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Note d’intention
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Congrès national de
Belgique
Séance du jeudi 16 décembre
1830
Sommaire
1) Communications des pièces
adressées au congrès
2) Motion d’ordre relative à la
communication diplomatique relative à la libre circulation sur l’Escaut (de Robaulx, H. de Brouckere, Seron, Van de Weyer, de Robaulx)
3) Communication des pièces
adressées au congrès
4) Projet de décret relatif à
l’institution de la garde civique. Rapport de la commission (Ch. de Brouckere, Rogier)
5) Projet de constitution. Articles
relatifs au sénat.
a) Motion d’ordre relative mode de
discussion des articles et des amendements présentés (par Beyts, Blargnies, Jottrand, Lebeau, Jacques) (de Stassart, Van Meenen, Ch. Le Hon, de Muelenaere, de Sécus (père), Devaux, Fleussu, Ch. Le Hon, Jottrand, Forgeur, Rogier).
b) Discussion des articles. Article
1er de la section centrale : proposition de faire nommer les
sénateurs par le chef de l’Etat (Jottrand, de Roo, Devaux, Beyts, Blargnies, de Muelenaere, de Celles, Van Meenen, Lebeau, de Langhe, Ch. le Hon, Nagelmackers, Forgeur, Ch. de Brouckere, Beyts)
c) Discussion des amendements à l’article 1er et décision
finale de ne pas faire nommer les sénateurs par le chef de l’Etat
(E. HUYTTENS,
Discussions du Congrès national de Belgique, Bruxelles, Société typographique
belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)
(page 502) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance est ouverte à onze heures et demie (P. V.)
M. Henri de Brouckere,
secrétaire, donne
lecture du procès-verbal. Il y est dit que l'assemblée a ordonné l’impression
du rapport fait par M. Van de Weyer dans la séance de la veille. (P. V.)
M. de Robaulx – Je demande la parole sur la rédaction du
procès-verbal.
Messieurs, j'ai remarqué une erreur
grave dans le procès-verbal. Hier, après avoir entendu la lecture de la note
communiquée par le chef du comité diplomatique, le congrès en ordonna l'impression.
Cependant, le procès-verbal dit non pas que la note, mais que le rapport de M.
Van de Weyer sera imprimé. Ce n'est pas le rapport dont nous avons ordonné
l'impression, c'est la lettre de lord Ponsonby. Je demande que le procès-verbal
soit rectifié. (Appuyé.) (U. B.. 18 déc.)
M. Henri de Brouckere, secrétaire – Le bureau avait entendu, comme vous, que c'était
la note qui devait être imprimée. Il l'avait déjà même envoyée à l'imprimerie
lorsque, hier au soir, on nous fit observer qu'il n'était pas d'usage de faire
imprimer les notes originales. Cependant, pour éviter toute difficulté, il fut
convenu que le procès-verbal porterait l'impression du rapport de M. Van de
Weyer, et que ce rapport renfermerait textuellement tout ce qui se trouvait
dans la note. Nous crûmes devoir céder à cette observation, et comme en effet
le rapport renfermera tous les termes de la note, cela revient au même. (U.
B., 18 déc.)
M.
Seron, vivement – Ce n'est pas une raison pour faire dire
au procès-verbal une chose contraire à la vérité. Le congrès avait ordonné
l'impression de la note, non du rapport. Insérer le contraire dans le
procès-verbal, c'est lui faire dire un mensonge (Une voix : C'est juste !) et le procès-verbal ne doit contenir
que des choses vraies. (Mouvement.) (U. B,. 18 déc.)
M. Van de Weyer entre dans la salle, et demande la
parole. (C., 18 déc.)
M. le président – M. Van de Weyer a la parole. (Mouvement
de curiosité). (U. B., 18 déc.)
M. Van de Weyer – Messieurs, hier, au moment où je descendais de la tribune,
j'entendis crier de toutes parts : L'impression ! Je demandai si c'était
l'impression du rapport que je venais de faire ; on me répondit : Oui,'c'est
du rapport, et l'assemblée sentira bientôt que la chose ne pouvait être
autrement. Je verrais avec la plus grande peine que l'on pût élever des doutes
sur mes intentions, et que l'on pût m'accuser d'avoir voulu faire consacrer
dans le procès-verbal un fait contraire à la vérité ; je désire que le congrès,
que tous mes concitoyens soient convaincus que je ne me permettrai jamais une
action qui serait indigne d'un homme d'honneur. D'ailleurs, messieurs, ou le
congrès est convaincu de mon dévouement au pays, de ma franchise, de ma
loyauté, de ma probité, ou il ne l'est pas. Si je croyais qu'il existât à cet
égard le moindre germe de doute dans l'esprit de mes concitoyens, le moment où
je m'en apercevrais serait le moment de ma retraite. La note est entre les
mains de M. le président du congrès ; je demande qu'il veuille bien la
collationner avec le rapport que je vais avoir l'honneur de lire, et l'on
verra si ces deux pièces ne sont pas absolument conformes. (U. B., 18
déc.)
Plusieurs
voix – On n'en doute pas. (U. B., 18
déc.)
