(Moniteur belge n°140, du 19 mai 1832)
(Présidence de M. Destouvelles.)
La séance est ouverte à une heure.
Après l’appel nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal qui est adopté.
M. Raymaeckers s’excuse de ne pouvoir se rendre à la séance.
Il est donné lecture d’une lettre de M. Faure, sténographe du Moniteur, ainsi conçue :
« A. M. le président,
« Par suite du désir manifesté par la chambre de voir le Moniteur rendre compte des séances avec la plus grande étendue, j’ai fait venir de Paris un sténographe, grâce à la collaboration duquel je ne crains pas d’accepter la responsabilité des comptes rendus. Mais un premier essai fait à la séance d’hier, a convaincu mon collaborateur d’une vérité qui était chose démontrée pour moi depuis longtemps, c’est qu’il nous serait impossible d’entendre de la tribune où nous sommes relégués les discours de tous les orateurs, assez bien pour en pouvoir rendre un compte exact. La première condition pour bien saisir les paroles d’un orateur est de les entendre, et quand on exige de nous une rigoureuse exactitude, il ne faut pas refuser les moyens de l’obtenir. En France, les sténographes du Moniteur ont toujours eu leur bureau dans l’enceinte même de la salle et non loin de la tribune des orateurs. Ce privilège, si c’en est un, est moins dans l’intérêt des sténographes que dans celui de la chambre elle- même, que dans celui de la vérité. Permis aux journaux non-officiels d’arranger les séances à leur manière ; et sous ce rapport entendre un peu moins bien, est pour eux chose peu importante ; il n’en saurait être ainsi pour nous.
« L’usage qui est établi à Paris en faveur du Moniteur Universel, et contre lequel les autres journalistes n’ont jamais eu l’idée de réclamer, je prie la chambre de l’établir pour le Moniteur Belge ; sans cela, je serais obligé de décliner ma responsabilité que j’assume sur moi volontiers.
« Du reste, MM. les journalistes me trouveront toujours empressé à leur communiquer, soit pendant la séance, soit chez moi, tous les documents écrits qui seront communiqués à la chambre, et toutes les pièces qui sont considérées comme communes à toute la presse.
« Je vous serai obligé. M. le président, de transmettre ma demande à la chambre, et de me croire, etc.
« Signé, Faure. »
M. le président. - Vous venez d’entendre la demande de M. Faure. Qu’entend décider la chambre ?
- Plusieurs voix. - Il faut renvoyer la lettre aux questeurs.
M. le président. - C’est une question qui regarde la chambre. Un article de notre règlement porte : « Qu’aucun étranger ne peut être admis dans cette enceinte. » Il s’agit de savoir, la chambre veut en permettre l’accès aux sténographes du Moniteur.
M. d’Huart. - Il faut adresser la lettre aux questeurs.
M. Liedts. - Les questeurs se sont déjà assemblées relativement à cet objet, et personne ne s’oppose à la demande, mais ils n’ont pu rien faire à cause de l’interdiction prononcée par le règlement.
M. H. de Brouckere. - Il me semble qu’il faut renvoyer la lettre aux questeurs ; car la question n’est pas tellement urgente qu’il soit nécessaire de la décider d’emblée.
- La chambre consultée renvoie la lettre de M. Faure aux questeurs.
(Note du webmaster : dans le Moniteur belge n°142, du 21 mai 1832, on peut en outre lire ce qui suit :
(« Avis à MM. les membres de la chambre des représentants et du sénat.
(« Dans l’intérêt du service et pour éviter les erreurs qui pourraient résulter de la célérité que l’on veut apporter à la publication du Moniteur belge, MM. les membres des chambres sont priés de vouloir bien adresser le matin, avant chaque séance, une copie des discours écrits qu’ils se proposent d’y prononcer. La composition en sera faite immédiatement après la remise, et MM. les orateurs pourront, s’ils le désirent, relire leurs discours en épreuve en sortant de la séance. Messieurs les députés qui n’auraient pas la faculté de faire copier leurs discours, pourraient les remettre, sitôt après la lecture en séance, soit la questure, soit à l’huissier, pour les transmettre au Moniteur. »)
La parole est à M. Jullien, rapporteur de la commission chargée de vérifier les pouvoirs de M. Vandenhove.
M. Jullien annonce que la commission, par suite des nouveaux renseignements qui lui ont été donnés sur l’élection de M. Vandenhove, propose aujourd’hui l’admission de ce dernier.
- Ces conclusions sont adoptées.
L’ordre du jour appelle le vote sur l’ensemble du projet de loi tendant à accorder au gouvernement un crédit de 60,000 fr. pour les volontaires.
Il est donné une deuxième lecture du projet ; personne ne demandant la parole, on procède à l’appel nominal dont voici le résultat :
58 membres ont répondu oui et 5 non. En conséquence le projet de loi est adopté.
10 membres se sont abstenus. Ce sont MM. Taintenier, Dautrebande, de Gerlache, d’Elhoungne, F.de Mérode, de Theux, d’Hoffschmidt, Legrelle, Poschet et Dugniolle.
Invités par M. le président, à faire connaître les motifs de leur abstention, les quatre premiers membres déclarent qu’ils n’ont pas voté parce qu’ils n’avaient pas assisté à la discussion.
M. F. de Mérode. - Je demande la permission d’entrer dans quelques explications pour motiver mon abstention.
Vous avez dû remarquer, messieurs, les singulières conséquences de l’exagération dans les discussions parlementaires. Tantôt on blâme en termes hyperboliquement rigoureux les fautes vraies ou supposées des hommes qui se dévouent péniblement au service public. Tantôt on loue à outrance certaines catégories de personnes dont les antécédents sont dignes de rémunération et d’égards, mais qui cependant n’ont pas tous accompli des prodiges de vertu et d’héroïsme... (Interruption.)
- Plusieurs voix. - Mais ce ne sont pas là des motifs d’abstention.
M. F. de Mérode. - Qu’on me laisse au moins développer ces motifs.
M. le président. - Vous devez vous borner à déduire les causes pour lesquelles vous vous êtes abstenu de voter.
M. F. de Mérode, continuant. - Tantôt le peuple est représenté accablé d’impôts, le commerce et l’industrie comme tellement aux abois qu’il faut retrancher à des employés, souvent chargés de famille, une partie considérable de leur salaire ; tantôt l’Etat est si riche qu’il ne peut se montrer trop magnifique dans ses récompenses indéfinies… (Nouvelle interruption.)
M. le président. - Je vous ai déjà invité à vous renfermer dans les motifs de votre abstention.
M. F. de Mérode. - Mais ce sont mes motifs que je...
M. Gendebien. Ce sont des récriminations contre la chambre.
M. de Robaulx. - Ce sont des leçons de précepteur. On nous traite en écoliers.
M. F. de Mérode. - Je ferai observer à M. de Robaulx qu’il est un précepteur beaucoup plus rude que moi.
M. de Robaulx. - Je ne manque pas aux convenances du moins, comme le fait M. de Mérode… (Agitation.)
M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Si l’orateur continue à parler ainsi il sera nécessaire de lui répondre ; quant à moi, je déclare que je le ferai. Il y a deux ou trois jours encore on nous taxait d’inconséquence. Il est temps d’en finir avec tous ces reproches. (M. F. de Mérode se rassied).
M. Jullien. - Je demande la parole pour un rappel au règlement. Le règlement veut que les membres qui s’abstiennent de voter déduisent les motifs de cette abstention, M. F. de Mérode au lieu de se borner à dire ces motifs rentre dans la discussion du fond, et M. le président le rappelle avec raison à la question. Mais il faut maintenant qu’il se soumette à la loi commune et qu’il nous fasse connaître pourquoi il s’est abstenu.
M. F. de Mérode. - On ne veut pas m’entendre.
M. de Robaulx. - Parce que vous dites des injures à la chambre.
M. F. de Mérode. Je ne dis pas d’injures mais des faits et vous ne voulez pas les entendre.
M. Jullien. - Il est nécessaire d’après le règlement, que M. de Mérode motive son abstention, ne fût-ce qu’en deux mots : jusqu’à présent il ne l’a pas encore fait.
M. F. de Mérode. - Pour motiver cette abstention, j’ai besoin, comme je l’ai déjà dit, d’entrer dans quelques explications et je ne tiendrai pas autant de temps qu’en font perdre mes censeurs.
M. le président. - Je ne puis prendre sur moi d’accorder la parole à l’orateur, s’il entend continuer le discours qu’il a commencé.
- Plusieurs voix. - Il a la parole, mais pour expliquer seulement les motifs de son abstention.
M. F. de Mérode. - Je ne sais, messieurs, s’il m’est permis de dire que je m’oppose au gaspillage des grades militaires. Qu’on ne s’impatiente pas, je ne serai pas long, je passerai la moitié de ce que j’avais à dire. (On rit.)
L’orateur reprend en ces termes : Est-il cependant raisonnable, messieurs, d’élever ainsi les prétentions au-delà de toutes les bornes ? Sommes-nous ministres, sommes-nous députés pour faire cadeau de la fortune publique ? Quant à moi je m’oppose et ne cesserai de m’opposer au gaspillage des grades militaires. Je répète, et j’insiste sur ce que j’ai déjà dit, à savoir que c’est un privilège énorme et dont il doit user avec une extrême sobriété, que celui qui autorise le gouvernement à grever la nation de charges à vie et irrévocables au profit des particuliers.
