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Histoire de la révolution belge de 1830
WHITE Charles - 1836

Charles WHITE, Histoire de la révolution belge de 1830. Livre premier

(Paru à Bruxelles, en 1836, chez Louis Hauman et Cie, traduit de l’Anglais, sous les yeux de l’auteur, par Miss Marn Corr.)

CHAPITRE IV

Arrêté relatif à la liberté de la presse. - Cours de justice extraordinaire. - Suppression des séminaires catholiques. - Association dite de l'Union. - Conduite des catholiques. - Persécutions dirigées contre la presse. - Journaux belges. - Leurs rédacteurs. - Persécutions contre l'abbé de Foere, De Potter et autres. - Bruxelles détient le rendez-vous des étrangers mécontents

(page 99) Après avoir énuméré les principaux griefs, griefs fondés pour la plupart sur des faits contraires à l'esprit des traités et de la loi fondamentale, il est nécessaire de faire connaître quelques autres vexations qui eurent une grande influence sur l'esprit public.

(Note de bas de page : Énumération des poursuites politiques, exercées contre l’opposition, par le gouvernement des Pays-Bas, de 1816 à 1821.

(- 1816. Poursuites contre le « Mercure Surveillant » et le « Nain Jaune ». Réclamations de toutes les provinces contre les lois fiscales.

(- 1817. Émeutes populaires. Les états délibèrent à huis-clos. Poursuites contre l'abbé de Foere, rédacteur du « Spectateur belge ». Le tribunal correctionnel de Bruges se déclare incompétent. L'abbé de Foere est conduit à Bruxelles sous escorte de gendarmerie, traduit devant la cour spéciale, en vertu de l'arrêté du 15 avril 1815, et condamné à deux ans de prison. L'éditeur du « Journal de la province d'Anvers » est à son tour traduit devant la cour spéciale. M. Stevenotte, rédacteur du « Vrai Libéral », est condamné à 3 mois de prison, et cinq cents florins d'amende. Poursuites contre MM. Guyet et Lemaire, rédacteurs du « Vrai Libéral », et l'Allemand, du « Journal des Flandres ». M. Brissot, rédacteur du « Journal constitutionnel d'Anvers », reçoit l'ordre de quitter le pays endéans de trois jours. Cherté des grains et troubles à tous les marchés. MM. Raeser et Koenders, du « Mercure d'Anvers », sont poursuivis devant la cour spéciale comme provocateurs, et condamnés chacun à 500 fl. d'amende. Poursuites du chef de haute trahison contre M. Ch. Dniny, auteur des « Habitants de la Lune ». Arrestation de M. Valiez, rédacteur du « Flambeau ».

(- 1818. M. Dubar, éditeur du « Journal de Gand », est arrêté et ses presses mises sous les scellés.

(- 1819. M. Douffain, du « Journal des deux Flandres », est condamné à 4 mois, et M. Dubar à un an d'emprisonnement, tous deux à 500 fl. d'amende. M. Dennier, rédacteur du « Journal constitutionnel d'Anvers », est conduit à la frontière sous l'escorte de deux gendarmes. M. Weissenbrug, imprimeur du « Journal officiel », est condamné à 500 fl. d'amende, sur la requête de l'ambassadeur d'Espagne, avec défense d'imprimer pendant 3 ans. Saisie de la brochure : « de l'Etat actuel des Pays-Bas et des moyens de l'améliorer », par Vanderstraeten. L'auteur est arrêté.

(- 1820. Poursuites contre les avocats signataires d'un mémoire en faveur de M. Vanderstraeten. MM. Beyens cadet et Defrenne sont mis en surveillance ; Donker et Tarte cadet, poursuivis ; van Meenen, Delhougne et Michel de Brialmont arrêtés. Le rédacteur du « Journal constitutionnel d'Anvers » est traduit par devant la cour spéciale, A la requête de l'ambassadeur de Prusse. MM. Widmer et Vinck sont arrêtés, le premier condamné à 6 mois de prison. M. Vanderstraeten est condamné à 3000 fl. d'amende ; la condamnation avec les frais du procès s'élève à 7000 fl.

