de Broqueville Charles, Marie, Pierre, Albert catholique
né en 1860 à Postel décédé en 1940 à Bruxelles
Ministre (chemins de fer, postes et télégraphes, guerre, affaires étrangères, reconstruction nationale, intérieur, sciences et arts, premier ministre, agriculture et classes moyennes) entre 1910 et 1934 Représentant entre 1892 et 1919, élu par l'arrondissement de Turnhout(Extrait du Soir, du 11 septembre 1940)
Nous apprenons que le comte de Broqueville, ancien premier ministre de Belgique, vient de succomber à la longue et pénible maladie qui le minait depuis plusieurs mois.
L'homme d’Etat éminent qui vient de mourir était né à Moll, le 4 décembre 1860. Son grand-père, d'origine française, était venu en Belgique à la suite de son mariage avec une demoiselle de Syseghem. La mère du comte de Broqueville appartenait à une famille bien connue en Lorraine, les Briey.
Charles de Broqueville, aîné de six enfants, passa toute sa jeunesse dans les solitudes boisées de la Campine. Ayant épousé la petite-fille de Malou, il était tout désigné pour entrer dans la vie publique et y jouer un rôle.
Aussi, à vingt-cinq ans, siège-t-il déjà au Conseil provincial.
M. de Broqueville était élégant, mondain, courtois ; sa puissance d’assimilation était remarquable ; il conquérait par sa grâce et son charme. Fort populaire dans son pays de sapinières et de bruyères, il devint député de Turnhout en juin 1892. (Il le restera jusqu’en novembre 1919).
Dès son entrée à la Chambre, il se signale par des interventions dans les discussions budgétaires et se préoccupe principalement des questions militaires.
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Mais voici qu'au mois d'août 1910, M. de Broqueville est appelé faire partie du cabinet Schollaert comme ministre des Chemins de fer. Une longue carrière ministérielle s'ouvre pour lui. La question scolaire ayant amené la démission de Schollaert, c'est à M. de Broqueville que le Roi, après plusieurs tentatives infructueuses, confia le soin de former le nouveau cabinet. Il y eut un peu d’étonnement parmi les chevronnés de la politique, car M. de Broqueville n'était pas précisément un leader. C’était un homme politique plein d’allant, mais qui ne faisait pas encore figure de chef. Il se tenait à égale distance entre la vieille droite conservatrice et la jeune droite à tendances démocratiques. Il avait aidé fonder un journal qui cherchait à balancer dans le parti catholique l'influence d'un autre quotidien violemment antimilitariste.
Lorsque M. de Broqueville devient chef du gouvernement, la situation est assez difficile. La majorité réduite à quelques voix doit faire face à une coalition libérale-socialiste très ardente et à la tête de laquelle se trouvent des chefs décidés et enthousiastes, M. de Broqueville, habile manœuvrier, renforce considérablement sa majorité aux élections du 2 juin 1912. A force d'adresse et de ténacité, il parvient à imposer ses projets militaires, secondé au reste par le roi Albert, conscient de la gravité de l'heure.
« Pourvu que cette guerre que je redoute, disait M. de Broqueville au début de 1914, n'éclate pas avant 1917. Alors seulement, nous serons complètement prêts. »
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Quelques mois plus tard, le drame se produisait.
Au Havre, comme chef de cabinet et ministre de la Guerre, M. de Broqueville s'occupa de la réorganisation de l’armée, fonda des usines de munitions et d'artillerie, défendit les droits et les prérogatives de la Belgique dans les conférences interalliées des présidents des Conseils et des chefs d'Etat-major. Il parvint à faire admettre par les cabinets de Londres et de Paris la nécessité du ravitaillement de la Belgique occupée. A la suite des pourparlers Sixte de Bourbon-von der Lancken, M. de Broqueville donna sa démission de chef de cabinet et prit le portefeuille des Affaires étrangères du 4 août 1917 au 1er janvier 1918 et ensuite celui de la Reconstitution nationale du 1er janvier au 31 mai 1918.
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A la rentrée du gouvernement, le 22 novembre 1918, M. de Broqueville est ministre de l’intérieur dans le cabinet président par Delacroix. Il quittera le gouvernement le 18 novembre 1919 ; sa carrière subira une longue éclipse ministérielle.
