Mousset Charles, Louis, Télesphore catholique
né en 1858 à Bruxelles décédé en 1931 à Ixelles
Représentant 1894-1900 , élu par l'arrondissement de Bruxelles(Extrait de La Chambre des représentants en 1894-1895, Bruxelles, Société belge de Librairie, 1896, p. 375)
MOUSSET, Charles-Louis-Télesphore,
Représentant démocrate chrétien pour l’arrondissement de Bruxelles né à Bruxelles le 28 janvier 1858
M. Mousset est typographe et secrétaire de l'Association typographique de Bruxelles.
Il a été rédacteur au journal L'Union démocratique, aujourd'hui disparu, et collabore actuellement au XXème Siècle.
Il est aussi membre du Conseil supérieur du travail et président de la Maison des Ouvriers « Concordia », établie à Bruxelles et qui compte plus de 1,200 membres.
M. Mousset représente au Parlement, avec ses collègues MM. Colfs et Lauters, l'élément ouvrier de l'arrondissement de Bruxelles ; il a été élu le 21 octobre 1894 au scrutin de ballottage : il obtint 106,558 voix.
M. Mousset a pris part à la Chambre aux diverses discussions soulevées par l'examen des budgets, celui des dotations et celui de la justice notamment.
(Extrait du Soir, du 17 décembre 1931)
Tribune libre
Charles Mousset, qui vient de mourir âgé da 74 ans, fut un des premiers pionniers de l'action ouvrière catholique en Belgique. Aussi, sa mémoire mérite-t-elle d'être saluée. C'est celle d'un homme d'esprit ouvert et de cœur fraternel qui, en des heures troubles, en dépit de beaucoup d'obstacles et de contradictions, a contribué activement à cette organisation des travailleurs chrétiens qui est aujourd'hui si prospère et riche d’heureux résultats.
La genèse de ce mouvement apparaît déjà lointaine. Elle remonte à cette période de 1880 à 1890, que l'on évoquait ces jours-ci à l'occasion du cinquantenaire de la Jeune Belgique et qui vit, dans tous les domaines, les idées se transformer et se heurter suivant un rythme exceptionnellement rapide. C'est à ce moment que notre essor industriel prend tout à coup les proportions qui nous classent parmi les grandes puissances économiques. C'est l'heure de l’éveil à la vie coloniale. C'est l'heure de l’expansion mondiale. Partout, dans l'art, dans la littérature, germent des ferments imprévus. La vie sociale et bientôt la vie politique connaissent, elles aussi, une véritable fièvre de renouveau.
A la faveur des progrès du machinisme, les abus de la libre concurrence se révélaient de plus en plus flagrants. Le droit théorique d'agir à sa guise, sous réserve du droit égal du voisin, se traduisait dans la pratique comme la tendance du plus fort ou du plus riche à développer sa propre sphère au détriment d'autrui. La Révolution de 1789 avait rêvé le triomphe de l'individu. On assistait à son écrasement. Ecoutez comment un Albert de Mun décrivait à ce moment le sort de l'ouvrier de fabrique :
« Ce n'est plus un homme ; c'est l'instrument de la production, et le travail lui-même n'est plus l'austère mais fécond emploi de son activité, c'est une marchandise qu'il vend pour vivre, au prix qu'il en trouve. Sa femme, son enfant sont entraînés avec lui dans ce marchandage des corps, et l'édifice sacré de la famille s'écroule dans une fatale désorganisation. Son maître, oublieux comme lui de la loi divine, est livré à la passion du gain et à l'emportement des instincts matériels. Entre ces deux hommes que la volonté de Dieu avait associés pour une œuvre commune, il n'y a plus de lien moral et permanent. Ce sont deux étrangers dont les intérêts sont contraires, partant, deux ennemis. La guerre est entre eux, ardente, sauvage, meurtrière. Entre les maîtres eux-mêmes, la lutte pour la richesse est engagée sans trêve ni merci. La nécessité d'une concurrence sans limites engendre une surproduction effrénée qui aboutit périodiquement à des crises formidables, et chacune de ces crises jette dans la misère des milliers d'êtres humains. La spéculation financière a envahi toutes les branches du travail et, dans ces immenses exploitations industrielles où le capital anonyme, sans patrie, sans responsabilité directe, tient la place du maître, l'homme disparaît vaincu, écrasé par la matière. » Dans le monde des travailleurs, victimes de ce « laissez-faire, laissez-aller », la doctrine socialiste gagnait de proche en proche. Violemment révolutionnaire ce moment, elle ne se bornait pas, - tant s'en faut! - à poursuivre un programme de réformes dans le cadre de la légalité. Elle préconisait volontiers « l'action directe », elle s'attaquait à la religion, à la famille, à la propriété, et se dressait ouvertement contre nos institutions. Jean Volders pouvait écrire dans Le Peuple : « La monarchie en Belgique paraît vivre ses deniers ans, ses derniers mois peut-être. »
Cependant les deux grands partis catholique et libéral, alors seuls représentés au Parlement, encore tout aveuglés par la poussière des luttes où ils s'étaient si âprement affrontés, ne voyaient dans cette excitation populaire qu'un péril redoutable pour la société, sans discerner exactement le mal profond qui en était la cause. Lorsqu'on parlait de la question sociale, M. Bara ricanait. M. Woeste disait : « Il n'y a pas de question sociale. » Certes, les catholiques s'intéressaient, avec un zèle accru, aux œuvres d'enseignement et de préservation morale, aux œuvres de charité et d'assistance. Mais l'association apparaissait encore à la plupart d’entre eux comme un danger, et la législation du travail, comme un sophisme.