Je répète encore que les volontaires officiers n’ont point droit à de tels privilèges, comparativement aux volontaires sous-officiers et soldats. Ne jouissent-ils pas déjà pendant tout le temps de leur service d’une solde supérieure ? (Exclamations !..,. mais c’est rentrer dans la question.)
M. le président. - Il m’est impossible de diriger la discussion si l’on ne veut pas exécuter le règlement.
M. F. de Mérode. - J’ai le droit de développer mes motifs.
L’orateur poursuit ainsi au milieu du murmure et des cris « à la question » : A-t-il réellement été possible au général Nypels de décider prudemment et mûrement, si tel individu possédait les qualités nécessaires à un officier. Certes, la justice est la force des nations, mais la légèreté, la prodigalité dans la distribution des grades est la ruine d’une armée et d’un pays. Si le régent et son ministre, ce que je suis loin de croire, avaient, par l’arrêté du 30 mars, l’intention d’admettre en masse comme officiers permanents tous ceux qui avaient commandé transitoirement les volontaires, ils avaient tort, ils agissaient étourdiment, et il est heureux que leur projet n’ait reçu qu’un commencement d’exécution, privés d’une sanction légale postérieure. Il est bon que des brevets sans examen préalable n’aient point été délivrés.
Toutes les proclamations du monde ne m’engageraient pas à convenir qu’on peut ainsi, les yeux fermés, distribuer des titres achetés partout avec d’autres garanties. On ne donne pas l’épaulette à un militaire dans son intérêt, mais dans l’intérêt de l’Etat. Si vous vous écartez de ce principe, plus d’organisation dans une armée ; cat tel jeune homme instruit qui parvient au grade d’officier, commande, en vertu de ce même principe, des soldats, des sous-officiers porteurs de blessures et de trois ou quatre chevrons. Or, messieurs, si l’épaulette établit pour l’homme qui l’a obtenue un grand privilège, mais seulement dans l’intérêt public, comment prétendez-vous exciter le patriotisme des combattants dévoués, tels que ceux qui accoururent au secours de Bruxelles, et marchèrent sur Anvers ? Si vous admettez une différence hors de toute proportion entre ceux qui portaient presque au hasard, et alors avec une noble indifférence l’épée ou le fusil, croyez-vous utile de faire retentir de nouveau le cri aux armes parmi les citoyens ? Que de jalousies, que d’intrigues surgiront entre les concurrents avides de grades.
Non, messieurs, qu’on cesse de nous dire qu’en refusant de reconnaître des titres provisoirement donnés avec une prudente et indispensable réserve, on tue l’énergie des combattants volontaires, on tue, quoi ? le dévouement, qui pourrait devenir une spéculation personnelle, pas autre chose. Songez à tous les sacrifices faits à la révolution par tant d’estimables patriotes qui sont rentrés dans leurs foyers, sans rien demander au trésor public. Songez aux pertes subies par d’autres propriétaires de maisons, de terres ravagées ou submergées ; songez aux privations de tant de vieillards pères de familles, de mères séparées d’enfants morts sous les drapeaux ou qui servent encore la patrie, au lieu de soutenir l’existance des auteurs de leurs jours ; et vous ne ravalerez point si bas une solde de non-activité de sous-lieutenant, lieutenant, capitaine, payée pendant 8 ou 4 mois. Représentants de la nation, sommes-nous humiliés de recevoir une indemnité mensuelle ?
Ainsi qu’à tout autre, messieurs, il me serait infiniment agréable de faire des contents, de m’entourer d’une clientèle reconnaissante de la générosité qui ne me serait pas personnellement onéreuse.
M. le président. Interrompant l’orateur. - Je vous rappelle à la question en vertu du règlement ; vous n’avez pas le droit de revenir sur ce qui a été décidé par une majorité imposante.
M. F. de Mérode, malgré l’avertissement de M. le président, termine ainsi - Au surplus, au lieu des pénibles refus ou ajournements que nous étions obligés de signifier avec patience et franchir dans les longues et fatigantes audiences du gouvernement provisoire, quel agrément n’eussions-nous pas éprouvé, et ceux de mes collègues qui n’avions pas eu de mission, répondant à la satisfaction de tous les sollicteurs, en approuvant comme définitifs et irrévocables tous les brevets donnés à la hâte et au milieu des embarras d’un chaos administratif, civil et militaire.
Messieurs, je le dis hautement et sans craindre les reproches d’ingratitude et de parcimonie, les reproches d’injustice et d’improbité. Si les 60 mille fl. que je propose d’allouer à titre de gratifications aux anciens officers de volontaires non placés et des tirailleurs francs, si les 60 mille fl. ajoutés aux 30 mille déjà distribués, libèrent le pays de toute demande ultérieure, je le voterais avec plaisir, persuadé que je résolverais une question qu’il importe de terminer. S’ils étaient non accompli un appat pour de nouvelles prétentions, je refuserais ma sanction à toute dépense de cette nature, parce qu’elle serait inopportune et sans résultat ; or depuis la discussion de mardi dernier, j’ai réfléchi sur la conséquence de la dernière addition de M. Jullien.
Le mot indemnité séparé de l’adverbe transationnellement n’établissant d’une part aucun droit à la charge de l’Etat, indiquant même qu’il n’en reconnaît pas, je ne veux pas me prononcer formellement contre l’allocation des 60 mille florins ; d'autre part, je regarde comme essentiel que cette somme payée devienne la clôture de l’affaire et la porte à des sollicitations ultérieures, me paraissant encore ouverte, je n’accepte point la responsabilité d’un acte incomplet.
M. le président. - Les explications que vous venez de donner pouvaient être un motif pour vous d’émettre un vote négatif, mais ce n’en était pas un pour sortir des bornes du règlement et pour exercer une censure sur la décision de la chambre.
(Addendum inséré au Moniteur belge n°141, du 20 mai 1832. « A M. le directeur de Moniteur belge.
Monsieur, dans le compte-rendu de la séance du 17 courant, vous avez imprimé tout le contenu de mon manuscrit, comme si je l’avais débité entièrement malgré l’opposition de M. le président de la chambre. Des guillemets très distinctement marqués indiquaient cependant les phrases prononcées, afin qu’elles fussent seules insérées au journal.
Pour me conformer aux invitations qui m’étaient adressées, j’ai passé au moins la moitié de ce qu’on lit dans votre feuille du 19.
Si j’ai commis la faute de ne pas me restreindre suffisamment encore dans les motifs directs de mon abstention, je ne puis laisser croire au public, mal à propos, que je repoussais sans égard les avertissements de celui qui doit veiller à l’observation des règles établies par l’assemblée.
Bruxelles, le 18 mai 1832).
- Après cet incident, M. d’Hoffschmidt et M. Dugniolle motivent leur abstention sur ce qu’ils n’ont assisté qu’à une partie de la discussion,
M. Legrelle parle sur ce que ce projet ne bouche aucune des difficultés inhérentes à la question, et enfin M. Poschet sur ce que les volontaires avaient, dans son opinion, un droit acquis qu’il fallait reconnaître et non pas accorder un crédit pour transiger avec eux.
M. le président. - L’ordre du jour est la suite de la discussion sur le projet relatif aux mines.
M. Fallon. - Messieurs, il n’y avait qu’un seul moyen d’échapper aux nombreuses difficultés que produit le travail de votre commission, c’était de ne pas anticiper sur la révision de la loi de 1810 et de s’occuper exclusivement à satisfaire aux exigences du moment.
Dans les discussions interminables de la commission, je n’ai cessé de répéter qu’il ne pouvait être question que d’une disposition purement transitoire et qu’il fallait la restreindre, de manière à ne pas toucher provisoirement au système de la loi, sur aucun point, à peine de faire un mauvais ouvrage et d’entraîner la chambre dans des discussions prématurées.
Je n’ai pas été compris, et il en est résulté une telle divergence d’opinions sur les éléments qui entreraient dans la loi transitoire que le projet fut surchargé de dispositions que je m’attendais à voir signaler come dangereuses, contradictoires ou inutiles.
Enfin, je persiste à penser qu’en se pénétrant bien des vœux que la chambre a manifestés dans les discussions précédentes, il était et est encore facile d’éviter l’écueil.
Voici, en résumé quelle était la situation de ces discussions lorsqu’elles furent renvoyées à l’avis de la commission.
L’absence d’un conseil d’Etat laissait dans la loi de 1810 un vide qui, dans l’opinion du gouvernement, opinion que la chambre a partagée, en empêchait l’exécution.
Le ministre de l’intérieur proposa, sous la date du 12 octobre, un projet de loi qui se bornait à remplacer le conseil d’Etat pour le conseil des ministres.
C’est ce projet qui réveilla tous les griefs, auxquels l’exécution de cette loi avait donné lieu sous le gouvernement précédent.
Je conviens que la plupart de nos griefs étaient plutôt dirigés contre des abus d’exécution que contre la loi. Il en est cependant qui sont inhérents à la loi même, et que nos institutions fondamentales, plus libérales, nous font un devoir de faire disparaître.
La révolution française avait soustrait la mine à la servitude féodale, mais n’avait qu’imparfaitement satisfait, par la loi de 1791, à ce que l’intérêt général exigeait.
