Accueil Séances Plénières Tables des matières Biographies Documentation Note d’intention

Chambres des représentants de Belgique
Séance du vendredi 28 octobre 1831

(Moniteur belge n°137, du 30 octobre 1831)

Projet de loi qui autorise le gouvernement à signer le traité de séparation entre la Belgique et la Hollande

Formation du comité secret

Dans le comité général du 28, on a entendu 12 orateurs.

M. F. de Mérode, M. Milcamps, M. de Theux, et M. Morel-Danheel ont prononcé des discours en faveur de l’acceptation.

M. Dumortier, M. Davignon, M. Helias d’Huddeghem et M. de Haerne ont parlé contre.

M. Destouvelles a parlé contre les articles, et a déclaré qu’il s’abstiendrait de voter.

M. Angillis a parlé sur les articles, et a déclaré qu’il voterait probablement pour.

Nous donnons ci-après les discours de MM. Dumortier, Helias d’Huddeghem, Milcamps et Jaminé.


M. Dumortier. - Messieurs, dans les circonstances difficiles où la Belgique se trouve aujourd’hui placée, au moment où nous allons donner un vote d’où peuvent dépendre les destinées de la patrie, chacun de nous a senti toute l’importance de l’acte que nous sommes appelés à consacrer.

Après une année entière de crises et d’anxiété, de privations et de sacrifices, les puissances nous ont signifié des conditions finales et irrévocables ; elles viennent nous imposer un traité d’une révoltante injustice, dans lequel nos souvenirs historiques, nos affections les plus chères, nos intérêts les plus évidents, nos droits les plus sacrés, sont tour à tour foulés aux pieds et sacrifiés à notre rivale ; dans lequel notre territoire est lacéré, nos frères abandonnés à un ennemi perfide et haineux, et nous, devenus tributaires de ceux que nous avions chassés de notre territoire. Ce n’est pas tout encore, et pour comble d’avanie, c’est au nom de la justice et de l’équité, c’est en proclamant à la face des nations l’intention de nos assurer de bonnes frontières, d’alléger les fardeaux et de favoriser la prospérité des deux Etats, que la Belgique est en tout sacrifiée, immolée à la Hollande, et réduite à conserver l’existence sous le bon plaisir de son ennemi.

Je ne vous dirai pas, messieurs, tout ce qu’a d’amer, tout ce qu’a de douloureux une aussi dérisoire perfidie : l’indignation unanime qui accompagne la lecture de cet acte inique, parle bien plus haut que les pages les plus éloquentes. Je me bornerai à vous montrer les grandes raisons qui nous empêchent de souscrire aux volontés de la conférence, et nous imposent le devoir de temporiser.

Un éloquent orateur a traité la question sous le rapport de l’intérêt européen : pour moi, qui ne suis pas diplomate, mais bien représentant de la nation, je vais l’envisager sous le rapport de l’intérêt de mon pays.

La Belgique, telle que les 24 articles la circonscrivent, est désormais privée de frontières naturelles, et ouverte de tous côtés à la Hollande, tandis que celle-ci, inattaquable par ses forteresses, pourra à chaque instant nous envahir, sans que nous puissions lui opposer la moindre résistance, et cela sous un roi qui ne nous pardonnera jamais d’avoir exclu sa dynastie. La rive droite de la Meuse, cette partie si indispensable pour notre commerce avec l’Allemagne, et qui de tout temps nous avait appartenu, est concédée à la Hollande, qui demeure ainsi maîtresse de consentir à nous laisser exercer un commerce que son propre intérêt lui prescrit de nous interdire.

Après vous avoir montré, dans une séance précédente, la décadence future de notre industrie, et l’impossibilité de la relever, j’ai été étonné d’entendre un orateur avancer que la conférence avait résolu la question commerciale en notre faveur. Eh quoi ! On viendra proférer un pareil système, lorsque nous sommes privés de tout rapport avec l’Allemagne, si ce n’est sous le bon plaisir de la Hollande, qui, le traité vous l’apprend, « ne s’y refuserait pas » ! Peut-il tomber dans la tête de qui que ce soit, que la Hollande, après avoir soutenu une lutte de trois siècles pour faire à elle seule le commerce de l’Allemagne, viendrait aujourd’hui à vous y laisser participer ? Messieurs, la question du commerce de l’Allemagne est pour nous une question de vie ou de mort : avec lui nous pouvons exister ; sans lui, il faut périr. Et qui deviendra un objet de cette importance, lorsque nos intérêts seront confiés à la rivalité du commerce hollandais, à ce gouvernement qui s’est bien promis, par ses organes officiels, de nous faire tout le mal qu’il lui serait possible ? Messieurs, remarquez-le bien, tout ce qui, dans les 24 articles, est stipulé en faveur de la Hollande est formel et positif ? Au contraire, les intérêts de la Belgique y sont-ils traités ? Rien n’est clair, rien n’est positif, tout est laissé dans un vague effrayant. Sous le rapport de nos intérêts commerciaux, que nous importent les bruyères sauvages des Ardennes que l’on nous laisse au prix du Limbourg, qu’à titre de compensation l’on nous enlève ? Nous ne sommes plus maîtres ni d’un fleuve, ni d’une rivière ; nous sommes en tout livrés à la merci de nos ennemis.

Mais, vous a-t-on dit, vous avez une garantie de l’exécution des faveurs commerciales que l’on vous accorde, dans le paiement du tribut qu’on vous impose. Eh ! qu’elle sera dérisoire cette garantie, lorsque la dette inscrite à votre grand livre aura passé entre les mains des tiers ! Je vous le demande, pourrez-vous alors avec justice rendre ceux-ci responsables de l’inexécution des promesses de la Hollande ? Oui, messieurs, les protocoles que vous avez rejetés avec indignation étaient cent fois moins désastreux que les 24 articles que l’on vous impose. Alors du moins vous conserviez des frontières, vous étiez maîtres de votre territoire, vous aviez un commerce indépendant de la Hollande, et qui vous aurait bientôt compensé des pertes que vous aurez dû faire. Aujourd’hui, au contraire, accablés sous le poids énorme d’une dette étrangère, vos intérêts abandonnés à vos plus mortels ennemis, vous ne pouvez traîner qu’une existence éphémère, et bientôt vous devrez succomber.

Si maintenant il m’était donné d’en appeler à votre cœur, je vous montrerai combien est odieux l’acte que les puissances vous appellent à consommer. Oui, messieurs, s’il est quelque chose de sacré sur la terre et qui unisse les hommes par des liens indissolubles, c’est assurément la communauté du malheur. Et vous irez abandonner lâchement aujourd’hui ceux qui, comme vous, plus que vous peut-être, ont abhorré le joug du gouvernement hollandais, ceux qui vous ont aidé à faire votre révolution ! Et dans quel moment livrez-vous ainsi vos frères à un implacable ennemi ? Alors même que le sol de l’héroïque Pologne est encore fumant du sang des victimes, est encore frémissant sous les coups des bourreaux ; alors que le corps de Menotti ne semble avoir été enlevé du sol qui lui dut la liberté que pour apprendre aux civilisations les plus abjectes les horreurs des restaurations. Quel est celui d’entre vous qui, dans un pareil moment, aura l’inhumanité de livrer ceux qui, depuis 2,000 ans, furent vos frères, qui se liguèrent avec vos pères contre la tyrannie romaine, et avec vous-mêmes contre le despotisme hollandais ? Auriez-vous donc oublié que, tandis que la Belgique songeait à peine à s’opposer à la tyrannie des Nassau, le Limbourg vous en donnait l’exemple ? Et c’est lui que vous expulsez aujourd’hui ! Les populations que vous bannissez de notre antique famille n’ont-elles pas avec vous voté l’expulsion de la maison d’Orange ? Et lorsqu’il s’agira de les replacer sous le sceptre de fer d’un implacable ennemi, lorsque le moment sera venu d’expulser leurs mandataires de cette enceinte, quel est celui d’entre vous qui voudra consentir à faire marcher ce convoi funèbre ? Quel est celui qui aura la barbarie de lancer à leurs députés ce foudroyant anathème : « Sortez de cette enceinte, retournez dans vos foyers. Sortez ! Vous n’êtes plus les représentants d’un peuple libre, vous êtes les esclaves d’un tyran ! »