(- 1821. M. Stevenotte, rédacteur du « Vrai Libéral », est arrêté et traduit devant les assises. MM. Levenbach, rédacteur, et Albert, éditeur du « Journal de Sittard », sont condamnés sur la requête de l'ambassadeur de Prusse. M. Pezeux, rédacteur du « Journal d’Anvers », est arrêté pour un article en faveur de la révolution de Naples. Les presses du « Flambeau » et du « Vrai Libéral » sont mises sous scellés, et l'éditeur du « Vrai Libéral » arrêté. Poursuites contre MM. Hennequin, bourgmestre de Maestricht, Metdepenningen et Bonnier. Poursuites contre M. Verstraeten, rédacteur de l' »Ami du Roi et de la patrie ». Poursuites contre M. Pycke, bourgmestre de Courtray. M. Vanderstraeten est condamné à un an de prison. Arrestation de M. Coché-Mommens, éditeur, et Charpentier, rédacteur du « Courrier des Pays-Bas ».

(A cette longue récapitulation nous ajouterons encore les poursuites contre le « Courrier de la Flandre », les condamnations de l'abbé de Zinzerling et de Poelman, les procès des deux abbé Desmet, Joseph et Bernard ; les nombreuses poursuites intentées au clergé des deux Flandres et du Brabant septentrional, sous prétexte de sermons séditieux ; la condamnation el l'emprisonnement de M. de Pestre Laferté, etc. (Dr. C. M. Friedlander, polemitche Schriften, Paris, 1834.)

(page 100) Il a été démontré que les ministres pouvaient toujours obtenir la majorité dans les (page 101) états-généraux dans la plupart des questions qui étaient considérés comme essentielles pour la prospérité et (page 102) la sécurité de tout le royaume, mais que les Belges regardaient comme proposés seulement en faveur de la Hollande et comme leur étant essentiellement nuisibles. Si le cabinet eût persisté dans cette voie, quels qu'eussent été d'ailleurs les moyens qu'il eût employés pour s'assurer de semblables majorités, on aurait pu dire qu'il agissait constitutionnellement, et se mettant à l'abri des votes de la chambre, il aurait pu prétendre qu'il ne faisait que suivre l'impulsion de la représentation nationale ; car les chambres étant supposées constituer un corps homogène, les ministres pouvaient facilement considérer le vote de la majorité comme exprimant l'opinion de la nation en général, et faire abstraction de toute distinction de provinces ou de partis.

Mais le gouvernement dévia (page 103) trop souvent de cette ligne prudente de conduite, et crut pouvoir se passer de la coopération des chambres et successivement des arrêtés ou quelquefois de simples ordres du cabinet, qui furent stigmatisés, comme des actes de despotisme tendant à enchaîner la liberté des citoyens.

Dans ce nombre furent rangés les arrêtés du 16 novembre 1814 abolissant le jugement par jury et restreignant la publicité des audiences des tribunaux, celui du 20 avril 1815 tendant à entraver la liberté de la presse. Pour donner une idée de la sévérité de ce dernier arrêté, il suffit de dire que toutes les personnes, déclarées coupables de certaines offenses spécifiées, pouvaient être punies selon la gravité des cas, soit d'une exposition au pilori de une à six heures, de la dégradation civique, de la marque ou d'un emprisonnement d'un à six ans, et enfin de 100 à 10,000 florins d'amende. L'effet de cet arrêté rigoureux fondé sur une loi organique de l'empire devait être borné à une année et tomber par la promulgation de la loi fondamentale avec laquelle il était en opposition directe. En outre, ces peines n'étaient pas infligées par le jury, mais par une sentence que rendait une cour spéciale extraordinaire, composée de neuf juges. Ce tribunal fut aboli par la suite, mais l'arrêté, maintenu en ce qui avait rapport à la pénalité, était applicable, par le fiat d'un président et de quatre conseillers, tous révocables par la (page 104) volonté ministérielle ; car le gouvernement remit jusqu'à sa dernière heure l'accomplissement de l'article 186 de la loi fondamentale qui garantissait l'inamovibilité des juges.

Ce n'est pas tout : un simple arrêté du 15 septembre 1819 imposa l'usage de la langue hollandaise ; un autre du 25 juin 1825 rendit obligatoire la fréquentation du collège philosophique, et deux autres du 14 juin et du 14 août de la même année supprimant les séminaires catholiques, et forçant la jeunesse du pays à faire son éducation dans l'intérieur, enveloppèrent d'un réseau de vexations l'instruction publique et privée. On peut à ces arrêtés en ajouter quelques autres d'une moindre importance qui, quoique ne présentant pas par eux-mêmes le même caractère d'oppression, partageaient néanmoins avec ceux d'une nature plus odieuse, l'exécration publique. C'est ainsi que tandis que les liens qui unissaient le trône et la nation s'affaiblissaient, l'alliance entre les libéraux et les catholiques devenait plus solide et plus formidable, et préparait le triomphe de la révolution.