Lorsqu’il fut question de créer un système de législation définitif sur cette matière, deux principes se trouvaient en présence : l’un qui avait attribué la propriété de la mine au propriétaire du sol, et l’autre qui réclamait, en faveur de l’intérêt général, que les richesses nationales ne restassent pas enfouies, et qu’il n’en fût disposé qu’avec discernement et économie.
Il n’était pas possible de concilier ces deux principes sans recourir au système d’expropriation de la mine, et ce système, qui est celui de la loi de 1810, fut adopté.
Mais, il faut bien le reconnaître, si ce système satisfit amplement à l’intérêt général, il ménagea trop peu l’intérêt particulier.
Un mois auparavant, la loi du 8 mars avait tout réglé sur les expropriations pour cause d’utilité publique ; et pour assurer au propriétaire la juste indemnité qui lui était due, il avait été déclaré qu’à défaut de pouvoir la déterminer amiablement avec les agents du gouvernement, elle serait réglée par l’intervention des tribunaux.
Cependant, au lieu de faire application de cette loi au propriétaire du sol exproprié de la mine, on lui refusa tout accès aux tribunaux en attribuant exclusivement à l’administration le droit de fixer l’indemnité ainsi qu’il lui plairait.
Aussi fut-il peu de commissions où l’indemnité fut portée au-delà de 10 centimes par bonnier de superficie, ce qui est tout à fait dérisoire.
L’expropriation de la mine n’était nécessaire qu’alors que le propriétaire ne se soumettait pas à ce que l’intérêt général pouvait exiger de lui. Il était donc naturel de lui réserver, tout au moins, une préférence, lorsqu’il offrait autant de garantie que tout autre pour assurer une bonne exploitation.
La loi lui refusa cette préférence.
Une exception fut établie en ce qui concernait le minerai de fer. Il fut déclaré concessible ou laissé à la disposition du propriétaire du sol, suivant qu’il s’agissait de mine d’alluvion ou en filons, ou bien suivant qu’il pouvait s’exploiter à ciel ouvert, ou par travaux d’arts.
Les ingénieurs français avaient reconnu qu’en Belgique la mine de fer n’était qu’une mine d’alluvion, et sous le gouvernement français aucune concession de mine de fer n’avait eu lieu.
Le gouvernement hollandais se laissa séduire par de puissantes sollicitations et bientôt on concéda indistinctement le minerai de fer sans aucun discernement et sans qu’aucun ouvrage d’art fût nécessaire à l’exploitation, et malgré leurs pressantes réclamations, on livra les maîtres de forges et les propriétaires de mines de fer à la discrétion de protégés et de spéculateurs.
La chambre est saisie nommément de plusieurs pétitions des administrations municipales de diverses communes de l’Entre Sambre et Meuse, et notamment de la commune de Fraire, où il est évidement démontré que si l’on continuait à accorder des concessions de mine de fer, on réduirait à la mendicité de nombreuses populations, sans aucune utilité pour les besoins de la forgerie.
La loi de 1810 paraissait avoir suffisamment veillé à ce que les tribunaux restassent saisis de toutes contestations sur le droit de propriété incidentes aux demandes en concession, et, sur ce point, elle fut respectée alors que le conseil d’Etat formait une magistrature indépendante.
Mais lorsque, sous le gouvernement précédent, le conseil d’Etat ne forma plus qu’un simple bureau de consultation, il arriva souvent que des concessions furent accordées contre son avis.
C’est ainsi, nommément, que les maîtres de forges de la Meuse eurent beau invoquer l’ancienne charte des ferons, qui avait formé pour eux une véritable commission souveraine, eurent beau demander d’être renvoyés devant les tribunaux, pour y faire valoir leurs oppositions, en appelant l’attention du gouvernement sur une mesure qui allait devenir funeste à un grand nombre d’entre eux ; ils ne furent pas écoutés.
C’est ainsi, enfin, que, sous prétexte que l’opposition n’était pas suffisamment fondée sur un droit de propriété, l’administration se permit plusieurs fois d’étouffer ainsi la question de propriété en passant outre.
Tels sont, messieurs, les principaux abus, les principales injustices qui furent signalés dans l’exécution de la loi de 1810, et qui, comme vous voyez, sont, en partie, inhérents à la loi même.
Aussi la chambre parut être d’accord, que cette loi était suscepible d’améliorations et qu’avant de la remettre à exécution, il était indispensable de la réviser, en se bornant actuellement à satisfaire au besoin du moment.
Trois amendements avaient été proposé, l’un par M. Seron, tendant à ce que, jusqu’à disposition ultérieure, il ne soit accordé aucune concession de mine de fer.
Le second par M. de Theux, tendant à ce qu’une concession nouvelle ne soit accordée qu’aux propriétaires de la surface.
Enfin, le troisième par M. Gendebien, qui avait pour objet de ne remplacer actuellement le conseil d’Etat, qu’en ce qui concerne seulement les concessions en maintenues des titres antérieures à la loi du 12 juillet 1791.
D’autres membres firent observer que le conseil des ministres n’offrait pas les mêmes garanties que le conseil d’Etat tel qui’il existait dans le principe de la loi, et qu’il fallait le remplacer par une commission spéciale plus indépendante des influences de la bureaucratie.
Dans cet état de choses, il me semble qu’il était et qu’il est encore facile de satisfaire à tous les scrupules et d’éviter provisoirement les injustices qui ont été signalées, si l’on veut se borner à s’occuper pour le moment des demandes en maintenues auxquelles il est urgent de satisfaire puisqu’il s’agit de droits acquis, demandes qui peuvent être expédiées d’ailleurs sans aucun inconvénient réel.
En appropriant exclusivement à ces demandes le projet de la commission, il ne restera plus d’objection sérieuse contre les dispositions des deux premiers articles.
On réduirait l’article 3 à l’amendement qui avait été originairement proposé par M. Gendebien. On n’y parlerait plus de minerai de fer, dont il est inutile de s’occuper, puisque cette mine ne donne lieu qu’à des demandes en concessions, et non à des demandes en maintenue. On n’y parlerait pas davantage des demandes en extension, puisque ce sont là de véritables demandes en concessions nouvelles, et qu’il y aurait contradiction à admettre les unes lorsqu’on croit prudent de surseoir aux autres.
On supprimerait entièrement l’article 4 comme étant aussi tout à fait inutile à la matière des demandes en maintenues, et ainsi on aurait satisfait au besoin du moment sans anticiper aucunement sur la révision du système de la loi, et sans rien préjuger sur les contestations graves et importantes auxquelles cette révision donnera ouverture.
C’est dans ce sens que mon vote sera dirigé dans la discussion des articles du projet.
M. le président. - La liste des orateurs sur l’ensemble de la loi est épuisée.
M. Dumont. - Je demande la parole.
M. le président. - Vous avez la parole.
M. Dumont. - Je ne me propose pas de vous soumettre de longues considérations sur l’objet de la discussion ; je veux me borner à faire observer au préopinant et pour répondre à ce qu’il a dit, que les articles 3 et 4 du projet de la commission ont pour but de laisser en suspens les demandes des concessionnaires. A cet égard, on pourra interpréter la législation comme elle l’a été jusqu’ici, c’est-à-dire d’une manière préjudiciable aux intérêts des propriétaires. En s’en tenant à la législation existante, toutes les questions importantes restent intactes, et c’est ce qui me semble très convenable.
M. Pirmez. - L’amendement que j’ai eu l’honneur de soumettre hier à l’assemblée me paraît lever toutes les difficultés.
M. Desmanet de Biesme. - A la fin de la séance d’hier, le ministre de l’intérieur avait dit que les provinces s’étaient expliquées contre le projet dans des rapports adressés au gouvernement : M. Gendebien a demandé communication des pièces, je voudrais aussi que M. le ministre de l'intérieur voulût bien nous faire connaître les motifs sur lesquels on se fonde pour repousser la loi.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - J’ai dit qu’il résultait des rapports adressés au gouvernement que les provinces étaient en opposition avec le projet de la commission. J’aurais désiré faire connaître dans toute leur étendue les observations présentées sur ce projet ; mais elles sont extrêmement développées. Il y a trois rapports. Il y a en outre les avis des ingénieurs en chef des mines, et il existe encore des documents qu’il aurait fallu analyser pour les présenter à la chambre. Nous aurions également voulu faire connaître un rapport d’une commission spéciale, créée en 1826, afin d’examiner s’il y avait lieu de réviser la loi du 26 avril 1810, et en quoi devait consister cette révision.
Mon intention était, après avoir reçu tous les renseignements, de les faire résumer et de présenter à la chambre un projet de loi, soit explicatif, soit modificatif, ou bien tendant simplement à maintenir les choses dans l’état où elles sont. Je crois que, dans ce moment, on ne peut rien faire de mieux que de faire ce qu’il y a de plus urgent ; or, ce qu’il y a de plus urgent, c’est de mettre le gouvernement à même de concéder quelques-unes des demandes en maintenue, demandes peu nombreuses, car il n’en existe qu’une seule au ministère de l’intérieur qui soit complétement instruite. Il existe bien d’autres dossiers, ils se trouvent à La Haye, et d’ici à quelque temps on ne pourra statuer sur ces demandes.