M. Van de Weyer – Maintenant, messieurs, permettez-moi de m'expliquer sur un
fait personnel. J'avais cru devoir consentir d'abord à la publication de la
note ; je l'avais remise aux secrétaires, qui l'avaient envoyée à l'imprimerie
; elle était déjà composée et imprimée, lorsqu'on me fit observer qu'il était
contre tous les usages de faire imprimer une note diplomatique. (page 503) J'écrivis à MM. les
secrétaires pour en faire suspendre l'impression ; et, plus tard, m'étant rendu
auprès d'eux, nous convînmes des termes qui seraient insérés dans le
procès-verbal. Je crois pouvoir prendre cela sur moi, messieurs ; et, du reste,
si le procès-verba1 avait dit autre chose, il en serait résulté que ce n'est
pas le président de votre conseil diplomatique qui aurait été censé vous faire
cette communication, mais lord Ponsonby lui-même. J'ai pensé qu'en faisant
imprimer mon rapport, et en insérant la note textuelle, je répondrais
parfaitement aux vues du congrès ; et que, sans violer les usages reçus, je
rendrais ma communication d'une manière tout aussi officielle, mais plus
régulière. Voici mon rapport :
« Le président du comité diplomatique
a l'honneur d'annoncer au congrès national que, dans la soirée du 14, le
comité diplomatique a reçu de MM. les commissaires délégués de LL. EE. les
plénipotentiaires des cinq grandes puissances, une note relative à une
conférence tenue au Foreign-Office, le 10 décembre 1830, à laquelle on
s'en était référé pour la solution de la difficulté sur la libre navigation de
l'Escaut. De cette note il résulte que, si le roi de Hollande a hésité à
révoquer les mesures de précaution adoptées le 20 octobre, en tant qu'elles
affectent la navigation de l'Escaut, c'était surtout dans l'hypothèse du
renouvellement possible des hostilités. Mais LL. EE. déclarent que, sous ce
rapport, le sens des stipulations convenues entre les plénipotentiaires des
cinq cours n'a pas entièrement été saisi, et, en conséquence, LL. EE. ont
engagéS. M. le roi de Hollande à révoquer le plus tôt possible les mesures de
précaution qui entravent encore, pour le moment, la navigation de l'Escaut, et
à compléter ainsi la levée du blocus, telle que les plénipotentiaires l'ont
comprise dès le principe. Et MM. les commissaires délégués ajoutent qu'il n'y a
pas lieu de douter que cette invitation ne soit suivie d'un plein effet. Il
résulte de la même note que les démarches nécessaires ont été faites près du
gouvernement du roi de Hollande pour que les bâtiments de commerce belges ne
soient pas molestés par les vaisseaux de guerre de Sa Majesté (Note de bas de page : La
dernière phrase de ce paragraphe est omise dans le l'apport imprimé qui a été
distribué aux membres du congrès ; elle n'a pas non plus été reproduite par
les journaux.)
« Le président du comité
diplomatique, qui se fera toujours un devoir de communiquer au congrès national
toutes les questions dont la solution sera officiellement parvenue au comité,
s'estime heureux d'apporter la preuve que le comité ne s'était point aventuré
en promettant une solution satisfaisante sur ce point important. » (U. B.,
18 déc. et A.)
M. de Robaulx
– J'ai dû relever
l'erreur consignée dans le procès-verbal, pour qu'on n'en pût tirer un
précédent pour l'avenir. Lorsqu'on laisse passer de tels faits inaperçus, on
vient s'en autoriser plus tard, et c'est ce qu'il ne faut pas. Au fond, je
demanderai si les explications que nous venons d'entendre doivent servir
d'exemple à suivre, et si on entend par là que les communications futures ne
seront jamais faites autrement, et si jamais le congrès n'aura le droit de demander la communication
des notes elles-mêmes, mais seulement des rapports faits sur ces notes. (U. B.,
18 déc.)
M. Van de Weyer – Il serait inouï, messieurs, que lorsqu'il s'agit des
affaires de la nation, on lui refusât communication des pièces et des notes
sur lesquelles reposent les traités. C'est un usage constamment suivi en
Angleterre, que toutes notes et pièces diplomatiques soient communiquées au
parlement. Mais est-ce pendant les négociations que cette communication a lieu
? Est-ce pendant la discussion et lorsqu'on n'est pas encore d'accord sur les
points en contestation ? Non, messieurs, c’est lorsque les difficultés ont
reçu une solution définitive que les pièces sont remises au parlement depuis la
première jusqu'à la dernière. Nous agirons de même à l'égard du congrès, et je
le prie d'être bien convaincu qu'aussitôt que nos négociations seront
terminées toutes les notes lui seront officiellement transmises, et il jugera
de notre conduite les pièces sous les yeux. (U. B., 18 déc.)
M. de Robaulx – Ces explications me suffisent. (Interruption.) Cependant
je crois devoir faire encore une observation. (Murmures d'impatience.) On
dit qu'on nous communiquera les pièces lorsque tout sera terminé ; je ne suis
pas du tout de cet avis. Je voudrais que le congrès pût, quand il lui plairait,
obtenir cette communication, et ,non pas seulement lorsque les négociations
seront terminées. (Assez ! assez !) (U. B., 18 déc.)
M. le président – Je dois ajouter quelques mots à
l'appui de ce qu'a dit M. Van de Weyer : on reconnaît qu'il est d'usage et de droit
que toutes les pièces seront communiquées au congrès ; ainsi nous devons être
tous d'accord en ce moment, car comment supposer que pendant les négociations
on osât vous faire un rapport sur une pièce dont plus tard vous découvririez
aisément la fausseté ? (U. B., 18 déc.)
(page
504) M. Van de Weyer – Si j'ai bien compris l'objection de
M. de Robaulx il voudrait que le comité diplomatique communiquât les pièces
avant la fin des négociations, pour que sans doute le comité ne décidât rien
sans consulter le congrès : c'est vouloir, messieurs, composer votre comité
diplomatique de tout le congrès national.
Je crois pouvoir annoncer au congrès
que, dans le courant de la nuit dernière, il y a eu de la part du gouvernement
provisoire adhésion complète au protocole du 17 novembre ; ainsi l'armistice
peut être considéré comme définitivement conclu. Nous n'attendons qu'une
réponse officielle pour vous communiquer toutes les pièces. (Bien !
très bien !) (U. B.,
18 déc.)
M. Henri de Brouckere,
secrétaire – Le
congrès doit être convaincu qu'il n'y avait pas de la part des secrétaires,
ombre de mauvaise foi dans la rédaction du procès-verbal. (U. B., 18 déc.)
M. le président – Du reste, voici la note officielle,
voici le rapport ; on peut les comparer... (U. B., 18 déc.)
M. Van de Weyer – C'est la déclaration que j'attendais de M. le président. (Bien !
très-bien !) (U. B., 18 déc.)
M. le président – S'il n'y a pas d'autre observation,
je déclare le procès-verbal adopté. (U. B., 18 déc.)
COMMUNICATION
DE PIECES ADRESSEES AU CONGRES
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire, présente l'analyse des pièces suivantes,
qui sont renvoyées à la commission des pétitions :
M. Defosse se présente comme candidat
à la chambre des comptes. .
M. de Rudder demande qu'on permette
aux médecins qui habitent la ville de vendre des drogues.
M. Baudier se présente comme candidat
à la chambre des comptes.
M. Alexandre Bosquet se présente pour
le même objet. (P. V.)
