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Chambres des représentants de Belgique
Séance du mercredi 14 décembre 1831

(Moniteur belge n°184, du 16 décembre 1831)

(Présidence de M. de Gerlache.)

La séance est ouverte à midi et un quart.

Appel nominal et lecture du procès-verbal

M. Dellafaille fait l’appel nominal. Le même lit le procès-verbal, qui est adopté sans réclamation.

Projet de loi relatif aux droits sur les fers

Vote sur l'ensemble

L’ordre du jour est le vote sur l’ensemble de la loi sur les fers.

M. Dellafaille fait l’appel nominal, dont voici le résultats : 71 membres sont présents ; 58 votent pour et 9 contre. Quatre membres s’abstiennent.

Les opposants sont MM. H. de Brouckere, Jamme, Leclercq, Osy, Van Innis, Verhagen, Ch. Vilain XIIII, Pirmez et Devaux.

MM. de Robaulx, Tiecken et de Foere se sont abstenus par le motif qu’ils n’ont pas assisté à la discussion.

Projet de loi tendant à lever la prohibition à l'exportation des armes de guerre

Rapport de la section centrale

M. le président. - M. Mary a la parole pour faire le rapport de la section centrale sur le projet de loi relatif à la sortie des armes, amendé par le sénat.

M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je ferai observer à la chambre que le projet de loi relatif à l’emprunt est extrêmement urgent. Le ministre demande la priorité de ce projet.

M. le président. - M. Legrelle travaille encore au rapport.

M. Mary monte à la tribune et déclare que la section centrale a été d’avis d’adopter purement le projet de loi sur les armes, tel qu’il est amendé, à la majorité de six voix contre une.

Projet de loi autorisant le gouvernement à négocier un emprunt de 48 millions de florins

Discussion générale

M. Legrelle présente ensuite au nom de la section centrale un rapport sur le projet de loi relatif à l’emprunt de 48 millions, et conclut à l’adoption.

- La discussion est ouverte sur l’ensemble du projet.

M. Jamme. - Messieurs, l’emprunt de 48 millions, pour lesquels on nous demande l’autorisation de traiter, n’est pas une charge nouvelle pour l’Etat. Cet emprunt doit servir à couvrir, d’une part, des dépenses faites et consenties par nous, et, de l’autre, celles qui nous sont imposées par le traité de Londres, dont toutefois aucune ne pourrait être liquidée encore. Au surplus, l’emploi des fonds résultant de cet emprunt devra être justifié comme l’emploi de toute recette quelconque ; mais voyons s’il est bien nécessaire que cet emprunt ait un chiffre si élevé pour le moment. Je désire, messieurs, voir réduire ce chiffre autant que possible, parce que j’ai la conviction qu’après l’adhésion de la Hollande au traité de paix, qu’après la mise à exécution de ce traité, et le désarmement de l’Europe qui s’opère de toutes parts, nous traiterons, pour ce qui restera à faire de l’emprunt, à titre beaucoup moins onéreux. Mais un intérêt moins élevé n’est guère, messieurs, le seul avantage que je voie à diviser l’emprunt.

En divisant l’emprunt, en attendant plus de stabilité dans notre existence, nous trouverons probablement des prêteurs parmi nous, ce qui nous donnera le grand avantage de faire participer directement les capitalistes nationaux aux bénéfices considérables de l’opération, et retiendra dans le pays le capital à payer pour les intérêts. Ce sera un usage de nos ressources propres ; mais, messieurs, j’aperçois encore, dans cette manière d’opérer, bien d’autres avantages ; d’abord, celui d’inspirer plus de confiance dans nos ressources, et de contribuer plus promptement à établir notre crédit public sur des bases qui soient en rapport avec les fortunes individuelles, qui sont considérables : celui d’utiliser des capitaux tenus inactifs par l’effet de la révolution, et qui seront, probablement, certain temps encore improductifs, par suite de la secousse qu’a éprouvée notre industrie ; celui enfin de ne pas commettre l’inconvenance d’emprunter déjà pour faire face aux charges que nous impose un traité onéreux que l’on refuse d’accepter, et de ne pas nous placer, vis-à-vis de la Hollande, dans une étrange et ridicule situation : de compter nos écus à l’avance et peut-être inutilement.

D’ailleurs, messieurs, il est à remarquer que, si la Hollande eût elle-même accepter le traité, nous n’aurions à liquider, conformément aux articles 13 et 14 du traité, nous n’aurions à liquider, dis-je, au 1er janvier que la somme de 3,266,667, pareille somme au 1er avril, au 1er juillet celle de 7,467,667, et finalement au 1er janvier 1833, 4,200,000, plus les intérêts affectant ces diverses sommes.

De sorte, messieurs, que nous ne pouvons jamais être dans le cas de fournir, lors de l’adhésion de la Hollande, que la somme de 3,266,667, représentants le premier tiers des 14 mois de l’arriéré, intérêts non compris.

Encore il y a lieu à supposer que, comme le traité n’a pas reçu immédiatement son effet, les époques stipulées pour les paiements pourraient être reculées d’un temps égal à celui qui se serait écoulé depuis la date du traité jusqu’à celle de son acceptation.