Mais en novembre 1919, M. de Broqueville est élu sénateur provincial de Namur. Sénateur coopté en 1925, il rentre au gouvernement le 20 mai 1926, comme ministre de la Défense nationale, dans le cabinet Jaspar, et fait voter la loi de milice de 1928, établissant les services de 8, 10, 12 et 14 mois.
Après une retraite de plusieurs années, M. de Broqueville redevint Premier ministre en novembre 1932. Succédant à Renkin, que lés libéraux venaient de renverser, il constitua un cabinet qui fit les élections, puis s'attacha à redresser la situation économique. Le 6 mars 1934. M. de Broqueville prononça au Sénat un discours retentissant sur la politique étrangère du paye. Il faut y voir l’annonce de la politique de neutralité de la Belgique.
Se refusant à admettre une guerre préventive comme une solution de nos difficultés et plus spécialement comme un moyen d'empêcher le réarmement total de l’Allemagne, M. de Broqueville, avec l'autorité attachée à sa personnalité et à ses fonctions de Premier ministre, met le pays en garde contre une politique d'aventures :
« J'éprouve autant que vous l’amertume de la situation ; elle est la conséquence d'une grande illusion, celle des hommes qui, au traité de Versailles, méprisant la leçon de l'histoire et de la réalité, ont cru qu’il était possible de maintenir indéfiniment une grande nation en état de désarmement. Ce que Napoléon, tout puissant, maître des deux tiers de l'Europe, n'a pu imposer au petit royaume de Prusse, comment a-t-on pu imaginer qua 27 nations, momentanément « alliées et associées », pourraient continuer à s'entendre pour l’imposer à une Allemagne dont le traité de Versailles scellait l'unification ?
« Il faut faire notre deuil de cette illusion. Où a-t-on jamais vu que des clauses de pareille nature survivent aux conditions qui les ont fait naître ?
« L'Allemagne d'aujourd'hui n'est plus l'Allemagne du 11 novembre 1918. Et où sont, par contre, les volontés communes des 27 alliés qui ont signé le traité de 1919 ? C'est la loi inéluctable de l’histoire qu’un vaincu se relève tôt ou tard. »
Et plus loin :
« Ce n'est pas à nous, qui avons porté sur nos épaules les responsabilités et le cruel fardeau de la grande guerre, qu'il faut révéler la périlleuse position géographique de ce pays. Ce n'est pas à notre sévère expérience qu'il convient d'enseigner qu'aucun élément de sécurité ne peut être négligé.
« La sécurité, pour aujourd'hui, pour demain, pour toujours, c'est là, dans le domaine international, le but suprême vers lequel converge sans relâche tout notre potentiel d'action politique. »
En juin 1934, le gouvernement était démissionnaire. M. de Broqueville reforma un gouvernement dans lequel M. Devèze était vice-président, tandis que MM. Ingenbleeck et Van Zeeland devenaient membres du Conseil des ministres. Ce nouveau cabinet de Broqueville avait comme mission de lutter avec une énergie accrue contre la crise. On sait qu’en novembre de la même année il dut passer la main au gouvernement Theunis.
Et ce fut pour M. de Broqueville le signal de la retraite définitive. Il regagna son château de Postel, d'où le chef de l'Etat l'avait fait venir deux ans auparavant, et l'on n'entendit plus guère parler de lui, si ce n'est en mars 1937, quand le ministre d'Etat prit la tête de la mission belge qui se rendit à Naples à l'occasion de la naissance. du prince héritier d'Italie.
Le comte de Broqueville restera une des figures les plus attachantes de notre monde politique. Comme l'a écrit un de ses amis : « Dans notre histoire politique, Broqueville aura été l'homme d'une heure tragique et l'homme des heures difficiles. »
(DE LICHTERVELDE L., Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1959, t. 29, Comte Louis de Lichtervelde. col. 369-377)
BROQUEVILLE (Charles-Marie-Pierre-Albert), baron (1919) puis comte de (1920), né à Postel (Moll) le 4 décembre 1860, décédé à Bruxelles le 5 septembre 1940, homme d'État.
Le comte de Broqueville était le fils aîné du baron Stanislas (1830-1918) et de la comtesse Marie-Claire de Briey (1832-1876), qui eurent de leur mariage contracté à Ethe en 1854 deux fils et cinq filles, dont quatre adoptèrent la vie religieuse.
