(Moniteur belge n°94, du 17 septembre 1831)
(Présidence de M. de Gerlache.)
La séance est ouverte à une heure.
M. Lebègue donne lecture du procès-verbal de la dernière séance. Il est adopté.
- MM. J. Goethals, Lefebvre et Corbisier, qui n’avaient pas assisté aux séances de la chambre depuis leur admission, prêtent serment.
M. Bourgeois fait, au nom de la section centrale, un rapport sur le projet présenté hier par M. le ministre de la justice, et qui est relatif au mode de promulgation des lois ; il propose l’adoption de ce projet avec diverses modifications que nous ferons connaître.
L’ordre du jour est la discussion de l’adresse.
M. Osy demande que l’on décide d’abord sur la discussion aura lieu en comité général ou en séance publique.
- L’assemblée décide que ce sera en séance publique.
M. le président. - La discussion est ouverte sur l’ensemble.
- Personne ne demande la parole.
M. le président. - Je vais ouvrir la discussion sur le paragraphe premier, en voici les termes :
« Sire !
« Dès ses premiers pas sur le sol de sa nouvelle patrie, Votre Majesté fut saluée par les acclamations unanimes du peuple belge ; chaque jour ce peuple a senti se resserrer les liens qui l’attachent au chef qu’il s’est choisi, et qui a si noblement répondu à sa confiance. Recevez de nouveau, Sire, par notre organe, l’hommage de son dévouement et de sa reconnaissance. »
- Ce paragraphe est adopté sans discussion.
On passe au deuxième paragraphe.
« « Un des premiers soins qui vont occuper votre gouvernement, c’est, nous aimons à le voir, le développement des principes posés dans la constitution que le peuple belge s’est donnée, et qui renferme les germes les plus féconds de civilisation et de prospérité morale pour le pays.»
M. Leclercq. - Je crois que le pays renferme des éléments de prospérité matérielle aussi bien que de prospérité morale. Je demande la suppression du mot « morale ; » le mot « prospérité » seul est suffisant.
- La suppression est adoptée.
« Les suites inévitables d’une grande commotion politique, quelques causes plus anciennes, et d’autres qui se rattachent à l’état général de l’Europe, ont gravement compromis les intérêts de l’industrie et du commerce. La chambre des représentants voit avec satisfaction la sollicitude de Votre Majesté pour ces souffrances, que les richesses de notre sol et l’activité de ses habitants ne tarderont pas à faire oublier. Nous serons prêts à concourir avec toutes les mesures que nous croirons utiles à favoriser ces deux sources de la prospérité publique.»
M. Osy. - Je demande que l’on efface de ce paragraphe les mots : « quelques causes plus anciennes. » Les causes de la ruine de l’industrie viennent de la révolution, je n’en connais pas d’antérieures. (Violents murmures.) Je n’en connais pas.
- Plusieurs voix. - Je demande la parole.
M. Delehaye. - Je demande le maintien des mots dont M. Osy demande la suppression. Il est certain que plusieurs industries étaient en souffrance avant la révolution. Par exemple, le commerce des toiles. M. Osy ne le contestera pas.
M. Lardinois. - Si par les mots contenus dans l’adresse, ses auteurs ont voulu dire que quelques industries étaient en souffrance, je soutiendrais cette rédaction ; mais si l’on prétend dire que l’industrie en général ne prospérait pas en Belgique, ce serait une assertion démentie par les faits. Je n’en veux pour preuve que la situation de la France où, depuis la révolution de juillet, on compte des faillites dont le montant s’élève à 500 millions, tandis que dans notre pays on n’en rencontre presque pas.
M. Osy. - Ce n’est pas seulement peu de temps avant la révolution que le commerce des toiles est en souffrance, mais depuis 10 ans. (Murmures. - L’adresse a donc raison !) Cela vient de ce que les toiles de coton ont été fabriquées dans le pays en quantité, et leur bon marché a porté préjudice au commerce de la toile.
M. A. Rodenbach. - Je m’oppose à la suppression des mots. Il est certain que Guillaume a frappé de mort une foule d’industries, entre autres les distilleries ; le système hollandais a ruiné plus de 800 distillateurs dans les Flandres, et cependant les distilleries sont indispensables dans ce pays pour l’agriculture, à qui elles fournissent des engrais. Le gouvernement de Guillaume a porté le poignard dans cette industrie, jamais sous ce gouvernement l’agriculture ne fut favorisée, et c’est là cependant une branche de prospérité pour notre pays. Aussi avons-nous vu la France vendre ses produits agricoles 10 p. c. plus chers que les nôtres. Je suis partisan de la liberté de commerce, mais il faut entendre une liberté sage. Sans doute quelques industries ont été favorisées : Anvers, par exemple, par sa position géographique, a acquis une grande prospérité, elle a gagné des millions ; Gand, par ses manufactures et par la protection spéciale de l’ex-roi, a beaucoup gagné aussi ; mais c’est grâce aux sommes qu’on y a répandues et aux manœuvres d’une foule d’intrigants que je pourrais nommer, s’il le fallait, qui se sont partager le million Merlin. (Murmures sans quelques bancs.)
- Plusieurs voix. - C’est vrai ! c’est vrai ! c’est vrai !
