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Au temps de l'unionisme
DE BUS DE WARNAFFE Charles - 1944

Charles DU BUS DE WARNAFFE, Au temps de l’unionisme

(Paru en 1944 à Tournai et Paris, chez Casterman)

Chapitre II. Au Congrès national en 1830

La commission de constitution - Installation du Congrès - Election du bureau - Le Congrès et le gouvernement provisoire - La proclamation d'indépendance - La forme de gouvernement - L'exclusion des Nassau - La question du Sénat - Les questions religieuses

(page 27) La physionomie de François du Bus est multiple ; Ce serait non seulement la fausser, mais la trahir, de ne saisir en elle que les traits de l'homme public.

Nature remarquablement équilibrée, servie par une intelligence d'élite et par une volonté d'acter, elle trouva certes dans la politique - parce que c'est la lutte - un de ses terrains de prédilection. Mais François du Bus fut juriste avant d'être constituant et législateur, il le resta avec un éclat accru après que la loi sur les incompatibilités, en 1848, lui eut fait opter pour la présidence du tribunal de première instance de Tournai, qu'il assumait depuis 1832.

Président du tribunal civil, il ne fut pas seulement juriste ; l'archéologie et l'histoire, une passion des livres qui l'amena constituer l'une des plus belles bibliothèques du pays, complétaient chez lui, en l’adoucissant, l'austérité de l’homme de loi.

Du passé et des livres, il savait par surcroît descendre vers l'existence en humain qui en connaît le prix, et n'ignore pas comment la rendre plus belle - ou plus savoureuse : son frère Edmond savait à quel connaisseur il s'adressait lorsqu'en 1867, à (page 28) sa campagne d'Ere, il créa une poire fine de septembre qu'il dédia à son aîné : le beurré Saint-François.

Nous ne mutilerons pas l'homme en n'en montrant qu'un des aspects ; mais c'est le politique d'abord et surtout que nous ferons revivre en lui.


Né à Tournai le 22 janvier 1791, bachelier ès lettres en 1807, bachelier en droit le 9 août 1809, il présente en 1810, à l’université impériale de Bruxelles, sa thèse pour l'obtention du grade de licencié en droit. L'acte public, soutenu le 27 juin 1810, comprend en droit romain la pétition d’hérédité ; dans le code Napoléon, les modes d'extinction de l'usufruit. En droit public, François du Bus développe que « plus un Etat est étendu et peuplé, plus il lui convient d'être monarchique. Ce principe s'est fait vivement sentir dans les diverses époques de la révolution, et les nouvelles constitutions n ont pu manquer de le revêtir d'une honorable sanction. »

Il obtient la licence en droit le 24 juillet 1810, et le 13 novembre suivant il prête un serment d'avocat qu'il réédite, le 18 mars 1817, sous le régime hollandais.

Inscrit au barreau de Tournai en 1811, il est nommé juge suppléant au tribunal le 20 mars 1819, confirmé dans ces fonctions le 9 octobre 1830. Il en sera nommé Président le 4 octobre 1832 et y exercera ces fonctions jusqu'en août 1867.

Sa carrière politique débute alors qu'il a trente-trois ans, par sa nomination comme membre à vie du conseil de régence de la ville de Tournai, le 8 mars 1824.

Cette nomination lui est notifiée par le Bourgmestre, comte B. de Bethune, en une lettre qui est trop courtoise pour mériter l'oubli :

(page 29) « Nous allons, Monsieur, nous livrer aux mêmes travaux pour la plus grande prospérité de notre ville. Puisse un but aussi précieux entretenir constamment dans la plus parfaite union nos efforts et nos pensées ! Je tâcherai d'apporter, dans l'exercice de mes fonctions, les bonnes intentions, le zèle et l'assiduité dont mon respectable Prédécesseur m'a donné l'exemple. J agirai envers mes honorables collègues avec la franchise, la confiance, la cordialité que chacun d'eux m'inspire, et je m'estimerai on ne peut plus heureux si, par leur réciprocité de sentiments sur laquelle je compte, et l'aide de leurs lumières, la Magistrature que j'aurai l'honneur de présider, parvient faire quelque bien.

« Votre très humble et très respectueux serviteur,

« Le Bourgmestre de la ville de Tournay »

Cette nomination « à vie » devait avoir, pour François du Bus, la même pérennité que la nomination à vie de son père au conseil de Tournai-Tournaisis. Ce que la révolution française avait fait précaire pour le second, la révolution de 1830 allait le rendre caduc pour le premier.

Le 5 juin 1824, François du Bus est élu député du district de Taintignies aux Etats du Hainaut. Ce mandat d'un an n'est pas renouvelé, mais élargit les horizons de son titulaire.

Puis, c'est la révolution.

Le 10 octobre 1830, François du Bus reçoit un pli arrivé de Bruxelles. Il émane du comité central du gouvernement provisoire. Daté du 9, il porte les signatures de De Potter, Ch. Rogier, Sylvain Van de Weyer et, par ordonnance, du secrétaire Vanderlinden.

(page 30) Ce dernier, par une lettre d'accompagnement, lui mande :

« J'ai l'honneur de vous transmettre ci-joint ampliation de l'arrêté du Gouvernement provisoire en date de ce jour qui vous adjoint au comité de Constitution réuni à Bruxelles. En conséquence vous êtes invité, Monsieur, à vous rendre au plus tôt en cette ville, afin de vous associer immédiatement aux travaux du comité susdit »

Du plan communal et provincial, François du Bus est appelé à tenir un rôle à sa mesure, Sur le plan national.

