(Moniteur belge n°196, du 28 décembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi un quart.
M. Jacques fait l’appel nominal.
M. Dellafaille lit le procès-verbal, qui est adopté.
M. Jacques analyse quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commission.
L’ordre du jour est la suite de la discussion sur les voies et moyens.
M. de Terbecq. - Messieurs, le but de la constitution doit être de régler l’état de la société de manière que, par un bon enchaînement des causes et des effets, tous les avantages sont tellement balancés, que le plus faible est mis, par la protection de la loi, au niveau du plus fort ; mais, messieurs, l’inégalité dans la taxe des contributions publiques, en rompant cet enchaînement, renverse le principe fondamental de l’association publique ; car, comme l’a très bien fait remarquer un honorable membre dans la séance de samedi, si la contribution foncière, lorsqu’elle est sagement répartie, c’est-à-dire selon les principes de l’égalité proportionnelle, procure à chaque habitant un partage utile dans les bons effets de tous les services publics, les contributions inégalement assises produisent un effet tout contraire ; elles font tomber en non-valeurs et les terres et les productions ; elles provoquent les plaintes et les murmures du peuple, parce que si tout privilège est par sa nature odieux, un privilège en matière d’impôts est plus odieux et plus absurde encore.
A Dieu ne plaise que je veuille chicaner avec le gouvernement sur les moyens qui sont indispensables pour diriger le gouvernail de l’Etat ! Au contraire, je puis mesurer toute l’étendue de nos besoins, et je sens tous les sacrifices que nous devons faire encore pour fonder sur des bases solides et durables notre nouvel édifice politique. Mais, messieurs, rien qui ne soit juste ne peut être utile ; l’habitant le plus humble comme le plus élevé doit payer une part proportionnelle dans les charges de l’association politique, et quand les charges sont ainsi établies, aussi élevés qu’elles soient, le peuple les supporte avec résignation, quand il sait qu’elles sont justifiées par le maintien de son indépendance et de sa tranquillité.
Voilà, messieurs, les réflexions que j’ai cru devoir faire ; je le répète, elles n’ont d’autres buts que de faire cesser l’inégalité de la taxe de la contribution foncière, inégalité qui est trop bien démontrée pour que je doive m’étendre davantage sur cet objet.
Je dois donc déclarer que je suis prêt à concourir à tous les moyens qui tendent à faire cesser les plaintes des habitants des trois provinces lésées, et à raffermir l’union entre tous les Belges, sans laquelle il ne peut y avoir ni tranquillité ni bonheur.
La chambre comprendra tout ma pensée, elle ne peut avoir d’autre but ; et quoique la proposition de la section centrale ne soit guère propre à remédier totalement au mal, je considère, cependant, cette proposition comme un premier pas fait pour arriver à l’égalité proportionnelle de la taxe, égalité que la justice distributive réclame, et qui a été trop longtemps méconnue.
J’accepte donc, non comme un bienfait, mais comme un retour vers l’équité, la proposition de la section centrale ; j’exhorte mes honorables collèges des deux Flandres à en faire autant : par ce moyen la concorde qui est si nécessaire sera maintenue, et nous travaillerons d’un commun accord pour faire oublier les souffrances du peuple, et procurer à la patrie le retour de sa prospérité qui doit faire le bonheur de tous.
(Supplément au Moniteur belge, non daté et non numéroté) M. Jamme. - Messieurs, les crédits qui nous sont demandés pour couvrir les besoins présumables de l’exercice de 1832 s’élèvent à 74 millions de florins, non compris la liste civile, pour le temps de paix, ou à 91 millions pour le temps de guerre.
Beaucoup de ces dépenses appartiennent au passé ; elles ne se reproduiront pas au budget de 1833.
Les moyens proposés pour les couvrir sont les voies et moyens ordinaires : la vente du domaine, et l’emprunt volontaire du chiffre nominal de 48 millions.
Ces ressources, qui seront loin de suffire pour le temps de guerre, approchent des besoins pour le temps de paix : je crois que nous ne devons pas, pour le moment, porter nos vues au-delà ; ce serait, en élevant des difficultés qui peuvent ne pas se présumer, nous obliger à adopter, sans avoir le temps de les mûrir, des mesures provisoires de la plus haute importance, et d’une exécution aussi difficile que peu politique.
Elles ne pourraient être, ces mesures, qu’une augmentation nouvelle de charges ; charges qui viendraient tromper l’attente d’une classe nombreuse, qui ne peut juger la révolution que par ses résultats immédiats et matériels ; de cette classe à laquelle la révolution n’a encore valu que des privations, et qui n’a pas comme nous, aux sacrifices qu’elle lui impose, des compensations intellectuelles à opposer.
Quelque désastreuse que soit la ressource des emprunts, je la préfère à l’établissement de nouveaux impôts : des dépenses extraordinaires doivent être couvertes par des moyens hors du service ordinaire. Le mal que nous font les emprunts est moins patent ; la paix et l’avenir peuvent y obvier. Il ne faut pas que ce soit toujours par de nouvelles souffrances que le peuple s’aperçoive qu’il est régénéré.
Bien que je ne sois pas du nombre de ceux qui croient que tout est mal dans notre système financier, je reconnais que sa révision est indispensable. L’impôt foncier devra être réparti d’après une exacte péréquation, et probablement devra être augmenté ; les patentes et la contribution personnelle sont assises sur de mauvaises bases ; les impôts indirects et le tarif des douanes réclament de nombreuses modifications, dont la plupart ne pourront toutefois s’opérer qu’après l’adhésion de la Hollande au traité de Londres.
De ces opérations dépend la prospérité du pays ; un esprit d’ordre, de justice et de sagesse doit y présider. Le travail sera long et difficile : en attendant, nous devons nécessairement suivre les anciens errements, le budget des voies et moyens tels qu’il a été amendé par la commission centrale, sauf à le modifier successivement par l’adoption des lois financières dont déjà plusieurs vont nous être présentées. Je me réserve, toutefois, de voter en conséquence des lumières qui pourront jaillir de la discussion.
Messieurs, la révision des impôts indirects et du tarif des douanes est d’une immense importance pour notre industrie, à laquelle un système erroné peut devenir funeste. Dans la discussion de la loi sur les fers et de celle sur les sucres, j’ai cru remarquer dans la chambre une tendance au système prohibitif, système dont je redoute les effets. Ce système, messieurs, est, à mon avis, opposé aux principes d’une économie politique bien entendue, et son application est surtout dangereuse dans un Etat circonscrit comme le nôtre dans des limites resserrées et essentiellement industrieux : des lois prohibitives ne tarderaient pas à faire user, à notre égard, de représailles qui nous réduiraient à consommer seuls nos produits. Nos relations avec nos voisins doivent être ménagées avec soin ; elles ne peuvent se maintenir qu’en faveur d’avantages mutuels.
Il faut nous persuader que la situation dans laquelle va nous placer le traité de Londres doit essentiellement modifier nos relations commerciales ; nous tomberions dans une étrange erreur, si nous pensions que ce qui a pu ne pas nuire à notre industrie, pendant l’époque de notre réunion à la Hollande, puisse encore être maintenu dans le système restrictif. Les impôts, souvent trop élevés, sont d’une perception coûteuse et irrégulière ; ils organisent la fraude et établissent un privilège en faveur de quelques industriels, aux dépens de la généralité des consommateurs.
La fraude vient détruire l’effet que l’industrie attendait du droit protecteur trop élevé. L’article introduit clandestinement se vend à plus bas prix encore que celui que vous avez voulu protéger ; donc le but est manqué ; l’impôt trop élevé a donné naissance à la fraude ; il a bouleversé le commerce régulier, il a nui à la morale publique, il a frustré le trésor de son revenu et a tourné à l’avantage seul du fraudeur.
Les droits modérés, au contraire, sont toujours d’une perception facile ; toujours on les paie : il n’y aurait pas d’avantages à s’y soustraire, ils rapportent plus au trésor que des droits élevés que toujours on élude.
Il y a de la science à trouver le point juste auquel il faut porter l’impôt sur les importations, de manière à accorder à l’industrie le degré de protection auquel elle a droit, sans constituer à son égard un impôt sur les consommateurs. Ce n’est pas, messieurs, que je veuille dire que l’industriel profite seul de la protection accordée à ses produits : on sait qu’une industrie florissante est d’une utilité réelle ; mais toujours est-il vrai que l’industriel en a la meilleure part. Le résultat inévitable d’une protection irréfléchie, illimitée, accordée à toutes les industries du pays, à l’aide de prohibitions, serait d’élever le prix de tous les objets de consommation hors de la portée des classes inférieures de la société qui ne présenterait plus, comme cela se voit déjà dans quelques villes manufacturières, que des industriels opulents et des ouvriers pauvres.
Il ne faut pas que les droits protecteurs de l’industrie soient tellement élevés, qu’il faille accorder des primes d’exportation, qui sont toujours la source de collusions scandaleuses au détriment du trésor.
Il ne faut pas non plus que ces droits obligent la loi à accorder une protection occulte à ces transactions obscures, qualifiées, par pudeur mercantile, des noms intelligibles de commerce par infiltration, de commerce interlope ; il ne faut pas que ces droits rendent la fraude un mal inévitable, et tellement inévitable qu’il faille, malgré ses principes, que l’honnête négociant y prenne part, ou qu’il risque de devoir fermer ses ateliers. Il faut enfin que notre système commercial soit tel que l’on puisse, en Belgique, être à la fois négociant et citoyen intègre.
D’ailleurs, messieurs, ces droits protecteurs trop élevés, en rendant l’industriel moins soigneux sur ses produits, lui préparent sur les marchés étrangers une concurrence insurmontable, et l’on sait qu’étant éminemment producteurs, nous avons besoin de figurer avec avantage sur ces marchés.
Chaque pays a communément certains produits qui ont la supériorité sur les mêmes produits étrangers, certaines industries qui lui sont propres : celles-là, laissez-les libres ; accordez la protection d’impôts modérés à celles qui pourraient être gênées par la trop libre concurrence étrangère ; mais retirez peu à peu la protection à l’industrie qui, par une défaveur marquante dans ses produits, défaveur résultant de causes étrangères et insurmontables, ne peut se soutenir qu’à l’aide de prohibitions. Protéger une semblable industrie n’est rien faire autre que créer un monopole exclusif en faveur de celui qui l’exerce, au détriment du fisc et des consommateurs ; c’est, en voyant les choses au fond, le tromper lui-même, en ce sens que, sur la foi d’une protection que vous devrez un jour lui retirer, vous compromettrez l’existence des capitaux qu’il a engagés dans son entreprise.
