(Moniteur belge n°93, du 2 avril 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
Après l’appel nominal, M. Dellafaille donne lecture du procès-verbal ; il est adopté.
M. Lebègue analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
Il est donné lecture d’une lettre de M. Coghen, par laquelle il informe la chambre qu’étant indisposé il ne peut se rendre à la séance.
M. le président. - M. de Muelenaere n’étant pas préparé sur les articles qui doivent être mis les premiers en discussion, nous sommes obligés de nous ajourner à lundi. Cependant, comme il paraît que M. Coghen a donné sa démission, il faut que la chambre discute si, malgré cela, elle entend continuer lundi la délibération du budget des finances.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je ferai observer à M. le président que c’est seulement par suite d’une indisposition grave que M. Coghen n’a pu se rendre à la séance ; mais, comme il pourrait se faire qu’il ne pût encore assister à celle de lundi pour le même motif, la chambre doit dire aujourd’hui si elle veut continuer lundi la discussion des finances, afin que je fasse mon rapport au Roi, et que des commissaires soient nommés pour soutenir ce budget.
M. Destouvelles propose d’interrompre momentanément la discussion du budget des finances.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux) et plusieurs membres s’y opposent ; il retire sa proposition.
M. Dumortier. - Le premier article qui doit être mis en discussion est relatif au personnel de la monnaie ; il me semble que M. de Muelenaere pourrait bien discuter cet objet, qui est infiniment simple.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je ferai observer qu’il s’agit ici du service intérieur du ministère, et qu’il me serait impossible de donner les renseignements nécessaires.
M. A. Rodenbach. - Je demande le renvoi de la discussion à lundi, d’autant plus que la question est très grave, quoi qu’en ait dit M. Dumortier ; car je prétends que l’administration des monnaies a été organisée illégalement.
M. Lebeau. - Je ne m’opposerais pas à la remise à lundi, si le ministre des finances se rendait ici ce jour-là ; mais, comme il ne viendra que des commissaires du Roi, et que la présence de ces commissaires n’est pas nécessaire pour la discussion de la question de droit dont vient de parler un de nos collègues, il me semble que nous pourrions toujours commencer à discuter aujourd’hui cette question préjudicielle, qui est en dehors de celle sur laquelle MM. les commissaires du Roi devront nous fournir des renseignements.
M. Verdussen appuie le renvoi à lundi.
M. Destouvelles fait remarquer qu’avant d’ouvrir la discussion sur la question préjudicielle dont il s’agit, il faut consulter MM. les ministres s’il sont prêts à la traiter.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Vous devez penser, messieurs, que cette question a été plus mûrement examinée par M. le ministre des finances que par nous. Toutefois cette question ne ne paraît pas aussi importante qu’on l’a dit ; s’il s’agissait de l’examiner aujourd’hui, je ne reculerais certainement pas ; mais, comme le département des finances n’est pas représenté, il vaut mieux le remettre à lundi. (Appuyé !)
- La discussion du budget des finances est ajournée à lundi.
La chambre décide ensuite qu’elle entendra le rapport des pétitions ; la séance est suspendue pendant un quart d’heure pour donner le temps à MM. les rapporteurs d’aller chercher leurs pièces.
Un quart d’heure après, la séance est reprise.
Sur le rapport de M. Milcamps, la chambre ordonne le dépôt au bureau des renseignements des pétitions :
« 1° Des sieurs Armand et Augustin Lardinois, à Marchienne-au-Pont, qui signalent une prétendue lacune dans la loi sur la garde civique. »
« 2° Du sieur A.-J. Choter, ex-professeur de syntaxe au collège de Grammont, qui demande de continuer à jouir de l’indemnité annuelle de 300 fl. à lui accordée par le régent. »
« 3° Du conseil de régence de la ville de Liége, qui demande que, dans la loi nouvelle sur l’instruction, l’université de Liége soit maintenue. » (Cette pétition est en outre renvoyée au ministre de l’intérieur.)