Le 3 novembre 1830, il est élu membre du Congrès, dont l'assemblée, primitivement fixée au 8, est remise au 10 novembre. Mais, le 5 novembre, il est informé par le gouvernement provisoire que ce dernier, « ayant résolu de charger la commission de Constitution de confectionner un projet de Règlement d'ordre pour la prochaine assemblée du Congrès national », le prie de se joindre aux autres membres de ladite commission, le lundi 8 novembre, à l'effet de s'occuper immédiatement de ce projet.

C'est pourquoi la veillée du 7 novembre, rue des Sœurs-Noires, est empreinte de gravité mélancolique : du Bus aîné quitte les siens, non seulement comme membre de la commission de Constitution, mais aussi comme membre du Congrès. Combien de temps dureront les travaux de ce dernier ? Quels furtifs revoirs permettront les labeurs de ceux qui s'y consacreront avec l'âme qu'on sait François du Bus capable d'y mettre ?

Il vaut presque toujours mieux ne pas connaitre l'avenir.

S'ils avaient su, sous la lampe, qu'il entamait une vie publique de dix-huit années...


(page 31) Cette vie publique peut se diviser en trois périodes, comprises dans trois cadres de notre jeune politique indépendante : le Congrès national (novembre 1830 à juillet 1831) ; la Chambre sans partis, de la fin de 1831 à l'année 1840 qui, au lendemain du déchirement de la Patrie par la séparation du Limbourg et du Luxembourg, marque la fin de la période révolutionnaire ; enfin la Chambre de politique nouvelle où s'infiltre la division dont, en 1840, Devaux cultive les germes en fondant la Revue nationale qui répudiera les principes de l'union à laquelle, en 1846, le congrès de l'Alliance portera le coup de grâce.

Deux ans plus tard, en 1848, du Bus aîné quittera la scène politique.

François du Bus entra au Congrès par son antichambre, la commission de Constitution. Celle-ci avait été créée le 6 octobre par le gouvernement provisoire qui y désigna d'abord Gerlache, Ch. de Devaux, Van Meenen, Tielemans, Balliu, Zoude et Thorn. Mais « le gouvernement provisoire s'était réservé d'adjoindre à la commission les hommes les plus distingués de toutes les provinces » (Th. Juste, Le Congrès national de Belgique, I, p. 60.) et il y ajouta ainsi Lebeau, Blargnies, Nothomb et du Bus, lequel, comme nous l'avons vu, reçut le 10 octobre l’ampliation de l'arrêté qui l'avait nommé la veille.

Cette commission mit immédiatement les fers au feu, au point qu'après avoir commencé par se prononcer pour une forme monarchique de gouvernement, le 16 octobre elle avait arrêté les bases de la Constitution, et que le 25 octobre elle adoptait (page 32) le projet rédigé sur ces bases par Nothomb et Devaux.

Conscients de ce qu'ils ne voulaient plus, - et c'est ordinairement facile, mais sachant aussi ce qu'ils voulaient, et c'est infiniment plus rare -, quelques hommes insuffisamment nombreux pour former une assemblée qui devient vite une cohue, mais assez nombreux pour se garantir les avantages d'une délibération collégiale, dotaient ainsi le pays, en deux semaines, du texte qui allait tracer le cadre de sa vie publique pendant plus d'un siècle. Les dures leçons de la révolution brabançonne, et les stériles divisions qui s'y étaient étalées, avaient porté leurs fruits.

L'ouverture du Congrès eut lieu le 10 novembre. Le soir même, François du Bus écrit à son frère :

« Moins que jamais je suis alarmiste. La séance du Congrès a été on ne peut plus paisible. Le peuple n'a pas fait la moindre démonstration qui annonce l'intention de troubler l'ordre ni le Congrès. Une foule de curieux. Point de factieux. Je sais d'ailleurs que par l'intermédiaire du clergé, qui a tant de rapports avec la classe des prolétaires, on a sondé ses dispositions et qu'il n'y en a, chez elle, aucune au désordre, que même elle paraît sentir que l'ordre seul peut lui assurer des moyens d'existence.

« Au reste une partie considérable de la garde civique avait été mise sous les armes. Au besoin a nous aurions été protégés.

« Vous aurez vu le programme dans les feuilles. On s'y est conformé. Seulement je vous dirai qu'une députation de deux membres a été recevoir le gouvernement provisoire et l'a introduit dans l'assemblée ; qu'à son entrée tout le monde s'est levé et la salle a retenti des applaudissements des députés et des spectateurs ; que M. De Potter a (page 33) prononcé un discours (dont François du Bus a donne le résumé).

« De nombreux applaudissements ont accueilli le discours, qui a été terminé par la déclaration qu'au nom du peuple belge le Congrès est installé. Il nous a été dit trois ou quatre fois dans ce discours que nous sommes les élus du peuple et que nous le représentons.

« Troisième salve d'applaudissements, lorsque le gouvernement provisoire a quitté la salle. »

Tous les procès-verbaux de validité des élections au Congrès avaient été trouvés réguliers, sauf pour un député de Courtrai, et pour un élu de Tournai, Pailliot, qui était né français.

Le 11 novembre, le Congrès eut se prononcer sur les cas litigieux. L'élection de Pailliot fut, à l'unanimité, déclarée nulle. Le soir, François du Bus mettait son frère au courant de l'incident auquel, à son estime, il se trouvait désagréablement mêlé :

« La commission, à la même unanimité, a pensé que c'était le premier suppléant qui devait être appelé. L'Assemblée l'a encore déclaré ainsi. C'est donc M. Lecocq qui viendra siéger au Congrès.