Nous n’avons donc, pour le moment, qu’à faire face au remboursement de l’emprunt de 12 millions ; car celui de 10 millions s’amortira de lui-même par la recette des coupons dans les caisses publiques, recette qui commencera à avoir lieu seulement au 1er juillet prochain, et ce n’est qu’à cette époque qu’il sera utile d’aviser aux moyens de combler le vide que cette opération apportera dans la recette en numéraire.

Nous avons aussi à faire en sorte d’amener douze à quinze millions en caisse pour faciliter nos premiers pas dans l’exercice de 1832, si nous voulons éviter, et nous le devons à tout prix, de recourir à la désastreuse mesure des crédits provisoires, contre laquelle, je le déclare une dernière fois, je voterai sans examen aucun.

En conséquence, messieurs, je me résume à dire que je vais déposer sur le bureau un amendement, tendant à réduire à 25,000,000 le chiffre de l’emprunt.

M. Milcamps. - Messieurs, c’est parce que le crédit public n’avait pas d’origine pour nous, c’est parce qu’il n’en existait pas, que l’emprunt volontaire de 5 millions de florins, décrété par le gouvernement provisoire, n’a point été rempli. C’est parce qu’il n’en existait pas, que le gouvernement provisoire et la législature actuelle ont dû décréter des emprunts forcés.

Aujourd’hui que les circonstances ne sont plus les mêmes, que le pays est constitué définitivement, qu’il est sur le point de recevoir l’immense bienfait de la paix, si le crédit public n’existe pas encore, nous avons au moins l’espérance qu’il s’établira bientôt.

Le gouvernement tend évidemment à ce but en venant, pour remplir des engagements sacrés, pour satisfaire à des besoins extraordinaires, vous proposer un emprunt de 48 millions de florins, dont, d’après le silence de la proposition, vous laisseriez le mode d’exécution à la sagesse du gouvernement qui, à moins de conditions avantageuses, ne contractera qu'au fur et à mesure des besoins.

La nécessité de cet emprunt est démontrée par le projet de loi sur le budget de 1831. L’on nous a fait remarquer, avec raison, qu’il est destiné à payer des dépenses qui appartiennent au passé. Nous-mêmes, en notre qualité de membres de la chambre législative, nous avons pris l’engagement de les acquitter. Il faut qu’on nous croie.

La nation a des engagements. Nul de nous n’a oublié celui de 22,470,000 florins résultant des emprunts créés en vertu des lois des 8 avril et 21 octobre 1831 ; celui des 18,029,766 florins, qui nous a été imposé par le traité de séparation entre la Belgique et la Hollande, exigible en 1832. Ajoutez-y le restant de la dette publique et les 2,800,000 fl. accordés au département de la guerre par la loi du 3 décembre dernier, vous atteindrez, vous absorberez même l’emprunt de 48 millions.

Ces engagements de la nation envers des particuliers sont-ils moins obligatoires, moins sacrés que ceux des particuliers entre eux ?

C’est l’accomplissement d’un devoir que le gouvernement nous demande. Je suis décidé à le remplir en adoptant sa proposition, et en cela je crois servir la chose publique.

La bonne foi, j’aime aussi à le dire, est l’une des grandes bases du crédit public ; c’est par elle que nous pouvons inspirer, commander la confiance : seule, elle ne suffit point. Il faut, pour asseoir solidement le crédit public, trouver les moyens d’utiliser les produits de notre sol, de ranimer le commerce et l’industrie, d’établir le niveau entre les dépenses et les recettes de l’Etat. Je vous demande pardon, messieurs, de ces observations : c’est une tâche facile d’indiquer d’une manière générale ce qu’il faut faire ; mais fournir les éléments d’action, voilà ce qui est difficile. Nous avons des commissions d’agriculture, d’industrie, de commerce, et d’impôts. C’est de leur zèle, de leur sollicitude que nous devons attendre des propositions sur tous ces points. Tout annonce que nous pourrons nous occuper avec calme de ces importants objets, et qu’avec de la constance et l’amour du bien public nous parviendrons à relever le pays de ses souffrances momentanées et à établir notre crédit.

M. Angillis. - Messieurs, avant d’émettre un vote, que la plus inexorable nécessité peut seule m’arracher, je dois faire ma profession de foi sur les emprunts.

Le système d’emprunts est, à mes yeux, un système détestable : en donnant aux gouvernements des ressources promptes et qui paraissent inépuisables, il les rend prodigue à l’excès ; il enrichit des capitalistes oisifs, au détriment de la population qui se ruine ; il nécessite une progressions toujours croissante d’impôts ; il épuise la fortune publique, parce que tout emprunt diminue toujours les revenus libres, et occasionne ou un nouvel emprunt, ou une augmentation d’impositions. Un Etat qui emprunte aliène une portion de son revenu pour un capital qu’il dépense, et il ne serait pas difficile de prouver que les emprunts ont presque toujours été fatals aux peuples : on paie communément un intérêt plus élevé que l’intérêt ordinaire ; on est bientôt forcé de recourir à des mesures semblables, et on demeure ainsi dans un cercle perpétuel de dettes et d’inquiétudes. Ce sont les emprunts qui ont fait surgir ces avides agioteurs de la Bourse, que je ne prétends pas confondre avec ces capitalistes irréprochables, si précieux et si nécessaires dans les pays où le commerce est compté pour quelque chose. Mais j’entends parler de ces gens qui font un commerce fondé sur l’usure, de ces marchands de crédit qui trafiquent du destin de l’Etat, à la hausse ou à la baisse. Ce sont des emprunts qui ont donné la vie à cette armée de prêteurs, toujours en activité entre le trésor et la nation pour faire changer et intervertir le cours légal et naturel du signe représentatif de toutes conventions, créer des valeurs nouvelles, troubler tout l’ordre établi dans les finances, et compromettre toutes les fortunes dans un énorme jeu de hasard.