« 4° Et de la régence de Malines, qui demande pour cette ville, lors de la nouvelle organisation judiciaire, le siège de la cour de cassation, et subsidiairement, au cas que le premier objet de sa demande ne lui soit pas accordé, l’établissement dans cette ville d’une cour d’appel ou d’une cour criminelle. » (Cette dernière pétition est aussi renvoyée à la section centrale.)
Le renvoi au ministre de l’intérieur de celles :
« 1° Des administrations communales et d’un grand nombre d’habitants des communes de Promée, Wallin et Saint-Hubert, qui s’élèvent contre le projet de route vers Neufchâteau, en passant par Celle et Vigée, et demande que la route passe par Beauraing et Lomprez. »
« 2° Et de trois habitants de Courtrai, qui demandent que la chambre prenne une disposition qui envisage tous les enrôlés volontaires dans la garde civique, faisant partie de la levée de 1832 pour la milice, comme ceux dont parle le troisième alinéa de l’article 94 de la loi du 8 janvier 1817. » (Cette pétition sera, en outre, déposée au bureau des renseignements.)
Le renvoi au ministre des finances de celles :
« 1° Du sieur J. Blavion, fermier de barrières à Mons, qui demande que la chambre revienne sur la décision qu’elle a prise sur sa pétition au dernier rapport, et que, faisant droit aux conclusions de la commission, elle en ordonne le renvoi au ministre des finances. »
« 2° Du sieur F. Dortant, à Ostende, qui réclame contre la mesure prise par l’administration des finances au sujet des leges. » (Cette dernière pétition est, en outre, renvoyée au bureau des renseignements.)
Et le renvoi au ministre de la guerre de celles :
« 1° Des gardes civiques du canton de Lessines, qui se plaignent d’avoir été incorporés dans le bataillon du canton d’Ath, et en demandent leur séparation. »
« 2° Et des officiers, sous-officiers et soldats de la garde civique du bataillon du canton de Herzeele, qui demandent le paiement de onze jours de solde, pour service fait en 1831. »
Enfin la chambre passe à l’ordre du jour sur celles :
« 1° Du sieur J.F. Van Halen, à Bruxelles, qui signale la société générale des Pays-Bas comme ne payant pas de contribution foncière pour ses biens, et n’ayant participé à aucun des deux emprunts. »
« 2° Et du sieur Th. Vreucop, adjudant-major au troisième bataillon de la garde civique de Virton, qui demande 1° un diplôme pour les officiers de la garde civique ; 2° un règlement fixant les attributions des divers grades de la garde civique. »
Ensuite, M. Milcamps fait le rapport d’une pétition de 13 propriétaires-cultivateurs de lin à Saint-Amand, qui réclament contre toute augmentation du droit de sortie sur les lins. Il conclut au renvoi à la commission d’industrie et aux ministres de l’intérieur et des finances.
M. Pirmez. - Messieurs, plusieurs discours ont été prononcés sur l’importante question des lins et des toiles. Ils proclament des opinions et des doctrines entièrement contraires aux miennes ; je demande de pouvoir les combattre en vous soumettant quelques observations sur le rapport de la commission d’industrie, dont vous avez ordonné l’impression, et je dirai en même temps quel est, en matière de commerce, le système que doit suivre le gouvernement.
Les conclusions de la commission sont complexes ; elles doivent être appuyées sur certains points et combattues sur d’autres.
Elle propose le rejet des demandes qui, dans l’intérêt des tisserands, tendent à obtenir un monopole sur tout le lin que produit la Belgique. Vous ne pouvez vous dispenser, messieurs, d’adopter ces conclusions ; car le droit dont vous frapperez le lin à la sortie ne favoriserait pas les tisserands, et cette mesure serait funeste aux cultivateurs, classe de citoyens également recommandable, également digne de la protection des lois.
Selon un grand nombre de pétitionnaires, l’effet d’un droit à la sortie serait la baisse du prix du lin, qui nous mettrait à même de vendre de la toile à meilleur marché et d’en exporter davantage, Les pétitionnaires sont dans l’erreur ; le prix du lin ne baisserait pas.