M. Fremolle fait hommage au congrès
de : Hommage déposé au pied de l'autel de
M. Viollet fait hommage au congrès de
: Mémoire sur un nouvel engrais. (P. V.)
- Dépôt de ces deux brochures à la
bibliothèque. (P. V.)
M. Charles de Brouckere fait le rapport de la commission chargée de rédiger
un projet de décret sur la garde civique et donne lecture du projet qui
contient 92 articles.
Le congrès ordonne que le rapport
sera imprimé et distribué. (P. V.)
M. le président – M. Rogier, usant de son droit comme
membre du congrès national, a déposé sur le bureau un projet en 164 articles
sur l'organisation de la garde civique (U. B., 18 déc.)
M. de Robaulx – C'est un contre-projet. (U, B., 18 déc.)
M.
Charles Rogier – Ce projet m'a été remis par un ami ; je désirerais, avant de
le développer, que le rapport de M. de Brouckere fût imprimé, parce que, si je
voyais entre mon projet et celui de la commission des différences notables, je
le développerais ; si au contraire les différences sont légères, je me
contenterai de le convertir en amendement. (U. B., 18 déc.)
PROJET DE CONSTITUTION. ARTICLES RELATIFS AU SENAT
M. le président – Le congrès veut-il entendre un
rapport de pétitions ? (Non ! non ! L’ordre du jour !) (U. B., 18
déc.)
L'ordre du jour est la discussion des
articles sur le sénat. (U. B., 18 déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire : Voici une motion d'ordre qui a été
déposée sur le bureau :
« Je soussigné, propose au
congrès d'ordonner qu'à mesure de l'adoption de chaque article ou amendement du
projet, ils soient déposés entre les mains des secrétaires du congrès, et que
le bureau pourra proposer les changements qu'il croira nécessaires à la
correction et à la clarté du style.
« JACQUES, membre du congrès
national. » (U. B., 18 déc.)
M. le président – Cette motion d'ordre est-elle appuyée
? (Non ! non !) (U. B., 18 déc.)
- Elle n'est pas appuyée. (C., 18
déc.)
M. le président – On va passer à (page 505) la discussion des articles. Voici comment est conçu
l’article 1er du projet :
« Les sénateurs sont nommés par
le chef de l'État sur une liste triple de candidats, et choisis dans toutes les
provinces, en observant, autant que possible, la proportion de leur
population. »
Je demanderai maintenant quel ordre
il faudra suivre. On m'a remis plusieurs amendements : faut-il donner lecture
des amendements, ou attendre après le vote sur la proposition de la section
centrale ? (U. B., 18 déc., et A. C.)
Plusieurs voix – Il faut
commencer par les amendements. (U. B., 18 déc.)
M. Van Snick – Il y a des
personnes qui doutent (vive interruption),
il s'est élevé des doutes sur la question de savoir si la
décision prise hier soir sur le sénat est définitive. (U. B., 18 déc.)
De toutes parts – Non ! non !
M. le président – Il ne peut
pas exister de doutes à cet égard. Voici le premier amendement qui m'a été
remis, il est de M. le baron Beyts :
« Les sénateurs sont nommés par le chef de l'État sur une
liste triple de candidats, présentée par les électeurs qui, dans chaque
chef-lieu d'arrondissement, concourent à la nomination des membres de la
chambre élective. »
Cet amendement est-il appuyé? (Oui ! oui ! Non ! non
! Il règne dans l'assemblée des signes évidents d'indécision.) J'avoue mon
embarras, messieurs ; il y a tant d'amendements, que si on les lit tous de
suite, nous ne saurons plus nous y reconnaître. (U. B., 18 déc., et A.)
M. de Robaulx
– Nous devrions d'abord, ce me semble, nous occuper de la proposition de la
section centrale. (Non ! non ! les amendements !) (U. B., 18
déc.)
M. le président – Silence
donc, messieurs ! laissez parler. (U. B., 18 déc.)
M. de Robaulx
– Il faudrait s'occuper d'abord de l'article 1er et des amendements et
sous-amendements qui y sont relatifs, et laisser les amendements relatifs aux
articles suivants, pour s'en occuper quand la discussion s'ouvrira sur ces
articles. (U. B., 18 déc.)
M. le président – D'accord,
mais le difficile est de distinguer les amendements des sous-amendements : on
va commencer par les lire tous. (U. B., 18
déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire,
donne lecture des amendements suivants :
M. le baron Beyts
propose à l'article 1er l'amendement ci-après :
« Les sénateurs sont nommés par, le chef de l'État sur
une liste triple de candidats, présentée par les électeurs qui, dans chaque
chef-lieu d'arrondissement, concourent à la nomination des membres de
la chambre élective. »
M. Blargnies propose un
amendement ainsi conçu :
« Les membres de la chambre haute sont élus par les
conseils provinciaux à raison de la population de chaque province. »
M. Jottrand propose de
remplacer dans l'amendement de M. Blargnies les mots : sont élus par les conseils
provinciaux, par ceux de : sont élus par les collèges électoraux qui
élisent l'autre chambre.
M. Lebeau propose
d'ajouter à l'article 1er du projet de la section centrale le paragraphe suivant
:
« Cependant les quarante premiers sénateurs seront nommés par
le congrès national, ils devront réunir les conditions d'habilité requises par
la présente constitution.
« Toute fonction salariée, révocable par le chef de
l'État, autre que celles de ministre, d'ambassadeur, d'officier général de
terre et de mer, est incompatible avec la dignité de sénateur. »
M. Jacques propose un
amendement en ces termes :
« Les sénateurs, sont nommés à vie moitié par le chef de
l'État, moitié par la chambre élective, parmi des candidats présentés en nombre
triple par les conseils provinciaux.
« Le nombre des sénateurs est fixé par province à raison
d'un par cent mille âmes.
« Lorsque les circonstances
l'exigent et que le chef de l'État ou la chambre élective le déclare, le sénat
est doublé par l'adjonction d'un pareil nombre de sénateurs extraordinaires qui
sont nommés directement par les conseils provinciaux, et qui ne siégent qu'un
an. » (C. 18 déc., et A,)
M. le président – Messieurs,
je sens toute mon insuffisance, et je ne peux dissimuler mon embarras, en
présence des difficultés de la marche à suivre. C'est la première fois que j'ai
l'honneur de présider une assemblée législative, et c'est aussi la première
fois qu'en Belgique on a vu une aussi grande intempérance d'amendements (hilarité
générale et prolongée) ; je
conviens de mon incapacité à débrouiller ce chaos : j'ai besoin de votre
indulgence, et je vous prie de m'aider à sortir d'embarras (U. B., 18 déc.)