L'origine et la composition de cette association, connue sous le nom de l'Union, n'est pas dénuée d'intérêt. Dès l'an 1828, l'opposition soit dans le sein des états, soit au dehors, était composée de deux partis distincts, différant cependant plus dans les matières d'opposition religieuse, que dans les principes de politique générale. Tous deux (page 105) combattaient pour arriver au même but, c'est-à-dire à l'émancipation civile et religieuse ; mais tous deux le poursuivant par des chemins différents, il arriva qu'à la fin la nature hétérogène de leur composition les rendit presque aussi hostiles l'un à l'autre qu'ils l'étaient envers le gouvernement ; leurs dissentiments n'étaient pourtant pas de nature à rendre la fusion impossible entre eux.

Le premier de ces partis était composé des catholiques séculiers, distingués par leur rang et leur esprit, dont l'inimitié contre le gouvernement provenait moins d'une répugnance immédiate pour le système général d'administration des Pays-Bas, que de leur aversion pour certaines mesures arbitraires qui tendaient à restreindre le libre exercice des études de la croyance romaine, à placer les ministres de ce culte dans un état de vasselage relatif, et selon eux à donner une tendance anticatholique à toutes les institutions de l'Etat.

L'autre parti était composé des libéraux sous toutes les dénominations, dont le grand objet était d'assurer la stricte exécution de la loi fondamentale, et de mettre un frein à la prépondérance hollandaise ; il est important cependant de ne pas confondre les libéraux avec les ultralibéraux, méprise trop souvent commise par les étrangers, car ces derniers n'ont, en fait, pas plus d'affinité avec les premiers qu'il n'en existe en Angleterre, entre les radicaux et les whigs modérés.

(page 106) Nonobstant les préventions et les différences d'opinion qui existaient entre les libéraux et les catholiques, le gouvernement vit qu'une coalition entre eux n'était pas impossible ; il fit, en conséquence, tous ses efforts pour les désunir, sachant qu'aussi longtemps qu'ils seraient divisés ils seraient peu dangereux ; mais ce plan échoua : les chefs des deux partis apercevant le danger qui les menaçait se rapprochèrent peu à peu, et consentirent à sacrifier leurs querelles individuelles pour s'unir dans un intérêt commun.

Quoique l'Union n'ait acquis toute son importance que vers 1828, le premier signe de vie qu'elle donna date de l'année 1818, et l'on doit en attribuer surtout la création aux écrivains des deux journaux de l'opposition le Spectateur et l'Observateur. L'abbé de Foere, dialecticien habile et savant, était éditeur de l'un ; MM. Van Meenen, d'Elhougne et Doncker, tous trois jurisconsultes distingués, étaient les rédacteurs de l'autre. La théorie de l'Union fut soutenue pendant plusieurs années, avec un zèle infatigable, par ces écrivains, en dépit des attaques et des sarcasmes de la presse libérale, des persécutions et des menaces du gouvernement. Lorsqu'enfin l'esprit public comprit les principes de l'Union, et que le nombre de ses prosélytes se fut accru de toute l'influence des hommes des deux partis, un dîner fut donné chez M. le baron de Sécus, où il fut résolu que l'Union devait lever (page 107) le voile et s'annoncer ouvertement comme une association active et agissante. Dès ce moment ses forces et son importance s'accrurent rapidement ; et cette association, déposant momentanément tout esprit d'opposition contre la presse libérale, trouva un auxiliaire là où elle avait rencontré précédemment si peu de sympathie.

C'est alors que M. de Potter revint pour la première fois de Rome, en 1825, où il avait accompagné le comte de Celles dans sa mission relative au concordat. Ses sentiments étaient essentiellement anticatholiques ; cette disposition de son esprit, entretenue par les conseils et les opinions de son ami M. Van Gobelschroy, l'entraîna d'abord à se prononcer contre l'Union ; mais en moins de quelques semaines, la logique de de Foere et de Van Meenen réussit à le rallier à leur cause, et quels qu'aient pu être ses sentiments intimes, il se déclara ouvertement un des plus zélés partisans de l'Union et devint bientôt un de ses chefs les plus influents.

