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Le parti catholique en Belgique
MELOT Auguste - 1934

Auguste MELOT, Le parti catholique en Belgique

(paru à Bruxelles, vers 1934, chez Rex)

Chapitre VI. Le partie catholique au pouvoir. Le catholicisme social

1. L’amoindrissement des majorités catholiques au parlement

(page 95) Ce nouveau régime électoral allait complètement changer la figure du Parlement. Il suffit, pour en donner une idée, de citer quelques arrondissements et d’indiquer les modifications qui y furent apportées. A Bruxelles, en 1898, avant l’établissement de la proportionnelle, les dix-huit députés étaient catholiques ou indépendants, tous élus sur une même liste ; après, en 1900, il y eut huit catholiques ou indépendants, cinq socialistes, trois libéraux doctrinaires et deux libéraux progressistes. A Anvers, avant la représentation proportionnelle, il y avait onze catholiques ; après, il y eut six catholiques, quatre libéraux et un socialiste. Dans les arrondissements de Gand et d’Eecloo, il y avait dix catholiques en 1898 ; en 1900, ces deux arrondissements réunis élurent six catholiques, deux libéraux et deux socialistes. Par contre, à Liége, où il n’y avait que des socialistes, il y eut en 1900, trois socialistes, deux catholiques et un libéral. La majorité gouvernementale qui avait été de 68 voix tomba à 20 ; les libéraux et progressistes eurent 33 députés, les socialistes 32, les catholiques 86 ; il y avait un démocrate dissident.

2. L’influence grandissante de Woeste et la retraite de Beernaert

La figure du parti catholique était également changée. Les députés qui avaient des attaches avec la Ligue démocratique étaient nombreux et de qualité Verhaegen, Helleputte, Renkin, Carton de Wiart, Lantshecre, Léon Mabille, Michcl Levie, (page 96) Ponthière, Delporte (le bon Delporte), Cousot ; ils allaient donner un nouvel élan au mouvement social et obtenir des lois de protection ouvrière.

Beernaert n’avait pas joué, de 1894 à 1900, le grand rôle de chef de parti que son passé semblait promettre. Président de la Chambre, il ne se mêlait guère aux discussions parlementaires ; entouré à l’étranger d’un grand prestige, il représentait avec éclat la Belgique dans toutes les réunions internationales. Quand le Roi eut besoin d’un négociateur pour traiter à Berlin l’affaire du Kivu, il choisit tout naturellement Beernaert bien que leurs rapports fussent devenus assez froids. Mais à l’intérieur, Woeste, le plus redoutable adversaire de l’opposition, toujours prêt à l’attaque comme à la riposte, avait acquis sur le ministère De Smet une influence qu’il n’avait jamais eue de 1884 à 1894 ; il veillait à écarter du pouvoir le ministre de la révision constitutionnelle. Chose étonnante ! et que les initiés seuls connaissaient à l’époque, que le public connaît aujourd’hui par les renseignements donnés notamment par Verhaegen dans « Vingt-cinq années de vie sociale » et par Woeste, dans ses mémoires, l’Episcopat et particulièrement le Cardinal Goossens penchaient beaucoup plus du côté de Beernaert que du côté de Woeste ; le haut clergé n’estimait pas celui-ci assez social. Par contre, le vieux parti catholique pour qui Woeste, toujours attentif aux intérêts religieux qui étaient la préoccupation de sa vie, obtenait des « satisfactions » abondantes était avec lui.

Tout naturellement, les élus de la démocratie chrétienne se tournèrent vers Beernaert qui était à leurs yeux l’initiateur de la législation sociale. Celui-ci allait affaiblir sa situation auprès du gouvernement par une attitude qui déplut au Roi. Déjà partisan de la reprise du Congo en 1895, il n’avait pas changé d’avis en 1900, au contraire.

Le moment lui paraissait venu où, suivant la convention, (page 97) la Belgique devait annexer cette colonie. Ce faisant, elle s’assurait définitivement un admirable domaine, prenait sa part du devoir de solidarité humaine, de charité chrétienne, qu’a toute nation riche et prospère envers les peuples arriérés ; elle mettait fin à certains procédés d’une administration qui avait réalisé en Afrique des choses admirables mais qui avait été obligée de se procurer, d’une manière parfois critiquable, les moyens de vivre d’abord, de se développer ensuite et de pousser ses conquêtes au Nord, à l’Est et au Sud. Le Roi, au contraire, estimait que le moment de la reprise n’était pas venu, qu’un gouvernement absolu était meilleur pour une colonie naissante qu’un gouvernement parlementaire, que rien n’était prêt pour assurer le transfert d’une administration à l’autre. Beernaert déposa avec Lantsheere, Verhaegen, Delbeke et Heynen, une proposition de reprise. Léopold II, irrité, envoya à Woeste une lettre qui était très dure pour son ancien Premier Ministre ; il y disait notamment que « l’Etat Indépendant du Congo proteste avec indignation contre l’esprit et les sentiments que révèlent les projets de questions formulées par M. Beernaert et qui sont autant de marques de défiance et autant de tentatives de calomnie. » Woeste lut une partie de cette lettre à la commission, Beernaert retira sa proposition et tout le monde comprit que sa carrière gouvernementale était finie ; le prestige de Woeste, chargé d’un message royal, grandit dans tous les milieux gouvernementaux et dans ceux qui prenaient leurs inspirations à la Cour.