M. le baron de Stassart – Messieurs, maintenant que nous avons
reconnu l'utilité d'un sénat, tâchons de nous mettre d'accord sur sa (page 506) composition, et si les sacrifices
mutuels de quelques nuances d'opinions deviennent indispensables, je suis prêt
à donner l'exemple. Voici néanmoins ma manière d'envisager la chose : je
désirerais que les électeurs, chargés du choix des membres de la chambre
populaire, fussent appelés à former, tous les cinq ans, des listes de candidats
en nombre triple pour chaque place de sénateur dévolue à leur province ; l'âge
et la quotité d'impôts nécessaires seraient déterminés. C'est sur ces listes
que le chef de l'État choisirait les sénateurs, en cas de première nomination,
en cas de remplacement pour cause de décès (car je voudrais que ces dignités
fussent à vie), ou bien en cas de fournées, lesquelles ne pourraient se
faire qu'avec l'autorisation de la chambre populaire qui, par le fait de cette
adhésion, serait dissoute. Il faudrait encore, afin d'éviter une fournée devenue
peut-être inutile, qu'elle fût également admise par la chambre renouvelée. (Appuyé !
appuyé ! (U. B., 18 déc.)
M. le président – Mais c'est une prière de faire des
sacrifices mutuels ; ce n'est pas un amendement. (U. B., 18 déc.)
M. le baron de Stassart – C'est une prière sans contredit, mais cette prière
renferme des propositions. (U. B., 18 déc.)
M. Van Meenen – Je ferai remarquer que la proposition
dont M. de Stassart vient de nous donner lecture, est un système tout nouveau.
Ce n'est donc pas un amendement, et nous ne devons pas nous en occuper ; nous en
sommes aux amendements, proposés sur l'article 1er de la section centrale ;
maintenant, pour procéder avec ordre il s'agit de se décider sur la question de
priorité entre les quatre amendements. Quant à moi, je vote pour la priorité en
faveur de l'amendement de M. Blargnies. (U. B., 18 déc.)
M. Charles Le Hon
– Je suis de l'avis de
l'honorable préopinant que nous avons une question de priorité à résoudre ;
mais je pense que notre choix entre les divers amendements doit être fait
d'une manière plus générale. Voici le projet que j'aurai l'honneur de soumettre
au congrès. Puisqu'il s'agit de décider une question de priorité entre les
amendements, il faut arrêter que les premiers amendements à mettre aux voix seront
ceux qui s'éloigneront le plus du projet de la commission centrale ; par ce
moyen nous arriverons à nous en rapprocher insensiblement : il est facile de
discerner du premier coup d'œil les amendements à choisir. La section centrale
veut que le sénat soit à la nomination du chef de l'État ; l'amendement qui
s'éloigne le plus de l'article 1er est celui qui veut faire nommer
les électeurs par des collèges électoraux. Après celui là, celui qui
s'éloigne le plus du projet est celui qui veut en confier la nomination aux
conseils des provinces ; vient ensuite celui qui veut que la nomination soit
faite par le chef de l'État sur une liste triple de candidats, et ainsi
insensiblement nous nous rapprochons vers le projet, en sorte que, si tous les
amendements sont rejetés, l'adoption de l'article de la section centrale sera
presque assurée. (Appuyé! appuyé!) (U. B., 18 déc.)
M.
de Muelenaere – Messieurs, le préopinant vous a
proposé de décider la question de priorité en faveur de l'amendement qui s'éloigne
le plus du projet ! le moyen est bon, mais je crois que, lorsqu'il s'agira des
sous-amendements, cette manière pourra entraîner des discussions interminables.
D'après les règles établies, les amendements doivent être mis aux voix avant
la question principale, les sous-amendements avant les amendements. Je désire
que l'on se conforme à cette règle générale, mais je voudrais que la préférence
fût accordée au premier amendement remis à M. le président. Les
sous-amendements seraient discutés avant, en accordant la priorité à celui qui
s'écarterait le plus de la rédaction primitive. Je vote donc, pour que la
discussion ne se renouvelle pas, que le congrès adopte en règle générale que
l'amendement remis le premier sera le premier discuté. (Appuyé! appuyé!) (U. B., 18 déc.)
M. le baron de Sécus (père) propose de nouveau une commission à laquelle seraient renvoyés
tous les amendements. Cette commission présenterait un moyen de conciliation
entre les amendements et désignerait ceux par lesquels il faudrait
commencer. (U. B., 18
déc.)
M. le baron Beyts dit qu'avec
les moyens indiqués jusqu'ici il ne croit pas qu'on puisse sortir de la
difficulté. (U. B., 18
déc.)
M. Devaux – Je crains fort qu'au lieu
d'abréger la discussion on ne l'allonge indéfiniment. Le règlement
veut que l'on mette aux voix les amendements de l'article ; que l'on mette
aux voix, ce qui ne veut pas dire que l'on discute. Dans ce moment il s'agit
de discuter l'art. 1", non pas d'aller aux voix. Quand il faudra en venir
là, ce sera le moment de choisir entre les divers amendements ; sans cela nous
aurions des discussions interminables. En effet, le moyen de combattre un
amendement est de soutenir un amendement contraire. Or, celui qui voudra
combattre un amendement développe un système conforme à l'amendement qu'il
propose lui-même. Lorsque ensuite viendra le tour de son amendement, il le développe
(page 507) une seconde fois, et le peut une troisième
encore s'il veut combattre le troisième amendement qui serait proposé. Voyez
où cela nous mènerait. Je crois, messieurs, que nous pouvons discuter les
amendements dans l'ordre qu'on voudra ; mais dans le moment il convient
d'établir la discussion et sur l'article et sur les amendements. M. de Sécus
nous a fait une proposition qui me semble très sage, et je ne sais pas si plus
tard vous ne serez pas obligés d'y revenir. Il y a trois ou quatre opinions
distinctes sur la question ; je crois que si on nommait une commission et qu'on
en prît les membres dans les diverses opinions, ils pourraient, par des
concessions mutuelles, opérer un rapprochement. Cela abrégerait beaucoup et
serait bien plus désirable qu'une discussion dont je ne vois pas l'issue. (U.