Que si vous étiez insensibles au malheur de vos frères, songez du moins à votre propre avenir. Accablée, dès ses premiers jours, sous le poids d’une dette énorme et disproportionnée à ses ressources ; forcée de prélever de lourds impôts pour payer à la Hollande le tribut humiliant auquel vous aurez consenti ; exposée sans cesse aux vexations de sa rivale ; privée des premières sources de prospérité commerciale ; surchargée enfin d’une nombreuse population ouvrière sans ouvrage et mourant de faim, la Belgique mutilée, chétive et misérable, sera contraindre à venir mendier à la Hollande un libérateur. Que vous aura alors servi cette révolution que vous appelez glorieuse ? Rien, qu’à montrer aux générations futures comment une première faiblesse peut amener l’avilissement des nations.

Oui, messieurs, avec les 24 articles qui vous sont soumis, la restauration devient inévitable. Et comment pourrait-elle ne pas arriver lorsque notre sol sera ouvert sur tous les points à la fois, sans que nous ayons une seule position militaire à lui opposer ; lorsqu’il sera à deux lieues de Liége, à trois de Gand, à deux journées de la capitale, et que vous aurez été désarmés par la conférence ? Voilà, messieurs, où les 24 articles nous précipitent d’une manière irrésistible. Les admettre, c’est souscrire invinciblement à la restauration ; et alors, remarquez-le bien, vous ne serez plus les égaux des Bataves, vous serez des rebelles et des vaincus, et, à ce titre, traités par des maîtres hautains comme les esclaves les plus vils, et les plus abjects.

Mais, dira-t-on, les conditions sont finales et irrévocables, et nous sommes sous le poids d’une inexorable nécessité qui ne nous laisse qu’un seul parti, celui de courber la tête sous la loi du plus fort.

Messieurs, ne préjugeons pas aussi légèrement une question de cette importance, et n’exagérons pas le danger qui paraît nous menacer. La peur, vous le savez, est mauvaise conseillère, et la faiblesse accompagne toujours celui qui sacrifie sur ses autels.

Sans doute, s’il était démontré qu’aucune autre voie de salut n’est possible, que les 24 articles sont pour nous l’ancre de miséricorde, alors je concevrais les craintes de plusieurs des préopinants. Mais, messieurs, l’expérience ne nous a-t-elle pas appris ce que sont les conditions finales et irrévocables de la conférence, ce qu’il faut attendre de ses menaces ? Et vous savez tous fort bien qu’il lui est beaucoup plus facile de les faire que de les exécuter. Pour moi, je vous l’avoue, je cherche partout cette imminence inexorable dont on vous a parlé si haut, et, je dois le dire, je ne puis la trouver nulle part.

Quelle sera donc, je le demande, la puissance chargée d’exécuter les hautes œuvres de la conférence ? Sera-ce l’Angleterre ? Mais, messieurs, auriez-vous donc oublié que la chambre des communes, que le peuple anglais ont les yeux ouverts sur la Belgique, et qu’ils ne souffriront pas que cette même flotte, qui affranchit notre pays du tribut aux barbaresques du Sud, viennent aujourd’hui nous imposer un tribut aux barbaresques du Nord ? Auriez-vous oublié que notre Roi est le fils aîné de l’Angleterre, et que son élévation sur le trône de la Belgique est l’événement le plus important pour le peuple anglais ? Et vous pourriez croire que cette nation, qui a un intérêt si direct à notre conservation, consentirait à venir nous forcer à accepter des conditions ruineuses, humiliantes, qui tôt ou tard doivent détruire cet important ouvrage ! Apprenez, messieurs, à mieux juger les gouvernements et comprenez enfin que la politique des roi, c’est leur intérêt.

L’intérêt de l’Angleterre, c’est, avant et par-dessus tout, la séparation de la Belgique d’avec la France. C’est pour y parvenir qu’elle a fait, pendant 25 ans, une guerre pénible et ruineuse, et que maintenant encore elle est disposée aux plus grands sacrifices pour une question d’où dépend toute son existence. L’Angleterre a cru, pendant quelques temps, pouvoir relever les morceaux du trône brisé par le canon de septembre, et alors ses efforts tendirent constamment vers ce but. Maintenant qu’elle a reconnu l’impossibilité d’un pareil résultat, son intérêt exige qu’elle cherche à affermir et à consolider une combinaison qui lui offre les plus grandes garanties possibles de consistance et de stabilité. En nous forçant à adhérer à des conditions qui violent aussi évidemment nos affections les plus chères et nos intérêts les plus sacrés, l’Angleterre s’attirerait à jamais l’animadversion du peuples belge, et cette animadversion, trouvant dans la nature même des 24 articles une source toujours croissante d’augmentation, devrait tôt ou tard amener des suites funestes à la politique de la Grande-Bretagne. L’Angleterre sent trop bien l’importance de cette vérité, pour qu’il soit possible qu’elle se charge jamais d’exécuter les mesures de la conférence contre la Belgique. On a dit qu’une flotte anglaise allait se diriger contre la Hollande, pour paraître la forcer d’accepter un traité fait tout entier en sa faveur, et dont vraisemblablement elle a écrit elle-même la plupart des articles : permettez d’abord que je doute que cela ait jamais lieu. Mais que l’Angleterre envoie une flotte contre la Belgique, qu’elle a si grand intérêt à ménager, messieurs, je vous l’avoue, je ne puis le concevoir.

Sera-ce la Prusse qui viendra nous asservir ? Ici, messieurs, je dois l’observer, l’exécution des actes de la conférence par la Prusse peut s’opérer de deux manières : au moyen de l’occupation des parties cédées à la Hollande ; ou bien au moyen de l’occupation totale du pays. Si la Prusse envahissait les parties cédées à la Hollande, je conviens qu’il nous serait difficile de nous y opposer ; mais alors du moins nous aurions sauvé l’honneur, nous aurions évité la honte d’avoir vendu nos frères, et de souiller l’une des pages les plus glorieuses de notre histoire. Nous protesterions contre la violence, et nous nous garderons bien de souscrire un tribut humiliant envers la Hollande, un tribut auquel on ne peut nous contraindre que par l’effet de notre propre volonté. Si, au contraire, la Prusse prétendait envahir la Belgique tout entière, pensez-vous que le gouvernement français, quel que soit son état d’humiliation, et alors même qu’il serait cent fois plus faible encore, puisse consentir à voir ses frontières du nord, Tournay, Mons, Charleroi, Menin, occupées par les satellites de la Russie, et les journées d’étapes assurées de Pétersbourg à Lille ?

C’est donc la France que l’on veut rendre l’instrument de notre malheur ? La France ! cette nation si fière et si généreuse, viendrait nous forcer à la honte et au désespoir ! Quoi ! vous pensez que le gouvernement français oserait s’avancer vers son armée pour lui dire : « Soldats ! Vous qui naguère encore avez prêté votre secours à la fille aînée de la révolution de juillet ; vous qui n’êtes entrés en Belgique que pour l’aider à secouer le joug d’un tyran : soldats français ! rentrez en Belgique, marchez pour diviser son territoire, pour l’immoler à la Hollande ! » Messieurs, le jour où le gouvernement français se permettrait un pareil langage, il renierait sa propre existence, il détruirait sa propre révolution, et la résistance de l’armée serait un devoir comme aux jours de juillet. Oui, j’en ai pour garants les sentiments et l’honneur français : si telle pouvait jamais être l’intention du cabinet des Tuileries, cette pensée parricide ne s’accomplirait pas.

