(Moniteur belge n°171, du 3 décembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à midi moins un quart.
M. Lebègue fait l’appel nominal.
M. Dellafaille lit le procès-verbal ; il est adopté.
M. Lebègue fait l’analyse de quelques pétitions, qui sont renvoyées à la commisison.
L’ordre du jour est la suite de la discussion sur la prise en considération du projet de la commission d’enquête.
MM. Jullien et Gendebien, qui se trouvaient les premiers sur la liste des orateurs inscrits pour, n’étant pas présents, M. de Robaulx demande la parole et l’obtient.
M. de Robaulx. - Messieurs, je ne me proposais pas de prendre la parole, parce que la discussion me semblait déjà avoir été trop longue. Mais puisque je vois aujourd’hui plusieurs orateurs, qui avaient déjà été entendus, demander de nouveau la parole, je crois pouvoir aussi présenter à la chambre quelques brèves observations.
Nous offrons depuis quelques jours un singulier spectacle, messieurs : nous avions ordonné l’enquête à l’unanimité, et, lorsqu’il s’agit de procéder à cette enquête, la majorité de la chambre, je le présume du moins par les objections qu’on présente, la majorité veut rejeter les moyens nécessaires pour l’enquête. C’est qu’on ne veut pas d’enquête, je ne tranche pas le mot. Eh bien ! moi, je m’expliquerai franchement : je déclare que, si j’avais l’intention de rejeter l’enquête après l’avoir votée, ce ne pourrait être, quant à moi du moins, que parce que la commission, telle qu’elle est composée, ne me conviendrait pas ; que parce que j’y verrais figurer les noms des Blargnies, des Gendebien, des Leclercq. Je ne sais si ce sont là aussi les motifs de la majorité ; mais, quant à moi, je le répète, s’il pouvait arriver que je voulusse rejeter l’enquête après l’avoir votée, je ne saurais en avoir d’autres.
L’orateur répond aux diverses objections qui ont été faites contre le projet de la commission. Il réfute l’opinion de M. Lebeau consistant à dire qu’un ministre, dans le cas où il serait coupable, serait dans la nécessité de se parjurer ou de donner des armes contre lui. Quant à ce qu’on a dit de la constitution anglaise, il ne peut en aucune façon l’admettre, parce que, selon lui, il n’y a véritablement pas de constitution en Angleterre, parce qu’il ne peut y avoir de constitution là où tout se fait par la législature.
L’orateur, après plusieurs observations en réponse à celles présentées par divers membres, termine en disant que, du temps de Guillaume, quand il se présentait une question de pouvoir, tous les Hollandais qui se trouvaient dans cette enceinte se levaient pour accueillir les propositions favorables à la royauté et repousser celles qui étaient dans l’intérêt du peuple. Aujourd’hui il n’y a pas plus de Hollandais dans cette chambre, et cependant voyez si les intérêts et l’honneur du peuple y sont mieux conservés.
M. Van Meenen passe en revue tous les arguments qu’on a invoqués en faveur de la prise en considération ; il les combat un à un, et termine en rappelant la lutte qu’il a soutenue seul pendant longtemps contre le roi Guillaume et ses ministres.
Je respecte, ajoute-t-il, les membres de la commission ; mais ils ne sont pas infaillibles ; qu’ils s’examinent et se tâtent ! N’y a-t-il pas en eux quelques ressentiments, quelques rancunes qui les mèneraient bien plus loin qu’ils ne l’auraient voulu dans le principes ? Car l’expérience nous apprend que souvent des hommes honorables ont été entraîné fort au-delà de ce qu’ils avaient prévu et voulu. Et, à ce sujet, je vous citerai un témoignage qui ne sera pas récusé de vous. Ici, l’orateur lit un passage des mémoires de M. le comte de Lavalette, ainsi conçu :
« De toutes les leçons que présente l’histoire des passions humaines, il en est une surtout sur laquelle le moraliste doit insister avec force : c’est l’impossibilité où seront toujours, même les plus honnêtes gens, de s’arrêter dans la route de l’erreur, une fois que les passions les y auront entraînés. Certes, si, peu d’années avant l’époque de tant de crimes, on eût présenté à tous ces hommes, devenus si barbares, le tableau de tous ce dont ils se sont rendus coupables, il n’en est pas un, Robespierre lui-même, qui n’eût reculé d’épouvante. On caresse d’abord des théories, l’imagination échauffée les présente sous un aspect utile et d’une exécution facile ; on les met à l’œuvre, on avance, sans s’en apercevoir, d’erreurs en fautes, de fautes en crimes : bientôt l’esprit empoisonné gâte et dessèche toute sensibilité, et finit par décorer du nom de raison d’Etat les plus horribles excès. »
Je voterai, continue l’orateur, contre la prise en considération ; et si, malgré mes efforts et ceux de mes honorables amis, le projet est pris en considération et par suite adopté et converti en loi, je déclare dès à présent devant les membres de la représentation nationale, j’en prends devant tous l’engagement solennel (et je le dis tout haut pour que personne n’en prétende cause d’ignorance), dès ce moment la commission peut exercer contre moi ses investigations, et elle peut être sûr que tout ce qui me reste d’énergie et de moyens sera employé pour renverser une aussi odieuse tyrannie.