Les fonctions du conseil d’Etat étaient diverses. Il devait statuer sur la situation des travaux, la délimitation des concessions, etc. Rien ne prouve la nécessité de modifier les attributions de ce conseil. Ce que je vois de plus utile à faire, c’est que la chambre pose en principe, dès aujourd’hui, qu’une commission sera établie pour remplacer le conseil d’Etat. Mais la composition de ce conseil offre de très grandes difficultés, si l’on veut qu’il représente convenablement tous les intérêts, et qu’il jouisse de toute la plénitude des attributions du conseil d’Etat.
Quoiqu’il en soit aujourd’hui, on peut déclarer qu’un conseil spécial des mines sera établi, et lorsque ce conseil devra être organisé, vous ajouterez alors les questions qui se rattachent au fond de la loi d’avril 1810 ; pour le moment il est inutile d’aborder des questions aussi graves.
On peut dès ce moment accorder au gouvernement la faculté de concéder les droits prévus par l’article 53 de 1810 ; on peut autoriser le gouvernement à nommer provisoirement un conseil qui statuerait sur les demandes relatives aux abonnements supérieurs à trois mille francs, ainsi que sur les interdictions de travaux.
Pour pourvoir aux divers besoins, la commission serait convenablement composée de trois jurisconsultes, et de trois ingénieurs des mines. Je crois que, composée ainsi, la commission présenterait toutes les garanties nécessaires ; il y aurait lumière dans ses discussions, et promptitude dans ses décisions.
Dans l’intérêt du service, et dans l’intérêt des ayants-droit aux maintenues, aux abonnements, il faut abandonner la proposition de la commission, et c’est dans ce sens que j’aurai l’honneur de proposer un amendement lors de la discussion des articles.
M. de Robaulx. - Dès qu’on n’accordera que des maintenues, je voudrais qu’on s’assurât si les titulaires anciens ont rempli les conditions qui leur avaient été imposées, et qu’ils avaient consenties ; car comme je l’ai dit hier, ces titulaires n’ont pris de concession que pour prélever des tributs sur les malheureux.
M. Gendebien. - Je voudrais élever un scrupule qui a paru arrêter M. de Robaulx. Il n’y a pas à craindre que les concessionnaires ne remplissent pas les conditions qui leur avaient été imposées, car la loi de 1810 a accordé un long délai aux anciens titulaires pour remplir ces conditions.
M. Poschet. - Cependant il faut savoir si les conditions sont remplies. On ne peut attaquer la propriété sans rendre des services à l’Etat.
M. Gendebien. - Nous ne pouvons nous occuper des questions relatives aux attaques faites à la propriété ; c’est aux tribunaux à faire justice dans ce cas.
M. Poschet. - Madame de Beaufort s’était engagée à faire pour 20,000 fr. de travaux et elle n’en a pas pour 10,000 fr.
M. de Robaulx. - Je sais qu’en général les extractions des minerais de fer ne demandent pas de grands travaux, mais il ne faut pas se dissimuler que dans plusieurs localités cette extraction présente des difficultés. Relativement à madame de Beaufort, il y avait de grands travaux stipulés dans la concession ; la concession a été accordée parce que le concessionnaire jouissant d’une grande fortune et pouvant faire de grandes avances, on a eu confiance dans ses promesses ; Madame de Beaufort n’a rien exécuté. J’en connais d’autres, que je pourrais citer, et qui abusent comme elle de leurs titres ; ils touchent des milliers de francs, chaque année, sans dépenser un sou. Ils donnent à chaque propriétaire du fond la permission d’exploiter, moyennant une rétribution. Les concessionnaires représentent aujourd’hui les droits des hauts justiciers et des seigneurs.
Quand on a détruit les droits féodaux on n’a rien fait, puisqu’on a fait passer dans les mains des concessionnaires les mêmes droits. Ce n’est pas ainsi que l’administration a dû l’entendre, quand elle a donné des concessions ; c’est dans l’intérêt public qu’elle a fait les concessions à ceux qui étaient dans le cas de pouvoir exécuter de grands travaux. On doit donc, dans l’intérêt public, s’assurer si les conditions souscrites sont remplies par ceux qui abusent de leurs titres ; s’ils ont rempli ces conditions, nous n’avons rien à dire, il y a droit acquis.
M. Poschet. - C’est parce que de grands travaux étaient jugés nécessaires par l’administration qu’elle les ordonnait, qu’elle les majorait ; mais pour les demandeurs ces travaux n’étaient qu’un prétexte. Les ingénieurs assuraient que les grands travaux étaient indispensables, et des personne riches obtenaient la concession.
Cependant les concessions, basées sur les grands travaux, ne sont utiles que lorsque le minerai est dans l’eau. Il n’y a dans la province de Namur qu’un endroit où la concession soit utile.
Les concessions ne servent généralement qu’à enrichir quelques particuliers et à nuire au public, aux petits propriétaires. C’est ce que je me proposais de vous dire.
- La chambre ferme la discussion générale.
M. le président. - L’article premier de la loi, sur la proposition de la commission, est ainsi conçu :
« Provisoirement et jusqu’à la révision de la loi du 21 avril 1810, les attributions conférées au conseil d’Etat par cette loi et par les décrets des 6 mai 1811 et 3 janvier 1813, relatifs aux mines, seront exercées par une commission de 6 membres nommés par le Roi.
« Trois membres seront choisis parmi les conseillers de la cour d’appel de Bruxelles et trois parmi ceux de la cour d’appel de Liège, sur une liste double, présentée respectivement par ces deux cours. »
Deux amendements, poursuit M. le président, ont été présentés. M. Helias d’Huddegghem propose de composer la commission de deux exploitants, trois jurisconsultes et trois ingénieurs. L’un des membres serait en même temps secrétaire de la commission ou du conseil.
M. le ministre de l’intérieur a présenté un amendement en trois articles. J’en vais donner lecture.
« Art. 1er. Les fonctions du conseil d’Etat, en matière de mines, seront dévolues à un conseil spécial dont la composition sera déterminée par la loi. »
« Art. 2. En attendant l’établissement de ce conseil, le Roi ne sera autorisé à accorder que les maintenues en concession, en exécution de l’article 53 de la loi du 21 avril 1810.
« Art. 3. Les fonctions du conseil d’Etat, en ce qui concerne l’exécution de l’article précédent et ses autres attributions relatives aux mines, seront provisoirement remplies par un conseil nommé par le Roi et composé de trois jurisconsultes et de deux ingénieurs. »
M. d’Elhoungne. - Le projet actuel a seulement pour objet de pourvoir à l’absence du conseil d’Etat, en ce qui concerne la fixation des anciennes concessions ; sous ce rapport je ne partage pas l’opinion émise dans cette enceinte par plusieurs orateurs.
Selon moi, les droits anciens des concessionnaires leur sont irrévocablement acquis. Tout ce qu’on peut faire, c’est de limiter leurs concessions. Dans l’article premier de la loi de 1810, il est dit qu’après la promulgation de cette loi, les concessionnaires antérieurs seront propriétaires « incommutables » ; vous voyez par là que le concessionnaire ancien est devenu propriétaire inattaquable. Dans l’article 53 on trouve en d’autres termes la même disposition ; ce que les concessionnaires anciens ont à demander, c’est la fixation les limites de leurs concessions ; ils n’ont pas à demander au gouvernement la maintenue de leurs concessions qui sont devenues des propriétés incommutables.
L’unique objet du projet de loi en discussion doit, comme l’article 53 de la loi de 1810, se renfermer dans la fixation des limites, D’après le projet du gouvernement, la commission aura les mêmes attributions que le conseil d’Etat. Mais cette matière des accises est tellement importante, tellement difficile, il y a tant de grands intérêts qui s’y rattachent, qu’il serait imprudent de l’aborder ex abrupto par un projet qui n’aurait pas été examiné en sections, ni qui n’aurait été examiné par aucun membre de l’assemblée faute d’être imprimé et distribué.
Je pense que le troisième article du projet du ministère, n’étant pas à l’ordre du jour, ne peut être mis en délibération ; je crois donc que si M. le ministre veut réduire son projet au deux premiers articles qui remplissent assez bien le but qu’on doit se proposer, ils peuvent être adoptés, mais si on persiste à y maintenir le troisième article, je demande que les sections soient consultées parce que c’est véritablement un autre projet de loi.
Procéder autrement, ce serait s’exposer à des méprises évidentes. D’ailleurs, messieurs, il résulte de la discussion qu’il n’y a pas eu besoin impérieux d’étendre le projet à des concessions nouvelles. Tous les orateurs entendus ont été unanimement d’accord sur ce point.
Ainsi, il ne s’agit pas de créer une commission qui connaîtrait de nouvelles concessions. Le troisième article ne peut être mis en discussion, parce qu’il forme un projet tout nouveau. Je demande l’ordre du jour ou le renvoi à la commission.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Le préopinant est tombé dans une erreur de fait. L’article premier de la commission dit : « Provisoirement et jusqu’à révision de la loi de 1810, des attributions conférées au conseil d’Etat, relativement aux mines, seront exercées par une commission de six membres nommés par le roi. Eh bien ! cet article de la commission répond à l’article trois. Aussi, il ne s’agit pas de nouvelles concessions, puisque la commission des mines, doit, par l’article 2, se renfermer dans les anciennes demandes en concession.