3. L’action du gouvernement de Smet de Nayer

Grâce à lui, le service personnel fut de nouveau écarté au cours de cette session ; les décisions d’une commission composée de militaires et de civils, qui en avait voté le principe à une forte majorité, avaient ravivé les espérances des partisans de cette réforme mais le Roi lui-même désirait que la majorité ne fut pas divisée et qu’elle se présentât unie (page 98) aux élections de 1902 ; il n’insista pas et son gouvernement se contenta d’une loi qui favorisait le volontariat. Il céda aussi dans la question des jeux ; on a dit en 1932 qu’on n’entend plus qu’un bruit de gros sous ; en 1900, on n’entendait en Belgique qu’un bruit de pièces d’or ; les unes étaient le fruit du travail, de l’activité du pays stimulés par un grand monarque, mais les catholiques et les socialistes trouvaient qu’on en remuait aussi dans d’innombrables tripots où la richesse n’était plus la récompense du travail mais du vice. Ils estimaient cette situation immorale et cherchaient à obtenir non pas l’abolition du jeu (on ne fait pas disparaître les passions humaines par des lois) mais des mesures législatives qui en supprimeraient l’exploitation. Le Roi et De Smet de Nayer qui désiraient ouvrir les portes du pays aux riches étrangers, résistaient et ce n’est qu’en 1902 qu’ils se laissèrent convaincre par les considérations d’ordre moral que l’on fit valoir.

Ces deux premières années de représentation proportionnelle se terminèrent heureusement pour le parti, grâce à une faute des socialistes.

Ceux-ci exigèrent la révision de la Constitution et décidèrent la grève générale pour appuyer leurs exigences. La droite tint bon et repoussa la proposition. La grève générale fit long feu ; les émeutes furent énergiquement réprimées et la classe ouvrière elle-même se montra très mécontente de ses dirigeants. Les élections de 1902 firent passer la majorité de 20 à 26 voix. (Il est vrai que trois sièges avaient été gagnés, à Gand, à Alost et à Verviers, par des élections faites à la majorité absolue.)

4. Les tensions croissances entre les deux ailes du parti catholique

Par la lutte qu’il avait menée contre les socialistes déchaînés, le parti catholique avait rétabli son union. Un fait qui n’avait en apparence qu’une importance minime mais qui était grave quand on l’interprétait d’après les circonstances, allait de nouveau mettre cette union en péril.

(page 99) M. Surmont ayant donné, en 1902, sa démission de ministre de l’Industrie et du Travail, il s’agissait de lui désigner un successeur. Ce département créé en 1895 avait été géré d’abord par MM. Nyssens et Cooreman qui étaient des catholiques sociaux, puis par MM. Liebaert et Surmont plus conservateurs. Parmi les chrétiens sociaux on en comptait plusieurs qui faisaient partie de la Chambre depuis plusieurs années : Helleputte, premier président de la Ligue démocratique, élu en 1889, MM. Carton de Wiart et Renkin élus en 1896 ; leur talent, leur dévouement au parti et à ses œuvres, leur expérience parlementaire pouvaient les désigner au choix du Premier Ministre. Depuis 1900, la Chambre comptait en outre deux chrétiens sociaux de haute valeur : Verhaegen, président en exercice, et M. Levie, vice-président de la Ligue démocratique. Ce n’est pas parmi ces cinq hommes politiques que l’on choisit le ministre dont les attributions comprenaient la législation sociale ; on s’adressa au vice-président de la Fédération des Cercles et des Associations, ami personnel de Woeste, avocat de talent mais qui n’était entré au Parlement que depuis deux ans. A tort ou à raison, les catholiques sociaux crurent à une exclusive que le gouvernement et Woeste qui l’inspirait aurait portée contre leur groupe. Dans ses mémoires, Woeste reconnaît qu’il a déconseillé le choix de Levie et de Verhaegen mais non celui d’Helleputte.

Quoi qu’il en soit, la nomination de M. Francotte semblait prouver qu’à ce moment du moins, on ne voulait pas de catholiques sociaux au Ministère. On rompait ainsi avec les traditions du parti. Depuis toujours, il était admis qu’il y eût, pour les membres de la droite, des « questions libres », des questions sur lesquelles ils pouvaient se prononcer dans un sens ou dans l’autre sans cesser d’être du parti et de ses dirigeants. On avait compté, dans tous les ministères, depuis 1884, des partisans et des adversaires du service personnel, (page 100) de la protection agricole, de la représentation proportionnelle. Voici que, tout à coup, le gouvernement manifestait l’intention de considérer comme une cause d’excommunication les tendances politiques et sociales de la Ligue Démocratique et qu’il faisait des représentants démocrates, quels que fussent leur valeur et leur dévouement, des députés de seconde zone, en tout cas, non ministrables.