En effet, messieurs, le cultivateur n’est pas obligé de semer du lin. Il est des produits dont il peut tirer un profit égal, ou plus grand ; les faits le prouvent, puisque plus de la moitié de nos terres ne sont point ensemencées de lin, lorsqu’elles peuvent l’être.
Si, par l’effet de la mesure qu’on vous demande, la culture du lin devient moins avantageuse, pense-t-on que le fermier s’obstinera à lui donner le même développement ? N’est-il pas évident, au contraire, qu’il diminuera le nombre de ses terres destinées à produire cette plante, en raison du désavantage résultant pour lui du droit à la sortie ?
Et cette réduction dans la culture du lin ne réagira-t-elle pas à son tour sur le prix de cette denrée, qui se vendra d’autant plus cher qu’elle sera plus rare ? Quoi que vous fassiez, après avoir tourné dans ce cercle, vous arriverez au point de départ ; le droit à la sortie aura trompé l’attente des pétitionnaires.
Mais, messieurs, la Belgique n’est pas le seul pays propre à produire le lin. Des essais récents et nombreux ont prouvé qu’il peut se cultiver avec succès dans diverses provinces du royaume où l’on regardait la chose comme impossible : rien n’empêche que les étrangers qui sont nos tributaires (pour parler le langage du système prohibitif), excités par l’exemple, ne se livrent aux mêmes essais et ne s’affranchissent pour toujours. Car le droit à la sortie, je vous prie de le remarquer, en faisant hausser le prix du lin dans les pays voisins, est une prime d’encouragement que nous payons aux cultivateurs étrangers aux dépens des cultivateurs indigènes. Cette vérité est palpable. C’est dans l’intérêt de la Flandre qu’on réclame cette mesure, et c’est précisément dans l’intérêt de la Flandre, province essentiellement agricole, qu’on devrait la repousser.
Puisque le droit qu’on vous demande ne favorise personne et nuit à une industrie importante, ces demandes doivent être écartées.
La commission demande un droit de 6 p. c. sur les toiles étrangères. Je repousse de toutes mes forces cette partie de ses conclusions. Je n’attache pas cependant une grande importance au cas particulier dont il s’agit, car ce droit est léger ; mais ce serait faire un pas de plus dans le système prohibitif, précédent que je regarde comme dangereux.
La mesure proposée par la majorité de la commission me paraît incompréhensible, non seulement à cause des hautes lumières qui distinguent les membres qui la composent, mais parce que c’est au sein de la commission que le système prohibitif se présente chaque jour avec ses contradictions et ses inconséquences.
S’il m’était permis de vous lire quelques-unes des nombreuses pétitions renvoyées à votre commission d’industrie, il n’est point de préjugé enraciné, de vieux système jusqu’ici rebelle à la réflexion et à l’examen, qui ne fût forcé de se rendre à l’évidence des faits. Toutes ces pétitions ont l’intérêt général pour but ; car, dans ces temps d’abnégation, l’intérêt général est l’unique mobile de toutes nos démarches. Ici c’est le fileur et le tisserand qui vous conjurent, au nom de la prospérité du pays, l’un d’établir sur le lin, et l’autre sur le lin et le fil, un droit à la sortie. Là, c’est le blanchisseur, au contraire, qui demande que vous défendiez l’exportation du fil et des toiles écrues. Ailleurs, ce sont d’autres industries qui, tout en se proclamant la pierre angulaire de l’édifice commercial, exigent, pour se soutenir elles-mêmes, un privilège nécessairement éversif d’une industrie voisine. Quel esprit fasciné se refuserait encore à voir le caractère manifeste de l’erreur dans ces contradictions, sur lesquelles repose toute la doctrine du monopole ?
