(Moniteur belge n°83, du 23 mars 1832)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi et demi.
Après l’appel nominal, le procès-verbal est lu et adopté.
M. Lebègue analyse ensuite quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
L’ordre du jour est la suite de la discussion du budget de la justice.
« Art. unique. Frais d’instruction et d’exécution : fl. 220,000. »
M. le ministre de la justice (M. Raikem) propose de majorer cette somme de 30,000 fl. pour l’indemnité à accorder aux jurés, en vertu de la loi sur le jury nouvellement rendue.
- Le chiffre de 250,000 fl. est adopté.
« Art. unique. Constructions et réparations : fl. 10,000. »
M. Dumortier. - Je dois déclarer ici que la section centrale a trouvé qu’il serait plus régulier d’adjoindre ce chapitre au ministère de l’intérieur.
M. d’Elhoungne. - Je demande alors qu’il soit transporté au ministère de l’intérieur.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je ferai observer qu’il est plus simple de laisser dans mon budget les moyens de réparer les édifices consacrés à l’administration de la justice, d’autant plus qu’il ne résulterait aucun avantage au transfert.
M. Leclercq. - Je crois que l’expérience prouve qu’il faut en effet laisser ce chapitre dans le budget que nous discutons, pour ne pas faire dépendre un ministre de son collègue. Sous le gouvernement précédent, cette allocation figurait au budget de l’intérieur ; eh bien ! les édifices consacrés à l’administration de la justice étaient fort mal entretenus. Je citerai à cet égard le palais de justice de Liége, qui est un très beau bâtiment, et qui a été laissé dans un état de délabrement complet. Il est tout simple qu’un ministre aime mieux voir restaurer les édifices qui appartiennent à son département que d’autres qui lui sont étrangers.
- L’article est mis aux voix et adopté.
« Art. 1er. Haute cour militaire. Personnel : fl. 28,850. »
M. d’Elhoungne. - Messieurs, deux questions se rattachent à l’examen du chapitre V du budget de la justice : d’abord, la justice militaire, telle qu’on l’exerce chez nous, a-t-elle une existence légale ? et ensuite, cette question décidée affirmativement, cette juridiction est-elle bien organisée ?
L’examen de la première question m’éloignerait trop du budget. Je conçois et partage l’impatience de la chambre ; je n’abuserai pas de ses moments. Permettez-moi seulement de vous rappeler, messieurs, que l’instruction de la cour d’Utrecht a été rangée par tous les hommes éclairés parmi les griefs de la nation ; que l’arrêté du gouvernement provisoire qui avait fait droit à ces justes plaintes, en enveloppent dans une abolition générale cette juridiction exceptionnelle et le code mystérieux qu’elle appliquait dans l’ombre, a été salué d’acclamations unanimes ; que toutefois l’une et l’autre ont été furtivement mises en vigueur et nos soldats replacés, sans publication préalable, sous l’impôt d’un code barbare qui, dans mon opinion, n’a pas plus d’existence légale que les corps qui l’appliquent journellement sous nos yeux, et que par ce motif, indépendamment de tout autre, je ne voterai jamais un budget qui contiendra l’allocation d’une somme quelconque pour les dépenses de cette judicature.
La seconde question ne n’arrêtera pas davantage. Je suppose, contre ma conviction, la haute cour militaire et les conseils de guerre régulièrement institués. Est-ce bien au XIXème siècle, sous un gouvernement représentatif, et dans un pays où le service militaire est forcé, qu’on doit distraire nos proches, nos frères, nos enfants, de leurs juges naturels pour des délits étrangers au service militaire ? Ont-ils moins de droit que nous à la protection de la loi commune ? Ont-ils démérité de la patrie en volant à sa défense ? Enfin, sous quels prétextes peut-on priver ces jeunes citoyens de la garantie tutélaire de la juridiction ordinaire et des formes protectrices qu’elle suit ?
Si la raison permet, jusqu’à un certain point, de déférer à un tribunal militaire la connaissance des infractions commises contre les lois de la discipline ; si la nécessité autorise peut-être de traduire devant la même juridiction tout accusé appartenant à l’armée pendant qu’elle est en campagne, on ne peut le méconnaître, messieurs, c’est à ces exceptions qu’il faut limiter la juridiction militaire qui s’étend, sans distinction, à tout délit commis par un individu appartenant à l’armée, est à la hauteur du siècle et en harmonie avec l’esprit de notre législation ; et néanmoins, dans une circonstance récente, l’autorité a essayé de franchir ces limites.
La juridiction militaire réclame donc chez nous une réforme prompte et complète. La représentation nationale ne peut tolérer davantage que la fleur de la population, l’espoir et la force du pays restent plus longtemps soumis pour des délits non militaires à une judicature et à un code pénal qui forme un anachronisme. Sans doute, la législation de France, qui n’a pas été abrogée chez nous, est loin d’être parfaite ; mais, telle qu’elle est, elle vaut cent fois mieux que ce qu’on a cherché à y substituer d’une manière illégale, et, indépendamment de cet avantage de la remise en vigueur de ces véritables lois, le pays retirerait un autre bénéfice que, dans l’état déplorable de nos finances, il ne nous est pas permis de dédaigner. Nous aurions à meilleur marché meilleure justice. Un simple rapprochement suffira pour faire apprécier à la chambre toute l’importance de cette économie.
La dépense ordinaire de la justice militaire, en France, figurera au budget de 1832 pour une somme de 224,000 francs, ou moins de 106,000 fl. ; en y comprenant les dépenses extraordinaires, le total ne dépasse pas 291,000 fr., à peine 123,000 fl. Dans notre pays si circonscrit, les mêmes dépenses sont portées au budget à 58,000 fl., c’est-à-dire à plus de la moitié de ce qu’elles coûtent dans ce pays, dont la population équivaut à neuf fois celle du nôtre.