M. A. Rodenbach. - Je demande le maintien du paragraphe tel qu’il est proposé.
M. Lebeau. - Je m’oppose aussi à la demande de M. Osy. Il me semble, messieurs, qu’il est de notoriété publique qu’avant non seulement le mois de septembre, mais même le mois de juillet, l’industrie était chez nous dans un état alarmant. Je citerai pour exemple une faillite colossale, qui éclata à Verviers même, dans le mois d’avril 1830, et qui causa dans cette ville une telle perturbation que des fabricants très recommandables furent forcés de recourir aux secours du gouvernement. Le malaise de l’industrie avait pour cause la faveur aveugle que lui accordait l’ancien gouvernement ; elle ne présentait qu’une prospérité factice, et l’excès de la protection n’était plus en rapport avec nos débouchés. Je pourrai citer pour preuve de ce que j’avance des faits dont j’ai été témoin à Liége, et que tout le monde connaît. A Gand, cette production exagérée faisait présager une catastrophe prochaine, inévitable, et qui n’aurait pas manqué d’éclater même sans la révolution. Il ne faut pas faire la cour à la révolution, messieurs, mais je ne sais pas pourquoi on la ferait davantage à l’ancien gouvernement. L’adresse exprime une chose vraie, j’en demande le maintien.
M. Delehaye. - Je suis fâché que la proposition de M. Osy ait donné lieu à M. A. Rodenbach de dire que Gand était le centre des intrigants. (Murmures.)
M. A. Rodenbach. - Je n’ai pas dit cela. (Non ! non !)
M. Delehaye ajoute quelques mots que le bruit nous empêche de saisir.
M. A. Rodenbach. - J’ai dit qu’à Gand, des intrigants (et il y a des intrigants partout : j’en connais) (on rit), des intrigants avaient obtenu de l’argent du gouvernement. Je sais bien qu’il y a d’honnêtes fabricants qui ont pris part au million Merlin, et qui rendront ce qu’ils ont pris en capital et intérêt ; mais il y a beaucoup d’intrigants aussi qui ont eu leur part. (Aux voix ! aux voix !)
M. Lardinois. - On n’a pas répondu à mes observations. Je conviens que plusieurs industries auraient été ruinées indépendamment de la révolution ; que Gand était en souffrance, ainsi que le commerce des toiles. Mais si par « causes plus anciennes, » on prétend dire que la révolution n’a pas porté coup à l’industrie…
- Quelques voix. - On n’a pas voulu dire cela ! (Aux voix ! aux voix !)
- L’amendement de M. Osy est mis aux voix. M. Osy et M. Lardinois se lèvent seuls pour le soutenir. (On rit.)
M. Devaux. - Dans le projet de la commission, on avait mis après les mots : « La chambre des représentants voit avec satisfaction la sollicitude de V. M. pour ces souffrances, » ceux-ci : « auxquelles le gouvernement ne peut accorder un trop vif intérêt. » Je demande le rétablissement de ces derniers mots.
M. Fleussu. - Si on rétablir ces mots, il faudra supprimer ceux qui suivent ; car, si le pays est si riche, je ne vois pas pourquoi ces souffrances exciteraient la sollicitude du gouvernement.
M. Rogier appuie l’observation de M. Fleussu.
- L’amendement est adopté.
Les 4ème, 5ème et 6ème paragraphes sont ensuite adoptés sans discussion en ces termes :
« Nous accueillons l’espérance que des négociations pourront être ouvertes à cet égard, à l’aide des rapports déjà établis avec deux puissances voisines : notre désir est de les voir bientôt s’étendre aux autres Etats. »
« L’ordre et l’économie dans les dépenses publiques sont des conditions essentielles de la richesse des nations. Les vues que Votre Majesté nous communique sur cet objet important sont celles de la chambre. Elle ne négligera rien pour les mettre en pratique et pour alléger, autant que les besoins de l’Etat le permettront, les charges qui pèsent sur le peuple. »
« Si la paix générale, si les vœux d’une puissance amie à laquelle nous lient si intimement et nos intérêts et nos sympathies, exigent le sacrifice de quelques-unes de nos forteresses, nous nous flattons, Sire, que dans les négociations relatives à la démolition de ces places, le gouvernement ne négligera rien de ce qui importe à la sûreté et à l’honneur de la Belgique. »
« Livrée tout entière à la joie de celui qu’elle regardait comme le gage de son bonheur et de ses relations amicales avec les autres Etats, après avoir accédé aux vues pacifiques des puissances européennes, la Belgique se reposait dans l’espoir d’une paix avantageuse et prochaine, quand elle se vit naguère surprise, au milieu de ses fêtes, par un ennemi déloyal qui, au mépris des engagements contractés par lui et garantis par les cinq puissances, envahit subitement nos frontières désarmées. Le courage de nos soldats dut céder au nombre. Sur eux ne retombe pas le blâme de ce manque d’organisation et d’ensemble que présenta presque toute l’armée, et qui, s’il s’explique peut-être par la confiance des Belges dans l’armistice, reste encore à se justifier aux yeux du pays et de ses représentants. Dans ces circonstances critiques, une nation généreuse nous prêta son assistance et défendit chez nous notre révolution et la sienne, désormais inséparable. S’il fallait vivement regretter que l’imminence du danger n’ait pas permis alors au gouvernement de réunir les mandataires de la nation, pour sanctionner les mesures commandées par le salut de l’Etat, la Belgique n’en a pas moins a vu avec reconnaissance qu’elle pouvait compter sur l’amitié du peuple français et sur le soutien de son illustre monarque. »
M. le président. - Au paragraphe 7, M. Lardinois propose l’amendement suivant ; cet amendement doit être placé après les mots : « envahit subitement nos frontières désarmées. » « Le courage de nos soldats aurait dû finir par céder au nombre ; mais, nous le disons avec regret, l’armée n’a pas rempli entièrement son devoir. Cependant sur eux ne doit pas tomber le blâme de ce manque d’organisation et d’ensemble que présentait notre armée. Le ministère a été d’une imprévoyance coupable, et il lui reste à se justifier aux yeux du pays et de ses représentants. C’est à cette cause, Sire, que l’on doit attribuer principalement les succès de nos ennemis. »
M. Lardinois. - Messieurs, j’ai proposé cet amendement, parce qu’il est bon que l’on sache à qui attribuer la cause de nos malheurs récents. Nous n’avons pas été vaincus, mais nous avons reçu un terrible échec. Notre armée à flétri les lauriers de septembre, et c’est la faute de ceux qui ont négligé son organisation, son armement, et de pourvoir à sa subsistance. Nous avions voté près de 30 millions de crédits pour la guerre, et tout a manqué au moment suprême. Nous aurons probablement une nouvelle lutte à soutenir contre la Hollande ; l’adoption de mon amendement sera un avis public salutaire, et qui préviendra sans doute le retour de nouvelles fautes de la part du ministère.