Reste la seule agression possible à mes yeux, celle de la Hollande ; et celle-là, je la regarde comme très désirable pour nous. En effet, rappelez-vous ce que nous a dit M. le ministre de la guerre dans une précédente séance. « C’est, vous a-t-il dit, moins l’armée que le manque de matériel et de vivres, qu’une organisation fautive, qui a été cause de nos désastres. Aujourd’hui cette cause n’existe plus, notre arme a subi une réforme totale, et il n’est pas douteux qu’en cas d’agression de la Hollande nous pourrions la repoussez avec avantage. » Auriez-vous donc oublié que, même pendant ces jours de malheur et de deuil, nos soldats furent victorieux partout où l’on en vint aux mains avec l’ennemi ? Auriez-vous oublié les journées de Maldeghem, de Bauthersem et de Houthalen ? Auriez-vous oublié que l’ennemi, malgré nos revers, ne nous a pris que deux canons pendant la campagne, et que nous lui en avons enlevé un pareil nombre ? Ayez donc confiance dans une armée qui a une réputation à réintégrer et une patrie à défendre.

Sans doute, messieurs, une guerre agressive est difficile dans la Hollande. Mais ignorez-vous donc que le succès d’une guerre défensive a pour résultat de la rendre immédiatement agressive ? Et si, par suite d’avantage sur lesquels je ne puis élever de doute, nous envahissons le Brabant septentrional, et que la Prusse ensuite vienne nous ramener à nos frontières, notre marche rétrograde sera bien moins celle de vaincus que de triomphateurs.

On vous a dit que la guerre occasionnerait des dépenses, et cela est inéluctable ; mais le premier résultat de l’adoption des 24 articles sera de vous forcer à prélever, cette année même, la somme énorme d’au moins cinquante millions de florins. Et ne vaut-il pas mieux prélever des fonds pour venger son honneur que pour payer sa honte et son ignominie ?

J’ai entendu dire que notre existence politique est menacée, et que le partage de la Belgique serait peut-être le résultat de notre refus.

Lun des préopinants, M. Nothomb, abordant cette question, vous a parlé dans le sens de l’intérêt européen ; c’est là la base de son discours. Pour moi, je dois vous l’avouer, je ne comprends pas ce que c’est que l’intérêt européen ; le mot seul exprime l’impossibilité de la chose. L’intérêt européen, dont vous a parlé l’honorable M. Nothomb, est celui des diverses puissances européennes. Mais l’Angleterre, la France, la Prusse, l’Autriche et la Russie ont des intérêts éminemment districts, et cette diversité même exclut la communauté d’intérêt sur laquelle repose tout l’échafaudage du discours de l’orateur auquel je réponds.

L’intérêt de la France est d’obtenir les limites du Rhin : pour elle, c’est non seulement un besoin, c’est une invincibilité. L’intérêt de l’Angleterre, au contraire, est de s’opposer de tous ses moyens à cette augmentation de puissance de la France, qui lui enlèverait par là sa supériorité dans la politique européenne. C’est donc pour elle une question d’existence, et sous ce rapport son intérêt est diamétralement opposé à celui de la France. C’est par suite de cet intérêt que l’Angleterre ne consentira jamais à l’idées d’un partage dont M. Nothomb vous a parlé. A cet égard, je crois pouvoir vous dire que, depuis un mois, la France a fait d’inutiles efforts pour obtenir le partage de la Belgique, et qu’elle a trouvé dans la Grande-Bretagne une résistance invisible qui s’opposera toujours à ce dessein. Tous les partis en Angleterre sont d’accord sur ce point, les torys comme les whigs, Wellington comme lors Grey. Ne croyez donc pas à l’idée de partage dont vous a parlé M. Nothomb ; et déjà un honorable préopinant vous a fait observer avec raison que, dès le commencement des négociations, les puissances se sont engagées à renoncer à toute augmentation de territoire.

Je vous ai parlé de l’intérêt des grandes puissances à l’égard de la Belgique, et je vous ai fait voir combien était chimérique l’idée d’un intérêt européen qui excite si hautement les craintes de l’orateur auquel je réponds. Reste à parler de l’intérêt des puissances entre elles.

Fatiguée d’une guerre longue et ruineuse, encore accablée sous le poids des impôts qu’elle a fait naître, l’Europe ressent impérieusement le besoin de la paix. Voilà, messieurs, à l’époque où nous vivons, le seul véritable intérêt européen, parce qu’il est le seul commun à toutes les puissances. Ce que le gouvernement devait faire dans ces circonstances, c’était d’opposer aux prétentions du roi de Hollande les grands intérêts des puissances, et à la crainte d’une guerre générale l’imminence de la voir éclater. Messieurs, vous tenez dans vos mains et la paix et la guerre : pensez-vous que l’intérêt du roi de Hollande soit tellement cher aux puissances qu’elles veuillent lui sacrifier leur propre intérêt ? Pensez-vous que l’Europe soit disposée à risquer les chances d’une guerre générale pour satisfaire les exigences du roi Guillaume ? Que si vous pouviez douter un seul instant de cette vérité, lisez le discours du roi d’Angleterre : « Un traité, dit-il, a été présenté aux plénipotentiaires hollandais et belges, et j’espère que son acceptation que j’attends avec anxiété, détournera les dangers dont la paix de l’Europe était menacée aussi longtemps que cette question était indécise. »

Je regrette, d’après cela, que le gouvernement se soit si empressé de nous proposer les 24 articles ; il aurait dû attendre que l’Europe fût éclairée sur les infâmes résolutions de la conférence, résolutions qui ruinent à jamais la Belgique, et auxquelles, quoi qu’en ait dit un préopinant, l’Europe constitutionnelle ne saurait applaudir.

Il faut le dire, messieurs, nous sommes aujourd’hui victimes de la peur du gouvernement français et des concessions du parti whig au parti tory. L’Angleterre, dans cette circonstance, a néanmoins son véritable intérêt, qui est d’accorder à la Belgique des conditions certaines d’existence. La réforme parlementaire, qui se prépare, donnant au parti whig une force nouvelle, changerait totalement notre position, et l’Angleterre, mieux instruite sur l’état où les 24 articles vont placer la Belgique, nous procurerait des conditions meilleures. Notre intérêt bien senti est donc de temporiser, de maintenir le statu quo, de demander d’exécution des 18 articles garantis par la conférence, et de ne pas consentir à ce qu’il y soit délogé.

Messieurs, la fermeté vous a toujours bien servi. Avez-vous consulté la peur pour faire votre révolution ? Avez-vous consulté la peur pour voter l’exclusion des Nassau, pour restituer les protocoles, faire votre énergique protestation du 1er février, et laisser partir les ambassadeurs ? Rappelez-vous cette séance à jamais mémorable où le congrès national, seule contre l’Europe conjurée, sut par sa noble fermeté arrêter les puissances européennes ! Alors aussi on voulait imposer des lois à la Belgique, on voulait lacérer son territoire. Le congrès protesta contre cette violation du droit des gens dans des termes dignes de passer à la postérité. « Le congrès national, dit-il, proteste contre toute délimination de territoire et toute obligation quelconque qu’on pourrait vouloir prescrire à la Belgique sans le consentement de la représentation nationale. Il proteste contre le protocole du 20 janvier, autant que les puissances voudraient l’imposer à la Belgique. Il n’abdiquera dans aucun cas, en faveur des cabinets étrangers, l’exercice de la souveraineté que la nation belge lui a confié ; il ne se soumettra jamais à une décision qui détruirait l’intégrité du territoire et morcellerait la représentation nationale. » Rappelez-vous encore ce jour où un envoyé des grandes puissances vint vous menacer d’anéantir à jamais le nom belge ; sans vous laisser effrayer par ses menaces, vous répondîtes alors comme autrefois un célèbre orateur : « Allez dire à vos maîtres que nous sommes ici par la force des lois, et que nous n’en sortirons que par celle des baïonnettes. » Qu’est-il arrivé de toutes ces menaces ? Rien, messieurs ; et la conférence a révoqué ses conditions irrévocables.

