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Chroniques du Nieuwe Rotterdam Courant (traduction) (1906-1914)
VAN DE WOESTYNE Charles - 1906

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Actualité politique de l'année 1907

Notre neutralité

Bruxelles, 8 janvier 1907

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 9 janvier 1907)

Je me souviens comment, dans l'un de nos zoos, un vieux lion malade devait être abattu. La bête n'était pas un agneau ; une plaie suppurante dont elle souffrait ne la rendait guère encline, par ailleurs, à la politesse ou même à la tranquillité rassurante. Il n'y avait donc guère à penser à s'approcher de près pour lui donner, avec toute certitude, la balle efficace qui l'enverrait ad patres, sans déviation, en plein cœur. Alors, on eut l'idée suivante. On affama d'abord l'animal, puis on le fit défiler à travers une série de cages, de plus en plus petites, jusqu'à ce qu'il parvienne, guidé par l'odeur, à une toute petite cage, à peine assez grande pour un chien d'eau de taille moyenne, mais où l'on gardait un magnifique steak de cheval à sa disposition. L'animal se jeta dessus ; la trappe de la cage se referma et le pauvre lion, incapable de bouger dans son étroit logement, fut abattu par un ancien explorateur du Congo, qui prétendait avoir déjà chassé des lions...

Je vous raconte cette anecdote, non pas parce que je la trouve si extraordinairement intéressante - oh non ! - mais parce qu'elle illustre bien la situation de la Belgique, avec notre neutralité accordée généreusement par les puissances. Car, à en juger par certains journaux, cette neutralité, garantie par les puissances, ne serait pour nous qu'un appât, qui donnerait à ces mêmes puissances le pouvoir de nous abattre et de nous dépecer encore mieux.

Oh, je n'accuse personne ! Mais je sais que la Belgique a plus d'une fois été exposée aux ambitions conquérantes de ses voisins - en 1848, notamment, quand une poignée de soldats français ont pensé pouvoir tout simplement envahir notre pays - et que nous n'avons pas manqué de menaces. Cependant, nous avons maintenant nos forts sur la Meuse ; bientôt nous aurons les nouvelles fortifications autour d'Anvers, et... cela nous a coûté assez cher pour nous donner l'assurance que nous pouvons désormais dormir sur nos deux oreilles...

Non, des gouvernements des grandes nations, qui nous ont généreusement assuré la neutralité de notre territoire et ont juré, nous n'avons pour l'instant rien à craindre. Mais avec les politiciens des journaux, c'est différent ; car il ne se passe pas un mois sans qu'ils trouvent le moyen de nous inquiéter pour notre neutralité par tel ou tel arrangement qui, selon eux, apporterait la paix éternelle à l'Europe, ou une plus grande prospérité, ou simplement un aspect plus beau sur la carte. Tous ces Napoléons de chambre rêvent de donner à l'Europe, qui gît là depuis près d'un siècle quasi inchangée, une nouvelle répartition. Ils estiment qu'il est grand temps que le Holstein, l'Alsace-Lorraine et la Belgique changent de propriétaire, et souhaitent apporter quelques modifications nécessaires de leur propre chef. Que la Belgique doive sacrifier son indépendance pour cela, cela importe peu évidemment. Après tout, on a le droit de reprendre ce que l'on a donné, n'est-ce pas ? Et la neutralité belge est un cadeau des puissances... Encore une fois, bien sûr, en dehors des gouvernements compétents, on trouve des utopistes pour proposer un nouveau partage de la carte du monde. Un magazine français a jugé bon de donner place à leurs plans ; et si la paix mondiale n'est pas désormais établie pour toujours, per saecula saeculorum, ce ne sera de toute façon pas de ma faute, puisque je contribue à cet édifice en apportant ma pierre.

Il s'agit bien sûr des relations d'amitié mutuelle entre la France et l'Allemagne, des relations qui, malheureusement, traînent le boulet de l'Alsace-Lorraine : un Lasciate ogni speranza tant qu'on n'a rien trouvé pour donner une compensation à la France sans rien enlever à l'Allemagne... Maintenant, il y a un petit pays, appelé la Belgique, et qui est habité par un peuple dont la moitié ne fait que se quereller avec l'autre moitié. Cette première moitié est constituée de hurluberlus qu'on appelle les Flamands, et l'autre moitié de fainéants qu'on appelle les Wallons. Maintenant, la combinaison est la suivante : et si nous avions l'honneur de transformer ces Wallons en Français ? Bien sûr, nous ne les confierions pas à l'Allemagne, qui a déjà son lot de mécontents. Mais nous les réunirions avec les Hollandais, tandis que mère Germania accueillerait le grand-duché de Luxembourg comme un État libre dans son giron, ainsi que la parcelle de terre belge qui abrite toujours une population germanophone. Et pour les provinces d'Alsace et de Lorraine : chacune récupérerait la sienne, selon la langue....

Ne trouvez-vous pas que ce petit plan est vraiment beau ? Et quel dommage que nous ne puissions pas le réaliser d'un coup !...

Bien sûr, tout cela n'est que bavardage sans importance tant que cela ne vient pas des puissances elles-mêmes. Et même alors, tout ne se passerait pas comme sur des roulettes. Plus d'une fois, notre neutralité, même officiellement, a été menacée, sans que l'on ose vraiment mettre ces menaces à exécution. Même dans les années critiques des années 1840, lorsque, dix ans à peine après la proclamation de notre indépendance encore fragile, nous étions sous le contrôle moral, voire plus que moral, de la France, et que Guizot, craignant une « prussification » de la Belgique face à l'attitude des Flamands, avait cru devoir dire aux Belges qu'il mettrait « des obstacles efficaces » si l'Allemagne continuait de nous menacer de germanisation par la voie flamande : même alors, la Belgique n'a pas tremblé, et surtout pas les Flamands, qui savaient bien qu'ils ne pouvaient compter que sur leurs propres forces et sans l'intervention de l'Allemagne. Nous n'aurions donc pas non plus prêté attention à la dernière nouveauté des messieurs régulateurs des États, si ce n'était que la mouvance flamande est invoquée comme argument pour la séparation des deux parties de la Belgique.

Quand comprendra-t-on enfin que 1° la lutte flamande n'est pas dirigée contre les Wallons et consiste uniquement en un effort pour leur propre développement logique, c'est-à-dire à travers leur propre langue sur leur propre territoire ; que 2° les Flamands ne sont absolument pas des fauteurs de division, conscients que leur union avec les Wallons est une véritable bienfait pour leur industrie ; que 3° leur mouvement est bel et bien nationaliste, qui se réjouit de voir également la Wallonie chercher sa propre conscience, puisée aux sources de la tradition populaire et de l'art populaire... La différence de race n'entraîne pas nécessairement la haine mutuelle, surtout chez des personnes ayant des intérêts communs. Et autant que je sache, le Mouvement flamand - devenu parfois un sujet de discorde uniquement par la mauvaise volonté des Wallons - n'a jamais mis en danger l'autonomie et l'intégrité territoriale de la Belgique...

Quand cela sera-t-il enfin compris à l'étranger, et quand aura-t-on un regard compréhensif et sympathique envers le Flamand - tout comme envers les Tchèques et les Finlandais ?

Oui, je sais bien qui est responsable de cette incompréhension ; je pourrais en dire long sur la manière dont nous sommes présentés à l'étranger. Mais je préfère me taire, car on pourrait tirer de mes paroles la conclusion que je suis l'instigateur de cette nouvelle séparation de notre pays au profit de la France et de l'Allemagne.

Et cela, je ne le souhaite absolument pas !


Réouverture [des séances de la Chambre des représentants]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 27 janvier 1907)

Bruxelles, 24 janvier 1907

Est-ce le résultat du froid ? Car notre Chambre des Représentants ressemble bien à l'agréable domicile de quelques marmottes hivernantes.

Mais quelle température aussi ! Un ours polaire - animal qui pourtant ne craint pas le moindre refroidissement de l'atmosphère - en attraperait un rhume ; et un explorateur de l'Antarctique, que j'ai rencontré hier, m'a assuré que les impressions achetées sur les icebergs là-bas ne rivalisent en aucun cas avec celles, acquises depuis quelques jours par les oreilles et les nez des Bruxellois. Moins quinze degrés, indique mon thermomètre ce matin ; et dans les Ardennes, il est descendu jusqu'à moins dix-huit virgule cinq. Des gens avec une mémoire forte et beaucoup de confiance en eux affirment que quelque chose de tel ne s'était pas produit dans notre pays depuis 1887. Des vieilles femmes tombent mortes dans la rue ; - heureusement pas toutes - et les chiens errants de nuit, d'habitude cyniquement indifférents aux changements de temps, tremblaient et gémissaient cette nuit, raides contre les montants de porte, implorant du regard les rares passants - dont moi-même - d'essayer une seule de leurs clés dans la serrure... C'était touchant ; mais la température était impitoyable, et - qui sait combien de chiens morts de froid la capitale aura à déplorer demain matin...

Cependant, je voulais vous parler de la réouverture de la Chambre, et si je me suis permis ici une petite digression, c'est uniquement parce que cette réouverture a été aussi froide que l'atmosphère extérieure. On sent qu'aucune amitié chaleureuse ne lie la majorité de nos députés les uns aux autres. Ou est-ce le souvenir des quatre semaines de vacances bénies, des oies de Noël dévorées et des repas du Nouvel An savourés, du farniente, loin de toutes les préoccupations de l'État, dans le giron de la famille, des promenades émouvantes à travers la région natale ; - est-ce de tels souvenirs qui ont rendu les plus belliqueux de nos législateurs aussi pondérés à cette réouverture que des moines méditatifs, et nos lutteurs les plus fougueux aussi pensifs que des vieillards réfléchis ? Quoi qu'il en soit : notre Parlement est comme une cloche à fromage aérée, où une vingtaine de membres, immobiles comme des mouches en digestion, écoutent peu, perdus dans leurs pensées, la voix douce et monotone du professeur socialiste Hector Denis - ne vous laissez pas tromper par son prénom héroïque - qui récite sereinement et d'un front serein des statistiques.

Non, il n'y a pas du tout d'animation ; c'est la torpeur de l'indifférence comme dans une classe où, pour des lycéens amoureux, le professeur dévoile les beautés de la trigonométrie....

Pourtant, le sujet de Monsieur Denis est loin d'être sans importance. Il concerne la prospérité matérielle et spirituelle de près de deux provinces belges. Du débat en cours dépend dans tous les sens du terme un avenir meilleur pour une partie de la Flandre jusqu'ici négligée et en retard. Car il s'agit des mines nouvellement découvertes dans le Limbourg. C'est une nouvelle richesse et son exploitation qui préoccupe monsieur Denis et occupe le reste de la Chambre...

La situation est la suivante : comme je vous l'ai écrit le 8 août, l'État a préféré, au lieu de l'exploitation directe - qui, en dehors de tout bénéfice, aurait permis au pays de surveiller la manière dont le travail serait mené et le traitement réservé au personnel, et qui aurait assuré que le bénéfice de notre richesse inattendue ne tomberait pas entre des mains étrangères - ; au lieu de l'exploitation directe, l'État a donc choisi d'accorder des concessions dans le nouveau bassin minier, dans un certain cas, où une part importante a été cédée au découvreur du gisement de charbon, André Dumont, - une cession qui a eu lieu avant même qu'une nouvelle loi minière, dictée par les nouvelles conditions, ne soit votée.

On ne peut rien changer à un fait accompli. M. Denis, même s'il regrettait que, selon lui, on ait agi avec légèreté, s'est donc abstenu de toute considération théorique pour... sauver ce qui pouvait encore l'être : le contrôle par le peuple belge sur ce qu'il aurait pu si facilement perdre. Et il a proposé, essentiellement, que toute concession d'une certaine importance ne soit accordée qu'avec l'approbation du Pouvoir Législatif - ce qui protégerait les intérêts nationaux -, et que, comme mesure de précaution, l'État ait le droit de racheter. Il a regretté qu'une partie des concessions relève de l'ancienne législation - datant de 1870 ! -, et que l'autre relève de la nouvelle : une situation ambiguë qui ne favoriserait ni l'unanimité ni la régularité judiciaire. Et enfin, il a souhaité qu'une partie du bassin minier du Campinois soit cédée à un groupe de travailleurs qui devront l'exploiter sur la base du collectivisme.

Mis à part ce dernier souhait - moins un coup de parti peut-être chez M. Denis qu'une demande sincère et honnête de l'idéologue peu pratique qu'il est -, dont la faisabilité est discutable après les exemples précédents dans d'autres pays, et qui a également été accueilli avec une indifférence polie mais ferme, nous ne pouvons que regretter le rejet de ses autres amendements. Car tout ce que M. Denis avait proposé dans l'intérêt général a subi un échec ; la possibilité de rachat : rejetée ; la supervision de la Chambre sur la cession des zones minières : rejetée ; et même la simple demande que les membres du conseil minier, qui donne des avis sur tous les aspects de l'industrie minière, soient désormais nommés non plus par le Roi, mais, pour garantir une plus grande impartialité, par la Représentation : renvoyée aux calendes grecques...

Il est extrêmement regrettable que la Chambre, dans des circonstances où l'avenir de tout le pays est en jeu, se soit laissée trop influencer par la politique partisane. L'intérêt national, ici plus que jamais, aurait dû faire taire les querelles partisanes et les théories partisanes. Il s'agit de la prospérité de toute une population, une prospérité que l'État aurait pu garantir, qu'il aurait pu superviser en tout cas, et qui maintenant, avec une exploitation privée, devient douteuse et non confirmée. Mais il y a plus : il y a l'intérêt de tout le pays, de l'avenir de la Belgique. Notre sol nous offre une nouvelle puissance mondiale ; grâce aux millions de tonnes de charbon que nous allons mettre sur le marché, nous obtenons une nouvelle influence sur l'industrie mondiale ; même si nous restons un petit pays, grâce à la richesse de notre sol, nous devenons une force qui, pacifiquement, nous maintient en équilibre avec les grandes nations... Et tout cela est négligé, sans grande considération, par des gens qui ont encore les vacances dans la tête...

Car le réveil doit encore venir. Serait-ce demain, jour où, dit-on, les modifications de la loi électorale communale seront discutées ? Allons-nous attendre jusqu'à l'examen de la proposition de loi de Coremans sur l'enseignement secondaire ? Nous attendons, un peu impatiemment. Car nous ne sommes plus habitués à une Chambre aussi calme que celle que nous avons vue ces deux derniers jours...

En parlant d'éducation : M. Woeste, qui est un homme assidu et qui tient à sa réputation de chef de parti, n'a pas passé ses vacances dans des rêveries vaines, dans un dolce far niente. Comme à chaque vacances, il a écrit un article, qui a de nouveau été publié dans « La Générale » ; cette fois-ci, il porte sur l'obligation scolaire. Et M. Woeste n'a rien dit de nouveau. Il a jonglé avec des chiffres - vous savez qu'ils disent tout ce que vous voulez -, il a disserté gravement sur le beau mot « liberté... »

Étrange liberté, celle de l'ignorance ! Surtout dans un pays où, parmi les conscrits, près de vingt pour cent ne peuvent pas distinguer un A d'un B, et où, dans certaines régions, la fréquentation scolaire est si peu surveillée qu'on a calculé une absence moyenne de 78 jours sur 247, soit un peu plus d'un tiers.

Pays heureux où personne n'est obligé de savoir lire ! Ou : pays pauvre...


La semaine politique [enseignement obligatoire et journée des huit heures]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 6 février 1907)

Bruxelles, 3 février 1907

La semaine écoulée a été marquée par de grands problèmes, moraux et économiques ; nos politiciens semblent vouloir échanger leur tactique de chicane et de personnalités contre une large formation de bataille, engager le combat pour les nobles principes, montrer au monde qu'un petit pays ose affronter les grands problèmes. Et en l'espace court d'une semaine de sept jours, ils ont abordé, non pas touché du doigt, non pas seulement traité, mais examiné sous tous les angles, pesé et mesuré, si ce n'est abouti à une conclusion définitive, du moins approché, deux questions controversées, dont la résolution, pour ou contre, détermine tout un avenir : l'obligation scolaire et la journée de travail de huit heures.

La première dispute a été jouée entre deux champions courtois mais obstinés. Ce fut un tournoi, sinon avec des armes égales, du moins entre des chevaliers de valeur égale, tous deux aussi expérimentés dans l'attaque et la parade, aussi courtois que belliqueux, mais aussi tenaces que justes ; deux anciens combattants, par ailleurs, grisonnants dans l'arène, et qui ont appris à lier la sagesse des années au feu de la jeunesse : je veux parler des messieurs Charles Woeste et Charles Buls.

Le premier, troublé par la grande manifestation du 18 novembre (voir le N.R.C. du 20 novembre), à laquelle ont également participé quelques enseignants catholiques et un officier ordonnance du Roi, le général Chapelié, avait, comme je vous l'ai écrit le 25 janvier, passé ses vacances de Nouvel An à rédiger un mémoire contre l'obligation scolaire, paru dans « La Revue Générale ».

Le deuxième, l'ancien bourgmestre Buls, président de la Ligue de l'Enseignement (une « ligue » qui, pour autant que je sache, n'a pas de nom officiel flamand) a considéré l'article de Monsieur Woeste comme un défi, jeté à lui en tant que président de ladite Ligue pour l'enseignement ; et il a relevé ce défi avec fierté, et, dans un discours magnifique, a attaqué les arguments de son adversaire ; - avec des armes inégales, je l'ai déjà dit ; mais est-ce la faute de Monsieur Buls si le homme d'État catholique s'efforce toujours de défendre des choses qui s'effondrent d'elles-mêmes comme des ballons de papier sous le moindre coup d'épingle ?...

Ce fut un beau duel, digne mais tranché, et une victoire facile pour Monsieur Buls. Facile, car les arguments de Monsieur Woeste étaient véritablement désespérés. Ainsi, son premier argument contre l'obligation scolaire était que, appliquée en France et en Italie, elle n'avait pas porté ses fruits. Alors que Monsieur Buls pouvait facilement répondre qu'elle portait effectivement ses fruits en Allemagne, en Norvège, en Suède, au Danemark, en Suisse, en Angleterre, et enfin aux Pays-Bas, où elle avait considérablement augmenté la population scolaire, depuis seulement 1901. Ainsi, cette population à Amsterdam aurait augmenté de 36,7 % à 70 % en trois ans. De sorte que les mauvais résultats obtenus en France et en Italie ne dépendaient que de la mauvaise application ou des défauts pratiques de la loi.

Un deuxième argument pour l'inutilité de l'obligation scolaire est, selon Monsieur Woeste, la situation florissante de notre enseignement et l'augmentation constante du nombre d'alphabétisés en Belgique. En effet, les statistiques officielles montrent que de '80 à '90, leur nombre aurait augmenté d'environ 10 % ; et lors du tirage au sort, on a pu constater qu'en 1850, 44 % des conscrits étaient illettrés, tandis qu'en 1905, leur nombre était descendu à 9 %. Ce sur quoi Monsieur Woeste crie victoire. Mais, répondit Monsieur Buls, comment concilier cela avec le fait quasi-officiel que, si en 1897, plus de 120 mille enfants ne fréquentaient aucune école, leur nombre avait déjà dépassé les 130 mille en 1900 ?... On pourrait aussi examiner comment ces décomptes officiels sont faits ! Si un conscrit peut signer son nom, on suppose qu'il sait écrire ; s'il peut épeler quelques mots : on dit qu'il sait lire, même s'il ne comprend rien de ce à quoi il est soumis. Monsieur Buls a ouvert une enquête approfondie de son propre chef. Il a examiné deux groupes de cent conscrits de la classe 1906 et a trouvé 54 illettrés dans le premier groupe, 40 dans le second, dont certains ne savaient pas sous quel régime nous vivions, ne connaissaient pas le nom du roi et les couleurs du drapeau national, et pensaient que les chemins de fer existaient depuis le début des temps.... On admet que, dans de telles circonstances, une petite loi ne serait pas inutile. Le ministre de l'Instruction publique, Monsieur de Trooz, n'a-t-il pas lui-même écrit : « Il reste du progrès à faire pour assurer à tous les enfants de Belgique le bienfait de l'enseignement primaire » ? Et Monsieur de Trooz est un bon ami de Monsieur Woeste....

D'ailleurs, il est prouvé, par un rapport de Monsieur Schollaert, président de la Chambre, également un bon ami de Monsieur Woeste, que, en raison des absences répétées à l'école, seuls 14 % des enfants peuvent bénéficier d'une éducation primaire complète. Les autres restent en arrière, oubliant la très petite partie qu'ils ont apprise, et arrivent à la caserne avec... l'érudition que Monsieur Buls a constatée.

Voilà la force des arguments de Monsieur Woeste. Sa crainte de l'école neutre, conséquence fatale selon lui de l'obligation scolaire, doit être grande, puisqu'il continue désespérément à brandir de telles épées émoussées. Et on comprend en effet que les catholiques orthodoxes voient avec chagrin la force morale du catéchisme de Malines bannie des écoles, et que l'enseignement et la signification de leur Dieu soient passés sous silence... Mais ces deux choses sont-elles inconciliables, et l'association de l'obligation scolaire avec la préservation de la conviction religieuse de chacun est-elle impossible à réaliser ? Dans de nombreuses villes, l'enseignement religieux est déjà libre, et les parents conservent le droit de dispenser leurs enfants de celui-ci. Une telle disposition ne faciliterait-elle pas l'adoption d'une loi en faveur de l'obligation scolaire ? Nous vous laissons y réfléchir...

La deuxième grande question, discutée avec plus de passion et moins de profondeur au cours de la semaine politique, était la réduction de la durée du travail dans les mines, portée à huit heures. Comme amendement à la nouvelle loi minière, dont je vous ai parlé il y a quelques jours, et qui doit remplacer l'ancienne loi, datant de 1810 - et non pas de 1870, comme on m'a inexactement dit -, le travail de huit heures n'a pas seulement été défendu par les socialistes, comme on pouvait s'y attendre, mais tout un groupe de la droite cléricale, dirigé par Monsieur Helleputte, a demandé l'examen immédiat, c'est-à-dire l'adoption des propositions en cours, sans attendre un nouveau projet de loi régissant la durée du travail et les méthodes de travail dans les mines et les usines. Et cela a été une querelle sérieuse, une dispute où l'on s'est pris, non plus, comme d'habitude, entre droite et gauche, ou entre capitalistes et socialistes, mais cette fois-ci, en dehors de tous les partis, entre partisans et opposants d'une révolution économique particulière ; plus de débat parlementaire, soumis à la discipline du parti et à un programme partisan, mais un combat de convictions personnelles, loin de tout étiquetage politique.

Et les vainqueurs ? Pour l'instant : personne. Mais les partisans, catholiques et socialistes, de la réforme en faveur du peuple travailleur ont triomphé dans la mesure où une motion de Monsieur Woeste, renvoyant les amendements à l'examen du comité central pour un examen plus approfondi, a été rejetée...

Que nous réserve donc l'avenir ? Les quelques catholiques qui, de manière logique et cohérente, voudront poursuivre la belle législation sociale instaurée par leur parti, accompagneront-ils les socialistes, qui reconnaissent par ailleurs la valeur de leur travail précédent et le louent, jusqu'aux conséquences les plus extrêmes ? C'est peu probable, même si les dissidents de la droite sont aussi obstinés que des mulets : une attitude qui souligne d'autant plus la scission parmi les catholiques.... Des choses étranges nous attendent probablement, après cette explosion de conscience personnelle face à la politique partisane, comme nous avons pu le constater vendredi dernier...


Querelles de ménage [au sein du parti catholique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 26 février 1907)

Bruxelles, 23 février 1907

Il en va actuellement au sein de nos partis politiques comme avec l'aiguille du baromètre par temps d'orage : c'est un tremblement et un doute, une déviation vers les extrêmes, une hésitation entre politique de principe et politique opportuniste, avec, comme note dominante, comme raison principale, un malentendu tacite, un conflit latent, qui se manifeste particulièrement au sein du parti au pouvoir, ou plutôt, comme on pourrait le dire, au sein de la droite gouvernementale. C'est devenu comme des enfants d'une même mère qui se donnent des coups de pied sous la table avec méchanceté ; et, bien que personne n'ose le crier, les regards chargés de colère rentrée qu'ils échangent suffisent à montrer que ce n'est pas l'envie qui leur manque de se sauter à la gorge.

Depuis des années, nous savions que les tensions étaient vives. Monsieur Woeste et Monsieur Beernaert n'étaient plus bons amis depuis longtemps. Et dans le groupe Helleputte, Monsieur Woeste n'avait justement pas trouvé de fidèles alliés. Mais jusqu'à présent, le parti catholique avait néanmoins conservé une apparence d'unité, une façade de coopération solidaire, grâce à des concessions mutuelles. Étaient-ce les élections de 1906 qui, aux esprits frondeurs du parti, face à la diminution de confiance que le pays semblait accorder au gouvernement, leur avaient donné le courage de pousser leurs propres idées avec plus de force, et de se positionner ainsi face à un gouvernement fragile, tout en étant conciliants avec les théories socialistes, qui ne s'éloignaient pas trop des leurs ? Souhaitaient-ils, par plus de souplesse, sauver ce qu'il restait à sauver de leur parti, et s'éloigner de ce qui pourrait être nuisible à cette sauvegarde ? Quoi qu'il en soit, l'attitude des jeunes cléricaux face aux défenseurs plus directs du gouvernement était claire et courageuse. Ce n'était pas encore une déclaration de guerre ouverte ; mais la tension avant la tempête pesait néanmoins dans l'air ; et deux questions sérieuses : la reprise de l'État du Congo et le travail de huit heures dans les mines, étaient des occasions de discussions sans équivoque, qui plus que jamais soulignaient l'état de mécontentement et de méfiance qui régnait au sein du parti.