« Je doute que cette deuxième question soit bien conforme aux arrêtés. La question me semble au moins douteuse. Mais vous allez juger si je pouvais prendre la parole pour combattre la proposition de la Commission.

« Il se trouve que le commissaire du district de Tournay a écrit au comité de l'Intérieur pour signaler l’inéligibilité de Pailliot ; qu'il a envoyé une note dans laquelle les questions de son éligibilité et de son remplacement étaient traitées ; qu'il a signalé dans cette lettre tous les députés du district, à l'exception de moi, comme des contre-révolutionnaires ; qu'il a recommandé au (page 34) comité d'employer son influence pour faire appeler Dumortier, plutôt que Lecocq, en remplacement de Pailliot.

« Il se trouve enfin que cette lettre du Commissaire, et la note y incluse qui se trouve être de l'écriture de Dumortier, ont été envoyées, avec les procès-verbaux mêmes, au Comité de l'Intérieur du Congrès et fournies à la septième section qui a examiné les procès-verbaux des élections du Hainaut.

« M. Lehon a insisté pour qu'elle fût lue. On voulait faire du scandale public. La Chambre, à une immense majorité, ne l'a pas voulu. Mais cela n'a pas moins fait la sensation la plus pénible sur toute l'assemblée. Et vous conviendrez qu'il est vraiment fâcheux pour moi de me trouver mis ainsi à part de tous mes collègues sans exception. Jusquf’ Trentesaux, tout le monde, sauf moi, est réprouvé par cette lettre.

« L'esprit de parti est, par la coïncidence des événements, ici tellement en évidence, que loin de servir les intentions de celui qui a écrit, cela devait lui faire le plus grand tort.

« Je déplore que, sans aucun but possible d'utilité, on ait écrit une pareille lettre ; je déplore encore plus que le département de l'Intérieur ait commis l'indiscrétion, car c'en est une, de la communiquer. »

Minime incident, sans autre importance que de montrer François du Bus sous des aspects où on le retrouvera dans la suite ; amoureux de ce qu'il tient pour la vérité, adversaire du bruit autour de sa personne, ennemi de l'esprit de parti, rigoureux à l’égard de l'administration dans l’observance des règles de sa mission.

Son intime désir ne pouvait être que de voir siéger à côté de lui son inséparable ami, Barthélémy Dumortier. Il en fait son deuil : « Ma lettre vous met a même d'expliquer à Barthélémi Comment son espoir s'est évanoui en fumée. »


(page 35) Le Congrès inauguré, les pouvoirs de ses membres validés, il restait à constituer régulièrement l'assemblée en la dotant d'un bureau. C'est à quoi fut consacrée la journée du novembre.

« Une grande partie de notre séance d'aujourd'hui a été consommée en scrutins, ou plutôt elle a été tout entière employée en scrutins et en discussions d'un intérêt minime. On testicote (sic) beaucoup, quelquefois sur des misères, tandis que les circonstances sont là qui nous pressent, et qu'il serait si urgent de constituer la nation.

« C'est M. Surlet de Chokier qui est président. M. de Gerlache l'eût été s'il l’avait voulu. Les deux vice-présidents sont MM. de Gerlache et de Stassart. M. Le Hon n'a eu que huit voix pour la présidence. »

Le Congrès décida en outre, ce jour-là, qu'une commission de neuf membres (un par province) rédigerait une réponse au discours du gouvernement provisoire.

Cette décision fit l'objet des premières délibérations du lendemain 12.

« Plusieurs membres avaient, depuis hier, fait des réflexions sur la réponse qu'il avait été décidé que ferait une commission à nommer aujourd'hui. Les uns craignaient de bonne foi les difficultés que la discussion même de la réponse pouvait soulever, et même l'effet qu'elle pourrait produire à l'étranger. Les autres voyaient avec peine que l'on se disposât à témoigner au gouvernement provisoire la reconnaissance qui lui est due. Avant l'ouverture de la séance de ce matin, il était manifeste, d'après les conversations particulières, que des tentatives seraient faites pour faire revenir de la décision d'hier.

« M. Van Meenen a proposé qu'il fût procédé, (page 36) toutes autres affaires Cessantes, à la discussion du règlement d'ordre et que les résolutions prises, depuis que la Chambre est constituée, autres que celles relatives à la vérification des pouvoirs et à la composition du bureau, fussent déclarées non avenues, sauf à remettre leur objet en délibération dans les formes qui seront tracées par le règlement d'ordre qui sera adopté. A l'appui de cette proposition, il soutenait en principe qu'aussi longtemps que le règlement d'ordre n avait pas été adopté, l'assemblée n'avait pu prendre de résolution. Principe qui me paraît évidemment faux. Mais tout le monde a senti que c'était la résolution d'hier que l'on voulait faire tomber.

« M. Lebeau a demandé l'ordre du jour...

« A la traverse s'est jeté l'abbé De Foere, qui a prononcé un discours long et traînant pour établir ce qu'il appelait une question préalable, savoir qu'avant d’adresser une réponse au gouvernement provisoire, il fallait savoir si ce gouvernement existe encore et il soutenait que dès le moment où le Congrès avait été constitué, le gouvernement provisoire n'existait plus.

« En définitive, on a été aux voix. Et 94 voix sur 167 ont décidé qu'il fallait passer de suite à l'ordre du jour qui était la nomination de cette commission. »

Cette Commission étant nommée, le Congrès passa à la discussion du rapport présenté par Gerlache au nom de la commission du règlement. Le projet de ce dernier avait été établi par la commission de Constitution ; la Commission du règlement n'y avait apporté que des changements de détail.