Le ministre des affaires étrangères vous a dit : L’héroïque Pologne n’est plus ! Oui, messieurs, elle est tombée cette sublime Pologne qui commandait l’admiration de l’univers, et les populations barbares ont roulé leurs flots tumultueux sur cette terre d’héroïsme et de liberté. Mais, quelque douloureuse que soit cette vérité, n’exagérons pas non plus ses conséquences. La Pologne n’est plus debout, il est vrai ; mais elle vit encore plus noble et plus fière après sa défaite. A chaque instant elle peut se relever, et le jour où la guerre générale transporterait son théâtre sur nos frontières serait le signal auquel la Pologne répondrait encore : Me voici ! Les puissances du Nord ne l’ignorent pas, et c’est ce qui les fera reculer devant la guerre générale ; et puis, si la Pologne n’est plus, l’intérêt des puissances n’est-il pas toujours le même ? C’est donc bien à tort qu’un préopinant vous a dit qu’il s’agissait ici d’une nécessité inexorable, que nous n’avions qu’un seul parti à prendre, qu’il fallait se soumettre. Se soumettre ! Est-ce là, grand Dieu ! le langage que l’on ose tenir aujourd’hui, quand la nation a repris cette attitude mâle et vigoureuse, que notre armée est forte et aguerrie, parfaitement organisée, et commandée par des chefs dont la capacité ne peut être révoquée en doute ?

Faites un appel à la nation ; dites-lui les maux auxquels la patrie est exposée par l’adoption des 24 articles ; créez un ordre militaire pour stimuler le courage des braves et vous aurez bientôt repris le rang que vous occupiez et que vous occuperiez encore sans les fautes commises par des hommes dont j’espère que la patrie saura faire justice. Non, messieurs, je ne puis me convaincre que l’adoption des 24 articles soit le seul moyen qui nous reste à suivre ; jamais je ne pourrai consentir à l’avilissement, à la ruine de mon pays ; jamais je ne pourrai consentir à l’abandon de mes frères. Non ! vous ne souscrirez pas à cette iniquité, et, s’il était écrit que la Belgique dût subir une pareille humiliation, que ce soit la force qui nous l’impose, mais du moins n’ayons pas la honte de l’avoir acceptée.

M. Helias d’Huddeghem. - Messieurs, je vous prie, dans cette grave occurrence où chacun aime à motiver son vote, de me permettre de vous exposer brièvement mon opinion ; veuillez bien vous persuadez qu’elle n’a été formée qu’après mûre réflexion et dans le calme du cabinet.

Si la première condition de l’existence d’une nation est l’indépendance, une autre condition de durée et de perpétuité est son assiette géographique : tant qu’elle n’occupe point les limites que la nature assigne à son territoire, elle éprouve un malaise ; parvient-elle à les atteindre, elle acquiert ce sentiment de sécurité qui la pousse à s’occuper de son bien-être, à travailler à sa prospérité ; elle fleurit alors sous l’influence bienfaisante de ses institutions.

Le traité qui vous est soumis, sous le rapport de la fixation des limites, porte atteinte à tous les principes d’équité. En effet, une pensée domine chez moi toutes les autres : pourquoi la Belgique, qui n’a jamais appartenu à la Hollande, tandis que la Hollande a appartenu à la Belgique, quand nous formions ensemble un même Etat sous les ducs de Bourgogne, jusqu’au XVIème siècle, lorsque sous le stathoudérat des princes d’Orange-Nassau, elle s’est violemment séparée de la Belgique en se révoltant contre son souverain ; pourquoi, dis-je, parce que la Belgique a été réunie quelques années à la Hollande, doit-elle aujourd’hui lui être entièrement sacrifiée ?

Le traité nous enlève, des provinces du Limbourg et du Luxembourg, qui de temps immémorial appartiennent à la Belgique, la partie la plus productive, pour nous laisser des bruyères ; et, quant à la rive gauche de l’Escaut, ce pays le plus fertile des deux Flandres, dont il est une alluvion, possédé par le roi d’Espagne, Philippe II, en sa qualité de comte de Flandre, jusqu’à la fin du XVIème siècle, dont les terres appartiennent pour la plus grande partie aux habitants des deux Flandres, on n’a pas même eu égard aux réclamations que nous avons faites pour la conservation des écluses construites à nos frais pour l’écoulement de nos eaux.

Le même traité est incontestablement tout au désavantage de notre commerce, puisque tous nos débouchés, non seulement par les fleuves, rivières et canaux, mais aussi par les chemins et routes, sont en quelque sorte abandonnés à la discrétion de nos ennemis. En effet, si le traité établit la liberté de la navigation des fleuves et rivières, il détermine aussi le droit qu’à la Hollande de prescrire des péages qui seront communs pour les deux pays ; mais il est à noter que la Hollande n’a aucunement besoin de plusieurs de ces canaux et fleuves intermédiaires qui nous sont indispensables.

Si à ces observations, l’on oppose que l’Escaut n’était pas ouvert du temps de la domination autrichienne, et que cependant la Belgique, sans y comprendre le pays de Liége, a pu prospérer sous le rapport du commerce et de l’agriculture, au point même que, lors de la guerre de sept ans, l’impératrice Marie-Thérèse a reçu en dons gratuits et en deniers prenant d’emprunts volontaires la somme de soixante-dix millions de florins, non compris les subsides et autres revenus ordinaires du pays, je dirai que ces avantages ont été la suite des sages mesures employées par le gouvernement pour encourager l’agriculture et le commerce, et pour introduire l’économie dans toutes les branches de l’administration. Mais, messieurs, à cette époque, on ne nous avait pas encore imposé une dette que nous n’avons pas contractée, et qui, de dette morte qu’elle était en 1814, a été ravivée, et qui, de tiers, non au profit des créanciers primitifs, qui pour la plupart s’étaient dessaisis de leurs titres de créances qu’ils croyaient anéantis, mais au profit de quelques spéculateurs avides, entre les mains de qui on avait su faire passer ces créances.

Il est établi, par pièces irrécusables, que le total des emprunts faits en commun, par la Hollande et la Belgique, s’élevait, le 26 octobre 1829, à la somme de 167,670,000 florins ; donc pour chacune des deux parties 83,835,000 fl. En ajoutant cette dernière somme au compte particulier de la dette ancienne, tant de la Hollande que de la Belgique, il en résulte ue cette somme était pour la Hollande de 668,460,644 fl., et pour la Belgique de 125,863,198 fl., sauf que, par les opérations ordinaires de l’amortissement régulier établi par la loi du 14 mai 1814, et par les amortissements extraordinaires imposés au syndicat par la loi du 27 décembre 1822, le total de la dette différée se trouvait diminué, à la fin de 1829, d’une somme de 240,135,000. Voilà les données sur lesquelles la conférence de Londres aurait dû travailler pour partager équitablement la dette du ci-devant royaume des Pays-Bas, entre la Hollande et la Belgique. Faire payer à celle-ci, à la décharge des obligation de la Hollande, une somme annuelle de quatre millions, c’est là tout ce que la justice pouvait permettre.