Après avoir fait connaître en abrégé mon opinion sur les emprunts en général, je demanderai à M. le ministre : 1° s’il ne pourrait pas attendre encore quelques mois pour contracter un emprunt ; pendant cet intervalle la paix se fera probablement, et nous aurons un emprunt à des conditions moins onéreuses. Quant à moi, je ne crois pas qu’il y ait nécessité de se presser tant pour lever des fonds ; le premier emprunt de 12,000,000 n’est pas encore exigible ; nos recettes ordinaires doivent suffire à l’acquittement des autres dépenses de l’Etat. 2° Si l’emprunt ne pouvait pas se faire dans notre propre pays. Cette mesure serait préférable, parce que la nation qui paie à elle-même ne souffre pas tant de la multitude de ses paiements, comme souffrirait une nation tributaire envers une nation étrangère : car il résulte de la force de ses recettes et de ses dépenses un grand mouvement d’argent et d’affaires dont le bien-être du peuple, il est vrai, n’est pas l’objet, mais dont le peuple tirera toujours quelque partie pour sa subsistance. 3° S’il y a des vues arrêtées sur le mode et l’époque du remboursement. Je fais cette dernière demande par le motif que les matières financières, comme toutes les branches de la haute administration, sont jugées d’après des principes universellement reconnus : il y a des règles fondamentales dont il n’est pas permis de s’écarter. C’est d’après ces règles qu’on a décidé que tout emprunt doit porter avec soi les principes de sa libération. Si à mes questions on répond d’une manière satisfaisante, je voterai, malgré mon aversion pour les emprunts, en faveur du projet, parce qu’il faut mettre le gouvernement à même de pouvoir remplir ses obligations : la probité est désormais pour les gouvernements leur condition d’existence ; le manque de foi est leur suicide.

M. Dumortier. - Messieurs, je demande à faire une motion d’ordre. Vous venez d’entendre un discours contenant des questions très délicates, et auxquelles il serait peut-être dangereux que M. le ministre des finances répondît en public. Moi-même j’ai à faire des questions de cette nature ; je demande en conséquence que la chambre se forme en comité général.

M. Angillis. - Je n'ai fait aucune question à laquelle on ne puisse répondre en séance publique.

M. Dumortier. - Quand ce serait vrai pour les questions que vous avez faites, il en est autrement de celles que j’ai à faire moi-même.

M. le président. - D’après l’article 30 du règlement, il faut que la demande de comité général soit faite et signée par 10 membres.

M. Ch. Vilain XIIII. - Quelles que soient les questions qui ont été faites, il est possible que les réponses n’exigent pas que la chambre se forme en comité général. Avant de voter sur la demande de M. Dumortier, je demande que M. le ministre nous dise s’il est d’avis que ses explications ne puissent avoir lieu qu’en comité secret.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Les questions posées jusqu’ici ne sont pas de nature à exiger un comité secret ; mais si on se proposait d’en faire auxquelles il serait dangereux de répondre publiquement, je demanderais moi-même que la chambre se formât en comité général.

M. Jamme. - Un comité général est parfaitement inutile. En général, ces comités n’ont jusqu’ici produit d’autre résultat que d’exciter une curiosité maligne. D’ailleurs, je soutiens que nos ressources financières sont en bon état et ne craignent pas le grand jour de la publicité.

M. Legrelle. - Je m’oppose aussi au comité général.

M. de Robaulx. - C’est inutile, il n’y a pas de proposition.

M. Dumortier. - Je retire ma proposition.

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Messieurs, la nécessité d’un emprunt est reconnue dans notre pays, à cause de l’impossibilité de pouvoir suffire autrement aux besoins de l’Etat, et à couvrir les dépenses nécessaires. Vous le savez, des dépenses considérables ont été faites en 1831 ; nous avons deux emprunts à rembourser. La nécessité est donc évidente pour tout le monde. Voici pour la première observations de M. Angillis. Quant à la seconde question, consistant à demander s’il n’y aurait pas possibilité de faire l’emprunt dans l’intérieur, je répondrai qu’il est dans l’intérêt bien entendu du pays d’appeler les capitaux étrangers. On nous a aussi demandé, en troisième lieu, quel était le mode selon lequel nous avons l’intention de contracter. Messieurs, l’intention du gouvernement est de faire l’emprunt à 5 p. c. et d’amortir tous les ans 1 p. c. du capital, de manière qu’il soit éteint au bout de 37 ans.

Voici les explications que je puis donner.

M. Lardinois présente diverses considérations sur le crédit public ; il ne consentirait à voter que pour un emprunt de 20 millions ; il aurait mieux aimé que le gouvernement fît une émission de bons du trésor.

