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Hymans Paul (1865-1941)

Biographie

(FENAUX R., dans Biographie nationale de Belgique, Bruxelles, Académie royale de Belgique, 1956, t. 29, col. 712-718)

HYMANS (Paul), homme d'Etat, né à Ixelles le 23 mars 1865, décédé à Nice le 6 mars 1941.

Sa mère, née de l'Escaille, était une grande dame, son père, Louis Hymans, un haut bourgeois libéral d'origine hollandaise, un aristocrate de l'esprit. La sollicitude affectueuse de parents aussi distingués lui valut une éducation raffinée et une enfance exceptionnellement heureuse qui allait donner à toute sa vie un bel élan d'optimisme. Poète, romancier, historien, journaliste et parlementaire, Louis Hymans forma personnellement son fils au goût des lettres et aux armes de la politique. Mme Louis Hymans, âme pieuse de croyance protestante, le marqua d'une forte empreinte religieuse qui, à l'exemple de Renan, devait orienter sa philosophie vers un spiritualisme chrétien affranchi des dogmes et inspiré d'un idéal de noble tolérance.

Paul Hymans fit de brillantes études de droit à l'Université de Bruxelles et ses talents précoces semblaient le destiner à la carrière du barreau quand la mort soudaine de son père l'obligea, à 19 ans et sans fortune, de chercher un état. Nommé bibliothécaire adjoint du Parlement, ses fonctions lui permirent de compléter sa formation universitaire, de pénétrer l'histoire de nos institutions et d'étendre considérablement le champ de ses connaissances générales.

Ces années studieuses, dans le recueillement d'un vaste cabinet de lecture et de documentation, au contact constant de parlementaires de haute valeur intellectuelle, furent pour lui la meilleure école de sciences politiques et administratives. Il continua l'œuvre de son père : l'Histoire parlementaire de la Belgique, avec la collaboration d'A. Delcroix ; il ajouta un troisième volume à l'Histoire de Bruxelles à travers les âges, en collaboration avec son oncle Henri Hymans ; il publia une édition nouvelle du Manuel parlementaire, sous la direction de Jules Malou, et composa un docte cours d'histoire parlementaire et législative comparée, dont il fut chargé à l'École des sciences politiques et sociales nouvellement instituée à l'Université de Bruxelles (1897).

Il succéda également à son père comme correspondant politique du journal La Meuse et comme chroniqueur judiciaire à L’Indépendance belge ; avec son ami Adolphe Max, il devint le rédacteur de La Liberté. Il fit un stage au barreau, chez Maître Van Dievoet, un avocat d'affaires qui avait, dira-t-il, « l'esprit juste et clair, le sens de l'équité et de la mesure ». Nouvelle école. Lié d'amitié avec Adolphe Prins, l'éminent criminologiste, il approfondit l'étude de l'anthropologie criminelle. Cette influence de Prins orienta son esprit vers les réformes institutionnelles et sociales.

Quelques années plus tard, il consacra sa leçon d'ouverture à l'Université de Bruxelles à la réforme du parlementarisme. Le roi Leopold II remarqua ses travaux dès cette époque et lui demanda de collaborer à un audacieux projet de réforme politique qui lui tenait personnellement à cœur : l'introduction du referendum dans nos institutions.

Les catholiques occupaient le pouvoirs depuis 1884 et l'influence de Woeste avait plongé la vie politique belge dans un climat de passion. Les élections générales de 1894 avaient été une déroute pour les libéraux débordés à leur gauche par l'entrée massive au Parlement d'un bloc de vingt-huit députés socialistes. Hymans était le jeune espoir et le candidat favori de la bourgeoisie libérale de Bruxelles. Il engagea aussitôt le combat sur le terrain de la réforme électorale. Toute la gauche s'unit pour un temps et la représentation proportionnelle arrachée à la droite, sous la pression de l'opinion, renforça l'opposition libérale et porta Hymans au Parlement, où il allait siéger sans interruption jusqu'à la fin de sa vie.

Il s'était marié deux ans plus tôt avec Mlle Thérèse Goldschmidt. Le biographe doit retenir cet événement qui eut une influence heureuse sur sa destinée. Mme Hymans sera son bon génie, « la lumière de ma vie », dira-t-il un jour.