« Ce règlement a été alors mis en délibération, article par article. Une foule de modifications, adjonctions, changements de rédaction ont été proposés par divers membres, quelques-uns a acceptés, le plus grand nombre rejetés. Cela a (page 37) consumé inutilement un tems précieux. Il semblait que le démon de la chicane avait pénétré dans notre enceinte ; et tout cela sans que les auteurs de ces frivoles amendements y missent de la mauvaise intention. Mais ils avaient besoin de parler et de faire parler d'eux. »

Les débats sur le règlement furent interrompus à quatre heures. Le Président donna alors lecture d'une lettre du gouvernement provisoire annonçant au Congrès une communication importante et lui demandant quand il pourrait l'entendre.

« A l'instant, s'est-on écrié.

« On a envoyé s'assurer si les membres du gouvernement provisoire étaient encore assemblés. On leur a fait connaître, par une lettre, que l'assemblée attendait la communication promise.

« M. Rogier, président du gouvernement provisoire, est venu la faire en personne. Deux membres du Congrès sont allés le recevoir et l'ont introduit. Il a déclaré que les membres du gouvernement provisoire, informés officiellement que le Congrès était constitué, s'empressaient de déposer et de remettre entre ses mains l'autorité dont ils avaient été temporairement investis. Il s'est retiré avec le même cérémonial.

« Il ne peut y avoir absence du pouvoir exécutif, s'est écrié alors M. de Stassart. Il propose que sur-le-champ les membres du gouvernement provisoire soient invités au nom de la patrie elle-même à continuer les fonctions de pouvoir exécutif. Cette proposition est couverte des applaudissements de l'assemblée et des tribunes.

« M. le Comte de Quarré prend la parole. Il demande que des remerciemens leur soient votés pour les services éminens qu'ils ont rendus à la patrie. Il était si pénétré des sentimens de reconnaissance qu'il voulait que l'on exprimât, que des larmes s'échappaient de ses yeux. Nouveaux et unanimes applaudissemens.

(page 38) « M. Le Hon prend la parole pour appuyer la proposition de M. de Stassart. Mais en même temps, il fait remarquer qu'il faut déterminer les limites et la durée du pouvoir que l'on continue et qui ne peut plus être indéfini, comme il l'a été par la force même des choses.

« On répond que ce pouvoir sera le pouvoir exécutif et que sa durée sera jusqu'à ce qu'il y ait été autrement pourvu.

« Le Président donne lecture de la teneur da message à faire. Il contient, outre les remerciemens, l'expression du désir et même de la volonté du Congrès national, que le gouvernement provisoire continue l'exercice du pouvoir exécutif jusqu'à ce qu'il y ait été autrement pourvu.

« Le Président et les secrétaires quittent la salle pour aller faire verbalement cette communication.

« Ils reviennent au bout de trois quarts d'heure. Ils communiquent à l'assemblée la réponse écrite signée des membres du gouvernement provisoire. Ils cèdent à la volonté du Congrès, organe de la nation, et acceptent ce nouveau mandat. Nouvelle salve d'applaudissemens.

« La séance est levée vers six heures du soir. J'étais là depuis neuf heures et demie du matin.

« Demain nous achevons la délibération sur le règlement. »


Le pouvoir exécutif confirmé dans ses fonctions, le Congrès constitué et son règlement voté, rien n'empêchait ce dernier d'aborder les grandes tâches pour lesquelles il était réuni.

Trois capitales questions attendaient de sa part une décision : la proclamation de l'indépendance, la forme du gouvernement futur, l'exclusion des Nassau.

L'indépendance de la Belgique avait été proclamée (page 39) par le gouvernement provisoire le 4 octobre, mais il fallait un acte de la représentation nationale. La révolution s'était faite contre le régime imposé au pays par le roi Guillaume, mais non contre le principe monarchique, pas plus qu'en France, la révolution de juillet n'avait voulu atteindre la royauté en se débarrassant de Charles X, mais encore fallait-il que l'organe de la nation se prononçât à ce sujet. Enfin la question de la dynastie des Nassau et de son rôle en Belgique dans l'avenir était de celles sur laquelle le pays attendait une déclaration solennelle.

Par quoi commencer ? Il s'éleva des voix pour demander la priorité en faveur de la proposition d'exclusion des Nassau ; combattue par certains, appuyée par d'autres, après une intervention de Nothomb elle fut rejetée par 97 voix contre 77.

« Une circonstance que les journaux ne signaleront peut-être pas, c'est que M. Ch. Le Hon, après un exorde en phrases assez ronflantes sur la question de priorité, a tout coup perdu le fil de ses idées et s'est vu réduit à l'avouer... Je dois vous dire encore qu'il a parlé pour la priorité et voté contre. Il croyait d'abord qu'un grande majorité était pour. »

Les 16 et 17 novembre, François du Bus n'écrit probablement pas cela sans une certaine ironie. Il tient à l'œil Ch. Le Hon, député de Tournai...

Le 17, le Congrès entama la discussion sur la proclamation d'indépendance. Toutes les sections avaient été favorables. Le 18 novembre, les membres présents la votèrent à l'unanimité, pour attaquer le lendemain le problème de la forme de gouvernement.