Et puis, messieurs, la lecture des pétitions vous jetterait dans une grande perplexité. Entre les intérêts rivaux qu’elles vous montrent se heurtant de mille manières, lesquels protégeriez-vous ? lesquels abandonneriez-vous ? Ne cherchez point les titres de préférence, des raisons meilleurs dans les unes que dans les autres ; elles vous offrent toutes les mêmes raisons, ou plutôt les mêmes mots, les mêmes vieilles formules regardées comme sacramentelles par tout demandeur de privilèges ; par exemple, « industrie nationale, » « produits de notre sol, » « tribut payé à l’étranger, » « matière première, » « exportation du numéraire. » Hors de là les pétitions ne contiennent rien, si toutefois des mots vides de sens sont quelques chose.
Leur simple énonciation en est la réfutation la plus complète. Cependant cette exclamation lamentable : « Notre numéraire ira en Angleterre, » a retenti plusieurs fois dans cette salle. Notre numéraire ira en Angleterre ! Mais où dont est le mal ? La richesse consiste-t-elle uniquement dans l’abondance du numéraire, et une nation s’appauvrit-elle lorsque, pour son numéraire, elle reçoit des choses au moins équivalentes ? Qu’on se tranquillise cependant ; le numéraire, objet d’une si vive sollicitude, ne nous quittera pas. Et, pour établir cette vérité, je n’irai point m’ingénier pour montrer, à qui ferme les yeux, que le commerce extérieur est un échange de produits contre des produits. Cette doctrine, datant tout au plus d’un demi-siècle, est condamnée au tribunal de la routine comme convaincu de nouveauté, crime dont n’absolvent point les meilleures raisons. Je demanderai seulement ce que notre numéraire ira faire en Angleterre où il n’a point cours ; car enfin, puisque les Anglais s’en montrent avides, encore faut-il qu’ils le trouvent bon à quelque chose.
Messieurs, dans cette lutte des intérêts opposés à laquelle les pétitions servent d’arène, vous ne voyez paraître ni les consommateurs, ni les marchands en détail. On dirait que ce ne sont point leurs dépouilles que se disputent les combattants, ou bien que, habitués et résignés à l’injustice, ils n’attendent pas encore leur affranchissement de cette époque de liberté. Cependant, le droit d’entrée, la prime d’exportation, c’est le consommateur qui les paie ; c’est le consommateur que l’on prive souvent du nécessaire, pour enrichir telle ou telle classe de privilégiés. Si par une mesure favorable au producteur du lin, du fil ou de la toile, vous faisiez hausser du double le prix de cette dernière denrée, des milliers d’individus ne pourraient se procurer qu’une chemise au lieu de deux. Cette mesure ferait tort au marchand en détail, dont le débit diminuerait dans la même proportion. Je défie que l’on nomme une espèce de produits dont on ne puisse dire la même chose.
Ordinairement les pétitionnaires sont peu embarrassés pour le taux de la prime ou du droit ; ils le fixent d’emblée à 20, 30, 40 p. c. Du reste, point de calcul, point de chiffres pour étayer leurs prétentions. Dans cette matière qui a l’arbitraire pour base, tout doit être arbitraire ; et les pétitionnaires sont conséquents ; car, si l’on admet que le bien général résulte du monopole, on aurait mauvaise grâce à se disputer avec le fabricant sur le nombre d’écus destinés à produire le bien général dans sa caisse.
Les tisserands, en faveur desquels la commission demande une augmentation de droits sur les toiles étrangères, sont malheureux, je le sais ; et à ce titre ils méritent la bienveillance de la chambre. Si les faveurs du système prohibitif n’étaient point funestes à d’autres, je ne viendrais point sans doute, proclamant des principes inhumains dans leur rigidité, arrêter la main du gouvernement prêt à s’étendre sur cette classe honnête et laborieuse. Mais, messieurs, j’ai prouvé que vous forceriez d’autres malheureux, qui déjà soutiennent par leurs privations tant d’industries, à contribuer à ce nouveau bienfait. La toile n’est pas de ces choses superflues réservées au riche ; le vêtement est nécessaire au pauvre comme le pain.