Il existe encore deux autres objets, auxquels il faut pourvoir provisoirement. C’est sur les maintenues et sur les interdictions de travaux réclamés dans l’intérêt de la sûreté générale, et c’est à quoi l’article 2 pourvoit.
Quant à l’article premier il pose en principe qu’il y aura un conseil spécial des mines ; et il est modificatif du projet présenté par mon prédécesseur. Cet article est le résultat des discussions qui ont eu lieu ; tous les orateurs ont réclamé un conseil des mines. Ainsi je ne vois aucune difficulté à consacrer en principe l’existence de cette commission. Il ne restera plus, à l’avenir, qu’à régler l’application de ce principe. Je ne comprends donc pas d’inconvénients possibles dans l’adoption de l’article premier. Il n’est pas étranger à la discussion ; il en est au contraire le résumé.
Lorsqu’on sera aux articles 2 et 3 je donnerai des explications ultérieures.
M. le président. - La parole est à M. Jullien.
M. Jullien. - Messieurs, c’est seulement depuis que j’ai lu avec attention les mémoires distribués hier à la chambre que j’ai commencé à comprendre toute la gravité de la question qui nous occupe et les conséquences funestes que pourrait avoir pour l’exploitation des mines, l’adoption du projet de loi qui nous est soumis.
Messieurs, hier dans la discussion générale, j’ai récapitulé les inconvénients principaux qui résulteraient de la loi. Je vais les reproduire et réfuter les arguments qui m’ont été opposés.
D’abord je commence par dire que je n’ai pas entendu soutenir que l’on pouvait revenir sur les droits acquis, ainsi que quelques honorables membres l’ont cru. Toutes les fois que, dans une discussion, je rencontrerai un droit acquis, je m’inclinerai avec respect devant lui, car porter atteinte aux droits acquis, dans quelque circonstance que ce soit, c’est saper la société dans sa base.
J’ai attaqué l’article premier, j’ai dit qu’il portait atteinte à la séparation des pouvoirs, séparation si bien tracée par la loi du mois d’août 1790 ; j’ai fait observer qu’il fallait régler l’exercice des fonctions de la commission. Messieurs, je n’ai pas été touché des réponses qui ont été faites à ces observations.
Je suis persuadé quoiqu’on en dise que si on compose la commission de juges, on donne la connaissance de matières administratives à l’ordre judiciaire, et l’on efface la ligne de démarcation qui existe entre le pouvoir judiciaire et le pouvoir administratif.
Vous avez beau dire qu’on ne les prend pas comme juges pour composer la commission ; qu’on ne les prend que comme hommes capables : cela m’importe fort peu. Toutes les fois que je vois des juges rassemblés, je vois un tribunal et je ne vois pas des administrateurs.
Mais cet inconvénient ne m’aurait pas arrêté, si je n’en avais pas rencontré un autre. Notre organisation judiciaire est telle maintenant, qu’il y a plusieurs places de conseillers vacantes, et le ministre de la justice a peut-être raison de ne pas les remplir, parce qu’on prépare une nouvelle organisation.
Il y a plusieurs juges qui siègent dans cette chambre et dans l’autre ; joignez à cela les absences, causées par des accidents, des maladies ; si vous ajoutez la distraction les trois membres dans chacune des cours de Bruxelles et de Liège pour composer la commission des mines, c’est l’équivalent d’une désorganisation complète de ces cours. Messieurs, s’il y avait absence de la justice pendant 24 heures, ce serait une calamité publique. Personne ne peut donc assumer sur lui la responsabilité d’inconvénients aussi graves.
J’en appelle aux conseillers qui siègent dans cette chambre ; ils savent combien de retards sont apportés dans la décision des affaires ; les juges qui sont à leur poste sont surchargés ; malgré toute la bonne volonté qu’ils ont, ils ne peuvent faire marcher les affaires plus vite qu’elles ne vont, et tout le monde sait qu’elles vont très lentement.
Dans la troisième objection que j’ai faite, j’ai demandé comment les fractions de la commission se réuniraient ; si les juges de Bruxelles iraient trouver ceux de Liége, ou si les juges de Liége viendraient se réunir à ceux de Bruxelles. Sur le mode de réunion, il peut y avoir des procès, et des procès qui dureraient deux ou trois ans ; et les véritables intérêts des propriétaires périraient.
Dans le mémoire que j’ai lu, j’ai vu que les exploitations ont quelquefois plusieurs lieues carrées d’étendue, qu’ainsi elles peuvent être à la fois dans la conscription de deux cours. Alors quelle cour déciderait ? Et voilà encore un procès.
Vous voyez bien que voilà des obstacles insurmontables.
J’ai dit encore : pour rassembler un tribunal nouveau, vous le composez de conseillers ; mais vous devez fixer un traitement, une indemnité. On m’a répondu qu’il existait un règlement sur les frais de déplacement des conseillers. Puisque vous invoquez ce règlement, vous voyez bien que les conseillers agissent comme juges ; l’indemnité ne leur est accordée que comme membres des cours. S’ils sont administrateurs, le tarif ne leur est pas applicable ; s’il leur est applicable, il faut le dire dans la loi.
D’après ces considérations, je ne crois pas qu’il soit possible d’adopter le projet présenté par la commission.
On a voulu dès le mois d’octobre dernier, remplir la lacune qui existait dans la loi du 21 avril 1810 par l’absence du conseil d’Etat et essayer de limiter les attributions très étendues de ce conseil.
Que nous a-t-on présenté ? Un projet dans lequel on disait que le conseil des ministres remplacerait le conseil d’Etat.
Il ne s’est élevé qu’un cri contre ce projet de loi qui n’était pas digne de soutenir les regards de la législature. Je comprenais qu’il allait enlever aux propriétaires tous les droits qu’on a voulu leur garantir par le conseil d’Etat. En effet, le conseil d’Etat français était composé des hommes les plus instruits de l’empire ; ce conseil décidait définitivement en matière administrative ; les intérêts des particuliers étaient défendus devant le conseil d’Etat par des avocats éclairés, comme devant une cour de justice, et vous voudriez substituer à toutes ces garanties le conseil des ministres, qui certes n’offre aucune de celles que nous venons de récapituler ! Dans ce conseil composé de six personnes, y en a-t-il une seule sachant ce que c’est qu’une mine ? Comment introduire la défense devant des ministres ?
Le ministère, au lieu de retirer son projet, l’a renvoyé à la commission. Si, depuis le mois d’août, le ministère eût retiré ce projet, on aurait eu le temps de modifier la loi de 1810, qui, quoi qu’on en dise, est une très bonne loi, et je ne crois pas qu’on puisse en faire une meilleure.
Mais, au lieu d’une loi complète, nous aurons une véritable marqueterie. Laissez la législation existante comme elle est, et créez une commission pour remplacer le conseil d’Etat ; mais n’admettez pas la commission proposée, j’aurai l’honneur d’en proposer tout à l’heure une autre. Conservez les choses dans l’état où la législation française les avait mises jusqu’à ce qu’une loi complète soit présentée. Pour remplir ces vues, voici l’amendement que je proposerai. Il n’est qu’une espèce de changement de rédaction. Je dis changement de rédaction ; c’est un peu plus (On rit.)
Je laisse subsister la première partie de l’article premier proposé par la commission.
A la seconde partie de l’article premier je propose de substituer : « Les six commissaires seront nommés par le Roi sur la présentation des chambres et sur une liste double de candidats. »
Je laisserai subsister l’article 2 d’après lequel la commission serait présidée par un ministre délégué par le Roi, et ne pourrait délibérer qu’au nombre de 5 membres, sur l’avis préalable du conseil des mines.
Tout ce qu’on peut demander dans le provisoire peut se trouver dans ces articles ; et vous éviterez tous les inconvénients d’une commission formée par des juges tirés dans les cours de Liége et de Bruxelles.
On pourrait dire que les dépenses de la commission seraient prises sur les dépenses imprévues du ministère de l’intérieur ; et par ce moyen vous aurez pourvu aux lacunes qui sont dans la législation, jusqu’à ce qu’on nous propose une loi acceptable et dont tout le monde pourrait être satisfait.
Une législation complète peut seule ôter toutes les inquiétudes que conçoit l’industrie des mines ; cette industrie ne serait plus affligée, et ne craindrait plus qu’on lui enlevât de droits que je regarde comme des droits acquis.
M. Jonet. - Je demanderai à M. le ministre de l’intérieur s’il a présenté son amendement en sa qualité de ministre, ou si c’est comme député. Si c’est comme ministre, son amendement, qui est réellement un projet nouveau doit être renvoyé aux sections et ne saurait par conséquent être discuté aujourd’hui.
Si c’est comme député qu’il le présente, sa proposition étant tout à fait différente du projet ne peut être considéré comme l’amendant, et elle doit être pareillement renvoyée aux sections. Quoiqu’il en soit je voterai contre cet amendement. J’ai dit qu’il était différent du projet primitif et de celui de la commission, et la chose est facile à prouver. En octobre 1831, on nous a présenté un projet tendant à remplacer le conseil d’Etat par le conseil des ministres. Le projet ministériel n’avait pas d’autre but. Vous devez vous rappeler qu’on nous présentait ce projet comme provisoire, en attendant la révision de la loi de 1810. Plusieurs amendements furent proposés ; on renvoya le tout à une commission, qui nous a présenté le projet actuel.