J'ai pu souligner la division parmi les catholiques lors des débats sur le Congo (dans les numéros du N.R.C. du 30 novembre au 16 décembre 1906) ; un certain nombre d'entre eux, y compris les meilleures forces du parti, s'étaient rangés du côté des socialistes, aux côtés des rares libéraux qui refusaient d'acheter « un chat dans un sac » et d'accepter sans examen préalable l'État libre comme cadeau royal. Et à partir de ce moment-là, je pouvais vous faire remarquer que dans la Chambre, une nouvelle formation de groupes avait lieu, une formation en deux nouveaux partis : la majorité catholique avec une partie des anciens libéraux (« un gouvernement de rechange », comme l'a ironiquement appelé le camarade Vandervelde), que l'on aurait pu qualifier de récalcitrants, et la gauche socialiste et progressiste, renforcée par quelques jeunes libéraux énergiques et les têtes les plus fortes du parti catholique, qui souhaitaient unanimement placer les droits de la représentation populaire face à l'autorité exécutive - roi et ministres - et, sur le plan social, semblaient vouloir mener une politique interventionniste poussée. Certes, il n'y avait pas de groupes délimités et bien définis ; en ce qui concernait les principes partisans, un libéral restait un libéral, un catholique restait un catholique, et je ne connais aucun partisan plus tenace que monsieur Helleputte dans ce cas ; mais on sentait de plus en plus que des courants profonds agitaient ces caractères, des courants qui poussaient l'un vers des novateurs, l'autre vers des hésitants ; les questions partisanes, les principes programmatiques n'avaient plus seulement à faire face à un simple trouble de conscience, mais devaient désormais composer avec eux ; les exigences de l'époque ne permettaient plus désormais de rechercher la paix dans l'entêtement d'une définition de principes...

Et là commença la fissure qui empêche pour l'instant la cloche triomphale du parti catholique de résonner aussi clairement qu'elle l'avait fait pendant plus de vingt ans. Car avec la discussion sur le Congo, la nouvelle formation de groupes parlementaires dont j'ai parlé ci-dessus devenait plus claire - une formation fluctuante et instable, il est vrai, mais qui témoignait d'autant mieux de son caractère individualiste et de son importance sociale, - la séparation des partis se dessinait plus nettement, ce qui semble avoir donné aux jeunes catholiques plus de courage et de combativité.

Car il est indéniable : la petite fissure d'alors est devenue une crevasse. L'occasion pour Monsieur Helleputte de proposer un amendement à la loi sur l'exploitation minière, qui institue le travail de huit heures par la loi, a fait en sorte que nous nous retrouvons de nouveau, et plus menaçants que jamais, face à une confusion des partis, à une perplexité d'un côté et à une obstination de l'autre, à la véritable lutte du capital contre le travail, et ce non pas entre capitalistes et anti-capitalistes, mais entre les membres d'un seul parti bourgeois. Naturellement, Monsieur Helleputte, outre ses amis politiques personnels de la droite, a tous les socialistes et les libéraux progressistes de son côté. La « faconde » de Monsieur Vandervelde l'aide tout autant que l'érudition du professeur Denis l'a aidé. Et lui-même, mathématicien qu'il est, ne se laisse pas facilement déstabiliser. Pourtant, il n'est pas facile de répondre aux objections de ses ennemis cléricaux et d'un groupe de libéraux modérés, qui ne comprennent pas pourquoi l'amendement Helleputte ne devrait pas être rétroactif pour les mines actuellement en pleine exploitation en Wallonie, alors qu'il n'aurait d'effet que dans l'esprit de ses défenseurs, sur les mines du Limbourg, dont la valeur et le contenu en charbon sont encore inconnus. La question demeure également de savoir si cette réduction du temps de travail n'entraînerait pas inévitablement une réduction du salaire, ce qui reste non résolu dans la proposition de Helleputte. Ses partisans citent des statistiques, racontent ce qui se passe dans d'autres districts miniers, mais ils semblent négliger quelque peu la possibilité d'adaptation aux conditions belges, surtout en ce qui concerne les mines d'une importance hypothétique. Ainsi, on reproche à Monsieur Helleputte, au sein de son propre parti catholique, de plaider pour sa propre cause, pour sa propre politique programmatique, au détriment de la droite générale et du gouvernement...

Mais, même là où Monsieur Helleputte préférerait effectivement abandonner son parti pour affirmer ses propres intérêts, et ne viserait rien d'autre que, poussé par la volonté populaire, à obtenir avec ses amis des sièges ministériels : ne serait-ce pas une preuve éloquente des signes des temps, que, intelligent et prévoyant comme il est, il aurait choisi précisément cette arme : le travail de huit heures, pour ce faire ?...

L'amendement Helleputte n'a pas encore été voté. Et dans les couloirs de la Chambre, on voit les dirigeants actuels s'efforcer de le faire échouer, de donner le mot d'ordre, de se consulter, d'essayer de convaincre les indécis, de resserrer les rangs... Et peut-être qu'ils y parviendront, peut-être, à faire rejeter la proposition avec une petite majorité. Mais à quel prix ! Et avec quel sentiment de désespoir et de frustration !


La Commission Congo

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 27 février 1907)

Bruxelles, 25 février 1907

Vous vous souvenez que, lorsque la grande entente patriotique, qui avait réchauffé le cœur de chaque Belge qui n'avait pas dévié du bon chemin, avait ramené la paix en ce qui concerne le Congo, par l'unanimité avec laquelle le gouvernement et la représentation nationale demandaient la pleine lumière, la vérité complète sur la situation de l'État libre, avant même de pouvoir envisager une reprise par la Belgique (une unanimité qui n'a pas été obtenue sans quelques difficultés, comme vous le savez) ; vous vous souvenez, dis-je, comment alors, avec un cœur joyeux, parmi les meilleures forces de chaque parti, parmi les partisans comme les opposants, une commission avait été nommée pour mener cette enquête préliminaire à bien, pour négocier avec l'État libre si nécessaire, et rassurer la patrie quant au fait qu'elle n'aurait pas à nourrir un monstre colonial. Ces messieurs de la « commission d'enquête » devaient examiner minutieusement ce que vaudrait notre future province ; ils devaient nous informer de la situation financière, de l'importance commerciale de notre possession en devenir, tant dans le passé que dans le présent, afin que nous puissions évaluer les bénéfices futurs, les charges et les responsabilités pour la Belgique, les réformes nécessaires, la forme de la surveillance d'État et de l'administration directe - bien entendu, à condition que le cadeau pour les finances belges ne soit pas trop douloureux, que les exigences du roi ou les « recommandations solennelles » ne soient pas trop arrogantes, pas trop ostentatoires.

Cette commission d'enquête travaille depuis un certain temps maintenant, et ce n'est pas sans satisfaction que le peuple belge, qu'il soit pour ou contre la politique coloniale, a vu les membres prendre leur tâche au sérieux, mener l'enquête de manière impartiale et méthodique, avec la meilleure volonté du monde et une grande réciprocité d'égards.

Au début du moins, tout semblait rouler sur des roulettes. Des questions étaient posées avec dignité et regroupées en listes avec bienveillance. Des informations nécessaires sur le droit et les finances du Congo ont été demandées de manière aussi officielle que possible à l'État libre. Et il semblait que les partisans les plus acharnés de la politique royale, tout comme le gouvernement, avaient accepté la volonté de la Chambre avec une exemplaire patience, sans la moindre réticence, et étaient prêts à contribuer honnêtement au travail d'éclaircissement.

Mais après quelques séances de la commission : quantum mutata ! comme aurait crié le vieux Virgile...

Car très rapidement, les membres qui avaient dès le début pensé que nous n'avions rien d'autre à faire que d'accepter avec gratitude l'héritage royal, même avec les conditions fixées par l'État et la couronne, sans bien savoir ce qui nous était ainsi légué, ont estimé que le moment était propice pour réserver à leurs adversaires la bonne farce d'une attitude réticente, d'une politique de sabotage, d'un jeu insidieux de concessions apparentes mais de lutte cachée ; et c'est bien sûr Monsieur Woeste, qui, pour nuire à son vieil ennemi Beernaert, également peu ami du roi Léopold, a entrepris de tromper cette bonne commission d'enquête aussi habilement qu'un chat rusé...

Il faut le savoir : quelques membres avaient, comme je vous l'ai dit, dressé des listes de questions qui faciliteraient et accéléreraient l'enquête. Personne n'avait rien contre cela ; jusqu'au jour où Monsieur Woeste - qui semble avoir une conception différente de celle de la plupart de ses collègues en matière d'enquête - a trouvé que toutes ces questions, ou du moins une bonne partie d'entre elles, étaient déplacées, « impertinentes », et que ces messieurs, chargés de mener une enquête, devaient avoir honte de demander de telles informations, comme des juges instructeurs, sans offre préalable ou invitation des autorités concernées, presque aussi impolis qu'un commissaire de police qui aurait l'audace de fouiller un pickpocket sans que ce dernier ne l'y ait invité de manière aimablement insistante ; - que ces messieurs devraient se cacher de honte dans leur tombe, de simplement demander ce qu'ils voulaient savoir ; ce pour quoi ils ont été nommés, vous comprenez.

Et l'État libre s'est empressé d'aider Monsieur Woeste. À une demande sur la situation financière du Congo, une simple réponse a été donnée en envoyant les dix-sept volumineux volumes du bulletin du Congo - un bulletin que chacun peut aller consulter à la Bibliothèque nationale et où donc il n'y a rien de nouveau à apprendre.

Maintenant, on se demande : où est l'« impertinence » : chez les membres de la commission qui veulent faire leur travail d'éclaireurs en toute conscience, et qui ont ainsi été trompés par les promesses du gouvernement, ou chez le groupe Woeste, qui veut leur refuser toutes les informations nécessaires, avec de grands mots et de grands gestes et des menaces ?

Et l'attitude de l'État libre, qui semble vouloir garder secrète la qualité et les chiffres de ses budgets avec de tels subterfuges, ne justifierait-elle pas l'accusation de Monsieur Janson, et ne confirmerait-elle pas qu'une partie de l'argent congolais va aux amis de la presse belge, et qui sait à quelles autres magouilles encore, ce qui bien sûr ne devait pas être crié sur les toits ?....

Et voilà cette belle entente patriotique !

Lorsqu'il s'agissait de sortir de la peur d'un vote douteux sur l'interpellation concernant le Congo, on a vite cédé, vite baissé la tête ; et on a pris l'apparence d'avouer humblement qu'on s'était trompé...

Mais maintenant que l'orage est passé, maintenant qu'on se sent à nouveau en sécurité avec plus de liberté de discussion et sans la menace d'un vote imminent, on recommence la tactique de retranchement et de guérilla, la guerre de harcèlement, avec des piques cachées et des fusils de chasse, des pièges hypothétiques, et de temps en temps le tir bruyant mais inoffensif de quelques coups de feu...

Mais les membres sérieux et bien intentionnés de la commission se laisseront-ils prendre à cela, - même ceux qui étaient initialement parmi les opposants, ou qui hésitaient ?

Heureusement, tout indique que non, et qu'ils ne permettront pas que la lumière soit cachée sous le boisseau, même si Monsieur Woeste lui-même venait à s'y opposer.


La scission [du parti catholique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 6 mars 1907)

Bruxelles, 4 mars 1907

On peut difficilement qualifier Monsieur de Smet de Naeyer de grand homme d'État. Ni son talent d'orateur - Monsieur de Smet bégaie, manque d'agilité d'esprit, est maladroit dans ses gestes - ni sa politique - il est ministre des finances... comme il en existe malheureusement beaucoup ! - ni sa perspicacité - il préfère limiter son horizon au dos de ses amis politiques - ne lui donnent le droit de se considérer comme un Lycurgue. Il n'impressionne ni par la finesse, ni par la force, même pas par la ruse ou l'audace. Seule une chance inexplicable peut expliquer la brillante consécration d'une carrière qui a mené l'avocat libéral de bonne famille de Gand au poste de premier ministre catholique, qui lui a valu le titre comtal, et qui lui permettra de revendiquer l'honneur d'une longue série de lois sociales excellentes, même si le fils d'industriel qu'il est était généralement réticent dans son attitude quand il s'agissait de voter ces lois, - seul beaucoup de chance peut expliquer un tel résultat final, et peut-être autre chose encore, peut-être une qualité qui a bien servi ses bonnes chances : une flexibilité, une docilité, un opportunisme presque indécent, une impersonnalité quasi indigne, qui ont permis à ses amis, derrière le masque qu'il était pour eux et sans que leur propre dignité ne puisse en être affectée, de manœuvrer et de conspirer, de sorte que Monsieur de Smet de Naeyer ne peut pas être considéré comme leur chef, mais seulement comme leur porte-parole docile dans les affaires délicates, où l'on ne souhaite pas s'engager, seulement comme leur représentant malléable, seulement comme leur homme de paille, - ce qui peut être considéré comme sa seule manière d'être un « homme représentatif. »

De telles qualités peu dignes, un tel retournement de veste facile et étonnant, qui ne plaident pas en faveur du caractère du comte de Smet, mais... le maintiennent au pouvoir, il les a encore démontrées, vous vous en souvenez, lors du débat sur le Congo, où il a traité ses opposants de menteurs et de mauvais patriotes... pour venir déclarer, quatorze jours plus tard, quand ses amis ont vu que toute chance de victoire était perdue, soudainement et à un moment inattendu, qu'il était tout à fait d'accord avec ces opposants. Personne dans son parti, où il n'y a pourtant pas de manque d'audace, n'aurait osé assumer un tel revirement soudain ; Monsieur de Smet, lui, l'a exécuté comme un « beau geste », comme un acte extrêmement logique, comme le dénouement fatal de ce qu'il avait toujours soutenu, et... le gouvernement, c'est-à-dire le siège ministériel de Monsieur de Smet, était une fois de plus sauvé...

La récente attitude de Monsieur de Smet, caractérisée par une indulgence conciliante qu'il a souvent manifestée, peut donc sembler d'autant plus surprenante. La N.R.C. a rapporté comment, dans un long discours, notre premier ministre a rejeté solennellement une vingtaine de collègues de la droite, qui suivent les socialistes sur la question de la journée de huit heures, confirmant ainsi la discorde qui divise son parti depuis un certain temps déjà, d'un seul coup rhétorique et peut-être irréparable. Oui, là où tout le monde pensait que le gouvernement se rallierait à l'une ou l'autre motion qui aurait été une promesse pour le groupe Helleputte... pour devenir, plus tard, une concession apaisante dans le futur, une acceptation du principe sans confirmation par un texte de loi ; là où tout le monde imaginait que Monsieur de Smet veillerait avant tout à l'unité au sein du parti, par crainte des douze maigres voix de majorité, il a préféré renier les jeunes catholiques, pour se rallier à la proposition d'un groupe de libéraux, qui renvoie la question des huit heures aux calendes grecques, et qui, avant toute décision, demande une enquête, - une enquête qui ne fera sûrement pas vaciller une seule conviction, et qui est en outre impossible dans les mines de charbon... qui ne pourront être exploitées que dans une dizaine d'années.

Une telle détermination, si peu habituelle chez notre chef de gouvernement, et qui a résonné si inopinément aux oreilles belges, n'a pas seulement été accueillie avec surprise. Elle peut en effet avoir des conséquences que même Monsieur de Smet ne peut souhaiter. Car elle confirme la scission au sein du parti au pouvoir ; pire encore : c'est une déclaration de guerre à un groupe, dont Monsieur de Smet lui-même ne peut guère se dissimuler la puissance.

Car Monsieur Helleputte, chef des catholiques démocrates, est très puissant. S'il ne l'était pas, il n'aurait pas commis l'imprudence d'agir avec autant de ténacité et de détermination. Tout le monde sait d'ailleurs que, si les anciens, la droite gouvernementale, peuvent compter sur la grande bourgeoisie et la noblesse, et s'assurent également le soutien de l'industrie lourde en s'associant aux libéraux du groupe Neujean, - tout le monde sait, je dis, que Monsieur Helleputte parle au nom des catholiques intellectuels, au nom de toute la jeunesse turbulente de l'université de Louvain, de la force catholique de demain, et au nom aussi de la petite bourgeoisie, et des travailleurs non socialistes, et de la majorité des agriculteurs : tous des électeurs, et qui ne sont peut-être pas en minorité !...

Oui, Monsieur de Smet a osé une « action ». Sa conviction est restée entière ; aucun compromis n'a réuni les opposants ; aucune réconciliation ne les a rapprochés. Le gouvernement, plutôt que de céder, même en apparence, a choisi la scission. Pourquoi ? C'est un secret d'autant plus obscur que cette fracture ne renforce évidemment pas le parti clérical. Monsieur de Smet aurait-il été influencé par de mauvais conseils ? Son ancienne âme d'industriel aurait-elle eu le dessus sur l'élasticité de sa conscience politique ?

Qui sait ? Mais une chose est sûre, la confiance d'une grande partie des catholiques belges dans la bonne volonté du gouvernement aura été perdue. Et la conséquence logique est que cette confiance sera transférée à l'ennemi de Monsieur de Smet, à Monsieur Helleputte.

Celui-ci parviendra-t-il enfin à monter sur le trône ministériel, comme le prétendent les mauvaises langues, depuis des années ?... En tout cas, un fait est certain : que, quelles que soient leurs opinions, à qui qu'ils confient leurs intérêts, le parti catholique, au Parlement, sinon dans le pays, a subi un coup important avec cette scission. Ou bien Monsieur Helleputte estime-t-il pouvoir accomplir un travail meilleur et plus sérieux avec une minorité bien entraînée qu'avec une majorité docile, inactive et désarmée ? Ce n'est pas impossible. Et ce ne serait pas du tout stupide... L'avenir nous le dira.


Travailleurs catholiques anti-socialistes et grands industriels anti-socialistes

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 8 mars 1907)

Bruxelles, 6 mars 1907

Je ne pouvais guère penser ou espérer que ma déclaration serait si rapidement confirmée par les faits, lorsque je vous ai écrit avant-hier sur la façon dont l'attitude du ministre de Smet de Naeyer, parlant au nom du groupe dont le vieux monsieur Woeste est le chef, et reniant les camarades de parti beaucoup trop progressistes, pourrait avoir assuré aux anciens catholiques non seulement le soutien de la grande industrie libérale, mais certainement aussi celui de la petite bourgeoisie et des travailleurs non socialistes, avec une détermination accrue du côté de monsieur Helleputte - qui peut déjà compter sur les jeunes intellectuels du parti. Je vous ai laissé supposer que le fait d'une scission nette en matière de législation sociale, lors des élections de l'année prochaine, et en cas de deux listes distinctes - une liste Helleputte et une liste de Smet (je prends ici leur nom comme exemple, comme indication de leur façon de penser) - c'est bien la première liste qui pourrait remporter la majorité des voix, ou, en cas de collaboration commune, attirer le plus grand nombre de voix de préférence vers monsieur Helleputte ou l'un de ses alliés.

Le fait que je ne me sois pas trompé est confirmé par une motion et une pétition, la première émanant de l'Association des Travailleurs Catholiques de l'Arrondissement de Gand et insistant sur le vote de la proposition de Helleputte, la seconde de la part du comité central (patronal) du travail industriel, et adressée au Roi, demandant que la motion de Helleputte soit rejetée.

Cette association de travailleurs catholiques, résolument anti-socialistes, de Gand, dirigée par le lieutenant de monsieur Helleputte, le député Arthur Verhaegen, est la plus puissante du pays. Si l'on considère maintenant que l'année prochaine, lors des élections quadriennales, ce sera le tour de Gand, alors la parole de ces anti-socialistes, qui se rallient aux socialistes pour des intérêts communs et réclament une limitation légale de la durée du travail, aura une certaine signification - dans une ville, d'ailleurs, où l'année prochaine le comte de Smet de Naeyer conservera ou non son siège de député, puisque monsieur de Smet est envoyé à la Chambre par sa ville natale de Gand.

Voici maintenant ce que les travailleurs catholiques anti-socialistes de Gand ont décidé entre autres par motion : « Insister pour que l'amendement, présenté par MM. Helleputte, Verhaegen et compagnie à l'article 20 de la nouvelle loi sur les mines dans le Limbourg, visant à fixer la durée quotidienne du travail effectif à huit heures, soit adopté. »

Les grands industriels wallons, quant à eux, écrivent au Roi, briseur et pourvoyeur de ministères :

« Si une diminution de la production, due à la limitation de la journée de travail, entraîne une augmentation du prix d'achat, la concurrence avec le charbon étranger, déjà si difficile, deviendra impossible et il n'est pas trop audacieux de prétendre que nos mines les moins favorisées subiront des pertes et seront contraintes de cesser leur exploitation. Pour échapper à une telle issue, il n'y a qu'une seule solution, presque aussi douloureuse : la diminution des salaires, qui entraîne la misère des conditions de vie des mineurs. Ce que nous disons de l'industrie charbonnière, nous pouvons aussi le dire de l'industrie métallurgique, de la transformation du fer et de l'acier, de la fabrication du verre et des miroirs et du secteur de la construction. Le prix d'achat des produits de ces secteurs industriels, en effet, est déterminé non seulement de manière arbitraire par le prix d'achat : il est fortement influencé d'abord par le prix du charbon national, puis par celui de la concurrence étrangère, et il doit être d'autant plus bas que nous sommes confrontés à d'énormes barrières douanières et que nous subissons des tarifs de transport plus lourds que ceux imposés à nos concurrents. Encore une fois, pour éviter une augmentation du prix d'achat et pour ne pas perdre dans la lutte contre la concurrence étrangère, nous serions contraints, à la fin, de réduire les salaires, privant ainsi les travailleurs de leur maigre abondance, voire même d'une partie du strict nécessaire... »

Il va de soi que nous ne voulons pas prendre parti ici, et nous signalons seulement d'une part que ces travailleurs comprennent la liberté comme étant une moindre servitude et seraient prêts à accepter un petit texte de loi à cet effet, et non pas comme le conçoit Monsieur de Smet, qui traduit cette liberté par la négociation, sans ingérence de la loi, avec l'employeur ; et d'autre part, que ces industriels oublient que la réduction de la durée du travail n'entraîne pas nécessairement une réduction de la production, puisque la production est déterminée par le degré de fatigue musculaire soutenue.

Je voulais simplement mettre en évidence le caractère significatif des faits cités : ces travailleurs catholiques qui insistent sur le vote de la proposition de Helleputte ; et ces grands industriels, parmi lesquels il y aura sans doute beaucoup de libéraux, qui approuvent pleinement le discours du premier ministre et porte-parole catholique, le comte de Smet de Naeyer, cela ne semble-t-il pas remarquable pour l'avenir, en vue des élections de 1908 ?...

À moins qu'il ne s'agisse à nouveau d'une question de pure tactique. Car hier, toute la droite a tenu une réunion, où il a été convenu de confier la question à une commission extraparlementaire : concession du côté de monsieur Helleputte donc, et concession du côté de monsieur de Smet... Serait-il alors vrai, comme on me l'a dit, que la scission de la droite vise uniquement à conserver des sympathies dans les deux partis d'opposition hostiles, alors que le maintien de la majorité des voix des catholiques pour l'année prochaine est douteux ? Mais cela témoignerait d'une ingéniosité presque incroyable et... presque admirable !


La Chambre vote

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 8 mars 1907)

Nous ne donnerons pas de compte-rendu des délibérations sur la limitation forcée de la durée du travail, qui ont été poursuivies et achevées lors de la séance parlementaire d'hier. Le sujet a été épuisé. Les intervenants d'hier étaient principalement des auteurs d'amendements, qui sont venus brièvement expliquer leurs propositions, et des membres désireux de faire clairement savoir à quel groupe ils se rallient en ce qui concerne la durée du travail dans les mines.

La séance s'est terminée par quelques votes, comme l'a déjà rapporté Reuter.

Tout d'abord, le projet de loi de Gielen visant à fixer la journée de travail pour les mines de charbon belges à un maximum de 8 heures a été rejeté à main levée.

Également rejeté sans vote nominal, un amendement de Pirmez visant à introduire la journée de travail de dix heures dans toutes les mines à partir du 1er janvier 1909.

Ensuite, l'amendement Pepin a été examiné, qui n'est destiné qu'à s'appliquer aux futures mines du Limbourg et qui fixe la journée de travail à huit heures, y compris la descente et la montée.

Un vote nominal a eu lieu sur cet amendement. L'amendement Pepin a été rejeté par 93 voix contre 33 et 3 abstentions.

Enfin, l'amendement Beernaert a trouvé grâce. L'amendement Beernaert stipule : « En l'absence d'une loi spécifique sur ce sujet (limitation de la durée du travail), un arrêté royal, après consultation du conseil des mines, fixera le nombre d'heures pendant lesquelles les travailleurs pourront être employés chaque jour sous terre lors de l'exploitation effective des mines de charbon du Bassin du Nord. »

On voit donc que Beernaert ne veut rien laisser déterminer par le législateur, mais donner au Roi le pouvoir de limiter la durée du travail des hommes adultes dans les mines à exploiter. Cet amendement tire son importance du principe qui y est énoncé. Il signifie en fait que le gouvernement est déclaré compétent pour limiter la durée du travail dans les mines qui n'existent pas encore. Mais l'adoption de cet amendement revêt une signification en termes de principe. En effet, la Chambre déclare par l'adoption de l'amendement Beernaert qu'elle n'est pas - comme le gouvernement - fondamentalement opposée à la limitation de la durée du travail des hommes adultes par voie gouvernementale.

L'amendement Beernaert a été adopté par 79 voix contre 46 et 5 abstentions.

La signification purement théorique de l'adoption de l'amendement Beernaert ressort très nettement de l'adoption de la proposition qui a suivi. Cette proposition rend effectivement l'application de l'article précédemment adopté impossible. Le Roi peut intervenir en l'absence de dispositions légales spécifiques. Eh bien, immédiatement après, la Chambre a adopté une proposition de loi contenant une disposition spécifique sur la durée du travail dans les mines du Nord.

L'amendement Denis-Vandervelde stipule que le travail quotidien sous terre, pour le Bassin du Nord, ne peut pas dépasser 10 heures, y compris la descente et la montée, et que le travail proprement dit des mineurs ne peut pas dépasser 8 heures - uniquement pour le Bassin du Nord.

La première partie de l'amendement (10 heures sous terre) a été adoptée par 68 voix contre 50 et 7 abstentions. La deuxième partie (pas plus de 8 heures de travail) a été adoptée par 60 voix contre 53 et 10 abstentions.

Lorsque le dernier vote en faveur a été exprimé, les socialistes ont commencé à applaudir bruyamment. Le texte adopté correspond à la proposition originale de Helleputte.

Une proposition de Lantsheere visant à autoriser les inspecteurs du travail à autoriser des heures supplémentaires en cas de nécessité a été rejetée à main levée.

Je crois, Messieurs, a alors déclaré le président Schollaert, que les autres propositions ont été abandonnées suite aux votes tenus.

Et le gouvernement aussi ! s'est écrié Furnémont.

Tous les ministres étaient présents à la réunion. Ils n'ont pas fait de commentaire après le vote. Francotte, le ministre du travail, semblait nerveux.

