Heuse Paul, Mathieu, Xavier, Joseph libéral
né en 1851 à Liège décédé en 1899 à Liège
Représentant 1894-1926 , élu par l'arrondissement de Liège(Extrait de La Chambre des représentants en 1894-1895, Bruxelles, Société belge de Librairie, 1896, pp. 343-344)
HEUSE, Mathieu-Xavier-Joseph-Paul,
Représentant libéral progressiste pour l’arrondissement de Liége, né à Liége, le 18 août 1851
Secrétaire du premier Congrès progressiste, M. Heuse a joué un rôle des plus actifs dans les associations politiques liégeoises ; il fut successivement président de la Ligue des censitaires et capacitaires réunis, président du Cercle progressiste, vice-président de l'Association progressiste et membre du Conseil général de la Fédération progressiste. Avocat à la Cour d'appel de Liége, M. Heuse a collaboré à La Belgique judiciaire, au Journal des Tribunaux, au Palais et au Bulletin général des conférences du jeune barreau de Belgique ; il a, en outre, publié divers ouvrages de droit, parmi lesquels il y a lieu de citer son Recueil des usages locaux en vigueur dans le ressort de la Cour d'appel de Liége.
M. Heuse a été élu député aux élections du 14 octobre 1894, au premier tour de scrutin, en opposition aux catholiques et à la liste Frère-Orban, par 61,953 suffrages.
(Extrait de La Réforme, du 18 février 1899)
Une nouvelle qui nous afflige douloureusement nous arrive vendredi matin : « M. Paul Heus est mort la nuit dernière. »
Paul-Mathieu-Xavier-Joseph, né à Liége, le 18 août 1851, était un de plus valeureux militants de la démocratie : il représentait à la Chambre le groupe progressiste de l’arrondissement de Liége.
Secrétaire du premier Congrès progressiste, notre regretté ami a joué un rôle des plus actifs dans les associations politiques liégeoises. Successivement il fut président de la Ligue des censitaires et capacitaires réunis, président du Cercle progressiste, vice-président de l’Association progressiste et membre du conseil général de la Fédération progressiste. Avocat à la Cour d’appel de Liége, Paul Heuse a collaboré à La Belgique judiciaire, au Journal des Tribunaux;, au Palais et au Bulletin général des Conférences du Jeune Barreau de Belgique ; il a, en outre, publié divers ouvrages de droit, parmi lesquels il y a lieu de citer son Recueil des usages locaux en vigueur dans le ressort de la Cour d’appel de Liége.
Le 14 octobre 1894, en opposition aux catholiques et à la liste Frère-Orban, il fut élu au premier tour par 61,953 suffrages (avec Demblon et Jeanne).
En 1886, Heuse défendit gratuitement les anarchistes impliqué dans l’émeute du 18 mars. En toute occasion, d’ailleurs, notre ami défendait à titre gracieux les ouvriers liégeois qui avaient maille à partir avec leurs patrons ou qui étaient traduits en justice pour motif politique.
Le père de Paul Heuse était un médecin de renom et professeur à l’Université de Liége. Le vaillant député était le fils spirituel de M. Victor Henault, le vieil avocat mort récemment, frère de l’historien liégeois Ferdinand Henault. Heuse est mort à la suite d’une longue maladie qui laissait peu d’espoir de guérison.
La Réforme présente ses compliments émus de condoléance à Mme Heuse, une femme admirable, et à Mlle Heuse, une fillette de douze ans.
Les funérailles de M. Paul Heuse auront lieu lundi prochain, à onze heures.
Nous publierons demain un article de M. Georges Lorand, consacré à M. Paul Heuse, notre regretté ami politique.
(Extrait de La Réforme, du 21 février 1899)
Notre ami Paul Heuse, qui vient de succomber après trois années de bien cruelles souffrances, était le chef et comme le fondateur de la nouvelle démocratie liégeoise. C’est lui qui fut à l'heure où l'on croyait qu'il n'y avait de progressistes à Liège et où le peuple ouvrier n’avait rien à dire, le centre de ralliement des bons vouloirs isolés, des convictions opprimées, des aspirations étouffées sous la lourde dictature de M. Frère-Orban, qui avait brise tout ce qui n'avait pas voulu s'atteler au char de son insolente fortune. Ce rôle de Heuse, bien apprécié à sa valeur par les Liégeois, les deux feuilles doctrinaires locales le proclament dans leurs nécrologies en disant, avec la belle franchise de ces haines qui ne désarment jamais, que Heuse fut « le dissolvant, le brouillon »… que fut Paul Janson à Bruxelles. Ce sera son honneur et l'hommage est mérité.