Jusque-là il ne s’agit que d’un projet provisoire. Cependant M. le ministre nous propose un amendement qui rend la loi définitive en partie et la laisse en partie provisoire. L’article premier de son projet est définitif en effet, puisqu’il pose en principe que les fonctions du conseil d’Etat en matière de mines seront dévolues à un conseil spécial dont la composition sera déterminée par la loi ; il n’y aurait de provisoire que ses articles 2 et 3. Mais son article premier consacre un principe, et je pense que sous ce rapport il doit subir l’épreuve des sections. J’appuierai en conséquence la proposition de l’honorable M. d'Elhoungne.
M. H. de Brouckere. - Je vous avoue que je ne conçois pas comment le ministère change ainsi subitement d’avis en ce qui concerne la loi en discussion. Rappelez-vous ce que c’était que son projet primitif : il demandait que la chambre désignât une autorité destinée à remplacer le conseil d’Etat ; et quelle autorité vous proposait-il d’investir de ces attributions ? Le conseil des ministres : c’était là tout le projet du reste, toutes autres dispositions de la loi de 1810 demeuraient intactes. Ce projet a trouvé de nombreux contradicteurs. D’abord un grand nombre de membres trouvaient beaucoup d’inconvénients à ce que le conseil des ministres remplaçât le conseil d’Etat ; mais outre cela on aurait voulu que quelques changements fussent supportés à la loi de 1810. Diverses modifications furent indiquées, et là-dessus la chambre renvoya le tout à la commission.
La commission vous a présenté un autre projet, qui règle la composition de la commission destinée à remplacer le conseil d’Etat, et qui modifie, sous certains rapports, la loi de 1810. Ces modifications n’ont pas généralement l’assentiment de la chambre, et je ne leur donne pas le mien. Elles ont pour but d’empêcher le gouvernement d’accorder de nouvelles concessions, mais elles promettent de faire droit aux demandes conformes aux dispositions de l’article 53 de la loi de 1810, et aux demandes en extension de concession. Eh bien ! le ministère qui voulait d’abord tout ce que veut la loi de 1810, va plus loin que la commission. Celle-ci se contente de refuser au gouvernement le droit de faire des concessions nouvelles, et le gouvernement non seulement ne veut pas pouvoir faire de concessions nouvelle, mais il veut qu’on lui interdise le droit d’accueillir les demandes en extensions de concessions, et ne pouvoir accorder que les maintenues de concessions. Quels sont les motifs du ministère pour cela ? Je l’ignore.
Quant à moi, je trouve injuste qu’on ne puisse accorder des concessions nouvelles, et je ne peux consentir à ce qu’on mette le gouvernement dans l’impossibilité de répondre favorablement à de semblables demandes. Ce nom de provisoire, que l’on donne à la loi, ne me touche nullement, parce que, toute provisoire qu’on l’appelle, elle pourrait rester en vigueur bien longtemps. Nous avons une foule de lois très pressantes à faire ou à réviser, de sorte qu’il est probable que la révision de celle-ci serait ajournée indéfiniment. En attendant, on ne pourrait plus faire de concessions, et ce serait créer un véritable privilège en faveur de ceux qui en ont déjà obtenus.
J’adhère volontiers à la proposition de M. Jullien, parce qu’il me suffit, à moi, que la nomination ne soit pas conférée au gouvernement pour que je n’aie aucune incertitude sur la manière dont la commission sera composée. Il y aura à s’entendre sur la manière dont les chambres en désigneront les membres. Je pense qu’il entre dans l’intention de M. Jullien que la chambre des représentants en nomme trois, et le sénat trois autres.
- Voix nombreuses. - Non ! non ! (Bruit.)
M. H. de Brouckere. - Enfin, M. Julien expliquera sa pensée à cet égard. Dans ce sens, je voterai pour l’article premier. Quant à l’article 2, je demanderai par amendement, que l’on en retranche la dernière phrase, relative au conseil des mines ; et dans ma pensée, pour rendre plus complète la loi provisoire, on devrait ajouter un article 3 par lequel on recommanderait au gouvernement d’être économe de nouvelles concessions et de ne les accorder qu’après mûr examen et sur de bons titres.
M. Jullien. - Je demande la parole pour répondre à l’invitation de M. de Brouckère et pour expliquer ma pensée sur la manière de composer la commission. Il me semble qu’il serait assez sage que la chambre désignât 6 candidats ; le sénat en désignerait 6 autres, et le Roi choisirait parmi ces douze ceux qui devraient composer la commission.
M. Gendebien. - Je ne rentrerai pas dans la discussion du fond, parce que tout ce qu’on a dit n’a pu affaiblir les principes que j’ai fait valoir hier et qui sont fondés sur des textes positifs ; mais je m’attacherai à l’espèce de fin de non-recevoir proposée contre l'amendement de M. le ministre de l’intérieur.
L’article premier est, dit-on, une disposition toute nouvelle. Quant à moi, je n’en vois pas l’utilité. Lorsque nous arriverons à l’article 2, j’émettrai mon opinion sur la disposition qu’il consacre. En ce qui touche le mode de remplacement du conseil d’Etat, il rentre tout à fait dans le sens de l’article premier du projet présenté par la commission. Sous ce rapport je dois expliquer ce qui s’est passé au sein de la commission.
Quand il s’est agi de créer un corps quelconque pour remplacer le conseil d’Etat, la commission a été très embarrassée. On avait d’abord jeté les yeux sur des jurisconsultes et des ingénieurs, mais on réfléchit que c’était trop laisser à l’arbitraire du gouvernement. Cette considération jointe à celle-ci, que personne n’a réfutée, que le conseil d’Etat en matière de mines, jugeait a priori la question de propriété, a fait naturellement jeter la vue pour composer le corps qui devait le remplacer sur les membres de l’ordre judiciaire. On voulait d’abord prendre trois membres de la cour de Bruxelles et deux ingénieurs ; mais on y a trouvé des inconvénients, et on s’est détermine à composer la commission des mines de conseillers des cours de Liége et de Bruxelles.
Veut-on éviter tout déplacement ? Prenez tous les membres de cette commission dans la cour de Bruxelles. Il n’y pas de questions de localités. Il ne s’agit pas d’examiner les lieux, mais le point de fait et de droit. On avait encore fait une proposition pour éviter le déplacement ; c’était de renvoyer les oppositions de Bruxelles devant trois ou cinq conseillers de Liége, et réciproquement. Quant à la proposition du ministre, j’y vois un peu trop d’arbitraire ; mais, convaincu que je suis que, du moment où l’on se borne à maintenir les anciennes concessions, il ne peut y avoir aucun abus, j’admettrai trois jurisconsultes et deux ingénieurs.
Quant à ce qu’a dit un honorable membre sur l’injustice qu’il y aurait d’ôter au gouvernement le droit d’accorder des concessions nouvelles, j’avoue qu’avec un gouvernement comme le nôtre je ne redoute pas les inconvénients de la loi de 1810 ; je ne crains pas que le gouvernement puisse accorder des concessions nouvelles, et il n’y aura aucun mal pour le pays à ne pas le faire, car il existe assez de mines de fer d’alluvion.
Mais, dit-on, vous refusez même l’extension. Il n’y aura pas d’inconvénients à accorder le droit d’extension lorsque cette extension se rattachera à une demande en maintenue de concession.
Mais, dit-on, vous établissez un privilège en faveur de ceux qui ont déjà des concessions. Non, messieurs. Les concessionnaires étant arrivés à tel point, ont besoin d’une faculté d’extension pour extraire les couches inférieures.
Ce n’est pas là un privilège qu’on leur accorde ; c’est, si l’on veut, une récompense pour les capitaux qu’ils ont hasardés ; c’est une loi de nécessité que le gouvernement reconnaîtra.
On dit aussi c’est du provisoire que vous faites, et on ne peut savoir jusqu’à quand il durera. Personne plus que moi n’est ennemi du provisoire. Mais que faire ? Il est impossible d’improviser une loi sur les mines. Je défie que d’ici à un an et même à dix ans on parvienne à rédiger un projet qui concilie tous les intérêts. En attendant, reconnaissez donc ce qui est de rigoureuse justice. Et ne craignez pas que ce provisoire se perpétue. Assez d’intérêts et de réclamations vous forceront à l’abréger. Que le ministre fasse un projet, qu’il le publie et annonce qu’il sera discuté à la session prochaine, des lumières lui viendront de toutes parts, et on verra s’il y a quelques changements à faire à la loi de 1810.
D’après ces observations, je crois que l’on peut supprimer l’article premier. Quant au mode de remplacement du conseil d’Etat, je n’y tiens pas, pourvu qu’il y entre des jurisconsultes connaissant la matière.
M. Helias d’Huddeghem. - Si tant est qu’une deuxième commission soit nécessaire, et que vous ne trouviez pas à propos de modifier le conseil des mines de la manière qu’il est formé d’après l’article 18 de l’arrêté du 29 août 1831, dans le sens de la proposition que j’ai l’honneur de vous faire qui, au fait, n’est pas la mienne, mais celle proposée par M. Tielemans, le 7 février 1831, au congrès national, alors ministre de l’intérieur. Au reste, messieurs, je me rallierai volontiers à l’amendement de M. Jullien, pourvu que parmi les membres il y ait des jurisconsultes.