(…) Dans ce milieu assez fermé, éloigné des distractions mondaines, Charles de Broqueville reçut une éducation privée avec le concours des jésuites de Turnhout sous la direction d'un prêtre distingué, l'abbé Simon, qui devint plus tard aumônier à la cour de Leopold II.
Il s'ancra profondément dans la Campine où il passa toute son enfance et sa jeunesse. Il en connut la langue sans effort et il en pénétra l'esprit. D'autre part, il avait par sa mère, qu'il eut le malheur de perdre à seize ans, des attaches avec le pays gaumais. Il tenait beaucoup d'elle et de son grand-père le comte de Briey, qui avait été garde de corps de Charles X, puis, après son établissement en Belgique, sénateur, ministre des Finances et ministre des Affaires étrangères de Leopold Ier , envoyé belge à Francfort et à Saint-Pétersbourg. Il hérita de sa belle tournure, de ses manières élégantes et raffinées. Les séjours qu'il faisait au château de Laclaireau, à Ethe, firent connaître au jeune campinois tout l'attrait du Luxembourg.
Plus tard, son mariage avec la baronne Berthe d'Huart (1885) lui fit contracter des liens étroits avec le Condroz et l'introduisit dans la famille de Jules Malou, le grand leader catholique. Il acquit ainsi une connaissance directe de cette Belgique qu'il allait être appelé à gouverner et il recueillit la tradition orale d'un homme d'État de premier plan qui l'avait pris en particulière affection.
Le comte de Broqueville entra très tôt dans la vie publique. Conseiller communal de Moll à vingt-cinq ans, conseiller provincial d'Anvers en 1886, il fut élu, sous le régime censitaire, député de Turnhout en 1892, par 952 voix contre 278. En 1894, il fut réélu par le suffrage universel plural, emportant plus de 25.000 voix. Après la guerre de 1914-1918 il ne sollicita plus le suffrage des électeurs qui lui avaient été toujours fidèles jusque-là. Il passa en 1919 au Sénat, comme sénateur provincial de Namur, puis comme sénateur coopté, mandat qu'il conserva jusqu'en 1936, date de sa retraite de la vie politique active.
C'est en 1910 que le comte de Broqueville commença la carrière gouvernementale où il devait s'illustrer, en entrant comme ministre des Chemins de fer, postes et télégraphes dans le cabinet Schollaert. Il devait, sur une période de vingt-quatre ans, détenir le pouvoir pendant seize ans, soit dans ce premier département, soit comme premier ministre (1911-1918, 1932-1934), ministre de la Guerre (1912-1917, 1926-1930), ministre des Affaires étrangères (1917), ministre de la Reconstruction (1918), ministre de l'Intérieur (1918-1919), ministre de l'Instruction publique ad interim, ministre de l'Agriculture (1932).
En 1911, à une période de tension violente entre les partis, le roi Albert fit appel au comte de Broqueville pour constituer un nouveau gouvernement de droite, à la suite de la chute du cabinet Schollaert motivée par l'opposition violente suscitée par un projet de loi sur le Bon scolaire. Il révéla tout de suite des qualités supérieures de chef et de manœuvrier. Il fit entrer dans son ministère de brillants éléments de la jeune Droite comme Henry Carton de Wiart, Michel Levie et Prosper Poullet ; il laissa tomber le Bon scolaire et prépara un projet qui susciterait moins d'objections. Le parti catholique, dont la majorité était réduite à 6 voix, paraissait devoir perdre la partie aux élections de 1912 sous les efforts désespérés du cartel des gauches. Mais cette conjonction des libéraux et des socialistes n'était pas sans effrayer l'opinion moyenne. Le comte de Broqueville sut rallier celle-ci par la modération de ses idées et la sagesse de son action ; il insuffla d'autre part à la droite une telle vigueur que les élections furent triomphales. Selon des prévisions que le premier ministre avait été presque seul à oser formuler, la majorité remonta à 18 voix. Cette victoire lui assura une autorité personnelle considérable. En véritable homme d'État, il en usa dans l'intérêt supérieur du pays.
Vivement impressionné par les dangers de la situation internationale, il résolut, d'une part, d'entreprendre la réorganisation de l'armée et l'élargissement de la base de recrutement, fixée à un fils par famille depuis 1909 ; d'autre part, il conçut le plan de provoquer un apaisement dans la lutte des partis par une réforme constitutionnelle touchant entre autres la question du suffrage. Il en avait fixé l'échéance à 1916. Il exposa ces vues lointaines au Roi dans une lettre mémorable dont il donna connaissance en 1913 à Emile Vandervelde. Il recueillit l'adhésion entière du Souverain qui considérait à juste titre qu'un régime électoral qui n'avait plus le soutien que d'un seul parti était pratiquement condamné.