M. Jullien. - A cette discussion si longue, si compliquée, si passionnée même, et dans laquelle nous avons entendu des objections si surprenantes, il ne manquait plus que l’incident plus bizarre encore dont nous avons été témoins, c’est-à-dire, la discussion sur la question de savoir si la chambre a le droit d’enquête, après qu’elle a fait cette délégation à la commission qu’elle a nommée.
Après cet exorde, l’honorable membre entre dans la discussion des principes ; il s’attache à réfuter les principales objections qui ont été présentées dans les séances précédentes, et finit en renouvelant la proposition qu'il a fait lors de son premier discours, de donner à la commission d’enquête, ainsi qu’on l’a fait en France, les pouvoirs déférés aux juges d’instruction, ce qui lui suffira pour remplir sa mission.
M. Morel-Danheel présente de courtes considérations pour motiver son vote, qui sera contraire à la prise en considération.
M. Gendebien parle une seconde fois en faveur de la prise en considération.
- Après le discours de M. Gendebien, plusieurs membres demandent la clôture.
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Je demande la parole. (Non ! non ! La clôture ! la clôture !)
M. Destouvelles, vice-président, à qui M. de Gerlache a cédé le fauteuil. - Messieurs, quand un ministre demande la parole, vous savez qu’il doit l’obtenir. (La clôture !)
M. le ministre de la justice (M. Raikem). - Si l’on persiste à demander la clôture, je renoncerai volontiers à la parole, d’autant plus que je n’entendais pas parler, en ce moment, comme ministre, mais comme député. (La clôture ! la clôture !)
M. le président. - Il y a encore plusieurs orateurs inscrits.
M. Rogier. - On n’a jamais empêché les orateurs de motiver leur vote dans une discussion aussi importante.
M. Helias d’Huddeghem. - Messieurs, je n’ai pas encore été entendu ; cependant, comme membre de la commission, je crois qu’il est de mon devoir de motiver mon vote. Je demande que la discussion soit continuée.
M. Lebeau. - Je ne m’oppose pas à ce que, par un motif de convenance, on entende M. Helias d’Huddeghem ; mais je ne veux pas qu’il vienne réclamer comme un droit à la faveur d’être entendu, parce qu’il est membre de la commission. Les membres d’une commission sont comme tous les autres députés : ils sont nos égaux, et ne peuvent obtenir la parole qu’à leur tour et quand ils trouvent bon de parler. Ce droit n’est accordé qu’aux ministres. Je le répète, je ne m’oppose pas à ce que M. Helias soit entendu, mais je ne veux pas qu’il se considère comme ayant le droit de l’être.
M. Helias d’Huddeghem. - M. Lebeau m’a mal compris. Je n’ai pas dit que j’avais le droit d’être entendu, mais que je croyais de mon devoir de motiver mon vote.
- Les cris : La clôture ! se renouvellent ; elle est mise aux voix et adoptée.
On procède ensuite à l’appel nominal sur la prise en considération. En voici le résultat : votants, 82 ; pour, 31 ; contre, 48.
Trois membres se sont abstenus.
La prise en considération du projet de la commission est rejetée.
Ont voté pour : MM. Berger, Blargnies, Bourgeois, Ch. Coppens, Corbisier, Dams, de Haerne, Dellafaille, de Meer de Moorsel, de Robaulx, Desmet, d’Hoffschmidt, d’Huart, Dubus, Fleussu, Gendebien, Helias d’Huddeghem, Jullien, Lardinois, Lebègue, Leclercq, Liedts, Pirmez, Pirson, Raymaeckers, A. Rodenbach, Seron, Tiecken de Terhove, Vergauwen, Watlet, Zoude.