Si l’on descend dans les détails de cette partie de notre budget, l’on s’aperçoit avec stupéfaction que le traitement dans une juridiction exceptionnelle est, pour le conseiller, de 3,000 florins, quand les magistrats vénérables qui siègent dans nos cours ordinaires ont à peine 2,350 florins ; quand les auditeurs militaires jouissent d’un traitement de 1,800 à 2,600 fl. ; quand les présidents de la plupart de nos tribunaux civils ont moins de 1,204 fl. ; quand nos juges d’instruction n’obtiennent que 945 à 1,550 fl. par an ; quand nos juges ordinaires n’ont que le chétif traitement de 800 à 1,325 fl., et que celui des juges de paix varié de 450 à 680 fl. Il est vrai qu’en revanche de simples commis et des copistes figurent au même budget au minimum de 700 fl. par an, tant nous savons apprécier les services et le mérite, et bien proportionner les salaires à l’importance des emplois, à la capacité qu’ils exigent, au rang de ceux qui les occupent !
Je livre ces réflexions à la chambre ; j’espère qu’elles fixeront un instant l’attention du gouvernement ; en attendant les améliorations importantes que je réclame, je refuserai mon vote à la demande de tout crédit pour une juridiction exceptionnelle que je ne crois pas légalement instituée.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, je suis déjà convenu que la législation militaire contenait des défauts qu’il était nécessaire de faire disparaître ; mais cela ne peut avoir lieu que par la promulgation d’un nouveau code pénal militaire, qui sera fait en exécution de l’article 139 de la constitution. Du reste, je ferai remarquer que, par un arrêt du 1er octobre 1830, il a été statué que les lois pénales militaires continueraient d’être appliquées jusqu’à la révision, et c’est par suite de cette décision que la haute cour a été formée. Comme on ne pouvait improviser de modifications sur une législation aussi essentielle, le gouvernement ne mérite aucun reproche à cet égard, et je ne crois pas qu’on puisse s’opposer à l’allocation demandée.
M. Gendebien. - Il est étonnant que MM. les ministres reconnaissent à chaque instant les défauts de telle ou telle loi ou de leur administration, sans jamais nous proposer d’améliorations. Il semble, en vérité, que la révolution soit née d’hier ; car toutes les améliorations restent encore à faire : il semble même qu’il n’en soit résulté qu’accroissement de charges et multiplications d’abus.
Le gouvernement a nommé une commission chargée d’examiner la législation militaire : le projet est fait depuis longtemps. Je m’étonne que personne n’y mette la dernière main pour nous le présenter ensuite, afin de faire cesser l’ordre de choses actuel qui n’a été regardé que comme provisoire par le congrès. Il est temps que tous ces abus finissent, et, comme je ne connais pas d’autre moyen de faire marcher les ministres que de leur refuser le budget, je le refuse.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Messieurs, il me semble que, s’il y a accroissement de charges pour le pays, ce n’est pas ma faute, et on ne doit pas nous l’imputer. Quant au reproche de n’avoir fait encore aucune amélioration, je demanderai à l’honorable membre si nous n’avons pas déjà présenté assez de projets de lois dans ce but, et je le prie de se rappeler ceux sur l’organisation judiciaire et l’organisation provinciale. Dans peu, nous serons à même d’en soumettre un autre sur l’organisation communale. Je ne crois donc pas que le gouvernement soit en retard. Du reste, je pense qu’on ne peut rien dire contre l’allocation.
M. Destouvelles pense que rejeter l’allocation ce serait s’exposer à voir paralyser la juridiction militaire, et qu’il faut maintenir cette partie de notre législation, quelque vicieuse qu’elle soit, jusqu’à la révision. Il annonce qu’il a recueilli le nombre d’affaires jugées par les conseillers militaires, et il a trouvé qu’elles s’élevaient, depuis le 10 janvier 1831 jusqu’au 31 décembre, à 606, et, depuis le 1er janvier dernier jusqu’au 17 mars, à 236.
M. Rogier. - J’appuierai l’allocation, et, en réponse à M. Gendebien, je rappellerai tout ce qu’a fait le gouvernement provisoire, ce qui ne sera peut-être pas hors de propos dans un moment où nos ennemis cherchent à décourager l’armée. Il me semble que l’on ne devrait pas oublier que le gouvernement provisoire a rendu la publicité aux conseils militaires, a donné le droit aux accusés de se choisir un défenseur, ou, à défaut par eux de le faire, a chargé les juges de leur en choisir d’office. Outre ces trois garanties, la bastonnade a été abolie ; les fers aux mains et aux pieds, qu’on mettait aux soldats dans la salle de discipline, ont été supprimés. Voilà, messieurs, les bienfaits de la révolution. J’ajouterai qu’une haute paie a été accordée à d’anciens militaires. Je pourrais multiplier les citations, mais je crois que ce que j’ai dit suffira pour modifier l’opinion de M. Gendebien. (Aux voix ! aux voix !)
M. Gendebien. - Messieurs, j’ai parlé d’accroissement de charges, et en effet, pour justifier mon opinion, je n’ai qu’à rappeler les 8 millions qu’on s’est obligé de payer à la Hollande (Murmures.) On a parlé d’abus que le gouvernement provisoire avait fait disparaître. Mais c’était une conséquence forcée de la révolution, et, si ces abus ont été réprimés, ils ont fait place à de nouveaux introduits par les doctrinaires. (On rit.) Il me semble que je pourrais citer à mon tour des états de siège pendant la paix, et des arrestations arbitraires.
M. F. de Mérode demande la parole. (Non ! aux voix !)
M. Delehaye. - Je demande la parole pour une motion d’ordre. Je ferai remarquer que les cris aux voix sont contraires au règlement. Si l’on veut terminer la discussion, que des membres se lèvent pour demander la clôture. Sans cela, et jusqu’à ce que la discussion soit close, tous les membres ont droit de parler.