A la réaction très vive qui suivit la nomination de M. Francotte, seule la bassesse d’esprit peut donner pour mobile un froissement d’ambition personnelle. La question était plus haute et touchait aux principes fondamentaux sur lesquels le parti lui-même avait été constitué Son programme obligatoire comprenait la défense de l’Eglise, de la liberté religieuse, de l’enseignement confessionnel, de la patrie, de la société, de la famille. Il ne comprenait pas les idées de l’école conservatrice en matière sociale. Si l’on changeait les conceptions larges qui avaient fait sa force, si on lui imposait un credo étroit, si on procédait à de dures exclusives, on risquait de voir se former des groupes indépendants qui réclameraient légitimement leur droit à l’existence et à une complète autonomie. C’est ce qui faillit se produire. Les catholiques sociaux se réunirent ; M. Renkin déclara, dans l’Action Catholique, que le gouvernement aurait à tenir compte de ce groupe qui fit opposition à la première loi sociale présentée par M. Francotte. Grâce aux sages conseils de l’Episcopat et même du Souverain Pontife qui intervinrent à plusieurs reprises, grâce à la modération et à la bonne volonté des principaux dirigeants du mouvement social, ce ne fut pas la scission. De Trooz allait d’ailleurs se rapprocher de ce que l’on appelait la jeune droite. Mais avant d’arriver à ce résultat heureux, le parti catholique tout entier passa par une sérieuse épreuve.

5. La fortification du port d’Anvers

Le gouvernement avait déposé en 1905 un projet qui avait pour objet de faire d’Anvers le (page 101) plus grand port et la plus grande position fortifiée du monde. C’était sans aucun rapport avec le programme de la Ligue démocratique et l’on vit M. Levie, le vice-président de celle-ci, MM. Carton de Wiart et Renkin s’y rallier aussitôt. D’autres catholiques posèrent des questions et firent une vive opposition. Le Roi que l’Empereur Guillaume (on le sait aujourd’hui par les mémoires de Bulow) avait terriblement alarmé, fit une propagande personnelle pendant les fêtes du soixante-quinzième anniversaire mais sans révéler naturellement les causes de son inquiétude. Les projets anversois furent défendus avec beaucoup de talent par le gouvernement, par Delbeke, Woeste, M. Renkin et M. Paul Segers dont le beau et solide discours annonçait la brillante carrière qu’il devait faire. Ils furent critiqués par MM. Vandervelde et Hymans, par Verhaegen, Beernaert, Helleputte et d’autres. Personne ne songeait à s’opposer à l’agrandissement des installations maritimes mais on craignait les dangers de la « grande coupure » de l’Escaut ; on se demandait si elle n’allait pas changer les profondeurs du fleuve et transformer le régime des passes. Le fait est que même autorisé par le législateur, aucun ministre n’osa prendre sur lui de commander le travail envisagé et qu’on améliora autrement le port.

Au projet de fortification, on opposait qu’il n’était ni celui de la commission de 1900, ni celui de Brialmont ; qu’il ne répondait pas aux progrès de la science poliorcétique, qu’il rendait nécessaire une puissante armée dont nous étions totalement dépourvus. On contesta même qu’Anvers fût le réduit militaire rêvé. Les événements allaient donner à certaines de ces objections une confirmation douloureuse. Le projet finit par être voté mais à la condition d’être soumis, avant exécution, à une sérieuse étude.

6. La reprise du Congo par l’Etat belge

Une autre question de haute gravité nationale fut (page 102) la reprise du Congo. Les succès éblouissants du Roi avaient attiré sur son œuvre l’attention de tous les pays du monde et l’envie de certains hommes politiques ; on critiquait âprement en Angleterre, en France et même aux Etats-Unis, les procédés qu’il avait employés ; une enquête ordonnée par le Souverain lui-même révéla de nombreux abus dans l’organisation du travail forcé. Le Parlement insista pour que la reprise du Congo par la Belgique se fît avant que la Grande-Bretagne n’eût, comme elle menaçait de le faire, réuni une nouvelle conférence pour décider du sort de notre colonie. Le Roi céda à grand peine et y mit des conditions que le Parlement n’accepta pas.

Dans l’intervalle, De Smet de Nayer, coincé entre les mécontentements d’un Souverain qui trouvait que son gouvernement ne le défendait pas suffisamment au Parlement et les exigences d’un Parlement que les protestations de l’étranger émouvaient peut être plus que de raison, s’était fait renverser sur un amendement sans importance relativement à la durée du travail quotidien dans les mines. Sous prétexte de liberté économique, il avait joué l’existence du Cabinet sur la question de savoir si le gouvernement serait ou non autorisé à fixer cette durée par arrêté royal.