On aurait tort néanmoins de supposer que le premier objet de l'Union fut le renversement du gouvernement ; une idée de cette nature pouvait germer dans l'esprit d'un ou deux théoriciens dont les principes politiques étaient essentiellement démocratiques ; mais elle était certainement bien loin de l'intention générale. Le but était le redressement des griefs, l'extension de la liberté civile et de la (page 108) tolérance religieuse, et on ne peut trop souvent répéter que si le prince d'Orange avait été autorisé par son père à promettre son consentement au redressement des griefs, la révolution eût été promptement éteinte, les motifs de l'insurrection auraient disparu, et même une administration séparée n'aurait pas été demandée.

Quel sera le sort de l'Union dans l'avenir ? L'opinion varie beaucoup sur ce point ; le fait est que l'Union existe encore, et qu'elle continuera d'exister jusqu'à ce que toutes les questions de politique extérieure soient résolues. Mais il est évident qu'elle a déjà perdu beaucoup de son homogénéité, et que la plus grande partie de l'opposition extrême et de la presse libérale, sont tout à fait hostiles à la majorité catholique dans tous les principes de politique étrangère et de gouvernement intérieur ; de sorte qu'il est difficile de supposer que des éléments si divergents puissent longtemps rester unis ; les libéraux et les catholiques s'aideront mutuellement, tant qu'ils auront des intérêts communs, mais les ultralibéraux, sans la coopération desquels l'Union n'est pas possible, commencent à déclarer qu'ils ont été dupes et que tout rapprochement est impossible dans l'avenir. Tel est actuellement l'état d'une association à qui sa lutte et ses succès assurent dans l'histoire un rang à côté du fameux compromis passé à Bréda par les patriotes de 1565.

(page 109) Pour en revenir au parti catholique, il serait injuste néanmoins de ne pas reconnaître les services qu'il a rendus à son pays et à l'Europe, surtout depuis que l'exclusion de la famille des Nassau, et les obstacles insurmontables que présentait dès lors le retour du prince d'Orange, forcèrent les grandes puissances de changer leur ligne de politique relativement à la Belgique. Non seulement les catholiques élevèrent une digue contre le torrent du républicanisme, repoussé par la saine partie de la nation ; mais ils s'opposèrent principalement à l'union de la Belgique à la France, et travaillèrent ainsi avec dévouement à établir l'indépendance et la nationalité de leur pays ; sans leur ferme et honorable coopération, tous les efforts faits par M. Lebeau pour maintenir la paix de l'Europe et pour amener le succès de ses sages combinaisons eussent été infructueux. Lorsque les faits furent accomplis, les catholiques, prêtres et séculiers, furent les plus fermes appuis du trône et de l'administration, et donnèrent ainsi un exemple remarquable de tolérance ; car le roi Léopold offre seul en Europe l'exemple d'un prince protestant régnant sur un peuple exclusivement catholique.

Il est aussi digne de remarque que quelque prédominante qu'ait pu être l'influence des catholiques, soit sur le peuple, soit dans le gouvernement, soit à la cour, ils n'ont dans aucune (page 110) occasion abusé de cette influence contre les libertés réelles du pays ; au contraire, chaque mesure tendant à étendre ou à perfectionner les libertés civiles, a été soutenue par eux avec talent et désintéressement. Le roi Léopold a fait, en s'appuyant sur cette partie puissante de son peuple, un acte d'une haute politique. Et, après tout, en quoi consiste ce penchant ou cette préférence pour les catholiques ? à leur permettre de régler librement et sans contrôle leurs propres affaires de la manière la plus favorable, selon leur manière de voir, au maintien de leur foi ; politique trop souvent perdue de vue par ses prédécesseurs ; car il est incontestable que la révolution fut préparée et accélérée par l'Union, et que sans la jonction du parti catholique au parti libéral, il n'y aurait point eu de gouvernement possible.