M. F. de Mérode. - Il est singulier que l’honorable M. Gendebien reproche au ministère de ne pas proposer des améliorations de toute nature, lorsque nous pouvons à peine, grâce à l’éternité de nos délibérations, auxquelles M. Gendebien prend une large part, parvenir à voter les projets de lois les plus essentiels, les plus pressants. Que l’on abrège l’énorme longueur de nos discussions, que chacun ménage ici ses paroles, raccourcisse ses discours, et nous irons beaucoup plus vite.
- Les articles 1, 2 et 3 du chapitre V y sont successivement mis aux voix et adoptés en ces termes :
« Ar. 1er. Haute cour militaire. Personnel : fl. 28,850. »
« Art. 2. Haute cour militaire. Matériel : fl. 2,000. »
« Art. 3. Auditeurs militaires et prévôts :fl. 24,150. »
A l’article 4, relatif aux frais de poursuite et d’exécution, et s’élevant à 3,000 fl., M. le ministre de la justice (M. Raikem) propose d’ajouter 3,000 fl. de plus, parce que, d’après de nouveaux calculs, on a jugé cette majoration nécessaire.
- L’article ainsi majoré est mis aux voix et adopté.
« Art. unique. Dépenses ignorées et imprévues : fl. 6,000. »
M. Delehaye. - Comme l’on n’indique pas les objets auxquels seront employés ces 6,000 fl., j’en demande la suppression, parce qu’il n’y a pas d’autres dépenses imprévues que celles relatives aux frais de justice, et ailleurs on pourra prendre celles dont il s’agit sur le chapitre III.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - On ne peut indiquer comment seront employés ces dépenses, puisqu’elles sont ignorées et imprévues. Comme il ne s’agit que d’une somme modique, dont je pourrais avoir besoin, je prie la chambre de la conserver.
M. H. de Brouckere. - M. Delehaye a dit qu’on pourrait prendre la somme de 6,000 fl. sur le chapitre III. Mais je lui ferai remarquer qu’il ne peut y avoir aucun transfert d’un article à un autre. Je crois donc qu’il faut maintenir l’article.
M. Lebeau appuie aussi le maintien de l’article.
- L’article est mis aux voix et adopté.
« Art.1er. Traitements des employés, personnel : fl. 2,800. »
M. Brabant et M. Leclercq font observer que plusieurs arrêtés royaux et actes de haute importance ne sont pas insérés au Bulletin officiel. Ils demandent qu’à l’avenir ils y soient publiés.
M. le ministre de la justice (M. Raikem) répond que le Bulletin officiel contient tous les actes d’administration générale.
M. Dumortier propose de retrancher, dans l’article, les mots : « Traitement des employés, » comme une superfétation. (Appuyé !)
- L’article premier, ainsi modifié, est mis aux voix et adopté.
« Art. 2. Matériel : fl. 19,530 75 c. »
La commission propose de n’allouer que 14,286 fl. Cette réduction est consentie par M. le ministre de la justice.
L’article, ainsi diminué, est également adopté.
Sur la proposition de M. Ch. de Brouckere., la chambre décide que divers autres objets appartenant aujourd’hui au département de la justice, et portés au ministère de l’intérieur, tels que l’administration des prisons et de la sûreté publique, seront transférés au titre du ministère de la justice, et qu’elle reviendra sur ce titre pour les discuter.
On passe ensuite à la discussion du titre IV [du projet de budget de l'Etat] relatif au ministère des affaires étrangères.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - (Nous donnerons son discours.) (Note du webmaster : ce discours n’a pas été retrouvé.)
La chambre ordonne l’impression de ce discours.
M. Osy. - Nous avons appris par le Moniteur d’avant-hier, que je considère comme semi-officiel, que le traité des forteresses n’a pas été ratifié le 15 de ce mois, mais comme, par sa nature, je suppose que celui du 15 novembre doit précéder celui des forteresses, je désire savoir de M. le ministre des affaires étrangères si, le 15 de ce mois, les ambassadeurs des trois puissances (Russie, Prusse et Autriche) ont donné une raison ou une explication de la non-ratification de ces deux traités.
Quelle est l’époque qu’on a fixée pour terminer les incertitudes sur le sort du traité des 24 articles ?
Quel est l’espoir que le gouvernement a encore que finalement toutes les puissances approuveront l’œuvre de leurs envoyés, ou si la France et l’Angleterre continueront à permettre que le protocole du 31 janvier reste ouvert pour un temps indéterminé ?
Je prends la confiance d’adresser ces demandes à M. le ministre, pour que la nation sache quand toutes ces incertitudes cesseront et qui sont si nuisibles à toutes les classes ; car vous devez sentir, messieurs, qu’avant de connaître notre sort, si finalement nous avons l’espoir de voir cesser cet état, qui n’est ni la guerre ni la paix, toutes les branches d’industrie et de commerce ne peuvent se livrer à aucune nouvelle entreprise, et donner une nouvelle direction aux affaires ; car ne nous dissimulons pas que la révolution a changé la face des affaires commerciales, et, avant de savoir si toutes les grandes puissances reconnaîtront notre nouveau royaume, si nous aurons la paix et si nous pourrons désarmer, personne ne pensera à donner aux affaires une nouvelle direction ; et, en attendant, toutes les branches restent en souffrance, et journellement nous perdons les affaires que nous avions su attirer par notre position et situation avantageuses, et avant peu on ne sait pas à quoi s’en tenir, ces migrations augmenteront considérablement sans attendre la fin de nos affaires politiques, et, une fois les affaires déplacées, il est bien difficile de les reprendre, et ces pertes se feront sentir bien longtemps. Je ne puis donc assez engager le gouvernement de faire connaître aux puissances bienveillances pour nous notre situation, et insister pour qu’elles fassent tous leurs efforts pour avoir une solution de l’incertitude de notre avenir.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Je crois déjà avoir fait connaître quelle est la pensée et la marche du gouvernement, en ce qui a rapport à nos relations extérieures. J’ai dit tout ce qu’il m’était permis de dire dans les circonstances où nous sommes placés. Toutefois, je puis répondre à l’honorable membre que ce qui a été publié par un journal, relativement à la ratification du traité des forteresses, est vrai. Le traité des forteresses est peu important pour nous ; sa ratification a été remise au 31, et j’espère qu’immédiatement après ce jour, j’aurai à faire à l’assemblée une communication plus importante que celle d’aujourd’hui.