De Trooz avait remplacé De Smet et avait fait entrer dans son Cabinet deux démocrates M. Renkin, comme ministre de la Justice et Helleputte comme ministre des Chemins de fer. L’exclusive était levée mais cela ne simplifiait pas le problème de la reprise. De Trooz mourut. Très courageusement, Schollaert, appelé à le remplacer, exposa au Roi que le Parlement n’admettrait pas que la plus riche partie de la colonie fût soustraite à l’administration belge sous la dénomination de « fondation royale » ou de « domaine de la Couronne ». Le Roi qui n’avait jamais eu en vue que la prospérité de la Belgique et sa grandeur mais qui se défiait pour (page 103) la colonie du gouvernement parlementaire, feignit de céder ; il ne céda qu’à moitié ; après sa mort, on dut négocier avec les représentants du Roi Albert et les héritiers de Léopold II l’annulation de certaines fondations dont le Souverain n’avait révélé l’existence qu’à quelques initiés.

C’est un catholique, Beernaert, qui présidait le gouvernement, ce sont des catholiques qui constituaient la majorité quand Léopold II fut autorisé à devenir Souverain de l’Etat Indépendant ; c’est ce même ministre et cette même majorité qui lui donnèrent le premier concours de l’Etat belge ; c’est un ministère et une majorité catholiques qui réalisèrent à temps l’annexion. Le parti peut à bon droit s’applaudir de la part qu’il a prise dans l’une des plus belles pages de l’histoire de Belgique.

7. L’instauration du service militaire personnel

Schollaert était un chrétien sincère et des plus religieux. Célibataire - Woeste le faisait malicieusement observer - il menait une vie de moine dans le monde ; son dévouement était total. Ministre de l’Intérieur et de l’Instruction publique du ministère de Burlet, il avait réussi à faire voter une loi d’enseignement primaire qui renforçait l’instruction religieuse et une loi relative aux élections communales qui opposait une forte digue au parti socialiste. Si on l’avait suivi ainsi que Vandenpeereboom en 1899, la loi relative aux élections parlementaires aurait consacré pour toujours la prépondérance du parti catholique ; l’émeute l’avait renversé. Comme président de la Chambre, il avait montré une sûreté de jugement, un tact, une endurance et une activité remarquables. Ses adversaires politiques eux-mêmes rendaient hommage à la loyauté de son caractère et au désintéressement de ses intentions. De petite taille, la voix un peu rude, il ne visait pas à la haute éloquence ; sa parole était simple, dénuée de relief, un peu hésitante quand il improvisait ; on eut dit - mais ce n’était qu’une fausse impression - qu’il se traduisait lui-même du flamand en français ; son (page 104) argumentation était solide.

A peine arrivé au pouvoir, la question congolaise sur laquelle deux Premiers ministres étaient déjà tombés, avait mis son courage à l’épreuve ; la manière dont il l’avait résolue avait grandi son prestige. Il voulut aborder le problème militaire. Mal conseillé par son beau-frère Helleputte dont le talent éclatant ne répugnait pas toujours aux petites habiletés, il ne l’aborda pas de face comme devait le faire quatre ans plus tard M. de Broqueville. Le projet de loi qu’il présenta ne prévoyait pas le service personnel ; il supprimait en fait le vote annuel du contingent dont la Constitution fait une obligation légale et qui est d’ailleurs indispensable aux autorités militaires pour répartir les recrues dans les unités ; la partie flamande du pays où les familles sont plus nombreuses que dans la Wallonie allait supporter une moindre charge puisque l’on n’appelait au service qu’un fils par famille. Par contre, le projet augmentait, dans une proportion sensible, l’importance de l’armée ; la levée annuelle allait être de 18 à 21 mille hommes au lieu de 13,300.

MM. Helleputte et Renkin eurent l’habileté de faire porter le débat sur le service personnel, une de ces réformes-symboles qui dressaient aussitôt les deux gauches contre la majorité de la droite. Dans son désir de faire voter une amélioration à laquelle socialistes et libéraux étaient passionnément attachés et de mettre la droite en échec peut-être même de la diviser, l’opposition oublia les objections qu’elle avait elle-même formulées ; elle sacrifia aux Flandres la Wallonie et les grandes villes ; elle consentit que la levée ne fût plus fixée annuellement, elle vota les immunités ecclésiastiques, moyennant quoi le gouvernement consentit à rester au pouvoir bien que le service personnel eût été voté par l’opposition unie à un tiers seulement de la majorité contre une minorité composée des deux tiers de la droite.