Pour en revenir à la presse, ce moyen d'action si puissant avait pris l'attitude la plus hostile et la plus menaçante ; plusieurs des écrivains belges les plus distingués s'étaient engagés avec énergie et intrépidité, à exposer les griefs et à défendre les droits du peuple. Les actes du gouvernement furent attaqués, avec un degré d'aigreur et de violence qui allait jusqu'à la témérité, et était souvent empreint de la plus forte acrimonie ; au point que l'on exagéra souvent ses erreurs, que l'on méconnut ses intentions, et qu'il fut critiqué (page 111) avec une virulence trop systématique et trop directe pour ne pas produire des exaspérations personnelles, attirer dans tous les pays des poursuites sur les écrivains qui s'y livraient, et les exposer à des punitions sévères de la part des juges même impartiaux. Il est hors de doute que des mesures restrictives furent quelquefois d'urgence, et le gouvernement pleinement en droit d'user des moyens de répression que la loi mettait à su disposition.

Mais le code pénal était-il donc insuffisant ? Était-il donc absolument nécessaire de recourir aux mesures extra-légales qui ne sont employées par un gouvernement prudent, que dans les moments de sédition ouverte ? Etait-il politique de recourir à un décret qui avait été promulgué avant l'adoption de la loi fondamentale, et qui aurait pu à peine être toléré en 1815, lorsque le retour de Napoléon de l'île d'Elbe menaçait toute l'Europe, et exigeait une extrême surveillance dans un pays qui avait été si récemment détaché de la France et qui était devenu le rendez-vous de tous les esprits ardents et turbulents attachés à la cause de l'Empereur ?« Donner une liberté modérée qui permette aux griefs et aux mécontentements de s'évanouir, à moins que cela ne donne lieu aux insolences et aux bravades, est d'une sage politique ; car si vous arrêtez l'écoulement des humeurs, si vous arrêtez le sang qui devrait s'échapper, (page 112) vous envenimez la plaie. Sans aucun doute, il eût été plus avantageux pour le gouvernement néerlandais de se pénétrer largement de cette maxime de notre grand philosophe, que d'adopter un système dont le vice politique a été suffisamment démontré par ses funestes résultats.

On pourra demander quels furent ces résultats. Ces résultats furent qu'au lieu d'intimider, ils engendrèrent l'obstination ;qu'au lieu d'amener à la soumission, ils produisirent un redoublement d'énergie ; qu'au lieu de décourager, ils inspirèrent une nouvelle persévérance ; et qu'au lieu de ruiner leurs adversaires, ils améliorèrent leur situation pécuniaire ; de manière qu'en dépit des arrêtés et des persécutions, la presse devint de plus en plus téméraire, et prit un ton qui devait amener entre le gouvernement et le pays des hostilités implacables.

Les principaux organes de l'opinion publique, furent 1° Le Courrier des Pays-Bas, dans lequel MM. Claes, Ducpétiaux, Lesbroussart, Van de Weyer, Nothomb et autres écrivains habiles, dirigèrent les attaques les plus violentes contre le gouvernement ; aussi ce journal peut être considéré comme la source qui a le plus constamment alimenté le mécontentement général, et dont la polémique énergique et accablante devint un objet d'extrême inquiétude pour le ministère. Son influence était d'autant plus grande, qu'au lieu de suivre ou de devancer (page 113) quelque peu seulement l'opinion publique, il se lança violemment en avant et devint le fanal indiquant la route que devaient suivre la nation et les chambres. On peut dire avec raison qu'il avait concentré la révolution dans ses colonnes. Venaient ensuite le Spectateur, l'Observateur et le Politique, journal de Liège, auquel MM. Lebeau, Devaux, Rogier et autres avocats, fournissaient des articles qui se distinguaient par une force de logique remarquable ; le Belge, dont les principaux éditeurs étaient MM. Levae, de Potter et Gendebien, offrait une rédaction plus spécialement à la portée des classes inférieures ; on peut encore ajouter à ces journaux le Courrier de la Meuse et le Catholique ; ce dernier avait pour éditeur le républicain Bartels. Venaient ensuite un ou deux journaux publiés en flamand.

Indépendamment de la presse quotidienne, de nombreux pamphlets et lettres politiques surgissaient dans tout le pays, et contribuaient à enflammer l'esprit public, en divulguant les fautes et les inconstitutionnalités du gouvernement.