Le jeune député de Bruxelles s'appliqua avec succès à cimenter l'union des gauches libérales. Le redressement libéral de 1906 fut son œuvre pour une bonne part. Avec quarante-deux sièges, les libéraux prenaient le premier rang dans l'opposition et Hymans le premier rôle. Ce rôle, il le joua magistralement dans les grands débats de l'époque : la question électorale, la question coloniale, la question militaire, la question scolaire. La lecture des Annales parlementaires ou du recueil de ses discours témoigne de l'autorité de ses interventions, de la solidité et de la force de son argumentation, de l'élégance de son style aussi (Portraits, essais et discours).

Dans la question coloniale, ses critiques furent loyales et modérées, mais d'une courageuse fermeté. Il fut un des tout premiers à se prononcer pour la reprise de l'Etat indépendant du Congo par la Belgique et on peut dire que ses exhortations pathétiques emportèrent finalement la décision du Parlement en ralliant à l'annexion les hésitants.

Le roi Leopold II, qui avait eu Hymans pour adversaire dans sa politique coloniale, n'eut pas, en revanche, de meilleur avocat de sa politique militaire. Le leader libéral l'aida puissamment à triompher de l'hostilité au principe du service personnel, et plus encore de l'indifférence générale. La défense nationale fut toujours un de ses soucis dominants.

Hymans adhéra dès 1911 au suffrage universel pur et simple et, dans la question scolaire, défendit vigoureusement la doctrine traditionnelle de son parti : l'organisation d'un enseignement public à tous les degrés, sous la direction exclusive de l'autorité civile.

La première guerre mondiale le hissa sur la grande scène internationale et le révéla diplomate. En 1914, il fit partie de la mission belge aux Etats-Unis, chargée d'intéresser le Président Wilson au « cas » de la Belgique. En 1915, il fut nommé Ministre plénipotentiaire à Londres et il y négocia la Déclaration de Sainte-Adresse, par laquelle la France, la Grande-Bretagne et la Russie s'engagèrent à associer le Gouvernement belge aux négociations de paix, à ne pas mettre fin aux hostilités sans que la Belgique fût rétablie dans son indépendance politique et économique et largement indemnisée des dommages qu'elle avait subis, et à lui venir en aide pour assurer son relèvement commercial et financier.

En 1916, il fut appelé à siéger au Gouvernement belge en exil, d'abord comme Ministre des affaires économiques, puis comme Ministre des affaires étrangères. Il participa aux négociations d'armistice et il y défendit les intérêts belges avec succès.

A la Conférence de la Paix, Hymans, soutenu par Vandervelde et Van den Heuvel, obtint, à force de ténacité, un traitement privilégié pour la libération de nos dettes de guerre et une priorité de réparations de deux milliards et demi de francs belges. Il enleva également la révision des traités de 1839 en ce qui concerne le statut de neutralité imposée. Ses efforts pour obtenir une révision territoriale et de meilleures frontières aboutirent, aux termes de négociations ardues, à la reconnaissance des droits historiques de la Belgique sur Eupen, Malmédy, Saint-Vith et Moresnet, sous réserve d'un plébiscite. Enfin, c'est à Hymans, admirablement servi par M. Pierre Orts, que la Belgique dut l'administration du Ruanda-Urundi et d'importants avantages dans l'Est africain.

Il prit la responsabilité d'associer la Belgique à la France dans l'occupation de la Ruhr : première manifestation d'une diplomatie belge affranchie de la neutralité et geste de solidarité franco-belge qui allait rendre possible l'union économique belgo-luxembourgeoise. Il siégea à plusieurs conférences internationales vouées aux réparations en se donnant pour tâche de sauvegarder les intérêts belges et l'entente interalliée. Prestigieux avocat des petites puissances, il participa activement à l'élaboration du statut de la Société des Nations et aux travaux du Conseil à ses débuts. Elu Président de la Première Assemblée par acclamation, et membre du Conseil de la Société des Nations, il affirma son autorité dans la solution de plusieurs différends internationaux en arbitrant notamment le conflit polono-lithuanien et en intervenant heureusement dans la question du partage de la Haute-Silésie.

Préoccupé de doter son pays d'une protection efficace, il prépara les accords de Locamo. Avec son collègue hollandais van Karnebeek, il élabora un traité d'amitié hollando-belge portant révision des traités de 1839 et fixant un nouveau régime de l'Escaut. Ce traité, signé par les deux gouvernements, ne fut malheureusement pas ratifié par les Etats-Généraux des Pays-Bas. Avec son collègue français Briand, il assouplit l'accord militaire franco-belge en l'intégrant dans les accords de Locamo.