Le gouvernement doit mieux connaître les vrais intérêts de l’industrie que l’industriel lui-même : les vues de celui-ci sont embarrassées par ses intérêts privés ; les vues du gouvernement doivent se porter sur l’ensemble et sur l’avenir. C’est à lui à savoir où il faut porter les bras et les capitaux.
Il y a tels produits du sol dont ce serait démence de vouloir tirer parti.
Le moyen d’éviter l’écueil d’établir une industrie artificielle est facile : protéger moins le commerce, et laissez-lui plus de liberté. Pour le commerce liberté et protection sont synonymes, et liberté et concurrence auront toujours pour résultat d’amener une consommation abondante et bon marché, ce qui constitue le bien-être des consommateurs ; et les consommateurs, messieurs, c’est la nation entière. Or, comme moins on dépense pour vivre, plus on est aisé, le peuple ne peut pas être aisé et le gouvernement peuple : au reste, il aura procuré au peuple la plus grande somme de bien possible. Ce qui doit être le but de tout bon gouvernement.
Ne pensez pas, messieurs, par suite de principes que je viens de vous exposer, que ma pensée soit de voir changer brusquement le système actuel.
Ce changement brusque serait désastreux pour l’industrie en général, et injuste envers tous ceux qui ont des capitaux engagés sur la foi de lois et de traités. Ces lois ne doivent être modifiées que successivement avec sagesse et prudence ; mais je m’opposerai de tout mon pouvoir à ce qui pourrait nous entraîner plus longtemps dans une route que je crois dangereuse à suivre, celle du système restrictif.
En attendant que notre système d’impôts puisse peu à peu être établi sur des principes de sagesse, d’ordre et de justice, bien en harmonie avec nos besoins matériels et moraux, rien n’empêche à ce qu’il soit avisé aux moyens de s’opposer à la fraude, qui continue à se faire sur tous les points de notre frontière. Si le personnel de la douane est mauvais, qu’on y fasse des changements, qu’on le déplace ; qu’on l’augmente, s’il est insuffisant ; qu’on augmente ou qu’on déplace les bureaux, si la chose est trouvée nécessaire.
Je dois dire qu’ayant eu une entrevue avec M. l’administrateur des droits d’entrée et de sortie, sur cette matière importante, il m’a donné connaissance d’une correspondance volumineuse qui ne me laisse pas de doute sur le zèle qu’il apporte à faire cesser cet état de choses ; mais, malheureusement, je puis citer des faits qui prouvent que le mal continue, et que son zèle est impuissant.
Des avis du commerce des Flandres, et des pétitions (mais ces dernières sont déjà de certaine date), signalent la fraude qui se fait, particulièrement des boissons distillées, lesquelles sont répandues dans le commerce à 10 et 12 p.c. en dessous du prix coûtant. Cette fraude se fait le long des côtes, où la ligne se trouve placée, tandis qu’elle devrait être fictivement placée sur les eaux, à une distance déterminée par un règlement comme cela se pratique ailleurs ; alors les barques chargées de marchandises soumises aux droits sont saisissables sur la mer à la distance déterminée.
Il existe sur la frontière du Hainaut un chemin qui sert de limite entre la France et la Belgique ; ce chemin est terrain neutre : on a permis qu’il fût élevé sur ce terrain un certain nombre de baraques en bois, qui sont connues pour n’avoir d’autre destination que d’abriter les marchandises à frauder et les fraudeurs.
Les exportations simulées de sucre pour obtenir indûment la prime d’exportation, ou, en d’autres mots, pour voler le trésor, ont lieu de la part des Belges, comme elles avaient lieu de la part des Français.
Il y a 25 ou 26 jours, deux voitures chargées de sucres ont traversé le bourg de Herve, se dirigeant vers le bureau de sortie de Henri-Chapelle, distant de deux lieues de Herve ; peu de temps après, dans la même journée, les mêmes voitures avec le même chargement sont repassées par Herve se dirigeant vers l’intérieur. Les conducteurs seuls étaient changés. Je demande que l’on m’explique quel a pu être le but de cette promenade, faite à grands frais vers le bureau d’exportation.
Il m’a été assuré que, des nombreuses maisons de Bruxelles qui tiennent les soieries de Lyon, une seule en fait acquitter le droit à l’entrée ; les autres reçoivent leurs pacotilles à l’aide d’une prime d’assurance.
Je n’ai plus que deux mots à ajouter, et c’est pour signaler le fait le plus positif.
Dans beaucoup de localités, les boissons distillées à l’intérieur se vendent à tel prix qu’il en résulte la preuve la plus incontestable que l’accise sur ces boissons a dû être fraudée de la moitié du droit environ.
Puisse cette déclaration éclairer assez l’administration, pour qu’elle avise aux moyens de faire cesser de tels abus ! Nous avons besoin de toutes nos ressources.
(Moniteur belge n°196, du 28 décembre 1831) M. Verhagen déclare que son mandat lui impose le devoir de s’opposer à une assiette d’impôt qui, par sa nature, devrait être exact. La surtaxe des Flandres pour l’impôt foncier a été reconnue par le gouvernement français, par le gouvernement déchu, et depuis, lors de l’emprunt de dix millions, par le ministère. Toutes les sections ont été d’accord qu’il fallait accorder aux Flandres une diminution ; ma section centrale a proposé une réduction de 5 p. c. L’honorable membre espère que la chambre rendra plus de justice aux Flandres, en leur accordant une diminution de 10 p. c.
M. Desmet prononce un discours dans lequel il se plaint aussi de la surtaxe des Flandres. Il votera pour l’amendement de la section centrale.
M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Tant d’orateurs ont successivement parlé sur le même objet et dans le même sens, que je me fais un devoir, messieurs, de dire quelques mots pour réfuter quelques assertions émises par les honorables députés.
On vous a dit, pour prouver que les Flandres étaient surtaxées, que lors de la conquête, les administrateurs français avaient voulu donner une grande idée de la richesse des nouveaux départements ; qu’ils s’étaient trompés, parce qu’ils ignoraient la langue du pays. De tels arguments sont applicables à toutes les provinces, aussi je ne m’y arrête pas ; mais on ajoute que le gouvernement précédent avait reconnu la surtaxe, et que l’intérêt provincial seul avait mis obstacle à l’acceptation d’une nouvelle répartition.
J’ai voté successivement contre les deux projets de péréquation ; bientôt vous aurez la preuve évidente de la prudence de ceux qui ont rejeté les projets du gouvernement, et vous jugerez de l’iniquité qu’il y aurait aujourd’hui encore à faire une nouvelle répartition. Le gouvernement ne peut admettre de diminution sur des impôts déjà insuffisants pour couvrir les dépenses ordinaires. Et cependant, messieurs, diminuer le chiffre d’une province, pour augmenter celui d’une autre, serait commettre une injustice certaine pour en réparer une qui n’est que probable.
Et effet, messieurs, les deux Flandres et la province d’Anvers seraient ainsi dégrevées aux dépens de toutes les autres, et le Brabant, entre autres, supporterait une partie de la surcharge. Le Brabant est coté, vous dit-on, à 0,856 de revenu et ce résultat a été articulé sur huit cantons et deux villes, c’est-à-dire sur 2/7 de la superficie de son territoire. Eh bien ! si des huit cantons, vous retranchiez les deux moins imposés, la moyenne s’élèverait à 0,1 du revenu, tandis qu’en ôtant les deux plus imposés l’impôt ne serait que de 0,07. Dans le premier cas, le Brabant obtiendrait un dégrèvement de 20 p. c. ; dans le second, une surtaxe de 15 p. c. environ. Qui donc peut dire quelle est la moyenne de toute la province, alors que la soustraction ou l’addition de tel ou tel canton peut donner dans les résultats une différence de 35 p. c. ?
Toutes les provinces offrent les mêmes disparates ; partout il y a une telle inégalité dans la répartition entre les cantons d’une même province, qu’il est impossible de conclure de la partie au tout. Afin de ne laisser aucun doute à cet égard, je puiserai des données dans les chiffres d’autres provinces.
La moyenne de la province d’Anvers vous est représentée pour 0,09 environ ; le calcul a été fait sur 11 cantons et 3 villes : que le hasard eût voulu que le cadastre de la ville d’Anvers fût inachevé, et la moyenne serait de 11 au lieu de 9.
Dans le malheureux Limbourg, la moyenne est de 0,062 ; mais, pour arriver à ce chiffre, on a fait figurer Maestricht dans les communes cadastrées. Maestricht, dont le taux de l’impôt n’est représentée que par 0,089, et cependant cette commune est une de celles qui seront distraites du Limbourg. Ainsi la partie de la province qui restera belge paiera un surcroît d’impôt en raison de ce que la partie cédée à la Hollande payait trop peu ; car la moyenne des 4 cantons cadastrés et de la ville de Saint-Trond est de 0,068.
Je relèverai ici la réponse faite par un honorable membre à M. Pirmez ; l’orateur, ne l’ayant pas compris, l’a réfuté par l’objection même. Oui, messieurs, il est absurde de calculer le revenu de mille bonniers par la donnée que l’on peut avoir de la valeur de 10. Je conçois que les députés qui habitent des provinces dont le territoire est à peu près de même nature partout, peuvent se laisser aller à une règle d’arithmétique pour évaluer le tout par une partie connue ; mais dans le Limbourg, où tel canton compte 25,000 bonniers de terres incultes, de mauvaise bruyère, tandis que tel autre est entièrement cultivé, on ne peut pas raisonner par analogie.
En effet, si je me reporte à la Flandre orientale, qui devrait subir un dégrèvement, je trouve que la ville d’Ostende ne paie qu’à raison de 0,039, tandis que tel canton du Brabant, paie à raison de 0,14 ; et qui peut nous dire si, dans les parties non cadastrées, il ne se trouve pas ici des cantons plus grevés encore, là des villes plus légèrement imposées ? Et cependant, malgré cette énorme différence, les cantons les plus imposés du Brabant paieraient un surcroît ; les moins imposés de la Flandre obtiendraient une diminution.
En voilà assez, messieurs, pour faire ressortir tout l’injustice d’une péréquation partielle, pour démontrer l’iniquité d’une mesure qui trouve ici de nombreux défenseurs, pour repousser le reproche d’esprit étroit de localité, articulé par nos adversaires.
(Moniteur belge n°200, du 1er janvier 1832) (Note du webmaster : le discours qui suit a été intégré dans le Moniteur sans indication du moment où il a été prononcé dans la séance. Nous avons opté pour l’emplacement le plus plausible.) M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, l’inégale répartition de la contribution foncière avait fait désirer de pouvoir présenter, pour 1832, un projet qui remédiât, autant que possible, aux vices de cette répartition, en attendant que l’achèvement du cadastre y mit un terme.
