(Moniteur belge n°86, du 9 septembre 1831)
(M. Serruys, président d’âge, occupe le fauteuil.)
A midi un quart, la plus grande partie des représentants et des sénateurs étant présents, M. le président d’âge invite les deux plus jeunes membres de l’assemblée à venir prendre place au bureau en qualité de secrétaires ; ce sont MM. Liedts et Ch. Vilain XIIII.
On tire au sort une grande députation de six sénateurs et douze représentants, pour aller recevoir S. M. au pied du grand escalier.
Les sénateurs désignés par le sort sont MM. le comte d’Ansembourg, de Raveschoot, de Quarré, de Méan, d’Andelot et de Lafaille.
Les députés désignés par le sort sont MM. Dugniolle, Fallon, Goblet, E. Desmet, Gelders, Vuylsteke, Raymaeckers, de Terbecq, Dewitte, Delehaye, Poschet de Chimay et Corbisier.
Déjà, avant cette opération, la foule de spectateurs avait envahi les tribunaux publiques et réservées, ces dernières étaient remplies de dames élégamment parées. Dans la tribune diplomatique on remarquait M. l’ambassadeur de France général Belliard, M. de Latour-Maubourg et M. de Vieil-Castel. Tous ces messieurs sont en grand costume.
On n’a rien changé à la décoration intérieure de la salle, si ce n’est le bureau et la tribune qui ont été enlevés et remplacés par le trône qui servit le jour de l’inauguration du Roi.
Le bureau du président est placé en face du trône.
A une heure précise, le canon se fait entendre et annonce le départ de S. M. ; elle sort immédiatement de son palais et traverse le cortège formé comme nous l’avons dit dans le programme publié hier, au milieu des acclamations et des vivats d’une foule innombrable, auxquels se mêle le bruit des fanfares et de la musique des divers régimes stationnés dans les rues Royale et de la Loi.
A une heure et quart, la grande députation qui était allée au-devant du Roi rentre en le précédant. Au moment où S. M. entre dans la salle, toute l’assemblée se lève ; les cris de : Vive le Roi ! et des applaudissements partent de tous les points de la salle et des tribunaux.
S. M. salue gracieusement l’assemblée ; elle va prendre place sur le trône, ayant à sa droite M. le comte d’Aerschot, grand-maréchal du palais, et M. le baron d’Hoogvorst, commandant-général des gardes civiques, et à sa gauche MM. le général de Chasteler, grand-écuyer et de Lagotellerie, aide-de-camp du Roi.
Un profond silence s’établit, et S. M. prononce le discours suivant.
« Messieurs, je suis heureux de me trouver, pour la seconde fois, au milieu des représentants de la nation.
« Les preuves d'amour et de dévouement, que le peuple Belge n'a cessé de me donner, dit-il, depuis le jour où j'ai mis le pied sur le sol de ma patrie adoptive, ont pénétré mon cœur du sentiment d'une vive reconnaissance. Cet élan spontané de tout un peuple, en m'inspirant un bien légitime orgueil, m'a fait comprendre toute l'étendue des devoirs qui me sont imposés. Je ne me dissimule aucune des nombreuses difficultés de ma position ; mais aidé de vos lumières et de votre expérience, je saurai les surmonter.
« Lorsque les principes posés dans la constitution que j’ai juré d’observer auront reçu, par les projets de loi qui seront soumis à vos délibérations, le développement qu’ils attendent encore, le Belge jouira d’une plus grande somme de liberté qu’aucun autre peuple de l’Europe.
« La crise que le pays a dû traverser pour arriver à sa régénération politique, a momentanément froissé une partie de ses intérêts matériels. C’est à satisfaire ces intérêts, en encourageant l’industrie et en procurant de nouveaux débouchés au commerce, que devront tendre désormais nos efforts réunis.
« Les rapports déjà si heureusement établis avec la France et l’Angleterre, et qui bientôt, je l’espère, s’étendront aux autres puissances, faciliteront l’accomplissement de cette tâche.
« Des négociations viennent d’être ouvertes pour amener un arrangement définitif de nos différends avec la Hollande. L’honneur, les intérêts du peuple belge y seront défendus avec persévérance et dignité. Comme vous, messieurs, comme la nation entière, j’attends avec confiance l’issue de ces négociations dont le résultat vous sera soumis.