M. l’abbé de Haerne. - Vous avez entendu dire par M. le ministre que la pensée du gouvernement était qu’il ne serait pas apporté de modifications préalables au traité du 15 novembre avant la ratification ; d’un autre côté, il a parlé de la possibilité d’un supplément à ce traité. Ce rapprochement me ferait entrevoir que nous sommes destinés à rentrer encore dans la voie des négociations, et que les ratifications seront purement conditionnelles. Je prie M. de Muelenaere de vouloir bien s’expliquer sur ce point.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Il me serait impossible de répondre successivement à tous les orateurs qui voudraient me poser des questions sur un objet aussi important et aussi délicat. Ce que je dis pourtant ne s’applique pas au préopinant, car je vais lui répondre.
Si j’ai parlé de modifications préalables et de supplément, c’était pour faire sentir qu’aucun changement ne serait apporté au traité avant la ratification, avant son exécution. Ainsi, dans la pensée du gouvernement, le traité ne recevra point de modification ni de supplément avant sa ratification, avant son exécution. Que, si l’on me demande si, après les ratifications, il sera modifié, il m’est impossible de répondre : cela dépendra de vous, messieurs ; car, dans le cas où le gouvernement du Roi trouverait avantageux de faire un traité avec la Hollande, il vous le présentera, et il vous sera libre de l’accepter ou de le rejeter. C’est pour cela que je ne puis dire si, dans la suite des temps, le traité du 15 novembre ne recevra aucune modification quelconque.
M. Dumortier, dans un discours en réponse à M. le ministre des affaires étrangères, s’attache à justifier les économies proposées par la section centrale pour l’intérieur des bureaux de ce département.
Quant aux relations extérieures, il ne croit pas, comme M. de Muelenaere, que la Belgique doive envoyer des ambassadeurs partout où l’ancien gouvernement en envoyait, ni que nos agents doivent être sur le même pied que ceux des autres nations plus puissantes. Il félicite, du reste, le ministre d’avoir retranché les consulats de son budget, et il termine ainsi :
Je terminerai, messieurs, en félicitant le gouvernement de la marche ferme et énergique qu’il suit depuis quelques jours quant à nos relations extérieures. A ce propos, je désirerais savoir s’il est exact que M. de Muelenaere soit nommé président du conseil des ministres. Vous n’ignorez pas, messieurs, l’influence d’un président dans un conseil de ministres, et je me féliciterais pour ma part de la nomination de M. de Muelenaere, parce que nous y trouverions une garantie de la persévérance du gouvernement à défendre avec énergie les droits de la Belgique.
M. Ch. de Brouckere. - Messieurs, je ne répondrai pas à ce qui a été dit par l’honorable préopinant, touchant le transfert à faire pour les passeports ; tout le monde est convaincu, je crois, qu’il n’y a pas de transfert à faire. Je ne relèverai pas non plus ce qu’on a dit de gens de talent qui se sont glissés aux emplois en faveur de la révolution. Pour moi j’ai la conviction qu’il y a au ministère des affaires étrangères des employés capables qui ne méritent pas ces reproches ; j’ai la conviction aussi que, si l’on ne peut pas faire des réductions considérables sur le budget de ce département, quant à ce qui touche à l’administration intérieure, on le peut encore moins en ce qui concerne le traitement des agents diplomatiques.
Savez-vous, messieurs, ce que coûtait ce département sous le gouvernement hollandais ? Ses dépenses au minimum s’élevait à une somme de 742,000 fl. par an, et le ministre ne vous demande aujourd’hui que 350 mille fl., c’est-à-dire moins de la moitié. Encore dans cette somme a-t-on compris celle de 50,000 florins pour la commission chargée de la délimitation du territoire, dépense fortuite qui ne se reproduira plus. Ainsi, nous voilà arrivés à 300,000 fl., c’est-à-dire aux 2/3 de ce qu’il en coûtait précédemment. Maintenant, si vous voulez renchérir sur les économies faites par le ministre, ce sera un fort mauvais exemple ; car vous obligerez le gouvernement à forcer tous les crédits pour arriver, au moyen de concessions mutuelles, à des amendements raisonnables. Si de l’ensemble, je passe aux détails, je vois qu’en Hollande le personnel coûtait 76,000 fl. ; on ne vous en demande que 28,600. Maintenant on comparera peut-être les traitements des agents diplomatiques aux employés de la cour des comptes, et on remarquera, comme on l’a déjà fait dans une autre discussion, que la différence est énorme ; mais, messieurs, voyez ce qui se passe à cet égard dans tous les pays du monde, et vous verrez que la Belgique est celui où les traitements de cette espèce sont les moins élevés.
Dois-je revenir sur les allégations relatives aux pensions ?
Je le répète, je ne reconnais le droit absolu à la pension qu’aux militaires, et un droit relatif aux membres de l’ordre judiciaire ; à part ces deux classes, je ne reconnais de droit à personne. Cependant, je conseille au gouvernement de respecter les droits acquis, d’arrêter, dès aujourd’hui, la liste de ceux qui ont des titres à des pensions, et de laisser ensuite les employés établir entre eux une tontine ; ils seraient ainsi beaucoup plus heureux. Que fait l’Etat, en effet, pour eux ? Il leur donne une pension qui s’éteint avec eux et qui ne passe ni à leur veuve, ni à leurs enfants. Au ministère des finances, où l’on a abandonné les employés à eux-mêmes, une tontine a été établie, et leurs enfants et les veuves profitent au moins de leurs économies.