(page 105) En cette année 1909, les craintes d’une guerre mondiale n’était pas encore bien vives. L’Europe venait de supporter l’annexion de la Bosnie et de l’Herzégovine et le conseiller diplomatique du gouvernement, le Baron Greindl, notre ministre à Berlin, dans une lettre du 1er avril 1909, écrivait que le plus sûr rempart de la paix était l’Allemagne. Il n’était d’ailleurs pas douteux, à son avis, « que la Russie et la France ne fussent animées d’un désir sincère de prévenir une conflagration européenne la Russie n’ayant rien de ce qu’il fallait pour faire la guerre (Rapports diplomatiques publiés pendant la guerre par le gouvernement allemand). Ainsi informé par nos représentants à l’étranger, sachant d’ailleurs, grâce à ses relations personnelles, que le gouvernement anglais était aussi éloigné que possible de toute initiative belliqueuse, comment Beernaert, l’un des hommes d’Etat les plus écoutés des grandes conférences internationales de la paix, n’aurait-il pas conservé son inébranlable optimisme ? Il l’exprima à la Chambre dans un fort éloquent discours qui traduisait le sentiment de beaucoup ; la guerre ne menaçait pas. D’autres furent plus clairvoyants ; la droite unanime devait montrer quelques années plus tard que, le danger national une fois révélé, elle était prête à prendre toutes ses responsabilités et que son opposition aux charges militaires n’était qu’un exercice pour temps calme. Schollaert - et l’on peut y voir une nouvelle preuve de son courage - ne se contenta pas de deux succès retentissants que lui avaient donnés la solution de la question congolaise et la réforme militaire ; il ne s’endormit pas sur ses lauriers.

Léopold II venait de s’éteindre après un admirable règne pendant lequel la Belgique avait atteint le sommet de la prospérité. Sans parler du Congo, (page 106) qui fera sa gloire dans l’histoire, il avait réussi, grâce à sa prodigieuse habileté, à faire passer le navire belge, sans une avarie, entre tous les écueils des batailles religieuses et sociales et à l’amener au port de la fortune. Il était mort dans le plus splendide et le plus orgueilleux isolement moral, ayant voulu que son corps ne fût suivi que par son neveu et par sa maison.

Le Gouvernement prit sur lui de ne pas respecter cette dernière volonté.

8. La question scolaire et la démission de Schollaert

Le roi Albert lui avait succédé. Peut-être eût-il été sage de ne pas éveiller tout de suite les grands débats politiques et de laisser au jeune Souverain le temps de prendre contact avec les hommes et les choses. Dès la deuxième année du règne, Schollaert voulut toucher à l’un des points névralgiques de notre politique intérieure et déposa, en 1911, un projet de loi qui consacrait l’obligation scolaire jusqu’à l’âge de 14 ans et la répartition égale des subsides de l’Etat, des provinces et des communes entre toutes les écoles primaires, communales ou privées. La répartition des subsides devait se faire par la remise aux parents d’un bon scolaire qui, transmis aux directeurs d’école, servirait à ceux-ci de titre de créance envers les pouvoirs publics.

Cette invention était malheureuse; il était à craindre qu’elle ne déchaînât la chasse à l’enfant par l’appât des subventions officielles. Personne ne pouvait croire, cependant que ce projet dont les principes fondamentaux devaient être acceptés, après la guerre, par un parlement unanime, susciterait, en 1911, un incroyable orage et amènerait la chute du ministère. C’est ce qui arriva; la gauche fit de l’obstruction et empêcha la constitution de la section centrale; la rue s’en mêla; Woeste ne manifestait d’ailleurs aucun enthousiasme pour le projet, et là où Schollaert avait vu un moyen de regrouper son parti assez mécontent depuis le vote de la loi militaire, assez désemparé par le résultat (page 107) des élections qui avaient réduit sa majorité à six voix, il n’y eut qu’une nouvelle occasion de malaise. Le roi Albert consulta les ministres d’Etat sur la situation, ce qui froissa Schollaert dont la démission parvint au Palais et fut acceptée.

9. Le cabinet de de Broqueville

9.1. de Broqueville

M. de Broqueville lui succéda. Il n’avait pas joué jusqu’alors un rôle bien important mais il allait se révéler. Député depuis 1892, il avait remplacé au Parlement Alphonse Nothomb dont les électeurs de Turnhout n’avaient plus voulu parce qu’il s’était prononcé en faveur du service personnel. Par un juste retour des choses, l’adversaire du service personnel de 1892 allait, en 1913, obtenir du Parlement le vote du service général. Ministre pour la première fois le 5 septembre 1910, il avait montré au Département des Chemins de fer beaucoup d’activité et un grand désir de bien faire. Neuf mois après, il était président du Conseil dans un des moments les plus difficiles.

A la suite des événements qui avaient amené la démission de Schollaert, quelle attitude allait prendre la droite de plus en plus désemparée, en apparence plus divisée que jamais? Si l’opposition la poussait un peu, comment les divisions n’éclateraient-elles pas au grand jour à propos du problème scolaire, parmi ces députés, les uns partisans, les autres adversaires de l’obligation et du bon scolaire; les uns estimant suffisants les subsides de l’Etat et l’intervention facultative des provinces et des communes, les autres voulant imposer aux provinces et aux communes l’égalité dans la répartition, les uns réclamant l’instruction jusqu’à l’âge de 14 ans et l’institution d’un quatrième degré d’enseignement primaire,, les autres - presque tous les représentants des circonscriptions rurales - trouvant qu’il ne fallait pas garder les enfants à l’école après leur douzième année?