La question de savoir si le ministère démissionnera après la défaite d'hier est bien sûr dans toutes les bouches. De Smet est un homme tenace. La Chambre s'est prononcée en faveur de la limitation de la durée du travail. Mais la Chambre n'est pas le seul organe représentatif. Le Sénat confirmera-t-il les amendements pour la limitation ? Si De Smet juge bon de connaître l'opinion du Sénat, il a encore du temps.


Le travail de huit heures dans les mines du Limbourg voté

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 8 mars 1907)

Bruxelles, 7 mars 1907.

Ce fut un coup d'État !

Comment aurais-je osé penser, lorsque je vous ai écrit hier sur les concessions mutuelles des deux factions de la droite, que seulement quelques heures plus tard, cette attitude bienveillante de M. Helleputte, autrement dit un entêté de première classe, ne serait qu'un subterfuge ?

Pourtant, c'est exactement ce qui s'est passé hier. Profitant de l'absence momentanée du côté naïf de la droite, M. Vandervelde, avec un stratagème indéniable, a pris le contrôle total de la séance, empêchant les membres récalcitrants et obstructeurs du gouvernement de gagner du temps, et a forcé la Chambre à voter sur les différents amendements à la loi minière, proposant même avec M. Denis une nouvelle motion, accordant à M. Beernaert qu'un arrêté royal régira la durée du travail dans les mines, mais décidant également que cette durée ne dépassera en aucun cas dix heures, descente et montée comprises, et pour les travailleurs des profondeurs, ne dépassera jamais huit heures : on le voit, dans l'esprit sinon dans la lettre, c'est la proposition de M. Helleputte.

Et c'était une surprise, un coup d'État, une prise de contrôle de la Chambre stupéfaite ! Et c'est plus que cela : c'est l'assurance, maintenant, que nous avons une nouvelle Chambre, le gouvernement rejeté par ses amis, qui préfèrent continuer efficacement leur législation sociale commencée avec les socialistes et une bonne partie des libéraux, contre la volonté d'une minorité probable, qui préférerait ne pas agir de manière progressiste.

Car la proposition Vandervelde-Denis - qui aurait tout aussi bien pu s'appeler la proposition Helleputte - a été adoptée par une majorité qui, si elle n'est pas grande, est extrêmement remarquable dans sa composition. En effet, nous la voyons composée, outre du groupe socialiste dans son ensemble et du groupe Helleputte, de vieux catholiques et d'anciens ministres comme MM. Beernaert et Cooreman, et de vingt-deux libéraux, dont M. Mechelynck, appartenant à une famille de grands industriels ; tandis que d'anciens libéraux comme M. De Vigne ont préféré s'abstenir plutôt que de se joindre à un gouvernement très faible.

Que fera ce gouvernement, après une telle gifle, après le geste de rejet d'un ancien ministre du Travail (M. Cooreman) ? Il a vu que tous les efforts étaient vains ; que l'autorité du Premier ministre est ébranlée ; que le ministre actuel du Travail, l'industriel Francotte, n'est pas écouté, qu'aucun signal, aucun mot d'ordre n'est suivi. Finie la suprématie de Charles Woeste ; les intérêts du parti dans son ensemble ont été négligés ; la majorité de douze voix a été abandonnée pour les intérêts supérieurs de la nation. L'opinion de M. Helleputte selon laquelle une minorité catholique qui sait ce qu'elle veut peut faire un meilleur travail qu'une majorité gouvernementale fragile est approuvée. La plupart des libéraux, qui voient également un intérêt dans une politique sociale interventionniste, se rangent du côté des socialistes et des jeunes catholiques. D'anciens hommes d'État, des travailleurs expérimentés, comme Beernaert et Cooreman, n'ont pas honte, plutôt que de sacrifier leur conscience, de sacrifier le gouvernement pour le bien commun.

Que fera ce gouvernement ?

La dignité commanderait bien sûr une démission collective des ministres. Mais... M. de Smet tient beaucoup à son siège de ministre, et, ensuite, il est assez dépourvu de honte pour ne pas céder à la dignité. De plus, le vote d'hier doit encore être ratifié par le Sénat. M. de Smet jugera peut-être de son devoir de rester fidèle soldat à son poste jusqu'alors... Quoi qu'il en soit, il aura du mal à nier que sa situation est précaire et sa position intenable... - Entre-temps, le « Journal de Bruxelles » officieux reste muet comme un poisson ; même le « Patriote » fait comme si rien ne s'était passé ; et « le XXe Siècle », le journal de M. Helleputte, déclare froidement, dans une courte note que nous traduisons :

« Inutile de faire de longs commentaires sur le vote de la Chambre... Nous nous en félicitons nous-mêmes. La législation hollandaise sur le bassin houiller néerlandais va encore plus loin. Il est peu probable que la Chambre se contredise lors d'un deuxième vote... Quelques lamentations pourraient peut-être se faire entendre ici et là. Mais dans quelques années, même ceux parmi nos amis qui n'ont rien épargné pour faire rejeter ces amendements seront heureux qu'ils aient été freinés... »

C'est l'assurance tranquille après la victoire !


La situation [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 12 mars 1907)

Bruxelles, 9 mars 1907

M. de Smet de Naeyer ne démissionnera donc pas. C'était prévu ; le contraire aurait été surprenant. M. de Smet est autoritaire ; il semble jouir de la confiance du Roi, sinon de la Chambre ; et puis : comment former un gouvernement si les ministres présentaient leur démission collective ?

Car la situation est la suivante : le Cabinet-de Smet ne dispose plus d'une majorité. Les douze voix remportées par la droite sur les factions opposées ont été annulées par le groupe des jeunes catholiques, qui compte une bonne vingtaine de membres, en plus des hésitants. Et on ne gouverne pas longtemps avec une minorité.

Mais d'un autre côté, aucune partie de l'opposition ne serait en mesure de former une majorité pour l'instant. Il n'est pas question de coopération entre les deux factions de la gauche - où les libéraux eux-mêmes ont des opinions très différentes - ; une action conjointe des socialistes avec les jeunes catholiques est encore moins possible sur le plan des principes. Et le groupe Helleputte est encore trop faible pour oser prendre le contrôle du gouvernement.

D'autre part, le ministère de Smet ne doit pas trop compter sur le soutien des amis de la gauche libérale ; seul l'intérêt de classe les a réunis. Trop de questions les séparent les uns des autres.

On voit que les circonstances sont favorables au maintien du gouvernement de comte de Smet de Naeyer. Mais savoir s’il est honorable de gouverner dans de telles conditions reste une question de dignité, d'estime de soi. C'est par ailleurs une situation qui ne peut pas durer. Peu importe comment le vent tourne, aussi favorable que puisse être le résultat du deuxième vote à la Chambre et du vote au Sénat : après la position tranchée des vingt dissidents, ils ne peuvent pas redonner la majorité au gouvernement actuel. Les jours de ce gouvernement sont donc comptés sans condition...

Quant à ce que sera le deuxième vote à la Chambre, on peut le deviner à partir du premier. Personne, bien sûr, ne se retirera. Et ce que nous avons vu mercredi se reproduira mercredi dans huit jours - date du deuxième vote. En outre, en examinant la liste des absents lors du premier vote sur la proposition Denis-Vandervelde, on constate facilement que le résultat de ce vote aurait été le même. Parmi les absents, il y avait 27 catholiques, 12 libéraux et 3 socialistes ; les socialistes, une demi-douzaine de libéraux et une demi-douzaine de catholiques auraient certainement voté pour ; on pouvait également compter sur quatre ou cinq abstentions de plus, ce qui, avec une Chambre complète de 166 membres, aurait donné presque autant de voix pour que contre et une quinzaine d'abstentions : un résultat qui, pris au mieux et même sans surprise, n'aurait pas été brillant pour le gouvernement. La moyenne des votes individuels laisse par ailleurs prévoir, lors du vote final sur l'ensemble du projet de loi, avec tous les membres présents, une majorité de huit à dix voix en faveur des partisans des idées de Helleputte : une petite victoire, mais funeste pour M. de Smet, qui a encore comme dernier recours le vote au Sénat, qui pourrait effectivement lui être favorable. Ce qui, il faut le souligner, ne lui redonnerait pas la majorité à la Chambre...

Le ministère, aussi favorable que puisse être l'évolution ultérieure des événements, est gravement malade. Et cela, grâce à une loi, ou plutôt aux amendements à cette loi, qui sont pour l'instant dépourvus de toute utilité pratique, qui établissent une situation d'inégalité entre les deux bassins houillers du pays, qui ne manqueront pas de susciter des litiges juridiques sur certains points. Mais une loi qui consacre de nouveaux principes, une loi de signification principielle. M. de Smet, qui ne pouvait pas trouver ces principes satisfaisants en tant que gouverneur, en paiera le prix en tant que ministre, même s'il résiste, aidé par les circonstances.

Et comment le remplacer par ailleurs ? Nous sommes dans une situation étrange !


Une crise ?

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 22 mars 1907)

Bruxelles, 20 mars 1907.

Ça chauffe !

Même si ça ne chauffe pas encore, si les rumeurs qui circulent sont prématurées et reposent provisoirement sur des fondements hypothétiques : la certitude avec laquelle des personnes bien informées parlent, l'inquiétude sur les fronts ministériels, l'éclat, en secret, d'un regard anti-gouvernemental, tout cela suffit à indiquer qu'une crise pourrait bien être imminente. Déjà, il y a quelques jours, le comte de Smet de Naeyer a déclaré à un intervieweur : « Moi, démissionner ? Mais oui, bien sûr, si je ne disposais plus que d'une minorité, alors... ». Et déjà, on parlait d'un possible cabinet de Trooz ; et l'on savait qu'il existait quelques frictions entre le ministère et le président de la Chambre Schollaert, par ailleurs beau-frère du trouble-fête Helleputte...

Maintenant, les rumeurs se précisent ; dans les couloirs de la Chambre, certains députés ont brisé le silence diplomatique ; les causes ne sont plus un secret ; les conséquences sont discutées ; et il apparaît que, à droite comme à gauche, la crise est envisagée comme une possibilité pas désagréable. On semble déjà respirer plus librement ; le printemps de l'année semble demander un nouveau printemps gouvernemental ; et ce printemps nous est promis pour avril, expressément, presque à une date précise, par des gens qui déclarent ne pas être présomptueux.

La cause en est la suivante : Léopold II, souverain de l'État indépendant du Congo, estime que le comte de Smet de Naeyer, Premier ministre de Belgique, est un serviteur faible. Dans l'affaire de la reprise du Congo, il aurait souhaité une attitude plus décisive, plus imposante. Peut-il s'attendre à cela de la part du comte de Smet ? Le Roi s'était trompé dans le choix de ses défenseurs. Car vous vous souvenez du discours creux du chef du gouvernement, des explications subtiles mais superficielles du ministre de la Justice Van den Heuvel, du pathos infondé de M. Woeste ; en aucun cas à la hauteur de la logique de M. Hijmans, de la netteté pondérée de M. Beernaert, de la précision mathématique de M. Helleputte. Et enfin, sur proposition de l'ancien ministre Cooreman, semble-t-il - qui, soit dit en passant, s'était montré très indépendant du gouvernement ces derniers temps - la fameuse « entente patriotique » ou soumission du ministère, pensait-on : au nom du Roi - puisque l'on affirmait que ses conditions étaient des « recommandations solennelles » - à la volonté de la Chambre et de la nation.

Inde ira - d'où la colère de Sa Majesté, qui se sentait trahie par les personnes en qui il avait mis sa confiance. A ce qu’on assure, la villa du Cap Ferrat tremblait sous sa colère, à tel point que le siège du ministre à Bruxelles lui-même vacillait...

Ensuite, les amis du gouvernement ont essayé de flatter le roi Léopold ; ils lui ont promis de s'assurer que dans la commission parlementaire sur le Congo, le poussin serait étouffé dans l'œuf ; ils allaient faire taire les mutins ; ils allaient sauver tout ce que le Roi voulait sauver ; et je vous ai écrit (N.R.C. du 27 février) comment M. Woeste, hélas en vain, avait fait de son mieux pour répondre à toutes les questions, qu'il avait déclarées « impertinentes », sur la gouvernance du Congo, par une réponse ridicule et naïve. Mais l'attitude réticente de la plupart des membres de la commission, la méfiance hostile qui semble animer certains d'entre eux, était conforme aux désirs du Roi-Souverain. Et la colère de Léopold II, loin de s'apaiser dans l'air chaud du Sud, montait jusqu'à une colère olympienne. « J'en ferai une maladie », aurait-il dit ; - et c'est ainsi, semble-t-il, que les rumeurs inquiétantes des derniers jours ont circulé...

Entre-temps, l'état d'esprit du Roi envers ses ministres à la Chambre était devenu notoire ; le groupe Helleputte y voyait une bonne occasion de montrer les crocs ; la loi sur les mines était l'occasion souhaitée pour cela ; de sorte que M. de Smet, abandonné par le Roi, abandonné par une bonne partie de la droite, abandonné même par l'un de ses meilleurs piliers, l'ancien ministre Cooreman, qui pourrait entraîner avec lui son beau-frère Begerem, - de sorte que M. de Smet se retrouvait finalement désespéré, ne sachant plus quoi faire d'autre que d'envoyer en toute hâte Van der Elst, secrétaire général au ministère des Affaires étrangères, à Mont Ferrat, pour expliquer la situation et demander pardon.

Ça n'a pas dû aider ; le Roi est resté inflexible ; de sorte que M. de Smet de Naeyer, abandonné à lui-même, ne voit d'autre planche de salut que le deuxième vote sur la loi minière, qui sera plus que probablement fatal pour lui... de sorte que la crise ministérielle est imminente.

Ce n'est pas tout : M. Schollaert veut démissionner de son poste de président de la Chambre. La raison ? Tout d'abord, bien sûr, la division au sein des partis politiques, principalement dans le sien. Et deuxièmement : dans un discours, M. Schollaert, répondant à une intervention du député français Pion, faite ici il y a quelques jours, a déclaré : « Je vous promets dorénavant de travailler à l'unité la plus étroite ; je vous promets de réprimer toute impatience. » Ce qui, pour quelqu'un qui comprend bien, signifie : « je démissionne de la présidence, qui m'impose une neutralité trop contraignante, pour agir plus activement au sein de mon parti, pour réconcilier mon beau-frère Helleputte avec mon ami Woeste, et pour utiliser mon autorité pour sauver le comte de Smet, même si je ne l'aime pas... »

Est-ce que cela va aider ?... On dit que le roi a rejeté toute médiation ; qu'il envisage, désormais, un cabinet composé de la droite et de la gauche ; et, si cela s'avérait impossible (et cela ne correspondrait de toute façon pas au désir du peuple), il constituerait un « cabinet d'affaires » en dehors du Parlement...

Dans quelle mesure tout cela est vrai est probablement connu pour le moment seulement par les personnes concernées. Nous le rapportons donc sous toutes réserves. Mais il ne fait aucun doute qu'un orage se prépare, qu'un orage couve. Qui verra le plafond s'effondrer ?...


La crise évitée ?

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 30 mars 1907)

Bruxelles, le 28 mars 1907

J'ai profité de la pause parlementaire de Pâques, qui, en dehors de l'agitation quotidienne des sessions, a probablement apaisé les esprits et rendu la réflexion plus logique, pour aller consulter quelques personnes bien placées pour me donner un avis sur lequel on peut s'appuyer concernant la crise ministérielle sur laquelle on a beaucoup insisté ici. Les deux ont préféré rester anonymes : dans les circonstances délicates actuelles, ce désir est légitime et compréhensible. Je respecte donc leur anonymat et me permets seulement de résumer leur opinion.

Le premier, qui, sinon en pratique, appartient à la gauche selon l'opinion, a dit à peu près :

« Je ne m'emporte pas facilement ; et pour toute opinion honnête, même si elle va à l'encontre de ma conviction, j'ai du respect et je suis conciliant. Mais là où je vois des gens, qui ont été chargés par la nation d'agir en son nom et pour son bien-être de manière consciencieuse, démolir peu à peu ce qu'ils ont eux-mêmes construit, non pas parce qu'ils pensent s'être trompés dans la construction, mais parce que leur construction n'a pas plu à une personne haut placée, je trouve cela d'une lâcheté incommensurable. Et c'est ce qui s'est passé la semaine dernière dans la commission du Congo. Vous savez que cette commission avait décidé qu'un conseil colonial gouvernerait effectivement notre futur territoire conquis. La composition de ce conseil a fait l'objet de longues discussions ; il fallait trouver le moyen de garantir au pays, en matière de gouvernance du Congo, la plus grande surveillance possible, ainsi que le plus grand profit. - Tout à coup, on apprend la colère du Roi : la question Cooreman sur les comptes et les budgets des trois dernières années de l'État indépendant du Congo n'a pas plu à Sa Majesté ; le ministère de Smet devrait subir le mécontentement royal ; la crise est inévitable... Mais oui ! S'il n'y avait pas toujours « des accommodements avec le ciel » ! Et ces arrangements, ces « accommodements » n'étaient pas difficiles à trouver : on laisserait au Roi le droit exclusif de nommer les membres du Conseil colonial ! C'était simple et facile ; et, en effet : une majorité a été trouvée au sein de la commission du Congo pour donner cette gifle au peuple belge : par huit voix contre sept, le Roi a de nouveau été nommé souverain absolu, sans contrôle ni ingérence de la nation, sur notre future colonie. Il ne resterait au peuple que l'honorifique charge de payer le déficit d'exploitation, et la garantie que dans la gestion du Congo, rien ne se ferait plus contre la volonté de Léopold II.

« Le Roi était naturellement satisfait de ses sujets ; M. de Smet était sauvé ; son ingéniosité avait de nouveau très bien servi sa souplesse. Et la crise était en apparence évitée.

« Je dis : en apparence. Car, n'est-ce pas, elle reste sans aucun doute virtuellement existante ! L'affaire du Congo a été réglée ; très bien. Mais reste la question des mines, où, quelle que soit l'issue, le gouvernement reste minoritaire. Et une minorité qui - on a négligé de le faire remarquer - se contredisait elle-même. Car, qu'est-ce que le ministère refusait principalement de reconnaître ? La limitation légale de la durée du travail. Mais par le vote de la loi sur le repos dominical, c'est-à-dire en 1905, le gouvernement a reconnu et confirmé cette limitation, en stipulant que la demi-journée de travail serait réduite à cinq heures, ce qui, je pense, établit clairement la limitation légale !... Et confier la direction des affaires de l'État à une minorité frivole et peu fiable ? Mais même la patience belge ne peut le tolérer !... De plus, il y a encore beaucoup de propositions de loi menaçantes à venir. Bien sûr, le gouvernement peut remporter la victoire avec la proposition de loi Coremans. Mais que dire de la loi sur le port d'Anvers ? Et de l'extension du droit de vote pour les communes et les provinces ? Et de la question de l'obligation scolaire ?... Je sais : la difficulté réside dans la composition d'un nouveau gouvernement ; pour l'instant, rien n'est à espérer de ce côté-là ; seule la dissolution de la Chambre par le Roi aurait été bénéfique. Mais maintenant que le Roi est satisfait et peut à nouveau profiter sans soucis du soleil du Sud... Voici donc mon avis : la crise reste ouverte. Le gouvernement, raillé, loué, rejeté par ses meilleurs amis, n'en restera pas moins légitime, même après un deuxième vote défavorable sur la loi minière. Mais attendez les élections de l'année prochaine !... M. de Smet de Naeyer a encore treize mois pour gouverner : d'avril à mai 1908. Mais le chiffre treize lui portera malheur... »

Mon deuxième interlocuteur, qui appartient au parti catholique, était moins pessimiste. Il a dit :

« La façon de gouverner de M. de Smet de Naeyer répond-elle aux désirs de la majorité de son parti ? C'est la question : elle ne peut être répondue que par l'affirmative. Certes, l'opposition entre certains membres est indéniable. Et il est indéniable que cette divergence porte sur des questions importantes. Mais combien d'autres points, tout aussi importants, nous unissent !... Le fait que la législation sociale ne soit en aucun cas notre point faible, notre « défaut de la cuirasse », a même été reconnu par les socialistes. Ce qui nous sépare vraiment, au fond, en tant que membres d'un parti solidement uni, n'est donc qu'une question de temps. Certains veulent aller un peu plus vite que d'autres ? la plupart préfèrent appliquer le festina lente avec prudence ; mais en réalité, nous sommes tous d'accord.

« Et nous sommes tous d'accord également sur le fait que le gouvernement de Smet brille dans les grandes lignes selon notre point de vue à tous. Regardez ce que le journal « Le XXe Siècle » du même Helleputte a exprimé comme protestation aux premières rumeurs de crise. N'est-ce pas encourageant pour M. de Smet, dans les jours désagréables qu'il traverse actuellement en tant que chef de gouvernement ?

« Certes, la volatilité humaine peut faire en sorte que M. de Smet cesse également de jouir de l'approbation de son propre parti. Mais qu'est-ce qu'un nom ? Et jamais, au cours des vingt-trois années de notre gouvernement catholique, un changement de gouvernement n'a affaibli notre pouvoir ? Dieu merci, nous avons assez d'hommes de talent et de stature, qui, en cas de faux pas, pourraient succéder à M. de Smet et à ses collègues ministres avec honneur... Mais pour l'instant, croyez-moi, il n'est absolument pas question de cela. Et l'avenir n'est pas aussi sombre qu'on veut le faire croire. Car il faudrait commencer par priver la droite de sa majorité ; et cela est impensable... Non, tant que nous aurons une majorité, nous serons représentés par un gouvernement digne...

« Et ces rumeurs des derniers jours ?... Mais la colère du Roi est-elle officiellement prouvée ? - Et qui dit que le deuxième vote sur la loi minière sera hostile à M. de Smet ?... Et puis encore, notre parti s'est toujours distingué par sa discipline. Aucun membre de la droite, aucun, n'oubliera jamais que l'union fait la force !.... Voilà mon point de vue. »

Que pourrais-je ajouter ? Toute espérance, qu'elle soit pour ou contre, est permise. Heureusement, il n'y a pas de taxe sur la propriété morale, même M. de Smet, ministre des finances, aussi fragile que puisse être son budget, n'oserait pas l'instaurer. Que chaque Belge pense donc ce qu'il veut. Je fais mon devoir de journaliste : j'attends avec un œil vigilant les circonstances à venir.


La deuxième lecture de la loi minière

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 11 avril 1907)

Bruxelles, 9 avril 1907

Une journée importante au Parlement : la décision de savoir si, oui ou non, le ministère tombera... C'est du moins ce que pense le public nombreux qui remplit les tribunes, de la tribune présidentielle aristocratique à la tribune publique démocratique, plein d'attente et de Schadenfreude, plein de curiosité pour ce qui va se passer et désireux de voir l’inévitable se produire assez rapidement.

Ce public - des moines et des officiers, des baronnes et des flâneurs, des diplomates et des mendiants - peut rentrer chez lui pour le moment déçu : ce n'est pas encore arrivé ; ce ne sera pas pour demain, et peut-être que cela n'arrivera jamais, du moins pas si rapidement.

Le gouvernement essaie de gagner du temps. Le gouvernement agit comme si rien ne s'était jamais passé, comme s'il n'y avait jamais eu rien à faire. Le gouvernement a eu la gentillesse d'oublier légèrement et joyeusement qu'il avait été momentanément renié par ses propres amis ; et, généreusement, il a pardonné, à condition que tout le monde soit sage à l'avenir.

Car c'est l'impression qui se dégage de la séance écoulée : la paix a été conclue entre les anciens et les jeunes cléricaux, tandis qu'une unité semble également régner à gauche, parmi les libéraux anciens et progressistes.

Cette impression sera-t-elle confirmée ? Les rumeurs sont-elles fondées, qui parlent d'un remaniement léger du ministère, où un jeune catholique aurait sa place, ce qui expliquerait la restauration de la paix ? Est-il vrai que de cette manière le ministère de Smet se serait sauvé ? Alors notre porte-parole catholique, qui, dans l'interview que je vous ai donnée le 31 mars, parlait de la forte unité de son parti, n'aurait que peu erré ; - tout comme M. de Smet aurait montré qu'il était un excellent psychologue en achetant sa sécurité personnelle sur son siège de premier ministre en cédant à la vanité de ses frères ennemis.

Comme je vous l'ai dit : les ministres ont l'air heureux aujourd'hui. Le ministre Van den Heuvel a un petit signe de tête amical pour son camarade Furnémont. Le ministre van der Bruggen semble en aussi bonne santé que dans ses meilleurs jours. Et même le ministre Francotte, pour l'industrie - l'homme qui a récemment servi de bouc émissaire - n'a jamais été aussi peu nerveux. Le ministère a l'air familial et convivial ; il reçoit avec le sourire les conseils de M. Woeste ; écoute avec bienveillance la plaisanterie qui flotte sur les lèvres amusées de M. Renkin, du fauteuil présidentiel jusqu'à l'endroit où siège M. Van Brussel, le député agricole de Stekene ; échange des signes de tête complices avec le noble et amical M. de Ponthière, qui, par formalité, s'opposera ensuite.

Toutes sortes de rumeurs circulaient ; un farceur avait parlé d'une déclaration ministérielle ; les moins optimistes avaient raconté que tout ce qui n'était pas directement lié à la loi minière serait mis de côté, cette loi qui devait être discutée en deuxième lecture aujourd'hui, lors de la réouverture après les vacances de Pâques ; ainsi, elle serait soumise au vote bientôt, décidant du sort du ministère.

Et... ce fut une séance de mardi ordinaire. On a, pendant une bonne demi-heure, tiré au sort les commissions, puis les ministres ont, avec l'indifférence habituelle, sous le bourdonnement d'une chambre peu intéressée, lu leurs réponses aux questions posées ; le ministre van der Bruggen a aimablement présenté une proposition de loi peu importante ; ensuite, le ministre de Smet, digne et provocateur, est venu faire de même, et a rempli de joie le cœur de M. Louis Franck en demandant les crédits nécessaires pour le port d'Anvers ; et ensuite, après une heure et demie de conversation, on a commencé paisiblement la deuxième lecture de la loi minière.

Et pas de haussement de voix, pas de jurons. même en présence de Monsieur Demblon. On remarque qu'à un moment donné, la gauche socialiste se lève comme un seul homme et se retire dans une salle adjacente pour discuter entre eux. Que s'est-il passé ? Mystère.