Devenu ministre de la Guerre en novembre 1912, le comte de Broqueville parvint à faire voter en 1913 une loi généralisant le service militaire. Le contingent fut porté dès cette année à 30.000 hommes et l'armée de campagne passa de 70.000 en 1912 à 117.000, chiffre qui devait aller croissant. En même temps il réorganisait le commandement, augmentait l'armement, créait de nouvelles grandes unités ; toute l'armée se sentit animée d'un esprit nouveau.
Le travail, mené fiévreusement, permit à la Belgique de supporter le choc d'août 1914 dans des conditions qu'on n'aurait pu espérer quelques années plus tôt. Dès le commencement des jours tragiques, le ministre de la Guerre fut pleinement à la hauteur du péril. Le 4 août 1914, après le discours du Roi devant les Chambres réunies, il fit appel à son tour au courage de la Nation. « Un peuple qui ne s'abandonne pas, s'écria-t-il, peut être vaincu, mais il est certain qu'il ne sera pas abattu, et moi, je le déclare, au nom de la Nation tout entière, groupée en un même cœur, en une même âme, ce peuple, même s'il était vaincu, ne sera jamais soumis. »
Quand le gouvernement dut se retirer à Anvers, il fut un des premiers à comprendre la nécessité de ne pas se laisser enfermer dans le camp retranché, voué à la destruction par la supériorité de l'artillerie ennemie. Il assuma la responsabilité des changements dans le Haut Commandement quand le roi Albert se rallia à la politique audacieuse de sauver l'armée de campagne par l'Ouest. Il se fixa à Dunkerque pendant la bataille de l'Yser pour couvrir constitutionnellement les décisions du Souverain et combattre au grand quartier général toute idée de retraite. Il dirigea la réorganisation des services de l'arrière avec un sang-froid, une sagesse, une prévoyance exemplaires. Il noua d'utiles relations personnelles avec lord Kitchener et avec les généraux Joffre et Foch. Le ministre de la Guerre se rendait périodiquement au Havre où le gouvernement avait trouvé refuge.
Répondant aux vues du Roi, il se décida à la fin de l'année 1915 à élargir le cabinet en demandant aux chefs de l'opposition Paul Hymans, le comte Goblet d'Alviella et Emile Vandervelde d'entrer dans le gouvernement, inaugurant ainsi la formule tripartite qui allait connaître une longue faveur.
En 1917, la possibilité d'exploiter les chances d'une paix de conciliation qu'offraient les velléités manifestées secrètement par le nouvel empereur d'Autriche et par certains éléments allemands, poussa le comte de Broqueville à céder le portefeuille de la Guerre à un général et à prendre lui-même la responsabilité des Affaires étrangères délaissées par le baron Beyens. Les négociations menées par le prince Sixte de Bourbon échouèrent par suite de l'hostilité de l'Italie et du peu de compréhension de M. Ribot. Le comte de Broqueville, qui redoutait pour l'avenir une désarticulation de l'Europe, avait été mis au courant de ces démarches et aussi de celles entreprises par le baron von der Lancken à Bruxelles par l'intermédiaire du baron Coppée qui avait touché Aristide Briand. Mais il se trouva en dissentiment avec ses collègues quand ceux-ci eurent connaissance de ces derniers faits. Lié par le secret, le premier ministre ne pouvait dévoiler les conversations en cours avec l'empereur d'Autriche qui éclairaient d'un jour nouveau la tentative de von der Lancken. Il dut abandonner le portefeuille des Affaires étrangères et, quelques mois après, la direction du gouvernement.
La mésentente sévissait parmi les ministres du Havre. D'autre part le comte de Broqueville, qui avait jusqu'alors été soutenu par le Roi, se trouvait en dissentiment avec celui-ci. Le Souverain aurait souhaité qu'il soumette au conseil des ministres une note sur le commandement de l'armée, note qui ne correspondait pas aux vues particulièrement prudentes du ministre sur cet objet et qui risquait de faire peser une responsabilité directe sur la couronne. Il se retira dans le Poitou et fut nommé ministre d'État.