M. Rogier. - Le rôle de la chambre est de régler les budgets selon les intérêts du pays ; toujours diminuer n’est pas son rôle absolu.
Il peut arriver que des augmentations soient jugées nécessaires, contre l’avis même d’un ministre ; à cet égard, je ferai observer que ce n’est pas à la personne que sont attribués les traitements, mais à la place, et que si la place entraîne, par sa nature, des dépenses, il ne doit pas être au pouvoir du ministre de les supprimer, sur le motif que, quant à lui, ces dépenses seraient complètement inutiles.
Des économies raisonnables et réfléchies sont dans les devoirs comme dans les vœux de tout bon député, mais à la condition qu’elles soient en rapport avec les intérêts du pays, et qu’elles n’aillent pas jusqu’à blesser sa dignité.
Messieurs, l’honneur national, la dignité du pays ont trouvé et trouveront toujours de nombreux défenseurs dans cette enceinte ; mais, je le demande, serait-il bien dans la dignité du pays de placer ses premiers fonctionnaires dans une situation mesquine et gênée vis-à-vis des représentants des autres puissances ?
Nous n’avons pas, messieurs, la prétention de nous singulariser en Europe, en nous soustrayant à tous les usages, en ne respectant pas ce qui serait de convenance réciproque.
Je veux, quant à moi, que ceux qui représentent le pays à l’extérieur se trouvent dans une position honorable ; et je désire qu’ils y parviennent par leur talent seul, à moins qu’ici encore on ne veuille laisser à la richesse le monopole des fonctions diplomatiques.
Ce que je dis des agents diplomatiques de la Belgique à l’extérieur s’applique aux fonctionnaires diplomatiques de l’intérieur ; à cet égard, je ne comprends pas dans quel but M. le ministre a consenti la suppression des frais de représentation.
Est-ce que M. le ministre prétend s’affranchir de toute espèce de frais à cet égard ; ou bien est-ce à dire qu’à l’avenir les ministres devront puiser dans leur propre cassette ou dans celle du Roi les moyens de rendre aux agents des autres puissances, à Bruxelles, les « politesses » que leur qualité de ministre les oblige à recevoir ? Ne serait-ce pas un spectacle bien édifiant pour l’honneur du pays que de voir, par exemple, nos ministres faire ce que de simples particuliers n’oseraient se permettre de faire, sous peine d’être sûrement taxés d’indélicatesse ; s’abstenir de reconnaître des égards par des égards ? Je ne puis le croire, et c’est pour cela que je demanderai à cet égard des explications à M. le ministre.
M. dElhoungne. - Messieurs, il est apparu en Belgique, depuis une trentaine d’années, une tribu étrangère d’un caractère singulier, passable avide, tant soit peu égoïste, ne se doutant de rien, quoique d’une habilité peu commune à exploiter tous les événements, et douée d’une vertu prolifique prodigieuse, car elle pullule partout et envahit tout. Ce n’est pas des diplomates, mais des bureaucrates que j’entends parler.
Ce peuple, messieurs, se faisant le centre de tout, soigne avec une attention toute particulière ses intérêts : il est tout zélé, tout feu pour la conservation des sinécures, des gros traitements, des pensions, des toelagen, des bylagen, des wagtgelden, enfin de tout ce qui fait le désespoir du contribuable. Il range, au contraire, dans la région des fictions la nécessité de l’économie dans les dépenses publiques, parmi les chimères le désintéressement et le patriotisme, et il ne connaît d’autre véhicule pour agir sur les fonctionnaires que l’argent, toujours l’argent, et rien que l’argent.
Voyez aussi comme il arrange notre budget, et entend la révolution de 1830 !
Celle-ci a eu pour principale cause les profusions ministérielles, la cherté des services publics, la multiplicité des emplois, la hauteur des traitements et le poids accablant des impôts. Voici comment on entend au département des affaires étrangères réparer ces abus.
Vous le savez, messieurs, nos provinces ne contribuaient pas précisément pour une moitié dans les revenus du ci-devant royaume des Pays-Bas. Ainsi, toute branche de dépense qui approche aujourd’hui de cette juste moitié, apporte avec elle la preuve que la révolution n’a pas amélioré le sort des contribuables ; la dépasse-t-elle, il y a perte, sans même tenir compte d’autres circonstances qui ont empiré la position relative du contribuable, considérée avant et après la révolution.
Les frais à rembourser aux agents de nos légations sont portées au budget de 1832 à 15,000 fl. ; au budget décennal, ils figurent pour 30,000 fl. ; de que côté est maintenant l’avantage ?
La légation en Angleterre coûtait 90,000 fl. ; celle de Vienne 30,000, celle de Prusse, 28,000 ; mais nous formions ces fonds à deux. Aujourd’hui, on vous demande pour l’une 42,500 fl., pour l’autre 16,000, et enfin, pour la troisième 22,000 fl. Vous voyez que tout le bénéfice est pour les personnes qui seront chargées de ces missions.
L’envoyé au Brésil jouissait de 12,000 fl. de traitement ; celui auprès des villes anséatiques, de 6,000 f. ; nous les leur conservons. Notre ambassadeur à la cour de France avait 44,900 fl., nous lui en conservons encore 30,900 ; mais en revanche, les frais de voyage, mesquinement fixés à 23,000 fl. au budget décennal, se trouvent majorés jusqu’à 30,000 fl. Vous voyez, messieurs, qu’il n’y a pas de perte pour tout le monde.
A La Haye, où la vie animale est si chère, le secrétaire des affaires étrangères se contentait modestement de 4,000 fl. ; son successeur à Bruxelles ne vous en demande pas davantage.
Le chauffage et le luminaire figurent au budget décennal pour 2,500 fl. ; à Bruxelles, on en demande 1,800 ; quant au ministère de la justice, cet article ne coûte que 500 fl.