M. Delehaye parle en faveur du projet.

M. Gendebien. - Il m’est impossible, messieurs, de donner mon assentiment à l’emprunt que le ministère nous propose. Ce n’est pas dans les circonstances où nous nous trouvons que nous pouvons emprunter à des conditions favorables. Ayons la patience d’attendre deux ou trois mois, et nous trouverons alors, soit à l’intérieur, soit à l’étranger, des prêteurs moins exigeants. Je pense d’ailleurs que nous pouvons nous dispenser, et même qu’il n’y a nulle nécessité aujourd’hui de faire cet emprunt. En effet, de quoi se composera la dépense du 1er trimestre 1832 ? d’abord d’une somme éventuelle de 6,533,332 fl. pour notre part dans cette dette honteuse, résultat du traité qui nous est imposé par la conférence. Mais remarquez qu’il n’y a encore nulle apparence que la Hollande accepte le traité ; et quand elle l’accepterait, croyez-vous que nous serions obligés de payer exactement aux époques fixées ? Non, il serait facile d’obtenir des délais. Les puissances, qui ne veulent pas la guerre, ne permettraient pas qu’elle eût lieu parce que nous demanderions un délai pour payer des acomptes.

Ensuite la dépense se composera du budget de la guerre, s’élevant à 7 millions, en calculant les frais de l’armée à raison d’un florin par homme, officier et soldat, et en supposant l’état de guerre et 87,000 hommes sous les armes. Remarquez que la dépense sera bien inférieure, puisque les équipements, les armes et le matériel sont neufs, et ne devront pas être renouvelés avant longtemps.

Mais de deux choses l’une : nous aurons ou nous n’aurons pas la guerre. Si nous avons la guerre, nous serons dispensés de payer les 6,533,332 fl. de la dette hollandaise. Si, au contraire, nous n’avons pas la guerre, nous n’aurons plus à faire les frais de l’armée sur le pied de guerre. Ainsi, l’une ou l’autre des deux sommes devra être retranchée.

Pour les dépenses des autres départements, bien qu’on puisse proposer des réductions considérables, j’admets qu’elles s’élèvent à une somme de 3,600,000 fl. ; le total de la dépense à faire serait tout au plus de 17 millions. Eh bien ! le budget des recettes pour 1832 s’élève à 37 millions, dont le quart est de 9,225,000 florins. Je suppose qu’on ne puisse recouvrer que le sixième de cette somme, il resterait à payer une dépense de 11 millions.

Maintenant vous avez 6 millions pour les domaines. Si vous exigez des acquéreurs des obligations à terme, le commerce, la banque ne se refuseront certainement pas à escompter ces effets. Il ne restera donc à payer que 5 millions environ. Eh bien ! si, conformément au dilemme que j’ai posé, nous n’avons plus à payer les 6 millions de la dette en cas de guerre, ou les frais extraordinaires du département de la guerre en cas de paix, je ne vois nulle nécessité actuelle de contracter, non seulement l’emprunt de 48 millions, mais même toute espèce d’emprunt, puisqu’il y aurait un excédant de ressources sur les dépenses.

Lorsque je considère, d’autre part, la légèreté avec laquelle on a fait des marchés, et les bénéfices usuraires des entrepreneurs, cette raison seule suffit pour m’empêcher d’accorder aux ministres les moyens de faire encore de pareilles légèretés. Je voterai donc contre l’emprunt.

M. le ministre des finances (M. Coghen) déclare que le gouvernement n’entend pas emprunter 48 millions tout d’un coup ; il ne le fera que dans le cas où les conditions seraient excessivement favorables. Je ne suis pas d’accord, ajoute-t-il, avec l’honorable M. Gendebien, quand il soutient que nous pouvons marcher avec nos ressources actuelles. Nous n’en avons pas de ressources, nous ne pouvons pas en avoir dans l’impôt. Quant à la vente des bois du domaine, je ferai remarquer d’abord que cette mesure n’est pas encore décrétée par la chambre, et, le fût-elle, rien ne garantit que le prix qui sera offert par les acheteurs soit assez élevé pour que le gouvernement consente à les vendre. Il faut absolument que nous satisfassions aux besoins de l’armée, tant pour sa solde que pour sa nourriture. Le crédit accordé sera épuisé à la fin du mois, et il nous faut 2,800,000 florins pour le 1er janvier.

Répondant à l’idée émise par M. Lardinois d’émettre des bons du trésor, le ministre fait observer que cette émission ne peut être faite que dans un pays où le crédit est déjà créé ; dans la position de la Belgique, une telle émission ne pourrait occasionner que des pertes pour l’Etat.

M. Jullien. - Messieurs, je commence à croire qu’il n’est pas de gouvernements qui coûtent plus cher aux peuples que les gouvernements à bon marché (on rit) ; en effet, on a débuté en vous demandant un emprunt de 12 millions ; à cet emprunt a succédé un emprunt de 10 millions, et voici venir aujourd'hui un emprunt de 48 millions. Cette progression est effrayante, et elle l’est d’autant plus que nous ne savons pas où nous allons ni où nous nous arrêterons.

Il y a trois questions à examiner dans la discussion du projet qui nous occupe : 1° Y a-t-il opportunité à contracter l’emprunt ? Et, s’il n’y a pas opportunité, y a-t-il au moins nécessité ? En troisième lieu, y a-t-il nécessité d’en porter le chiffre à 48 millions de florins ?

L’orateur examine successivement ces trois questions : il soutient, quant à la première, qu’il n’y a pas opportunité, parce que, si la paix se conclut, la Belgique se trouvera de jour en jour dans une position plus favorable, et pourra par conséquent obtenir des conditions meilleures.