Paul Heuse fut, en effet, il a une quinzaine d’années, celui qui voulut reconstituer à Liège un parti progressiste et qui y parvint, grâce à son prestige personnel, à la considération dont il jouissait partout, à l’universelle sympathie que commandaient irrésistiblement sa droiture impeccable, sa haute loyauté, sa probité exemplaire, son absolu désintéressement et surtout son extrême bonté, qui couronnait et caractérisait l’ensemble des hautes et rares qualités de ce caractère admirable. C’est à ces qualités, d’ailleurs, bien plus encore qu'à son très réel talent et à ses vastes connaissances juridiques, que Heuse dut l'ascendant légitime qu’il exerça sur ses concitoyens.
Il y avait bien à Liège alors quelques progressistes : M. Hanssens avait été élu député malgré M. Frère-Orban et faisait preuve souvent d'une réelle indépendance ; le docteur Charles, actuellement sénateur, était conseiller communal et se montrait le démocrate qu'il est toujours ; Victor Henaux. le frère de l'historien, l’ancien échevin progressiste. V. Colette, Lambert, Fléchet, Hicquet, d‘autres encore, mais isolés, se contentant de garder intacte leur foi en la démocratie, mais ne songeant même plus à la possibilité de se réunir en un parti et de lutter contre l’omnipotence doctrinaire.
Ce fut Victor Henaux qui fit Heuse. Resté en rapports permanents avec les démocrates de Bruxelles, tout plein des traditions séculaires de la nouvelle démocratie liégeoise. le vieil avocat cultiva soigneusement chez son stagiaire les idées que quelque hommes seulement à Bruxelles défendaient envers et contre tous dans le parti libéral. Heuse avait pour Henaux une véritable vénération. Je les voix encore tous deux, il y quinze ans, dans ce cabinet archaïque, tout encombré de vieux livres et de vieux souvenirs, où l'ancien disait avec toute la fougue de la jeunesse les espérances déçues d'avant 1848, et les espérances nouvelles que faisait naître en lui notre campagne. C’est lui qui nous avait envoyé son jeune ami que sa naissance, ses relations, sa situation au barreau. celle de son père à l'Université, semblaient destiner à une belle et profitable carrière doctrinaire.
Heuse vint un jour me voir à La Réforme ; je ne le connaissais que par des articles juridiques qu'Il avait publiés dans le Journal des Tribunaux ; il venait se mettre spontanément à la disposition des dirigeants du mouvement progressiste pour organiser ce mouvement à Liége. Il faisait cela tout simplement, avec une sorte de timidité, disant qu'Il considérait que c’était là pour lui l’accomplissement d'un devoir de conscience, ajoutant avec sa belle candeur qu'on pouvait prendre des renseignements sur lui chez Victor Henaux, son ancien patron.
Heuse devint donc le correspondant liégeois des organisateurs du premier Congrès progressiste dont il fut l’un des secrétaires et plus tard le correspondant de la Fédération progressiste et le représentant des progressistes liégeois au Conseil général. Il fut de toutes nos luttes pour la révision. Il y gagna ce qu’on gagnait à cette époque à se faire progressiste : d’être dénoncé comme un brouillon, presque un traître, de s voir faire une guerre acharnée, jusque dans ses intérêts privés, finalement d’être à peu près chassé de l’Association libérale locale.
Mais dès le lendemain du jour où il s’était mis en
rapports avec nous, ces rapports lui avaient valu une autre corvée, qu’il avait acceptée sans hésitation et avec son abnégation habituelle : Wagener et les anarchistes compromis dans les troubles du 18 mars 1886 m’avaient demandé de les défendre ; je leur expliquait que, vu l’état des esprits, cela équivalait à les faire condamner, et je les adressai à Heuse. Celui-ci se chargea de cette cause difficile, au risque de scandaliser la bourgeoisie liégeoise qui ne comprenait pas comme « un homme comme M. Heuse » pût plaider une pareille cause. Il le fit avec un admirable dévouement, ne put empêcher leur condamnations, mais obtint du moins au bout de peu de temps de M. Lejeune la faveur de la libération conditionnelle que M. Begerem refuse à Moineau… D’ailleurs, comme l’a dit Demblon, Heuse plaidait toutes les causes des pauvres, des ouvriers, les procès d’accidents pour lesquelles il n’est souvent pas facile de trouver un avocat de renom dans les pays industriels où tous les avocats renommés sont les conseils habituels des sociétés contre lesquels il s’agit de plaider, et se voient obligés de refuser de pareilles causes ; et cette mission, Heuse la remplit avec un désintéressement que proclament tous ceux qui ont et recours à lui.