Qui obtint - et par quels moyens? - que la gauche dont la situation n’avait jamais été si belle laissât dormir la question scolaire du 7 juin 1911 (page 108) jusqu’aux élections de 1912, on ne l’a jamais su. Etait-elle fatiguée de son effort et en jugeait-elle le premier résultat suffisant ? Espérait-elle gagner les suffrages des électeurs hésitants par une certaine modération ? Voulait-elle, dans un sentiment patriotique, éviter des secousses répétées à un jeune règne ? Le fait est que la session de 1911-1912 se termina sans discussion sur la question scolaire et même sans grande discussion politique. A l’opposé de Woeste, de Jacobs et même de Beernaert qui recherchaient ces discussions, y trouvant l’occasion d’exposer au pays le programme de leur parti, M. de Broqueville n’aime pas provoquer de grands débats publics ; il préfère développer ses idées dans des conversations de couloir ou de salon. C’est d’ailleurs comme on parle ou comme on lit dans un salon qu’il parle et qu’il lit à la Chambre ; son éloquence est volontiers familière, sa parole est facile, élégante et ne prend guère le ton oratoire. Gentilhomme racé, l’allure d’un officier de cavalerie en civil, s’il n’est jamais dépaysé même dans les séances les plus orageuses du Parlement, c’est à cause de son sang-froid, de son dédain souriant, mais sa voix ne domine pas les tumultes. Sans avoir fui la discussion, on peut croire qu’il fut très heureux de l’avoir évitée jusqu’à l’élection.

La dissolution de 1912 rendit au parti catholique une majorité inespérée de seize voix. Le cabinet de Broqueville était en quelque sorte plébiscité, ce qui allait lui permettre d’aborder les plus graves problèmes de l’heure : loi militaire, question électorale, loi relative à l’enseignement primaire.

9.2. La question militaire

Pour la loi militaire, M. de Broqueville eut le courage qui était en même temps une habileté, de ne pas prendre la question de biais, Il dit loyalement à la Chambre ses patriotiques inquiétudes. Tout le monde d’ailleurs était préparé à son exposé. Le grand pacifiste belge, Beernaert, était mort peu de temps auparavant, découragé de ce qu’il avait (page 109) vu et entendu à la dernière réunion internationale où il avait vainement essayé de faire interdire la guerre par avions. Depuis 1909, trois grands conflits avaient éclaté en Europe l’Italie d’abord, les nations balkaniques ensuite contre la Turquie, la Serbie et la Grèce contre la Bulgarie ; l’atmosphère européenne était chargée d’électricité. Le maréchal anglais Lord Roberts avait publiquement annoncé, en octobre 1912, que l’Allemagne attendait le moment où ses armements navals seraient achevés pour attaquer la Grande-Bretagne ; l’Autriche-Hongrie déclarait qu’elle était arrivée à la limite de ses concessions à la Serbie ; on disait que de puissantes influences russes cherchaient à entraîner le Tsar à la guerre. M. Poincaré, tout en protestant de son amour de la paix, faisait entendre que la guerre est tout de même préférable à l’abdication nationale et l’Allemagne accroissait son armée dans des proportions formidables. M. de Broqueville n’ajouta aucun renseignement précis à ce que tout le monde savait ; mais l’accent de conviction, la sincérité avec lesquels il affirma qu’en cas de guerre, le territoire belge serait délibérément violé par l’Allemagne ne laissa aucun doute sur la gravité inquiétante de ses informations.

La loi fut votée, le 28 mai 1913, par 103 voix contre 62 ; une douzaine de membres de la gauche libérale s’étaient joints à la droite. Mais lorsqu’il s’agit, à la session suivante, de voter les moyens financiers d’exécuter la loi, le nombre des libéraux qui apportèrent leur concours au gouvernement fut bien moins élevé. Les élections de 1914 firent perdre deux sièges aux catholiques ; elles furent influencées par le vote de la loi militaire et des lois d’impôts que libéraux et socialistes reprochèrent à la majorité. Deux mois avant l’ultimatum allemand, l’opposition espéra donc renverser le gouvernement catholique parce qu’il avait amélioré notre état militaire ! Les nouveaux élus de l’opposition, qui ne (page 110) devaient leur siège qu’à leur hostilité aux mesures de défense nationale, allaient d’ailleurs, pendant la guerre, se montrer aussi patriotes que quiconque. Tels sont les jeux de la politique de village que l’on ne pratique que trop en Belgique.