Les résultats connus des expertises d’un grand nombre de cantons de chaque province étaient les éléments qui doivent servir de base à ce projet : l’administration ne tarda pas à les réunir pour les sept provinces d’Anvers, Brabant, les deux Flandres, Hainaut, Liége et Namur ; mais il lui fut impossible de se procurer ceux qui lui manquaient, pour la plupart, des cantons expertisés du Limbourg et du Luxembourg, les archives de ces deux provinces étant retenues dans les forteresses de Maestricht et de Luxembourg. Elle ne put, dès lors, fournir que des renseignements incertains et incomplets pour ces deux provinces, ce qui fit ajourner la formation d’un projet de nouvelle répartition provisoire de l’impôt foncier, jusqu’à ce que la circonstance qui nécessitait cet ajournement eût cessé d’exister.
Les résultats du cadastre actuellement connus ont été présentés dans un tableau qui indique, par chaque province, le revenu imposable des cantons expertisés, la contribution foncière en principal des mêmes cantons, et la proportion entre cette contribution et le revenu imposable.
Ces proportions, qui se trouvent rapportées ci-après, montrent que trois provinces sont surtaxées ; ce sont la Flandre orientale, Anvers et la Flandre occidentale.
En effet, on paie est principal de la contribution foncière, par florin de revenu constaté par les résultats connus du cadastre, savoir :
Flandre orientale, par fl. 11 c. 3,708
Anvers, par fl. 9 c 9,346
Flandre occidentale, par fl. 9 c 9,065
Brabant, par fl. 8 c 5,643
Hainaut, par fl. 6 4,147
Liège, par fl. 7 1,514
Limbourg, par fl. 6 1,291
Luxembourg, par fl. 7 1,170
Namur, par fl. 7 3,210
Le même tableau indique, d’après les calculs proportionnels qui y sont établis, que le contingent actuel de la province de la Flandre orientale dans la contribution foncière en principal, lequel contingent est de 1,693,723 fl., serait susceptible d’une diminution de fl. 401,387 ;
Que celui de la province d’Anvers, qui est de 728,540 fl., serait susceptible d’une diminution de 92,291 ;
Que celui de la province de la Flandre occidentale, qui est de l,423,661 fl., serait susceptible d’une diminution de 178,820.
Mais les résultats des expertises d’après lesquels ces diminutions sont établies, étant incertains et incomplets en ce qui concerne les deux provinces de Limbourg et de Luxembourg, et susceptibles, en outre, pour toutes les provinces, de modifications qui pourront être plus ou moins importantes, lorsque le cadastre sera terminé et les résultats définitifs des expertises connus, puisqu’un canton, plus ou moins imposé, fait immédiatement changer le chiffre, on a donc réduit ces diminutions au cinquième pour toute certitude que, réduites à ce taux, elles n’outrepasseraient pas la surtaxe réelle qui pèse sur les trois provinces.
Ces diminutions, ainsi réduites, donnent :
Pour la province de la Flandre orientale : fl. 80,277
Pour la province d’Anvers : fl. 18,458
Pour la province de la Flandre occidentale : fl. 35,364
Total : fl. 134,099
Si, en attendant que la circonstance susmentionnée ait cessé d’exister, et qu’on puisse présenter un projet de nouvelle répartition provisoire de la contribution foncière, il paraît juste d’accorder, dès à présent, un allégement aux provinces surchargées, on pense que cet allégement devrait être déterminé dans la proportion de la surtaxe respective, et qu’en conséquence, si la province de la Flandre orientale obtient une diminution d’un 20ème (5 p.c.) de son contingent, diminution qui serait de fl. 84,686
La province de la Flandre occidentale ne devrait obtenir qu’une diminution d’un 40ème (2 1/2 p.c.) de son contingent, diminution qui serait de fl. 35,592
Tandis que celle d’Anvers devrait obtenir comme celle de la Flandre occidentale, une diminution d’un 40ème (2 1/2 p. c.) de son contingent, diminution qui serait de fl. 18,213.
Total : fl. 138,491.
L’opinion qui précède est fondée sur ce que les résultats actuellement connus des expertises cadastrales, dans les deux provinces d’Anvers et de la Flandre occidentale, ne sont pas moins concluants en faveur de la province d’Anvers que de la province de la Flandre occidentale. Ces résultats indiquent, au contraire, que dans la province d’Anvers on paie 0 fl. 09 cents 9,346 de contributions foncière en principal, par florin de revenu, et dans la province de la Flandre occidentale 0 fl. 09 cents 9,065 : donc, un peu moins dans cette dernière.
Mais, d’après les résultats actuellement connus du cadastre, il semble juste d’accorder une diminution de contingent aux provinces surchargées, il doit paraître également juste de faire supporter cette diminution aux provinces ménagées. En admettant ce principe, les contingents de six autres provinces du royaume devraient subir une augmentation, savoir :
Brabant fl. 3,085
Hainaut fl. 67,501
Liège fl. 24,127
Limbourg fl. 20,408
Luxembourg fl. 8.845
Namur 14,525
Total égal aux diminutions : fl. 138,491
Les besoins du trésor sont considérables, les revenus insuffisants ; je ne puis donc consentir à aucune diminution sur les ressources de l’Etat, et dois m’opposer à l’amendement de la section centrale, et à tout amendement qui réduirait la contribution foncière des provinces qui semblent trop imposées, avant qu’on n’ait réparti cette diminution sur les provinces ménagées.
(Moniteur belge n°196, du 28 décembre 1831) M. Jullien. - Discuter le budget des voies et moyens à la fin de décembre, lorsque l’impôt n’est voté que pour un an et ne peut être perçu que jusqu’au 1er janvier n’est, à mon avis, qu’une vaine formalité ; mais enfin la nécessité nous presse, il nous faut la subir. A la vérité, nous pouvions émettre des vœux d’amélioration, proposer quelques plans et quelques idées sur notre avenir financier ; mais tous les ans on sème sur les pas des ministres de pareilles idées, et jamais on ne les voit germer. Cependant il faut être juste envers le ministère actuel, il faut faire la part des circonstances difficiles au milieu desquelles il s’est trouvé, et on doit convenir que, depuis le mois d’août, il n’a pas été couché sur des roses. Mais il serait gravement coupable envers toute la nation si, dans la nouvelle session qui va s’ouvrir, il ne présentait pas aux chambres un système d’impôt complet, approprié à nos ressources et à nos besoins. D’après cela, nous pouvons vivre en paix avec le ministère jusqu’à la prochaine session. Je n’ai pas beaucoup besoin d’observations à présenter sur l’ensemble du projet ; je m’attacherai surtout à répondre à quelques vœux émis par plusieurs de nos honorables collègues, et aux considérations sur lesquelles ils se sont appuyés. D’abord, un orateur, que ses sympathies portent plutôt à descendre aux intérêts de la classe moyenne qu’à s’élever à ceux des sommités sociales, a désiré que la contribution foncière fût augmentée pour diminuer la contribution personnelle et l’impôt qui pèse sur les objets de première nécessité. Il a cité la France, et il a dit que la contribution foncière s’élevait jusqu’au cinquième du revenu net, tandis que, d’après le résultat des opérations cadastrales, la contribution foncière ne serait imposée que par la dixième partie du revenu. Je crois, messieurs, que ces chiffres sont tout à fait inexacts, car il est reconnu que l’impôt foncier en France n’est pas du cinquième du revenu ; et je puis attester que les Flandres paient pour la contribution foncière non seulement la dixième partie de leur revenu, mais plus du quart. Qu’on veuille bien y réfléchir, et l’on verra que tout l’avantage est pour la contribution foncière de France. Celle de ce pays est déjà assez lourde, et je ne vois pas la nécessité de la hausser encore pour diminuer les autres impôts. Si l’on veut entrer dans la véritable voie des économies, on devra et on pourra, au lieu d’élever une contribution pour décharger les autres, les diminuer toutes. On n’a pas fait assez attention jusqu’à ce jour à la véritable cause de notre désordre financier. Elle date de 1814, et provient d’un funeste amour de luxe et d’ostentation. En effet, messieurs, à peine était sorti des mains de la sainte-alliance le petit royaume des Pays-Bas, qu’il voulut continuer le grand Empire. Il a affiché le même luxe à l’intérieur et déployé la même représentation à l’étranger ; et nous, chétive création de la conférence de Londres, nous continuons le royaume des Pays-Bas, c’est-à-dire le grand Empire. Voilà la plaie à guérir ; j’appelle l’attention du pays et des chambres sur ce point, parce qu’il est impossible qu’une fois éclairés nous veuillions encore creuser de nos propres mains le gouffre qui doit nous engloutir. La sagesse des nations est comme celle des particuliers, elle consiste à savoir mettre de l’ordre dans ses affaires, et à ne pas dépenser plus que ses revenus.
Je reviens à la surtaxe des Flandres que M. le ministre de la guerre a semblé poser en problème, lorsque tout le monde est d’accord qu’elle existe depuis trente ans. Un de nos collèges a exposé plusieurs motifs de l’erreur qui a donné lieu à cette surtaxe ; je dirai aussi mon avis sur ce point, et pourra le faire en pleine connaissance de cause, car j’étais secrétaire adjoint de la commission centrale sous laquelle fut commise l’erreur. Voilà en quoi elle consiste. Le gouvernement français venait de réunir notre pays à la France : il fallait un impôt homogène pour tous les départements anciens et nouveaux, et, pour le faire sur des bases équitables, il fallait savoir la quotité de ce que payait chaque province. Or, à cette époque, il y avait deux sortes de contributions, savoir : l’impôt que la province payait au gouvernement autrichien, et celui dont elle était autorisée à se frapper elle-même pour ses besoins. Ainsi, elle payait, par exemple, au gouvernement autrichien neuf ou dix, et elle s’imposait de six et sept. L’administration de la Flandre occidentale, au lieu d’indiquer seulement l’impôt qu’elle payait au gouvernement autrichien, fit un total des deux chiffres, et c’est d’après cette base qu’elle a été imposée d’une manière exorbitante. Je crois qu’il en a été de même pour la Flandre orientale. Ce n’est donc pas, comme on l’a dit, parce que la Flandre occidentale s’est prétendue plus riche qu’elle ne l’était réellement, que cet abus a eu lieu ; il provient d’une erreur involontaire, dont l’administration s’est repentie depuis, et dont on s’est plaint auprès du gouvernement français et celui de Guillaume, qui l’ont reconnue, mais qui se sont retranchés dans l’impossibilité d’établir une nouvelle taxe. L’allègement de 5 p. c., que la section centrale propose aujourd’hui pour ces provinces, n’est rien du tout en comparaison de leur droit ; car la surtaxe qu’elles ont payée s’élève à trente millions, et d’après les calculs de M. Helias d’Huddeghem, que j’ai lieu de croire exacts, à trente-cinq millions. Il ne s’agit pas non plus, comme l’a dit le ministre de la guerre de reporter sur les autres provinces ce qu’on aura diminué sur celles-ci. La section centrale demande que l’on retire aux Flandres 5 p. c. de la contribution foncière ; mais elle ne propose pas de les répartir sur les autres provinces que les Flandres à qui il restera toujours le regret d’avoir payé la surtaxe pendant 30 ans.