Les huissiers, concierges, messagers, etc., coûtaient au royaume des Pays-Bas 3,500 fl. ; on ne vous demande plus, messieurs, que 2,700 fl. N’êtes-vous pas émerveillés de l’économie ?
En revanche, messieurs, les frais de bureau, que l’on évaluait en 1830 à 2,800 fl., sont portés au budget pour 6,200 fl. Supposons qu’on en consacre 3,000 à l’acquisition de quelques livres et des cartes les plus indispensables ; encore faudrait-il convenir que l’arithmétique des bureaucrates du département des affaires étrangères ne vaut pas pour les contribuables celles de 1829.
Et quand a-t-on jamais eu plus besoin d’apporter de l’économie dans les dépenses publiques ? L’urgence des besoins de l’armée, la nécessité de pourvoir à la défense du pays, l’insuffisance de nos ressources, les intérêts matériels, si gravement compromis par la révolution, tout ne nous impose-t-il pas la tâche la plus difficile, et le devoir le plus impérieux de nous montrer avare des deniers du peuple ?
Comment ! nos industries ont trouvé les marchés du royaume des Pays-Bas insuffisants à l’écoulement de leurs produits ; ils sont réduits aujourd’hui à ceux de la Belgique mutilée et appauvrie par nos secousses politiques, et l’on nous propose d’augmenter nos dépenses publiques !
Le négociant belge commençait à étendre ses relations au-delà des mers ; il voit en quelque sorte fermer l’embouchure des fleuves qui traversent notre territoire, et l’on veut qu’il paie plus chèrement qu’aux temps de sa prospérité une diplomatie source de tous nos maux !
Ils se plaignaient avec raison des limites étroites dans lesquelles des voisins plus jaloux qu’éclairés avaient circonscrit le cercle de leurs mouvements ; et une nouvelle barrière fiscale vient rétrécir cet espace trop exigu jusqu’aux portes de Hasselt, de Tongres et de Gand !
Un peuple héroïque qui s’était spontanément levé pour secouer un joug odieux ; il a versé son sang ; il a sacrifié son repos, son bien-être, sa vie ; et quel en est le résultat ? Qu’il paie plus chèrement cette diplomatie fallacieuse qui a déserté les révolutions, pour livrer deux de nos provinces au gouvernement contre lequel elles se sont insurgées !
Un système de dépenses exagérées, un système d’impôt vicieux, une législation fiscale détestable, entravaient l’industrie, épuisaient les contribuables, accablaient le consommateur, excitaient les plaintes unanimes de la nation. Rien, presque rien n’est changé sous ces divers rapports ; car si nos contributions directes ont été diminuées de quelques cents additionnels, si l’abattage est supprimé, supputez ainsi combien les logements militaires, le service des gardes civiques, les levées de miliciens, les substitutions et les remplacements, les emprunts forcés, les fourragements et le pillage de l’ennemi ont coûté au peuple, et la balance ne tournera pas à l’avantage de ceux qui trouvent un simple ample dédommagement pour les contribuables dans notre position actuelle.
Touché des souffrance du peuple, attristé par la mauvaise direction imprimée à la révolution, effrayé d’un avenir menaçant, permettez-moi, messieurs, que j’emprunte à la tribune d’une nation voisine quelques paroles que je livre à vos méditations : « Songez-y bien, le mouvement qui a fait la révolution dernière n’est qu’assoupi. Cette révolution, qui devait profiter à tous, n’a servi qu’à faire la fortune de quelques-uns. Les classes laborieuses le voient ; elle le sentent encore mieux. Si à la puissance qui entraîne elles venaient à joindre celle qui dirige, qui organise, elles se feraient une autre société, dans laquelle tous ceux qui les dédaignent, tout en jouissant de leurs labeurs, ne brilleraient peut-être pas… Une révolution qui aurait pour cause la misère, pour auxiliaire toutes les passions mécontentes et irritées, pour arme le désespoir, aurait à coup sûr pour résultat quelque chose de terrible… » Par des économies sages, mais nombreuses, éloignons de notre belle patrie, messieurs, le fléau des contre-révolutions qui la menacent, et les bénédictions du pauvre et du riche compenseront bien les clameurs intéressées des bureaucrates. Je voterai toutes les réductions que la section centrale vous propose de faire sur le budget des affaires étrangères.
M. Jamme. - Je dois prendre la parole pour réfuter quelques-uns des arguments de l’honorable préopinant,M. d'Elhoungne. Je conçois, messieurs, que la Belgique étant à peu près la moitié de ce qu’était le royaume des Pays-Bas sous le rapport de la population, les dépenses devraient se réduire dans la même proportion ; mais il en est de ces dépenses qui, par leur nature, ne sont pas susceptibles de réduction, et celles du département des affaires étrangères sont sûrement bien de cette catégorie. Je suis étonné que l’honorable préopinant ne l’ait pas senti comme moi ; car, bien que la Belgique soit moins étendue que le ci-devant royaume des Pays-Bas, nos relations diplomatiques et nos relations commerciales sont-elles moins nécessaires qu’elles l’étaient sous l’ancien gouvernement ? Non, messieurs, évidemment non ; et, en raison de l’état de choses qui compromet les intérêts de notre industrie, je prétends que ces relations doivent être établies avec plus de soin, doivent prêter un appui plus direct, une protection plus immédiate aux intérêts du haut commerce ; et j’affirmerai, sans craindre les contradicteurs, que notre Belgique fût-elle encore réduite de moitié de ce qu’elle est, le ministère des affaires étrangères, tout onéreux qu’il pût être, eu égard à nos ressources, devrait être maintenu.