L’orateur prouve qu’il n’y a pas nécessité de faire l’emprunt, parce que les deux premiers emprunts, s’élevant à 22 millions, ne sont pas remboursables avant longtemps ; et, d’un autre côté, il est fort incertain que l’on soit obligé de payer, comme l’on a dit, 18 millions de dette à la Hollande, attendu que le roi de Hollande ne veut pas souscrire aux 24 articles. Il ne veut pas reconnaître aux puissances le droit de traiter de lui et sans lui ; il ne veut pas de nos 18 millions ; car il ne cédera qu’à la force brutale, à la force qui détruit et abîme ; et, avant que l’emploi de ce moyen n’ait été mis en usage contre lui, il s’écoulera un assez long temps.

Si l’on examine le budget, il est très vraisemblable que des réductions nombreuses seront opérées, et cette considération vient à l’appui des précédentes pour renverser tous les motifs qu’on a donnés pour base à l’emprunt.

L’orateur termine par cette considération que, dans les autres circonstances où l’on est venu solliciter la chambre d’autoriser un emprunt, il a toujours été demandé que l’on justifiât de l’emploi du crédit des 22 millions ouvert par le congrès au ministère de la guerre, et que, cette justification n’ayant jamais été faite, il refusera constamment de voter en faveur du nouvel emprunt.

M. l’abbé de Foere adresse à M. le ministre des finances quelques interpellations. Les paroles de l’honorable membre n’arrivent pas jusqu’à nous.

M. Leclercq. - Messieurs, un honorable membre a remarqué que c’était le troisième emprunt que l’on venait demander à la chambre. Il a dit qu’on avait débuté d’abord par un emprunt de 12 millions, auquel avait succédé un emprunt de 10 millions ; et maintenant, il s’agirait d’un de 48 millions. Il y aurait, en effet, de quoi s’effrayer, messieurs, si cette énumération était exacte ; mais heureusement elle ne l’est pas. Et, pour ne pas laisser votre opinion s’égarer dans une discussion aussi importante, il est essentiel de dire qu’il n’y a, en effet, qu’un seul emprunt et non trois : car celui-ci est destiné à rembourser les deux autres. C’est donc dans cette hypothèse que nous devons raisonner. Entrons dès lors dans l’examen des questions qui en surgissent.

Elles sont au nombre de deux. L’emprunt est-il nécessaire ? L’emprunt est-il opportun ? La première de ces questions, c’est-à-dire la nécessité d’un emprunt, m’est évidemment démontrée : et, en effet, si je jette mes regards sur le budget, j’y vois, d’une part, que les dépenses sont évaluées à une somme de 71 millions, et que, de l’autre, les recettes ne s’élèvent qu’à la moitié de cette somme ; dès lors, il n’y a pas de milieu : ou il faut doubler les contributions, ou il faut contracter un emprunt. Doubler les contributions ! La chose est impossible : on éprouve assez de difficultés à prélever celles qui existent déjà. Il faut donc en venir à un emprunt, si les chiffres du budget sont exacts.

Mais, dit-on, ils ne le sont pas, et la partie des dépenses subira des réductions. Je pense aussi, moi, qu’il y aura moyen de réduire le budget des dépenses ; mais les réductions ne seront pas aussi considérables qu’on le donne à entendre : d’ailleurs, si les dépenses subissent une réduction, il est très probable que les recettes en subiront une aussi, et il y aura compensation.

Quant à la dette hollandaise, il ne faut pas se le dissimuler, messieurs : les puissances ont vu notre manière d’agir, elles savent ce que nous avons voulu, à quoi nous avons consenti ; et nous paierons la dette. Une circonstance seule pourrait nous en affranchir, la guerre générale. Mais à quel prix l’achèterions-nous ? Le budget de la guerre seule exigerait des dépenses énormes, et, quand en temps de paix nous ne pouvons qu’avec bien des difficultés obtenir la rentée des contributions, que serait-ce en temps de guerre ? Il y a donc nécessité de voter l’emprunt.

Y a-t-il opportunité ? Cette seconde question excite toute ma perplexité. Si les circonstances continuent à marcher comme elles marchent depuis quelque temps, nous devons attendre. Mais si, au contraire, la guerre venait à éclater, où trouverions-nous des fonds ? Oserions-nous mesurer aujourd’hui toute la responsabilité qui pèserait sur nous si la guerre éclatait, et que nous eussions manqué, par notre faute, l’occasion de la soutenir ? Pour moi, je l’avoue, j’éprouve une grande perplexité. Si la guerre éclatait et que j’eusse refusé de voter l’emprunt, j’aurais à me reprocher d’avoir causé la perte du pays. L’avenir m’est incertain. La paix paraît probable, mais la guerre peut avoir lieu ; je ne veux rien donner au hasard, et, tant qu’on n’aura pas répondu aux observations que je viens de faire, je croirais de mon devoir de voter pour le projet de loi.

M. Barthélemy. - Je suis parfaitement d’accord avec le préopinant, et j’approuve en tout point les considérations qu’il vient de faire valoir en faveur de l’emprunt. Je ne saurais par conséquent approuver la proposition faite par M. Jamme de réduire l’emprunt à 25 millions, sauf à faire plus tard de nouveaux emprunts à proportion des besoins. C’est voir les choses d’une manière fort étroite, et à mon avis, ce serait un vrai tripotage (hilarité générale) ; un Etat n’est pas une petite boutique. (Nouvelle hilarité.) M. Leclercq a vu les choses comme elles devaient être vues.