Je persiste à m’opposer à l’article premier du projet en délibération. Je ne vous répéterai pas ce que j’ai eu l’honneur de vous dire relativement à la crainte que j’ai de voir confondre les pouvoirs administratifs et judiciaires, et ce que plusieurs autres honorables députés vous ont dit sur les inconvénients de distraire les magistrats de leurs occupations habituelles déjà trop multipliées. Je veux seulement rencontrer les objections que deux honorables députés m’ont faites.
Un honorable orateur a dit que, de la manière que l’article 28 de la loi du 21 avril 1810 est conçu, le conseil d’Etat est dans le cas de disposer de la propriété ; que c’est pour ce motif qu’il croit convenir que les membres de la commission soient des magistrats de l’ordre judiciaire, qui ont l’habitude de connaître de semblables questions. Je réponds à cette observation que cela pouvait être dangereux lorsque les conflits d’attributions étaient jugés en conseil d’Etat sur le rapport d’un ministre. Mais aujourd’hui que l’article 106 de notre constitution défère à la cour de cassation de prononcer sur les conflits d’attributions, si la commission que vous nommerez, quelques soient les membres, s’arrogeaient de connaître de la propriété, un conflit, au besoin porté à la cour de cassation, mettrait bientôt un terme à cet empiétement. D’ailleurs messieurs, ne perdez pas de vue que je propose que trois jurisconsultes fassent partie de la commission.
Un autre membre de cette assemblée, pour appuyer l’article du projet et la nomination de conseillers pour former la commission des mines, prétend que ce n’est pas comme membres de l’ordre judiciaire qu’ils feront partie de la commission. Eh bien ! messieurs, cet argument sert pour me confirmer dans mon opinion qu’il ne convient pas de nommer des fonctionnaires de l’ordre judiciaire pour connaître d’actes administratifs.
Mais une considération majeure et qui n’a pas encore été relevée, c’est que la loi sur l’organisation judiciaire du 27 ventôse an VIII, titre I, article 5, défend bien expressément que les membres de l’ordre judiciaire soient employés ou requis pour aucun autre service public. Cet article est maintenu par les lois du 30 mars 1810 et du 6 juillet 1810, et forme donc jusqu’à révocation la législation actuelle. Je ne dois pas vous dire, messieurs, que les lois et règlements leur défendent de ratiociner comme avocat.
Afin qu’on ne se méprenne pas sur mes intentions, je sens le besoin de déclarer que si, dans un grand nombre de difficultés auxquelles les actes administratifs peuvent donner lieu, il en est dont il serait peut-être utile d’attribuer la connaissance aux tribunaux, par la raison qu’il y a des circonstances où les formes judiciaires sont plus propres à assurer le triomphe de la vérité que les procédés administratifs, ce vœu n’empêche pas que, pour tout ce qui regarde exclusivement l’autorité administrative, des fonctionnaires de l’ordre judiciaire ne peuvent être distraits de leurs occupations pour être chargés de connaître d’actes administratifs.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Je ne répondrai pas à ce qu’on a dit que je n’avais pas présenté un projet de loi ; j’ai déjà eu l’honneur d’annoncer que j’avais demandé des renseignements qui ne me sont arrivés que depuis deux jours. Je pense que ces renseignements pourront servir à rédiger un projet de loi sur la matière, sauf à provoquer de nouvelles lumières et c’est alors que la chambre pourra renouveler utilement une discussion qui, jusqu’à présent, me semble prématurée.
M. le ministre défend ensuite les trois articles qu’il vient de proposer par amendement et notamment celui qui concerne le mode de composition du conseil des mines. Trois jurisconsultes et deux ingénieurs lui semblent offrir toutes les garanties désirables.
M. de Robaulx. - Messieurs, autant d’orateurs entendus, autant de projets. La chambre est-elle mieux éclairée ? Non, et, de la manière dont chacun a présenté ses vues sur la loi qu’il faudrait faire, je défie la chambre de voter en connaissance de cause. Vous voyez que nous en sommes venus à ce que je disais au commencement de la discussion, que la loi de 1810 pèche contre les droits de la propriété et blesse les intérêts de l’industrie.
On vous a beaucoup parlé des vices de cette loi ; moi-même j’ai parlé du droit de terrage et de cette indemnité dérisoire de 15 ou 25 cents. Il ne faudrait pas un aussi long temps qu’on le dit pour porter sur ces points la réforme désirable. Soyez persuadés que la loi de 1810 est moins mauvaise qu’on ne le dit, et que si l’on retouchait ce qui, dans cette loi, intéresse les intérêts industriels et territoriaux, c’est-à-dire deux ou trois articles, vous auriez quelque chose de durable et de très satisfaisant ; mais enter du provisoire sur du provisoire, c’est faire un mauvais travail qui ne produira rien.
Quels capitaux, en effet, voulez-vous qu’on aille risquer sous l’empire d’une loi temporaire qui peut être changée dans six mois, dans un an ? Ne vaudrait-il pas mieux prendre une mesure définitive, dire aux propriétaires du sol : On ne vous accordait pas d’indemnité, vous en aurez une équitable ? aux industriels : Vous auriez des concessions pour la houille ? Car, pour cette partie, il faut nécessairement des concessions, puisque les mines d’alluvion suffiront encore longtemps à tous les besoins. Pourquoi donc ne pas entrer dans le fond de la loi de 1810 ? Vous auriez ainsi, avec de légers changements, un système complet ; au lieu de cela, on s’est borné à faire des observations de détail, et il y a autant de systèmes que d’orateurs. Je défie la chambre de choisir entre tant d’amendements et de projets nouveaux. Renvoyez donc tous ces projets à la commission, et chargés-là de vous présenter un projet définitif en retouchant la loi de 1810.
M. Jullien. - Messieurs, je vous demande pardon de prendre la parole pour une troisième fois ; mais la question est si grave, elle est d’une telle portée, que vous ne regretterez pas d’y avoir consacrer quelques moments de plus.
Si vous nommez six conseillers dans une cour et six dans l’autre, comme vous l’a proposé M. Gendebien, vous désorganisez complètement les deux cours de Liége et de Bruxelles ; et d’ailleurs, M. Helias d’Huddeghem vient de vous citer la loi qui interdit de distraire de leurs occupations ordinaires les membres de l’ordre judiciaire. Il est donc impossible de songer à composer la commission de magistrats.
On a parlé du besoin d’y appeler des jurisconsultes ; mais qui empêche de nommer non seulement des jurisconsultes, mais encore de prendre dans les cours telle capacité que l’on désirera, pourvu que cela ne soit pas contraire à la loi ? Quand vous aurez fait désigner par les deux chambres des hommes d’impartialité et de capacité, n’aurez-vous pas toutes les garanties désirables ?
Mais, dit-on, ce n’est qu’une loi provisoire, nous ne ferons que du provisoire.
Malheureusement oui, ce n’est que du provisoire ; et il est assez singulier qu’on nous ait proposé du provisoire il y a six ou sept mois, et qu’on n’ait pas encore aujourd’hui autre chose à nous proposer. Mais, enfin, pourquoi faisons-nous du provisoire ? Pour ne pas faire du mauvais définitif. Mais, si nous ne devions faire que du mauvais provisoire, j’aimerais mieux encore faire du mauvais définitif, parce que, au moins, dans ce cas, on s’arrangerait en conséquence. Le moyen de ne pas faire du mauvais provisoire, c’est de vous borner à nommer une commission pour remplacer le conseil d’Etat, et qui vous donne autant de garantie que lui.
M. de Robaulx a dit que, si l’on renvoyait à une commission, elle pourrait, en ajustant ensemble les idées divergentes émises dans la discussion, elle pourrait obtenir une bonne loi. Mais renvoyez le projet à une commission nouvelle, ou ne l’y renvoyez pas, il faudra toujours combler une lacune pour remplacer le conseil d’Etat qui n’existe pas. Je pense donc qu’en nommant actuellement une commission comme je l’ai proposé, et en conservant la loi de 1810, dont on s’est fort bien trouvé quoi qu’on en dise, vous aurez fait tout ce qu’il est raisonnable et nécessaire de faire. Je persiste dans mon amendement.
M. Dumont. - La commission propose de prendre les commissaires dans les cours ; le ministre propose de les prendre parmi les jurisconsultes et parmi les ingénieurs des mines ; M. Jullien demande que les chambres présentent des candidats, je dois me déclarer en faveur de la proposition de la commission. Ce sont les conseillers des cours de justice qui sont les plus aptes à former la commission qui remplacera le conseil d’Etat. Eux seuls ont les connaissances nécessaires pour décider les questions que présentent les concessions des mines. Quant aux nominations faites par les chambres, je vous avoue que j’ai vu beaucoup de nominations semblables, et que très peu m’ont inspiré de la confiance.
On objecte que par le choix des juges on va confondre les attributions judiciaires avec les attributions administratives. Messieurs, dans le cas actuel, il serait très difficile de distinguer ces attributions. Dans les mines, il y a des questions de propriété. La loi renvoie, dit-on, ces questions aux tribunaux ; cependant la commission peut déclarer que la question de propriété n’est pas en discussion, et, par ce moyen, tout en traitant une question de mines, résoudre une question de propriété qui en découlerait. Sous ce rapport, je ne vois pas d’inconvénient à nommer des juges.