« La neutralité de la Belgique, garantie par les cinq puissances, a fait concevoir la possibilité d’apporter des modifications dans son système défensif. Cette possibilité, admise en principe par les puissances qui ont pris part à l’érection des forteresses de 1815, sera, je n’en doute point, reconnue par la nation. Des négociations auront lieu pour régler l’exécution des mesures qui se rattachent à la démolition de quelques-unes de ces places. Heureuse de pouvoir resserrer encore les liens qui unissent les deux peuples, la Belgique donnera, en cette occasion, une preuve de sa reconnaissance envers la France ; l’Europe, un gage éclatant de sa juste confiance dans la loyauté du roi des Français.
« Les services éminents rendus par la France nous reportent involontairement vers un événement récent dont, je dois le dire, on s’est trop exagéré les conséquences. La Belgique, confiante à l’excès dans les engagements contractés par la Hollande envers les cinq puissances, et qu’elle-même avait souscrits, s’est vue tout à coup surprise par une armée dont les forces excédaient de beaucoup celle qu’elle avait à leur opposer.
« Dans ces pénibles circonstances, le secours de puissances amies devenait urgent, indispensable. Vous savez avec quel généreux empressement il nous a été accordé.
« Si le courage individuel, dit le roi aux deux Chambres réunies, si la bravoure qu'on n'a jamais contestée au soldat belge, avaient pu suppléer au défaut d'organisation et d'ensemble qui s'est fait sentir dans notre jeune armée, nul doute (et vous en croirez mon témoignage), nul doute que nous n'eussions victorieusement repoussé une attaque déloyale et contraire à tous les principes du droit des gens. La nation n'en sentira que plus vivement l'impérieuse nécessité des réformes déjà commencées et qui se poursuivent avec une activité dont les résultats ne se feront pas attendre. Dans peu de jours, la Belgique aura une armée qui, s'il le fallait de nouveau, ralliée autour de son roi, saurait défendre avec honneur, avec succès, l'indépendance de la patrie.
« Des projets de loi vous seront présentés pour donner au gouvernement sa part d'influence dans la composition des cadres de l'armée, rendre la confiance au soldat et assurer une juste récompense à ceux qui se seront signalés au jour du danger.
« Messieurs, j’appelle votre sollicitude toute particulière sur l’état de nos finances. Je sais les soins que réclame cette partie si essentielle du service public. La pensée dominante de mon gouvernement sera toujours d’introduire successivement dans les dépenses publiques les économies si hautement sollicitées par l’état de la société, et à l’aide desquelles il sera permis d’alléger peu à peu les charges qui pèsent sur le peuple.
« Aujourd’hui néanmoins des sacrifices sont encore nécessaires, d’une part pour couvrir les frais de la réorganisation de l’armée, et de l’autre pour compenser une diminution dans les recettes, que les circonstances où nous nous trouvons temporairement placés font entrevoir comme inévitable. La nation a prouvé qu’elle ne reculait point devant les sacrifices qui lui étaient commandés par l’honneur et l’intérêt du pays. Elle saura supporter encore ceux dont le gouvernement aura justifié la nécessité.
« La confiance avec laquelle la nation tout entière est venue jusqu’ici au-devant de son Roi me donne le droit de compter sur le concours de ses représentants pour toutes les mesures qui peuvent contribuer au bien-être du pays. Mes espérances ne sont point déçues. La Belgique nous verra, animés d’une même pensée, travailler de concert au bonheur et à la gloire de cette patrie devenue la mienne, de cette patrie à laquelle je ne cesserai de vouer toute ma sollicitude, comme je lui ai voué déjà mes plus chères affections. »
Ce discours, prononcé avec quelque émotion dès le commencement, mais bientôt d’une voix ferme et assurée, a été écouté dans un religieux silence ; il a été suivi des applaudissements et des acclamations de l’assemblée. Les cris de : Vive le Roi ! se sont de nouveau fait entendre. S. M. a paru touchée de ces témoignages d’affection ; elle a salué l’assemblée à plusieurs reprises, et elle a été reconduite avec le même cérémonial jusqu’à la porte du palais de la Nation. Là S. M. est remontée à cheval, et est rentrée dans son palais en passant par la rue Ducale. Les acclamations qui avaient accompagné S. M. en allant n’ont été ni moins vives ni moins nombreuses à son retour.
Tous les ministres étaient présents à cette séance.
Après le départ du Roi, M. le président d’âge a proposé à l’assemblée de nommer cinq commissions de dix membres pour faire la vérification des pouvoirs des représentants. Cette proposition ayant été adoptée, on a tiré les commissions au sort, après quoi on a attribué à chaque commission le nom des provinces dont elle aura à vérifier les pouvoirs.
Les rapports seront faits à la séance de demain, qui commencera à 11 heures.
La séance est levée.