On a aussi parlé des contributions sur le sel et sur les patentes. Je désire vivement une diminution sur le sel, et j’applaudirai à toute mesure qui tendra à ce but. Ce n’est pas sans raison que l’on a dit que le sel était le beurre du pauvre. Il faut penser, messieurs, à cette classe qui souffre, et dont on ne s’occupe pas assez. Quant aux patentes, je ne pense pas qu’il ait jamais existé de système plus vicieux que celui existant, qui livre le patentable au caprice d’un agent fiscal, et qui laisse à ce dernier la faculté, non pas à la vérité d’asseoir l’impôt, mais de le diminuer ou de l’augmenter selon son bon plaisir. Il est nécessaire de réviser ce point de notre législation, et de faire cesser les inquiétudes des patentables.
Je bornerai là mes observations, me réservant d’en présenter de nouvelles sur les articles, s’il y a lieu ; et je voterai en faveur de la loi avec les amendements de la commission, non pas seulement pour trois mois, mais pour l’année entière ; car, à cet égard, je suis de l’avis de MM. les ministres de la guerre et des finances.
(Moniteur belge n°201, du 2 janvier 1832) M. Liedts. - Messieurs, je n’ai pas l’habitude de porter la parole dans cette enceinte ; mais, lorsque j’ai entendu un honorable membre, M. Mary, soutenir que le temps n’est pas venu d’accorder aux Flandres une diminution quelconque sur l’impôt foncier, et M. le ministre de la guerre traiter d’inique tout dégrèvement qu’on accorderait, j’ai cru qu’il m’était d’autant moins permis de garder le silence, que j’ignore si cette erreur n’est point partagée par plusieurs autres membres.
Et d’abord, messieurs, quel motif pourrait vous empêcher d’accorder dès à présent un dégrèvement à ces provinces ?
Serait-ce parce qu’il n’existe jusqu’à ce jour que des probabilités de la disproportion dans la répartition ? Mais, souvenez-vous, messieurs, que ces probabilités sont telles qu’elles équivalent à une certitude.
Les calculs que M. le ministre de la guerre vient d’invoquer peuvent être exacts pour d’autres provinces, mais, à coup sûr, ils ne peuvent recevoir leur application aux Flandres, et surtout à la Flandre orientale. Trop de faits s’accumulent à l’appui de ce que j’avance.
On nous a déjà dit que deux fois, et notamment en l’an X, le gouvernement français reconnut l’inégalité que nous voulons faire disparaître, et, ce qui est digne de remarque, les commissaires chargés de la vérification, quoique dépourvus de l’éclaircissement que fournit le cadastre, arrivèrent à peu près au même résultat que celui qu’on découvre aujourd’hui. Ainsi, depuis 30 ans, il est reconnu que la Flandre orientale seule paie plus de 400,000 fl. au-delà de ce qu’une juste répartition lui aurait imposé.
Les recherches faites depuis lors sont-elles venues détruire ces calculs ? Non, messieurs ; elles en ont au contraire prouvé toute l’exactitude.
En 1817, le gouvernement hollandais, qui était d’autant moins porté à faire cesser cette injustice qu’il devait en résulter une augmentation notable pour plusieurs provinces du Nord ; le gouvernement hollandais, ne pouvait résister à l’évidence, nomma une commission chargée de rechercher les moyens pour arriver à une répartition plus égale de l’impôt foncier.
Cette commission reconnut à son tour la disproportion dont les Flandres se plaignent ; mais, dans son rapport du 29 août 1818, elle émit l’avis que le dégrèvement ne pouvait être accordé qu’à mesure que la confection du cadastre viendrait confirmer ses calculs.
Cette opération tant désirée se poursuivit dès lors avec moins de lenteur, et, je me hâte de le dire, elle ne fit qu’ajouter un nouveau degré de preuve de l’exactitude des calcus obtenus jusqu’à ce jour.
En effet, messieurs, en décembre 1826, lorsqu’à peine la quinzième partie de la Flandre orientale était cadastrée, on établit une comparaison avec des cantons cadastrées des autres provinces, et, autant que possible égaux en étendue et en fertilité ; et il en résulta, d’après un tableau que m’ont fourni les archives de la chambre, que, pour arriver à une juste répartition, il aurait fallu dégrever cette partie de la Flandre orientale de 25,948 fl., ce qui, en appliquant le connu par le cadastre à l’inconnu, conduisait de nouveau à une surtaxe de 400,000 fl. pour la province entière. Faut-il encore des preuves ? Examinez les opérations cadastrales qui ont eu lieu depuis 1826, et vous trouverez toujours la même inégalité, la même injuste pour les Flandres, la même disproportion avec les autres provinces.
Ainsi, quand on réunit tous ces faits, je dis qu’il en résulte un faisceau de probabilités, qu’on peut et qu’on doit, dès aujourd’hui, prendre pour une certitude.
S’il pouvait entrer dans l’esprit de M. le ministre de la guerre d’exiger une preuve mathématique, je lui ferais remarquer qu’on ne l’obtiendra jamais, et l’achèvement du cadastre même ne fournira que quelques probabilités de plus, mais jamais une démonstration rigoureuse.
Les ingénieurs et les experts, en effet, ne sont pas infaillibles, et le cadastre laissera toujours un vaste champ à la discussion ; alors comme aujourd’hui, on pourra prétendre que des erreurs se sont glissées dans les calculs, que le revenu imposable de tous les biens n’a pas été exactement calculé, et faire valoir les mêmes raisons que celles qu’on allègue maintenant.
Qu’on ne nous dise pas non plus, avec l’honorable M. Mary, que les Flandres, eu égard à leur population, ne paient pas plus que le Brabant ; car ce serait dénaturer la nature de cet impôt que de lui donner pour base la population des communes ou des provinces. La contribution foncière est un impôt que l’Etat prélève sur le revenu du bien ; toute autre considération lui est étrangère.
Aussi, n’ai-je pas entendu sans étonnement parler sur la plus ou moins grande fertilité de la province : la proportion de l’impôt au revenu doit toujours être la même, quel que soit le degré de fertilité ou la valeur du bien ; et la raison comme la justice exigent que, si, dans une province fertile, on paie 5 florins pour un bonnier dont la valeur locative est de 50 florins, il soit payé la même somme pour un bonnier situé dans une province moins fertile, si ce bonnier rapporte, d’ailleurs, la même somme de 50 fl. L’observation de M. le ministre de la guerre sur la valeur respective des biens, dans les diverses provinces, tombe donc à faux ; c’est le revenu, et le revenu seul, qui doit servir de base pour l’assiette de la contribution.
L’honorable M. Mary s’est encore trompé lorsqu’il a avancé que, dans l’arrondissement de Tournay, on paie dans la même proportion que dans la Flandre orientale ; et si j’avais pu prévoir cette objection, il m’eût été facile, comme appartenant à la partie de la Flandre qui touche à cet arrondissement, de mettre sous les yeux de la chambre des documents qui eussent fait voir que ceux qui possèdent des biens situés en partie dans l’arrondissement de Tournay, et en partie dans celui d’Audenarde, paient, en proportion du revenu imposable, un tiers de moins pour les premiers que pour les derniers.
Messieurs, puisqu’une péréquation est indispensable, préparez-y les populations. Car, ne l’oubliez pas, il n’est pas loin le jour où les province de Liége, de Namur, de Hainaut et de Brabant, auront à supporter ensemble plus de 600,000 fl. par an, au-delà de ce qu’elles paient. Aujourd’hui, dans la contribution foncière, et si vous voulez que cette augmentation se fasse sans murmure et sans secousse, rétablissez l’équilibre progressivement, et de manière que les diminutions d’un côté et les augmentations de l’autre aient lieu insensiblement. C’est la marche qu’un sage législateur doit suivre, et c’est le motif qui me fera voter pour l’amendement de la section centrale, si celui de mon honorable collègue, M. Thienpont, n’était pas adopté.
M. Vandenhove. - Messieurs, quoique je sois mécontent d’un système financier que je ne cessai de combattre dès sa présentation aux états-généraux en 1821, je ne puis reproduire mes attaques aujourd’hui, parce que je reconnais qu’il serait impossible de le réviser de suite sans de grands inconvénients : agir avec précipitation, sans avoir bien étudié nos besoins et calculé nos ressources, serait nous exposer à des réformes imparfaites, et à remplacer les vices de notre législation financière par des abus non moins saillants peut-être.
Saisi de ce principe, je viens m’élever contre la proposition de la section centrale : d’égaler les droits à l’entrée sur les vins, en les frappant d’une moyenne composée du droit actuel d’entrée par terre et par mer. Ajournons, messieurs, toute modification à notre tarif de douanes, jusqu’à ce que nous connaissions les dispositions de nos voisins à l’égard de nos fers en gueuse, nos bestiaux, nos charbons de terre, nos toiles de lin ; persuadons-nous, bien que nous les amènerons plus facilement à composition à l’aide de mesures sévèrement hostiles contre l’introduction de leurs produits, qu’en abaissant les droits pour certains objets. Eclairons-nous, messieurs, de la faute commise par le gouvernement hollandais en 1828, lorsqu’il commua la prohibition des vins, à l’entrée par terre, en un faible droit d’entrée : n’oublions pas que l’entraînement du congrès sacrifia le droit d’entrée sur la houille, sans que rien ne fasse entrevoir que la France soit disposée à faire des concessions en matière de douanes, pur faciliter nos relations commerciales avec elle.
Je suis loin de croire que les rigueurs de notre tarif puissent affaiblir les liens qui nous unissent à la France ; elle est trop raisonnable pour exiger qu’en reconnaissance des secours qu’elle a rendus à la Belgique, celle-ci lui sacrifie une partie de son bien-être. Mais ne nous dissimulons pas qu’elle pourra tirer parti du relâchement où nous pourrions nous abandonner par le désir immodéré d’arriver avec terme à la suppression des droits protecteurs de notre industrie. Pour moi, tout milite en faveur du maintien des droits existants, malgré les réclamations des provinces limitrophes des départements à vignobles : quelque fondées qu’elles puissent être, l’intérêt général commande que ces localités continuent à déposer sur l’autel de la patrie les sacrifices qu’elle leur impose ; ils y figureront très faiblement à côté de ceux qu’y apportent les villes mises en état de siège, les contrées qui ne cessent d’être accablées de logements militaires, et celles dont une partie de la population a dû abandonner ses foyers par suite des inondations.