Un passage d'une de ces lettres (lettre de Démophile, par de Potter, au ministre de l'intérieur M. Van Gobelschroy,) mérite d'être remarqué à cause de son caractère prophétique ; elle se termine ainsi : « La fondation d'une ère de liberté et de justice, en Belgique, est maintenant (page 114) assurée, ou pour parler le langage officiel, elle est inévitable ; ne l'oubliez pas, monsieur, un seul instant, l'opposition à l'ancienne marche du gouvernement, dans quelques mains qu'elle tombe, quels que soient ses organes, doit dorénavant être invincible, en dépit de tous les obstacles que vous pourriez lui opposer. Cette opposition, monsieur, sera constamment soutenue par le sentiment profond et indélébile de la violation des droits nationaux et le mécontentement général. Ce mécontentement, et la défiance salutaire qui s'est éveillée, garantit la réalisation de nos vœux, le seul but de tous nos sacrifices, de tous nos efforts : la liberté. » Ainsi écrivait M. de Potter le 15 novembre 1829, et c'est une preuve de plus que la révolution belge ne fut pas un reflet accidentel de celle de juillet, mais le résultat de longs mécontentements antérieurs à ces événements.

Le gouvernement avait à la fois deux moyens de combattre ces attaques : l'un était la création d'une presse ministérielle bien organisée, l'autre la répression ; tous les deux furent employés ; mais malheureusement la manière dont on s'en servit augmenta plutôt qu'elle ne diminua le mal que l'on avait à combattre. Le premier de ces moyens fut l'établissement d'un journal ministériel, intitulé le National, sous la direction de Libry-Bagnano, Italien d'une capacité incontestable, mais dont les antécédents étaient équivoques. La (page 115) polémique de ce journal était d'une nature si hostile aux opinions populaires ; les doctrines qu'il soutenait, si contraires aux vues de l'église et de la nation ; le langage qu'il employait était si personnel et si cynique ; son servilisme pour le ministre Van Maanen, dont il était l'organe avoué, était si repoussant, que le journal et l'éditeur devinrent bientôt l'objet de l'exécration publique.

Indépendamment du motif de haine qui résultait des doctrines impopulaires défendues par le National, il paraît qu'une somme d'environ 85,000 fl. avait été soustraite du million de l'industrie et payée à différentes époques à l'éditeur ; ainsi, au lieu d'être utile au gouvernement, ce journal et un autre intitulé la Sentinelle contribuèrent puissamment à le renverser ; car telle était la violence des préjugés contre Van Maanen et Libry-Bagnano, que les meilleurs articles, les conclusions les plus logiques, les assertions les plus vraies, ne produisaient d'autre effet que d'augmenter l'aversion que l'on portait à l'éditeur aussi bien qu'aux mesures inconstitutionnelles qu'il soutenait.

Le système de répression adopté par le gouvernement, quoique juste en principe, fut ainsi des plus malheureux dans la forme. Fondées sur le décret fatal de 1815 et sur d'autres actes d'un caractère semblable, les persécutions furent non seulement elles-mêmes au plus haut degré antinationales ; mais les principes qui leur servaient de base (page 116) furent combattus comme inconstitutionnels et arbitraires, et donnèrent lieu aux plus violentes protestations. La position du gouvernement était, il est vrai, singulièrement embarrassante ; il se trouvait placé entre la nécessité de tolérer les attaques souvent les plus dangereuses et d'une tendance subversive, ou d'avoir recours aux mesures extrajudiciaires. L'alternative était dangereuse ; mais, en somme, il eût été d'une politique beaucoup plus sage, au lieu d'adopter le système des persécutions, d'ouvrir les yeux sur l'abîme qui était sous ses pieds.

Au lieu de se confier dans son pouvoir dans la stabilité et la coopération des gouvernements voisins, il eût mieux fait de continuer ce système de concessions dans lequel il était sagement entré en modifiant les arrêtés relatifs au collège philosophique, en faisant disparaître les restrictions apportées à l'usage de la langue française, ce qui pouvait encore être fait en 1829 ; et même, en août 1830, la monarchie pouvait être sauvée. A une époque plus avancée encore, après l'attaque de Bruxelles, le prince d'Orange, avec un certain degré de tact et d'énergie, aurait encore sauvé pour lui-même le diadème qui venait d'être arraché du front de son père.