9.3. La question électorale

Dans la question électorale, M. de Broqueville fut moins heureux. La gauche socialiste réclamait avec âpreté la révision de la Constitution ; la gauche libérale était d’accord avec elle sur ce point. Les socialistes n’avaient cessé de demander le suffrage universel pur et simple ; les libéraux n’avaient cessé de critiquer le vote plural. Suivant une tactique maladroite qui ne lui avait pas mal réussi en 1893 mais qui avait complètement échoué en 1902, le parti ouvrier voulut appuyer cette revendication d’une grève générale. M. de Broqueville était partisan convaincu de la révision. Il l’était à ce point que sa retraite était chose décidée dans son esprit s’il ne réussissait pas à faire les élections de 1916 sous l’empire du régime nouveau (Discours prononcé pur M. de Broqueville à la Chambre, le 26 mars 1919) mais il estimait, d’autre part, et toute la droite avec lui que l’on ne pouvait délibérer sous la pression de la grève. La gauche libérale pensait de même ; M. Hymans suggérait seulement que, la grève arrêtée, le gouvernement nommât une commission qui étudierait la réforme constitutionnelle. A cette proposition conciliante, on pouvait voir deux avantages : d’abord, puisque la seconde révision était probable à brève échéance, lui éviter, par l’étude et la réflexion, certaines improvisations qui avaient fâcheusement marqué la première ; en outre, à un moment où l’on cherchait à unir toutes les énergies pour l’éventualité d’un danger national, atténuer les irritations. La droite ne le comprit pas. La voyant tout émue à la pensée de faire une concession à (page 111) la gauche socialiste, Woeste intervint avec son énergie habituelle et, dans un discours improvisé, coupa les ponts que MM. Vandervelde et Hymans s’étaient efforcés de jeter. La grève générale fit long feu mais les socialistes prirent prétexte de l’attitude de la droite pour refuser leurs votes à la réforme militaire.

9.4. La question scolaire

Depuis 1907, le ministre de l’Instruction publique portait le titre de ministre des Sciences et des Arts. M. Poullet qui avait remplacé M. Schollaert à ce département déposa et défendit avec un très grand talent, soutenu par Woeste rapporteur de la section centrale, un projet de loi qui reproduisait les dispositions fondamentales de celui de Schollaert mais avec les amendements que les réactions de l’opinion publique avaient suggérées : les sanctions de l’obligation étaient renforcées, les subventions de l’Etat aux écoles privées étaient augmentées, on n’imposait plus aux communes d’y joindre les leurs, le bon scolaire disparaissait, une période transitoire était prévue pour l’obligation jusqu’à l’âge de 14 ans. Les gauches ne firent à ce projet qu’une opposition légale; il fut voté à une forte majorité.

10. L’action de la Ligue démocratique au sein du parti catholique

Entre 1900 et 1914, le parti catholique a singulièrement évolué, ainsi d’ailleurs que les deux partis qu’il avait en face de lui. Les causes de division que Woeste signalait en 1897, avec une sagacité aiguisée d’amertume, ont agi; deux groupements se sont formés dans le parti. Ce qui les a opposés l’un à l’autre, ce n’est pas tant l’exercice du droit qu’on a fini par reconnaître aux ligues démocratiques de désigner leurs candidats sur des listes communes; on a usé ou on n’a pas usé de ce droit suivant les utilités électorales des différentes circonscriptions; ce n’est pas seulement l’existence dans le pays de deux puissantes fédérations rivales : la Fédération des cercles et des associations d’une part, la Ligue démocratique, de l’autre; c’est, avant tout, le fait qu’il y a, chez les catholiques, des intérêts matériels (page 112) et intellectuels divergents. Plus les électeurs sont nombreux, plus les intérêts divergents se multiplient et plus l’acuité des divergences s’accentue.

La Ligue démocratique, représentant plus spécialement les travailleurs catholiques, n’a pas limité son programme aux lois et aux œuvres sociales ; elle a voulu avoir sa solution de la question militaire et elle s’est prononcée pour le service personnel par préoccupation d’égalité ; elle a voulu avoir sa solution de la question scolaire et elle s’est prononcée pour l’obligation de l’instruction, il n’y a pas jusqu’au « bon scolaire » dont l’idée ne soit venue de ses dirigeants. Son influence ne s’exerce pas seulement sur les élus qu’elle désigne pour les listes communes ; elle s’exerce aussi dans les vieilles associations catholiques. Dans l’arrondissement de Namur, par exemple, il n’y avait de 1900 à 1914 qu’une association politique mais à côté d’elle, il y avait une fédération d’œuvre sociales : la fédération ouvrière affiliée à la Ligue démocratique ; les délégués de la fédération ouvrière étaient en même temps délégués à l’association catholique où ils formaient la majorité ; il en résultait que le programme de cette dernière était, quoique un peu atténué, celui de la Ligue démocratique. Dans combien d’autres petits arrondissements, la situation n’était-elle pas pareille ?

L’influence indirecte de la Ligue démocratique sur la Fédération des Cercles et des Associations s’est manifestée avec éclat en 1899, année où Woeste, ayant mis son mandat de président à la disposition de l’assemblée qu’il dirigeait depuis quinze ans, se vit discuté pendant deux séances et finit d’ailleurs par être réélu à une forte majorité après un discours où il déploya toutes les ressources de son éloquence et où il s’expliqua sur sa conduite et sur sa politique.