Pendant ce temps, on vote sur le maintien d'un conseil d'hygiène dans les mines ; il est rejeté sur proposition du gouvernement - aurait-il une aversion pour la propreté ? - et... les jeunes catholiques du groupe Helleputte votent fraternellement avec le ministère, contre les socialistes, auxquels se sont joints tous les libéraux. Ce vote est-il révélateur et devons-nous désormais nous attendre à un retour aux oppositions traditionnelles droite contre gauche ? Retournons-nous à notre ancienne chambre, avec ses douze voix de majorité cléricale ?

Tout le monde remarque l'absence de Monsieur Helleputte. A-t-il été abandonné par ses amis ? Et Hymans n'est pas là non plus. Et les membres encourageants Vandervelde et Janson sont toujours malades.

On vote à nouveau sur le maintien des « terrils » inesthétiques et malsains, ces tas de terre et de scories que l'on trouve à l'entrée des mines. Et encore le même phénomène : droite contre gauche. Est-ce que cela va continuer ainsi ? Les jeunes catholiques ont-ils perdu courage, ou sera-t-il révélé que leur conciliation a été récompensée par un siège ministériel ? Serait-ce la raison pour laquelle l'ancienne gauche libérale s'est détachée des vieux catholiques ? Mais qui sait ?

Pour l'instant, les grandes questions économiques liées au projet de loi ne sont pas abordées. On dit que le gouvernement proposerait de nouveaux amendements que le groupe Helleputte pourrait accepter. On dit... On dit tellement de choses ! Alors qu'il n'y a qu'une seule chose de sûre : le comte de Smet de Naeyer veut sauver son gouvernement à tout prix. Et il a l'air si confiant que l'on n'ose pas douter de son succès. Mais est-il certain que Monsieur Helleputte abandonnera soudainement son entêtement avec humilité ? Ou est-ce Monsieur Helleputte à qui le nouveau siège ministériel sera cédé ?

C'est devenu un jeu de conjectures et... d'erreurs, un pari comme aux courses de chevaux, - où seuls les jockeys savent qui gagnera. Pendant ce temps, Monsieur Joris Helleputte est vivement soutenu par le magazine estudiantin de Louvain « Ons Leven », et le journal hebdomadaire des professeurs de Louvain « Hooger Leven » prend le relais de l'éloge. On rappelle que Monsieur Helleputte est un Gantois, l'un de ces Gantois que l'autre Gantois, l'empereur Charles Quint, a accusés d'avoir des « têtes dures’. Dont la tête sera la plus dure maintenant, celle de Helleputte, ou celle de Smet de Naeyer, également un Gantois ?

La ville de Gand doit être fière de voir le sort du pays dépendre de la détermination de ses deux enfants


La deuxième lecture de la loi minière

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 12 avril 1907)

Bruxelles, le 11 avril 1907

On dit chez nous que les belles chansons ne durent pas longtemps, et il n'y a pas de proverbe qui convienne mieux au caractère de notre peuple belge, je veux dire à la fois à notre caractère flamand et à notre caractère wallon. La tranquillité et la persévérance tenaces ne sont pas de mise chez nous, mais bien l'entêtement fougueux, un entêtement qui cède au moindre compromis et laisse place au dévouement.

Ce que je vous ai annoncé avant-hier sur la nouvelle attitude de la Chambre, sur le probable changement d'opinions, sur la réconciliation à droite et l'unité retrouvée à gauche, n'a pas été contredit par la deuxième séance après les vacances de Pâques. Les jeunes catholiques semblent avoir perdu leur bel enthousiasme ; les nobles intentions économiques semblent avoir cédé la place ; il y a, pour ainsi dire, une tendre émotion après la querelle d'avant Pâques. On semble se retrouver mutuellement de nombreuses qualités, comme le font les amoureux qui ont été longtemps séparés par des disputes... Ou est-ce la paresse des vacances qui persiste dans les membres ? Non, non : c'est parce que nous sommes Belges, et que les belles chansons ne durent pas longtemps.

La deuxième séance s'est donc déroulée également dans le calme. On a discuté finement sur des points de détail. Mon Dieu, que nous avons de juristes astucieux dans notre Chambre ! Même parmi les socialistes, la distinction est florissante ; et c'est un plaisir et un réconfort de constater que, quel que soit le parti au pouvoir, nous ne manquerons jamais de ministres de la Justice excellents.

Mais la vie ardente, qui donne également un sens organique riche à une loi pour l'avenir ; ce combat avec des armes robustes ; cette passion de la conviction ; cette fureur de la défense : le soleil printanier des jours de vacances les a transformés en sentiments élégiaques, en tendresse idyllique.

Et nous avons vu comment Arthur Verhaegen, l'alter ego de Helleputte, lui aussi un Gantois, serrait la main du ministre malheureux Francotte, comme s'il voulait lui donner du courage ; nous avons vu comment le ministre de Trooz, à qui la tâche de former un nouveau gouvernement était attribuée par de mauvaises rumeurs, cherchait à apaiser les rumeurs en montrant son dévouement aimant envers M. de Smet de Naeyer ; nous avons vu, dans un colloque amical, comment les camarades Anseele et Furnémont tentaient d'adoucir les sentiments du seul récalcitrant parmi les libéraux, le mécontent M. Huysmans ; nous avons vu comment le comte de Smet reprenait sévèrement le ministre Francotte, quand ce dernier osait défier les opposants dans sa tête, et ainsi contrecarrer la réconciliation ; nous avons vu... que n'avons-nous pas vu ? Nous avons vu que Pieter Daens s'était fait couper les cheveux, ce qui pourrait bien signifier : je laisse tomber, puisque j'ai choisi de ressembler à un Samson rasé.

Et encore une fois, comme lors de la première séance, les jeunes de droite ont voté systématiquement avec le gouvernement ; même M. Helleputte, qui est entré brièvement dans la salle, comme un politicien dilettante.

Cependant, il y a maintenant des rumeurs sérieuses en circulation. Tout ce qui se passe ne serait qu'apparence, une courtoisie adressée par l'opposition consciente à droite et à gauche au ministère vacillant. Ainsi, l'unité à droite et à gauche ne serait qu'une feinte, et la discussion des questions brûlantes mettrait en évidence la querelle entre les partis de manière encore plus aiguë. Cette discussion ferait mieux ressortir que lors de la première lecture, que cette loi minière renforce la politique de classe à droite comme à gauche. Tous les libéraux - industriels, ou parents d'industriels, ou la plupart des capitalistes industriels - voteraient comme un seul homme avec les grands actionnaires de droite contre la motion Helleputte, qui, si elle était adoptée, trouverait bien sûr le soutien des socialistes et d'autres intellectuels, des professeurs de Louvain, et quelques anciens ministres du parti catholique, qui, avec leur portefeuille ministériel, n'auraient pas pour autant perdu tout espoir de reconquérir leur siège ministériel, - et ainsi, hier déjà, nous avons vu l'ancien ministre Cooreman s'asseoir avec un sourire satisfait dans son vieux fauteuil...

D'autre part, on raconte que les socialistes cherchent un compromis pour la motion sur le flamand dans les mines, qui satisferait également les Wallons de ce parti, en plus du groupe Helleputte.

Et c'est reparti pour les calculs et les décomptes ; on pèse et on mesure ; on conjecture et on devine. Quel sera le résultat ? Des deux côtés, on est trop affirmatif, comme si on détenait la vérité. Et ceux qui ont beaucoup d'expérience secouent la tête : les belles chansons ne durent pas longtemps.

Alors, attendons, n'est-ce pas ? Surtout que cette politique est vraiment un passe-temps amusant.


La deuxième lecture de la loi minière. La chute du ministère ?

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 13 avril 1907)

Bruxelles, 11 avril.

On ne s'y attendait jamais si tôt. C'est comme une météorite qui est tombée sur nos têtes. Le gouvernement devait triompher, disaient même les opposants. Et en effet : un compromis semblait avoir été trouvé ; les mécontents semblaient avoir été apaisés ; un général « embrassons-nous, Folleville » de la droite devait conclure la crise ministérielle sur une apothéose du cabinet de Smet de Naeyer.

Je vous ai déjà dit comment les séances publiques de la Chambre ces deux derniers jours semblaient indiquer une réconciliation bienveillante. Mais en coulisses, ce n'était pas aussi paisible. On remarquait une certaine tension ; on voyait bien que devant les yeux du pays, on jouait une comédie : un spectacle émouvant avec M. Woeste dans le rôle du père noble, M. Francotte dans le premier rôle dramatique, et où l'on ne s'attendait pas du tout à un traître. Mais même les coulisses connaissaient l'émotion : depuis que je vous ai écrit la dernière fois, les journaux ont rapporté que la droite, à l'exception de quelques Helleputtiens qui refusaient de plier, avait adopté en secret une motion à une écrasante majorité, où M. van Cleemputte, encore un Gantois, - cette loi pourrait certainement être appelée la loi des Gantois ! - sauvait le gouvernement en déclarant : « Le gouvernement prévoit que la durée du travail quotidien ne nuira pas à la santé des travailleurs. » M. Beernaert avait bien été furieux ; M. Verhaegen avait souligné que des milliers de travailleurs avaient exigé la limitation légale de la durée du travail ; mais le gouvernement s'était soumis à la motion de Cleemputte, sauveur du ministère, et avait même fait davantage : le comte de Smet de Naeyer avait déclaré solennellement que si la Chambre ne votait pas cette brave motion, le gouvernement se sentirait obligé de démissionner.

Il n'y a pas longtemps, M. de Smet avait déclaré avec assurance : j'attends le vote au Sénat. Maintenant, il posait brutalement la question de confiance. Ce serait plier ou rompre ; et... cela serait bien sûr de plier. La droite vaincue ne ressentirait de soulagement que si elle votait docilement avec le ministre. M. de Smet pouvait se frotter les mains : la situation était sauvée.

Il n'avait cependant pas prévu le coup. Et le coupable était M. Beernaert. - M. Beernaert joue un grand jeu cette année. C'est lui qui a contrecarré les plans d'annexion des Congophiles. Cette fois, il préfère faire tomber un ministère plutôt que de permettre qu'une mesure démocratique, qui découle logiquement de toute une législation catholique, soit étouffée.

Lors de la séance d'aujourd'hui, qui vient de se terminer dans l'étonnement des amis du gouvernement, il a déclaré expressément que le pays ne voulait rien d'autre que la réglementation légale de la durée du travail, déjà adoptée par la loi sur le repos dominical. Il a déposé une nouvelle motion : « Pour empêcher l'abus de la force de travail, et en l'absence d'une loi spécifique sur cette question, un arrêté royal, sur avis du Conseil des mines, du Conseil supérieur des mines et des sections compétentes des conseils de l'industrie et du travail, fixera le nombre d'heures de travail quotidien autorisé dans les mines exploitées du bassin nord. »

Et M. Beernaert n'a pas eu à chercher bien loin son argumentation : le bassin de la Campine est lié à celui de la Ruhr et des Pays-Bas ; et là-bas, la limitation légale de la durée du travail a été introduite. Cette limitation a également été adoptée en France, et le dernier discours du trône anglais l'annonce : preuve qu'elle ne peut en aucun cas nuire à l'industrie charbonnière. - D'ailleurs, le gouvernement n'a-t-il pas le devoir de poursuivre son propre travail commencé ? Lorsque M. Beernaert a eu l'honneur, en 1886, de présenter la première loi sur les travailleurs en tant que premier ministre, la droite l'a suivi à l'unanimité ; et maintenant... - Bien sûr, le gouvernement, sous la direction de M. van Cleemputte, veut garantir la santé des travailleurs des mines ; mais il refuse de reconnaître la limitation du temps de travail, première condition de la santé des personnes qui gagnent leur pain quotidien à 30 degrés de chaleur et avec une ventilation insuffisante ! Et le ministère ne parle pas de liberté : en '86, en '89, plus tard encore, le gouvernement était en faveur de l'intervention ; aujourd'hui, il adopte une sensibilité pleine de compassion pour ces pauvres ouvriers, à qui il ne veut en aucun cas enlever leur liberté de travailler ou de se reposer pour rien au monde, ce qui serait vraiment touchant si ce n'était pas un masque de l'égoïsme de classe....

Ainsi parlait M. Beernaert, dont le succès commence à inquiéter le gouvernement. Le ministre Francotte, livide et nerveux, lui coupe la parole : il se contredit et se fait réprimander par son collègue Van den Heuvel. Le comte de Smet de Naeyer croise les bras comme Napoléon, fronçant les sourcils, plongé dans une réflexion profonde. M. Woeste, les traits aiguisés, écrit lentement et méthodiquement une lettre, avec l'attention d'un clerc de notaire. C'est ainsi que M. Woeste agit toujours lorsqu'un orage approche...

Mais M. van Cleemputte secoue sa crinière grise : il s'est promis à lui-même ; il a promis à ses amis : il sera le Terre-Neuvien, le chien d'eau sauveur du ministère.

Pauvre défenseur de la patrie ! M. van Cleemputte est imprudent ; de voir Helleputte causer amicalement avec Beernaert, et comment Lantsheere et Verhaegen, à droite et à gauche, donnent le mot d'ordre, le rend irritable et agressif ; il devient nerveux et grossier ; il devient vulgaire comme un simple socialiste. Et c'est avec un rire général qu'il explique qu'il déteste la réglementation qui n'admet aucun changement lorsque de nouvelles conditions de travail le demandent, que si le principe de la limitation est bon, la grande différence dans la nature et dans la fatigue des travaux différents contredit une durée de travail générale comme mesure raisonnable ; que donc différents cas nécessitent des réglementations particulières et que personne mieux que le contremaître, sous la surveillance des inspecteurs du travail, ne peut y pourvoir... Mais il prêche, M. van Cleemputte avec ses grands gestes, non pas dans le désert, mais au milieu d'une confusion où même le chef d'orchestre d'un orchestre symphonique double deviendrait sourd.

Le gouvernement semble loin d'être satisfait. Ce n'est pas du tout ce qu'il espérait. Ça aurait pu être beaucoup plus beau. Heureusement, le brillant M. Woeste est là...

Hélas, le brillant M. Woeste vieillit ; il vieillit beaucoup. Ce qui était autrefois de la finesse est devenu de l'apathie ; ce qu'il gagnait autrefois par la bravoure, il veut maintenant le maîtriser par la dignité et la pondération d'un grand-père.

Et aujourd'hui, il passe une journée particulièrement malheureuse. À titre d'explication, il s'embarque dans des considérations historiques. « C'est de l'archéologie ! », lui lance M. Demblon. Mais M. Charles Woeste ne s'en soucie guère : « Je n'ai pas encore eu l'occasion de répondre à la réponse de M. van Cleemputte », dit-il ; et... sa voix flotte comme un bateau sur une mer déchaînée. - « Vous êtes un phonographe ! », reprend M. Demblon. Et malheureusement, c'est vrai à tous égards : avec une voix nasillarde que je ne souhaite à personne, M. Woeste ne fait que répéter tous les arguments bien connus...

Son ennemi juré, Pieter Daens, prend des notes fiévreuses. On frémit à l'idée qu'il va répondre à la réponse de M. Woeste concernant la réponse de l'honorable van Cleemputte. Mais heureusement, M. Denis est là pour lui interdire catégoriquement ; et...

M. Francotte, ministre de l'industrie et du travail, prend la parole. Le moment est solennel. On entendrait une mouche voler, si nous étions dans la saison des mouches. Et dans des termes dignes, le ministre déclare que le gouvernement, sans réserve, approuve la motion de Cleemputte.

Attente anxieuse. Le ministre Van den Heuvel tripote sa moustache ; le comte de Smet semble de plus en plus profond ; le ministre van der Bruggen est devenu apoplectique comme une dinde en colère : le général Cousebant oscille gracieusement d'une jambe à l'autre.

Le président Schollaert met brusquement les deux motions aux voix. Par assis et levé, la motion de van Cleemputte est rejetée. Le gouvernement reçoit un coup de massue sur la tête. Par appel nominal, la motion de Beernaert est adoptée par 76 voix contre 70 et trois abstentions. La consternation du gouvernement devient stupéfaction. M. Woeste, soudainement avec une tête de homard dont le nez serait une pince, se précipite comme s'il y avait encore quelque chose à sauver. Mais - il est trop tard, hélas... Et maintenant ?...

M. de Smet l'a déclaré expressément : si la limitation légale est de nouveau votée lors de la deuxième lecture, le gouvernement n'aura d'autre choix que de démissionner...

Le gouvernement a la parole !


La deuxième lecture de la loi minière Le ministère démissionne

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 14 avril 1907)

Bruxelles, 12 avril 1907

Une séance parlementaire telle que nous n'en avons pas vécu ces dernières années; « la Chambre à son meilleur », m'a dit un député socialiste : un compliment qui, sur de tels lèvres, n'est pas dénué de signification ! Quel tumulte, mon Dieu ! Quelle virtuosité dans les insultes ; quelle passion comme celle des rapaces autour d'un morceau de viande ; quelle confusion indescriptible, presque grandiose !... Et pour conclure en beauté les festivités : la déclaration du ministère selon laquelle il avait demandé au Roi de lui accorder sa démission.

Avant même que le président Schollaert n'ait prononcé le sacro-saint : « La séance est ouverte », un murmure continu tel une lointaine houle marine ; ces garnements de socialistes s'efforcent de contenir leur exubérance ; je vois des sourires moqueurs sur les lèvres libérales ; Monsieur Hymans, je ne sais pourquoi, - pense-t-il que son tour est venu d'enfiler la veste ministérielle dorée ? - se promène nerveusement comme une lionne affamée, distribuant des grognements ici et là ; Monsieur Beernaert, imperturbable, se déplace tranquillement, le cou courbé, comme s'il était prêt à prendre le fardeau d'Atlas sur ses épaules, tirant et tripotant son long nez charnu. Le président Schollaert a l'air flétri et triste, comme s'il avait passé la nuit dehors, sous la pluie. Et le ministère ? Le comte de Smet de Naeyer agit déjà depuis hier comme un Napoléon à Sainte-Hélène ; le petit général Cousebant d'Alkemade se tient seul dans un coin, comme un enfant boudeur ; il semble régner une immense agitation entre les ministres Liebaert et Van den Heuvel et le rapporteur de la loi minière, le charmant Monsieur Versteylen, ce qui semble déplaire au chef du gouvernement à la mode napoléonienne ; Monsieur de Trooz a l'air blasé ; le baron van der Bruggen est corpulent ; et le baron de Favereau est insignifiant. - Et Monsieur Helleputte brille comme une nouvelle pièce de nickel ; et Monsieur Woeste est pâle comme de la chair d'esturgeon.

Dès le début, le jeu est lancé ; le président Schollaert, peut-être abasourdi par l'importance du jour et de l'acte, délibérément et avec une malice perfide, disent les socialistes, menant son propre jeu de manière inattendue et sans préparation préalable, a soumis au vote la motion sur la durée de travail de huit heures, plutôt que de la faire voter par appel nominal, comme quelques membres, un peu tard malheureusement, l'avaient souhaité. Résultat : la motion est rejetée. Imaginez les protestations de soixante-dix gorges bien exercées, la cacophonie de soixante-dix trompettes aux sons différents, les miaulements de soixante-dix chats dont les queues sont nouées ensemble ! Monsieur Schollaert reste impassible comme la statue de Rhamsès II ; il refuse obstinément de revenir sur le vote. On lui fait remarquer que de toute façon il est invalide, puisque le texte flamand de la motion n'a pas été lu : Monsieur Schollaert reste inflexible comme un taureau empaillé. Le ministre Francotte déclare aimablement qu'il ne voit aucune objection à un nouveau vote ; Monsieur Schollaert est inflexible comme un Torquemada. Et Monsieur Helleputte, son beau-frère, est totalement d'accord avec lui. - Ironie du sort : la motion sur la durée de huit heures rejetée avait été proposée par le bon Monsieur Helleputte lui-même !

La Chambre se calme un instant ; elle reprend son souffle. Le rejet de la reconnaissance légale de la journée de huit heures n'est pas si grave en fin de compte : le principe de la limitation de la durée de travail est acquis ; le reste, dit Monsieur Denis, viendra tout seul.

Car maintenant, c'est au tour de Monsieur Denis, socialiste, de prendre la parole. Monsieur Denis était partisan de l'exploitation publique ; trompé, comme tout le pays, par un gouvernement pressé, il insiste désormais pour obtenir une réserve publique bien assurée... Mais Monsieur Denis parle pour lui-même ; même ses amis ne l'écoutent pas. Ajoutez à cela que sa voix, sinon celle d'une carpe, tout au plus celle d'un agneau nouveau-né, entendue du fond de la forêt où on l'a amenée, peut être comparée, bien que Monsieur Denis y veille avec une sollicitude touchante, à une flamme vacillante dans l'orage tumultueux d'une Chambre agitée ! - Monsieur Denis s'énerve ; la Chambre semble ne pas le remarquer. Et pour aggraver les choses, Monsieur Denis, pour se consoler, voit même sa motion être rejetée !...

On enchaîne rapidement avec quelques articles de moindre importance ; on semble impatient de voir la tête du comte de Smet lorsqu'il lira sa déclaration.

Cependant, la question importante de l'usage du néerlandais dans les mines est encore soulevée. Heureusement, Monsieur Louis Franck a trouvé un compromis qui devrait satisfaire tout le monde, et ainsi éviter de longues disputes. Vous vous souvenez que le gouvernement avait fait adopter par la Chambre une proposition selon laquelle tous les ingénieurs des mines, quel que soit le lieu où ils exercent, seraient tenus de connaître le néerlandais ; allant plus loin que Monsieur Helleputte, qui le jugeait nécessaire uniquement pour les mines du Limbourg, ce qui était juste car la connaissance de notre langue dans les mines wallonnes est de peu d'utilité, et les mineurs flamands qui y travaillent actuellement, tous originaires du sud-est de la Flandre et des provinces d'Anvers et de Limbourg, préféreraient naturellement travailler dans leur propre région et ainsi économiser les frais de déplacement hebdomadaires. La motion Helleputte imposait déjà un fardeau indéniable à nos ingénieurs des mines. La plupart d'entre eux sont wallons, nés dans les actuelles régions houillères. S'ils veulent collaborer avec les Flamands, qui vont désormais se tourner vers l'exploitation minière, cela exigera d'eux une étude approfondie du néerlandais, en plus des autres matières de leur profession. S'ils refusaient de se consacrer à cet apprentissage : ils pouvaient rester chez eux et laisser la place aux Flamands. Mais il serait injuste d'exiger de chaque ingénieur des mines, même s'il préfère ne pas être affecté en dehors de la Wallonie, qu'il possède une connaissance approfondie du néerlandais, y compris dans le domaine technique.

Monsieur Franck, un flamingant reconnu mais un flamingant d'après la « Critique du Mouvement Flamand » de Vermeylen et un adepte de la conception économique de ce Mouvement, comme elle est défendue d'abord dans « Van Nu en Straks » et aujourd'hui encore dans « Vlaanderen » ; Monsieur Frank a jugé bon d'adopter, avec quelques modifications légères, l'amendement Helleputte comme sien. Et de manière véritablement élégante, même pour un Anversois, il a exposé et défendu son point de vue, qui a été soutenu par deux Wallons, le libéral Neujean et le socialiste Destrée, deux francophiles déclarés. On pensait donc pouvoir attendre une approbation à l'unanimité, et Monsieur Franck - Lodewijk, comme l'appellent les dames - pensait déjà à la couronne de lauriers de son premier succès parlementaire -, lorsque nous avons vu, qui le croirait ? lors du vote, Monsieur Helleputte renier son propre enfant, rencontrer une attitude malveillante chez les têtes brûlées du vieux Flamingantisme, ce qui est vraiment irritant, et le ministère s'abstenir de voter. La motion est cependant adoptée, avec une large majorité - 105 voix contre 41 - et le pays flamand peut se réjouir de savoir que dans notre nouveau bassin houiller - une exploitation libre, pas publique - les droits de sa langue seront respectés,... à condition, bien sûr, que les Flamands exigent la surveillance nécessaire.

Une motion plutôt ridicule de Monsieur Davignon exige la connaissance de l'allemand par les ingénieurs travaillant au Luxembourg. Ils peuvent bien être une vingtaine ou une trentaine. Pourquoi ces vingt ou trente ne connaîtraient-ils pas l'allemand ?.... On trouve cela acceptable, et on passe au vote sur le projet de loi dans son ensemble.

Et maintenant, quelque chose se produit, que le plus fin auteur de comédie ne pourrait pas imaginer ; quelque chose que moi, que vous, que personne ne croirait s'il n'y avait assisté ; ce quelque chose, c’est que, à l'exception du serein Monsieur de Favereau qui vote « oui », tout le ministère vote contre le projet de loi qu'il a lui-même présenté. Cela s'est produit aujourd'hui, le 12 avril, à 17 heures 32 ; et c'est peut-être unique dans l'histoire du parlementarisme.

Les messieurs les plus avisés étaient Messieurs Woeste, Begerem, Cooreman, van Cleemputte, le multimillionnaire Warocqué, qui se sont abstenus. Mais le ministère, je le répète parce que c'est incroyable, était parmi les 32 opposants, qui, contre les 94 votes en faveur, voulaient rejeter la loi, plutôt que parmi les abstentionnistes, qui, par leur attitude, désapprouvaient la politique de Helleputte, mais souhaitaient quand même reconnaître les bonnes intentions du gouvernement. Mais le gouvernement a préféré déclarer que rien de ce qu'il avait proposé et qui avait été approuvé ne méritait d'être accepté comme loi.

Quand un gouvernement en arrive là, il ne possède plus qu'une seule force : celle de tomber.

Le gouvernement est donc tombé : d'une voix faible, le comte de Smet de Naeyer a déclaré que lui et ses collègues voulaient rentrer chez eux. Et sans aucune protestation de la part de la Chambre, ils l'ont fait, en rang serré, portefeuille sous le bras, comme les soldats de Köpenick.

Ainsi s'est déroulée cette séance remarquable....

Quand je suis sorti, j'ai rencontré un groupe sympathique. En tête, marchait, souriant sardoniquement, le ministre Van den Heuvel ; après lui, entre deux amis compatissants, citronné et grisonnant depuis hier, l'ex-ministre Francotte, et à l'arrière, le visage déformé par des tics nerveux, l'ex-ministre de Smet de Naeyer, à côté de l'ex-ministre Liebaert, qui, soutenu par sa femme, avait l'air désespéré.