A la demande du Roi, qui s'était même porté fort de son acceptation, le comte de Broqueville entra à la libération en qualité de ministre de l'Intérieur dans le cabinet formé à Lophem par Léon Delacroix. II se dépensa pour faire accepter par la droite la suppression du vote plural et prépara la révision de la Constitution. Mais il ne voulut pas rester plus d'un an dans un gouvernement qui s'écartait de plus en plus des voies qu'il avait préparées pendant la guerre. De plus, il était conscient de toutes les lacunes d'une mauvaise paix fondée sur le resserrement de l'unité allemande ; il déplorait que la révision de la Constitution ne comportât pas de nouvelles garanties pour l'équilibre des pouvoirs dans l'État.
Le Roi fit encore appel à lui comme ministre de la Défense nationale lors de la formation du cabinet Jaspar en 1926. Il fit partie de la courageuse équipe appelée à prendre des mesures de salut public et parvint à faire voter plus tard une nouvelle loi militaire excluant le service de six mois prôné par les socialistes. Il réalisa un nouveau système défensif dont le fort d'Eben-Emael devait être le pivot.
Après la chute du ministère Jaspar, qui fut suivi d'un ministère Renkin, le Roi le chargea en 1932 de faire la dissolution des Chambres rendue indispensable par les mesures à prendre pour remédier à une crise économique et financière. Il constitua un cabinet catholique-libéral formé d'anciens premiers ministres et remporta pour sa part une victoire électorale. Il tenta de lutter contre la crise par la déflation et réalisa d'importantes réformes pour le maintien de l'ordre public qui avait été sérieusement troublé. On lui doit notamment l'interdiction des milices privées et une vraie renaissance de l'autorité dans l'État.
La mort du roi Albert en 1934 le priva d'un appui qui était devenu de plus en plus sûr et de plus en plus efficient. Avant d'abandonner le pouvoir, il fit au Sénat, conformément à un engagement pris envers le Roi défunt, un discours retentissant proclamant la nécessité, si l'on écartait la guerre préventive qu'il déclarait impensable, d'arriver tout de suite à une entente sur le désarmement avec la nouvelle Allemagne. Il redoutait celle-ci et il fit reprendre énergiquement le renforcement de l'armée en vue de l'échéance de 1938 qu'il déclarait dès 1933 devoir être particulièrement redoutable.
Le comte de Broqueville a été mêlé trop intimement à notre histoire politique pendant quarante ans pour qu'il soit possible de donner en quelques pages un aperçu complet de ses travaux et des services éminents qu'il a rendus au pays. Il avait l'intelligence rapide, la mémoire infaillible, un tact inné dans la vie politique et dans la vie sociale ; il possédait à un rare degré le sens de la manœuvre parlementaire ; il maniait les hommes avec une habileté consommée, sachant parler à chacun le langage propre à le convaincre ou à le séduire. Son intuition lui faisait pressentir les réactions qu'il rencontrerait. Il avait le goût de l'autorité et le sens de l'État. Sa modération était le fruit de sa sagesse et de son sens aigu du possible. Il conseillait son Roi avec une grande indépendance et un dévouement absolu. Il connaissait merveilleusement la psychologie des Belges et il savait y adapter sa politique. D'une grande énergie morale il faisait face à toutes les responsabilités et ne reculait devant aucune décision pénible. Le charme de son caractère, sa parole volontiers abondante, ses manières caressantes l'ont parfois fait taxer de légèreté. Ceux qui ont pu l'observer de près et ceux qui l'ont servi sont unanimes à reconnaître la fermeté de ses desseins et la préparation minutieuse de ses résolutions. Il a mis au service de la Belgique les dons les plus élevés de l'homme d'Étal.
Le comte de Broqueville, chargé d'ans et d'honneurs, eut la douleur d'assister, impuissant, à la catastrophe de 1940. Il mourut à Bruxelles le 5 septembre 1940, non sans avoir donné à ses compatriotes désemparés par la capitulation du 28 mai les plus pressants conseils d'union autour du Roi et du gouvernement de Londres, en même temps que de ferme résistance à l'ennemi. Il garda toujours une confiance inébranlable dans les destinées du pays.
Voir aussi, sur le blog familial de Broqueville, la page qui est consacrée à Charles de Broqueville (consulté le 14 octobre 2025), et plus particulièrement la rubrique "Textes parus sur son œuvre politique" qui se trouvent vers le milieu de cette page.