncer dans la loi des dispositions qui sont de droit commun, car une loi ne peut avoir d’effet rétroactif et elle supprime la loi antérieure dans tous les points qui lui sont contraires ou qu’elle abroge de fait.
L’urgence reconnue de l’établissement de la nouvelle ligne de douanes a engagé votre section centrale à la mettre sans délai en activité et à fixer dans un article final l’époque de la mise à exécution de la nouvelle loi, au 1er juillet prochain. Par suite, elle a énoncé à l’article premier, que le cours du nouveau rayon de douanes devait être réglé avant le 25 juin, afin que les intéressés en soient informés quelques jours d’avance, et elle a fait disparaître l’article 4 du projet ministériel.
D’après ces considérations, j’ai l’honneur de vous proposer, au nom de la section centrale, l’adoption du projet de loi modifié dans les termes suivants : (suit le texte du projet modifié, non repris dans la présente version numérisée).
M. le président. - Ce rapport sera imprimé et distibué. Le projet de loi sur les douanes est depuis longtemps réclamé dans l’intérêt du commerce et de l’industrie ; sa discussion ne sera pas très longue et occupera au plus deux séances ; on demande si vous ne lui accorderiez pas la priorité sur le projet relatif à l’organisation judiciaire dont la discussion durera plusieurs jours.
M. Dumortier. - Le projet sur les douanes mérite d’être examiné ; il faut donner le temps de le méditer.
M. le président. - Il sera imprimé et distribué aujourd’hui ; toutes les mesures sont prises pour que la distribution soit effectuée ce soir.
M. Jaminé. - Je demande que l’on suive l’ordre qui a été tracé pour la discussion des projets, et, qu’ainsi, celui sur l’organisation judiciaire soit mis le premier en délibération. Il est extrêmement urgent.
M. Hye-Hoys. - Il est impossible de discuter, demain, le projet sur les douanes ; le rapport, assure-t-on, sera distribué aujourd’hui ; mais nous n’aurons pas eu le temps de l’étudier.
M. Delehaye. - Le projet de loi sur les douanes est urgent, et nous l’avons étudié puisque nous l’avons examiné en sections. La loi sur l’organisation judiciaire n’a pour but que de fixer les attributions des cours d’appel et de la cour de cassation ; de créer, peut-être, une troisième cour d’appel ; mais les cours d’appel et la cour de cassation existent déjà, et aucun préjudice grave ne peut résulter pour le pays du retard de la loi. Il en serait autrement si l’on retardait la loi sur les douanes.
Je demande que la discussion sur les douanes soit ouverte demain.
M. d’Elhoungne. - L’organisation judiciaire est plus importante que le projet relatif à un changement dans les lignes de douanes ; mais le projet sur l’organisation judiciaire occupera la chambre plusieurs jours ; et, s’il est nécessaire qu’il soit incessamment voté et mis à exécution, il n’en est pas moins vrai qu’un retard de quelques jours ne peut avoir aucune influence funeste sur la discussion et sur la décision que vous prendrez. Je pense que deux jours de délai ne peuvent nuire à l’organisation judicaire ; ce délai sera, au contraire, utile ; car le projet primitif est tellement modifié que quelques jours sont nécessaires pour étudier la nouvelle proposition. Je demande la priorité pour le projet sur les douanes.
M. A. Rodenbach. - Je demande que le projet sur les douanes soit examiné après-demain. Je suis persuadé que ce projet ne remplira pas son but ; qu’il produira un effet opposé, et sera avantageux aux fraudeurs. Il est nécessaire pour l’industrie et le commerce qu’une décision prompte soit prise.
M. le président. - Je vais mettre aux voix la proposition de commencer la discussion sur les douanes après-demain.
- Un membre. - Il faut commencer par décider la question de priorité.
M. A. Rodenbach. - Discuter demain la loi sur les douanes ne serait pas donner le temps de l’examiner ; nous ne devons pas aller en poste.
- La chambre, consultée, décide que la priorité de la discussion est accordée au projet sur les douanes.