Vous ne pouvez, d’ailleurs, messieurs, vous enfoncer davantage dans le régime prohibitif sans compliquer notre situation déjà si embarrassée. Pourquoi renforceriez-vous les liens qui de toutes parts enlacent le commerce et l’industrie, lorsque tous vos efforts doivent tendre à les rompre ? Maintenant vous êtes assiégés de pétitions ayant pour objet l’augmentation des droits. Quand vous voudriez revenir vers le système libéral, ce sera bien une autre obsession. On se prévaudra de vos faveurs d’aujourd’hui, qui auront créé ou développé certaines industries ; on invoquera des droits acquis, et vous expérimenterez alors qu’il est encore plus difficile de reprendre que de ne point donner.
Pour s’éclairer en matière d’économie politique, les gouvernements ont coutume de nommer des commissions d’industrie, des chambres de commerce composées, en majorité, de grands industriels, et d’agir en tout conformément à l’avis de ces conseils.
Messieurs, s’il est une pensée malheureuse, une pensée fatale au bien-être du plus grand nombre, c’est celle de mettre le commerce, pour ainsi dire, à la merci de l’aristocratie industrielle. Les gouvernements, s’ils veulent s’éclairer, n’ont-ils pas la voie de la publicité pour consulter la nation entière ? Ne devraient-ils pas appeler sur ces importantes questions les lumières de la presse, organe de tous les intérêts, au lieu de s’adresser à quelques intérêts seulement ? Sans doute les membres de ces commissions sont presque toujours choisis parmi les citoyens que recommandent des vues pures et désintéressées, que distingue un grand amour du bien public ; mais que peut l’amour du bien public contre les préjugés sucés avec le lait, contre les doctrines que l’on a défendues toute sa vie, et que, dans chaque question qui se présente, on semble, par une mission expresse, être appelé à défendre encore ?
Tous les intérêts et toutes les lumières ne convergent point nécessairement vers les sommités sociales. La féodalité, régime impie qui faisait deux sortes d’hommes existerait encore, si les seigneurs eussent été appelés à décider de son sort. Le système prohibitif est semblable à la féodalité ; il a ses seigneurs et sa gent taillable et corvéable. Ce n’est que lorsque tous les intérêts seront écoutés qu’il tombera.
Déjà les journaux attaquent le monopole avec un talent remarquable et avec une profonde conviction, ce qui vaut mieux encore. Le monopole n’ose paraître dans cette lice pour se défendre. Comme tout ce qui est mauvais, il craint le grand jour. Il a raison de ne point fournir des armes à ses ennemis. Vous avez vu qu’il suffit de quelques pétitions prises au hasard pour le montrer en contradiction flagrante avec lui-même.
Cependant, messieurs, il trouva des apologistes dans cette chambre, lorsque dernièrement j’élevai la voix pour une industrie que dévore une autre industrie. Ces honorables membres, dans leur disette de raisons, se retranchèrent dans ce qu’on veut bien appeler la logique des faits. Ils vous montrèrent le système prohibitif enrichissant la France et l’Angleterre.
Mais où voyez-vous, de grâce, que ce n’est pas plutôt malgré le régime prohibitif que la France et l’Angleterre se sont enrichies, et qu’elles ne possédaient point des causes de prospérité supérieures qui neutralisassent cette cause de ruine ? L’Angleterre impose ses produits à la pointe de l’épée à cent millions de consommateurs, et nous qui n’avons pas une seule colonie, pas un seul vaisseau, nous prétendrons nous régler sur cette dominatrice des mers ! Et quand à la France, qu’est devenue cette prospérité tant vantée ? En trouvez-vous des indices peut-être dans ces émeutes de Grenoble, de Nîmes et tant d’autres villes, où la misère livre des milliers d’ouvriers sans travail au premier agitateur qui les paie ? En trouvez-vous des indices dans ces doctrines nouvelles qui, empruntant à la fois les diverses formes de la politique, de la philosophie et de la religion, menacent l’ordre social d’une dissolution prochaine en déclarant une guerre à mort à la prospérité qui en est la base ?