Malheureusement l'étoile qui avait brillé sur la dynastie d'Orange pendant près de trois siècles, et rendu son nom le plus populaire et le plus (page 117) illustre parmi ceux des princes de l'Europe, se montra couverte d'un fatal nuage. Soit par la force invincible des événements, soit par les vices originaires et inséparables de l'union des deux pays, ou par les erreurs des conseillers de la couronne, une sorte de fatalité semblait entraîner le monarque et sa dynastie à leur perte. Que le roi aussi bien que chaque membre de son auguste famille, aient ardemment désiré le bien-être de toutes les provinces du royaume, sinon par des raisons d'équité et de sympathie, au moins par des motifs puissants d'intérêt personnel ; c'est un fait incontestable. Mais les rois ne sont pas exempts des faiblesses de la nature humaine ; quelque sages, prudents et magnanimes qu'ils soient, ils ne sont pas infaillibles, et malheureusement, dans cette circonstance, le roi des Pays-Bas sembla avoir déployé moins de grandeur d'âme et de sagesse politique, que d'obstination tenace et de préjugés personnels, qu'on ne pouvait l'attendre d'un souverain dont le nom occupait un rang éminent dans le monde, par sa circonspection et sa connaissance profonde des théories constitutionnelles. Le mal étant accompli, il devient presque superflu de rechercher les causes morales qui l'ont produit. Mais quelles qu'elles aient pu être, il est évident qu'aucun gouvernement n'a jamais été plus aveuglé sur les résultats, ou plus manifestement entraîné à adopter les mesures les plus malheureusement (page 118) faites pour détruire son influence et aliéner l'affection du peuple.

Certains événements politiques survinrent qui sans doute trompèrent toutes les prévisions, toute la sagacité humaine ; mais la dissolution du royaume des Pays-Bas ne fut pas une de ces catastrophes subites, ne fut pas le résultat effrayant d'une terrible commotion populaire. Les convulsions de l'état avaient été longues et douloureuses ; le gouvernement avait été à plusieurs reprises averti et avait eu le temps plus que suffisant pour se mettre en garde. Il voyait ou aurait dû voir la tempête qui se préparait et se mettre en mesure d'éviter les écueils ; mais il s'élança en aveugle dans sa route, et le vaisseau de l’Etat alla se briser à la clarté du jour contre les rochers, par l'impardonnable obstination et le manque de sagesse de ses pilotes.

Il est des occasions sans doute où la dignité de la couronne et le bien-être général demandent impérieusement des exemples ; mais ici les condamnations, quoique pouvant être justifiées, furent fécondes en pernicieux résultats. De Potter, Tielemans, Bartels, Ducpétiaux, l'abbé de Foere et plusieurs autres tombèrent sous le coup de la loi ; mais telle était l'exaltation de l'esprit public, que les accusés furent tous regardés comme martyrs de la cause de la liberté, et leurs persécuteurs comme des tyrans dont tout le désir était (page 119) d'enchaîner la presse et d'humilier la nation. Les pamphlets et les doctrines subversives, qui étaient le prétexte de l'accusation, furent éloquemment défendus devant les tribunaux ; et ces défenses se répandirent dans tout le pays, au moyen des journaux. Des souscriptions furent ouvertes pour couvrir le montant des amendes et des frais de justice ; et une multitude d'esprits jeunes et ardents s'élançait pour offrir gratuitement leur talent aux accusés, ou imiter leur exemple. Ainsi chaque triomphe judiciaire, remporté par le gouvernement se changeait pour lui en désastre, à n'en considérer que les conséquences ; car on ne peut douter que ces condamnations n'entrèrent pour beaucoup dans les causes immédiates de l'explosion.

Les charges élevées contre de Potter, Tielemans et autres, étaient, sans aucun doute, de nature à amener une condamnation par tout jury impartial, en Europe et même aux Etats-Unis. De plus, la conduite de M. Tielemans semblait, sous certains rapports, légitimer la plus sévère répression de la part du gouvernement (Procès contre le sieur Tielemans et autres, accusés d'avoir excité directement à un complot ou attentat ayant pour but de changer ou de détruire le gouvernement du royaume des Pays-Bas. Bruxelles, 1829). Mais, le remède dans cette circonstance était (page 120) pire que le mal ; car il ne pouvait manquer de donner des forces à la sédition au lieu de l'étouffer, et propager les doctrines qu'il voulait arrêter,

Une autre difficulté dont le gouvernement devait en quelque sorte s'accuser lui-même, vint encore aggraver sa position. Dans son désir de faire mériter aux Pays-Bas le surnom de terre classique de la liberté qu'on avait donné à ce royaume, ayant aussi à cœur d'attirer les talents et l'industrie des étrangers, le roi offrit les plus puissants encouragements à tous ceux qui venaient établir leur domicile sur le sol fertile et hospitalier de la Hollande ou de la Belgique. Ainsi Bruxelles devint le rendez-vous, l'assemblée représentative de tous les esprits mécontents de l'Europe.