B., 18 déc.)
M.
Fleussu – Une commission est inutile, parce qu'après qu'elle nous aurait présenté
ses conclusions, cela n'empêcherait pas les membres du congrès de faire
d'autres amendements sur lesquels on se diviserait encore. (U. B., 18 déc.)
M. le président – Si nous voyons partout des embarras,
franchissons-les une fois pour toutes, en discutant le premier amendement. Nous
arriverons toujours bien à un résultat. (U. B., 18 déc.)
M. Forgeur – Discutons le premier amendement. (U. B., 18 déc.)
M. Charles Le Hon – Permettez-moi de faire une
observation, c'est que la question principale qui naît de l'art. 1er
n'a pas encore été discutée. C'est par là cependant qu'il faudrait commencer ;
car, si nous commençons par discuter les amendements, nous prenons la partie
pour négliger le tout : remarquez d'ailleurs que ce que je propose
simplifie beaucoup notre travail. En effet, si on discute les amendements, il y
aura autant de discussions que d'amendements. Ainsi, s'il y a cinq
amendements, il est probable que nous aurons au moins cinq orateurs : pour
régulariser nos opérations, je propose qu'au lieu d'ouvrir la discussion sur
les amendements, elle soit ouverte sur l'article 1er ; lorsque
cette discussion. sera finie, alors, comme l'a dit M. Devaux, viendra la mise
aux voix sur les amendements, et si nous suivons l'ordre méthodique que j'ai
indiqué, toutes les difficultés s'aplaniront. Nous commencerons par les
amendements les plus éloignés du sens de l'article 1er ; nous
nous en rapprocherons à mesure que les amendements les plus éloignés seront
écartés, et par cette gradation logique nous arriverons à la question
principale. (U. B., 18 déc.)
M.
le baron Beyts – Ma proposition est une modification. (E., 18 déc.)
M. Jottrand – On voudrait discuter la question tout
entière ; on pourrait, dis-je, en adoptant ce mode, arriver à un certain
rapprochement, parce qu'un rapprochement est possible. (E., 18 déc.)
M. Forgeur – Dans tous les pays, la discussion
commence par les amendements ; mais ici ce ne sont pas des amendements, ce sont
des systèmes nouveaux : il faut donc suivre l'ordre logique et discuter la
proposition elle-même, ensuite viendront les amendements dans le cours du débat.
(Appuyé.) (E., 18 déc.)
M. Trentesaux – Le préopinant a précisément dit ce que je me proposais
de dire. (E., 18 déc.)
M. de Roo
donne quelques explications. (E., 18 déc.)
M. Charles Rogier pense que pour peut abréger la discussion
; il n'y a que deux systèmes : l'un qui veut que les sénateurs soient nommés
par le chef de J'État, l'autre qui repousse toute intervention de ce chef. Il
faut classer chaque amendement et le rattacher au système dont il se rapproche.
(Aux voix la priorité ! ) (E., 18 déc.)
M. Trentesaux s'oppose à ce mode et demande la discussion des
amendements. (E., 18 déc.)
M. Destouvelles pense qu'il y a un mode qui domine tous les autres et tend à
abréger les opinions. Il développe cette pensée. (E., 18 déc.)
M.
Charles Rogier On doit admettre le chef de J'État... (L'orateur est interrompu parles
conversations particulières.) (E., 18 déc.)
M. Forgeur – parle au milieu du bruit. (E., 18 déc.)
M.
Jottrand demande
la parole pour son amendement, dont le but ne détruit pas.... (E., 18 déc.)
M. le président – Permettez, messieurs, il faut en
finir. (E., 18 déc.)
M.
Van Snick émet
une opinion qu'il développe au milieu de bruits continuels, de conversations
animées et de mouvements non équivoques. (E., 18 déc.)
M. le président – Un instant de silence ! L'assemblée
accueille toujours certains orateurs avec défaveur, c'est inconvenant ; ceux qui
ne sont pas d'avis de leur accorder attention peuvent se taire ; je demande que
l'on se recueille et que l'on conserve le calme digne de notre mission. (E., 18
déc.)
L'assemblée consultée décide que la
discussion sera ouverte sur l'art. 1er de la section centrale ; qu'on pourra parler pour ou contre (page 508) les amendements annoncés, et
que pour la mise aux voix on donnera la priorité à l'amendement qui s'éloignera
le plus du projet de la section centrale. (C., 18 déc.)
M. le président – donne une seconde lecture de l'art.
1er du projet :
« Les sénateurs sont nommés par
le chef de l’Etat et choisis dans toutes les provinces, en observant autant que
possible, la proportion de leur population. » (U. B., 18 déc.)
M. Wyvekens, qui
avait demandé la parole, y renonce. (U. B., 18 déc.)
M. le président – La parole est à M. Jottrand. (E., 18
déc.)
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire : Il vient de nous arriver deux amendements
: (C., 18 déc.)
M. le président, avec un mouvement d'impatience – Encore ! (On rit.)
(U. B., 18 déc.) ,
M. le vicomte Charles Vilain XIIII, secrétaire - De compte fait nous en avons sept ;
M. le
baron de Stassart propose
comme amendement :
« Les sénateurs sont nommés par 1e
chef de l'État et choisis dans toutes les provinces d'après leur population,
sur une liste de candidats en nombre triple, à former tous les cinq ans, par
les électeurs chargés de choisir les membres de la chambre populaire. »
M. le
comte Félix de Mérode et
M. Charles Rogier proposent
un autre amendement ainsi conçu :
« Les sénateurs sont nommés par les
électeurs qui choisissent les députés à la seconde chambre et lorsque les
collèges électoraux sont réunis pour la nomination de ces députés. » (U. B., 18
déc., et A.)
Article 1er du projet de la
section centrale (article 53 de la constitution de 1831)
M.
Jottrand – La discussion des trois jours précédents m'a prouvé qu'il y avait un
moyen de concilier les opinions de beaucoup de députés, non seulement parmi
ceux qui ont voté pour deux chambres sans s'accorder sur le mode de composition
du sénat, mais encore parmi les partisans d'une chambre unique. Ces derniers ne
proscrivent en général le sénat que par la crainte de voir consacrer dans
notre constitution des privilèges aristocratiques. Un grand nombre de
partisans des deux chambres ne demandent de leur côté ces deux chambres que
pour avoir une garantie de maturité et de calme dans les discussions et les
résolutions législatives.