M. Jullien présente un projet qui a de grands inconvénients. Nous sommes dans l’année des organisations, et l’ordre judiciaire aura aussi la sienne. Je ne crois pas néanmoins que les cours soient aussi dépourvues de conseillers qu’on le dit. Sur quarante conseillers, excepté ceux qui siègent dans cette chambre et dans le sénat, il y a peu d’absences.
On demande où les commissions siégeront ; mais ce sont de petits détails qui ne regardent pas la loi. La commission siégera où est le siège du gouvernement.
L’indemnité ? cela regarde le gouvernement. N’avons-nous pas la commission de l’industrie et d’autres commissions ? Il n’a pas été besoin d’une loi pour allouer des indemnités à ces commissaires.
Il est, dit-on, une loi qui interdit d’appeler les juges à des fonctions administratives ; mais rien n’est impossible au pouvoir législatif : en modifiant la loi, nous ne sortons pas du régime légal.
Je bornerai là mes observations. Je vote pour l’article premier.
M. H. de Brouckere. - Je vois que la chambre est suffisamment éclairée sur l’article premier. Je me contenterai de faire une seule observation pour répondre à M. Helias. Déjà M. Dumont lui a répondu, fort judicieusement, que ce qu’une loi défendait, une autre loi pouvait le permettre ; et, sous ce rapport, il est certain que notre loi autoriserait suffisamment les conseillers des cours à cumuler leurs fonctions avec celle de membre de la commission.
Mais, d’ailleurs, on a fort mal expliqué la loi ; car qui ne peut détourner les membres de l’ordre judiciaire de leurs occupations ? Le pouvoir exécutif. Mais la loi a ce pouvoir, et la preuve, c’est que vous-mêmes avez disposé par la loi électorale que les présidents des tribunaux seraient présidents des collèges électoraux : or, M. Helias soutiendra-t-il que ce soient là des fonctions judiciaires ? Je pourrais en citer d’autres ; je me borne à celui-là qui me paraît assez concluant ; d’après ces considérations, je voterai pour l’article.
M. Helias d’Huddeghem. - Je conviens qu’une loi peut déroger à celle qui ne veut pas qu’on puisse détourner de leurs occupations les membres de l’ordre judiciaire, mais je trouve que l’exemple cité par M. de Brouckere est mal choisi car les fonctions électorales ne dérangent réellement pas de leurs fonctions les magistrats, ou, du moins, c’est pour un temps très borné. Tout ce que je crains, au reste, et ce qui me fait m’opposer à l’article premier, c’est la confusion des pouvoirs qui en peut résulter.
M. Jullien. - On ne fait pas assez attention que, dans l’état actuel où se trouvent les cours, vous allez distraire des conseillers de leurs fonctions pendant cinq ou six mois au moins, parce que beaucoup de demandes en concessions sont arriérées ; ces demandes présentent des questions difficiles, et il y en a telle pour l’examen de laquelle il faudra des mois entiers. Que deviendront pendant ce temps-là les cours, qui déjà ne marchent pas trop bien avec leur personnel, quand vous leur enlevez les notabilités, car ce sont des notabilités que l’on veut ?
Quant à moi, messieurs, je crois que ce choix, dans ce moment, est réellement impraticable. S’il est vrai, comme on l’a dit pour l’argument de M. Helias, qu’une loi pouvait permettre ce qu’une autre a défendu, il n’en faut pas moins rechercher l’esprit dans lequel la loi qui interdit aux magistrats de se détourner de leurs fonctions a été rédigée. Or, il est bien clair qu’on a voulu qu’un magistrat ait à consacrer sa vie entière à ses fonctions et aux devoirs qu’elles lui imposent.
L’exemple pris des présidents des tribunaux, que la loi électorale désigne pour présider les collèges, n’est pas concluant, Car, d’abord, ils devraient s’y rendre en qualité d’électeurs, et un magistrat, pour remplir ses fonctions d’électeur, ne se détourne pas de ses fonctions. Dans tous les cas, il y consacrerait fort peu de temps. (Interruption.) Laissez-moi dire. Mais jeter pour cinq ou six mois dans l’administration des membres de l’ordre judiciaire, ce serait désorganiser complétement les cours.
Vous voyez donc, messieurs, qu’il y a de bonnes raisons de rejeter le projet de la commission et de prendre, pour former la commission, les moyens que j’ai proposés ou que d’autres proposeront mais que, dans aucun cas, il ne faut enlever à leurs fonctions les membres des cours supérieures.
M. Taintenier. - Messieurs, les considérations m’ont fait valoir nos collègues, MM. Julien et Helias, sont de nature à faire la plus grande impression sur la chambre. Je m’y rendrais moi-même, si je n’avais une autre observation à faire, dans le projet de M. Jullien, le choix de la chambre peut tomber sur tout le monde, et je vous avoue que je suis trop pénétré du besoin d’avoir des spécialités pour être bien rassuré sur ce mode. C’est pourquoi je me rallie à l’article premier. Que faites-vous, d’ailleurs, en nommant la commission ? Vous lui conférez les attributions qu’avait le conseil d’Etat. Mais ce conseil était nommé par le Roi ; par analogie, la commission devrait être nommée par lui. Sous ce rapport, j’écarterai la proposition de M. Jullien. D’un autre côté, le choix de conseillers me convient, parce qu’ils tiennent leur nomination du Roi et je regarde comme constitutionnel de faire nommer par le Roi les membres de la commission qui doit lui servir de conseil quant aux mines, car il serait contraire à toutes les idées saines, en fait de gouvernement, que de donner au Roi un conseil qui ne serait pas de son choix.
- On demande de toutes parts à aller aux voix.
M. Dumont prononce quelques phrases que nous n’avons pu saisir.
M. le président lit les amendements.
Celui de M. Helias (voyez la séance d’hier) est mis aux voix et rejeté.
On met aux voix l’amendement de M. le ministre de l’intérieur ainsi conçu :
« Les fonctions du conseil d’Etat, en ce qui concerne les mines, seront remplies provisoirement par un conseil nommé par le Roi et composé de trois jurisconsultes et deux ingénieurs. »
- Cet amendement est adopté.
L’article premier, avec cet amendement, est ensuite mis aux voix et adopté.
La discussion est ouverte sur l’article 2 ainsi conçu :
« Cette commission sera présidée par un ministre a ce délégué par le Roi ; elle ne pourra délibérer qu’au nombre de cinq membres au moins, y compris le président, et sur l’avis préalable du conseil des mines institué par l’article 18 de l’arrêté du 29 août 1831. »
M. H. de Brouckere. - Je demande la suppression des mots : « et sur l’avis préalable, etc. »
- Cette suppression est adoptée.
On met aux voix l’article 2.
M. Rogier. - Il est impossible d’admettre l’article 2 après l’adoption de l’article premier ; car, d’après cette adoption, la commission ne se composera plus que de cinq membres. Elle devra donc délibérer toujours au grand complet. L’article 2 avait été rédigé ainsi dans la supposition que d’après l’article premier, la commission serait composée de six membres.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Il avait été dans ma pensée que la commission serait présidée par un de ses membres et non par un ministre.
M. H. de Brouckere. - Je ne conçois pas une commission où un ministre puisse entrer à sa volonté. Il faut que la loi le dise expressément.
M. Gendebien. - Aux termes de l’article 5 de la loi de 1810, les demandes de concessions de mines doivent être délibérées en conseil d’Etat il faut bien qu’un membre du gouvernement entre dans la commission, puisque c’est le gouvernement qui délivre la concession.
M. Devaux. - Je ferai remarquer que maintenant, d’après l’article premier, les membres vont se trouver au nombre de six, nombre pair ; quand les avis seront partagés, il sera impossible de vider le partage.
M. H. de Brouckere. - L’observation de M. Devaux est parfaitement juste. Si la chambre voulait revenir sur l’article premier, je proposerais quatre jurisconsultes au lieu de trois.
M. Ch. de Brouckere. - Cela ne remédierait à rien, car il pourra se trouver souvent que le conseil délibère en nombre pair ; et comment fera-t-on alors s’il y a partage ? Il n’y a qu’un moyen c’est de déclarer qu’en ce cas, la demande sera rejetée, ou il faut donner voix prépondérante au président.,
M. H. de Brouckere. - Si la commission est composée de six membres et qu’il y ait partage on appellera le septième membre pour le vider, ainsi que cela se pratique devant les cours. C’est pour cela que je voudrais que la chambre voulût revenir sur l’article premier.
M. Rogier ne voudrait pas que la commission fût présidée par le ministre. Il craint qu’il n’ait trop d’influence sur la commission et que son avis ne l’emporte toujours.
- Une discussion s’engage pour savoir : 1° si la commission sera ou non présidée par un ministre ; 2° si le gouvernement devra se conformer à l’avis de la majorité de la commission, pour accorder ou refuser la concession.
Plusieurs orateurs sont entendus pour et contre.
- La suite de la discussion sur l’article 2 est renvoyée à demain.
La séance est levée à quatre heures et demie.
Noms de MM. les membres absents sans congé à la séance du 17 mai : MM. Angillis, Barthélemy, Berger, Brabant, Dams, W. de Mérode, de Sécus, Dumortier, Fleussu, Gelders, Jamme, Seron, Van Meenen.