Et j'ai aussi rencontré un catholique, que j'ai regardé avec des yeux interrogateurs. Sa réponse fut : « Suis-je Léopold II, roi des Belges ? Lui seul sait où vivent les futurs ministres ! »

Et j'ai rencontré aussi un libéral flamand à côté d'un socialiste wallon, et leur réponse unanime - ça ressemblait au célèbre duo de la "Muette de Portici" -: « Pas d'autre solution que : la dissolution de la Chambre. » Maintenant, la parole est au Roi....


La crise ministérielle

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 avril 1907)

Bruxelles, 13 avril 1907

Le ministère De Smet de Naeyer a-t-il plongé le pays dans le désarroi ? Difficile à dire. Leur démission n'a pas été ressentie comme un coup dur pour le pays. Ce n'étaient pas des méchants ministres, dont le départ aurait soulagé le pays d'un poids. Le comte De Smet était parfois nerveux et autoritaire, et le ministre De Favereau excellait dans l'art de rappeler aux étrangers que la Belgique souhaitait rester un petit pays humble et reconnaissant, même envers les nations les plus modestes. Le général Cousebant savait parfaitement comment faire des économies militaires en vidant les casernes. Mais ces détails étaient négligeables par rapport à un fait : le pays pouvait compter sur la loyauté du ministère De Smet envers le roi.

C'était une consolation et une assurance. Le pays était heureux de pouvoir compter sur ses ministres pour cela ; il pouvait dormir sur ses deux oreilles : le gouvernail de l'État était entre de bonnes mains.

Par ailleurs, le ministre des finances n'a jamais volé le pays ; le ministre de l'éducation n'a jamais envisagé d'introduire l'obligation scolaire de sa propre initiative ; le ministre des beaux-arts n'a jamais pensé à autre chose qu'à l'agriculture ; le ministre des chemins de fer ne s'est jamais préoccupé des trains en retard : que pourrions-nous souhaiter de plus ? Les ministres étaient pacifiques et agréables à fréquenter ; aucun d'entre eux ne voulait se faire passer pour un aigle intellectuel ; aucun d'entre eux n'avait d'autre ambition que de conserver son portefeuille. Et pourtant, en toute sincérité : nous avions là un groupe de travailleurs laborieux et obstinés, qui, bien qu'ils ne distinguaient pas toujours l'utile du futile et dont le regard n'était pas assez large pour embrasser l'étendue de leur champ de travail, exécutaient leur tâche acceptée avec conscience et persévérance... Ce n'est pas un chant de « Gloire aux vaincus », car il implique la désapprobation de ce qui a été accompli ; mais c'est la reconnaissance de la manière têtue et fidèle dont cela a été fait. Ces ministres ont été les victimes de leur soumission à la volonté étrangère. Ils ont osé n'accomplir leur tâche qu'à travers les yeux d'autrui. Ils étaient de bons ouvriers d'une cause souvent mauvaise. Ils méritaient presque notre sympathie.

Pourtant, le pays les voit partir sans déplaisir. Et aussi la presse ; même, indéniablement, celle qui est amicale.

La raison est toujours la même : le ministère était... « usé ». Dans un pays comme la Belgique, qui aime la diversité, même les choses les plus belles deviennent ennuyeuses si elles ne se terminent pas assez vite. Le meilleur ministère, comme le cabinet démissionnaire, qui fonctionne pendant onze années d'affilée, agit comme tout le Ring des Nibelungen joué d'un seul tenant. Personne n'oserait contester que c'est très beau, voire avouer que cela pourrait être raccourci. Mais on respire quand même, une fois que c'est terminé. De même, le pays respire à nouveau. Voir chaque jour le comte De Smet de Naeyer avec sa belle raie dans les cheveux, sa barbe soignée et ses mains de prêtre blanches prendre place dans la deuxième rangée de bancs, au coin droit de l'allée centrale, ce n'est pas un spectacle qui, s'il est répété constamment, procure de nouvelles émotions. C'est rassurant, apaisant, tout ce que vous voulez : ce n'est ni choquant, ni excitant. Et notre époque vit de l'inattendu, de l'excitant, du stimulant nerveux. « Il nous faut du nouveau, même s'il n'y en a plus dans le monde ». Et si le roi appréciait peut-être de temps en temps rencontrer la noble et agréable figure du ministre toujours serviable, pour le juge et le chef de l'opinion publique appelé journaliste, même pour celui à qui la politique ministérielle ne déplaisait pas du tout, le spectacle quotidien de ce comte imposant était devenu comme la soupe quotidienne du convalescent gastronomique.

Le ministère était usé. Et malgré la panégyrique dans le journal ministériel, « Le Journal de Bruxelles », qui salue les démissionnaires avec une « reconnaissance attristée », le sentiment secret de toute la presse de droite est clairement exprimé dans l'article d'adieu hypocrite du « XXe Siècle » de Helleputte : « Une crise n'est pas toujours un mal mortel... Elle est parfois un mal bienfaisant, comme les furoncles qui préservent parfois d'une maladie dangereuse.... Le cabinet De Smet de Naeyer était plein de mérites. Mais il a eu tort de durer onze ans. Le passage des années a été fatal ici. » Et « Le Patriote » console les démissionnaires avec la philosophie suivante : « Mais il est bien que vous soyez partis maintenant ; car avec un projet de loi comme celui que vous étiez sur le point de préparer pour l'annexion du Congo, vous auriez quand même échoué ; et cela aurait été pire. »

Les journaux de l'opposition ne sont évidemment pas moins explicites. Le vieux et digne « Indépendance Belge » dit jovialement : « Un peu de repos ne fera pas de mal au sieur De Smet ; à moins qu'un changement brusque dans son mode de vie ne soit préjudiciable à sa santé. » « La Dernière Heure », un journal de la jeune tendance Hymans, tape joyeusement sur le « bouc émissaire », comme elle appelle le comte De Smet ; avant la déclaration ministérielle, elle écrivait : « Monsieur De Smet attendra sans aucun doute le Sénat, le Roi, Mme de Thèbes, la fin de la lune rousse et la réconciliation entre MM. Woeste et Beernaert, pour savoir s'il doit vraiment partir », et « si le Roi répond qu'il est vraiment dommage de lui gâcher la fin de ses vacances sur la Côte d'Azur en le forçant à venir résoudre une crise prématurée à toute allure, alors Monsieur De Smet restera ».... Après le alea iacta soupirant du Premier ministre, La Dernière Heure poursuit : « Si le cabinet De Smet de Naeyer tombe effectivement, il mourra comme il a vécu : sans gloire ni grandeur... Nous parlons au conditionnel, car pour croire au départ définitif de monsieur De Smet, nous devrons d'abord assister à la nomination de son successeur. »

« Le Petit Bleu » est indulgent : « Monsieur De Smet de Naeyer quitte le gouvernement au moment où les questions les plus graves ont été posées au Parlement, laissant à ceux qui ont voulu sa chute une situation qu'ils auront beaucoup de mal à démêler. De telles considérations serviront sûrement de consolation - il faut se contenter de peu - pour un homme qui s'était tranquillement jugé indispensable à la tête du pays. » Et enfin, dans le « Peuple » socialiste : « Messieurs De Smet et compagnie ont vécu ; ce n'est pas un grand ministère qui tombe, c'est un régime d'égarement qui prend fin.... Monsieur De Smet s'en va, car, sans prestige ni autorité du côté droit, il n'est plus en mesure d'imposer à la majorité les vues et les ordres du Roi, souverain du Congo... La crise, fondamentalement, n'existe pas entre monsieur De Smet et la majorité de droite, elle est entre le Roi et le Parlement. »

Ce dernier point est malheureusement très éloigné de la vérité. Le Roi n'aura pas non plus la tâche facile lors de la formation d'un nouveau cabinet. S'il choisit comme chef quelqu'un de la droite docile, le gouvernement se retrouvera dans la même position vis-à-vis de la Chambre que le ministère De Smet, et bien sûr, avec les mêmes conséquences. Si un membre des jeunes catholiques est intégré au cabinet, le Roi introduira lui-même le loup dans la bergerie du Congo. S'il met en place un cabinet d'affaires en dehors du Parlement : il sera désarmé face à des questions comme le projet de loi Coremans, la modification du système électoral municipal, les fortifications d'Anvers, et toujours, la question du Congo. Et il y a un mois déjà, je vous ai signalé que, en dehors des catholiques, aucun parti n'était capable pour l'instant de fournir un ministère. Car qui oserait gouverner avec une Chambre qui, sur le plan économique, est divisée comme suit : 21 jeunes catholiques (y compris P. Daens), 30 libéraux et 30 socialistes, contre 70 cléricaux et 14 libéraux : une division dans les partis qui ne les mènerait pas même à une majorité, puisque cette majorité serait toujours de quelques voix seulement....

Parmi les candidats au poste de Premier ministre, on cite en premier lieu le président Schollaert, le sénateur Descamps-David et... le comte Paul de Smet de Naeyer. Oui, le même comte De Smet qui a démissionné hier !... Et pourquoi pas ? Monsieur De Smet a l'oreille du Roi, il connaît ses intentions secrètes concernant le Congo, il sait où la politique royale veut en venir. Avec une équipe ministérielle rajeunie, il pourrait encore, pendant les quelques mois qui nous séparent des nouvelles élections, figurer comme chef de cabinet ! D'autant plus qu'il préfère être un fidèle serviteur de son maître plutôt que de se cacher dans une honte mesquine....

Monsieur Schollaert a trouvé des sympathies dans tous les partis du Parlement. C'est un homme courtois, qui habille la volonté avec urbanité ; une main de fer dans un gant de velours, sinon toujours une pensée impartiale derrière un front serein. On l'aime bien, même à gauche. Il jouit de l'estime du Roi, et est le beau-frère de monsieur Helleputte, ce qui peut-être lui est utile.

Hier soir, après sa démission, le président Schollaert a dîné à l'Hôtel des Boulevards - vous auriez pu choisir un meilleur endroit, monsieur le président - très agréablement avec le sénateur Descamps-David. On en a déduit que le baron Descamps était un troisième candidat. Ce sénateur est aussi décoratif que décoré. C'est un poète, qui a un jour emprunté le titre « Africa » à un poème latin de Francesco Petrarca pour le placer au-dessus d'un épopée française à caractère comique. Le Roi n'a probablement pas lu l'œuvre ; mais le titre lui a suffi pour savoir qu'il avait en le sénateur Descamps-David un admirateur et un complice. Et pour cela, il voudrait maintenant le récompenser avec un petit ministère...

Une fin de ministère : car quel que soit celui de ces trois hommes qui arrive à sa tête, son gouvernement ne pourra pas durer longtemps. Les raisons sont énoncées ci-dessus : le Roi ne peut pas rester sans en tenir compte sérieusement. Acceptera-t-il la prémisse d'un ministère qui, avec de nouvelles élections, sera très probablement à nouveau renversé ? Ou préférera-t-il demander d'abord au pays un nouveau Parlement, pour ensuite, en fonction de la composition de ce Parlement, former un cabinet solide et viable ?

Le Roi, au-dessus des partis politiques, est un monarque énergique et résolu. Espérons qu'il consultera uniquement sa fermeté de caractère et son désir du bien-être durable du pays.


La loi minière retirée

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 avril 1907)

Bruxelles, 14 avril 1907

Dernières nouvelles : le comte De Smet de Naeyer n'a pas voulu partir sans une vengeance. On nous informe qu'hier soir, un arrêté royal, daté du 11 avril - un jour donc avant le vote sur la loi - mais incontestablement rédigée après le vote, retirant le projet de loi sur les mines du Limbourg, a été communiqué aux présidents de la Chambre et du Sénat. Le « Journal de Bruxelles » raconte ainsi le retrait : « Maintenant que les intérêts économiques sont sauvegardés par les concessions accordées et qu'une commission d'enquête a été instituée dans le but de s’informer sur les abus existants, le Cabinet n'a pas voulu maintenir le projet de loi qu'il avait déposé, d'autant plus que les modifications apportées en dénaturent l'esprit et le rendent inacceptable dans l'intérêt général. »

Cet arrêté royal, en fait une décision ministérielle, explique pourquoi les ministres ont voté « non ». Elle n'est pas plus belle pour autant. Car, mis à part le fait qu'elle ne modifiera en rien l'esprit qui anime la Chambre et, bien au contraire, montre l'amertume et le ressentiment que le ministère nourrit à l'égard des précieux amis de la jeune droite, un tel arrêté n'est vraiment pas digne des hommes sérieux que constituait le Cabinet, et dont nous aurions pu attendre qu'ils ne souillent pas leur démission par un acte de ressentiment puéril.

Car qu'ont-ils gagné ? Pas que la Chambre, qui a exprimé deux fois son intention de manière explicite, renoncerait à ses précédentes décisions et les renierait pour une troisième fois ; mais seulement ceci : tout le temps passé à discuter de la loi minière - une année entière ! - a été perdu en pur gaspillage. La Chambre, qui a un agenda surchargé, a perdu son temps à un projet de loi qui n'existe même plus.... Il n'appartient pas au Roi de dire : Vois, ce qui nous séparait a été écarté ; tu peux donc nous réembaucher, nous ou nos amis en tant que ministres ?

Mais Sa Majesté, qui n'aura signé que pour faire un dernier plaisir au comte De Smet, se souviendra que, bien que la décision des ministres sortants ait détruit le travail que la Chambre a accompli après des mois de discussion, cette Chambre n'en a pas moins exprimé à deux reprises, avec la décision impartiale qui donne à cette loi minière une importance au-dessus de toute politique, sa volonté, la volonté du pays.

Un trait de plume de Monsieur De Smet de Naeyer, souscrit avec une trop grande indulgence par le Roi, peut avoir contourné la décision de la Chambre : l'esprit qui a dicté cette décision ne peut être noyé dans des flots d'encre.


Le retrait de la loi minière

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 17 avril 1907)

Bruxelles, 14 avril 1907

Un des membres du ministère démissionnaire a donné dans un journal clérical une explication du retrait du projet de loi minière.

Rien de plus simple que la mesure que nous avons prise - dit cette déclaration officieuse. Jeudi soir (11 avril), après l'adoption de l'amendement Beernaert, le Cabinet a télégraphié au Roi que le projet de loi sur les mines, élaboré et présenté par le gouvernement, avait subi des modifications importantes, et que, par conséquent, le Cabinet demandait au Roi de signer un arrêté retirant le projet de loi, que le gouvernement ne pouvait plus considérer comme le sien. Le Roi a immédiatement accédé à la demande : encore le même soir, l'arrêté royal est parti. Samedi soir, il nous est parvenu et ce matin, il est paru au Moniteur.

L'arrêté est daté du 11 avril - poursuit la déclaration officieuse - donc un jour avant le vote de la Chambre sur toute la loi. Cela semble étrange aux yeux de certains. En fait, ce n'est pas du tout étrange. L'adoption de l'amendement Beernaert a eu lieu le 11 avril : c'est l'adoption de cet amendement, et non le vote sur l'ensemble du projet, qui a conduit au retrait du projet de loi. Si le vote sur l'amendement Beernaert avait eu lieu quelques jours avant le vote final sur l'ensemble du projet, alors l'arrêté de retrait aurait pu être lu à la Chambre. Puisque cela n'a pas été le cas et que l'arrêté ne nous est pas parvenu avant hier soir, son inclusion dans le Moniteur remplace la communication au Parlement.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 19 avril 1907)

Les journaux belges continuent de parler abondamment du retrait du projet de loi sur les mines. Ce dernier acte du ministère De Smet occupe davantage les esprits du pays que la question de savoir qui prendra le pouvoir. Et cela ne se limite pas à une simple désapprobation. Des voix se font entendre pour demander le retrait de l’arrêté de retrait.

Les groupes libéraux et socialistes de la Chambre se sont réunis hier simultanément au bâtiment de la Chambre. Les deux réunions se sont tenues informées du déroulement des débats. Il était question du retrait de la loi sur les mines. Les deux réunions se sont conclues par l'adoption de longues motions. Les socialistes mettent particulièrement l'accent dans leur motion sur le travail précieux qui a conduit à de nombreuses dispositions utiles pour les travailleurs, que le ministère De Smet a anéanti d'un coup. Cette conduite effrontée a été entreprise dans le but d'entraver une réforme en faveur de la classe ouvrière, disent les socialistes.

Dans la motion des libéraux, on exprime surtout l'indignation face à la manière pitoyable dont le gouvernement s'est soustrait à la critique de la représentation nationale. Le gouvernement a laissé parler et voter la Chambre sur un projet de loi qui n'existait plus. La Chambre a été tenue dans l'ignorance d'un événement important et n'a donc pas pu exprimer sa désapprobation. Le groupe libéral qualifie cela d'atteinte à la dignité du parlement.

Paul Janson consacre un article au retrait du projet de loi sur les mines, qui aboutit également au retrait de l’arrêté de retrait. Janson met en garde à juste titre contre l'implication du Roi dans ce débat. L’arrêté royal retirant le projet est également signé par les ministres. Les ministres sont responsables, le Roi est totalement couvert.

Que dit l’arrêté ? Il est explicitement indiqué que les ministres sont chargés d'en informer la représentation nationale. Les ministres ne l'ont pas fait. On peut donc en conclure, selon Janson, avec l’arrêté en main, que les ministres ont gardé leur silence insultant envers le parlement sans que le Roi ne le sache. Il n'y a qu'une seule façon de réparer cette offense, et c'est de retirer à nouveau l’arrêté de retrait. Chaque nouveau ministère sera confronté à cette nécessité, quelle que soit sa couleur politique.

D'autres protestations contre l’arrêté de retrait sont également à prévoir.

Concernant la résolution de la crise, un des hommes politiques catholiques démocratiques a pris position. Celui-ci a déclaré que les catholiques de gauche ne siégeraient dans un ministère que sous deux conditions, à savoir : l'indépendance du cabinet par rapport à la personne du Roi et une autre orientation en matière de politique sociale et coloniale : en ce qui concerne les colonies, une certaine influence de la représentation nationale, peu importe son ampleur, tant qu'elle est exercée de manière indépendante ; en ce qui concerne le social, un retour au programme catholique de 1886 et pas de dérive vers l'école de Manchester pure, comme l'a fait De Smet.

On dit également que Beernaert aurait une liste complète de ministres prête à être présentée au Roi, si celui-ci devait lui en faire la demande.


La crise. Comment sera-t-elle résolue !

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 20 avril 1907)

Bruxelles, 18 avril 1907

Lorsque le comte De Smet de Naeyer, en partant avec un geste de colère trop léger et inconsidéré, a contrecarré toute l'efficacité de la loi (car tout indique que l’arrêté royal n’aura été signé qu'après le vote final ; et la preuve en est que les ministres ont voté sur cette loi alors qu'ils l'avaient retirée la veille : un acte si illogique qu'il ne devrait même pas être imputé à nos ministres démissionnaires) lorsque le comte De Smet a vu une douce vengeance dans le fait de rendre inutile tout ce qui avait été voté, il pouvait difficilement imaginer que cet acte aurait de telles conséquences. On l'a qualifié de coup d'État, de gifle au visage de la Chambre, d'acte de tyrannie, dont la constitutionnalité est douteuse. Cela a suscité une agitation dans tout le pays. Les socialistes y ont vu une occasion bienvenue pour faire de la propagande républicaine. Pour les libéraux, c'était un bienvenu tremplin qui leur permettait de dire, sur le dos des ministres vaincus, que désormais seul un ministère libéral est possible. Et même les catholiques - comme cela s'est encore produit hier à Mons - ont ouvertement exprimé leur regret que les ministres démissionnaires aient cru devoir recourir à cet arrêté royal.

Car maintenant, il est bien établi : ce n'est pas le Roi lui-même, mais l'ancien ministère seul qui est responsable de cet arrêté. En effet, s'il est vrai que le Roi l'a signé de sa propre initiative depuis sa villa de Cap-Ferrat - vous savez qu'elle s'appelle humblement « Passable » - après le vote de l'amendement Beernaert, le onze donc, on sait cependant que les ministres ne l'ont reçu que le treizième avril, donc après le vote sur toute la loi. Ils auraient donc encore pu, de toute façon, ne pas le signer. Ne pas le faire, c'était préserver leur dignité ; le faire, c'était couvrir de leur responsabilité ce qui, légalement daté, était en fait une offense à la Chambre. Et les anciens ministres ont choisi cette dernière option.

D'autre part, si c'est des ministres eux-mêmes que vient l'initiative de l’arrêté, et non du Roi, alors il est étrange qu'ils aient continué à discuter d'une loi retirée et à participer au vote de cette loi ; tout aussi étrange, dans ce cas, est le fait qu'une décision prise à Bruxelles le soir du 11 avril soit signée à « Passable » le même soir et qu'il faille encore deux jours complets pour qu'elle revienne à Bruxelles.

Et enfin, dernier fait accablant : les ministres ont eux-mêmes proposé le report des travaux de la Chambre, alors qu'ils savaient que l’arrêté royal leur enjoignait d'en informer la Chambre. À moins que Sa Majesté, sur simple indication télégraphique des ministres, n'ait pris sa décision ? Vous voyez que je choisis l'hypothèse la plus favorable. Mais même dans ce cas, le fait demeure : des ministres votent sur une loi qu'ils savent retirée ou du moins proposée à être retirée. Leur seule attitude logique aurait donc été de s'abstenir...

Vous voyez que l'ancien ministère n'obtient pas l'honneur de son acte. Et il en porte lui-même les mauvaises conséquences. Car, il ne fait aucun doute que, en attendant de nouvelles élections qui, si elles ne changent pas la majorité, en donneront du moins l'apparence et en partie l'orientation de la Chambre, la meilleure solution pour le Roi serait de former un nouveau ministère De Smet, avec quelques forces modifiées, dont une ou deux Helleputtiens conciliables. Ce ministère verrait très probablement la loi minière, adoptée à la Chambre, et rejetée au Sénat : de ce côté, M. De Smet trouverait donc satisfaction. D'un autre côté, il aurait pu retarder les débats de la commission du Congo et repousser la proposition d'une loi coloniale jusqu'au moment où une nouvelle Chambre réclamerait un nouveau Cabinet : et cela aurait également été une mort honorable. En ce qui concerne la loi Coremans : le nouveau Cabinet n'était pas obligé de reprendre les amendements de l'ancien ; il aurait pu rester neutre, et... la honte d'une éventuelle défaite aurait été laissée à M. Coremans seul ; et ainsi, le ministère catholique se serait préparé une sortie honorable, sans tache.

Maintenant, le comte De Smet de Naeyer, par son malheureux arrêté, a non seulement contrecarré tout cela ; non seulement il s'est rendu impossible - car vous pouvez imaginer comment il serait reçu à la Chambre ! - mais il a même rendu la vie ministérielle impossible à ses amis, le cas échéant. Car le Roi trouvera-t-il encore des éléments prêts pour un tel ministère intérimaire parmi les anciens catholiques ? C’est douteux : personne n'osera se présenter devant une Chambre où la loi minière, reprise soit par la gauche, soit par la jeune droite, naturellement source de débats beaucoup plus violents, aboutira inévitablement à une nouvelle crise. Car la situation est la suivante : l'acte du comte De Smet a poussé toute hostilité à son paroxysme. Et se risquer dans une cage pleine de lions en colère, quand on n'est pas un dompteur confirmé...

On sait pourquoi un ministère de jeunes catholiques est impossible, pas plus que de libéraux ou de socialistes. Que faire alors ? La dissolution, dit toute la gauche. Mais le Roi, après l’arrêté signé par lui et montrant ainsi son désapprobation et son aversion pour la législation sociale, qui trouve de plus en plus d'adeptes dans notre Chambre et qui, lors d'une réélection, en enverrait certainement encore plus au Parlement ; le Roi dans ces circonstances consentira-t-il à une dissolution du Parlement ? Ce serait peu logique ; à moins que le Roi, comme l'exprime explicitement la gauche, ne retire son décret contesté ! Mais a-t-on oublié l'entêtement royal ?...

Quelqu'un me chuchote à l'oreille : « La solution ? Abdication de Léopold II, devenant désormais Roi de la paisible Côte d'Azur ! » - Je ris. Mon contradicteur, quelqu'un qui sait de quoi il parle, reprend, très sérieux : « Écoutez mes paroles »....

Pendant ce temps, Léopold II est arrivé cette nuit à Laeken-Bruxelles. Au moment où je vous écris, il n'a encore reçu personne au palais. On raconte seulement, par tout le monde, que son ennemi personnel, le Premier ministre Auguste Beernaert, se promène avec un ministère tout prêt dans sa poche. Mais qui connaît les secrets des poches de monsieur Beernaert ?

...Je suis allé faire un tour dans les différents ministères ; ces messieurs fonctionnaires ont l'air aussi affairés et sont aussi négligents au fond que quand rien n'était arrivé. Je pose quelques questions : « Qu'appréhendez-vous ? » Réponse : « Qu'est-ce que je craindrais ? » - Question : « Qu'espérez-vous ? » Réponse : « Le meilleur »... Ces messieurs sont de nature diplomatique. Aucun changement à attendre, par ailleurs. Ces messieurs sont bien assis sur leurs fauteuils rembourrés ; et puissant est celui qui pourrait changer cela !....

Seul au ministère du Travail et de l'Emploi, il y a un peu de changement, un peu d'agitation ; le chef du cabinet de l'ancien ministre Francotte, également directeur général, a demandé sa démission. Je ne sais pas si cela doit être lié au vote de la loi minière. Je sais seulement, et de source sûre, que les collaborateurs du ministre Francotte ne sont pas mécontents du retrait de la loi, et ce pour la raison suivante : le texte adopté en deuxième lecture est stupide dans certaines parties, et un nouveau projet de loi pourrait apporter un texte meilleur. Par exemple, il est stupide de parler du néerlandais dans les mines. Nous pensions, comme tout le monde en Flandre et aussi en Wallonie, que la motion Franck était l'expression de la raison saine, et que son vote répondait à une nécessité stricte. Nous nous trompions, parce que nous ne savions pas que le corps des ingénieurs des mines fonctionne comme l'armée : on avance en fonction du nombre d'années de service, en rapport avec les postes disponibles. Et ainsi, il peut arriver qu'un Wallon, par ce jeu de chaises musicales immuable, se retrouve malgré lui dans le Limbourg. Logiquement, et seulement logiquement, la proposition gouvernementale était donc d'imposer à chaque ingénieur des mines, Wallon ou Flamand, la connaissance de la langue technique néerlandaise de l'exploitation minière ; tandis que la proposition Franck aurait perpétué une situation difficile.