« Aujourd'hui est à l'ordre la question de Monarchie ou de République. L'immense majorité est pour la monarchie constitutionnelle, ce que (page 40) j'ai appris. Cela ne fait donc, pour ainsi dire, pas une question. Cependant hier, il y avait déjà quatorze orateurs inscrits pour parler aujourd'hui »

François du Bus écrit le surlendemain, 21 :

« La continuation de la discussion sur la question de la forme du gouvernement est continuée à demain à dix heures. Déjà environ vingt-cinq orateurs ont été entendus. Une immense majorité se prononce pour la monarchie constitutionnelle avec un chef héréditaire. C'est la base principale de notre projet de constitution »

Elle est adoptée, le 22 novembre, par 174 voix contre 13.

Reste, pour parfaire la trilogie, l'exclusion des Nassau. La discussion est entamée le 23 novembre.

« On discute aujourd'hui la proposition d'exclusion à perpétuité des Nassau, écrit François du Bus de son banc. En ce moment, le 23ème orateur achève son discours. Il est quatre heures et il reste encore a une vingtaine d'orateurs inscrits. J'ignore donc si la discussion sera close aujourd'hui. Pendant que j'écris ces lignes, on demande la clôture. M. de Gerlache pense qu'il ne faut pas fermer brusquement la discussion sur une question de cette importance. Il pense encore qu'il faut laisser jusqu'à demain pour se former définitivement une opinion. »

François du Bus se résigne mais n'est pas content. Il trouve que tout a été dit et que les répétitions sont vaines. Il reprend la plume à huit heures du soir pour se plaindre que le Congrès ait « subi quarante-cinq discours en deux Jours sur cette question. »

Mais tandis qu'il trace ces dernières lignes, un envoyé du Cabinet de Paris fait route vers Bruxelles où il arrive le 24 novembre, porteur d'une lettre exposant que l'exclusion des Nassau dominait la paix de l'Europe et compromettrait un Etat voisin, en d'autres termes, la France...

(page 41) Le Président de Gerlache n'a-t-il pas été imprudent en autorisant la continuation des débats au 24 ?

Et de fait, la visite de la dernière heure transpire.

« Séance à jamais mémorable, écrit François du Bus à son frère, le soir de cette journée.

« M. Gérard Legrelle a déposé une proposition tendante à ce qu’avant la clôture des débats, le gouvernement provisoire soit invité à faire connaître s'il a connaissance que d'autres agens diplomatiques que MM. Cartwright et Bresson sont arrivés Bruxelles, et à communiquer les documens que ces agens auraient transmis au gouvernement provisoire : M. Legrelle ayant des raisons de croire qu'une communication diplomatique importante a été ou va immédiatement être faite à ce gouvernement.

« Une discussion s'engage sur la proposition de M. Legrelle. L'ordre du jour est aussi réclamé, lorsque tout à coup le Président, usant de la faculté que lui accorde le règlement, ordonne le comité général et donne l'ordre aux huissiers de faire évacuer les tribunes. (MM. Van de Weyer, Gendebien et quelques autres membres venaient d'entrer dans la salle.)

« Les tribunes s'évacuent lentement. Pendant ce tems des conversations animées s'établissent entre les membres de l'assemblée, qui pour la plupart ont quitté leur place.

« M. Van de Weyer monte la tribune. Il commence par témoigner son étonnement de ce qui s'est passé dans cette enceinte depuis trois-quarts d'heure, et de ce que des membres du Congrès connaissaient avant la séance une communication diplomatique que lui-même, du gouvernement provisoire et chef des relations extérieures, n'a reçue que depuis dix minutes. Fidèle à la loi qu'il s'est imposée de traiter nos intérêts à la face du jour, il fait part au Congrès de cette communication. Elle n'a rien qui doive nous effrayer ; mais (page 42) celui qui l'a faite a exigé qu'elle ne fût pas rendue publique. Je suis donc, ainsi que les autres membres, tenu au secret...

« M. Legrelle dit qu'hier soir un honorable député, auquel il a promis le secret, lui a dit savoir de source certaine qu'un agent diplomatique était arrivé ou allait arriver à l'hôtel de..., chargé d'une telle communication. Il ajoute qu'il a bien été le maître de faire l'usage qu'il a fait de cette confidence ; mais non de nommer celui de qui il la tient.

« La séance redevient publique. »

(François du Bus en donne la relation et termine :

« Avant de procéder à l'appel nominal, M. le Président fait connaître que toutes marques d'approbation ou d'improbation sont interdites, et a recommande que la proclamation du résultat eût lieu avec toute la gravité et la dignité qui convient à l'assemblée.

« Il est procédé à l'appel nominal. Il y a 189 votans. 161 adoptent, 28 seulement rejettent.

« La séance est levée. Aussitôt une explosion d'applaudissemens éclate dans les tribunes ».

François du Bus vota l'exclusion des Nassau, avec une conviction qui ne se démentit pas dans la suite. Lui qui était anti-français et n’aimait pas le sang, s'abandonnait jusqu'à écrire à ses parents le 27 décembre 1830 : I

« l y a ici des gens qui reparlent d'un jeune Prince d'Orange, mais, à mon avis, en vain. Plus de Nassau ! Cette sentence, prononcée par le Congrès à la presque unanimité, me paraît irrévocable. Quant à moi, j'aimerais mieux une réunion à la France, une guerre générale, tout enfin, qu'une restauration plâtrée de cette espèce.


Défiant la Sainte-Alliance, confiant en son étoile, admirable on ne sait trop s'il faut dire d'audace ou (page 43) naïveté, le Congrès poursuit de l'avant.