M. Lebeau. - Messieurs, si l’on se bornait à insérer dans l’adresse une censure de l’administration du département de la guerre, je ne croirais pas pouvoir m’y opposer ; mais je dois m’opposer à l’amendement proposé par M. Lardinois, parce qu’il me paraît que dans sa généralité il atteindrait des hommes qu’il ne peut atteindre avec équité. Il n’atteindrait pas en effet seulement le ministre de la guerre et celui de l’intérieur dans ses rapports avec l’organisation de la garde civique, mais il frapperait à la fois le ministre de la justice, celui des finances, celui des affaires étrangères ; j’adjure M. Lardinois de dire si c’est là son intention.
Je le demande, messieurs ; lorsque, par dévouement et dans les moments les plus difficiles, j’ai accepté le portefeuille des affaires étrangères, pouvait-on exiger de moi que je m’occupasse des négociations qui incombaient à mon département, et que je fusse en outre un organisateur habile et un tacticien militaire ? La tâche que l’on m’imposait dépassait déjà mes forces, et si on avait voulu que je fusse chargé d’organiser l’armée, de lui choisir des officiers, des tacticiens habiles, il aurait fallu être frappé de la plus aveugle présomption pour accepter une pareille tâche. Ce n’est donc pas sous ce rapport que je pourrais être attaqué, et le ministère ne pourrait l’être en entier que pour un système qu’il aurait adopté en opposition directe avec les intérêts de la nation.
Si dans le conseil des ministres j’avais insisté pour qu’on négligeât l’armement, dans l’opinion où j’aurais été qu’il était inutile, j’aurais assumé sur ma tête une responsabilité que je ne pourrais décliner, et je ne la déclinerais pas ; mais au lieu de cela j’ai toujours insisté dans le conseil, et je l’ai fait même dans l’intérêt du succès des négociations, pour que l’on poussât l’armement avec la plus grande énergie ; c’est tout ce que je pouvais faire, et il était impossible à moi, apprenti diplomate, de m’occuper de ce qui concernant l’organisation de l’armée.
Le gouvernement provisoire a été installé au mois de septembre ; il est resté au pouvoir jusqu’au mois de mars. Rien de ce qu’il avait fait n’a été défait par nous : au contraire, sous mon administration on a crée huit bataillons de volontaires, des ambulances qui n’existaient pas auparavant ; on a fait un appel de 26,000 hommes, 50,000 fusils ont été commandés en Allemagne et en Angleterre ; en un mot, on a pris une foule de mesures qui prouvent que je pouvais très bien croire la Belgique en état de faire la guerre. Je pourrais exhumer les procès-verbaux du conseil des ministres, on y verrait que j’ai toujours insisté pour cela. En voulez-vous la preuve ? Aujourd’hui le Roi a mis à la tête de l’administration de la guerre un homme qui mérite à tous égards sa confiance et celle de la nation. Cet homme était entré au ministère le 1er janvier ; il en est sorti le 1er juin, lorsqu’il y a eu dissentiment dans le ministère pour savoir si on ferait la guerre, et parce qu’il était d’avis que nous étions déjà alors en guerre non seulement de nous défendre, mais encore de faire une guerre offensive. L’honorable M. de Brouckere se retira le 1er juin, et le ministère sur qui M. Lardinois voudrait faire tomber sa censure, s’est retiré le 5 juillet ; alors c’est du 1er juin au 5 juillet, c’est-à-dire en 35 jours, que nous aurions tout désorganisé, M. Devaux et moi. On demandait la guerre alors ; mais, messieurs, de ce seul fait résulte la preuve que notre sécurité était partagée par celui-là même qui la demandait, et qui nous croyait en état de la faire ; et celui-là était au ministère avec nous, et il est aujourd’hui ministre de la guerre, par conséquent plus capable que nous, qui avions fait seulement avec vous un cours de diplomatie, de décider si tout allait bien ou non au département de la guerre.