Mais, voyez-vous, cela aurait dû être su, et cela aurait été le devoir du ministre Francotte de mettre le pays au courant de l'organisation du corps des ingénieurs des mines. Cependant, M. Francotte est un homme désordonné, et les clients qu'il avait en tant qu'avocat liégeois semblent en être bien conscients.

Son attitude molle devant la Chambre, lors de la discussion de sa propre proposition de loi, a été la cause profonde de la défaite ministérielle. On m'assure que la proposition de loi était bien préparée, y compris en ce qui concerne la limitation de la durée du travail ; il aurait été facile, dit-on, de concilier les points de vue du gouvernement avec ceux de M. Beernaert. Mais cela nécessitait une documentation minutieuse de la part de M. Francotte. Cela lui a été demandé : il l'a méprisée. Et le ministère est tombé.... Qui le remplacera ? C'est toujours une question.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 26 avril 1907)

Rien de nouveau concernant la crise. Monsieur de Trooz fait son tour. Il a rendu visite longuement à Woeste, il a parlé avec le roi, il a eu une entrevue avec Beernaert. Un fonctionnaire des affaires intérieures a été surpris en train de rendre visite à Monsieur Vandenpeereboom et Monsieur Carton de Wiart est entré au ministère de l'intérieur, mais il n'a pas parlé directement avec le ministre lui-même.

Beernaert semble être disposé à apporter son aide dans la formation du nouveau gouvernement. On lui prête ces mots, adressés à Monsieur de Trooz : nous sommes prêts à collaborer avec les autres membres de la droite, mais nous avons nos conditions. Les hommes du gouvernement actuel doivent abandonner leur politique personnelle et intolérante. Cette attitude leur enlève la sympathie de tous. Les désaccords ne se limitent pas seulement aux mines.

Monsieur Beernaert aurait déclaré que même le Roi serait disposé à faire quelques concessions dans la question coloniale.

Des rumeurs circulent selon lesquelles non seulement de Trooz passerait du vieux au nouveau gouvernement, mais probablement aussi Liebaert, van der Bruggen et le général Cousebant.

Le « Journal de Bruxelles » en appelle à l'unité du parti catholique. Monsieur de Trooz doit réussir, affirme le journal clérical, si nos mandataires comprennent leur tâche. Que les catholiques de différentes tendances se comprennent. C'est aussi ce que souhaiterait le pape Pie.

La gauche proteste encore jour après jour contre le retrait du projet de loi sur les mines.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 27 avril 1907)

Monsieur de Trooz parcourt les routes à la recherche de ministres. C'est un voyage long et ardu.

Pendant ce temps, les vieux et les jeunes groupes du parti clérical se blâment mutuellement pour la crise. Woeste, dans le Courrier de Bruxelles, souhaite que l'unité de la droite soit rétablie, mais il met en garde les jeunes cléricaux, affirmant qu'ils ne doivent pas avoir l'audace d'imposer à la majorité du parti clérical une solution aux problèmes sociaux qui semble être socialiste. Woeste estime que la minorité du parti clérical doit se plier à la majorité tant qu'elle n'est pas elle-même devenue majoritaire. « Commencez par élaborer votre programme et faites-le adopter par notre parti dans son ensemble. »

Peut-être que de Trooz est en train de réussir à rapprocher quelque peu les deux groupes de la droite, mais la presse n'en fait pas beaucoup état pour l'instant.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 28 avril 1907)

Ministre de Trooz... nous pourrions sans problème publier le même article sur la crise belge plusieurs jours de suite. Le ministre de Trooz recherche des ministres, la presse de droite n'est pas unanime. À gauche, on estime impossible de former un gouvernement viable à partir de la droite sans sacrifier de grands principes. « Dissolvez la Chambre ! » conseille l'un. « Ce n'est pas nécessaire », dit l'autre.

Ce sont à peu près les principaux rapports qui reviennent quotidiennement. On annonce que le roi est attendu à Paris samedi. Cela pourrait indiquer la fin imminente de la crise.

Le ministre de Trooz ne peut faire un pas sans qu'une nuée de journalistes ne l'entoure. Il est difficile pour M. de Trooz de varier la façon dont il se débarrasse de ces disciples, difficile chaque fois qu'il sort d'une porte et se retrouve entouré de vingt têtes curieuses, de rester aimable. « Je suis ravi de vous voir, messieurs, mais je n'ai rien à vous dire. » Et après avoir dit ces mots, le ministre s'éloigne. Ou encore hier, lorsqu'il a rendu visite au roi et est tombé nez à nez avec les journalistes : « Si le roi avait su que vous seriez tous là, il aurait certainement demandé à vous saluer. »


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 30 avril 1907)

Le roi Léopold a passé ce dimanche à Paris, et le ministre de Trooz a pris un peu de repos après sa longue chevauchée ; il a dîné à Louvain avec sa famille. Ce matin, il est reparti, soupirant. Chaque jour rapproche la solution, mais combien de jours nous séparent aujourd'hui de cette solution ? Personne ne le sait, pas même M. de Trooz. Accordons-lui ses soupirs. Presque chaque jour, dans presque tous les journaux, on peut lire une liste des membres du prochain ministère. Cette liste comporte chaque jour des noms différents. Et toujours de nouvelles visites sont effectuées, toujours de nouvelles discussions ont lieu.

Une réunion représentant diverses sociétés catholiques a adopté une motion à Bruxelles, qui contraste vivement avec les motions par lesquelles les libéraux et les socialistes terminent leurs réunions ces jours-ci. Woeste présidait cette réunion catholique. La réunion a déclaré que les catholiques voyaient partir avec tristesse le ministère de Smet, qui avait servi le pays pendant si longtemps.

Le retrait de la loi minière reste une occasion évidente de tenir des réunions et d'adopter des motions détaillées. Les étudiants libéraux de Bruxelles n'ont pas tardé à critiquer sévèrement le dernier acte du ministère démissionnaire. La motion des étudiants libéraux de Bruxelles a dû toucher le cœur de Smet.

Pauvres étudiants bruxellois, qui, lorsqu'ils sont ensemble, n'ont rien de mieux à faire que de parler de politique.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 2 mai 1907)

Plusieurs journaux annoncent que la fin de la crise est proche. Mais ils ne fournissent pas suffisamment de preuves pour étayer cette opinion. En revanche, il y a des rapports qui expriment le point de vue opposé. Le comte de Limbourg Stirum, qui figurait sur la liste de M. de Trooz pour les affaires étrangères, en est de nouveau tombé. Il s'est rendu hier chez de Trooz et lui a déclaré qu'il renonçait finalement. Le comte semble craindre les coûts que suppose le fait de détenir le portefeuille des affaires étrangères. À juste titre, les journaux soulignent que de Limbourg Stirum aurait dû y penser immédiatement lorsque de Trooz lui a offert une place au gouvernement. Le général Hellebaut s'est déclaré prêt à devenir ministre de la guerre. Les personnes désormais mentionnées comme « acceptées » sur la liste sont : de Trooz lui-même, Descamps, Liebaert, Helleputte, Renkin, Hellebaut et Delbeke. Cela ne signifie pas que ces messieurs figureront nécessairement sur la liste définitive. Les protectionnistes ont de sérieuses objections contre Delbeke, et le nom de Delbeke empêche d'autres noms d'apparaître sur la liste. Il est possible que Delbeke soit écarté si de Trooz peut faire une belle prise en le sacrifiant. Et l'on parle encore de la création d'un ministère de l'agriculture distinct, un dixième ministère. Cela semble absurde d'augmenter le nombre de postes alors qu'il est presque impossible de trouver des candidats pour les anciens postes.


La crise [politique]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 3 mai 1907)

Le ministre de Trooz est maintenant officiellement chargé de former un gouvernement. Hier, il était déjà tôt au palais pour informer le roi de ses visites à domicile au cours des dernières semaines. En quittant le roi, il a déclaré à sa fidèle escorte de journalistes : « Le roi m'a chargé de former un nouveau gouvernement : c'est tout ce que je peux vous dire. » Le formateur du gouvernement est alors retourné à la formation du gouvernement. Trouver un ministre des affaires étrangères est particulièrement difficile. Pendant ce temps, de jeunes et ardents libéraux belges continuent inlassablement d'adopter des motions regrettant le retrait du projet de loi sur les mines par le ministère de Smet.


De nouveaux ministres

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 4 mai 1907)

Monsieur de Trooz a réussi. Il est devenu président du Conseil des ministres et ministre de l'Intérieur. Dans le gouvernement de Smet, de Trooz était également en charge de l'Intérieur. De Smet s'occupait des finances. Les finances sont maintenant confiées à Liebaert, qui gérait jusqu'ici les chemins de fer. De Trooz et Liebaert ont migré du ministère de Smet au ministère de Trooz. Liebaert avait une mauvaise réputation en tant que ministre des chemins de fer. Le trafic ferroviaire est en désordre depuis des années en Belgique. Ainsi, le ministère de Trooz est supérieur au ministère de Smet, car Liebaert n'a plus son mot à dire sur le fonctionnement des trains. Reste à savoir si Liebaert sera meilleur que de Smet pour gérer les finances publiques.

Les autres ministres sont nouveaux. Tout d'abord, Hubert pour l'agriculture, le travail et l'industrie. Hubert est sénateur, mais il n'a jamais été une figure de premier plan. Davignon, qui prend en charge les affaires étrangères, est également peu connu du public. Il ne pouvait certainement pas invoquer l'objection financière de Limbourg Stirum, car Davignon est extrêmement riche. Il était jusqu'ici député de Verviers.

Tous deux, Hubert et Davignon, sont des partisans fidèles de Woeste.

Descamps-David est en charge des arts et des sciences. Descamps-David est un juriste talentueux, connu également à l'étranger en tant qu'expert en droit international. Il n'a jamais eu d'autorité à la Chambre.

Renkin et Helleputte font partie des jeunes catholiques qui ont renversé le ministère de Smet. Renkin est chargé de la justice et Helleputte des chemins de fer.

Delbeke est membre du conseil communal d'Anvers. Il restera à Anvers ; un ministre des chemins de fer donc.

Le général Hellebaut est le successeur de Cousebant van Alkemade.

Le ministère sera accueilli avec satisfaction et une rhétorique apaisante du côté droit, tandis que le côté gauche réagira avec moquerie et dérision.

Nous attendons avec impatience le programme du ministère de Trooz, écrit le libéral « Etoile Belge », qui baptise le cabinet du nom de « cabinet du mois de Marie ». Si nous ne nous trompons pas, écrit le journal, ce sera le dernier ministère clérical. Si ce gouvernement tombe avant les prochaines élections, il ne sera plus suffisant de former un gouvernement clérical par le biais de la coalition, mais une intervention plus radicale sera nécessaire, ce qui pourrait coûter la vie à la mère et à l'enfant.

Et le « Peuple » écrit : Il est possible que le nouveau groupe de ministres fasse de son mieux pour donner l'impression qu'un nouveau cap sera pris.

Mais nous nous réservons le droit de qualifier la politique de ce gouvernement de bric-à-brac et de chamailleries, issus de cette coalition de fortune, d'ambiguë ; ces personnes ne chercheront jamais à faire des réformes en faveur des travailleurs que pour empêcher la libération complète du prolétariat. Il incombe au prolétariat de les renverser bientôt pour enfin inaugurer l'ère de la véritable démocratie.

Le « XXe Siècle », l'organe de Helleputte et des catholiques démocrates, parle du ministère de Trooz comme d'un travail admirablement accompli. Enfin, ce qui semblait impossible s'est réalisé. Les deux factions du parti clérical sont représentées dans le même ministère. Tout le côté droit se réjouit et demain, tout le pays catholique se réjouira. Le cabinet de Trooz est le cabinet de la concentration catholique.

Le « XXe Siècle » a raison. C'est un gouvernement de concentration catholique, dans la mesure où les deux factions du parti catholique y sont représentées. Mais cette démonstration extérieure d'unité pourra-t-elle mener à une action concertée, autre chose qu'une pause concertée ? C'est ce que personne n'attend. La gauche ne s'y attend pas, et il y aura aussi peu de personnes sérieuses du côté droit qui croient sincèrement en la possibilité d'une telle unité.

On est curieux de savoir quel genre de pièce diplomatique sera le programme gouvernemental.


Le nouveau ministère

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 5 mai 1907)

Bruxelles, 3 mai 1907

Je vous apporte les petits pois fraîchement sortis de leur cosse, la nouveauté tout juste éclose de sa coque ; depuis quelques heures, nous avons, bien que le Moniteur ne fasse l'annonce officielle que demain, un ministère ; plus une collection hypothétique de noms : un ministère de chair et d'os, un ministère de neuf hommes solides, dont quatre Julius et un Auguste. Nous avons attendu vingt jours ce ministère ; en compensation, nous avons un ministre de plus que sous le gouvernement de Smet de Naeyer ; il semble même que nous en aurons deux. Nous avons donc toutes les raisons d'être satisfaits ; aucune préoccupation politique ne viendra désormais entraver une bonne digestion ; le pays peut dormir sur ses deux oreilles : pas de dissolution de la Chambre qui impose aux électeurs le fardeau d'un second tour ; plus d'allers-retours interminables de ministère en ministère pour les misérables reporters, qui peuvent enfin souffler ; last but not least : plus d'inquiétude derrière le noble front de monsieur de Trooz, désormais et enfin premier ministre, et plus d'angoisse dans son cœur à la pensée : « Suis-je vraiment de trop, comme de le pronostiquent de mauvais faiseurs de calembours en plaisantant avec sous mon nom ? ... »

Admettez-le : il était temps que cela se termine. Oh, je sais bien : la fin de la crise n'annonce pas la fin du mauvais temps, ce qui aurait pu être plus directement important pour les fruits du verger ; d'autres ministres ne nous donneront probablement pas des contrôleurs de tram plus courtois, et ce n'est pas parce que le baron poète Descamps-David prend la tête des beaux-arts que les cantates pour le prix de Rome seront plus lyriques... Pourtant, personnellement, je suis content que cela se termine ; cela empêchera désormais monsieur Woeste de répondre à ma question : « Comment va la crise ? », par : « Très bien, et vous ? » ; ce qui n'était pas sans me blesser légèrement. Et d'autres personnes - je ne parle même pas des nouveaux ministres eux-mêmes - se réjouiront de la solution, depuis le roi Léopold, qui pourra enfin retourner définitivement dans son royaume sur la côte d’azur, où les citrons fleurissent, jusqu'à la cuisinière de monsieur de Trooz. Pauvre femme, elle a eu du mal ces derniers jours ! Tout ce qui était ministre potentiel était invité à la table de monsieur de Trooz, et, comme cette cuisinière est attachée à sa bonne réputation et ose se vanter d'être un cordon bleu, monsieur Helleputte y a même mangé à deux reprises, probablement en partie pour embêter sérieusement son bon ennemi Trooz.

Quoi qu'il en soit, de telles concessions, culinaires et autres, ont finalement amené le rusé monsieur de Trooz à former un ministère ; et je vous le dis franchement, moi qui suis en dehors de la politique, un ministère qui, dans les circonstances données, ne pouvait guère être meilleur. Non pas que, en essence et en intentions, il soit particulièrement homogène : à côté du manchestérien de Trooz, on trouve l'interventionniste Helleputte, en face d'un certain nombre de collègues protectionnistes, il y a le partisan de la libre importation Delbeke ; monsieur Renkin est si peu convaincu par les principes financiers et administratifs de monsieur Liebaert qu'on a jugé bon de lui confier la justice. Mais n'est-il pas clair que le programme commun de ces hommes, qui pensent très différemment, sera un programme de réconciliation, et surtout, de concession aux idées plus récentes qui ont fait chuter l'ancien ministère ? Nous savons de source sûre que monsieur Helleputte a accepté un portefeuille uniquement sur la base d'engagements fermes en matière de régulation du travail et de gestion du Congo ; en matière de régulation du travail, il a le soutien des nouveaux ministres Renkin et Davignon ; en ce qui concerne le Congo, il est certes seul, mais - et c'est important pour un ministère nouveau-né attaché à la vie - il a la grande majorité de la Chambre de son côté ; et il est d'ailleurs acquis, comme on l'assure avec raison, que Léopold II aurait accepté que certains administrateurs du Congo soient élus par les chambres et que le budget colonial, divisé en budget extraordinaire et « métropolitain », soit voté pour la dernière partie par le Parlement.

D'autre part, monsieur Delbeke est là pour protester contre un protectionnisme agricole excessif ; et le chef de cabinet de Trooz, loin d'avoir le caractère obstiné de son prédécesseur de Smet de Naeyer, préférera plier que rompre ; - le chef de cabinet Trooz, qui tient à son siège comme un échelon à une jambe sanguinolente (pour le dire énergiquement) ; le chef de cabinet de Trooz, qui a mis vingt jours de casse-tête et vingt nuits de soucis pour rassembler les hommes de bonne volonté nécessaires, dont un Helleputte et un Davignon, pour ne pas mentionner Renkin et Hubert, convaincus interventionnistes aussi, en un ministère présentable : le chef de cabinet de Trooz, blasé mais ambitieux, ne pouvait concilier ces opinions divergentes que par un programme de grandes concessions, là où l'habileté ne pouvait être une monnaie courante et où seuls les textes précis pouvaient être acceptables.

N'oublions pas que le ministre de Trooz, avec son collègue Liebaert, appelé parmi ses amis le Lion de la couronne verte, porte la responsabilité du malheureux arrêté royal, provoqué entre autres par le vote du ministre Renkin, et que le ministre Helleputte a qualifié de « violation des privilèges parlementaires, sans aucune justification possible » : une responsabilité que ces deux derniers, aussi indulgents soient-ils, ne voudront certainement pas assumer devant une Chambre justement irritée, à moins que les deux ministres que l'ancien cabinet nous a légués n'aient prouvé leur mea culpa par une pénitence adéquate et leur culpabilité par une rétribution tangible. Car, même si l'acceptation d'un portefeuille ministériel peut faire oublier beaucoup de choses, et que la conscience d'un homme politique peut être opportuniste, l'acceptation d'un portefeuille avec la certitude de devoir le rendre demain ne convient même pas aux plus sacrificiels, et pour ceux qui ne sont pas étrangers à notre Chambre, le choix entre des caractères comme celui d'Helleputte et même de Renkin, et celui de de Trooz et de Liebaert n'est pas discutable.

Nous pouvons donc nous attendre à une intéressante proclamation du cabinet pour mardi prochain, jour probable de la réouverture de la Chambre. Dès à présent, on peut dire que ceux qui ne sont pas trop enragés dans l'opposition seront satisfaits ; - même si la palinodie de Trooz, même pour ceux qui, généreusement, pourraient la considérer comme un retour du fils prodigue, n'est bien sûr pas plus belle, et même si l'on s'attend à ce que, en cas de satisfaction insuffisante, monsieur Helleputte puisse avoir sa part de pommes pourries... Attendons cependant, et, pour être franc, espérons que les déclarations du nouveau gouvernement pourront nous assurer que, en attendant de nouvelles élections qui pourront et vont changer beaucoup de choses, la Belgique ne soit pas gouvernée de manière trop autocratique, trop réactionnaire, trop indigne....

Pendant ce temps, la presse d'opposition, qui espérait la suspension des séances parlementaires et la réélection du Parlement, regarde d'un mauvais œil le nouveau gouvernement. « Le Petit Bleu » ne voit dans cette combinaison qu'une mine de discordes, même s'il reconnaît aux membres la plupart des qualités personnelles. « L'Étoile Belge » estime que nous avons affaire au dernier des gouvernements cléricaux, - ce qui est aussi notre avis, - dans le sens où un gouvernement suivant exclurait tous les catholiques conservateurs. « Le Peuple » est d'avis que nous avons affaire à un gouvernement de fausse démocratie, d'arrivisme, de fausses concessions, appelé à disparaître aussi vite qu'il est apparu. En même temps, le « Journal de Bruxelles » accueille les nouveaux ministres avec un panégyrique.... de la part du comte de Smet de Naeyer ; le « Courrier de Bruxelles » de Woeste prêche à nouveau la soumission des convictions personnelles à la volonté de la majorité, ce qui témoigne de sa crainte des nouveaux ministres catholiques progressistes ; et « Le XXe Siècle », le journal d'Helleputte, bien sûr, chante les louanges et exprime son enthousiasme dans un style dithyrambique plutôt agréable...

Mais j'ai oublié de vous présenter nos nouveaux maîtres.

Voici le bien connu de Trooz, le premier Julius, qui, vous le reconnaissez, peut être considéré comme le César du groupe actuel de neuf hommes. Ce nom romain est d'ailleurs justifié par un profil quelque peu néronien, seulement brisé par la barbe plus germanique. L'entrée en scène du ministre de Trooz est pleine d'esprit et de dignité, d'autres disent pleine d'arrogance. Il salue avec grâce, gesticule avec majesté, et seulement quand il ouvre la bouche, on crie « au secours ! », car monsieur de Trooz a une voix de trompette d'enfant éclatée. Il n'a jamais fait d'études supérieures, ce qui l'a jusqu'à présent désigné pour diriger notre enseignement public. Cela, je me hâte de le dire, n'enlève rien à la grande intelligence parlementaire de monsieur de Trooz : il est, si nécessaire, un combattant spirituel et redoutable, sait saisir un mot qui vole et en faire un... poussin mort-né, est un escrimeur avec des éclairs de fleurets fulgurants, pas toujours vains, et sait mieux que quiconque... mettre du vin dans son eau. Je vous ai parlé de l'excellence de sa cuisinière : dès son plus jeune âge, monsieur de Trooz raffolait des pâtés et des gâteaux ; ils ont su adoucir sa force de conviction, quand la pilule était trop amère ; ils ont su adoucir sa volonté comme du miel ; ils ont transformé son fiel et son vinaigre en anis et en jus de baies. Dans des circonstances comme celles-ci, où il fallait être doux, à la tête de la taverne ministérielle, monsieur de Trooz était l'homme qu'il fallait.

À l'avenir, monsieur de Trooz ne dirigera que les affaires intérieures ; ce fin gourmet a assuré une bonne digestion des affaires publiques du pays. L'enseignement public passe, avec les beaux-arts, à un nouveau ministère dirigé par Edward, baron Descamps, « membre de plusieurs sociétés savantes », qui a en commun avec Pétrarque d'avoir fondé une « Afrique » ; un homme avec d'innombrables décorations, de nombreuses bonnes idées, et une connaissance juridique immense, que vous avez pu admirer au-dessus de la Meuse à La Haye, en 1899, lors de la Conférence de la paix.

Presque pas décoré du tout est monsieur Renkin, mais lui aussi s'appelle Julius. « In hoc signo vinces », a-t-il dit ; et en effet : du démocrate obstiné, il a su fléchir son caractère dur jusqu'à la souplesse d'une âme ministérielle. Car monsieur Renkin - une grande intelligence pratique, il faut le dire - connaît l'amertume douce de la pénitence auto-imposée. Sa ténacité, qui n'a pourtant jamais failli à la reddition totale, a su trouver les sentiers épineux qui l'ont mené sous le sourire rarement bienveillant de monsieur Charles Woeste. La récompense ne tarde pas à venir. Le buisson d'épines porte des roses : le ministre Renkin, d'Ixelles, régnera sur le maquis des procédures.

Et le ministre Liebaert (Julius ; et pour Mesdames : Julianus) ? Il a de beaux favoris, et une longue carrière derrière lui. D'abord ministre des finances ; on l'a trouvé trop sévère : il est passé à l'industrie ; on l'a trouvé trop sévère : il est passé aux chemins de fer. Il s'est finalement avéré être le plus fort (après le ministère de Smet, bien sûr !) dans le domaine financier. Il promet de le gérer enfin selon le goût de chacun.

Monsieur Davignon, l'homo novus des affaires étrangères, s'appelle également Julius, et a cette particularité d'avoir les cent mille francs de revenu exigés par le ministère qu'il a accepté. On sait peu de choses de lui par ailleurs ; ce n'est d'ailleurs pas si peu. Il est, en outre, presque aussi chauve que monsieur Joris Helleputte. Ces derniers mois, j'ai eu plusieurs occasions de vous présenter ce courageux et souriant Gentilhomme, et je me demande en vain ce que je pourrais trouver de ridicule chez lui, sauf peut-être sa ténacité politique. Et qui sait si son portefeuille ministériel ne l'a pas déjà guéri de cette particularité !

Il me reste à présenter : monsieur Hubert, dont personne ne sait ce qu'il a jamais fait pour être placé à la tête de notre industrie ; monsieur Delbeke (Auguste), qui a une belle moustache et un aspect charmant, et dont nous attendons que la veste ministérielle des travaux publics lui aille bien ; et enfin le général décoratif Hellebaut, avec sa tête bienveillante et authentiquement anversoise, qui semble être un vrai soldat, pas un bureaucrate, et qui est considéré dans l'armée comme un bon père. Il est remarquable que l'agriculture soit oubliée dans le ministère. Quel emmental ces rats veulent-ils faire de notre fromage ministériel reste encore inconnu. Mardi, nous en saurons un peu plus....


Prélude

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 9 mai 1907)

Bruxelles, 7 mai 1907

La Muse de l'Histoire n'a pas été avare cette année pour la Belgique. Les jours historiques ne feront pas défaut en 1907 : les amateurs de tout type d'événements historiques trouveront leur compte dans notre Parlement. La première apparition du Prince Albert au Sénat dans un registre élevé ; la posture de certains anciens ministres dans un registre plus ordinaire ; celle, récemment, du chef de cabinet de Trooz dans un registre grotesque ; - le Rubicon franchi par les Jeunes Catholiques ; la traversée de la Bérésina par la politique royale du Congo ; le Salamis de la loi sur les Mines, suivi par la déclaration smetienne « L'Etat, c'est moi » : quel champ de comparaison pour la sympathique jeunesse étudiante !

Et quel nom aura la journée d'aujourd'hui, la journée brûlante d'aujourd'hui, où la chaleur des mots menaçait de se transformer en actions, avec toutes les conséquences que cela pourrait entraîner ? Une Austerlitz ? Un Waterloo ? Le ministère succombera-t-il entre les Thermopyles socialistes ? Est-ce la défaite inévitable, ou le Cunctator Julius, que nous avons comme nouveau maître d'école, remportera-t-il la victoire ? Ses chances sont minces ; pour l'instant, cependant, il peut toujours se rappeler les mots de François Ier... « Rien n'est perdu, sinon l'honneur » ; et là - la dignité est-elle vraiment une question secondaire pour un ministre ? - il peut encore tirer les ficelles pendant longtemps ; du moins aussi longtemps que la nation, attendant les élections légales, le lui permettra...