Dans d’autres domaines, l’action directe de la Ligue démocratique est beaucoup plus visible encore. Nous venons de le dire pour le service personnel et pour l’instruction (page 113) obligatoire ; c’est de chez elle aussi que sortirent presque tous les partisans catholiques de la démocratisation de l’impôt réalisée par M. Levie à l’occasion des dépenses militaires. Le vote des lois sociales reprit, après l’entrée au Parlement des démocrates, à une allure plus accélérée : loi sur la réparation des accidents du travail du 24 décembre 1903, loi sur le repos du dimanche dans les entreprises industrielles et commerciales du 17 juillet 1905, augmentation annuelle des subventions de l’Etat pour les pensions de vieillesse, loi sur la durée du travail dans les mines du 31 décembre 1909, loi sur l’interdiction du travail de nuit des femmes employées dans l’industrie du 10 août 1911, loi prescrivant de mettre des sièges à la disposition des employés de magasin du 25 juin 1905, loi relative au logement des ouvriers employés dans les briquetteries et les chantiers du 30 avril 1909, loi relative à l’emploi de la céruse du 20 août 1909.

A côté de la Fédération et de la Ligue est né, prospère et grandit le Boerenbond, puissante fédération d’œuvres rurales du pays flamand. Elle ne réclame pas encore, pendant cette période, le droit de désigner des candidats pour les élections mais son influence commence à s’exercer indirectement. Helleputte et Schollaert comptent parmi ses dirigeants.

11. Le maintien de l’union du parti catholique

Pour toutes ces raisons, il devient plus difficile de maintenir l’union du parti. Elle fut cependant maintenue puisque chaque gouvernement trouva une majorité fidèle qui vota régulièrement ses budgets. Par ailleurs, le nombre des questions qualifiées « libres » s’accrut.

Si le parti ne se divisa pas, il le dut en premier lieu à la sagesse et à la bonne volonté de ses chefs. Woeste, sous des dehors tranchants, savait, quand il estimait l’intérêt religieux en cause, faire, sans en avoir l’air, des concessions importantes ; on ne peut oublier qu’il vota presque toutes les lois sociales (page 114) après avoir cherché à les modifier, qu’il fut le rapporteur de la loi sur l’instruction obligatoire, qu’il défendit la loi sur le service militaire généralisé. De l’autre côté, le président de la Ligue démocratique, Arthur Verhaegen, était animé des intentions les plus conciliantes et les plus désintéressées. L’auteur de ces pages, qui a eu avec lui d’innombrables entretiens sur ces questions, l’a toujours trouvé profondément désireux de maintenir l’union du parti tout en lui conservant le succès. A plusieurs reprises, Verhaegen intervint en qualité de médiateur et parvint à éviter des divisions locales. Lorsqu’il fut avéré que l’abbé Daens entendait scinder les troupes catholiques, il eut le courage de proposer et le talent de faire voter son exclusion de la Ligue démocratique malgré les nombreux partisans que ce malheureux prêtre y comptait. A la Chambre, il proposa à plusieurs reprises des solutions conciliantes. La conciliation fut toujours provoquée et encouragée par l’Episcopat et par le Souverain Pontife ; les deux primats de Belgique. Leurs Eminences Goossens et Mercier et tous les évêques belges, à l’exception de l’Evêque de Namur, Monseigneur Decrolière, tinrent à assister à l’un ou à l’autre des Congrès annuels de la Ligue démocratique. Le Pape répondit affectueusement aux adresses que lui envoyaient annuellement les deux fédérations rivales. (Verhaegen devait, hélas, périr victime des brutalités allemandes. Ingénieur très distingué, ayant fait une étude spéciale du régime des eaux dans les environs de la position fortifiée d’Anvers, il s’enrôla à l’âge de 70 ans pour pouvoir aider de ses conseils le général du génie chargé de tendre les inondations. Rentré à Gand après la prise d’Anvers, il fut envoyé en captivité par les Allemands et ne revint en Belgique que pour y mourir en 1917).

Si la modération des dirigeants fut pour beaucoup dans le maintien de l’union catholique, comment se (page 115) dissimuler, d’autre part, que le rapprochement de plus en plus marqué des partis socialiste et libéral ait contribué à resserrer les liens entre catholiques de toute opinion. Il n’y a jamais eu, sur le terrain électoral, de séparation absolue entre les deux partis de gauche. Avant la représentation proportionnelle, le « cartel anticlérical » était conclu, pour les élections, dans plusieurs arrondissements, et les électeurs de Nivelles, de Liége, de Namur notamment envoyaient à la Chambre socialistes et progressistes élus sur une liste commune. Aux premières applications de la représentation proportionnelle, on put croire un moment que chacun des deux partis allait reprendre son autonomie complète, mais ils s’aperçurent assez tôt qu’à se présenter sur listes séparées, ils perdaient l’un et l’autre des voix inutilisées ; peu à peu ils reprirent l’habitude, dans quelques arrondissements, de faire liste commune. Le désir de renverser le parti catholique les amena à s’unir aussi après l’élection. MM. Hymans et Vandervelde marchèrent pendant un certain temps la main dans la main. Cette entente des libéraux et des socialistes en vue d’une administration commune eut pour résultat d’atténuer le caractère révolutionnaire du parti ouvrier et de le préparer au rôle qu’il allait jouer pendant et après la guerre.

La menace d’un gouvernement cartelliste fut pour beaucoup dans l’union catholique.