« Espérons que tout s'arrangera presque de soi-même », suggérait François du Bus à Edmond en arrivant à Bruxelles, et avec une candeur qui étonne un peu chez un homme de quarante ans qui, jusque là, a pourtant fait autre chose que de jouer au bilboquet.

Puisque tout s'arrange presque de soi-même, on va continuer.

L'indépendance est proclamée, mais que répondront les Puissances ? Les Nassau sont mis hors la Constitution, mais comment réagiront-ils ? Le gouvernement sera monarchique, mais où est le Roi ?

A chaque jour suffit sa peine.

On continue...

« Il faut une Constitution. Il s'agit donc d'en voter une. Il a été arrêté la séance d'hier, écrit François du Bus le 26 novembre, que le projet de constitution serait examiné dans les sections, tous les jours de dix heures du matin à trois heures de relevée, et que la section centrale s'emparerait du travail des sections tous les soirs, de sept à neuf. Cette fois, je fais partie de la section centrale, qui est en nombre double à cause de l'importance de l'objet. Nous avons séance publique demain à une heure ; nous serons ensuite, vraisemblablement, quelque tems sans en avoir ; mais, comme vous le pensez bien, je n'en aurai pas moins de besogne. »

De fait, le Congrès chôme et les sections fonctionnent.

« Leur travail a duré jusqu'à 3 heures après-midi, puis a commencé celui de la section centrale jusqu'à cinq heures. puis il faut aller chercher à dîner. Puis chercher à lire un bout de gazette. Il ne reste que peu de tems pour écrire et pour étudier.

« Demain on discute dans les sections l'importante question de savoir s'il y aura deux chambres ou (page 44) une seule et les autres questions subordonnées à l'un des membres de cette alternative : on a considéré que cette question dominait une grande partie du pacte constitutionnel.

« Le travail des sections sur la Constitution sera long, je ne pourrai donc pas aller vous voir à la fin de la semaine ». (Lettre du 20 novembre).

Et cela se prolonge ; Il écrit le 3 décembre :

« Demain il y a comité général, c'est-à-dire séance à huis-clos pour l'examen préparatoire de la question des deux chambres ou plutôt de la question du Sénat. Je viens d'être nommé membre de la commission du manifeste. Encore une commission ! C'est du local où elle est assemblée et pendant la lecture d'un projet par trop diffus que je vous écris rapidement.

« Je dois vous dire encore que la section particulière dont je suis membre est au milieu de la discussion de la Constitution, et que, comme ancien membre de la commission qui a fait le projet, et de rapporteur de la section pour cet objet, je suis indispensable à la suite de ce travail dans la suite. »

François du Bus commence à se défendre contre les siens, qui lui font des reproches réitérés sur la longueur de son absence, et lui opposent ses collègues de Tournai qui reviennent régulièrement se retremper dans l'atmosphère des cinq clochers

Mais il demeure inébranlable ; il est dans le projet de constitution, et entend n'en pas sortir.

« On veut l'élaborer comme s'il devait durer des siècles ; ce qui est admirable en présence de l'Europe en armes. Quant à moi, quoique je pense toujours que nous n'aurons pas la guerre, je voudrais que l'on fût moins minutieux et que l'on sentît un peu plus généralement le besoin de sortir le plus tôt possible du provisoire et de prendre une attitude ferme. »

(page 45) Au fur et à mesure que les travaux des sections avancent, il s'avère que la question du Sénat sera la plus épineuse.

« Aujourd'hui (7 décembre) nous avons eu un comité général sur les diverses questions relatives a au Sénat. Comme cela était arrivé dans la section centrale, ces diverses questions ont été résolues par des majorités différentes, et quelques-unes assez faibles.

« Il a été décidé que le Sénat sera nommé par le Chef de l'Etat ; que le Chef de l'Etat ne nommera pas les sénateurs directement, mais sur une présentation de trois candidats pour chaque place de sénateur, que cette présentation sera faite, non par les conseils provinciaux, mais par des corps électoraux ; que ces électeurs seront les mêmes qui seront aptes à élire la seconde chambre, que les sénateurs seront nommés à vie ; que le nombre n'en sera pas illimité, mais fixe ; qu'il sera de moitié de celui des membres de la chambre élective ; qu'il y aura un cens d'éligibilité pour les sénateurs ; que ce cens sera de mille florins d'impôt foncier, mais que toutefois dans les provinces où il ne se trouverait pas un éligible sur dix mille habitans, on complétera dans cette proportion le nombre des éligibles en prenant les plus imposés ; que les sénateurs devront être âgés de quarante ans.

« Je crois fort maintenant que la majorité ne voudra plus d'un Sénat ainsi organisé, qui pourra devenir un obstacle bien embarrassant aux améliorations voulues par la nation, sans que le Chef de l'Etat ait le moyen de rompre cet obstacle ; à moins de réduire les attributions du Sénat à un veto simplement suspensif, ce qui serait lui ôter toute considération, toute influence ; ou à moins de donner au Chef de l'Etat le droit de le dissoudre, ce qui ne s'accorde pas avec la nomination des sénateurs vie, et ce qui ne donne aucune (page 46) garantie d'avoir un nouveau Sénat en harmonie avec la Chambre.