Le moyen de fusion entre ces deux
nuances d'opinions qui, réunies, formeraient évidemment une grande majorité
dans l'assemblée, c'est, me semble-t-il, d'admettre un sénat choisi par les
électeurs ordinaires, parmi des éligibles d'un certain âge et d'une certaine
fortune. De cette manière le principe de ceux qui regardent la nation belge
comme un tout homogène où l'on n'aperçoit aucune spécialité bien tranchante ni
de caste ni d'intérêts, ce principe, dis-je, serait respecté, parce que
l'élection du sénat, laissée aux électeurs communs, serait un hommage rendu à
l'homogénéité de nos opinions et de nos intérêts nationaux, Le principe de
ceux qui veulent deux chambres, principalement pour obtenir deux discussions de
toutes les résolutions qui concernent le pays, serait également satisfait.
Je regarde les conclusions de la
section centrale comme peu propres à réunir les opinions divergentes, parce que
ces conclusions n'ont été rédigées que dans l'espoir de réunir une certaine
majorité parmi les partisans des deux chambres exclusivement. Or, nous avons vu
qu'il était important de ramener aussi des membres de la minorité assez
considérable qui s'est prononcée pour une seule chambre. Sans cela, nous
n'obtiendrons qu'un sénat voté à une majorité très faible (si toutefois nous
l'obtenons), attendu que beaucoup de partisans des deux chambres ne veulent pas
d'un sénat créé dans l'intérêt de la puissance royale ou d'une aristocratie
quelconque, et qu'il n'est pas certain que, pour ne pas étendre trop le pouvoir
du chef de l'Etat ou créer une aristocratie, ils ne se jettent en désespoir de
cause du côté des unicaméristes.
En proposant le moyen de transaction
dont je viens de parler, je rentre, comme on voit, dans l'amendement de M.
Blargnies, sauf une modification. Je ne puis admettre l'élection par les conseils
provinciaux parce que, d'accord en ceci avec M. de Brouckere, je crois que si
l'on confie à ces conseils des fonctions électorales aussi importants que
celles que veut leur attribuer M. Blargnies, on ne nommera aux conseils provinciaux
que des hommes dont l'opinion politique et l'indépendance de position feront
les titres principaux. On négligera les capacités administratives, qui cependant
devraient être mises en première ligne quand il s'agit de composer des corps
plus spécialement chargés d'administrer les provinces. (U. B., 18 déc.)
M.
de Roo parle contre les conclusions de la section centrale et en
faveur de l'amendement de M. Beyts – Une première chambre, dit-il, nommée directement
par le chef de l'État n'aura pas d'appui dans l'État et tombera dans une
déconsidération complète. (C., 18 déc.)
M. Devaux, rapporteur – Messieurs, permettez-moi de répondre d'abord à un fait
personnel, auquel je ne voulus pas répondre pour ne pas interrompre la
discussion. Un orateur très spirituel (Note de bas de page : M. le vicomte Vilain XIIII) qui (page 509) siége au bureau dit avant-hier qu'il ne pensait pas que
mon vote en faveur du sénat fût l'expression de mon opinion véritable. Il me
prête une arrière-pensée. Selon lui, j'aurais formé un complot contre le
sénat, et, espèce de vampire démocratique (on rit) , je ne l'aurais embrassé que pour mieux l'étouffer.
Messieurs, je n'ai jamais désiré un sénat par amour pour l'aristocratie, je ne
l'ai pas demandé pour l'avantage de l'aristocratie, mais pour celui de la
nation. On me dit qu'en établissant une seconde chambre, je crée un privilège
et je consacre une inégalité entre les citoyens : cela peut être. Oui, je crois
qu'en votant, pour un sénat, nous consacrons une inégalité ; mais cette
inégalité, je la crois nécessaire à notre stabilité. Il faut que nous ayons une
aristocratie, et par aristocratie j'entends les grands propriétaires. Les
grands propriétaires sont en minorité, mais cette minorité est puissante par
son influence ; mécontente, elle pourrait nous nuire ; je veux lui faire dans
l'État une part assez large pour qu'elle ne soit pas tentée de conspirer
sourdement la ruine de nos libertés. Je n'ai donc pas d'arrière-pensée ; depuis
longtemps mon opinion est fixée sur la question, et si l'orateur auquel je
réponds en avait appelé à ses souvenirs, il se serait rappelé que telle fut la
première idée que j'énonçai dans le comité général.
J'ai encore une autre observation à
faire ; je me félicite, messieurs, que les craintes que l'on manifestait il y
a quelques jours se soient si peu réalisées. A entendre les partisans d'une
chambre unique, lorsque je demandai une discussion préparatoire en comité
général, il semblait que j'avais étranglé la publicité ; on disait que
désormais la discussion publique ne serait qu'une vaine parade. Les trois jours
qui se sont écoulés ont dû rassurer les esprits, et il faudrait être un amateur
de la publicité bien insatiable pour ne pas être content. Cependant, après une
si longue discussion, ils insistaient encore, et je crois que si on se fut
rangé de leur avis après que la liste des orateurs aurait été épuisée, ils
auraient voulu que l'on recommençât le tour de parler.
(L'orateur expose combien il est
difficile de faire une constitution dans un moment de révolution, et par
conséquent dans un moment où les esprits sont entraînés par un mouvement de
réaction, et demande si, en supposant qu'il y a six mois on nous eût dit : « Vous
aurez la liberté de la presse, la liberté de l'enseignement, les élections
directes partout,» et qu'on eût ajouté : « Vous n'aurez plus de Van
Maanen, plus de Hollandais, » les vœux auraient été plus loin, si on aurait
pensé à une chambre unique ou à un sénat directement ou indirectement
électif.)
Au sortir d'un régime où le ministère
disposait presque toujours de la majorité des deux chambres, il est bien
naturel, poursuit l'orateur, que lorsque s'élève aujourd'hui la question de la
composition de deux chambres nouvelles, chacun veuille leur conférer la plus
grande indépendance. Dès lors, s'il faut absolument que le chef de l'État intervienne
dans la nomination des sénateurs, que ce soit au moins dans les limites d'une
présentation faite par des collèges électoraux. Dans l'état actuel des esprits,
en présence des souvenirs du régime qui vient d'expirer, cette idée est si
naturelle, qu'il est bien peu d'entre nous à qui elle ne soit venue, et qui,
lors même que la réflexion en a fait voir le danger, n'aient dû faire effort
sur eux-mêmes pour l'abandonner sans regret. .