J’ignore si des négociations ont été entamées pour obtenir des compensations de tarif ; je fais des vœux pour que nos négociateurs s’y présentent avec un plan basé sur des moyens de rigueur bien combinés, afin que nos adversaires se pénètrent du mal que nous pourrions leur faire s’ils s’obstinaient à repousser des propositions raisonnables.
Je suis partisan de la prohibition et des hauts droits par calcul ; car le bon sens me dit que la liberté illimité du commerce est l’ordre naturel, que tout ce qui est forcé n’a qu’une durée précaire. Mais ce même bon sens nous interdit de sortie les premiers de cet état forcé, à peine de compromettre nos intérêts matériels : les perdre un instant de vue pourrait remettre en question notre indépendance et notre neutralité.
M. Polfvliet. - Messieurs, peu ou point accoutumé de parler en public, une timidité invincible me retient : ce n’est que l’objet grave, c’est cette discussion conséquente dans les intérêts trop et trop longtemps lésés dans ma province qui peut m’y résoudre ; et j’ose demander toute votre indulgence, je ne dirai que peu de mots.
En vous proposant un dégrèvement de 5 p. c. sur la contribution foncière pour les deux provinces de Flandre, la section centrale a exercé une espèce de justice ; je dis une espèce de justice, car dès que la justice cesse d’être distributive, dès qu’elle cesse d’être égale, elle devient injustice. La section centrale, incertaine sur les nombreuses réclamations, s’est fait produire les relevés cadastraux de toutes les provinces ; elle les a examinés, et a pu se convaincre que, dans ces relevés proportionnels et cadastraux des provinces, la Flandre orientale figure à raison de 11 fl. 37, la province d’Anvers à 9 fl. 93, la Flandre occidentale à 9 fl. 90, tandis que toutes les autres figurent beaucoup moins à jusqu’à 6 florins. Notez, messieurs, que, par cette échelle de proportions, la province d’Anvers est plus surchargée que la Flandre occidentale. Je ne vous parlerai pas, messieurs, des pertes et souffrances que 2/3 de la province d’Anvers subissent par les circonstances de la guerre : c’est sur elle qu’en grande partie pèsent les logements militaires, c’est elle qui, le plus et presque seule, souffre des transports militaires, tant des vivres, fourrages que malades. Ne croyez pas, messieurs, que jusqu’ici les réclamations, les doléances ont été négligées, ont manqué ; elles furent souvent renouvelées, mais toujours inutilement. A la première formation du conseil du département, sous le gouvernement français, il y a 32 à 33 ans, j’en fus membre : le gouvernement français nous imposa cette contribution énorme pour être répartie entre nos trois arrondissements. Nous fîmes voir à M. d’Herbouville, alors préfet, la disproportion de cette taxe, en comparaison de plusieurs de nos départements ; nous lui observâmes qu’un huitième des propriétés rurales était inculte ou bruyère, que 3/8 furent des terres mises en culture provenant des bruyères, enfin qu’en grand partie nos terres, par le besoin et achat d’engrais, ne rapportaient pas autant de revenu net que les bonnes terres de plusieurs de nos départements. Vains furent nos raisonnements, vaines furent nos remontrances, et, ce qui étonnera, la véracité fut reconnue. Enfin la taxe était imposé ; il fallait se résoudre à y obtempérer ; il fallait obéir, le gouvernement l’exigeait. Cependant, M. le préfet, convenant de l’énormité de la disproportion de cette taxe, nous conseilla d’adresser des remontrances au gouvernement ; elles se firent, et il les appuie entre-temps. J’ai contribué, malgré moi, à cette première et cette injuste imposition, espérant une répartition plus équitable pour l’année suivante ; mais quel fut mon étonnement quand je vis, dans la session qui suivit, que le gouvernement fut sourd à nos justes doléances, à nos remontrances équitables ! Je me reprochai déjà ma coopération dans cette onéreuse répartition et, ne voulant plus contribuer à une imposition aussi ruineuse pour mon département, je pris ma démission avec deux de mes collègues de mon arrondissement. Les réclamations successives du conseil du département, ainsi que des membres des états-généraux, ont subi le même sort, et toujours sous le vain prétexte du non-achèvement du cadastre. J’augure cependant mieux, messieurs, de votre impartialité, de votre justice distributive. Si je ne craignais pas, messieurs, d’abuser de votre attention, je pourrais vous prouver, les pièces convaincantes à la main, que les mêmes revenus en terres cultivées dans le Hainaut paient la moitié des contributions foncières de ce qu’ils paient dans la province d’Anvers, et cela du même propriétaire, que le revenu du Brabant méridional ne paie que les deux tiers de contribution de ce que paie le même revenu de la province d’Anvers. Ne croyez pas, messieurs, que par ces raisonnements l’intérêt personnel me guide ; au contraire, il se trouve lésé par les propriétés que j’ai dans le Brabant méridional : c’est l’impartialité seule, c’est l’amour pour la justice distributive qui me fait parler. Ces raisonnements vous disent assez, messieurs, que la justice, que mon devoir m’imposent, quoiqu’à regret, de refuser mon vote approbatif, tant au projet de loi présenté qu’à l’amendement en faveur des deux Flandres proposé, à moins que la même équité ne soit admise pour la province d’Anvers. J’ai donc l’honorable de présenter, par amendement, à la chambre, que le dégrèvement de 5 p. c. proposé par la section centrale en faveur des provinces des deux Flandres, soit commun à la province d’Anvers.
(Moniteur belge n°196, du 28 décembre 1831) M. Barthélemy examine les assertions de ceux qui prétendent que les Flandres sont surtaxées ; il reconnaît pour vraie la cause de cette surtaxe signalée par M. Jullien. Déjà le même fait avait été signalé aux états-généraux ; mais il n’en résulte pas plus que des observations faites par beaucoup d’autres membres, une preuve incontestable de la surtaxe. Tout ce qu’on pourra faire, dit l’orateur, sur ces probabilités, ce sera d’accéder à l’amendement de la section centrale, sauf à voir ce qui devra être fait ultérieurement et lorsque le cadastre sera achevé. Si je vote pour l’amendement de la section centrale, ce n’est pas parce que je suis convaincu de la surtaxe, mais à cause des probabilités qui existent à cet égard.
(Moniteur belge n°201, du 2 janvier 1832) M. Dellafaille. - Messieurs, lorsque nous vous demandons un dégrèvement sur la contribution foncière des Flandres, nous réclamons pour les habitants de ces provinces, non une faveur, ni même un retour complet à l’équité, mais une simple marque qu’on se dispose enfin à écouter leurs réclamations et à mettre un terme à l’injustice qui, depuis longues années n’a cessé de peser sur eux.
Plusieurs de nos honorables collèges vous ont retracé, messieurs, l’origine de la surtaxe qui fait l’objet de nos plaintes. Vous avez entendu par quelle fatalité des répartiteurs, la plupart étrangers au pays, confondirent avec les contributions qui profitaient à l’Etat les redevances provinciales et locales, et sur quelle base exagérée fut établi, dans nos contrées, l’impôt foncier. Il semblerait que la preuve de cette erreur matérielle eût seule dû suffire pour nous faire depuis longtemps rendre une justice qui ne pouvait nous être refusée ; cependant, jamais il n’en a été ainsi. Sous le régime impérial, le conseil du département de l’Escaut, ayant, à force de réclamations, obtenu une enquête à ce sujet, établit, par des preuves manifestes, qu’il existait une disproportion choquante entre la Flandre et les départements français, entre autres celui du Nord, qui servit de principal terme de comparaison. Le gouvernement d’alors ne put nier l’évidence ; mais, pour atteindre cette inégalité, il trouva beaucoup plus aisé d’augmenter les charges de nos voisins que de diminuer les nôtres ; tel fut l’unique et étrange succès qu’obtint notre bon droit sous l’empire. Sous le régime de Guillaume, vous avez été témoins, messieurs, de nos plaintes et de l’inutilité de nos efforts. Une fois, cependant, ce gouvernement se montra disposé à nous rendre justice ; mais sa bonne volonté à cet égard se trouva paralysée par l’opposition de la première chambre : toujours on nous renvoya, depuis cette époque, à l’issue d’un éternel cadastre, constamment promis et jamais effectué. Cependant, les charges extraordinaires de cette année ont fait sentir aux Flandres, avec une nouvelle force, le besoin d’un redressement de griefs ; et, dans la vue d’alléger au moins leur énorme surtaxe, je me réunis à quelques-uns de mes honorables collègues, pour vous demander, lors du dernier emprunt, une décharge de 10 p. c. en faveur de ces provinces.
Dans toute autre circonstance, le refus que nous essuyâmes eût motivé de notre part un vote négatif ; mais alors le trésor était vide, et l’armistice devait expirer dans cinq ou six jours. Force nous fut d’imposer silence à l’intérêt provincial et de pourvoir, avant tout, à ce qu’exigeait le salut de l’Etat. D’après les promesses que nous fit en cette occasion le ministre des finances, peut-être nous était-il permis d’espérer qu’enfin notre voix n’aurait plus retenti dans un désert ; et ce n’est pas sans surprise que nous avons entendu ce même ministre revenir encore une fois à ces futiles promesses auxquelles une longue expérience ne nous a que trop appris à ne pas ajouter foi. Privé, par les événements de la guerre, des archives des deux provinces, le gouvernement n’a pu, je le conçois, former le plan d’une nouvelle répartition établie sur les bases d’une rigoureuse équité ; mais ne pouvait-il faire en faveur de nos provinces, de son propre aveu évidemment surchargées, proposer une réduction quelconque ? S’il a préféré abandonner ce soin à la justice de la chambre et à l’équité de la section centrale, je ne vois du moins aucun motif qui puisse l’empêcher d’accéder au dégrèvement très minime qui vous est demandé ; dégrèvement que nous ne pouvons même accepter que comme la reconnaissance d’un droit et le gage d’une justice future, puisqu’il est bien loin d’atteindre ce que nous sommes fondés à réclamer.