Si vous considérez, messieurs, de quelle importance il est pour nos relations commerciales d’avoir des chargés d’affaires ou des consuls sur tous les points du monde marchand où nos relations doivent se former ou s’agrandir, vous renoncerez à tout projet d’économie sur le budget des relations extérieures. Il est d’ailleurs une considération à envisager, c’est qu’à la réserve des allocations pour les légations de Londres et de Paris, les autres doivent être considérées comme des allocations éventuelles ; et personnellement, toutefois, je désire qu’elles cessent d’être éventuelles : ce sera pour moi un gage certain pour notre avenir politique et commercial.
Je n’ai pas fait partie du congrès ; pendant ce temps orageux, mon existence entière suffisait à peine aux soins que réclamait l’administration à laquelle on m’a attaché. J’ignore presque la diplomatie de ce temps ; mais depuis que j’ai l’honneur de faire partie de cette chambre, j’entends que toujours on se plaint de cette diplomatie, que l’on en médit, ou plutôt qu’on la calomnie, et que sans cesse on déconsidère ceux qui l’on faite et qui la font.
Je conçois difficilement, messieurs, ce qu’il y a de sage, de bien, ce qu’il y a d’utile, de dépriser notre diplomatie et ses auteurs ; mais, messieurs, les événements dont on se plaint, a-t-il dépendu de nos diplomates de leur commander ? Notre puissance alors, qu’était-elle ? Toute dans l’opinion, dans la sympathie des masses ; comme puissance matérielle, elle était à peu près nulle. D’ailleurs, les actes marquants de cette diplomatie, l’acceptation ou le refus des traités, ont-ils été autre chose que les actes de la majorité du congrès ou de la majorité de la chambre ? Je pense, messieurs, que le temps est venu de témoigner plus de confiance dans nos institutions, dans nos propres forces, dans le gouvernement ; je pense que le temps est venu de cesser ces vaines et fastidieuses récriminations, qui nous font déconsidérer au-dedans comme au-dehors, et qui fatiguent et affaiblissent l’esprit public. Plus que l’on ne puisse le croire, l’opinion se forme sur les débats de la chambre ; ces débats affaiblissent la confiance, et sans confiance il n’y a pas de gouvernement possible.
On parle de la révolution, messieurs, et, en croyant ou en voulant la servir, on en médit, on la calomnie ; certes, c’est un étrange moyen de la servir que de proclamer des maux qui en sont inséparables ! Il me semble que ceux qui ont voulu la révolution doivent aussi vouloir la soutenir et l’amener à bonne fin.
Le moyen de la soutenir est de faire, au bien public, le sacrifice de ses opinions, de ses intérêts privés ; de marcher avec calme et persévérance dans la voie de la vérité, de l’ordre ; d’oublier le passé, et d’agir dans l’avenir.
Je le demande, messieurs, une révolution pouvait-elle se faire plus rapidement ? Pouvait-elle entraîner avec elle moins de maux ? Pouvait-elle exiger moins de sacrifices ? Des maux, messieurs ! certainement, il y en a des maux, et, jusqu’à présent, il n’y a eu que des maux ; mais étaient-ils évitables ? Mais dans quels intérêts a-t-on pu faire la révolution ? Dans les intérêts moraux certainement, car ceux-là seuls étaient souffrants, et certes, sous ce point de vue, la révolution à réussi.
M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, j’ai présenté, en commençant, des observations sur tous les ministères. Un honorable préopinant a tiré de mes paroles des arguments pour combattre les sommes portées dans mon budget ; cependant, messieurs, ces observations ne regardaient pas mon département, comme l’a dit M. de Brouckere : le budget de mon ministère ne peut supporter de diminution. Il est fait, je l’assure, avec conscience et probité : je n’ai pas voulu faire marchander la chambre, et, je le déclare en conscience, je ne pourrais pas diminuer de 100 florins un seul des employés de mon ministère. La chambre peut m’y forcer si elle le veut, mais ce serait commettre une injustice.
L’orateur compare les dépenses de l’administration centrale sous la Hollande aux dépenses actuelles, et prouve que celles-ci sont moindres de plus de moitié ; après quoi, il poursuit ainsi : Quant aux observations faites parM. d'Elhoungne, touchant nos relations extérieures, déjà un des honorables préopinants lui a répondu d’une manière victorieuse ; il ne suffit pas que nous ne soyons que quatre millions de Belges, c’est-à-dire un tiers de moins que pendant la réunion à la Hollande, pour que vous disiez à un de vos agents diplomatiques : « Vous aviez 20 mille florins, vous n’en aurez que dix. » Ce n’est pas le chiffre de la population qu’il faut prendre pour base, c’est une autre base qu’il faut suivre ; il faut voir la cour auprès de laquelle il réside, la représentation à laquelle il est tenu, enfin les dépenses auxquelles il est obligé, afin de tenir son rang entre les agents diplomatiques des autres puissances, chose qu’il ne peut se dispenser de faire sans se rendre ridicule.
Un honorable préopinant a demandé pourquoi j’avais supprimé les frais de représentation ; vous savez, messieurs, les motifs qui m’y ont déterminé, et la chambre, sans doute, m’applaudira. A deux reprises, toutes les sections de la chambre avaient demandé cette suppression. J’ai cru que dans les circonstances actuelles il était convenable de la faire, sauf à allouer plus tard, quand l’état de nos finances le permettra, une somme pour cet effet, afin que le ministre puisse tenir un rang convenable dans la société, et se conformer aux usages reçus dans ses relations avec les agents des autres puissances en Belgique.
M. Rogier. - Messieurs, ce n’est pas une augmentation énorme et en dehors de notre système d’économies que je viens proposer pour les frais de représentation. Je demande qu’il soit alloué au ministre 2,500 fl. Je crois que les raisons prises dans les circonstances actuelles sont tout à fait concluantes contre le ministre. C’est dans un moment où les relations avec les agents diplomatiques étrangers vont être le plus suivies, que les frais de représentation sont le plus nécessaires. Plus tard au contraire on pourra s’en passer ; car, notre position consolidée, les relations devront être moins suivies. Si vous n’accordiez aucun fonds pour frais de représentation, vous mettriez le ministre dans cette position fâcheuse, ou qu’il serait obligé de toucher à sa fortune privée, ou de rester dans une position inférieure à celle des diplomates étrangers.