Vous ne parlez pas de l’Espagne ! Voilà le type, le beau idéal du régime prohibitif. L’Espagne possède un sol fertile, des ports excellents sur deux mers : pendant plus de trois siècles, des monceaux d’or et d’argent y furent apportés du Nouveau-Monde ; et l’Espagne, dénuée de tout, en est réduite, pour conserver quelques parcelles de ces riches métaux, à prohiber niaisement la sortie du numéraire, comme si elle pouvait nourrir et vêtir de numéraire les mendiants qui pullulent chez elle.
Vous ne parlez pas non plus de la Hollande, à laquelle la nature a tout refusé, et que la liberté du commerce porta à un degré de puissance inouï dans les fastes des nations ; de la Hollande, que des revers sans exemple eussent ruinée, si ses ressources n’étaient inépuisables ; de la Hollande, dont la population est moins nombreuse, moins énergique que la nôtre, et qui entretient cependant, depuis un an et demi, plus de cent mille hommes sur nos frontières. Vous ne parlez ni de l’Espagne, ni de la Hollande, et elles vous offraient les deux régimes presque dans leur pureté native.
A ces principes, auxquels tout le monde n’est point accoutumé, on croira voir en moi un adepte fanatique, capable de tout sacrifier au triomphe de ses doctrines. On se tromperait grandement, messieurs.
Je suis profondément convaincu que le monopole est un mal dont souffre la société entière ; j’en suis convaincu pour les raisons que vous venez d’entendre, et pour un bien plus grand nombre d’autres que je n’aurais pu énoncer sans abuser de vos moments qui sont précieux. Cependant, si quelqu’un proposait de passer tout d’un coup au régime d’une liberté absolue, je serais le premier à m’y opposer. Cette transition brusque jetterait dans la misère et la désolation plusieurs classes de citoyens, dont toutes les ressources découlent du monopole. L’augmentation de la fortune publique, résultat infaillible d’une pareille mesure, serait achetée trop cher si elle amenait la ruine de tant de familles. Nous devons nous acheminer vers le régime libéral lentement, par degrés et d’une manière uniforme pour tous les produits, afin de donner aux capitaux détournées leur cours naturel. Je déposerai plus tard une proposition dans ce but. En attendant, je voterai contre tous les nouveaux privilèges, sous quelque forme qu’ils se présentent.
M. le président fait remarquer qu’on ne se trouve plus en nombre, et que par conséquent aucune décision ne peut être prise sur la pétition.
M. Dumortier. - Mais M. Pirmez, répondant à des orateurs qui ont parlé il y a un mois, vient d’émettre des principes sur lesquels il doit leur être permis de répliquer.
M. le président. - Vous avez déjà décidé que vous ne pouviez délibérer quand vous n’étiez pas en nombre.
M. Lebeau. - L’observation de M. le président est parfaitement exacte, mais il me semble qu’elle aurait dû être faite dans le commencement.
M. le président. - Mais nous étions 56 au commencement ; ce n’est qu’ensuite que plusieurs membres sont sortis de la salle.
- On demande l’appel nominal : 47 membres seulement sont présents.
En conséquence, la séance est renvoyée à lundi et levée à 2 heures.
Noms des membres qui n’ont pas répondu au dernier appel nominal :MM. Angillis, Barthélemy, Boucqueau, Bourgeois, Cols, H. de Brouckere, Ch. De Brouckere, de Foere, de Haerne, d’Elhoungne, de Nef, de Sécus, Destouvelles, Dewitte, Domis, Dumont, Fallon, Gelders, Gendebien, Goblet, Helias d’Huddeghem, Jacques, Jaminé, Legrelle, Nothomb, Osy, Pirson, Polfvliet, Raymaeckers, de Tiecken de Terhove, Van Meenen, Verhaegen, Ch. Vilain XIIII.