Depuis cette époque, l’imminence d’une guerre offensive se présentait avec si peu de chances de probabilité, que le Roi lui-même, qui avant son départ de Londres avait pu par ses relations savoir mieux que personne ce qui se passait, avait choisi ce moment pour visiter les provinces du royaume, lorsqu’il fut surpris, tout à coup, par l’agression de la Hollande.
Disons donc que la principale cause de nos désastres, le défaut d’organisation, est dû à ce que nous étions encore novices dans toutes ces grandes affaires. (Rumeurs.) Il est impossible à une nation qui commence d’être d’acquérir tout à coup, dans l’administration civile et militaire, ces hautes capacités qui assurent le succès des entreprises. Rappelez-vous ce que vous disait M. Goblet le 10 décembre dans son rapport sur l’administration de la guerre. Sur 100 employés à ce ministère, sous Guillaume, la Belgique comptait deux commis et un expéditionnaire. Sur 115 officiers du génie on comptait 10 Belges, et il en était de même dans les autres armes. Voilà où se trouve le secret de notre faiblesse. Mais avec de l’union, de l’énergie, et grâce au secours d’une puissance généreuse et amie, tout peut être réparé.
Nous ne demandons aucun éloge pour notre administration ; nous pourrions dire cependant que notre ministère a empêché une restauration qui eût été infailliblement le partage de la Belgique. Oui, messieurs, je le dis hautement, sans l’adoption des 18 articles et sans l’arrivée du Roi qui en a été la suite, nous aurions subi une humiliante restauration. Je vous le demande, est-ce là ce que vous voulez faire ? (Bien ! bien !)
M. de Robaulx. - Il y a erreur dans ce que vous venez d’entendre ; je crois que plusieurs de vous, messieurs, se souviendra…
Une voix. - Se souviendront !
M. de Robaulx. - Hein ! Comment ! (On rit.)
- Une voix. - Se souviendront ! (On rit plus fort.)
M. le président. - Silence, messieurs, n’interrompez pas !
M. de Robaulx. - Lorsque nous reprochions au gouvernement, dont M. Lebeau faisait partie, cette incurie qui a été la cause pour le nom belge d’une tache plus ou moins ineffaçable, alors il se déclarait solidaire des actes de tous ses collègues. Dès son début, n’a-t-il pas dit à cette tribune que le ministère marcherait d’accord, et que, s’il y avait dissentiment, on se retirerait ? Le ministère est un être moral qui ne peut pas être divisé. D’ailleurs, toutes les mesures d’intérêt général sont prises au conseil des ministres et passent au même creuset. Un ministre, quel qu’il soit, ne peut répudier des actes du ministère, encore moins celui qui en était le président et le chef.
Mais, dit-on, lorsque nous avons accepté, devait-on exiger de nous que nous fussions bons tacticiens, bons militaires et autres ? Non, mais nous pouvions exiger que vous fussiez amis de votre pays. Mais de ce que vous venez aujourd’hui, par une défense préparée, car vous êtes préparé, vous produisez des calculs et des chiffres…
M. Lebeau. - M. Lardinois avait-il fait connaître son amendement ?
M. de Robaulx. - N’avons-nous pas le droit d’examiner votre conduite ? Mais, dit-on, l’armement n’est pas l’affaire de la diplomatie. Je n’accuse pas M. Lebeau, je ne dis pas qu’il soit coupable ; mais je demande qu’il soit nommé une commission chargée de faire des investigations sévères sur les causes de nos désastres. Si, par suite de cet examen, il est vrai que M. Lebeau n’ait pas ralenti l’armement, il sera innocent. Les derniers événements ont flétri, j’ose le dire, messieurs, le nom belge ; nous serions coupables si nous n’insistions pas pour qu’on fît une enquête sévère sur la conduite du ministère.
En attendant, c’est contre tous les ministres que doit être dirigé l’amendement proposé. Car, si vous considérez la décision que vous allez prendre comme ne devant frapper que sur M. Dufailly, il serait malheureux pour ce dernier de ne pouvoir se défendre ; et s’il était présent, il nous dirait peut-être que c’est un autre ministre, cela des finances, par des motifs d’économie, celui de l’intérieur ou tout autre qui a commis la faute, et vous voulez cependant que l’on flétrisse celui-là qui ne peut se défendre. Messieurs, il ne faut qu’un poids et qu’une mesure. Il ne faut pas que M. Lebeau soit mieux traité parce qu’il est en meilleure position de se défendre que M. Dufailly.
Nous n’avons rien défait, dit-on, de ce qu’avait fait le gouvernement provisoire depuis le mois de septembre jusqu’au mois de mars. C’est un malheur de voir tous les ministres qui se succèdent accuser les autres d’imprévoyance. Si le gouvernement provisoire avait mal agi, vous deviez éviter les mêmes fautes. Vous aviez vu les préparatifs de la Hollande, vous auriez dû les voir, au moins, il fallait faire comme eux, organiser ; nous n’avons pas été vaincus ni par manque d’hommes ni d’argent, mais par défaut d’organisation.
On a parlé de la retraite d’un ministre, de M. de Brouckere. Il paraît qu’il s’est retiré le 1er juin par dissentiment avec les autres ministres, et qu’il croyait qu’on pouvait faire la guerre alors ; et, dit-on, du 1er juin au 5 juillet, nous n’avons rien désorganisé. Il ne fait pas ainsi fractionner votre administration ; vous avez été au ministère depuis le mois de mars jusqu’au 5 juillet, c’est votre conduite pendant tout ce temps-là qu’il faut examiner.