L’orateur soutient que les réductions à apporter au budget seront fort peu importantes. Il prouve l’urgence de l’emprunt par cette considération, que pendant les premiers mois de l’année il ne se fait point de rentrées par l’impôt dans les caisses du trésor, et qu’il est essentiel cependant de faire marcher le service pendant l’année entière.

M. Jamme. - Je demande la parole. (Réclamations presque générales.)

- Plusieurs membres. - M. Jamme a déjà parlé trois fois.

M. Jamme. - C’est pour un fait personnel. (Parlez ! parlez ! Non ! non !)

M. le président. - Si c’est pour un fait personnel, l’orateur a la parole.

M. Jamme. - Je dois dire d’abord, messieurs, que je ne répondrai pas aux raisonnements du préopinant, parce que je les trouve peu parlementaires. Vous vous souvenez de ce que j’ai dit dans mon premier discours à l’appui de ma proposition ; je livre mes paroles à votre critique. Mais il est un fait qui pourrait avoir jeté de l’inquiétude dans vos esprits : c’est ce que vous a dit M. Leclercq. (Murmures.)

M. le président. - Vous sortez de la question personnelle.

- Plusieurs voix. - Parlez ! parlez !

- D’autres voix. - Non ! non !

- L’assemblée décide qu’elle maintient la parole à M. Jamme. mais l'orateur n'ajoute qu'une phrase que nous n’avons pu saisir au milieu de l’agitation causée par cet incident.

M. A. Rodenbach. - Par intérêt pour ma patrie, je me crois en quelque sorte forcé d’autoriser le gouvernement à lever l’emprunt, d’autant plus que le ministre promet formellement qu’on ne le fera qu’au fur et à mesure des besoins et à des conditions favorables. Les motifs qui m’engagent à donner mon assentiment sont : que le peuple belge ne peut pas payer en 1832 plus que 30 millions. Les besoins de l’Etat sur le pied de paix sont de 60 à 70 millions ; il faut bien trouver le moyen de faire honneur à nos engagements. Si l’on pouvait mettre sur le pied de paix notre armée, je voterais contre ; mais vu que l’armée doit rester au grand complet, il nous faut de 60 à 70 mille florins par jour pour la soudoyer et l’entretenir. D’ailleurs, vous le savez, messieurs, nous avons affaire à la tête royale la plus opiniâtre du monde entier ; il est probable que, quand les cinq puissances auront ratifié le traité des 27 articles, Guillaume conservera encore son armée sur le pied de guerre dans l’espoir de ruiner ou de subjuguer la Belgique ; il est donc possible que dans six mois, peut-être dans un an, notre armée ne pourra point encore être réduite. Qui peut nous répondre qu’une guerre générale n’éclatera point en 1832 ? Dans ce cas, il nous faudrait des millions. Soyons prudents, et songeons à l’avenir et à l’indépendance du pays.

Au surplus, les ministres nous promettent expressément de ne point abuser de l’excessive confiance que nous leur accordons ; je me plais à croire que M. Coghen, que j’ai naguère préconisé dans cette enceinte, et que j’ai traité de ministre assez économe, ne me donnera point un démenti.

M. Dumont ne conteste pas la nécessité de l’emprunt, mais il ne trouve pas qu’on ait justifié le besoin d’en porter le chiffre à 48 millions. Il pense, quant à la dette hollandaise, que la Belgique aura des compensations considérables à lui opposer lors de la liquidation du syndicat d’amortissement, et il en tire la conséquence que ce n’est pas pour faire face à la dette que l’emprunt est nécessaire.

M. Lardinois, répondant à ce qu’a dit M. le ministre des finances relativement à l’émission des bons du trésor, fait remarquer que, si en temps de guerre, et l’orateur considère la Belgique comme se trouvant actuellement dans cet état, les bons subissaient une baisse, ils seraient portés au pair en temps de paix. Il cite à l’appui de son opinion l’exemple de la France qui, dans une circonstance récente, a préféré émettre pour 200 millions de bons du trésor que de recourir à un emprunt.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere). - Messieurs, quoique le projet ait été habilement défendu, je crois devoir ajouter quelques considérations à celles qui ont été émises. L’emprunt, a-t-on dit, est-il nécessaire ? Il est nécessaire, répondrai-je, au moins pour une partie. Il est nécessaire, d’abord, parce que les dépenses excèdent les recettes ; 2° parce que, si la paix a lieu, il faudra payer à la Hollande, dès le 1er janvier, la partie de la dette échue ; 3° parce que, si la guerre éclate, il est indispensable d’avoir une armée sur pied ; enfin, parce que la marche du gouvernement n’est assurée que tant qu’il fait face aux dépenses, et ces dépenses ne sont pas assurées dans les premiers mois de l’année, car dans les premiers mois la recette est nulle.

J’ajouterai maintenant, et déjà M. Leclercq l’a parfaitement établi, que l’emprunt est destiné à rembourser les emprunts déjà faits de 12 et de 10 millions. On n’a pas besoin pour cela, dit-on, de 48 millions. Sans doute, et le gouvernement n’est pas dans l’intention de prendre tout d’un coup cette somme ; et le voudrait-il, il ne le pourrait pas ; car si on fait un emprunt, le prêteur ne vous prêtera pas en une seule fois, il ne fera que des versements successifs. Le gouvernement n’ouvrira de suite un emprunt que pour les sommes actuellement nécessaires.