L'erreur provient principalement, je
crois, de ce qu'on se figure que plus on donne de puissance et d'indépendance
au sénat, plus on affaiblit le pouvoir du monarque. On ne voit pas que l'indépendance
absolue du .sénat est une arme à deux tranchants qui peut se tourner tout aussi
bien contre la chambre élective que contre le monarque, et qui même ne se
tournera en définitive que contre la chambre élective seule, puisque la majorité
de celle-ci fait la loi au ministère. Introduire dans la législature une autre
institution que la chambre élective en la dotant d'une indépendance absolue,
c'est donner à celle-ci l'adversaire le plus redoutable, c'est lui opposer des
obstacles infranchissables. Plus vous donnez à cette institution de force
réelle, plus vous affaiblissez et entravez l'action de la chambre élective.
Que dirait-on si on proposait
aujourd'hui, par amour du principe de l'indépendance, de faire élire le
ministère lui-même par des électeurs privilégiés ou autres, et, après cela, de
le rendre inamovible et aussi indépendant de sa chambre élective qu'on le
pourrait ? Cette idée ne serait-elle pas repoussée par tous ? pourquoi ? Parce
que dans l'intérêt de la nation le ministère, bien qu'il forme une des branches
de la législature, ne doit pas être indépendant, il faut au contraire qu'il
reste dans la dépendance de la chambre élective.
La chambre élective est celle des
trois branches de la législature qui doit exercer l'influence dominante. Qu'on
crée à côté d'elle un pouvoir modérateur pour prévenir l'irrégularité et la
trop grande impétuosité de son mouvement, à la bonne heure. Mais modérer ou
régulariser le mouvement, ce n'est pas l'arrêter tout court et à jamais.
Le système de la section centrale met
tous les (page 510) pouvoirs à leur
place et dans leur véritable rôle. La chambre élective reste prédominante ; le
sénat peut l'arrêter pendant quelque temps ; mais si la chambre insiste, si sa
volonté n'est ni injuste ni passionnée, si les électeurs sont de son avis et
qu'ils le prouvent par les élections nouvelles, si une lutte s'élève entre les
deux chambres, et que le ministère soit par conséquent dans l'impossibilité
d'agir ou de se mouvoir, alors autorisation est demandée à la chambre élective
pour ramener, par de nouvelles nominations de sénateurs, la majorité du sénat à
l'opinion de la majorité de la chambre élective. Et à l'instant l'harmonie est
rétablie, et la volonté de la chambre élective et du pays triomphe.
Que les amis des garanties nationales
y songent bien : plus vous donnerez de force morale au .sénat, par l'élection
ou par la présentation, ou plus vous le rendrez indépendant .des deux autres
branches de la législature par son origine et surtout par la limitation du nombre,
plus vous affaiblirez la chambre élective et son influence sur le ministère.
Parmi les partisans de la
présentation de candidats, les uns veulent que cette présentation soit faite
par des électeurs trois ou quatre fois plus imposés que les électeurs
ordinaires, d'autres confèrent ce droit aux électeurs mêmes de l'autre
chambre.
La première opinion, comme j'ai déjà
eu l'honneur de le dire, introduirait chez nous le privilège du double vote et
une division tout à fait analogue à celle qui existait en France, entre les
électeurs à cent écus et les électeurs à mille francs. Dans un tel système, il
est assez peu important que le nombre des sénateurs soit limité ou qu'il ne le
soit pas. Une fois qu'il y a, comme en France, opposition entre ces deux classes
d'électeurs et par conséquent entre les hommes qu'ils élisent, en vain
augmenteriez-vous le nombre des sénateurs ; en vain même dissoudriez-vous le
sénat ; comme vous ne changerez pas les élections, les électeurs privilégiés
renverront toujours des hommes qui représentent leur propre opinion, et les
deux chambres seront continuellement ennemies sans que vous ayez aucun moyen
de terminer la lutte. Or, messieurs, c'est une vérité aussi claire que le jour,
que lorsque, dans un gouvernement représentatif, les deux chambres sont
ennemies, que la lutte est sérieuse et qu'il n'y a aucun moyen de la terminer,
gouverner est impossible. Il n'y a plus d'autre remède alors qu'un coup d'État
ou une révolution.
Mais au moins, a-t-on dit, faites
faire la présentation de candidats sénateurs par les mêmes électeurs qui
nomment les membres de la chambre élective ; toute la différence qu'il y aura
entre le sénat et la chambre élective, c'est que les sénateurs seront nommés à
vie, qu'ils seront plus âgés que les membres de l'autre chambre et qu'ils payeront
un cens assez élevé. Dans ce système, à coup sûr la lutte n'existera pas entre
les électeurs, puisque les mêmes nommeront à l'une des chambres et feront la
présentation des candidats pour l'autre. Mais qui garantit que cette lutte ne
s'élèvera pas entre les chambres elles-mêmes et qu'elle ne sera pas aussi
fatale que la première ? Avec un sénat nommé à vie, en nombre limité, quel
moyen aurez-vous de la .terminer ?
Quoi ! lorsqu'il s'agit de la chambre
élective, on veut qu'elle soit réélue tous les trois ou quatre ans, peut-être
même qu'elle soit renouvelée en partie chaque année ; chaque fois qu'un de ses
membres vient à être nommé fonctionnaire, il faut qu'il se soumette à une
réélection ; ce n'est pas assez de garanties encore : il faut que le chef de
l'État ait, outre son veto, le droit de la dissoudre et de la renouveler
quand bon lui semblera : et pour le sénat, qui est comme la chambre élective une
branche de la législature, qui a absolument le même pouvoir, on met de côté
toutes les craintes ; plus d'élection à terme, plus de réélection, plus de
renouvellement partiel ou autre, plus de pouvoir de dissolution, plus aucun
moyen de changer la majorité ! On ne croit plus avoir besoin d'aucune
précaution. On supprime toutes les garanties. Une fois l'élection faite, on ne
s'inquiète plus des sénateurs, il semble qu'elle leur confère le privilège de
l'infaillibilité. Et cependant si ce sénat en nombre fixe se met en hostilité
avec la chambre élective, quel moyen avez-vous de faire triompher celle-ci, et
de rétablir l'harmonie entre elles ? Quel moyen miraculeux aurez-vous pour
qu'un ministère quelconque se tienne debout entre ces deux chambres ennemies ?