Il est très possible que malgré ce qu’on en dit dans le public, le ministère ne soit pas coupable d’autre chose que de négligence et d’incurie ; c’est ce qu’on verra par l’enquête. Laissons faire la vérification la plus large ; ne la craignez pas, vous devez la désirer vous-même.
La cause de nos malheurs, dit-on, c’est que nous étions novices ; nous étions des gens un peu trop jeunes, et peu capables de nous administrer nous-mêmes… La cause, messieurs, c’est que souvent on a trop bonne opinion de soi-même. Quand on a dit : Armez ! Voulez-vous des hommes ? Voulez-vous de l’argent ? En voilà ! L’avez-vous fait ? A quoi on servit les 12 millions ? On ne l’a pas dit, et si aujourd’hui nous votions d’autres fonds sans savoir ce que ceux-là sont devenus, la nation nous considérerait comme coupables.
Je le dis : s’il n’y a pas eu de traîtres, tant mieux ; mais s’il y en a eu, qu’on les connaisse et qu’on les écarte du pouvoir, car il y a des hommes qui sont toujours au pouvoir, et qui, ayant créé un système, pensent qu’ils sont seuls capables de l’exécuter. Il faut pour les ministres futurs une leçon ; je le demande dans l’intérêt des ministres eux-mêmes.
On a dit : Notre système était excellent, et, sans l’adoption des 18 articles et sans l’arrivée du Roi qui a sauvé notre indépendance, aujourd’hui nous aurions une restauration. Avec un raisonnement semblable vous pouvez avoir raison ; mais on peut répondre : Si vous aviez organisé l’armée, vous n’auriez pas vu la Belgique, avec une population d’un tiers plus nombreux que la Hollande, vaincue par elle sur son propre territoire. Au lieu de cela, ce n’est qu’au dernier moment que l’on a mobilisé la garde civique, que l’on a distribué des fusils, je l’ai vu moi-même à Liége, à des individus qui la veille ne savaient pas ce que c’était qu’un fusil. Comment voulez-vous que des gardes civiques ainsi organisés se battent avec courage ? Il faut le dire, nous avons été vaincus. Les 18 articles ont été un bienfait dans la circonstance ; mais sans eux la Belgique aurait réussi, si son armée avait été organisée. Je demande le maintien de l’amendement de M. Lardinois.
M. de Theux.- Je viens appuyer le maintien pur et simple de l’adresse. Sans doute il est du devoir de la chambre d’ordonner une enquête sur les derniers événements, et je serai le premier à l’appuyer. Mais est-ce dans l’adresse qu’il faut porter une accusation quelconque ? Non. Les termes de l’adresse n’excluent pas cette investigation, soit contre le ministre en général, soit contre chaque ministre en particulier ; mais attendons, pour condamner quelqu’un, que cette investigation soit faite.
M. Lardinois ajoute quelques mots et persiste dans son amendement.
M. Devaux. - Messieurs, plusieurs faits erronés ont été avancés par les préopinants. D’abord il est erroné de dire qu’il y ait eu un président du conseil.
M. de Robaulx. - M. de Gerlache.
M. Devaux. - Oui, mais depuis vous ne trouverez dans aucun acte qu’il y ait eu un président de conseil ; le seul président du conseil était le vénérable régent de la Belgique. Un autre fait complétement faux, c’est que toutes les mesures d’intérêt général passaient en conseil des ministres. Non, messieurs, aucune mesure d’exécution n’est passée en conseil des ministres, si ce n’est la création des dix bataillons de volontaires ; et dans cet état vous voudriez cependant qu’un ministre fût responsable de tous les actes d’exécution faits par chacun de ses collègues. Comment concevoir, en France par exemple, que le ministre des cultes soit responsable de ce qui se passe au ministère de la guerre, de chacun des actes du maréchal Soult ? Mais il faudrait supposer au ministre des cultes les mêmes connaissances des affaires de la guerre qu’au maréchal Soult, et à la fois les connaissances exigées pour occuper tous les autres ministères. Vous ne pouvez pas exiger une telle capacité. La vie d’un homme ne suffirait pas à l’acquérir. Ce ne serait pas exiger moins que le savoir de tout un conseil des ministres.
On a mis en avant un singulier système : je n’ai aucune donnée contre personne, dit M. de Robaulx, mais j’accuse tout le monde. (On rit.) Messieurs, il ne s’agit pas d’investigation à faire dans la phrase de M. Lardinois, mais d’une flétrissure à imprimer, et on veut le faire sans examen, sans preuve, par cela seul qu’on a fait partie d’une administration. Mais, messieurs, si, en suivant un pareil système, nous étendions le cercle de nos récriminations, on pourrait accuser bien du monde d’être la cause des derniers événements. M. de Robaulx lui-même ne s’est-il pas opposé à la mobilisation de la garde civique ? (Mouvement.)
Il ne s’agit pas ici d’anciennes rancunes, il ne s’agit pas du procès des 18 articles, ce procès est jugé ; la nation a prononcé, et ce n’est qu’avec humiliation que nous pouvons invoquer son jugement. La cause de nos malheurs, c’est l’inexpérience, c’est que d’un jeune lieutenant on ne peut pas faire dans un seul jour un bon colonel. Eh bien, on vous a proposé d’appeler des hommes d’une nation voisine pour leur donner des grades dans l’armée. On sait quelle opposition cette mesure a trouvée dans cette enceinte, et de quelle part. On sait la protestation qui a été faite au-dehors de cette enceinte ; car tout ce qui se disait ici avait de l’écho à l’extérieur, et cette protestation partait précisément de l’armée de la Meuse. (Nouveau mouvement.)