Il y a, pour faire l’emprunt demandé, une raison politique et une raison financière. Une raison politique : car vous savez quel est le système du roi Guillaume. Il tient une armée sur pied, tout en promettant de ne pas attaquer, parce qu’il espère que la nation belge périra d’inanition et n’aura pas de fonds pour faire face aux dépenses d’un armement prolongé. Il faut que la Belgique lui prouve qu’il se trompe, qu’elle compte sur son avenir, et qu’elle se met en mesure de l’assurer cet avenir.

Il y a une raison financière : car il nous faut établir le crédit de la Belgique, et ceci répond à celui des préopinants qui a parlé d’émettre des bons du trésor. Il faut d’abord fonder notre crédit ; il faut que les rentes belges soient cotées aux bourses des diverses places de l’Europe : alors votre papier sera apprécié à sa valeur, et vous pourrez risque sans crainte une émission de bons du trésor.

Un orateur a fait une observation touchant la liquidation du syndicat d’amortissement, et il a dit que la dette vis-à-vis de la Hollande pourrait être considérablement diminuée par la liquidation. D’après les 24 articles, nous devons payer immédiatement. La dette et la liquidation du syndicat exigeront un très long temps. Ce n’est pas dans deux mois, ni dans deux ans peut-être, que l’on parviendra à liquidé le syndicat, quand, par son moyen, on a, pendant dix ans, cherché à embrouiller les finances du royaume.

L’orateur termine en insistant sur la nécessité de l’emprunt ; il affirme que le gouvernement n’empruntera pas pour le plaisir d’emprunter ; on ne fera que s’assurer des sommes nécessaires pour assurer la marche du gouvernement jusqu’au 1er janvier 1832. Alors, dit-il, les recettes suffiront pour faire face aux dépenses, et, si la paix se maintient, par une administration sage et bien entendue, au bout de quelques années, le déficit occasionné par la révolution sera comblé.

M. Seron. - Amen !

- Après des observations nouvelles de M. Jullien, combattue par M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere), et quelques mots prononcés par M. l’abbé de Foere, que nous n’avons pas pu saisir, la clôture de la discussion est réclamée de toutes parts et prononcée.

Discussion des articles

Article premier

M. le président lit l’article premier ainsi conçu : « Le gouvernement est autorisé à contracter un emprunt jusqu’à concurrence d’un capital de 48 millions de florins. »

M. le ministre des finances (M. Coghen). - Quelques membres ont paru croire que le gouvernement contracterait d’un seul coup un capital de 48 millions, et les termes de la loi sembleraient autoriser à le croire. Pour apaiser ces craintes, je propose de rédiger ainsi l’article premier : « Le gouvernement est autorisé à emprunter jusqu’à concurrence, etc. »

- Ce changement de rédaction est mis aux voix et adopté.

M. le président. - On a proposé trois amendements. Les deux premiers, de MM. Jamme et Lardinois sont identiques ; ils consistent à n’autoriser l’emprunt que jusqu’à concurrence de 25 millions. Le troisième est de M. Mary ; il est ainsi conçu :

« Le gouvernement est autorisé à emprunter jusqu’à concurrence d’un capital au maximum de 20 millions de florins. Cet emprunt se fera avec publicité et concurrence. »

M. Mary développe son amendement.

M. le ministre des finances (M. Coghen) convient qu’il y a avantage dans le mode de concurrence, mais il soutient que le crédit d’une nation doit être solidement établi pour que ce mode ait quelque succès.

M. Gendebien appuie l’amendement de M. Mary comme tendant à rendre la loi moins mauvaise ; il déclare, au reste, qu’il votera contre la loi même avec l’amendement.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) combat le système d’adjudication, d’abord parce que le temps presse, et qu’il faut des fonds avant le mois de janvier ; et, si l’on avait le temps de faire d’ici là une adjudication, cette adjudication pourrait n’avoir pas de suite ; les offres étant faites au-dessous du minimum fixé, il faudrait procéder à une adjudication nouvelle, ce qui entraînerait de nouveaux délais. L’adjudicataire pourrait, en outre, ne pas remplir ses obligations, et alors le gouvernement se trouverait dans le même embarras. Il gagnerait, il est vrai, le cautionnement que l’on est dans l’usage d’exiger de l’adjudicataire, mais le cautionnement ne remplace pas l’emprunt.

L’orateur cite un exemple récent, arrivé à propos d’un emprunt contracté. Le prêteur n’a pas eu les reins assez forts pour remplir ses obligations, et il a fallu résilier l’emprunt.

M. Leclercq. - Je demande si le gouvernement est dans l’intention de contracter un emprunt actuel de 20 millions seulement, sauf à contracter plus tard de nouveaux emprunts jusqu’à la somme fixée par la loi ; ou s’il entend contracter, tout d’abord, l’emprunt en entier, sauf à ne le toucher que par partie : dans ce cas, il voterait pour la loi ; dans le premier cas, il ne verrait pas la nécessité d’autoriser l’emprunt pour une somme plus forte que les besoins actuels.

M. le ministre des finances (M. Coghen) répond que son intention n’est de contracter un emprunt que pour les besoins actuels ; mais que si l’horizon se rembrunissait, il serait bien aise d’être muni d’une autorisation de contracter un emprunt plus considérable, parce que le cas arrivant, s’il fallait, pour emprunter, recourir à la législature, il serait peut-être trop tard.