La Belgique possédait de riches domaines, et la Hollande n’en possédait presque pas. La conférence, qui déjà nous force de payer, à la décharge de la Hollande, le double de ce que nous devons réellement, permet encore à celle-ci de nous spolier d’une partie considérable de ces domaines. En effet, le syndicat a dans son actif pour plus de cinquante millions de valeurs, représentant pour une pareille somme de domaines à vendre ou déjà vendus et non encore payés. La conférence a ordonné que la masse du syndicat fût partagée entre la Hollande et la Belgique. Voilà donc la Hollande qui emporte la moitié de ces valeurs considérables qui se trouvaient cependant sur notre sol ; qui faisaient, avant la réunion de 1815, partie exclusive de notre avoir.

Je fais, messieurs, la même observation quant à la liquidation ordonnée par la banque de Bruxelles. La belle forêt de Soignes, abandonnée au roi Guillaume pour une valeur de 500,000 fl. à la décharge de la liste civile ; cette cession contient 28,018 bonniers métriques, qui furent cédés sans expertise préalable, et évalués seulement à 4,500,160 fl., tandis que le roi Guillaume cède, le 14 décembre 1822, cette même propriété à la banque de Bruxelles, moyennant un capital de 20 millions ; ce qui prouve assez l’énorme lésion que le pays avait souffert par la cession faite au roi, de ces belles forêts pour la somme modique de 4,500,160 fl. Vous vous rappellerez encore, messieurs, que dans le temps des mémoires ont été mis en circulation, qui constataient à l’évidence que la valeur de ces forêts, abandonnées au roi, s’élevaient à plus de 31 millions. Eh bien ! messieurs, toutes ces propriétés vont encore passer pour la moitié à la Hollande. On m’objectera peut-être qu’il n’a pas été dans l’intention de la conférence de nous faire supporter une si injuste disproportion, et que même un protocole n°48 laisserait entrevoir la possibilité de redresser les erreurs glissées dans les calcul du partage des dettes et des bénéfices.

Mais, messieurs, il me reste toujours une difficulté insurmontable : je ne puis abandonner 300,000 Belges qui ont secoué le joug avec nous, et nous ont aidé de leurs bras à conquérir notre indépendance.

Je ne crois pas pouvoir rompre par mon consentement le pacte social qui s’est formé avec les provinces de Limbourg et de Luxembourg. Après avoir, pendant un an, travaillé à écarter tous les obstacles qui se présentaient contre notre cause nationale, pouvons-nous aujourd’hui faire l’abandon de ces principes sans nous exposer au reproche d’avoir été bien prompts à entreprendre et plus prompts à abandonner ? Quant à moi, messieurs, plutôt mille fois me voir contraint par la force brutale que de souscrire volontairement à des conditions ignominieuses ; car ne nous faisons plus de fausses illusions : notre indépendance reconnue dans plusieurs protocoles est de nouveau mise en question ; tel est du moins le contenu de la note du 3 septembre dernier, signée par tous les membres de la conférence. Il est donc évident que la conférence agit avec nous de façon à nous donner de justes motifs de méfiance. En nous proposant les dix-huit articles des préliminaires, elle nous assurait notre choix ; vous avez accepté les préliminaires, et la conférence, pour prix de votre complaisance, ne vous en tient aucun compte : au contraire, il paraîtrait que c’est un motif pour nous imposer aujourd’hui des conditions beaucoup plus humiliantes.

Et si le traité proposé contenait au moins, messieurs, la reconnaissance de S. M. le roi Léopold, l’espoir de la Belgique, entouré dès à présent de l’amour de tous les Belges ! Mais non, messieurs, rien dans ce traité ne tend à cette reconnaissance. Le roi Guillaume, constamment appelé dans ledit traité roi des Pays-Bas, y est avec affectation opposé au gouvernement de la Belgique. Aussi, messieurs, je vous déclare que ce défaut de la part de la conférence, de reconnaître dans le traité de paix notre roi Léopold, est pour moi un motif suffisant pour rejeter les 24 articles de la conférence.

M. Milcamps. - Le projet de loi soumis à la délibération de la chambre des représentants a pour objet d’autoriser le Roi à conclure un traité de paix entre la Belgique et la Hollande, arrêté par la conférence le 15 octobre.

Pour pouvoir me prononcer dans une matière de cette importance, j’ai examiné attentivement les conditions de ce traité imposé aux deux pays.

Je n’y ai vu, je n’ai pu y voir qu’une transaction politique entre les cinq puissances.

Les plénipotentiaires de ces puissances ne sont pas des arbitres établis ou constitués pour régler les différends entre la Belgique et la Hollande. Des arbitres doivent être sans intérêt dans l’affaire qui leur est soumise ; et ici, messieurs, ne nous y trompons pas, les cinq grandes puissances sont parties intéressées, très intéressées. C’est pour elle qu’elles ont stipulé.

La révolution de juillet éclate ; celle de septembre la suit de près : elle attaque au cœur le système de 1815.

Je ne vous retracerai pas ce qui s’est passé depuis ces deux grandes époques : je vous rappellerais ce que vous savez mieux que moi.

J’aborde de suite la question : Quel a été le but de la conférence de Londres ? Celui sans doute de prévenir une conflagration générale.

Le système de 1815 était debout : hostile envers la France, elle devait, non le détruire (l’effort eût dû être trop violent), mais le modifier. Eh bien ! Je ne vois dans les conditions du traité de paix du 15 octobre qu’une modification du système de 1815, une transaction politique.

La France l’a acceptée parce qu’elle y gagne. Les autres puissances l’ont acceptée parce qu’elle leur présente des garanties suffisantes, qui assurent mieux l’équilibre de l’Europe.

Ici je n’accuse pas le ministère français de faiblesse ; il n’a été que prudent dans l’intérêt de la France.

Mais que dirai-je de la Belgique ?

La Belgique, messieurs, aura sa place dans l’histoire.

La révolution de juillet, en éloignant Charles X et en appelant Louis-Philippe, n’a fait qu’opérer qu’un changement de domination. La France se livre à des questions de principe.

La révolution de septembre a été plus loin : elle a troublé, rompu l’équilibre qui avait tant coûté à l’Europe et particulièrement à l’Angleterre. De là le grand intérêt de l’Europe. Aussi, depuis treize mois la conférence a été, pour ainsi dire, exclusivement occupée de la question belge.

C’est après ce long espace de temps que la conférence (peser bien ses paroles) considère « que la solution immédiate de cette question est devenue un besoin pour l'Europe ; qu’elle est forcée de la résoudre, sous peine d'en voir sortir l'incalculable malheur d'une guerre générale. Eclairée sur tous les points, elle ne fait que respecter un intérêt européen du premier ordre, céder à une nécessité de plus en plus impérieuse, en arrêtant les conditions d'un arrangement définitif. » A cet acte elle attache un caractère d’irrévocabilité.

J’avoue (et j’éprouve un sentiment pénible à le dire) j’avoue que cet arrangement, dans quelques points, trompe l’espérance de la Belgique.

Les conditions du traité de paix garantissent notre indépendance, comme Etat perpétuellement neutre, et, à mon avis, la reconnaissance de Léopold, puisque c’est S.M. qui va signer le traité, si la loi proposée est adoptée.

Elles garantissent le port d’Anvers, comme port de commerce ;

La liberté des fleuves et des rivières navigables ;

La communauté des canaux qui traversent les deux pays, sauf l’imposition de droits modérés.

Mais en même temps (et c’est ici la partie douloureuse), elles nous obligent à renoncer aux plus belles parties du Limbourg et du Luxembourg, en nous contraignant à recevoir les adieux des populations intéressantes de ces portions de territoire. Mais, messieurs, si, parmi ces populations, il existait des hommes qui voulussent rester Belges, je crois pouvoir prévenir la délibération du pays en leur disant : Nos cœurs vous seront ouverts.