Une autre cause de la rupture de l’armistice, c’est qu’on nous a obligés à exposer et à discuter en public les avantages que la Belgique s’assurait par l’adoption des 18 articles. A votre départ de Londres, l’acceptation de ces articles par la Hollande était très vraisemblable ; par la discussion publique qui eut lieu ici, les Hollandais ouvrirent les yeux sur les avantages qui nous en revenaient : les journaux et la Hollande en sont convenus eux-mêmes.
Messieurs, il ne faut pas plus flétrir la nation sans preuves que le ministère. J’avoue que j’ai été étonné de l’empressement qu’on a mis à imprimer une flétrissure sur l’armée belge, comme si une armée entière était déshonorée parce que des chefs et une bonne organisation lui avaient manqué. Ce qui nous est arrivé provient de l’organisation révolutionnaire donnée par l’armée : les Français ont-ils été déshonorés parce que le général Dillon et son armée furent forcés à la retraite devant Lille ? Non. Son armée était comme la nôtre, c’est l’histoire de toutes les révolutions. Des armées organisées révolutionnairement portent avec elles des germes de désorganisation, de défiance ; germes qui éclatent à la première occasion, comme nous l’avons vu.
Ce n’est donc pas au ministère qu’il faut reprocher les derniers événements ; il peut au contraire se rendre la justice d’avoir sauvé l’indépendance du pays. Car, si la guerre avait lieu avant l’arrivée du Roi, c’en était fait, nous avions ou la restauration ou la réunion à la France.
M. Barthélemy fait remarquer que l’amendement est une véritable condamnation qu’on ferait subir au ministère. Or, une condamnation ne peut pas être prononcée sans qu’il y ait accusation, sans qu’on ait articulé les faits de culpabilité, et sans que ces faits aient été prouvés. On ne peut pas surtout condamner quelqu’un sans l’entendre ; or, c’est ce qui arriverait si on insérait la phrase dans l’adresse. L’honorable membre demande en conséquence la question préalable.
M. de Robaulx. - Messieurs, on est venu vous dire que, quoique je n’eusse aucune donné de culpabilité, je voulais condamner tout le monde. Je n’ai pas de donnée contre MM. Devaux, Lebeau, ou tout autre ; mais je peux dire que le ministère a été négligent, et que sa négligence fut coupable de tout ce qui s’est passé ; nous devons en accuser la haute administration, car c’est elle qui a tout fait manquer par son incurie. Où sont nos données, dites-vous ? Dans le défaut d’armes : vous alliez acheter à l’étranger des fusils qui vous coûtaient 29 ou 30 francs, et qui, en arrivant ici, en valaient 8 ou 10. Le défaut coupable est de ce que, au lieu de 68 mille hommes que vous annonciez sur le papier, il ne s’en est pas trouvé le tiers. Or, le ministère ne pouvait pas ignorer le nombre de troupes qui étaient sous les drapeaux.
Le défaut coupable est dans l’organisation. Avez-vous des armes pour la garde civique, disions-nous au ministre de la guerre ? Oui, disait-il, elles sont prêtes. Avez-vous des armes pour la milice de 1830 ? Oui, disait-il, elles sont dans les dépôts, dans les villes où les troupes doivent se rendre. Eh bien ! tout cela n’était pas vrai ; on a attendu que le tocsin ait sonné à l’approche de l’ennemi pour distribuer des armes. De tout cela je conclus que, sans vouloir accuser le ministère d’un crime, on peut au moins, dans l’adresse, parler de négligence coupable.
On a parlé de mon vote lors de la loi sur la mobilisation de la garde civique. J’ai dit alors qu’il y avait des miliciens dans leurs foyers, et qu’il fallait leur donner des armes. J’ai demandé aussi qu’on fît un appel aux volontaires avant de recourir à la garde civique et d’arracher des hommes à leur métier. On n’a pas voulu faire droit à mes réclamations, j’ai voté contre la loi ; voilà l’explication de mon vote.
Les causes de la rupture de l’armistice, c’est, dit-on, la discussion publique des 18 articles. C’est toujours le même système pour étouffer les discussions. La publicité n’a fait aucun mal dans cette affaire, et les Hollandais n’avaient pas besoin de nos discussions pour savoir à quoi s’en tenir sur les 18 articles.
M. Rogier combat l’amendement de M. Lardinois, et blâme avec énergie les expressions de l’amendement qui tendent à déshonorer une armée sans preuves, et sans attendre des explications qui la laveront peut-être de tout reproche.
M. Blargnies. - Messieurs, je repousse l’amendement de M. Lardinois en ce qui concerne l’armée, mais je l’appuie en ce qui concerne l’administration précédente. Pour justifier mon vote, je m’empare des expressions sorties de la bouche de M. Lebeau lui-même, et des concessions qu’il nous a faites. M. Lebeau a déclaré qu’il ne s’opposait pas à l’insertion de l’amendement s’il ne devait concerner que M. Dufailly. Or, messieurs, en parlant ainsi, M. Lebeau devait songer que depuis longtemps il s’était condamné lui-même : à son entrée au ministère, il est venu nous parler de la solidarité de l’administration pour tous les actes qui émaneraient d’elle. M. Lebeau nous a déclaré alors qu’il acceptait la solidarité de tous les actes de ses collègues ; en bien ! dès lors, M. Lebeau met ma conscience bien à l’aise ; il est solidaire de tous les reproches que lui-même croit que l’on peut adresser à M. Dufailly.