(Moniteur belge n°196, du 28 décembre 1831) M. le ministre des affaires étrangères (M. de Muelenaere). - Messieurs, il me semble que le temps n’est pas opportun pour traiter la grave question qui a été élevée. Le peu de temps qui nous reste, d’ici au 1er janvier, ne nous le permet pas. Je dirai donc seulement quelques mots à l’appui des observations des députés des Flandres ; mais, avant tout, il faut s’accorder sur les principes, et bien savoir ce que c’est que l’impôt foncier. L’impôt foncier est une quotité du revenu net que chaque propriétaire de bien-fonds paie au gouvernement. Le revenu net connu, il faut que l’impôt soit réparti proportionnellement au revenu ; aucune considération ne doit permettre de changer cette base ; par là tombent en grande partie les observations de M. Barthélemy. Il ne suffit pas que l'injustice soit ancienne ; il ne suffit pas que les Flandres la supportent depuis longtemps ; il s’agit seulement de savoir si la contribution est répartie conformément à la loi de frimaire an XII, dans laquelle sont posées les bases de la répartition. La justice exige que la quotité soit la même pour toutes les provinces. Je crois que nous sommes tous d’accord sur le principe ; mais il s’élève de grandes difficultés sur son application, et, quand on veut passer de la théorie à la pratique, quand il faut savoir, en effet, ce que chaque parcelle de terre doit à l’Etat, il faut, non seulement connaître l’étendue de chaque parcelle, mais encore en faire l’évaluation. C’est par le cadastre seulement que l’on peut arriver à une répartition équitable : dans les provinces rhénanes on y travaille activement, il est même plus avancé qu’en Belgique ; en France, non seulement les opérations cadastrales se poursuivent avec persévérance, mais les départements demandent à s’imposer pour l’achèvement du cadastre, parce que ces deux pays on a senti que par là seulement on peut répartir équitablement l’impôt foncier. Ces opérations exigent un travail immense, et je suis loin de soutenir qu’elles puissent se faire avec une rigoureuse exactitude ; il est impossible qu’il ne s’y glisse pas des erreurs ; mais, tout imparfait que soit un cadastre, il n’a pas de meilleur moyen pour arriver à a péréquation.
Avant que le cadastre existât, ceux qui possédait des propriétés dans le Hainaut et dans le district de Courtray s’étaient aperçus de la différence énorme dans le produits de leurs biens. On recherche les causes de cette différence ; on s’aperçut bientôt d’où elles provenaient. Ces causes vous ont été révélées samedi dernier par mon honorable ami M. Angillis, et aujourd’hui par mon honorable ami M. Jullien : ces causes signalées ne suffiraient pas pour faire obtenir un dégrèvement ; mais, quand elles seront confirmées par le cadastre, on ne pourra pas se refuser à le faire. En attendant, et sur les probabilités qui existent, on peut, je crois, redresser un grief que le gouvernement hollandais lui-même avait reconnu et promis de redresser. Quand on voit qu’en Flandre on paie 12 cents par florin de revenu net, tandis qu’ailleurs on n’en paie que 6, on peut être rassuré sur la diminution proposée par la section centrale.
On a fait la remarque que, dans les tableaux présentés à la chambre, les Flandres n’étaient portées qu’à 11 p. c., tandis que le chiffre était autrefois de 13 ; mais on ne s’est pas aperçu que les autres provinces étaient taxées à 8, et qu’elles sont maintenant à 6. Le dégrèvement a été le même pour toutes les provinces.
Lorsque le gouvernement hollandais fit faire le cadastre, il s’éleva partout des réclamations sur la manière dont les évaluations étaient faites. Partout on se plaignait que le gouvernement portait l’estimation des propriétés au-delà de leur valeur vénale. Moi-même j’en fis l’observation aux états-généraux, et M. Appelius me répondit avec raison que, l’évaluation se faisant partout de la même manière, et l’impôt foncier étant un impôt de répartition, il y aurait partout la même base, et conséquemment la même justice.
L’orateur rappelle un mémoire consciencieusement rédigé et présenté aux états-généraux, dans lequel on avait prouvé la surtaxe pour les provinces des Flandres et d’Anvers. Il en conclut, ainsi que les observations précédentes, que la diminution proposée par la section centrale est d’une justice rigoureuse. On pourrait même dire que cette diminution est insuffisante, et que les Flandres seraient en droit d’exiger beaucoup plus, si ce n’était les besoins du trésor. Mais moi qui connais les besoins du trésor, ajoute-t-il, je suis d’avis que la réduction puisse avoir lieu sans grever les autres provinces. Je désire que la diminution porte sur le chiffre de l’impôt entier. Je ne partage pas l’avis de deux honorables préopinant. M. Seron et M. le ministre de la guerre, qui pensent que l’impôt foncier puisse être augmenté sans inconvénients graves, car l’impôt en Belgique est beaucoup plus élevé qu’en France, où depuis 1815, il a subi une diminution notable, et qui s’élève à la somme de 30 millions. Une puissante considération milite, d’ailleurs, contre l’augmentation de cette sorte d’impôt. Cet impôt est fixé, il doit l’être ; sa perception est assurée ; le chiffre en est invariable. Dans les temps de troubles, c’est le seul sur lequel on puisse compter ; car les impôts indirects sont alors d’un produit incertain, et leur chiffre baisse considérablement ; il fait donc ménager l’impôt foncier dans les temps ordinaires, si l’on veut se réserver une ressource dans les temps moins heureux.
M. Ullens. - Plusieurs membres de la 4ème section, à laquelle j’ai l’honneur d’appartenir, ont émis le vœu que la diminution à accorder aux Flandres fût également étendue à la province d’Anvers. A mon grand étonnement, la section centrale a cru ne devoir point y avoir égard. Je n’ai pu savoir les motifs que quelques membres m’ont fait pressentir de cette façon d’agir. Je me crois donc obligé, dans l’intérêt de l’équité, à présenter un sous-amendement tendant à faire jouir la province d’Anvers de la même diminution demandée pour la Flandre, où je me base sur un travail de M. le ministre des finances, lequel, quoiqu’il n’ait point été donné pour exact, a servi, toutefois, à motiver partiellement l’avis de la section centrale. D’après ce travail, il appert que la Flandre occidentale paie dans la proportion de 9,90, et qu’Anvers dans celle de 9,93. Je ne comprends donc point pourquoi on veut accorder à une province ce que l’on veut refuser à l’autre, d’autant plus que, s’il y a une différence, elle est en plus pour la dernière province.
Quant aux réclamations excessives sur lesquelles on se fonde pour la Flandre, j’observerai que les députés anversois aux états-généraux avaient également fait parvenir leurs réclamations en temps opportun, comme quelques honorables membres de cette enceinte peuvent l’attester.
M. d’Elhoungne. - Messieurs, je dois faire quelques remarques sur ce que vous a dit M. le ministre des relations extérieures, à l’occasion de la question qui nous occupe. Je ne conteste pas que les Flandres ne soient surtaxées ; mais, quant à la quotité de la surtaxe, je soutiens que nous manquons d’élément pour l’établir d’une manière précise : nous restons à cet égard dans un vague tel, qu’il serait très dangereux de vouloir opérer un changement sur lequel il faudrait plus tard probablement revenir. Je dis « probablement, » et c’est « certainement » que j’aurais dû dire. Selon M. le ministre de la guerre, il faudrait augmenter l’impôt foncier, parce que l’impôt indirect est injustement réparti et nécessite une réduction notable ; M. le ministre des affaires étrangères nous a dit, au contraire, qu’il fallait diminuer l’impôt foncier, parce que c’est une ressource assurée dans les temps des troubles, et que d’ailleurs en France, il avait subi des réductions, tandis qu’en Belgique il était monté sur le même pied. Il est vrai que l’assemblée constituante avait porté le chiffre de cet impôt à 250,000,000, et que le dernier budget ne le porte qu’à 150,000 ; ainsi, dans l’espace de 41 ans, l’impôt foncier chez nos voisins a été diminué de la somme énorme de 30 millions. Mais est-il bien vrai que la Belgique n’ai subi aucune réduction ? Non, messieurs ; elle en a d’abord subi une par la vente des bois domaniaux qui étaient affranchis de l’impôt, d’après la loi de l’an IX, et qui, y ayant été soumis en entrant dans le commerce, ont occasionné une diminution proportionnelle d’autant. (Signe de dénégation.) La seconde diminution vient de l’augmentation du prix des propriétés, et de ce que d’ailleurs les acquéreurs de biens depuis 30 ans, se sont prévalus de la quotité de l’impôt pour obtenir une diminution dans le prix.
En combattant les observations de M. le ministre des affaires étrangères, mon intention n’est pas de m’opposer à l’amendement proposé par la section centrale ; et, quoique les éléments que nous possédons ne nous fournissent pas une base bien certaine, il est très probable que la lésion pour les Flandres surpasse 5 p. c. et que sous ce rapport nous ne ferons que rendre à ces provinces la justice qui leur est due.
L’orateur termine en faisant observer que, pour dégrever les classes inférieures de la société, il faudra augmenter l’impôt foncier, c’est-à-dire défaire plus tard ce que l’on a fait aujourd’hui ; il eût été plus rationnel de répartir sur les autres provinces le dégrèvement accordé aux Flandres. Les bases du cadastre sont d’ailleurs incertaines ; car le cadastre n’est pas achevé dans une seule commune, dans ce sens qu’il n’a pas été encore soumis à la contradiction des propriétaires, et on ne peut pas savoir ce qui résultera de cette contradiction. Toutes les provinces peuvent se dire surtaxées, et il n’y a peut-être, sur les neuf provinces dont se compose le royaume, que celle du Brabant septentrional qui soit désintéressée dans la question.
(Moniteur belge n°201, du 2 janvier 1832) M. Helias d’Huddeghem. - Messieurs, je pense aussi qu’il est impossible, pour le commencement de l’exercice de 1832 de changer le système qui sert de base au projet de loi sur les voies et moyens. Mais j’espère que vous voudrez bien me permettre quelques observations générale sur le projet.
D’abord, la contribution foncière, je ne vous rappellerai pas ce que j’ai dit à une autre occasion, et ce que deux honorables collègues qui siègent parmi nous, ont si éloquemment établi aux états-généraux. Seulement, je dirai que ce n’est pas sur des présomptions qu’est établie la surtaxe des Flandres : vous savez que le cadastre est achevé pour les 2/5 dans les Flandres. Eh bien ! je tiens en main un mémoire, concernant la répartition de l’impôt foncier entre les provinces du royaume, par un inspecteur du cadastre, conjointement avec plusieurs employés de l’administration générale et des provinces.
Ces messieurs établissent, par des calculs sur les opérations déjà faites des communes cadastrées, que la Flandre orientale paie de 13 à 14 cent 1/4 par florins de revenu, la Flandre occidentale de 13 à 14 cents par florin de revenu, tandis que les provinces de Hainaut et de Liège ne paient que 7 cents par florin de revenu.