Quelques hommes clairvoyants entreprirent, dès lors, de grouper les ouvriers chrétiens que les doctrines révolutionnaires n'auraient pas manqué de séduire et d'entraîner. A Gand, ce fut, avec le concours d'Arthur Verhaegen, le rôle de travailleurs d'élite comme le tisserand Léon Bruggeman, les typographes Auguste Huyshauwer et Gustave Eylenbosch, - aujourd'hui sénateur et seul survivant de cette phalange d'avant-garde. A Anvers, Pierre Backx. A Bruges, Gustave Stock. A Bruxelles, Charles Mousset.
Compositeur d'imprimerie, estimé de tous ses camarades pour son caractère loyal et serviable, il prit la présidence de la Maison des Ouvriers de Bruxelles, qui venait d'être établie rue Locquenghien, à l'initiative de deux hommes d'œuvres aussi clairvoyants que désintéressés. MM. Jean et Etienne Otto. Ce cercle devint, avec le Cercle Anneessens de Saint-Gilles, la « Paix » d'Ixelles, le cercle « Union et Travail » de Schaerbeek, puis la « Ligue Populaire > de Cureghem, un centre de réunion et d'organisation des travailleurs chrétiens dans l'agglomération bruxelloise.
Le parti catholique officiel voyait de tels groupements avec une certaine inquiétude, très défiant des audaces qui s'y affirmaient. Même après l'encyclique « Rerum Novarum » du 15 mai 1891, bien des préventions subsistaient contre les formes nouvelles de l'action sociale auxquelles s'essayait l'enthousiasme de ces novateurs. No voyait-on pas naître, dans ces jeunes cercles, des syndicats, non plus mixtes, mais composés de seuls ouvriers ? Charles Mousset ne préconisait-il pas hardiment le minimum de salaire et la journée légale de huit heures ?
Il ne cessait pas d'exercer son métier qu'il aimait et pratiquait avec art. Ce fut lui qui composa le premier numéro de l’« Avenir Social » le 22 novembre 1891, en attendant que, devenu patron imprimeur, il éditât, quelques années plus tard, « La Justice Sociale. » Elu à la Chambre dans l'intervalle, il fut le premier ouvrier chrétien qui siégea au Parlement. Il en fit partie de 1894 jusqu'en 1900 et s'y attacha notamment à faire pénétrer dans les lois la réforme du repos dominical. En 1911, il devait être appelé la direction du « Moniteur Belge. » C'était une tâche qui répondait admirablement ses goûts et à ses qualités. Il s'en acquitta avec une rare distinction, connaissant tous les besoins de l'ouvrier comme toutes les conditions du progrès technique. Grâce lui, pendant la guerre. en dépit des difficultés matérielles de toutes sortes, le « Moniteur Belge » qui partageait toutes lés péripéties de notre vie gouvernementale, parut successivement à Anvers, à Ostende, au Havre, à Bruges.
Cependant, la Maison des Ouvriers de Bruxelles s'était groupée avec les autres cercles dès 1895 pour former la « Fédération démocratique chrétienne de l'arrondissement de Bruxelles », qui fut la première à faire triompher le principe de la représentation directe des forces ouvrières dans la composition de la liste catholique commune. De cette Fédération et de ses cours d'études et de propagande, naquit le « Secrétariat des Œuvres sociales » de l'arrondissement de Bruxelles, avec ses syndicats ouvriers et agricoles, ses écoles professionnelles, sa boulangerie coopérative « Notre Pain. » Aux lutteurs de la première heure, tels que Charles Mousset, Faut, Verbiest, L. De Coninck, Teurlings, N. Van Horebeke, F. Ceuterick. s'ajoutaient de nouvelles et F.
précieuses recrues, parmi lesquelles les abbés Emile et Jean Vossen, au dévouement infatigable. Tandis que ces œuvres se multipliaient et florissaient, sur le terrain parlementaire, la Jeune Droite faisait triompher peu à peu toutes les solutions qui avaient suscité contre ses débuts tant de défiance et d'opposition : l'inspection du travail, l'assurance obligatoire contre les accidents, la réglementation du travail, le service personnel, l'instruction obligatoire. Ainsi, insensiblement, le parti catholique, de conservateur qu'il avait été, se métamorphosa en moins de vingt ans, sans rien abandonner de ses grands principes fondamentaux et sans rien sacrifier de son unité, adoptant un programme largement démocratique et ralliant ainsi des éléments populaires qui, à défaut de ce rajeunissement, auraient été résorbés sans doute par la propagande socialiste.
Ceux qui eurent conduire cette évolution - qui épargna peut-être à notre pays une révolution, - connurent des heures bien difficiles. Ils étaient pris entre deux feux : les conservateurs qui les traitaient de brouillons et presque de transfuges, et les socialistes qui, ne leur pardonnant pas de contrarier leur influence sur les masses ouvrières, leur prodiguaient sarcasmes et injures. C'est surtout aux ouvriers catholiques, plus directement exposés, dans les ateliers, aux odieux procédés des mises à l'index et des proscriptions – alors trop à la mode - que l'organisation actuelle des travailleurs chrétiens doit demeurer reconnaissante des efforts qu'ils ont faits pour grouper leurs frères de travail en dehors de la conception antisociale de la lutte des classes et pour leur assurer une vie plus digne et plus sortable dans le respect de leur idéal spiritualiste. Ils ont semé, il y a cinquante ans, la graine dont sont sorties les moissons d'aujourd'hui. C'est à ce titre surtout que le nom de mérite d'être retenu et honoré.
H. CARTON de WIART