Et comment ne blâmerions-nous pas le ministère dont M. Lebeau a fait partie ? Rappelez-vous, messieurs, les premiers mots qu’il prononça à la tribune au début de son administration. « Le rôle de la diplomatie, disait-il alors, doit être court, très court » : j’espère que les négociations seront heureuses ; mais si elles ne l’étaient pas, je serai le premier à pousser le cri de guerre. Eh bien ! tout dès lors reposait sur vous ; vous deviez tout faire pour soutenir la guerre, sinon avec succès, au moins d’une manière honorable. La nation a prouvé ce qu’elle était et ce qu’on pouvait faire d’elle. Elle n’a jamais manqué à l’appel de l’honneur, et le patriotisme qu’elle a toujours montré l’anime encore cette année. Cependant, animée d’un si bon esprit, elle a été vaincue sans avoir combattu. Si nous l’accusons pas le ministère, nous condamnons par cela même la nation aux yeux des étrangers ; car si le ministère était innocent, c’est la nation qui se serait manqué à elle-même. Je vote donc pour l’amendement de M. Lardinois en ce qui concerne le ministère, et je regarde cet amendement comme l’écho de l’opinion publique.
M. Lardinois. - Je suis étonné, messieurs, des accusations que mon amendement me suscite. On va jusqu’à s’écrier que je veux décourager l’armée ; peu s’en faut qu’on ne m’accuse d’être son antagoniste. L’armée, ai-je dit, n’a pas entièrement répondu à l’attente de la nation, et non pas l’armée tout entière. N’est-ce pas là la vérité ? Est-ce que l’armée du général Daine a fait son devoir lorsque le tiers de cette armée n’a pas même tiré un coup de fusil ? Le ministère a montré une négligence coupable, c’est un fait prouvé. Pour moi, je persiste donc dans mon amendement contre lui ; je retire la partie de ma phrase qui concerne l’armée.
M. Lebeau. - Il paraît que le préopinant n’a pas grande foi en ses paroles ; il retire déjà de sa phrase ce qui concerne l’armée, et quelques scrupules ont suffi pour l’engager à faire disparaître ce qu’il y avait de plus incisif dans son amendement. Eh bien ! j’ose le dire, le reste de l’amendement n’est pas plus juste contre le ministère. On me fait, messieurs, trop d’honneur, et on départ trop d’humiliations à mes collègues, en disant que je fus le chef et l’âme du ministère. Je n’avais aucun mérite, aucune qualité qui dût me placer au-dessus d’eux. Je suis entré au ministère, on sait dans quel but, et si je l’ai rempli. J’ai été ministre des affaires étrangères, n’ayant à m’occuper que de mon département comme les autres ministres, chacun ayant la responsabilité de ses propres actes et devant encourir le blâme, le cas échéant. Ainsi, si l’administration de la guerre a mérité le blâme, c’est sur M. Dufailly seul qu’il doit tomber. Eh bien ! je n’hésite pas à le dire, M. Dufailly est un homme d’honneur, mais il a payé le tribut à l’inexpérience. Quant il est entré au ministère, ce n’est qu’à la pressante sollicitation du régent ; il se défiait de ses propres forces, et il n’accepta qu’avec répugnance. On pourrait accuser sa négligence ; mais si on voulait aller jusqu’à ses intentions, je m’y opposerais.
On a parlé de la solidarité du ministère. Il y a des actes, sans doute, qui entraînent la solidarité de toute l’administration. Si nous avions signé un traité d’alliance, une déclaration de guerre, nous serions solidaires, car ce sont des actes que l’on est censé approuver si l’on ne se retire du ministère ; mais, quant à l’exécution, je dis qu’il y a absurdité à vouloir en rendre tous les ministres responsables. En quoi ! le ministre des finances nomme dans son département un financier peu probe ou incapable, et tous les autres ministres seront responsables de cette nomination ? Vous voulez qu’un ministre de la justice, jusque-là obscur praticien (je fais une supposition et pas une application personnelle, car les antécédents de l’honorable M. Barthélemy ne permettent pas que l’épithète d’obscur lui soit appliquée) ; vous voulez, dis-je, que le ministre de la justice soit responsable d’une mauvaise nomination faite par le ministre de la guerre. Vous venez de dire, vous-même, que l’armée de Daine s’était retirée sans tirer un coup de fusil ; vous voulez que le ministère soit responsable de cette conduite ? C’est impossible, et j’ai bien dit quand j’ai taxé d’absurdité une pareille prétention.
Les armes ont été distribuées tardivement ; ces armes étaient en mauvaise état ; mais sommes-nous, nous, inspecteurs de canons, et de batteries de fusils ? Je le déclare en honneur, à l’exception d’un fusil de chasse, je serais incapable de décider, à 10 francs près, de la valeur d’un fusil. Sous le rapport des subsistances qui ont manqué, je demanderai si on a cru que j’étais fournisseur de vivres, si j’avais l’entreprise des marmites et des bidons ? Qu’on insiste encore sur la solidarité. En vérité, je suis étonné d’une telle prétention de la part d’un esprit aussi distingué que M. de Blargnies.