Un honorable député a dit que nos finances ne permettent pas de diminuer la contribution foncière : eh bien ! que la disproportion énorme qui pèse sur la Flandre soit répartie entre les autres provinces. Car, messieurs, parce qu’une injustice a duré trente ans, y a-t-il des motifs pour la faire durer encore ? Car, messieurs, j’ai trop bonne opinion de l’assemblée pour penser qu’elle viendrait sanctionner le principe, que la justice, en matière de contribution foncière consiste dans le maintien de toutes les injustices et de toutes les inégalités.
J’émets aussi le vœu qu’on fasse une révision générale des lois sur l’impôt de l’enregistrement, sous le point de vue de diminuer les droits proportionnels.
Si tout impôt doit atteindre autant que possible l’universalité des citoyens, et de préférence les plus fortunés, il n’en est certainement pas de plus mauvais que les droits proportionnels de l’enregistrement ; car la nécessité d’y soumettre tout acte qui comporte obligation ou libération frappe les classes industrieuses, et le riche n’y contribue en rien.
La nécessité de devoir payer tous les droits proportionnels des actes sous seing privé, avant de pouvoir agir en justice, est nuisible parce que l’individu peu fortuné doit abandonner ses droits les plus évidents, parce que l’enregistrement lui ferme l’accès des tribunaux ; et il est de fait que des créances peu conséquentes ne peuvent très souvent être poursuivies, puisqu’on n’a aucun espoir de pouvoir recouvrer ses frais sur la partie qui succombe. La loi de 1824 a porté quelques remèdes à cet inconvénient, mais la plupart existent encore ; et si on pouvait admettre le principe de supprimer le proportionnel de ses droits, on pourrait réussir à faire une loi simple, et qui réduirait par contre les frais de perception à la moitié.
Il y a peu d’hommes dans le royaume qui peuvent se flatter de connaître à fond cette partie : des centaines de décisions souvent contradictoires, autant d’instructions ministérielles dans tous les sens, dont la collection en au moins trente volumes fait preuve, ont occasionné qu’aujourd’hui c’est un vrai dédale de lois ; et ce droit, loin de pouvoir être jugé et apprécié par les imposés, est tellement douteux et difficile, qu’une grande partie des fonctionnaires eux-mêmes s’y trompe, et que, journellement, les perceptions faites par les receveurs sont réformées par les vérificateurs et inspecteurs.
Si donc, messieurs, l’on pouvait réussir à simplifier cet impôt, et rendre la loi claire et intelligible pour tous les habitants, on en retirerait l’avantage de se débarrasser entièrement de ce fatras énorme de décisions et instructions ministérielles, qui forme le centuple de la loi elle-même ; et, en deuxième lieu, de mettre tout le monde à même de poursuivre ses droits, et de n’avoir aucun recours à cette foule d’actes simulés.
On a émis dans ma section le désir de diminuer, autant que possible, les droits sur le sel, les bières et les vinaigres. Je dirai surtout, quant au sel, que c’est un article de premier nécessité, tant pour la nourriture de l’homme que pour une partie de notre bétail ; que c’est un article de fabrication pour nos raffineries de sel ; que cela devient, par conséquent, aussi un article de commerce d’exportation ; que c’est en outre un article de première nécessité pour la fabrication du beurre ; qu’ainsi, porter l’accise sur le sel à un taux trop élevé serait nuisible, tant à la consommation, à l’agriculture, qu’au commerce, et servirait en même temps d’appât à la fraude.
Quoiqu’en thèse générale le droit de patente paraisse admissible, je dois me prononcer contre le mode qui sert de base à la loi actuelle, mode qui entraîne de très grands griefs, dont quelques-uns se rattachent particulièrement aux habitants des villes, pour lesquelles cette loi, telle qu’elle existe, est infiniment onéreuse, et qui, en servant aussi à favoriser des étrangers au détriment des régnicoles, est dans son principe subversive de l’égalité de protection due à la généralité des habitants du royaume.
Le plus grand défaut de l’impôt personnel est la trop forte élévation des taxes de plusieurs de ses bases : c’est la principale raison pour laquelle on a toujours réclamé pour obtenir la réduction de la taxe sur la valeur locative ; on a même proposé à cet effet d’augmenter celle sur le mobilier, qui est payée par toutes les classes les plus aisées des habitants.
(Moniteur belge n°196, du 28 décembre 1831) M. Dumont combat l’opinion de MM. Seron et de Brouckere sur l’augmentation que pourrait subir l’impôt foncier. Il le combat par cette considération toujours mise en avant, qu’il faut surtout alléger les charges de la classe moyenne. L’orateur soutient que, depuis la révolution française et l’abolition des majorats, les propriétés ont été tellement divisées, que la petite propriété est devenue la règle, et la grande l’exception. Frapper la propriété foncière, ce serait en réalité grever la classe moyenne. L’augmentation de l’impôt aurait encore l’inconvénient de décourager les défrichements, selon l’orateur, qui affirme, en répondant à M. d’Elhoungne, que les biens domaniaux vendus ont fait subir une augmentation au chiffre total de la contribution foncière ; d’où il tire la conséquence que l’honorable membre était dans l’erreur en avançant que l’impôt foncier avait subi une diminution de ce chef.
M. A. Rodenbach. - Avant de discuter le budget des voies et moyens, article par article, je prierai M. le ministre des finances de vouloir bien nous dire s’il n’est plus question des retenues sur les appointements des fonctionnaires publics. Je ne vois point ce chapitre dans le susdit budget. Serait-ce par hasard le typographe qui aurait omis cet objet ? Mon honorable collègue, M. Coghen, est prié de me répondre catégoriquement.
On a parlé longuement sur l’impôt foncier et sur la surtaxe qui pèse sur nos terres des Flandres. On a prouvé mathématiquement que nous provinces sont lésées d’une manière exorbitante. Je m’abstiendrai donc de m’étendre sur cette matière, mais j’entretiendrai quelques instants l’assemblée sur le vœu émis par MM. d’Elhoungne, Seron et le ministre de la guerre, d’augmenter l’impôt foncier dans toute la Belgique. Je m’y oppose formellement. En cela, je suis entièrement d’accord avec le ministre des relations extérieures. Voici laconiquement mes motifs :
Si l’on augmente dans le royaume la contribution territoriale, tous nos produits agricoles augmenteront de prix, et dans ce cas nous ne pourrons point exporter plus du tiers des productions du pays. Nous ne pourrions plus envoyer à l’étranger nos graines de trèfle, nos lins, nos froments et nos bestiaux. L’augmentation de l’impôt foncier empêche le bon marché de la vie animale. Si l’ouvrier paie plus cher le vin et la viande, l’étoffe qu’il manufacture doit coûter plus cher. Donc la main-d’œuvre doit nécessairement augmenter.
Nous voulons que la Belgique soit en même temps un pays agricole et manufacturier. C’est pour ce motif que la vie doit y être à bon compte, si nous voulons soutenir la concurrence à l’étranger avec nos nombreux concurrents.
M. Gendebien. - Je demande la parole pour annoncer que, dans la discussion des articles, mon intention est de proposer un amendement pour faire opérer la retenue décrétée par le congrès sur les appointements des fonctionnaires publics.
Puisque j’ai pris la parole, je demanderai la permission de motiver seulement mon vote. Je voterai contre le projet du ministre, parce que je ne veux pas voter le budget des voies et moyens pour une année entière. S’il s’agissait de ne le voter que pour trois ou six mois, je lui donnerais mon assentiment ; mais pour toute l’année cela m’est impossible. Il n’a suffi au peuple belge que quatre jours pour renverser un gouvernement qui lui était odieux, et certes ce n’était pas contre les hommes qu’il faisait sa révolution. Ce n’était pas contre Guillaume ou contre ses fils que ses coups étaient dirigés, mais pour renverser les abus existants. Ces abus existent toujours cependant, et si vous votez le budget des voies et moyens, il pèseront encore sur le peuple pendant un an et trois mois : c’est mettre la patience du peuple à une trop rude épreuve, c’est le priver d’une justice qu’on ne peut lui enlever, et qu’il attendait en renversant l’ancien gouvernement. On a aboli l’abattage ; mais, comme le disait M. Seron, c’est parce que le peuple n’en voulait pas et qu’il était impossible de le maintenir. L’impôt sur le sel est maintenu. Cet impôt est excessif, et il pèse uniquement sur le pauvre, parce que c’est pour le pauvre un objet de première nécessité. Le riche mange des mets savoureux, il a mille moyens de les assaisonner. Le peuple n’a que le sel pour assaisonner les siens. Le riche mange des mets succulents, il ne songe qu’à satisfaire sa gourmandise, le sel entre pour peu de chose dans ses mets ; pour le pauvre le sel est tout. Je voterai contre tous les budgets de voies et moyens, tant que l’impôt sur le sel subsistera.
L’orateur parle contre l’odieux système d’impôt sur les patentes et l’impôt personnel ; il rappelle que ces griefs, surtout, ont soulevé le peuple belge contre le roi Guillaume. Qu’a-t-on fait depuis la révolution pour réparer ces griefs ? Rien. Je ne parle pas ici des trois premiers mois, pendant lesquels le ministre actuel tint le portefeuille des finances : dans ces temps-là, il était difficile, même impossible, de songer à des améliorations ; mais, depuis le 1er janvier 1831, les hommes mêmes qui se vantent d'une activité prodigieuse n’ont rien fait.
Je ne puis m’empêcher de faire observer ici que l’emprunt qui a été contracté récemment aura mis le ministère fort à son aise. La nation s’en trouvera mal à l’avenir ; mais maintenant même qu’arrivera-t-il ? Si vous votez les voies et moyens, le ministère, ayant les fonds de l’emprunt, y puisera sans s’inquiéter d’autre chose, et l’année s’écoulera sans qu’il ait songé à rien améliorer ; et peut-être on viendra, le 9 décembre prochain, vous présenter un budget que vous serez forcés de voter, et il le faudra bien, car après tout il faut que le gouvernement marche. Il n’en serait pas de même si vous ne votiez le budget que pour trois ou six mois. Si le ministère dit que ce délai est trop court, je lui répondrai : Si dans six mois vous ne pouvez satisfaire aux besoins du peuple, laissez-vous remplacer par d’autres qui le satisferont.