Ont voté contre : MM. Barthélemy, Boucqueau de Villeraie, Coghen, Coppieters, Dautrebande, H. de Brouckere, Delehaye, W. de Mérode, de Muelenaere, de Nef, de Roo, de Sécus, Desmanet de Biesme, de Terbecq, de Theux, Devaux, de Woelmont, Dugniolle, Dumont, Goethals, Lebeau, Lefebvre, Legrelle, Le Hon, Mary, Milcamps, Morel-Danheel, Nothomb, Olislagers, Polfvliet, Poschet, Raikem, Serruys, Thienpont, Ullens, Vandenhove, Vanderbelen, Van Innis, Van Meenen, Verdussen, Verhagen, Ch. Vilain XIIII, H. Vilain XIIII, Vuylsteke, Destouvelles, F. de Mérode.
MM. Davignon, Duvivier et Rogier se sont abstenus.
M. le président, invite, conformément au règlement, les trois honorables membres à expliquer les motifs de leur abstention.
M. Davignon donne pour motif qu’ayant été absent pendant quelques jours, il n’a pas assisté à la discussion.
M. Duvivier. - Messieurs, ayant eu l’honneur de faire partie du conseil de M. le régent, comme chargé ad interim du portefeuille du ministère des finances, à l’époque où l’on paraît vouloir porter plus particulièrement les investigations et les recherches de l’enquête, je me vois par là « partie intéressée. » Dès lors, messieurs, ma conduite ne pouvait être autre que celle que commande cette position, c’est-à-dire que je devais m’abstenir de prendre part au vote sur le projet soumis à votre délibération. Je ne doute pas, messieurs, que cette détermination, que j’ai prise après mûre réflexion, n’obtienne l’approbation de la chambre. (Bravo ! bravo !)
M. de Robaulx. - Bravo ! C’est une leçon pour les autres.
M. Rogier. - Messieurs, une absence de deux jours, que j’ai été obligé de faire pour un service urgent, m’a empêché d’assister à la discussion. D’un autre côté, la chambre a ordonné la clôture avant que j’eusse été entendu. Je demande donc encore un peu de patience à l’assemblée pour lui donner lecture du discours que je me proposais de prononcer. (Non ! non ! Réclamations générales. Agitation prolongée.) Mon discours n’est pas long. (Nouvelles et vives réclamations.)
Voix nombreuses. - La discussion est close. Expliquez seulement les motifs de votre abstention.
M. Lebeau. - Permettez à M. Rogier de prononcer son discours, ce serait rouvrir la discussion générale ; c’est là un précédent fâcheux que nous ne devons pas établir.
M. Rogier. - Tout orateur qui prend la parole désire se faire écouter, vous avez, dans ce désir naturel à tous, une garantie qu’on n’abusera pas de ce précédent.
M. Ch. Vilain XIIII et M. H. de Brouckere demandent à la fois la parole pour un rappel au règlement.
M. le président. - Voici ce que dit l’article 20 en discussion : « Tout membre qui, présent dans la chambre lorsque la question est mise aux voix, s’abstient de voter, sera invité par le président, après l’appel nominal, à faire connaître les motifs qui l’engagent à ne pas prendre part au vote. »
M. H. de Brouckere, s’étayant du texte de cet article, soutient que l’orateur ne peut être entendu sur le fond de la question que la chambre a décidée, mais seulement sur les raisons qui l’ont empêché de voter.
M. Rogier. - Je dirai alors que je n’ai pas pu voter parce qu’on a prononcé la clôture avant que j’eusse pu parler.
M. Gendebien. - Je ne pense pas qu’on puisse empêcher M. Rogier, de prendre la parole, sauf à la chambre à le rappeler à la question s’il s’en écarte. (Appuyé ! appuyé !)
M. Rogier. - La manière dont on m’enferme dans le règlement m’interdira de m’expliquer comme je l’aurais fait ; cependant je dois dire que le projet de la commission…
M. le président. - Vous ne pouvez pas parler sur le fond. (Agitation.)
M. Rogier. - Enfin, messieurs, j’aurais voté contre la prise en considération, tout en insistant pour que l’enquête eût lieu, mais en y procédant par des moyens plus constitutionnels.
M. le ministre des finances (M. Coghen) présente le budget de son département pour l’année 1832. Le chiffre du crédit demandé par le gouvernement pour cet exercice s’élève à la somme de 53,556,000 fl.
- La séance est levée à trois heures et demie.