M. Lebeau. - Messieurs, je ne me proposais pas de prendre la parole dans la discussion générale, mais j’éprouve le besoin de répondre quelques mots au discours de l’honorable M. d'Elhoungne.
Voilà plus d’une fois que j’entends caractériser la révolution, dans son but et dans sa marche, d’une manière qui ne me paraît conforme ni à la nature des choses, ni à la vérité. Il semble que la Belgique ait longtemps médité le plan de sa révolution, que le programme en fût écrit d’avance, que le pays se soit mis en insurrection, disant : « Voilà où je veux aller ; » qu’il se soit arrêté, disant : « Voilà où je voulais en venir, tel est le but que je voulais atteindre ; je ne ferai grâce ni d’une lettre ni d’un chiffre dans mes conditions. »
On dirait, à entendre certains orateurs, qu’ils avaient d’avance formulé dans leurs cabinets les bases, les plans, la marche, le but de la révolution. Eh bien ! messieurs, rien de tout cela n’est vrai. Quand la Belgique s’est insurgée, elle n’entendait pas faire une révolution. C’est l’obstination du gouvernement, sa persévérance à refuser le redressement des griefs qui ont occasionné cette agitation dont les progrès ont pu être suivis de l’œil ; c’est cette obstination qui graduellement a amené un soulèvement général. Mais que voulait la nation, quel était son but ? Messieurs, j’en appelle à vos souvenirs, j’en atteste ces députations envoyées à La Haye par presque toutes les villes de la Belgique ! On demandait des réparations, et avant tout une modification ministérielle ; et, si le roi Guillaume y avait consenti, s’il avait seulement écarté de ses conseils un homme qui s’était attiré à bon droit la haine de tous les Belges, la révolution n’aurait pas eu lieu. Et plus tard, quand il fut question d’une séparation administrative entre les deux pays, quand le vœu de cette séparation, appuyé par une commission formée sous l’influence de l’héritier du trône, eût montré une issue à la crise insurrectionnelle, vous vous souvenez avec quelles acclamations cette proposition fut accueillie. Je le répète, la révolution a été la suite de l’obstination aveugle et cruelle du roi Guillaume ; elle a été consommée par les mitraillades et l’incendie commandés par le prince Frédéric à Bruxelles, par le bombardement d’Anvers. Que personne donc ne vienne nous dire qu’on avait médité, résolu, formulé une révolution, cette révolution a été la dernière ressources du pays.
Nous avons fait la révolution pour les intérêts matériels ! Eh ! messieurs, consultez ceux qui tenaient le plus à ces intérêts, et qui leur auraient sacrifié tous les autres ; consultez encore aujourd’hui le langage de leurs journaux, vous verrez si, sous le rapport des intérêts matériels, la Belgique avait à se plaindre. Ah ! singulier moyen d’honorer la révolution que de prétendre sans cesse que les intérêts matériels en furent la seule cause ! Non, ce n’est pas pour les intérêts matériels, c’est pour des intérêts plus nobles, pour des intérêts qui font vibrer tous les cœurs généreux, qu’une nation se soulève. Demandez aux Polonais si c’est pour des intérêts matériels qu’on fait des révolutions ? Demandez à la France si c’est pour de tels intérêts qu’elle a brisé le sceptre de Charles X ? A la France, dont les intérêts matériels avaient été constamment en progrès sous la restauration, et que la révolution de 1830 a livrée momentanément à une si effroyable perturbation ? C’est autrement qu’il faut juger les révolutions. Et quand nous paierons un peu plus qu’auparavant, ce qui ne sera pas, n’est-ce dont rien que d’avoir secoué le dégradant vasselage que nous avait imposé la Hollande ?
Ne serait-ce rien que notre indépendance et l’acquisition de toutes les libertés qu’on nous avait si longtemps contestées, et qui faisaient battre tant de fois nos cœurs ? La liberté religieuse, la liberté de la presse, l’élection directe, le jury, le jury surtout, sans lequel la liberté de la presse, la plus précieuse de toutes les garanties, ne serait qu’un vain mot ? Ne réduisons donc pas la révolution à cette marché symétrique et calculée à l’avance, ni à ces proportions mesquines : c’est faire mentir l’histoire et la nature des choses ; j’en atteste vos souvenirs. Je n’en dirai pas davantage, messieurs ; mais j’avais le besoin de protester contre le caractère étroit et faux qu’on veut imprimer à notre révolution.
M. dElhoungne. - Messieurs, je ne prétends pas contester la vérité des principes posés par M. Lebeau, et je sais que personne n’a pu formuler d’avance les phases de la révolution belge ; aussi n’ai-je pas dit que je l’eusse fait, ni que j’eusse tracé la marche qu’elle devait suivre, mais j’ai dit que le peuple avait le droit d’en attendre des soulagements, et un bien-être matériel plus grand, et je ne vous pas sous ce rapport que rien dans mon discours dût émouvoir si fort M. Lebeau. On a parlé, messieurs, des intérêts moraux : personne n’y tient plus que moi dans cette enceinte. Mais ce n’est pas de nous qu’il s’agit, il s’agit du peuple, et croyez-vous pouvoir lui fermer la bouche en lui parlant des ses intérêts moraux, quand il manque de pain ? Non, messieurs, quand on est représentant de la nation, il faut entrer dans la réalité et ne pas se nourrir d’illusions. J’ai dit, et je le répète, que nous devons nous occuper des intérêts matériels, sans lesquels il n’est point de bonheur pour le peuple. Marques nombreuses d’assentiment.)
- Après quelques observations de M. Dumortier, la clôture de la discussion sur l’ensemble est prononcée.
La séance est levée à 4 heures et demie.