A la dixième Assemblée de la Société des Nations de 1929, Hymans plaida chaleureusement la cause du désarmement économique. Il représenta la Belgique à la Commission chargée d'étudier le projet Briand d'une Fédération européenne. Dans le même ordre de préoccupations, il négocia la Convention d'Oslo et la Convention d'Ouchy, avant-projets de Benelux. Ainsi affirma-t-il la cohérence d'une pensée politique à longue vue, qui visait, dès cette époque, à réconcilier l'Europe et à préparer ce qu'on appelle aujourd'hui un marché commun.

Dans cette perspective d'union européenne et de solidarité occidentale, conçue comme un facteur de paix universelle, Hymans pratiqua toujours une politique de stricte indépendance belge. Il veilla à empêcher l'éclatement de l'entente franco-britannique, si nécessaire, et à prévenir une alliance italo-allemande, si redoutable. Il prit l'initiative de suggérer une politique de limitation des armements qui obligerait l'Allemagne au respect d'un contrat substitué au « Diktat » de Versailles - sans succès, malheureusement. La répudiation du Pacte Rhénan, le 7 mars 1936, et ses suites fatales - qui allaient conduire à la guerre de 1940 - ruinèrent l'édifice de sécurité et de coopération internationale dont il avait été l'un des meilleurs artisans.

Ministre sans portefeuille de 1935 à 1936, Hymans qui avait également été Ministre de la justice en 1915, quitta le pouvoir, le cœur lourd de déception et d'inquiétude, tout en restant, comme Ministre d'État, un conseiller précieux de la Couronne et du Gouvernement.

En 1939, ses amis politiques lui donnèrent une nouvelle marque de confiance et de déférence, en l'élisant « hors poll » en tête de la liste libérale de Bruxelles et en lui offrant la présidence de la gauche libérale de la Chambre. Le Parlement et l'Université de Bruxelles, qui l'élut à la présidence de son Conseil d'administration, occupèrent les derniers moments de sa vie, avant la guerre et l'exil où il devait mourir.

Ainsi s'acheva comme elle avait commencé, dans une exceptionnelle unité de pensée et d'action, une des plus brillantes carrières d'homme d'État qui aient jamais honoré la Belgique. « Adieu ma vie », dit-il, en quittant pour toujours son cabinet de travail, au mois de mai 1940.

L'exode vers la France, où il accompagna le Gouvernement, la fatigue physique, les souffrances morales, le choc de la capitulation, eurent raison de ses forces, mais jamais de son optimisme. Il écrivit à Nice le dernier chapitre de ses mémoires en évoquant « l'espoir immortel que donne la foi dans les grandes vérités humaines et divines, qui finissent toujours par briser les doctrines de haine, les règnes de violence et de persécution, qui sont l'âme de la civilisation ».

Au delà du souvenir de sa personnalité, son œuvre d'historien lui survivra et aussi ses recueils de discours écrits dans un style admirable de pureté, de clarté et de concision. Sa biographie de Frère-Orban est son maître livre et le tome II, consacré à La Belgique et le Second Empire, peut être considéré comme notre meilleur ouvrage d'histoire diplomatique. Les Portraits, essais et discours, publiés en 1914, contiennent notamment une bien jolie collection de figures et de profils qui illustrent la société belge du XIXe siècle. Les Pages libérales, publiées en 1946, complètent cette galerie. Le dernier livre d'Hymans, Fragment d'Histoire, est un recueil de ses écrits inédits ou épars que ses amis de l'Université lui firent la surprise de publier à l'occasion de son soixante-quinzième anniversaire : une conférence sur les Droits de l'Homme, un abrégé d'histoire de Belgique, des discours et des souvenirs concernant son activité pendant la guerre et à la Société des Nations, etc.

La marque du caractère et du talent de cet homme d'Etat écrivain fut une constante probité d'esprit, qui est le gage de l'intérêt que le public prendra certainement à lire ses Mémoires qui à l'heure actuelle (1956) sont en instance de publication. Cette probité d'esprit jointe à une exquise courtoisie, à des dons exceptionnels d'orateur et d'écrivain, valurent à Hymans l'hommage unanime de ses compatriotes et le respect de l'étranger.


Voir aussi :

1° L’Université libre de Bruxelles contient dans la rubrique « Personnalia » de sa digithèque les ouvrages en libre accès de Paul Hymans

Notice sur Paul Hymans dans l'Annuaire de l'Académie royale de Belgique (année 1971)