Elles nous frappent d’une dette annuelle de 8,400,000 florins, que nous n’avons pas contractée.

Elles nous ne donnent que des espérances, pour ainsi dire illusoires, pour le commerce avec l’Allemagne.

Elles nous privent de positions militaires, en nous faisant perdre tout espoir sur Maestricht et la rive gauche de l’Escaut, qu’il entrait tant dans nos intérêts et dans notre politique d’obtenir.

J’apprécie, messieurs, tout ce qu’ont et peuvent avoir de désastreux pour la Belgique les conditions du traité de paix qui nous est imposé.

Mais d’où faisons-nous résulter nos prétentions à de meilleures conditions ? Du droit d’insurrection ? De la force ?

Réfléchissez, messieurs, qu’il ne s’agit pas ici de la Hollande seule, qu’il vous faut résister à l’Europe toute entière, et c’est l’Europe qui a prononcé.

Pour moi, appelé à donner mon vote dans cette grave délibération, et convaincu que notre sort est fixé, une pensée me domine et ne me quitte point :

C’est que les circonstances critiques qui se présentent sont, dans mon opinion, au-dessus de la Belgique et de la chambre.

La politique de l’Europe a subi un changement. La Pologne est tombée. Le bill de réforme est rejeté. Les deux principes qui étaient en présence se rapprochent, excepté dans la Belgique. Tout cela m’éclaire et me guide. Je veux éviter à mon pays le fléau de la guerre.

Ce n’est pas que personnellement je la craigne ; c’est parce que je n’en attendrais aucun résultat favorable pour mon pays.

Et l’honneur ! Ah ! messieurs, on ne perd pas l’honneur quand on cède à l’empire de la nécessité.

L’histoire, qui juge les peuples, dira, dans le calme des passions : Les représentants de la nation belge ont cédé à la force.

Oui, messieurs, c’est la force seule qui me déterminera à voter en faveur de la loi proposée.

M. Jaminé - Messieurs, d’après ce qui s’est passé dans les sections, à en juger d’après les marques de patriotisme qui éclatent partout, alors surtout qu’il n’est pas même donné à trois cent mille de nos frères d’assister aux derniers débats qui vont décider de leur sort, j’aurais mauvaise grâce de me consumer en efforts pour obtenir le rejet des 24 articles ; je ne puis qu’émettre mon vote et le motiver aussi soigneusement que possible : écoutez-moi, et décidez ensuite si je dois quitter cette enceinte et s’il m’est permis d’emporter votre estime et votre amitié !

La révolution belge a eu de beau jours ; l’histoire aura de belles pages à inscrire.

Sans plan, sans direction, dans les campagnes comme dans les villes, le peuple se lève en masse pour briser le joug qui lui pèse depuis 15 ans.

Les forteresses tombent au moindre souffle de la révolution.

Toute une armée fuit devant quelques volontaires.

Les mandataires du peuple s’assemblent, et une constitution forte et libérale remplace un fantôme de charte octroyée.

Sourde aux mugissements du despotisme, la représentation nationale, imprudente, téméraire peut-être, mais courageuse et énergique, proclame l’exclusion d’une famille que tant de haines poursuivent, que tant d’adulations avilissent.

C’était encore un beau jour que celui où cent mille âmes vibrèrent à ces royales paroles : « Je suis Belge par adoption, je serai Belge par ma politique. »

La révolution belge a eu ses jours de honte et de deuil. Le règne des lois fut suspendu un instant. Chaque ville eut ses émeutes et ses pillages ;

L’armée et les administrations peuplées de favoris.

Les fonds publics indignement dilapidées ;

La mollesse, l’insouciance remplaçant l’énergie ;

L’impunité scandaleusement assurée à de grands coupables ;

Une tourbe de gens armés, sans chefs, sans subsistances, sans discipline, s’évanouissent comme la fumée au premier hourra poussé par un ennemi que, deux jours avant, nous nous vantions de replonger dans ses marais.

C’est qu’il s’était trouvé des hommes, bons patriotes sans doute, qui, dans leur aveugle confiance, crurent devoir arrêter la victoire. C’est qu’il était des hommes, dont le rôle de diplomate chatouillait l’orgueilleuse faiblesse. Jusqu’au dernier moment, de sages négociations nous conduiraient à un état stable et prospère. Plus de guerre, plus d’armée, plus de précautions ! Et non pas seulement, nous allions être sauvés ; le sort de la Pologne était entre nos mains. Entendez-vous encore ces mots que contractèrent alors mes lèvres : « La diplomatie ne fait rien pour les peuples ? » Mais on suppliait avec tant d’instance, mais ces regards étaient si caressants, ces paroles si douces ; nous avons sauvé la Pologne… ! Cherchez bien, et vous verrez des esclaves et des tombeaux.

« Mais, nous a dit un orateur, dont je suis loin de contester les grandes connaissances, il n’y a que deux systèmes en Europe : le système belliqueux et le système diplomatique. La France abandonna le premier, pour entrer dans le second. Elle ne se croyait pas en état de soutenir les luttes colossales de la Convention et de Napoléon. Nous, peuple imperceptible, nous n’avions rien de mieux à faire que d’imiter le gouvernement français. Le 21 novembre, la question de la guerre fut tranchée. La nouvelle de la cessation des hostilités fut accueillie par des applaudissements unanimes. »

Quel était l’ennemi de la France ? Charles X, ses ministres et ses partisans. La France ne cessa de faire la guerre à cet ennemi que lorsqu’il eût quitté son sol, ou qu’il fût réduit à l’impuissance. Quel acte y avait-il encore à consommer ? La royauté nouvelle devait être reconnue, le nouvel ordre de choses respecté. Avant d’en appeler aux armes, il était nécessaire d’ouvrir des négociations : des armements considérables en appuyèrent le succès.

Quel était notre ennemi, à nous ? La Hollande. Nous déposâmes les armes lorsque cet ennemi était encore au cœur du pays. Les voies diplomatiques ne devaient s’ouvrir pour nous qu’après avoir conquis la Belgique de la constitution. Système belliqueux avec la Hollande, système diplomatique vis-à-vis des puissances, c’était la règle à suivre. Nous préférâmes mendier, après nous être limer les dents.

Aussi voyez ce qui en est arrivé : des applaudissements accueillirent la nouvelle de la reprise des hostilités. Il fallait des larmes, des imprécations.

Nous est-il donné d’effacer tant de honte et d’humiliation ?

Mais je m’arrête ; je crains de me livrer encore une fois à une émotion déplacée ; je vois déjà grandir le reproche : on ne fait pas ici de la politique sentimentale. Pour entrer ici, il faut avoir les yeux termes, le cœur sec. Que signifient en politique les mots « humanité, honneur national… » ? Je me range de cet avis, messieurs ; j’étoufferai mon émotion. Qu’importent, en effet, trois cent mille à mes révolutionnaires par nous, pour nous ? Voyons si nous seuls nous pouvons exister, s’il peut y avoir une Belgique !

Ainsi, homme d’Etat, je me fais cette question : En sommes-nous absolument réduits à devoir accepter ?

Plus d’une fois, nous avons été menacés d’une intervention armée de la part des grandes puissances ; contre nous, elle n’a pas eu lieu. Au sein de ce petit pays, superbe et honoré, ou misérable et humilié, réside le germe d’une conflagration à laquelle nul n’ose pousser, à laquelle tous peuvent être entraînés : on n’interviendra pas.