Grâce au prestige dont jouissait à Liége, Heuse avait pu grouper les progressiste en un parti ; à côté des vieux grognards de 48, devenus bien rares, il avait amené à se prononcer pour la démocratie et au dehors des hommes plus jeunes, occupant une situation dans la bourgeoisie et capables d’entraîner une partie de cette bourgeoisie avec eux, notamment les députés Fléchet et Jeanne, M. Auguste Dumoulin, Ch. Magnette, G. Grégoire et bien d’autres. On avait fondé L’Express, dont le succès s’affirma bientôt ; Heuse fut président du conseil d’administration jusqu’à son dernier jour et ne cessa de collaborer au journal, même quand la maladie le tenait cloué à son lit de douleur depuis des mois et des années.
L’avénement du suffrage universel changea la situation politique de Liége comme par un coup de baguette magique. Les proscrits rentrent dans la cité !, m’écrivait Henaux à la première victoire remportée par les progressistes aux élections provinciales de 1894. Heuse, avec Flechet, Jeanne et Demblon furent élus députés au premier tour de scrutin, et si la liste d’alliance progressiste-socialiste obtint ce succès foudroyant, on le dut en grande partie à la respectabilité, à l’autorité, au prestige personnels que lui apportaient ces représentants respectés de la bourgeoisie et avant tout à l’universel respect qui entourait la personnalité de Paul Heus.
A la Chambre, où les hasards du scrutin majoritaire nous avait privés de nos chefs, Paul Heuse pouvait et devait jouer un rôle important. C’est à peine s’il a pu l’esquisser, signataires des principaux projets de loi déposés par la gauche, auteur du projet de représentation proportionnelle dont la Chambre est actuellement saisie, rapporteur de la minorité dans la loi scolaire. Il eut juste le temps d’y acquérir les sympathies générales qu’il obtenait parfois t de mériter l’hommage que le président a rendu hier à sa mémoire. Tout à coup il fut arraché à nos travaux par une cruelle maladie, une sorte de tuberculose ganglionnaire, soignée avec autant de science par ses amis de l’Université que de dévouement attentif par sa jeune femme, qui a vu les longues douleurs de cette agonie succéder brusquement aux premières joies d'une union que tout semblait devoir rendre heureuse. Malgré ses cruelles souffrances et l'affaiblissement progressif qu'elles amenaient, le pauvre Heuse garda jusqu'au dernier jour la lucidité, la vivacité de son intelligence, un intérêt passionné pour les affaires publiques réunissant ses amis à son chevet, leur prodiguant les conseils et les encouragements.
Dans les tout derniers temps seulement, il commença à se sentir vraiment perdu ; je n'oublierai pas les deux dernières visites que je lui ai faites ce dernier mois, ses paroles mélancoliques sur le néant qui nous donne le seul repos - pas besoin de dire que Heuse, qui avait des convictions philosophiques assises sur de fortes études scientifiques, a voulu mourir en libre penseur - et aussi l'accès de découragement et la crise de larmes qui survinrent après que je lui avais rendu compte de la situation parlementaire au sujet de notre projet de représentation proportionnelle : « Le jour où cette discussion viendra, je serai à la Chambre, dussé-je me faire porter, dussé-je mourir en route. Car le jour où cela serait voté serait le plus beau jour de ma vie ; mais je n'irai pas jusque-là. »
Et pour la première fois je le vis pleurer.
Vit-il rien de plus triste, en effet, que de voir ainsi briser par une maladie que rien n'explique, une vie aussi honnête. aussi laborieuse, aussi utile, à l'heure même ou le travail de trente années va pouvoir porter ses fruits, à l'heure de la réalisation des projets longuement mûris pour le bien des autres ? II nous fallut un rude effort pour ne pas éclater en sanglots, nous aussi, et trouver les paroles pieusement mensongères destinées à prolonger sinon l'illusion du pauvre malade, du moins celle de sa femme. si dévouée et dont l'espoir touchant dans une guérison imposable laissait à chaque visite une impression plus poignante.
La démocratie a perdu son chef respecté. Elle regrettera souvent l'absence de ses conseils si sages. Elle n'oubliera pas tout ce qu’elle a dû à Paul Heuse, sans qui elle n'eût probablement pas pu être reconstituée pour le jour de la chute du régime censitaire et Liège n'eût pas eu l'insigne honneur de redevenir l’inexpugnable forteresse de la démocratie belge.
Georges LORAND