Si vous adoptez l’amendement de M. Lardinois, vous arriverez à une conséquence bien singulière. Il y a aujourd’hui à la tête du ministère de la guerre un homme revêtu de la confiance du pays ; il en a besoin. Eh bien ! vous flétririez cet homme lui-même, car il a fait six mois partie de l’administration, à moins qu’un amendement ne vînt encore modifier le premier en sa faveur.
On nous reproche notre sécurité après l’adoption des 18 articles. Nous sommes bien coupables, nous n’avons pas cru à la guerre. Mais je le demande à l’honorable membre, de bonne foi, lui-même y croyait-il ? Le chef de l’Etat n’y croyait pas plus que nous, puisqu’à la veille de la guerre il allait visiter les provinces du royaume. On n’a pas osé persister dans l’amendement contre l’armée, de peur de commettre une injustice ; qu’on ne persiste pas dans celui qui concerne le ministère, de peur d’en commettre une nouvelle.
M. Barthélemy persiste à demande la question préalable.
M. Blargnies prie M. le rapporteur de la section centrale d’expliquer ce que veulent dire les mots « nos frontières désarmées. » Je trouverais le blâme dans la rédaction de l’adresse, si ces mots voulaient dire que nos frontières étaient dégarnies de canons et de soldats.
M. Rogier. - La commission a voulu dire par ces mots que nous n’étions pas préparés à repousser une attaque. (Aux voix ! aux voix !)
M. C. Rodenbach. - Je demande l’appel nominal.
On procède à l’appel nominal, dont voici le résultat. Votants, 68 ; 50 contre l’amendement, 16 pour. MM. Lebeau et Devaux se sont abstenus.
Ont voté pour : MM. Lardinois, A. Rodenbach, C. Rodenbach, de Robaulx, Seron, Blargnies, Watlet, Dumortier, d’Huart, E. Desmet, Gelders, Vuylsteke, Vergauwen, d’Hoffschmidt.
M. Leclercq propose de supprimer « des chefs » dans cette phrase : « la confiance des chefs dans l’armistice. »
- Cette suppression est ordonnée.
M. Legrelle demande la suppression du mot « déloyal. » (Murmures.)
- L’amendement n’est appuyé que par MM. Lebeau et Olislagers. Il n’est pas mis aux voix. Le paragraphe 7 est adopté.
« Votre Majesté nous informe que des négociations sont ouvertes pour terminer nos différends avec la Hollande. Nous sommes convaincus, Sire, que conformément à vos nobles paroles, l’honneur et les intérêts du peuple belge y seront défendus avec persévérance et dignité. Les puissances médiatrices ne peuvent avoir oublié qu’à leur intervention la Belgique s’arrêta au milieu de sa victoire, pour assurer le repos de l’Europe ; et nous ne pouvons croire que ce soit en violant la foi jurée, que notre adversaire ait amélioré sa position.
« Nous attendons, Sire, avec confiance, le résultat des négociations ; s’il trompait notre espoir, si la paix n’était pas possible à des conditions justes et honorables, comptez, Sire, sur le dévouement de la nation ; elle est prête à tous les sacrifices pour maintenir ses droits et l’honneur de votre couronne.
« Parmi les projets qui lui sont annoncés, et qui doivent fixer son attention particulière, la chambre accueillera avec le plus vif empressement les lois relatives à l’organisation militaire. La bravoure la moins contestée ne supplée point à l’absence d’une organisation et d’une discipline sévère. Pénétré de ce principe, votre gouvernement ne saurait donc presser avec trop d’activité et d’énergie la recomposition de cette armée qui, ralliée autour de son Roi, sous la conduite de chefs habiles, saura défendre avec honneur, avec succès, l’indépendance de notre commune patrie.
« Non, Sire, cette patrie adoptive qui vous est chère, et dans laquelle vous n’avez jamais cessé d’espérer, ne trahira ni ses devoirs si sa confiance. Non, la crise d’où sort la Belgique n’aura point eu pour elle les conséquences fâcheuses qu’en espéraient ses ennemis. Vous la retrouverez aujourd’hui plus forte, plus dévouée, plus déterminée à soutenir par tous ses efforts, ses droits et les vôtres. Nous savons que, pour fonder son indépendance et ses libertés, une nation a besoin de courage et de constance ; qu’elle s’instruit et retrempe ses forces aux épreuves mêmes de l’adversité. Les Belges n’ont pas oublié non plus qu’il y a un an, à pareille époque, il ne leur fallut que quatre jours pour s’élever au rang de nation. Fiers d’un si beau souvenir, fiers d’avoir à leur tête le roi de leur affection et de leur choix, si le salut du pays le demande, ils combattront pour lui avec la même ardeur qu’ils l’ont vu combattre pour eux, et la victoire n’abandonnera pas les drapeau qui porte pour devise « Justice et Liberté ! »
- Les paragraphes 8, 9, 10 et 11 sont ensuite adoptés sans discussion et sans amendement, si ce n’est les derniers mots de l’adresse qui étaient ainsi conçus : « et la victoire n’abandonnera pas le drapeau qui porte pour devise : Justice et liberté » et qui, sur la proposition de M. Delehaye, sont changés en ceux-ci : « et la victoire n’abandonnera pas la cause de la justice et de la liberté. »
On procède à l’appel nominal sur l’ensemble de l’adresse ; elle est adopté par 66 voix contre 4.
La séance est levée à 4 heures.