Les régicides conventionnels, les napoléonistes exilés, les constitutionnels proscrits, les carbonari persécutés, les Polonais opprimés, les Russes disgraciés, les radicaux anglais, les étudiants visionnaires de l'Allemagne affluaient indistinctement dans la métropole du Brabant, où ils s'alliaient à ce qu'on pouvait regarder comme la portion la plus hostile de la société. Ils ne se contentaient pas de donner un libre cours à la haine dont ils étaient animés contre leurs gouvernements ; mais ils contribuaient, en grande partie, à exalter l'imagination des habitants contre le gouvernement du pays. Plusieurs de ces étrangers étaient des (page 121) hommes consciencieux, éclairés et honorables, victimes des actes les plus criants de despotisme ; mais dans le nombre, il se trouvait beaucoup d'individus ruinés et prêts à tout oser, hommes qui n'avaient d'autre élément que les dissensions et les commotions civiles, qui n'avaient rien à perdre, mais tout à gagner des convulsions politiques, et qui étaient tout à fait indifférents pour les malheurs que ces convulsions attirent sur le plus grand nombre ; hôtes dangereux, s'il en fût, pour le pays qui les reçoit dans son sein.

C'était là une source de maux qu'on ne pouvait tarir qu'en adoptant des mesures de police arbitraires, ou en obtenant des chambres une loi sur les étrangers qui donnât des pouvoirs suffisants au gouvernement (La loi républicaine de vendémiaire an VI, n'avait pas été abrogée et avait été appliquée à MM. Fontan, Bellet et Jador, qui furent expulsés du pays ; mais leur expulsion causa un grand mécontentement et fut signalée comme une infraction au chapitre 4 de la loi fondamentale qui garantissait une protection égale aux étrangers et aux nationaux. La loi de vendémiaire fut remise en vigueur néanmoins, par le gouvernement belge, après les pillages d'avril, en 1834). En outre, quelle que puisse avoir été la manière d'agir du gouvernement relativement à trois ou quatre étrangers, on peut affirmer, sans crainte, qu'il était sous tous les (page 122) rapports contraire aux sentiments particuliers du roi de persécuter des hommes qui n'avaient aucun autre asile sur le continent où ils pussent reposer leur tête, et jouir d'une liberté entière, aussi longtemps qu'ils s'abstiendraient de tout acte d'opposition ouverte contre l'Etat. Mais si les exilés avaient des droits puissants à l'humanité et à la protection du gouvernement, le gouvernement n'avait-il aucun droit sur ces étrangers ? Ces derniers ne devaient-ils pas respect aux lois qui leur assuraient protection, quelque despotiques qu'elles pussent être ; n'était-il pas de leur devoir de demeurer spectateurs passifs des dissensions civiles, et de s'abstenir de toute intervention dans les affaires législatives d'un pays où ils étaient volontairement venus chercher un asile et d'où ils avaient la liberté de s'éloigner, quand cela leur convenait ? Ne devaient-ils donc rien en retour de l'hospitalité qu'on leur accordait ? Ils n'étaient pas contraints de demeurer dans le pays ; mais y demeurant, ils devaient y rester inactifs.

Il nous reste à signaler un autre écueil. Dans l'intention de donner un plus grand développement au commerce de la librairie, et d'encourager les diverses branches de cette industrie, on favorisa l'établissement des libraires nationaux et étrangers à Bruxelles ; et un système de piraterie littéraire y prit une grande extension. Des éditions à bon marché (page 123) de tous les ouvrages prohibés, en France et dans d'autres pays, y étaient réimprimés ; de là une multitude de pamphlets contenant les doctrines les plus hostiles aux gouvernements voisins, et spécialement destinés à prévenir le public contre leur administration, se répandirent dans tout le pays. Ici encore le ministère se trouva dans la nécessité, ou de tolérer l'existence de ces abus, ou de mettre des restrictions à un commerce qui contribuait à enrichir la métropole et ajoutait à la prospérité des affaires générales du pays.