M. Destouvelles. - Si le projet est distribué ce soir, je ne vois pas pourquoi on ne le discuterait pas demain.
M. le président. - Il sera en effet imprimé et distribué aujourd’hui ; il est question de savoir si vous avez le temps de l’examiner.
M. Destouvelles. - Je demande que la discussion commence demain.
- La chambre fixe la discussion à demain.
M. le président. - En vertu des pouvoirs qui me sont donnés par l’article 33 de la constitution, la séance publique est levée et la chambre va se former en comité secret. J’ordonne que les tribunes publiques soient évacuées et que les huis soient fermés.
- A quatre heures la séance publique est reprise.
M. le président. - La discussion est ouverte sur le projet de loi présenté par M. le ministre de la guerre, et tendant à demander un crédit supplémentaire de 3 millions de florins, applicable au budget de son département.
La commission de la chambre, modifiant la proposition ministérielle, a proposé de n’accorder que 2 millions 588 mille florins, parce que des dépenses égales à cette somme lui ont paru seules être motivées.
M. le président. - M. Lardinois a la parole sur l’ensemble du projet de loi.
M. Lardinois. - Messieurs, peu de jours se sont écoulés depuis que, vous élevant à la hauteur de votre mission, vous avez fait connaître au Roi les inquiétudes et les vœux de la nation. Votre langage aura du retentissement dans les cours étrangères, parce que vous parliez sous les impressions douloureuses qu’avaient fait naître en vous la ratification de la Russie et la conduite inconcevable de notre plénipotentiaire à Londres, qui avait accepté cette ratification contraire au texte formel du traité du 15 novembre 1831.
Jouet de la lenteur calculée de la Russie, abusée par une turpitude diplomatique dont jusqu’à présent il vous a été impossible de connaître l’auteur, la Belgique toute entière a répondu aux sentiments énergiques que vous manifestez dans votre adresse, et si le peuple se plaint, c’est qu’il craint que les mesures du gouvernement ne correspondent pas à son courage.
Cette crainte, ou plutôt cette défiance, est bien naturelle. Le ministère est vacillant depuis quinze jours ; sur lui pèse la responsabilité des conséquences de l’énorme faute commise à Londres ; car l’agent qui en fut l’instrument, bien que désavoué à cette tribune, promène sa suffisance dans Bruxelles, décoré du titre pompeux de plénipotentiaire de Sa Majesté le Roi des Belges ; et pour punition, il paraît qu’il est condamné à subir une quarantaine de deux mois, pour se reposer de ses glorieux travaux !
Mais heureusement le pouvoir législatif veille sur les dangers qui menacent la patrie ; après s’être unies à la nation pour placer sa confiance dans le chef de l’Etat, les chambres achèveront la tâche qu’elles ont commencée. Vous déclarerez aux ministres que les gouvernements libres compromettent leur existence lorsqu’ils se conduisent avec faiblesse et timidité ; et que la somme des sacrifices est épuisée par les 24 articles.
Si vous parvenez à pénétrer le gouvernement de votre énergie, vous avancerez plus nos affaires extérieures que cinquante protocoles. Rappelez-vous, messieurs, que les cabinets furent stupéfaits de nos premiers pas ; en quinze jours, le peuple avait refoulé les Hollandais dans leurs marais ; mais, depuis, nous abandonnant à la diplomatie, nous avons été forcés de sacrifier nos frères, d’accepter une dette énorme, de supporter toutes les insultes, et, en dernier lieu, de voir enlever un membre de la représentation nationale : et, chose affligeante jusqu’à présent, nous n’avons pu obtenir une réparation convenable de l’outrage dont M. Thorn est personnellement victime.
Encore s’il ne s’agissait que de sacrifices pécuniaires, nous pourrions, en attendant les événements, donner de l’argent pour épargner le sang de nos concitoyens et rendre la vie aux transactions commerciales ; mais tel n’est pas le but du roi Guillaume, il veut rendre notre existence impossible pour nous ressaisir lorsque la Belgique haletante et épuisée n’aura plus la force de s’opposer à ses projets.