« J'espère cependant que, d'après cette épreuve faite en comité général et qui, selon qu’on en était convenu, ne lie aucunement l'assemblée ni ses membres, plusieurs modifieront leurs opinions diverses : car l'immense majorité veut les deux chambres. »

Ce n'est pas seulement en section et en comité général que les deux chambres obsèdent François du Bus, car il ajoute en post-scriptum :

« Dumortier est chez moi. Il m'a fait perdre une heure à disputer sur la question du Sénat. Je termine brusquement ma lettre pour la lui remettre. Je vous embrasse tous. »

Le lendemain, 8 décembre, on n'est pas plus avancé :

« Comme je vous le faisais pressentir par ma lettre d'hier, l'ensemble de l'organisation du Sénat a été rejeté à la majorité de 75 voix contre 58, dans le comité général de ce midi.

« On pense que beaucoup d'opinions vont se modifier et se rallier au système de la nomination directe, par le Chef de l'Etat, en nombre illimité, comme cela était établi dans le projet, sauf que les membres seront nommés à vie au lieu d'être héréditaires.

« Cependant, au dehors, on commence à murmurer ; on trouve que le Congrès piétine ? Et pourtant il est question de réunir la section centrale le prochain dimanche.

François trouve ces reproches injustes, et il défend l’assemblée (lettre du 9 décembre) :

« On se plaît à dire que le Congrès ne marche pas, qu'il met une lenteur blâmable dans ses travaux. Je puis vous certifier que ceux qui restent ici ont leurs journées bien employées et que s'ils perdent du tems, ce n'est pas à s'amuser. On devrait faire observer que le Congrès, composé (page 47) pour la presque totalité de personnes étrangères à la marche d'une assemblée délibérante, a à s'occuper d'objets d'une gravité qui fait réfléchir les esprits les plus légers et que le reproche qu'on doit surtout éviter, est celui d'une précipitation dont les suites compromettraient tout l'avenir de la patrie. On travaille donc, on examine les projets divers de notre future constitution, on calcule, avec une scrupuleuse bonne foi, les avantages et les inconvéniens des systèmes diversement modifiés qui nous ont été présentés et que l'on enfante encore tous les jours. Le résultat est une grande divergence d'opinions sur le point fondamental du Sénat et cette divergence est un obstacle extrêmement grave que nous espérons cependant voir lever au premier jour. »

Sur quoi Edmond lui répond, le 13 décembre, avec une pointe de causticité :

« Je voix d'ici que vous allez employer toute la semaine pour fabriquer un Sénat, tant est qu'en définitive vous en fassiez un... »

François du Bus est navré. Tournai n'est pas seule à aiguillonner les constituants. Le 14 décembre il informe son frère que l'on pétitionne à Liége « pour signifier au Congrès qu'après un terme qu'on lui fixera, on ne le reconnaîtra plus. »

Pourtant le 13, la discussion du titre du Sénat a commencé, chaude et confuse, ainsi qu'il résulte du rapport que François du Bus fait son frère le 17 décembre :

« A la suite d'une séance du soir, ou plutôt d'une séance de nuit tumultueuse, le Congrès a rejeté la nuit dernière, à la majorité de 97 voix contre 76, la proposition de la section centrale de faire nommer les sénateurs directement par le Chef de l'Etat. La nomination sur présentation n'a trouvé qu'un petit nombre de partisans. Il ne restait plus aujourd'hui que le choix entre l'élection par les électeurs ordinaires et l'élection par les corps (page 48) provinciaux. Mais cette élection par les corps provinciaux n'avait point de partisans, et comme l'on veut un Sénat, une très grande majorité, de 136 voix contre 40, s'est prononcée pour l'élection par les électeurs ordinaires. Encore dans les 40, s'en trouve-t-il plusieurs qui ont voté contre parce qu'ils rejettent tout système qui n'est point celui proposé par la section centrale.

« Dès lors, d’autres modifications devenaient nécessaires. Les sénateurs ne pouvaient plus être nommés à vie. Il a été décidé par assis et levé que la durée de leurs fonctions serait double de celle des fonctions de la seconde chambre.

« Il a été ensuite décidé, par appel nominal, à la majorité de 99 voix contre 74, que le Chef de l'Etat aurait le droit de dissoudre le Sénat. Sans cela, en effet, si le Sénat se mettait en hostilité avec l'autre chambre ou le ministère, ce serait un embarras qui obligerait à lui céder ou qui arrêterait tout court la marche du gouvernement.

« On a discuté ensuite une modification aux conditions d'éligibilité proposées. On a trouvé du danger à ce qu'elles fussent aussi élevées l'égard d'une première chambre, élective aussi, et dont la considération pourrait devenir telle, par le double rapport de l'origine populaire de la chambre et des richesses territoriales de ses membres, que l'influence de la seconde chambre s'effacerait tout à fait. Il a donc été proposé d'abord que le cens ne fût pas restreint à l'impôt foncier, mais que toutes les impositions directes (même la patente) fussent comprises pour le former. Cet amendement a été vivement combattu. surtout cause de l'impôt de la patente. Et après deux épreuves douteuses par assis et levé, il a été adopté sur appel nominal par 85 voix contre 79, ce qui donne une majorité bien faible. Je ne vous parle pas de beaucoup d'amendemens rejetés. Je suis peu satisfait du résultat de toutes ces longues discussions, peu (page 49) propres à éclairer ceux qui n'avaient pas étudié la matière. Nous avons subi 53 discours dans la discussion générale sur le Sénat ! »

Finalement le chapitre du Sénat est adopté le 18 décembre par 111 voix contre 66, dont le vote négatif de François du Bus.

Ce résultat provoque une longue agitation. La salle présente l’aspect le plus animé. M. le Président réclame plusieurs fois le silence. » (Exposé des motifs de la Constitution belge, par un docteur en droit, p. 566. Goemaere, 1864.)