Puisque j’ai commencé à parler contre le ministère, je profiterai de l’occasion pour lui demander des explications sur le Luxembourg. Je lui demanderai pourquoi on a abandonné le Luxembourg à lui-même. Je me trompe, on l’a abandonné aux intrigues du roi Guillaume. Pourquoi n’a-t-on pas envoyé des bataillons de gardes civiques ? Pourquoi a-t-il laissé cette province désarmée ? Vous voyez le fruit de cette coupable incurie. Il arrive aujourd’hui que la guerre civile est allumée dans le Luxembourg ; que des bandes le parcourent dans tous les sens, y portant partout la terreur, y assassinant les fonctionnaires publics, y désarmant les citoyens. Aujourd’hui, à prétexte de faire exécuter d’avance les 24 articles, on force les citoyens , le couteau sur la gorge, à se déclarer pour le roi Guillaume. Prenez garde, messieurs, que de là le mal ne gagne dans le Limbourg et du Limbourg ailleurs. Prenez garde que ce ne soit un système adopté par le roi Guillaume, qui vous inquiétera sur ces deux points pour vous attaquer d’un autre côté. Je demande que le ministre s’explique sur ce qui se passe dans le Luxembourg, qu’il dise pourquoi on n’y a pas envoyé des forces. Souvenez-vous que les Luxembourgeois nous ont puissamment aidés dans notre révolution, et qu’il y aurait la plus grande lâcheté d’abandonner maintenant les fonctionnaires et les habitants de cette province au couteau des assassins. Cela me suffirait, quand je n’aurais pas d’autres griefs contre le ministère, pour lui refuser les subsides et pour le considérer comme incapable de gouverner le peuple belge.
M. d’Hoffschmidt. - Messieurs, si j’eusse prévu que des interpellations fussent adressées aux ministres dans cette séance, sur les réactions exercées sur les malheureux Luxembourgeois par une bande de brigands, soudoyés, selon tout apparence, par le roi Guillaume, j’aurais rassemblé tous les renseignements qui me sont parvenus sur ces déplorables événements, et j’en aurais fait part à l’assemblée, non pour exciter sa commisération en faveur de ceux de nos malheureux citoyens dont le sort est décidé par l’adoption des 24 articles (il ne lui reste plus qu’à former des vœux stériles pour leur bonheur), mais j’aurais par là contribuer, avec notre honorable collègue M. Gendebien, à attirer toute l’attention du gouvernement sur la guerre civile dont notre province est le théâtre.
Je dis guerre civile, messieurs, car tous les Luxembourgeois sont encore nos frères, et ils se montrent toujours dignes de l’être, à l’exception de ceux qui font partie de cette bande de brigands soudoyés, qui portent la dévastation partout où ils pénètrent, en répandant le sang de nos concitoyens, parce que ceux-ci ne veulent pas rentrer sous le joug qu’il ont secoué, et sous lequel des traités non ratifiés les ont condamnés inhumainement à rentrer.
Une lettre, que j’ai reçue ce matin, m’affirme que le nombre des assommeurs lancés en Belgique se monte déjà à plus de 400, et ce nombre doit encore être augmenté considérablement de soi-disant déserteurs prussiens ; car cette troupe est un ramassis de tous les gens sans aveu, qu’on put recruter partout où ils se sont trouvés les antagonistes de la révolution.
Je sais que le gouvernement a pris des mesures pour arrêter les malheurs qui menacent toute une population généreuse, qui se refuse, malgré tous les efforts des ennemis de libertés acquises au prix des plus grands sacrifices, à voir flotter le drapeau orange sur les clochers, au lieu de celui qu’ils y ont placé avec tant d’enthousiasme, comme gage de ces mêmes libertés auxquelles on eut les faire renoncer en leur mettant le couteau sur la gorge. Mais, messieurs, ces mesures sont malheureusement tardives, puisque deux de nos plus généreux compatriotes viennent encore d’être tués par les infâmes suppôts du despotisme, ce qui justifie, en quelque sorte, la crainte que je manifeste qu’elles ne soient encore insuffisantes. Je demande donc aux ministres de l’intérieur et de la guerre qu’ils prennent des mesures tellement énergiques à cet égard, que nous n’ayons pas à déplorer de plus grands malheurs.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux).- Messieurs, je m’empresse de répondre aux interpellations que M. Gendebien vient tout à l’heure d’adresser au ministère. Je peux donner à la chambre l’assurance que des mesures sont prises pour empêcher la propagation du mal, et pour l’arrêter à sa source. Des troupes sont dirigées sur ce point, elles y sont même dirigées en poste. On s'est plaint de ce que des troupes n’avaient pas été laissées dans cette province ; messieurs, on ne devait pas s’attendre à être attaqués par là. On s’est plaint une première fois de la dissémination des troupes, et c’était avec raison. Quand nous avions à craindre une seconde attaque, on a dû réunir les troupes sur un point pour ne pas voir se renouveler une fatale catastrophe. Voilà pourquoi il n’y avait point de forces dans le Luxembourg. Mais, je le répète, ce qui s’y passe n’est pas de nature à alarmer la chambre. Déjà un chef de la bande est entre les mains de la force militaire, et bientôt, sans doute, la tranquillité sera parfaitement rétablie. Quant au Limbourg, j’en reçois des nouvelles récentes, et aucun symptôme de trouble ne s’y manifeste.
Puisque je réponds à un honorable membre qui a critiqué amèrement le ministère et la négligence apportée au système financier, je lui rappellerai que, l’an passé, une loi sur les distilleries fut présentée au congrès. Cette loi fut renvoyée de section en section, de commission en commission, et finalement elle alla s’enfouir dans les cartons du congrès. Il en fut de même d’une loi sur le sel, d’une loi sur le transit, et de beaucoup d’autres dont il serait parfaitement inutile de faire la nomenclature. Les budgets ont été présentés plusieurs fois ; certes c’étaient des lois urgentes ; les discussions politiques ont absorbé tout le temps du congrès, et ces lois sont demeurées en arrière.
Depuis le gouvernement du Roi, était-il possible de faire autre chose que ce qui a été fait ? Non. Un système de finances à remanier entièrement, c’est une opération qui doit être faite avec maturité ; vous savez qu’une commission a été nommée à cet effet, c’est tout ce qu’on pouvait raisonnablement attendre.
On a dit que le peuple belge avait fait sa révolution pour obtenir des améliorations. Mais n’en a-t-il obtenu aucune ? Il y aurait injustice à le soutenir. Déjà ses institutions fondamentales sont changées, et les améliorations s’opèrent successivement et aussi rapidement que possible : le gouvernement ne demande pas mieux. Quant au bien-être matériel du peuple, le peuple sait très bien que ce bien-être ne succède pas immédiatement aux révolutions. Après la révolution, j’ai eu de fréquents rapports avec les basses classes du peuple, et je leur ai souvent entendu dire qu’elles n’ignoraient pas que la révolution, loin de produire du bien tout d’un coup, empirerait momentanément leur position, en exigeant d’elles de plus grands sacrifices. Cependant, des dégrèvements ont eu lieu ; je dirai même que, sous ce rapport, le congrès est allé trop loin.
Quant à l’emprunt, je dirai au préopinant que ses reproches sont mal fondés. Il n’a pas été fait dans l’intérêt du ministère, comme il a voulu le faire entendre, mais dans l’intérêt du pays ; et je pense que les circonstances étaient telles, que personne ne doute dans cette chambre que nous n’ayons fait sagement de le conclure.
M. Gendebien. - M. le ministre se trompe quand il prétend que j’ai dit que l’emprunt avait été fait dans l’intérêt du ministère. J’ai dit seulement que l’emprunt avait mis le ministère à son aise, et l’empêcherait d’apporter ses soins à l’amélioration du système financier. J’ai dit qu’ayant là des fonds assurés, il laisserait rouler la machine dans la boue jusqu’au 31 décembre 1832, sans s’inquiéter d’alléger les charges qui pèsent sur le peuple. Puisqu’on a parlé de l’emprunt, je dois le dire, cet emprunt est onéreux à l’excès, et il a été contacté pour des besoins imaginaires. On vous disait qu’on avait un pressant besoin de fonds pour le 1er janvier. Eh bien ! on ne touchera, à cette époque, des fonds de l’emprunt que 8,200,000 fl. Rapprochez maintenant les allégations entassées par le ministère sur ses pressants besoins du chiffre modique de la somme qu’il va toucher, et jugez : je n’en dirai pas davantage. Quand il en sera temps, j’émettrai sur ce point d’autres observations ; mais, en attendant, vous aurez vu qu’il n’est pas prudent de prendre à la lettre ce que vous dit le ministère.
On dit que ce qui se passe dans le Luxembourg n’est pas grave ; cependant vous ne disconvenez pas qu’un commissaire de district a été assassiné. Vous dites que des troupes sont parties en poste ; mais elles étaient aussi parties en poste au mois d’août ; et elles arrivèrent trop tard sur le champ de bataille. Mais quand elle arriveraient à temps cela vous excuse-t-il ? Non. Cela prouve seulement une chose, c’est que vous parez au mal quand vous le voyez sous vos yeux. Mais tout le monde en ferait autant : il aurait fallu le prévenir, et vous êtes coupables de ne l’avoir pas fait.
M. le ministre de l’intérieur (M. de Theux). - Messieurs, on a voulu établir une comparaison entre ce qui s’est passé au mois d’août et ce qui se passe maintenant. Mais alors une armée beaucoup moins nombreuse que la nôtre était entrée dans le pays, et maintenant il ne s’agit que d’une poignée d’intrigants qui inquiètent une province. Je le répète, ces mouvements n’ont rien d’inquiétant, parce que des mesures sont prises pour arrêter les progrès du mal.
On a dit, en parlant de l’emprunt, qu’il n’aurait pour résultat que de mettre le ministère à son aise. Non, le ministère n’en sera pas plus à son aise pour cela ; c’est la chambre qui par là aura pu s’abstenir de voter des moyens extraordinaires pour faire face aux dépenses. Quant au taux de l’emprunt, le gouvernement a cru qu’il pouvait l’accepter, et je pense qu’il le devait : notre papier avait subi une baisse qui n’aurait fait qu’augmenter par la crainte où l’on aurait été de voir le gouvernement dans l’impossibilité de rembourser les deux premiers emprunts. Si nous avions tardé encore, on aurait pris pour base d’un emprunt perpétuel le taux de notre papier à la bourse, et alors notre condition eût été bien pire. On a dit que le premier versement était peu considérable. C’est une erreur : pense-t-on que, lorsqu’on contracte un emprunt énorme, on trouve toujours des prêteurs prêts à vous verser des millions ? Cela n’est pas possible, surtout dans un temps où les fonds publics ne sont pas à un taux qui rend le numéraire facile à trouver.
- On demande la clôture de la discussion : elle est mise aux voix et prononcée.
M. Dumont fait un rapport sur le projet de loi qui fixe le contingent de l’armée. (Nous ferons connaître le projet.)
- La séance est levée à quatre heures.
Noms de MM. les représentants absents sans congé à la séance du 26 décembre 1831 : MM. Cols, Davignon, de Robaulx, Pirson, Seron, Tiecken de Terhove.