Mais laissez-moi vous raconter avec ordre tout ce qui s'est passé.

Il est presque deux heures. On peut voir que c'est un jour extraordinaire, surtout par le nombre de dames qui remplissent toutes les tribunes, à l'exception malheureusement de celle de la presse. Pauvres femmes, quel courage elles ont montré ! Depuis ce matin, huit heures, elles attendent, semble-t-il, l'ouverture des portes. Tiens bon, Cornélia, mère des Gracques ; plie, Thomyris, reine des Amazones ; et même toi, Lysistrata, qui as trouvé le moyen d'assurer la paix ; ici, vous avez trouvé vos maîtresses en courage héroïque... Même là-haut, c'est animé. Toute la presse, nationale et étrangère, est présente. Un confrère hollandais s'est fait raser la moustache pour l'occasion ; un confrère anglais perd à un moment donné son flegme et applaudit avec les socialistes ; je suis assis entre le très maigre représentant de « L'Avenir du Borinage » de Mons et le très gros de « Vooruit » de Gand...

Une heure cinquante. M. Beernaert entre. Je ne peux pas dire qu'il sautille comme une ballerine, mais sa démarche est presque aussi légère que celle d'une jeune sauterelle. Est-ce le printemps ?... À peine assis, M. Renkin, le premier parmi les nouveaux ministres à entrer dans la salle, se précipite vers lui avec inquiétude, comme s'il savait que M. Beernaert était gravement malade... Après lui, le sympathique Delbeke prend gravement sa place et commence à écrire une lettre importante, probablement ses premières impressions, pour Madame, les enfants et la postérité.

Une heure cinquante-sept. Un huissier apporte, titubant sur ses jambes, le président Schollaert, le bureau, les autres ministres et l'essaim des membres. Le général Hellebaut, avec de magnifiques gants aussi blancs que ses cheveux, s'assoit à côté du sanglant Verhaegen. Helleputte se trompe, va d'abord vers son ancien banc, puis se précipite vers son siège de ministre. De Trooz serre chaleureusement la main du pâle Francotte. Et le comte de Smet de Naeyer, abandonné, reste, tout aussi perplexe, debout au milieu de la salle, comme un perdant.

Et alors, le drame commence.

Très doucement, presque timidement, presque poliment, l'ami Furnémont commence par une petite référence au règlement. Le président Schollaert a-t-il, en effet, fait voter le 12 avril dernier sur un projet de loi retiré secrètement la veille par l'ancien ministre ? Le président Schollaert savait-il que l’arrêté royal avait été pris ? Si tel est le cas, ce n'était pas gentil de sa part de laisser débattre la Chambre ! Le président Schollaert ne le savait-il pas ? Alors c'était vraiment très impoli de la part de ses amis du ministère de le traiter ainsi, et il se joindra certainement à la gauche pour proposer une censure à ce ministère malveillant...

Vous pouvez voir la tête du président Schollaert d'ici. Il n'attendait pas qu'on s'adresse directement à lui. Il cherche un moyen de diversion dans de jolis mots, brodant des variations sur le thème : je n'ai connu l’arrêté royal que le 13 avril, tout comme vous, je suis donc innocent, mais est-ce une raison pour ennuyer le gouvernement...

À gauche, la colère s'embrase. Vraie ou feinte ? Peu importe : magnifiquement joué. Le gros Dr. Terwagne secoue tout son corps dans un magnifique gilet de velours. Le brillant Lorand répète comme un leitmotiv : « Lâcheté et hypocrisie ! » Destrée prononce un discours passionné et imposant : « On vous a fait jouer un rôle de marionnette, monsieur le président ; votre dignité personnelle est aussi en jeu que celle de la nation. Ne soyez plus le vassal du parti clérical ; placez-vous enfin au-dessus des partis ; devenez notre véritable président ! »

Et Vandervelde poursuit : « Comment, monsieur le président, le comte de Smet de Naeyer vous gifle-t-il au visage ? Il vous traite comme si vous n'existiez pas ? Lui, votre ami, vous laisse, en tant que président de la Chambre, dans l'ignorance de ses actes ministériels ? Les ministres nous ont fait jouer une comédie, et vous étiez le metteur en scène réticent ? Et vous ne seriez pas d'accord avec nous pour protester !? »

Schollaert bafouille ; De Trooz, protecteur, veut intervenir : « Je vais vous dire ce que le nouveau gouvernement va faire... »

« Non, crie-t-on à gauche, justifiez d'abord les actes de l'ancien gouvernement ! Des excuses, des excuses ! » Les huées deviennent tumultueuses, la colère est désormais réelle. L'ami Demblon est perché sur le bras de son siège, prophétisant ; sa femme le regarde avec admiration depuis une tribune. Maintenant, Janson veut prendre la parole : des acclamations tonitruantes à gauche, mais cette fois-ci, des hurlements à droite comme tous les jaguars d'Amérique.

« A bas la calotte » s'amuse à dire avec délectation Monsieur Capelle. Janson quitte sa place, monte à la tribune...

Et là, quelque chose d'indescriptible se produit. Comment cela s'est-il passé ? Quelle en a été la cause ? Soudain, au milieu de l'hémicycle, quelqu'un de droite se trouve face à face avec quelqu'un de gauche, nez à nez. Les partisans affluent des deux côtés. Maroille et Vandervelde servent de garde du corps à Janson. On se prépare à se battre. La cloche électrique ne peut étouffer les hurlements. C'est stupéfiant et grandiose....

Le gouvernement, le bureau et la droite se retirent. Il est 14 heures 42, heure de Greenwich...

Les socialistes se frottent les mains : Schollaert est tombé dans le piège. Ils ont montré au sieur de Trooz qu'ils n'avaient rien perdu de leur vigueur.

Pendant ce temps, alors que ses amis sont partis, le comte de Smet reste tranquillement dans la salle de séance, discutant avec le gros millionnaire Warocqué, aussi calmement que si cela ne le concernait pas. Vandervelde fait un prêche aux libéraux réunis, s'adressant surtout à Monsieur Huysmans : Nestor, le cocher grec de Gérenè, persuadant Agamemnon, le roi tout-puissant... Quand soudain Delbastée, le secrétaire socialiste de la Chambre, entre en trombe et apporte la nouvelle incroyable : pouvez-vous croire que ce diable de de Trooz profite de la trêve pour lire, devant les vieux messieurs du Sénat, avec dignité et amabilité, un communiqué ?.... Des gens chanceux, ceux qui savent pousser l'inconscience si loin !

Et le voilà, l'inconscient, qui revient prêter ses larges épaules aux coups de bâton socialistes. Et la comédie reprend son cours. Schollaert, lui, a trouvé quelque chose : il est interdit, par appel au règlement, d'interrompre un ministre qui lit un communiqué.

C'est stupéfiant. Surtout pour Monsieur Janson, qui a lui-même été interrompu par le ministre, qui n'avait absolument pas la parole. Mais Monsieur Schollaert est têtu, il accorde la parole au Premier Ministre, et les mots suivants retentissent dans toute l'assemblée :

« Le ministre du Travail et de l'Industrie vient de déposer sur le bureau du Sénat le projet de loi sur les mines tel qu'il est sorti de la Chambre. »

D'abord : stupeur ; puis, rires homériques. Non, on n'attendait pas une telle impudence : un ministre qui présente au Sénat une loi qui l'a fait tomber devant la Chambre et qu'il a rejetée comme pernicieuse par arrêté royal !

Et maintenant, je renonce à vous donner d'autres descriptions de ce qui se passe. Comment Monsieur de Trooz n'a pas sombré, je ne comprends pas. Au contraire, il essaie, avec sa voix ennuyeuse de trompette pour enfants, d'expliquer la position du précédent gouvernement : le 12 avril, il ne pouvait pas déclarer, avant le vote sur la loi minière, que cette loi avait été retirée, car la Couronne s'était immiscée dans le débat, et qu'il ne voulait pas intervenir avant un vote définitif, susceptible de modifier les choses.

« Des excuses », demande-t-on à gauche. De Trooz : « On ne doit pas présenter des excuses quand on est dans son droit. »

Et malheureusement, il n'y a personne parmi les cléricaux pour applaudir à cela...

Mais voici Janson, le lion wallon, qui monte à la tribune sous les applaudissements. Dans un langage énergique, il dénonce le comportement ministériel, montre ce qu'il contient d'hypocrisie, de faux-semblants. Et c'est un discours magnifique, un morceau de rhétorique parlementaire classique. Non, nous ne voulons pas d'une politique d'autocratie et d'intimidation. Nous ne voulons pas qu'un projet de loi touchant des questions sociales profondes soit enfoui après le vote, pour se moquer de la nation, du Parlement, même du président bienveillant de la Chambre. Le projet de loi est à nouveau présenté au Sénat ? Mais plus grande est la vilenie de celui qui l'ose... trop longtemps ce jeu a duré : l’arrêté royal doit être retiré ; les ministres qui l'ont signé, et qui ont osé se représenter devant la Chambre, doivent rentrer chez eux.... Applaudissements tonitruants... tandis que Monsieur de Trooz, à qui ces paroles étaient principalement adressées, après une petite promenade hors de la salle, reprend sa place confortable...

Il est cinq heures. La séance se termine, on se disperse, tandis que la plupart des socialistes se dirigent vers le nouveau ministre Helleputte, lui souhaitant la première victoire qu'il a remportée sur l'ancienne droite et le ministère.

Bon signe pour le chef de cabinet de Trooz : il y a un membre sympathique dans son ministère... à moins que cette sympathie ne le rende furieux maintenant... Mais bon, tant qu'on reste assis sur son siège !


Épilogue du prologue

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 10 mai 1907)

Bruxelles, 8 Mai 1907

Desinens in piscem... Cela s'est terminé en queue de poisson, et même pas des plus éclatants.

Ah, ces feux de paille belges ! On pense : cela va devenir un incendie de forêt. Maintenant, la colère est vraiment allumée. L'indignation est réelle. Les consciences sont réveillées. Oui ! tactique, stratégie : des coups de feu en l'air, des feux de joie, des fusées avec de beaux globes étincelants. Et ensuite : des plaines mortes, une nuit noire. Le rideau est tombé ; les acteurs se reposent ; chacun peut rentrer chez lui satisfait.

À part un beau morceau de rhétorique parlementaire, cela s'est passé aujourd'hui comme lors d'une joyeuse fête de famille. Il y a bien eu, un moment, quelques querelles comme cela arrive parfois entre cousins. Mais à part ça : le calme après la tempête. Et c'était émouvant de voir à quel point le ministère, que l'on allait démolir, que l'on allait fracasser, qui devait être réduit en miettes comme un arbre frappé par la foudre, comment ce misérable ministère est ressorti frais et sain d'esprit, vivant comme après une douche, certes violente, mais finalement pas désagréable. Vraiment, Monsieur de Trooz ne peut pas se plaindre : il aurait pu avoir un sort pire et s'en montrer reconnaissant.

C'est Monsieur Woeste qui a ouvert le feu. Ou plutôt : non, car il n'y avait plus de feu : toute la poudre avait été tirée hier déjà, et Monsieur Woeste est venu mettre un baume sur d'éventuelles blessures. Maintenant, Monsieur Woeste n'est plus du tout l’admirable médecin qu'il était autrefois. Certes, il est toujours plein de soins pour ses malades ; Messieurs de Trooz et Schollaert bénéficient à nouveau de son traitement amical. Mais ses adversaires, les artificiers juste en face de la porte, voient bien qu'il applique le baume à côté de la blessure et que les remèdes administrés sont tirés du mauvais flacon. Les meilleurs médecins, quand ils vieillissent... D'ailleurs, à quoi servent les meilleurs pansements, si la jambe est en bois ? Ainsi, Monsieur Woeste a parlé et parlé ; on l'a écouté bien peu, et la seule approbation qu'ont trouvée ses paroles attirant l'attention vient de l'ami Destrée, qui a résumé le discours par un bien placé : « Omnia serviliter ».

Et Monsieur Woeste dépose naturellement une motion de confiance dans un gouvernement qui n'a même pas encore déclaré où il voulait aller.

Beaucoup plus intéressante, bien sûr, est la réponse de M. Vandervelde à celle de Woeste. Habile et subtil, il analyse la psychologie du nouveau gouvernement ; il décrit l'embarras de Monsieur de Trooz, qui avait le choix : se rendre impossible et retirer le projet de loi, ou devenir ridicule et représenter la loi. Et Monsieur de Trooz a choisi d'être ridicule, et... de rester ministre. Heureusement : nous obtiendrons donc la loi de toute façon, et rien n'a changé ; sauf ceci, et c'est sérieux : l’arrêté royal de retrait est une épée de Damoclès qui continuera de planer sur la Chambre ; Monsieur de Trooz a contribué à limiter partiellement la liberté de la Chambre ; et cela doit être dénoncé. Ainsi parle Monsieur Vandervelde, s'adressant à un Monsieur de Trooz qui n'est même pas assis dans son propre banc. « Il est en dessous », affirme Furnémont. Cela ne devient pas plus beau !

Grandes attentes pour Monsieur de Smet de Naeyer. Hélas, grande déception, quand il a expliqué pourquoi il a agi comme il l'a fait. Pauvre comte... de Mi-Carême, dit un confrère à côté de moi. Et en effet : on pourrait craindre pour la logique du comte de Smet. Son système de défense : blâmer les autres. « Mes adversaires ne valent pas la peine que je leur réponde. » C'est facile, efficace et clair. En ce qui concerne le nouveau ministère : Monsieur de Smet a-t-il son mot à dire ? Que de Trooz fasse ce qu'il veut : le comte de Smet lave ses mains dans du sang innocent.

Monsieur Renkin, ministre de la Justice, prend sa tâche plus au sérieux. Il est subtil, juridiquement fin, spirituel. Où serait la loi si elle n'avait pas été retirée ? Devant le Sénat. Et où est-elle maintenant ? Devant le Sénat. Alors pourquoi se plaindre encore ? Mais c'est précisément le fait du retrait de la loi qui lui est répondu. Et c'est le nœud qu'il veut démêler, et cela, malgré toute l'ingéniosité de ses explications juridiques, ce n'est pas si facile.

Et maintenant, c'est Monsieur Hymans. Monsieur Hymans, qui consacre sa vie à l'étude de l'histoire du libéralisme, a été formé dans les annales parlementaires d'une époque révolue. Outre quelques anciens députés, il est le seul représentant à pouvoir composer un discours selon toutes les règles traditionnelles de la rhétorique parlementaire. Et il a l'avantage sur ceux qui le peuvent aussi bien que lui - un Beernaert, un Woeste, dans leurs bons jours un Huysmans - d'être jeune, tout comme Vandervelde, tout comme Furnémont, tout comme... Paul Janson, cette éternelle jeunesse de cœur et d'esprit. Monsieur Hymans est jeune avec mesure ; il sait tempérer sa vivacité nerveuse, le fond de son élan intellectuel, par le sens et la connaissance de l'art oratoire très particulier que tout candidat à la Chambre devait étudier avant même de songer à conquérir un siège.

Et aujourd'hui, nous avons eu un bel exemple de cela. Ce n'était pas la fureur, l'impétuosité enragée de Janson, ni même l'agilité confiante de Vandervelde. Mais c'était un argument implacable ; une accélération magistrale de piques de plus en plus profondes. C'était une accusation argumentée, une construction incontestable qu'on devait admirer, et... qui est restée froide. Monsieur de Trooz en a pris pour son grade. Pas le public. C'était un feu négatif, une lueur glaciale. Et c'est très bien lorsque cela concerne la discussion d'une loi. Il s'agissait ici de dénoncer le comportement de personnes indignes ; et cela ne correspond pas à la nature de Monsieur Hymans, il n'est pas assez impitoyable pour cela.

Et après ?

Ensuite, on a voté sur le blâme de Janson, qui a bien sûr été rejeté, tandis que la motion de Woeste a été adoptée, de sorte que le nouveau gouvernement peut dormir sur ses deux oreilles. Desinens in piscem...


Débat parlementaire

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 16 mai 1907)

Pieter Daens, le frère du prêtre Daens, a attaqué le gouvernement hier à la Chambre. Il a reproché au précédent cabinet de s'être mal comporté envers la Chambre concernant les forts d'Anvers et d'avoir offensé le Parlement en retirant la loi minière. En revanche, le ministère de Smet n'a rien fait pour les ouvriers qui continuent à effectuer un travail d'esclave pour des salaires de misère. Et les impôts ont augmenté.

Que pouvons-nous attendre du nouveau gouvernement ? Il ne nous apportera pas le suffrage universel. Il y a quinze ans - se lamentait le chrétien-démocrate Pieter Daens - il y a quinze ans, les démocrates-chrétiens comptaient un certain nombre d'excellents hommes parmi eux, tous désireux de réformer le droit de vote ; ils ont renié leurs convictions passées.

Les évêques et Monsieur Woeste ont fait s'envoler le bel espoir des années passées, et ceux qui osent encore rester sur une position démocrate-chrétienne sont persécutés dans leur vie privée. On les laisse mourir de faim. Et pourtant, les nouvelles idées triompheront. Récemment, on en a eu une indication lorsque 19 catholiques ont voté en faveur de l'amendement Beernaert, avec les socialistes.

Pieter Daens a conclu par un discours adressé aux deux ministres démocrates Renkin et Helleputte. Il leur a demandé s'ils voulaient bien faire de leur mieux pour convaincre tout le ministère et le parti clérical de soutenir le suffrage universel. Qu'ils se soustraient donc à l'influence pernicieuse de Monsieur Woeste, le malfaiteur qui se réjouit maintenant pendant que son ennemi, le prêtre Daens, gît pauvre et abandonné sur son lit de mort.

Plus tard dans la journée, Woeste a beaucoup parlé. Il a nié que les divergences d'opinion parmi les catholiques aient une quelconque importance. Ancienne droite et nouvelle droite, ce ne sont que des mots, a déclaré Woeste. Nous sommes des conservateurs. Nous sommes les démocrates dans le vrai sens du terme.

La gauche riait souvent pendant que Woeste parlait, et Pieter Daens n'a pas pu s'empêcher de crier à un moment donné : « Mais tais-toi donc, homme ! », ce qui a provoqué de nouveaux éclats de rire.

Woeste a riposté vivement et a exprimé son opinion sur divers problèmes politiques. Concernant le service militaire obligatoire, il a dit que cela menait au programme des socialistes et à la dissolution des armées. Il a vivement loué l'excellence de l'enseignement privé.

« Qu'est-ce que tout cela a à voir avec la déclaration gouvernementale ? », a crié Franck.

Woeste est revenu sur la déclaration gouvernementale et a déclaré que toute la droite approuvait cette déclaration. Il a conclu par une description des belles perspectives ouvertes par l'arrivée du ministère de Trooz.


Débat parlementaire

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 17 mai 1907)

L'opposition et le ministère se sont affrontés hier. Le principal porte-parole de l'opposition était le libéral Hymans, tandis que pour le gouvernement, c'était surtout Renkin, le ministre de la Justice. Ce que le gouvernement a avancé comme défense a été principalement résumé par le ministre Renkin lorsqu'il a déclaré : « Sachez simplement que nous (les ministres et la droite) sommes d'accord. Les détails viendront plus tard. »

Le ministre Renkin se trouvait dans une position difficile. On lui reprochait de la gauche d'avoir, en tant qu'ancien démocrate, vendu son droit d'aînesse pour un plat de lentilles.

En guise de défense, Renkin a déclaré que chaque homme d'État est confronté, dans sa vie, à des faits qui ne laissent pas ses convictions intactes. Au fond, ma position n'a pas changé. Je reste fidèle aux idéaux de ma jeunesse, mais dix années de travail parlementaire m'ont montré que parfois, dans l'intérêt général, il faut sacrifier certaines préférences personnelles.

la gauche : Ah !

Le ministre : Je n'oublie pas que je viens du peuple.

Le socialiste Furnémont : C'est bien cela, vous venez du peuple, vous auriez dû y rester.

Hymans a montré qu'il n'y avait aucune idée exprimée, aucun plan communiqué dans toute la déclaration ministérielle. Tout ce qu'on peut y lire, c'est que l'enseignement libre sera encouragé, ce qui signifie que des sommes considérables seront données aux écoles des couvents. Détruire l'enseignement public, laisser l'Église dominer l'école, tel est l'objectif du ministère de Trooz.

Il y a cependant dans le ministère des partisans du service militaire obligatoire, de l'obligation scolaire, du suffrage universel, comme par exemple M. Renkin. Va-t-il essayer de réaliser ces idéaux de sa jeunesse ? Ou les a-t-il tous jetés par la fenêtre en entrant au gouvernement ? Dans ce cas, il n'attend que l'amertume.

Quant à nous, a poursuivi Hymans, nous continuerons le combat et viendra un jour où les paysans que vous avez enchaînés se libéreront. Alors ce sera la fin de votre existence sans gloire.


La proposition de loi Coremans devant la Chambre

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 21 mai 1907)

Bruxelles, 18 mai 1907

« C'était au printemps, c'était au mois de mai », comme le dit la chanson ; nous avons définitivement laissé l'hiver derrière nous ; le Théâtre de la Monnaie est fermé ; l'été arrive : le Concours Hippique nous apporte les nouveaux toilettes pour dames - sur lesquels je reviendrai plus tard - ; tout respire la joie : la crise ministérielle est résolue et le nouveau gouvernement a fait preuve de sa résilience face au flot de malédictions - encore assez faible et creux - de l'opposition ; et maintenant, il ne manque plus qu'une seule chose pour nous, journalistes, être parfaitement heureux : les vacances parlementaires, en d'autres termes.

Mais la Chambre a trop souffert des commentaires de la presse ces derniers temps pour nous permettre d'être parfaitement heureux ; elle préfère elle-même, après une session pourtant très chargée et agitée, poursuivre le travail d'esclave, dans la sueur de son front et dans la fournaise de l'éloquence parlementaire, plutôt que de nous accorder le droit d'aller voir les feuilles de hêtre pousser dans la forêt de Soignes...

La Chambre poursuit donc courageusement son travail, et c'est la proposition de loi Coremans sur l'usage du néerlandais dans l'enseignement secondaire libre qui doit en faire les frais.

Pauvre proposition de loi Coremans ! Alors qu'elle ne vise à rien d'autre que d’imposer aux établissements d'enseignement libre, qui ont les mêmes droits que l'enseignement officiel, les mêmes exigences, elle a rencontré les pires oppositions et arrive à l'ordre du jour au pire moment.

Elle ne fait pourtant que confirmer et compléter la loi de 1883 sur l'enseignement officiel moyen. Cette loi de 1883 a été adoptée à l'unanimité, à deux voix près. Donc, toute la Chambre était alors d'avis qu'il était juste de permettre à chaque Belge de la partie flamande du pays, par voie légale, d'utiliser couramment le néerlandais dans un certain nombre de matières, grâce à une utilisation rationnelle de la langue maternelle, et de donner aux Wallons le privilège d'apprendre suffisamment la deuxième langue officielle pour pouvoir rivaliser à armes égales avec leurs compatriotes flamands dans la compétition pour les postes gouvernementaux. Tout le monde avait considéré la loi de 1883 comme une bénédiction, et c'était bien le cas, pratiquement lorsqu'elle prescrivait la connaissance des termes techniques des mathématiques, des sciences naturelles et de la chimie dans les deux langues, pédagogiquement lorsqu'elle imposait le néerlandais comme langue véhiculaire pour l'étude de l'allemand et de l'anglais. Il n'y avait rien à perdre, tout à gagner. Les Wallons n'avaient pas à se plaindre : de telles prescriptions ne s'appliquaient qu'à la partie flamande du pays. Et on peut dire sans exagération que si le niveau intellectuel de la bourgeoisie flamande a augmenté ces dernières années et parmi les jeunes générations, c'est grâce à la loi de 1883.

Maintenant, Monsieur Coremans demande seulement - comme je vous l'ai déjà souligné plusieurs fois - que ce qui est loi pour l'enseignement officiel le devienne aussi pour l'enseignement libre, qui a les mêmes droits en matière d'homologation des diplômes et d'accès aux emplois publics. Il était donc logique que les mêmes obligations soient imposées ; et ce qui est étonnant, c'est qu'il ait fallu attendre de 1883 à 1907, soit 24 ans, pour le comprendre.

Mais il ne faut pas attendre des parlementaires qu'ils raisonnent logiquement. Ils ne connaissent qu'une logique : celle du courant d'opinion temporaire d'une partie de la population belge.

Et maintenant, l'opinion, toujours aussi déraisonnable, du pays wallon est farouchement anti-flamande. La cause : la disposition, dans la loi sur les mines votée mais retirée, proposée par le gouvernement, selon laquelle chaque ingénieur des mines devrait connaître le néerlandais. Je vous ai récemment écrit que cette mesure créait une situation qui était la seule bonne, la seule nécessaire. En Wallonie, on ne pensait pas ainsi ; les ingénieurs des mines wallons voulaient bien être nommés dans les nouvelles mines du Limbourg flamand, mais ils considéraient que l'obligation de connaître la langue des mineurs était une exagération flamande. Des réunions ont été organisées. On a non seulement protesté, mais aussi menacé. Les Wallons, prétendaient-ils, qui habitaient la partie la plus riche du pays, avaient aussi le droit de dicter leur loi ; ils possédaient ce qui faisait la richesse du pays : les mines de charbon et l'industrie ; ils avaient donc aussi le droit de refuser de se plier à une législation favorable aux Flamands. Ils ne songeaient pas cependant que, lorsque les mines seraient exploitées dans le Limbourg, ce pouvoir passerait naturellement à la partie flamande du pays, que son industrie textile et son horticulture seraient également enrichies par la présence d'un bassin houiller, d'une industrie métallurgique, et qu'en outre, un port comme celui d'Anvers serait là. Ajoutez à cela que la population flamande double par rapport à la population wallonne ; et demandez-vous ensuite : qui aura une domination incontestée en Belgique dans un avenir très proche ?

Mais les Wallons ne raisonnent pas ainsi. Ils rejettent toute question de principe, ne voient pas que la justice et la raison exigent que tous les ingénieurs des mines connaissent le néerlandais ; ils se positionnent sur un terrain pratique, fragile et infondé, en prétendant qu'un ingénieur des mines n'a rien à voir directement avec le travailleur, et se targuent d'une supériorité qui est douteuse, et de toute façon temporaire.