Mais la Hollande, riche de soldats allemands, fière de ses dernières succès, ne respectera pas les frontières auxquelles d’autres plus forts, plus fiers, n’ont osé toucher ! Je le crois ; mais alors, je demande : Avons-nous une armée, des chefs, de la discipline, quelque confiance ?

Et, si les chances sont de nouveau défavorables à la Belgique, la restauration ou des conditions plus onéreuses encore !

Il n’y a pas de conditions plus onéreuses à imposer à un peuple que celles qui le placent sans frontières, sans commerce, sans honneur, entre quatre invasions.

La restauration ! Un repos de quinze ans a donné en France, comme partout, un développement étonnant à la prospérité matérielle. Dans un moment où les mots magiques de « liberté » et d’« indépendance » résonnent à vos oreilles, on ne songe pas à ce qu’on possède. Mais si l’enthousiasme a eu le temps de se refroidir, on y songe, on y tient. Ainsi un ministère du mouvement a pu se placer pendant quelques jours sur les débris du trône de Charles X ; il devait se retirer devant un ministère qui représentât les intérêts matériels.

Ne faire envisager la révolution que comme un changement de dynastie, c’était le système. Pour le faire triompher, il fallait étouffer au-dedans les efforts de la propagande évolutionnaire, et conserver au-dehors les alliances du roi déchu.

Les faveurs et les destitutions imposèrent silence aux hommes de juillet. Pour obtenir l’absolution de la sainte-alliance, on sacrifie la Pologne et l’Italie. La Belgique l’eût été de même, si, trop voisine de la France, si, trop liée à ses destinées, il n’eût été démontré à l’évidence que le triomphe de la paix à tout prix échouerait devant ce nouveau sacrifice. Un mezzo-termine a été proposé et accepté. Une indépendance éphémère a été assurée à la Belgique.

Les mêmes motifs qui ont procuré cette indépendance s’opposent à une restauration.

La France a donc beau signer, presser et menacer ; elle reculera devant l’exécution.

Mais si, en cas d’échec, la France intervient une deuxième fois, c’est la guerre générale, et alors seront entraînées à la faire les puissances qui la redoutent aujourd’hui. Peut-être non, si le principe monarchique ne se sent pas encore assez fort ; peut-être oui, et alors la Belgique n’aura fait qu’avancer un peu l’aiguille.

Mais à une intervention armée pour nous faire plier, de commun accord avec toutes les puissances, non, je n’y crois pas. Les menaces n’ont pas plus d’influence sur moi que les promesses. Dans ma courte carrière parlementaire, j’en ai tant vu, tant entendu, que je suis devenu un saint Thomas politique.

Pouvons-nous accepter ? Voilà ma seconde question.

Nous sommes loin de notre constitution, loin des 18 articles, loin même du protocole du 20 janvier.

Dans cette constitution, point de différence entre le Limbourg et le Brabant, entre le Luxembourg et Liége ; tout cela était à nous. Elle nous permettrait même de rêver la possession de la rive gauche de l’Escaut.

Mais la constitution était notre propre ouvrage. La conférence n’y avait pas imprimé le sceau de son approbation. Passons ; voici l’œuvre de la conférence :

Le protocole de janvier compose la Hollande de tout ce qui appartenait anciennement aux Provinces-Unies. Le reste du royaume des Pays-Bas était Belgique, le Luxembourg excepté.

Ce protocole expliqué, appliqué, nous accordait la majeure du Limbourg, la moitié de Maestricht, des enclaves en Hollande.

Les 18 articles, calqués sur le protocole du 20 janvier, consacraient les mêmes droits, fixaient la même ligne de démarcation. Mais ils contenaient une amélioration sensible, en ce qu’ils nous mettaient dans la possibilité de traiter pour le Luxembourg, sans qu’il dût être question d’échange. C’était une affaire d’argent.

Les discours éloquents de ceux qui défendaient et les préliminaires et le protocole sont encore présents à notre mémoire. « Nous étions à la dernière page de notre révolution ; nous allions nous réconcilier avec la conférence, sans subir de grandes pertes ; elle ne nous voulait pas de mal. Pour elle ce n’était qu’une question d’amour-propre ; pour nous, un article de plus au budget. Vous aurez Maestricht, le Luxembourg ; vous aurez même Venloo : sans le Luxembourg, il n’était donné à personne de régner six mois en Belgique. »

Eh ! Je n’accuse pas, je n’ai jamais vu de près les rouages de la machine administrative, et il me siérait mal, à moi presque étranger parmi vous, de dresser un acte d’accusation ; je cite des faits.

Et nous de l’opposition, nous avions beau crier : « Le char de la révolution ne doit pas s’arrêter ; une révolution ne capitule pas, parce qu’on ne capitule pas avec une révolution, » les préliminaires de paix furent adoptés. Ils devraient être insérés dans le code du droit public de l’Europe.

A quoi en sommes-nous aujourd’hui ? Plus d’enclaves, plus de Maestricht, plus de Venloo ! Voilà l’ultimatum de la conférence ; soumettons-nous.

Et soumise enfin, que sera la Belgique ?

Tout être, comme tout pays, qui est dépourvu de moyens de se défendre, est un monstre. En fait d’Etat, entre la France, la Prusse et la Hollande, le monstre existera.

Sur la ligne d’Anvers à Venloo, pas un seul point de défense.

Du côté de la Meuse, pas un seul point.

Menacés et constamment menacés, quand la Hollande le voudra, en deux jours de marche elle est sous les murs de Bruxelles ; quand la Prusse en aura envie, en trois journées de marche elle nous aura séparés de la France.

Et du côté des Flandres ? Si là la défense est possible, l’inondation n’est pas à éviter.

Voyez la carte ; la Hollande nous enlace comme un serpent.

La conférence a cependant voulu accorder à la Belgique des frontières fortes ; elle l’a dit. Je ne connais rien de plus vil, de plus odieux, que le juge qui, du haut de son tribunal, insulte au malheureux qu’il a condamné à mort.

Et enlacés par la Hollande, où sont vos débouchés ?

Le passage ne peut nous être refusé : nous aurons un canal, une route.

Eh bien, soit. Vous aurez ce canal et cette route, et le passage ne vous sera pas refusé. Mais il y aura des mesures de précaution, des visas, des procès-verbaux, des saisies. Et vous routes seront couvertes de chariots ; et l’on se disputera une place dans le bassin d’Anvers !

Et enlacés par la Hollande, comment éviterons-nous la fraude ? Combien de milliers de douaniers nous faudra-t-il ? Adieu vos taxes sur le café, le sucre, le tabac !

Mais, dit-on, ces vexations on ne les souffrira pas. La Hollande n’aura pas toujours une armée de cent mille hommes, et nous pouvons en avoir une.

Vous êtes fatigués de ces vexations ; par la force des armes vous voulez y mettre un terme. En épuisant les ressources que vous présente votre industrie agricole, vous vous êtes créé une armée. Inclinez-vous devant les puissances, vous êtes neutres. Et lorsqu’on aura examiné votre demande, on vous répondra : « Ce n’est pas un cas de guerre. »

Mais les injustices sont tellement craintes, tellement accumulées, que l’octroi vous est accordé ! Par où entamerez-vous la Hollande ? Ne l’oubliez pas ; elle peut entrer chez vous, quand cela lui plaît ; il vous est défendu de lui rendre visite.

Mais si la Hollande ne tient pas ses engagements, vous refuserez de remplir les vôtres : tout est prévu. Vous n’avez pas même la faculté de vous opposer au paiement des huit millions et demi.

Je n’ai pas certes la prétention de pouvoir examiner en détail, et sans dégoût, le traité infamant qu’on nous propose ; sans cela je vous montrerais les bruyères du Luxembourg échangées contre la plus belle et la plus riche partie du Limbourg.