Examinez, messieurs, les prétentions de la Hollande qui viennent d’être corroborées par la cour de Saint-Pétersbourg ; vous reconnaîtrez tous que c’est une capitulation qu’on veut nous dicter et dont l’acceptation nous serait des plus funestes. C’est donc en vain qu’on prétend nous y amener bénévolement. Il vaudrait mieux mille fois s’ensevelir sous les décombres de cette enceinte plutôt que de consentir que 4 millions de Belges reçussent la loi de deux millions de Bataves.
Le drame des révolutions de juillet et de septembre n’est pas fini ; nous sommes encore dans l’entracte. Malgré tous les actes diplomatiques qui ont surgi depuis ces époques, ce serait une grande erreur de croire que la souveraineté du peuple est incarnée de l’aveu des puissances absolues.
L’intérêt des peuples, et même des princes, pèse peu dans la balances des décisions politiques ; on sacrifie souvent les avantages les plus solides pour satisfaire à la soif des vengeances ou à l’intrigue des cours. Trêve donc aux illusions de l’espérance ! La sainte-alliance n’a pu faire consumer les révolutions populaires dans des commotions intérieures ; elle en appellera, tôt ou tard, à ses bataillons et au sort de la guerre. D’ailleurs, en France, comme en Belgique, le cri général est, plutôt une guerre qu’une patience qui ruine et avilit !
Je crois que nous n’aurons de tranquillité durable que lorsque les événements qui se préparent seront accomplis. Nous devons chercher à faire cesser l’état d’inquiétude, d’indécision et de dépense qui mine le pays ; aux alarmes peuvent succéder la désunion et le désordre, et voir ainsi nos moyens paralysés tout à coup. C’est à prévenir un pareil malheur que les ministres sont appelés, et ils n’y parviendront qu’en prenant une attitude conforme à la dignité de la nation.
Qu’une déclaration authentique soit faite à la conférence, que nous ne pouvons pas nous écarter des 24 articles, qui doivent être acceptés purement et simplement ; que l’on proteste contre la conduite de notre agent à Londres, et qu’on requière des puissances, dans un délai de six semaines, l’exécution franche du traité du 15 novembre 1831.
Si, ce terme expiré, elles n’ont pas déféré à notre demande, marchons sur la Hollande pour vider notre querelle.
Loin de moi, messieurs, la pensée de provoquer une agression et de désirer que la guerre s’allume ; mais lorsqu’un peuple s’est résigné à tous les sacrifices que commandaient la paix de l’Europe ; lorsqu’il a supporté pendant deux ans, avec une constance admirable, des souffrances inouïes ; lorsque pour prix de tous ces sacrifices on lui présente la ruine et l’infamie ; alors, la vue de ces dangers, le souvenir de nos premiers triomphes agitent nos cœurs ; la nation se réveille et elle est prête à verser l’or d’une main et de l’autre à prendre le fer pour combattre ses ennemis du dehors et du dedans. Je voterai pour le crédit demandé par le ministre de la guerre dans la confiance qu’on en fera un autre usage. (Aux voix ! aux voix !)
M. le président. - Demande-t-on la parole dans la discussion générale ? (Aux voix ! aux voix !)
Les articles 1, 2 et 3 du projet présenté par la commission sont successivement mis aux voix et adoptés sans débat. Les voici :
« Art. 1er. Il est ouvert au département de la guerre, sur les fonds de l’exercice courant et en sus de ceux affectés à ce département, par la loi du 29 mars dernier, un crédit extraordinaire de la somme de deux millions cinq cent quatre-vingt-huit mille florins. »
« Art. 2. Le gouvernement est autorisé à répartir provisoirement ce crédit extraordinaire entre les neuf chapitres qui composent le budget des dépenses de ce département. »
« Art. 3. Cette répartition sera proposée en forme de loi à la prochaine session. »
L’ensemble du projet est soumis à l’appel nominal. Sur 62 membres, M. Seron dit non ; tous les autres disent oui. Le projet est adopté.
- La séance est levée à quatre heures et demie.