Je devais ouvrir cette parenthèse pour vous expliquer l'amertume wallonne, la rage contre tout ce qui est flamand, telle qu'elle se manifeste actuellement. Je ferme maintenant la parenthèse, et je reviens à la loi Coremans.

Celle-ci était donc inattaquable du point de vue de la logique ; rien ne pouvait lui être reproché, sinon d'avoir tardé trop longtemps, son acceptation étant un acte de simple bon sens.

Mais... il y avait le Mouvement Wallon furieux ; les agitateurs avaient incité le peuple à refuser sa voix à tout député qui soutiendrait encore une concession flamande ; le plus grand affront qu'on puisse adresser à l'ancien ministre Francotte était de l'appeler "Van Francotte".

Les députés, et notamment les catholiques wallons, qui n'ont déjà pas grand-chose à perdre, sentaient leurs sièges parlementaires vaciller sous eux ; la proposition de loi Coremans devait être rejetée à tout prix.

On trouva quelqu'un pour prendre la direction des opposants : le Flamand Charles Woeste, qui haïssait le flamand ; et un argument fut invoqué : l'allégation d'inconstitutionnalité de la proposition de loi.

Que M. Woeste se soit empressé de prendre en charge cette tâche est compréhensible. M. Woeste est autant le représentant des évêques belges et d'une partie du clergé régulier belge - alors que les Bénédictins et les Dominicains sont nettement démocratiques, la plupart des Jésuites et des Joséphistes, deux ordres enseignants, sont nettement réactionnaires - que de la bonne population d'Alost. Vous savez, par les lettres que je vous ai écrites à ce sujet auparavant, comment les évêques ont cherché à éviter la loi proposée par Coremans. Ils souhaitaient exclure toute ingérence de l'État dans leurs écoles, réglementer l'enseignement qui y était dispensé selon leur bon vouloir, et, bien qu'ils conservent volontiers tous les privilèges de l'enseignement officiel, ne pas se voir imposer d'obligations. Et voici ce qu'ils ont inventé : une circulaire précédait la loi, et souscrivait au principe, sinon à toute son application. Ainsi, on pouvait tourner la loi, qui n'était en fait plus nécessaire. Et même les collèges jésuites, qui ne relèvent normalement pas de la surveillance épiscopale, trouveraient bien un moyen de bloquer le vote de la loi...

Les catholiques flamands, cependant, pensaient différemment. Ils ne demandaient pas si la flamandisation des établissements d'enseignement ecclésiastique était un fait accompli : ils exigeaient une loi, une reconnaissance légale d'un principe qui, on ne le dit pass le dire assez, découle naturellement d'une situation qui prévaut dans les écoles officielles depuis 24 ans.

Mais que peuvent bien faire les catholiques flamands contre M. Woeste, lorsque les intérêts des évêques et le nombre de sièges des cléricaux, dont la majorité est déjà si fragile, sont en jeu ? Les évêques ne veulent pas entendre parler de la loi : La proposition doit être rejetée ! Les Wallons menacent de boycotter les députés qui feraient des concessions ? Il faut donner raison aux Wallons, puisqu'ils ont la mainmise sur certains sièges catholiques...

Et dans sa haine pour le flamand, M. Woeste a trouvé l'argument ultime contre le projet de loi : il était contraire à la constitution.

De quelle manière ? D'une manière assez curieuse ? M. Woeste - et avec lui une partie de la presse libérale francophone - se fonde sur l'article 17, qui garantit la liberté d'enseignement, et sur l'article 23, qui ne permet à la loi de déterminer l'usage des trois langues nationales que dans le cas des actes de l'autorité publique et des affaires judiciaires. M. Woeste a donc, selon la lettre immédiate de la constitution, raison, lorsqu'il estime qu'on ne devrait pas imposer une langue véhiculaire spécifique à l'enseignement libre.

Cependant, sa ligne de raisonnement ne contredit-elle pas quelque peu l'esprit de la constitution ? Pour commencer, l'enseignement dit « libre » est-il vraiment si libre que cela ? Pour être admis dans une université d'État, vous devez prouver avoir suivi les sept classes d'un établissement qui a enseigné les matières du programme officiel pour l'enseignement moyen, à moins de vous soumettre à un examen portant sur ces mêmes matières, évalué par un jury composé d'enseignants officiels et non officiels. Cela constitue l'unité dans l'enseignement ; tout cela est indéniablement une restriction de la liberté que l'on prétend défendre ici. Car cela est clair : quoi qu'on vous ait enseigné dans votre collège épiscopal, que ce soit le chinois ou la peinture à l'aquarelle : vous êtes contraint de connaître telles et telles matières, dans les limites établies par le programme officiel. Cela va donc non seulement à l'encontre du fondement de la liberté d'enseignement, mais cela détermine même dans une certaine mesure l'esprit de l'enseignement. Il n'est par exemple pas permis à un seul enseignant de l'enseignement moyen « libre » de faire disparaître le troisième livre de géométrie de Legendre ou l'histoire des Assyriens sous prétexte qu'ils ne sont pas nécessaires ; son explication de certains phénomènes naturels peut différer de celle prescrite par le programme officiel : il doit s'y conformer ; il ne lui est pas permis de retirer Xénophon ou Virgile de son enseignement, même s'il préfère les lire avec ses élèves ; et s'il préfère consacrer vingt heures à l'explication des Écritures, il est néanmoins obligé d'expliquer l'utilisation et les beautés des tables logarithmiques.

Personne ne considère maintenant cette restriction indéniable comme une violation de la Constitution. Car ce que la Constitution entend par « liberté d'enseignement » est beaucoup moindre : « Vous pouvez enseigner ce que vous voulez et comme vous le voulez, vous avez le droit d'enseigner. » Et il est donc tout à fait naturel que, dans le cadre d'un programme imposé, les meilleures méthodes pédagogiques soient prescrites, celles qui produisent les meilleurs résultats pratiques.

Ceci est l'une des nombreuses interprétations des dispositions constitutionnelles qui contredisent l'affirmation de M. Woeste en ce qui concerne la « liberté d'enseignement ». En ce qui concerne l'enseignement en néerlandais, cela n'a que peu à voir avec ce que l'article 23 de la Constitution évoque. Il ne peut être question ici de la validité judiciaire de la langue utilisée, comme le prévoit le texte constitutionnel. On prescrit le néerlandais dans l'enseignement. Pourquoi ? Parce que cela est utile du point de vue pédagogique et pratique, et parce que cela permet encore de s'exprimer de manière la plus authentique possible dans sa propre langue maternelle, même si elle est à moitié oubliée...

Mais tout cela ne constitue-il pas des digressions inutiles ? Si l'on veut défendre une liberté absolue d'enseignement, au sens de : liberté d'enseigner, c'est-à-dire la liberté pour chacun de diffuser ses idées comme bon lui semble, alors il aurait fallu commencer par laisser les enseignants officiels libres. On ne l'a pas fait ; on a cherché les meilleurs moyens d'enseignement, puis on les a imposés par la loi de 1883 aux écoles officielles à l'unanimité. Maintenant, on refuse de recommander légalement ces mêmes meilleurs moyens aux établissements d'enseignement libres, où ils réaliseraient pourtant une égalité de situation qui profiterait surtout aux élèves de ces établissements !... Mais non : il vaut mieux perpétuer l'inégalité des obligations, au bénéfice des collèges épiscopaux, pourvu que les droits restent égaux : tel est l'unique objectif de M. Woeste. Et le fait qu'il se taille un manteau de Constitution pour couvrir cet objectif trop évident est une blague qu'il fait bien trop souvent pour qu'on puisse la prendre au sérieux...

Déjà deux jours se sont écoulés depuis que la proposition de loi Coremans a été discutée à la Chambre. Le libéral De Vigne, les cléricaux de la Walle et Delbeke qui plaident en sa faveur ont pour l'instant eu facilement le dessus sur les arguments mesquins et subtils de Woeste. Le véritable débat sur la loi n'a pas encore commencé. Attendons plutôt le moment où le texte lui-même sera discuté. Attendons surtout avec sérénité le résultat final. La loi sera très probablement adoptée sur le texte de Coremans, grâce à l'opposition. Et une fois de plus, nous pourrons constater à quel point la droite est fragile, cherchant en vain, lors d'une réunion hier, un compromis.


Le projet Coremans

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 31 mai 1907)

Hier, Versteylen, député catholique de Turnhout, a pris la parole contre le projet Coremans relatif à l'usage obligatoire du néerlandais dans les écoles secondaires libres. Il a combattu le projet au nom de la liberté. Il a déclaré que la liberté d'enseignement y était entravée et que seul un système de liberté de langage pouvait permettre le développement du pays. Il a qualifié le projet de nuisible et d’anticonstitutionnel.

Le libéral Giroul a immédiatement fait remarquer que Versteylen devrait alors également s'efforcer d'abolir la loi de 1883 régissant l'usage du néerlandais dans les écoles publiques, car le projet-Coremans ne veut rien de plus pour les écoles libres que ce que la loi de 1883 prévoyait pour les écoles publiques.

Versteylen a été critiqué de toutes parts.

« Et voilà un député du Campine ! » s'est exclamé Verheyen.

Pieter Daens a crié en flamand : « N'avez-vous pas honte, en tant que Flamand, de parler ainsi ? »

Mais Versteylen a continué à critiquer le projet Coremans. Il a argumenté que le projet était antidémocratique.

Voici comment Versteylen en est arrivé à cette conclusion : les enfants des riches ne sont pas touchés par la loi, car ils peuvent aller à l'école en Wallonie, mais les enfants pauvres de Flandre devront dorénavant fréquenter uniquement des écoles flamandes.

Versteylen part donc du principe que c'est une sorte de catastrophe pour les enfants du peuple d'être éduqués en flamand.

Daens et Demblon ont reproché à Versteylen d'avoir retourné sa veste après que les évêques ont exprimé leur désapprobation du projet. Ils lui ont reproché de combattre le projet parce qu'il sonnerait le glas des écoles jésuites françaises. Les enseignants jésuites français devraient déménager en Wallonie.

Hoyois, catholique, a estimé que le projet Coremans visait l'enseignement catholique. Il a mis en garde les Wallons contre le Flamand. Le Flamand prend tout le pays en otage. Bientôt, en Belgique, aucun simple pompier ne pourra être nommé s'il ne parle pas le flamand. Je dis aux Wallons : Prenez garde, prenez garde.

« La Dame Blanche vous regarde », a crié Terwagne.

Le débat sur le projet-Coremans se poursuivra mercredi prochain.


La politique hier et demain [au sujet de la proposition Cooremans]

(Paru dans le Nieuwe Rotterdam Courant, le 4 juin 1907)

Bruxelles, 1er juin 1907

La politique belge des derniers jours et des jours à venir tourne autour de deux lits de malades : la goutte du ministre de Trooz est la planche de salut (pardonnez-moi cette métaphore osée mais non anti-parlementaire), par laquelle la droite tente d'atteindre un champ de réconciliation concernant la proposition Coremans ; la pneumonie inattendue et douloureuse de M. Beernaert, qui aurait pu coûter la vie au ministre de 78 ans à un moment crucial - heureusement il se rétablit, - une situation qui non seulement préoccupait la politique intérieure belge, mais aurait également eu des répercussions défavorables sur la commission des traités belgo-néerlandais et la conférence de paix de La Haye en cas de dénouement défavorable.

Pauvre proposition Coremans ! Ou plutôt - car la loi sera adoptée de toute façon ! -: pauvre droite coincée entre deux fagots de foin : le clergé et le peuple flamand qui lui est favorable. Car c'est à cela qu'elle se réduit : faire plaisir aux électeurs flamands et déplaire aux évêques, ou vice-versa. Si les évêques sont délaissés en faveur de l'électorat catholique fidèle, vous pouvez imaginer l'accueil que recevra Woeste de la part de l'archevêque ! Si les établissements d'enseignement catholiques obtiennent ce qu'ils demandent, alors le lion flamand se réveille, et Woeste pourrait bien y laisser sa peau. Je ne veux pas parler ici spécifiquement de M. Charles Woeste ; mais je le cite comme symbole de la vieille droite, et en même temps comme tête de Turc représentative, sur laquelle tombent tous les coups, y compris ceux des jeunes catholiques, loin d'être apprivoisés parce que Helleputte porte un habit ministériel, et même, pour ainsi dire, plus audacieux à cause de cela ; des jeunes catholiques qui - voyez ce que votre correspondant d'Anvers a écrit sur la grande réunion il y a quelques jours - sont déterminés à briser tous les obstacles plutôt que de céder et de reculer.

Et avec raison. Après tout, ce sont eux seuls qui peuvent assurer un avenir à leur parti et encore quelques années de gouvernement. Ils sont également le seul groupe au sein de leur parti à inspirer confiance, même aux non-catholiques. Jeunes et parfois impulsifs, ils ont l'honnêteté et la franchise de la jeunesse insouciante. Cela peut être plus difficile à attribuer à des hommes d'État âgés et très avisés comme Beernaert et Helleputte, qui ont appris, de leur longue expérience parlementaire, la tolérance quand il le faut et la fermeté quand il le faut; mais le fait qu'ils se soient mis à la tête de soldats parfois imprudents mais courageusement honnêtes pour conquérir leur parti et lui insuffler une nouvelle vie, plaide en faveur de ces derniers. Et le fait que les anciens catholiques finiront par abandonner même les astuces politiques les plus éprouvées en faveur de leur obstination arbitraire, voilà ce qui fait frémir le symbole Woeste, car cela ne favorise ni l'unité ni le prestige du catholicisme belge.

Mais les jeunes catholiques se soucient très peu de cela. Ce qu'ils veulent avant tout, c'est la justice ; et tant qu'ils ne seront pas corrompus par la politique, nous ne pouvons que les applaudir. Maintenant, ils poursuivent courageusement leur travail contre les arguments de Woeste concernant la proposition Coremans. Rejetant l'argument de son inconstitutionnalité comme ridicule, ils attirent surtout l'attention sur la nécessité de la réforme telle que Coremans la propose.

Un hebdomadaire, « Hooger Leven », organe des jeunes professeurs et étudiants catholiques de l'université de Louvain, a ouvert une enquête dans les établissements d'enseignement moyen où la direction est assurée par le clergé, et qui, lors des examens et des diplômes, ont les mêmes droits que les écoles officielles, où la loi est en vigueur depuis 24 ans. La situation dans ces établissements ecclésiastiques, même après les recommandations épiscopales, peut être déduite de la lettre insérée dans le « Hooger Leven », que je reproduis ici et qui est caractéristique de l'esprit qui règne dans la direction de ces écoles :

« Gand, 16 mai 1907.

« Cher Monsieur le Rédacteur en chef,

« Parmi les collèges qui ne suivent pas les prescriptions de Mgr Mercier, on trouve presque les mêmes établissements dans tous les journaux.

« Je n'ai jamais vu mentionnée l'institution St.-Amand (dirigée par les Frères des écoles chrétiennes), et pourtant...

« Je me souviens encore de la fois où on nous a interdit de porter le Lion flamand sur notre veste. Sur le revers de notre col, nous pouvions en porter autant que nous voulions, disait le Directeur, "ainsi que tous les portraits de nos divinités flamandes", ajouta très malicieusement un frère.

« Je me souviens encore de la fois où nous devions chanter "De Vlaamsche Leeuw" pour je ne sais plus qui ou quoi. En flamand ? Oh là là, ce serait "trop vulgaire" : le très cher Frère Pro-Directeur s'est aimablement chargé de faire une traduction française et, que nous le voulions ou non, nous devions chanter « Le fier Lion Flamand" !

« Mais revenons au sujet.

« Dans votre numéro de dimanche dernier, vous donnez également la liste des établissements qui restent sourds aux prescriptions de Mgr Mercier. St-Amand a encore été oublié parmi les établissements gantois. La situation dans cette école ne peut et ne doit plus être cachée. Jugez, d'après la conversation que j'ai eue avec l'un des enseignants, comment on juge le flamand là-bas. (N'oubliez pas que St.-Amand est l'école où les gens de la haute société et les fils de nos riches bourgeois reçoivent leur éducation...)

« -Révérend Frère, j'ai ici un hebdomadaire, « Hooger Leven » - un excellent journal, hein ! - (Il rit et marmonne en haussant les épaules "Quel petit journal de province est-ce ? »

« -Un excellent petit article y est consacré à la situation du flamand dans nos collèges...

« -Vous voilà encore avec vos trucs.

« -Excusez-moi... et dans lequel il est clairement démontré à quel point nous nous soucions peu des prescriptions de Mgr Mercier.

« -Eh bien, où voulez-vous en venir ?

« - Voici, Frère, je voudrais savoir comment vous appliquez les prescriptions de Monseigneur.

« - De Mgr Mercier ?

« - Oui.

« - Voici ce que je pense. Mgr Mercier est certainement un homme instruit ; je lui dois tout le respect ; mais en ce qui concerne sa lettre, je dois avouer franchement que je n'ai jamais pris la peine de la lire.

« - Ah bon ! (Ici, je lui explique un peu cette lettre.)

« - Mgr Mercier est libre de faire ce qu'il veut dans les écoles où il a quelque chose à dire. Ce droit, je ne le lui conteste pas, mais qu'il vienne chez nous donner des ordres, je ne l'accepte pas.

« - Mgr ne le fait pas ; mais je pensais que les Jésuites, les Jésuites, et d'autres encore...

« -Les Jésuites aussi ! Ah ah !!

« - Excusez-moi, laissez-moi dire... que les Jésuites, les Jésuites, et autres se sont engagés à considérer comme un honneur et un devoir d'appliquer également ces prescriptions dans leurs établissements.

« - "Des blagues, des blagues !" (n.d.T : en français dans le texte) Je sais pour ma part que nous ne suivrons jamais ces prescriptions dans nos établissements. Ecoutez bien. Toute cette ferveur flamande exagérée ne mène à rien. Nous n'avons jamais eu de plaintes ici selon lesquelles nous n'apprenions pas assez le flamand, mais bien le contraire. »

« Et voulez-vous, Monsieur le Rédacteur en chef, connaître cette situation ?

« J'en ai déjà parlé dans mon introduction. Ajoutez-y ceci :

« 1. Jamais une seule prière en flamand !

« 2. Toujours parler français dans la cour, au risque d'écrire l'article du règlement 50 à 100 fois (selon que l'enseignant est francophile) : "§ III art. 24. Pendant les récréations, tous les élèves sont tenus de parler français, etc. »

« 3. Cours de flamand. Deux heures par semaine. Et s'il n'y a pas assez de temps pour expliquer ou préparer les mathématiques, le temps est pris sur le cours de flamand.

« 4. Littérature flamande en rhétorique même, insignifiante, parfois donnée en français.

« 5. Une académie littéraire. Interdiction stricte de faire quoi que ce soit en flamand, même d'aborder quelque chose sur la langue flamande (l'interdiction a été donnée à l'auteur à l'époque).

« Voilà à quoi se résume la situation du flamand à l'Institut St.-Amand, École moyenne catholique.

« J.D.B. Ancien élève de St-Amand. »

Ab uno disce omnes ! - Et pour de telles écoles, où l'on traite ainsi les droits de la langue du pays et de la majorité des Belges, on ose encore invoquer le grand principe de la liberté d'enseignement, là où, je le répète, ils ont les mêmes droits, et même, sous un gouvernement catholique, la certitude de voir la plupart de leurs élèves nommés à des postes dans l'administration, de préférence aux garçons des écoles officielles soumis à un programme strict.

Il était difficile pour M. Woeste de lutter contre de tels arguments. Il trouva bien un peu d'aide auprès de M. Versteylen, un homme bien intentionné, qui appellera cette année une année malheureuse : il a en effet été rapporteur pour la loi minière, et a beaucoup souffert des attaques des opposants au comte de Smet de Naeyer, que son âme repose en paix. Mais M. Versteylen n'est pas à la hauteur, par exemple, de son collègue Delbeke ; de même qu'aucun mensonge, d'ailleurs, n'est à la hauteur de la vérité nue. Cette vérité nue est défendue dans la Chambre belge par des chevaliers bien armés. Et cela inquiétait Woeste, habitué à plus de discipline. Heureusement, il y avait la goutte, la charmante goutte de M. de Trooz, l'homme de tous les sacrifices. Elle permet à M. Woeste, cette goutte, de faire les manœuvres nécessaires pour obtenir un compromis. M. Woeste n'a jamais douté de lui-même, et c'est toujours sa force. Mais maintenant, il pourrait bien se casser le nez contre un mur plus dur. Et « qui se casse le nez, se casse le visage", dit-on chez nous... Vous verrez que M. Woeste se vengera sur la goutte de M. de Trooz.

L'autre malade de cette semaine, le ministre d'État Beernaert, a suscité beaucoup plus d'intérêt que le ministre de Trooz et sa goutte. Le ministre d'État Beernaert est en effet une personnalité d'une bien plus grande importance que notre gros premier ministre. C'est avec un cœur serré qu'on a appris la nouvelle : Beernaert était mourant. Avec la mort dans l'âme, je suis allé le voir chaque jour - M. Beernaert est presque mon voisin. Après le troisième jour, son médecin, qui est aussi le mien (oui, oui !), a pu me rassurer ; grâce à une constitution exceptionnellement robuste, le malade guérirait. Heureusement : le 8 juin, il devait présider la commission belgo-néerlandaise ; quelques jours plus tard, il devait se rendre à La Haye pour la conférence de paix - dont il a beaucoup parlé alors qu'il délirait - et où il voulait jouer un rôle, notamment en ce qui concerne la question du désarmement.

Sera-t-il votre invité ? On craint que non, même s'il est plein de courage et de confiance. On n'a pas pu l'empêcher de travailler de temps en temps au discours qu'il doit prononcer à la conférence ; et il faudra sûrement beaucoup d'efforts pour le convaincre que rester à la maison serait préférable.

En ce qui concerne la réunion d'ouverture de la commission de rapprochement belgo-néerlandaise : celle-ci a été reportée jusqu'au 15, en raison de l'état de santé de M. Beernaert. Ce que ces messieurs se diront entre eux est un secret... que je vais vous révéler. D'abord, ils iront ensemble déposer des fleurs sur la tombe de Jan van Rijswijck, le grand Flamand, non : Néerlandais. Et ensuite, en l'absence des journalistes, ils discuteront de toutes sortes de choses, également en secret... dont je vous donnerai fidèlement compte, pas seulement des « communications à la presse », mais comme je les ai... - mais non : mon secret restera secret !

Entre-temps, je vous communique un document que même les membres belges de la commission n'ont pas encore reçu. Il s'agit du "Programme" des travaux, accompagné d'un "Projet de règlement", proposé par les Hollandais, et qui, pour notre plus grande joie, rompt notamment avec l'idée selon laquelle, pour la diplomatie comme pour l'art culinaire, le français est la seule langue d'usage possible, une notion, inventée, je crains, par Talleyrand, le diplomate gourmet ; l'article 6 de ce « Projet de règlement » dit en effet : « Tant dans les réunions que dans la correspondance, il y aura une égalité totale pour l'usage de la langue néerlandaise ou française. » Bravo !

Voici maintenant le « Programme » proposé, qui, comme vous le voyez, est plus large que celui proposé par le secrétariat belge et que vous avez communiqué :

1. Unité dans les tarifs postaux, télégraphiques, téléphoniques et ferroviaires ;

2. Égalité de taxation pour les entreprises exerçant leur activité dans les deux pays.

3. Législation du travail.

4. Problème de la classe moyenne.

5. Droit d'auteur.

6. Reconnaissance réciproque des preuves d'examens néerlandais et belges ainsi que des preuves de compétence.

7. Exequatur des décisions judiciaires.

8. Questions relatives à la navigation, à la réglementation des ports, aux associations de navigation.

9. Questions agricoles. Eventuellement.

10. Politique commerciale.

Voilà le programme ambitieux, où toute action défensive commune a été judicieusement écartée, qui sera soumis aux membres de la commission belge mardi après-midi... après que les lecteurs du N.R.C. l'auront déjà connu depuis vingt-quatre heures.

Je ne peux pas clore cette lettre sans avoir mentionné un fait politique qui pourrait avoir de grandes conséquences et en aura peut-être.

Lors des élections de 1904, à Termonde, le libéral Van Damme et le tristement célèbre démocrate-chrétien Plancquaert avaient présenté ensemble leur candidature pour un siège, après un accord devant témoins, selon lequel celui qui obtiendrait le plus de voix siégerait à la Chambre pendant trois ans, pour céder son siège au deuxième pendant la quatrième année. Le sort a favorisé M. Van Damme ; il est donc allé trôner sur le cuir vert, et... n'a pas fait grand-chose de plus que cela. Mais voici que sa troisième année est écoulée, et Plancquaert veut prendre sa place. « Loin de là », dit Van Damme, « je suis bien ici ! »

Bien sûr, M. Plancquaert trouve cela mal élevé, et toute sa formation avec lui. Et maintenant, elle, la formation, a pris la décision suivante publiquement :

1. Le Parti populaire chrétien décide de faire photographier l'accord conclu avec M. Van Damme, qui l'a signé en tant que représentant du parti libéral. La photographie sera distribuée dans l'arrondissement de Termonde, ainsi qu'à la Bourse de Gand, de Bruxelles et d'Anvers.

2. Les élus du Parti populaire chrétien à la Chambre et aux conseils municipaux reçoivent l'ordre express de prendre immédiatement position contre les libéraux et les socialistes, sauf dans les questions qui concernent directement des lois favorables au peuple.

3. Les votes obtenus par le Parti populaire chrétien dans le pays doivent être considérés comme allant à l'encontre de la gauche.

Quand on pense maintenant que le Parti populaire chrétien dispose de quelque 50 000 voix, qui sont ainsi perdues pour l'opposition, on comprend comment M. Van Damme sera accueilli au sein de son parti !

Grâce à l'intervention de M. Plancquaert, les socialistes ont obtenu un siège à Courtrai : le premier dans le pays flamand ; maintenant que le Parti populaire chrétien se retire, ils perdent ce siège sans aucun doute. De même pour les libéraux à Termonde, après la « trahison » de Van Damme. Conséquence : deux sièges gagnés pour les cléricaux. Et tout cela à cause de la mesquinerie de gens qui trouvent facile de gagner quatre mille francs en venant chaque jour écouter le doux Hoyois ou l'insupportable Denis. Oh, la politique !


(A SUIVRE)

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