La forme définitive du Sénat ne ressemblait plus en rien à celle qu'avait proposée la commission de constitution ; pour n'en rien dire d'autre, de la désignation par le Roi de sénateurs à vie ou héréditaires, on en était arrivé à l'élection populaire de mandataires élus pour huit ans.

L'intention évidente de la commission de constitution, rigoureusement orthodoxe au regard de la doctrine bi-caméraliste, avait été de différencier très nettement la première chambre de la seconde. Dans la mesure où cette différenciation s'atténue, l'existence même d'une première chambre devient de moins en moins justifiée, C'est ce que devaient totalement oublier les reviseurs de la Constitution en 1920...


Mécontent de la solution donnée au problème du Sénat, François du Bus avertit Edmond, le 20 décembre, qu’il ne pourra passer les vacances de Noël à Tournai.

« On a commencé aujourd'hui la discussion du titre des Belges et de leurs droits, et jeudi on nous présentera le budget qu'il faut voter avant le premier janvier. commission dont je fais partie élabore aussi un projet de décret portant (page 50) organisation d'une Cour des Comptes, et cela a encore est considéré comme urgent. »

« De fait, pour la fin du mois, le Congrès aura voté le budget des voies et moyens pour le premier semestre de 1831, institué la Cour des comptes et clôturé l'année, le 31 décembre à minuit, en adoptant le décret organisant la garde civique.

« La séance d'aujourd'hui a continué par le titre des droits des Belges, poursuit François du Bus a dans sa lettre du 20. Un paragraphe ajouté à l'article 3 et portant il n'y a dans l'Etat aucune distinction d'ordre, a donné lieu à une discussion animée. On voulait l'écarter comme inutile, comme n'étant pas à sa place, etc. ; mais la persistance que l'on mettait à le repousser faisait naître le soupçon qu'il y avait une arrière-pensée. L'épreuve par assis et levé ayant paru douteuse, l'appel nominal a été réclamé avec force. Alors a commencé une scène dont notre Congrès offre heureusement peu d'exemples, mais que la situation diverse des esprits en ce moment explique. Les uns voulaient motiver leur vote négatif, voulaient faire poser la question de manière à concilier des suffrages à ce vote, voulaient mettre le principe hors de question, mais éluder toutefois de le faire connaître, en opposant des fins de non recevoir ; les autres s'indignaient qu'on pût hésiter à proclamer le principe, s'opposaient à tous développemens entre deux épreuves, et insistaient pour que l'on ne posât que la question : l'amendement est-il admis ou rejeté ? Le Président voulut par deux fois poser la question dans le sens des opposans, et toujours il fut interrompu par de violents murmures et même une fois rappelé à ses devoirs par M. Ch. de Brouckère. Enfin l'appel nominal, après une scène de confusion et de tumulte d’un quart d'heure, eut lieu sur la question de savoir si le paragraphe était admis ou rejeté. Cent douze voix l'admirent, trente la (page 51) rejetèrent. Et quinze membres s'abstinrent de voter. Parmi les membres dissidens ou qui s'abstiennent se trouvent quantité de nobles et quelques prêtres ; ce qui indique qu'ils auraient vu rétablir avec plaisir les ordres de la noblesse et du clergé...

« Demain se discutera l'article du projet de la section qui prohibe toute intervention de la loi ou du magistrat dans les affaires d'un culte quelconque, ce qui abroge le placet des bulles, les agréations d'évêques et de curés, et les articles 207 et 208 du code pénal. J'espère qu'il sera adopté. »

Defacqz propose le retranchement de cet article.

« Il a appuyé cette demande sur la prétendue suprématie de la loi civile. C'était réduire à rien la liberté des cultes en ce qui concerne les catholiques, et leur déclarer la guerre. »

Mise aux voix, cette proposition fut rejetée par 111 voix contre 60. Mais son dépôt marquait, au sein du Congrès, des divergences que les débats, jusqu'alors, n'avaient pas encore fourni l'occasion de déceler sur le plan religieux.

C'est ce que souligne François du Bus, le 26 décembre :

« Nous avons ici depuis quelques jours les discussions les plus vives sur la liberté religieuse et la liberté d enseignement. Les préventions ultra-libérales contre l'esprit prétendu d'envahissement du clergé catholique dominent encore beaucoup de personnes qui s'effraient de la généralité des principes que l’on veut poser. Nous avons eu séance de la section centrale hier, jour de Noël, pour chercher à modifier la rédaction qui avait a excité de si grandes clameurs. Aujourd'hui dimanche, nous avons séance publique. »

Le 1er janvier 1831, François du Bus s'accorde enfin un retour en famille. Il ne rentre pas seul à Tournai.

(page 52) « Hier j'ai dîné chez Léonard (Note de bas de page : Son cousin germain, le vicomte du Bus de Gisignies), écrivait-il à ses parents le 26 décembre. Il m'a fait boire de son fameux vin de Constantia, qui est vraiment délicieux. Il m'a prévenu que lorsque j'irais à Tournay, il m'en donnerait une caisse pour papa. J'ai accepté sans hésiter. »

Il s'embarque donc avec la caisse promise, et une lettre d'accompagnement du donateur, signalant que l'envoi comporte en outre « trois bouteilles de soya du Japon. liqueur délicieuse pour s'en servir à table avec le poisson, le rôti, les ragouts. J'espère, mon très cher oncle, que le tout vous sera aussi agréable que j'ai de plaisir à vous l'offrir. »

Tel que nous apprendrons à le mieux connaitre dans la suite, François du Bus apprécia certainement ces bonnes choses...