M. Gendebien soutient qu’il faut admettre le mode proposé par M. Mary. Le huis-clos ne peut servir qu’à engraisser de gros entrepreneurs en écartant la concurrence.

M. le ministre de la guerre (M. Ch. de Brouckere) soutient qu’il faut que l’adjudication ait lieu secrètement, afin que le public, ignorant le taux de l’emprunt, le prêteur puisse le placer avec avantage à la bourse.

M. Barthélemy. - Je demande la parole.

M. Gendebien. - Je demande la parole. (Non ! Vous avez parlé plus de deux fois !)

M. Ch. Vilain XIIII. - Je demande la clôture.

M. Gendebien. - Je demande la parole pour une motion d’ordre.

M. Barthélemy. Je l’avais demandé avant vous.

M. Gendebien. - On ne peut pas m’opposer que j’ai parlé trois fois, car le ministre vienne de parler le dernier, et je demande la parole pour lui répondre ; un ministre ne doit jamais être entendu le dernier.

M. Ch. Vilain XIIII. - Je demande à parler sur la motion d’ordre. Un ministre se trouve ici en présence de 102 membres ; il a le droit de parler autant de fois qu’il y a de membres, car il doit pouvoir répondre à tout ce qui se dit. (Murmures et agitation prolongée.)

M. de Robaulx, vivement. - C’est un calcul ridicule et puéril. Il s’agit ici de 48 millions ; les représentants de la nation doivent avoir le droit de se faire entendre quand ils le demandent.

M. Barthélemy. - Nous nous trouvons dans la même situation que la France en 1814, qui contracta, à huis-clos, un emprunt à 75 p. c. Par la suite elle obtint des conditions plus avantageuses. Nous devons imiter son exemple, et ne pas nous mettre à la merci de tous les malotrus qui viendraient nous offrir moins que nous ne valons. (On rit.)

M. Gendebien. - Le ministre m’a fait une réponse assez subtile. Le huis-clos a-t-il dit, profite aux entrepreneurs ; mais il est nécessaire pour que le public ne sache pas à quel taux on contracte ? Et pourquoi n’obtiendrait-il pas un taux aussi favorable par la publicité quand on ignore ce taux avec l’adjudication ? On a dit que, si l’entrepreneur gagnait beaucoup, cela tournait au profit de l’Etat. Mais le gouvernement, en admettant ce cours, peut gagner comme l’entrepreneur. Vous voyez donc que vous êtes placés dans un cercle tout à fait vicieux. Laissez le bénéfice à l’emprunteur, et ne l’abandonnez pas aux prêteurs. (Aux voix ! aux voix !)

M. Poschet. - Je crois que nous devons voter l’emprunt pour mettre la nation à même de faire face aux besoins et de supporter la guerre ; nous le devons encore pour montrer à l’Europe que nous avons confiance dans le gouvernement. Quant à moi, j’ai cette confiance, et je voudrais que les membres qui attaquent toujours les ministres, s’habituassent enfin à les regarder comme un mal nécessaire. (Rire général.)

M. Gendebien. - C’est injurieux pour la chambre.

M. Poschet. - Oui ! oui ! C’est bon !

- On demande de toutes parts à aller aux voix sur l’amendement de M. Mary.

Plusieurs membres demandent la division.

- La première partie est mise aux voix et rejetée.

M. le président. - Je vais mettre aux voix la seconde partie, qui serait ainsi conçue :

« L’emprunt se fera avec publicité et concurrence. »

M. H. de Brouckere. - Je crois qu’il faudrait ne voter que sur cet amendement, qu’après que nous aurons décidé qu’il y aura emprunt. C’est un article additionnel à l’article premier.

M. Lardinois déclare retirer son amendement.

M. Jamme persiste dans le sien. Il est mis aux voix et rejeté.

- On passe à l’article premier du projet.

M. Devaux. - J’aurais désiré ne voter qu’un emprunt de 25 millions ; mais, puisque la chambre en a décidé autrement, j’adopterai l’article premier. Cependant je voudrais qu’il fût déclaré, comme cela fut fait par le congrès, qu’il ne sera contracté qu’à 5 p. c.

- Sur les observations de M. H. de Brouckere et de M. le ministre des finances (M. Coghen), M. Devaux renonce à sa proposition.

L’article premier est adopté.

M. le président met ensuite aux voix la deuxième partie de l’amendement de M. Mary comme article additionnel à l’article premier. Il est rejeté.

Article 2

« Art. 2. Il sera rendu compte aux chambres de toutes les opérations relatives à la négociation autorisée par l’article premier, aussitôt que les circonstances le permettront. »

M. Dumont propose un amendement ainsi conçu : « Une somme égale à celle de 6 p. c. sera affectée au remboursement de la rente et à l’amortissement du capital. »

- Cet amendement, combattu par M. Dumortier et M. Barthélemy, est mis aux voix et rejeté.

L’article 2 est ensuite adopté.

Vote sur l’ensemble

On passe à l’appel nominal sur l’ensemble du projet de loi. En voici le résultat : Sur 78 votants, 71 se sont prononcés pour et 7 contre.

Voici les noms des opposants : MM. de Foere, de Robaulx, Desmet, Dumont, Gendebien, Jullien et Seron.

La séance est levée à 4 heures et demie.