Je dirais que c’est un acte d’iniquité que de nous faire supporter une partie de la dette, sans nous donner le moindre avantage en échange.

Je dirais : Qu’est devenu notre accès aux colonies ?

Je dirais : Quelle part avons-nous dans la marine ?

Je dirai que la tyrannie est poussée si loin, qu’on se mêle même de nos affaires de ménage. Il nous est défendu de toucher aux pensions, aux paiements d’attente. Il nous est enjoint de laisser vivre sur notre budget les créatures d’un gouvernement étranger.

Je dirai : Le commerce des houilles à Liége est entièrement anéanti.

Je dirais : Les forges dans le Luxembourg sont frappées à mort.

Je dirais : Cette masse d’employés à réformer, cette masse d’officiers à renvoyer, formeront une masse de mécontents.

Je dirais enfin : La révolution a été dirigée contre le despotisme ; dans six mois vous aurez une nouvelle révolution contre la misère.

Et l’honneur ! Vous avez fait une révolution, et vous n’aurez pu la soutenir.

Partout à l’étranger, le Belge est méprisé. En France même, on vous dira : On vous avait surpris ; un premier échec, nous l’avions réparé. Vous pouviez effacer cette tache, vous ne l’avez pas fait. Les conditions les plus humiliantes, vous les avez acceptées !

Oui, pays sans commerce, sans frontières, sans honneur !

Et c’est ce que voulait la conférence ! Elle ne pouvait étouffer la révolution d’emblée ; il y avait un autre moyen d’atteindre le but, vous le connaissez.

Une autre idée a-t-elle pu guider la diplomatie ? Mais que lui avons-nous fait pour être traités avec tant d’inhumanité ? N’avons-nous pas été dociles à ses conseils ? N’avons-nous pas obéi à ses injonctions ? Est-ce nous qui avons violé nos engagements ? Est-ce nous qui avons rompu l’armistice ? Ainsi la bonne foi, la loyauté sont punies.

Cependant, elle nous avait dit : « Adoptez les 18 articles, et vous aurez ce qui vous appartient, et vous aurez un roi. »

Et aujourd’hui, que nous avons obéi, on nous dépouille ! L’autorité royale est avilie ; et qu’importe à la conférence ? Ce n’est qu’une royauté populaire. Le véritable souverain, le propriétaire de quatre millions d’âmes, c’est le roi créé par le congrès de Vienne.

Et quel conseil donnerai-je ? La guerre ? Non, je ne ferai plus retentir ces voûtes d’accent guerriers ! Nous avions alors 68,000 hommes bien équipés, prêts à entrer en campagne : comme on nous trompait ! Non, mais je conseille le refus du traité ; et puis attendons. Si tous nous n’avons pas fait la révolution, tous nous y avons adhéré ; suivons tous le même sort : qu’on nous prenne ce qu’on exige de nous. Que le Belge ne se présente pas à la postérité avec deux taches sur le front, celle du déshonneur et celle de l’iniquité !

Et il y aurait iniquité à céder le Limbourg et le Luxembourg.

Le Limbourg et le Luxembourg ne sont pas restés en arrière lorsque la révolution éclata ; et déjà, bien avant cette époque, c’était là que l’opposition était triomphante, que les premiers coups furent portés à la domination hollandaise.

Les députés du Luxembourg aux états-généraux n’ont-ils pas, pour la plupart, défendu avec chaleur les intérêts du peuple ? Dans le Limbourg, depuis le célère procès du bourgmestre de Maestricht, s’est-il passé une seule heure qui ne fût signalée par une vigoureuse opposition ?

Venloo n’a-t-il pas ouvert ses portes ?

Mais Maestricht ! Les députés qui plaçaient jadis nos droits à l’indépendance dans la part plus ou moins grande que nous avons prises à l’insurrection, récusaient Maestricht. Il est temps de parler : oui, je l’espère, ces murs n’auront pas d’oreilles. On a voulu le comité secret, je m’en saisis.

(…) (…) (…)

Toute résistance devenue inutile, la jeunesse abandonna ses foyers pour venir grossir vos bataillons. Sur le champ de bataille, les boulets ennemis ont été chercher de préférence les Maestrichtois, comme pour leur faire payer leur part dans la dette du sang.

Elle était heureuse pourtant cette ville de Maestricht ; mais, comme à vous, il lui manquait un peu de bien-être moral.

Pendant plus de douze mois elle a souffert en silence. Il y avait là un point à l’horizon qui la rassurait. Le jour de la délivrance, de la réunion, viendrait. Le point s’est avancé ; c’est une terrible tempête. Son bien-être matériel qu’elle voulait échanger en partie contre un peu de bien-être moral, est perdu sans retour. Du haut de ses remparts, ses malheureux habitants assisteront à des élections directes, à un jugement par jury, aux agitations de la presse libre… C’est le supplice de Tantale !

Et songe-t-on encore à indemniser les nombreuses familles qui ont suivi le mouvement ?

Et Venloo !... Mais, si je vous en fais un lugubre tableau, ne verrai-je pas le sourire errer sur vos lèvres ? C’est ici que le cœur se soulève, qu’il y a concours d’indignation. Oui, déjà à Maestricht, ceux que la révolution avait consternés parcourent les rues, insultant aux habitants connus pour avoir des opinions libérales, connus pour avoir applaudi à la révolution : attendez quelques mois !... A Venloo, je vois déjà entrer les misérables que pour la sûreté publique on avait cru devoir chasser ; leur âme est gonflée de rage et de vengeance. Députés de Ruremonde (je ne nomme pas, mais j’indique), dites-moi, si votre sang ne coule pas plus impérieux dans vos veines. Députés de Ruremonde, non, vous ne donnerez pas le scandale d’un vote approbatif ; pour votre honneur, pour le repos de votre conscience, au moins vous vous abstiendrez.

Et si je repousse ce traité de honte, d’infamie, fer brûlant ; si je le repousse de toutes mes forces, de mes cris de mes bras ; s’il me fait horreur, c’est de l’intérêt personnel, et l’on comptait sur ma générosité !

Eh ! quels droits avez-vous à ma générosité ? Ce pays, c’était le mien ; ensemble nous l’avions conquis, ensemble nous devions vivre sous ses lois tutélaires, et vous me dites aujourd’hui : « Allez-vous-en, retournez en Hollande ! » Etes-vous donc aussi une conférence, messieurs ? Elle, quand elle nous dépouille, quand elle nous outrage, elle veut que nous criions merci, et vous, quand vous me sacrifiez, là sous le couteau, vous exigez que la victime fasse entendre des accents de reconnaissance !

De l’intérêt personnel ? Mais c’est vous qui voulez vivre, c’est vous qui nous sacrifiez ! Nous ne demandons rien, nous sommes contents de ce que nous avons.

Et qu’ai-je besoin d’être généreux ? Encore, un mot et vous n’êtes plus rien pour moi ! La Hollande, c’est ma patrie ! Et non, la Hollande m’est aussi fermée ; à moi fermée ! Pardonnez à ma douleur, pardonnez à un malheureux qui plaide pour tant d’autres malheureux !... Ai-je trop dit ? C’est que je songeais à moi ! Mes propres souffrances sont aussi de quelques poids à mes yeux. Pardonnez-moi ! Non, je ne vous ai pas maudits ; non, je ne veux pas que la misère de tant de familles, que le sang de tant de victimes pèsent éternellement sur vos têtes : loin de là. Ici parmi vous, heureux et estimé, ou malheureux, refoulé sur la terre étrangère, errant demain comme j’errais hier, je dirai : « Dieu bénisse la Belgique ! Et ce roi, honnête homme, dans les destinées duquel il semble être de voir se flétrir tout ce qu’il touche d’un main caressante, je dirai encore : Que lui aussi soit béni ! »… Adieu.