- Mais le sénat ne voudra pas se mettre en lutte avec la chambre élective. - Et
s'il le veut ? Messieurs, les institutions se font en défiance des hommes ; si
nous comptons sur des hommes tellement vertueux, tellement éclairés qu'ils
n'aient jamais ni une intention coupable, ni une idée erronée, que faisons-nous
ici ? Laissons là ce pénible et fastidieux enfantement d'institutions inutiles.
Laissons les institutions, laissons la constitution ; qu'en avons-nous besoin,
si nous comptons sur des hommes infaillibles ?
Messieurs, si, lors de notre
discussion sur la forme du gouvernement, quelqu'un était venu nous dire : «
Voici la forme que je propose : Nous élirons un roi à vie : cela fait, comme il
est incontestable que l'élection confère l'infaillibilité, nous allons (page 511) rendre son pouvoir
entièrement indépendant, point de responsabilité ministérielle, point de ministère
qui change suivant la majorité parlementaire, point de refus de budget qui
puisse l'enchaîner, rien qui puisse contraindre sa volonté ou l'empêcher
d'agir selon ce qu'il a voulu, » quel accueil la proposition
aurait-elle reçu ? Voilà cependant tout
juste ce qu'on nous propose pour le sénat, en demandant la nomination à vie et
la non-limitation des sénateurs. Électeurs, faites votre présentation ;
monarque, nommez vos cinquante sénateurs ; et cela fait, électeurs et
monarque, croisez-vous les bras et voyez faire le sénat, il fera tout le mal
qu'il pourra, il sera en guerre avec la chambre élective, il entravera tout
s'il veut. Laissez faire, c'est son privilège, il est nommé à vie et en nombre
limité ; si la mort se range de votre parti, dans quinze ou vingt ans vous
pourrez y porter remède.
Quant à moi, je ne veux pas accorder
sans garantie et sans précaution le droit de faire le mal, pas plus à une
assemblée qu'à un homme ; et bien moins encore, car je sais que les corps,
quand ils veulent le mal, sont bien plus passionnés et plus audacieux que les
individus.
Et d'ailleurs, messieurs, comment se
feront ces premières présentations à nomination qui dans le système que je
combats doivent décider pour quinze ou vingt ans de la majorité du sénat ? Sur
qui porteront les choix ? D'abord sur un petit nombre de membres de l'ancienne
deuxième chambre qui se décideront peut-être à quitter la chambre élective
pour le sénat ; ensuite sur des hommes dont les opinions sont beaucoup moins
connues, des hommes jouissant d'une certaine considération sans doute, et de
préférence probablement sur ceux qui dans leur province faisaient de l'opposition
à l'ancien gouvernement. Mais l'ancien gouvernement n'existe plus, et après une
révolution les positions sont bien changées. Qui peut prévoir le rôle que
jouera, sous le régime nouveau, tel homme qui dans sa province faisait une
opposition secondaire sous le régime qui vient d'expirer ? Ce sera toujours,
comme auparavant, je veux le croire, un honnête homme dans ses relations
privées, un estimable père de famille. Mais on trouve de fort honnêtes gens et
les plus estimables pères de famille dans tous les partis politiques, même dans
ceux qui ont le plus combattu les libertés de leur pays. Qui pourra dire si
aujourd'hui cet homme ne sera pas ou trop favorable ou trop contraire au
pouvoir nouveau, s'il ne sera ni trop aristocrate ni trop démocrate, ni trop
catholique ni trop philosophe ? Il faut bien le reconnaître, messieurs, sous ce
rapport une bonne partie des premières présentations et nominations se feront à
l'aveugle. Et cependant, ces présentations et nominations achevées, voilà,
dans le système que je combats, la majorité des sénateurs immuablement fixée
pour une génération.
A tous les maux de l'immobilité d'un
sénat nommé à vie en nombre limité et sur présentations, je sais bien que
quelques-uns ont proposé un remède extrême, le veto suspensif, invention
de malheureuse mémoire qui nous reporte de quarante ans en arrière, comme si la
science politique n'avait rien appris à la révolution française et n'avait
fait depuis aucun progrès ; comme si des circonstances analogues devaient
toujours ramener les mêmes fautes et les mêmes erreurs.
Le veto suspensif, qu'est-ce
autre chose que l'humiliation du pouvoir à qui on le confère ? S'imagine-t-on
une assemblée législative appelée à donner son opinion sur une loi, qui émet
cette opinion publiquement et peut-être à l'unanimité, et dont la décision
ensuite est déclarée par un autre pouvoir déraisonnable ou antinational ? Et
cette assemblée, malgré son humiliation, subsistera et formera toujours une
des trois branches de la législature. Comment voulez-vous, si vos sénateurs ne
sont des anges venus tout exprès sur la terre pour se soumettre au veto
suspensif, que le dépit ne les gagne ? Comment voulez-vous qu'une telle
assemblée ne soit méprisée à la fois par la nation, par la chambre élective et
par le monarque, et que, dans les moments d'urgence, elle n'expose les intérêts
de l'État aux plus grands dangers ?
Remarquez, d'ailleurs, messieurs, une
autre conséquence du veto suspensif, c'est qu'il ramène un des plus
grands inconvénients de la chambre unique. En rangeant le sénat hors de cause,
il remet le monarque en présence de la seule chambre populaire ; avec cette
différence que, cette fois, si le monarque cède à cette chambre, tout n'est pas
fini, mais qu'il se déclare par là l'ennemi du sénat. Le monarque n'a que
l'alternative de se rendre hostile ou au sénat ou à la chambre élective.
Un autre moyen a été proposé comme
meilleur que le veto suspensif, c'est la réunion momentanée des deux
chambres en une seule pour vider le débat. J'ai déjà fait voir dans le comité
général que cette réunion avait tous les inconvénients du veto suspensif, avec
ce résultat de plus que la majorité du sénat, se joignant à la minorité de la
chambre élective, pourrait triompher de la majorité de celle-ci, et qu'ainsi,
contre tous les principes du gouvernement représentatif, la lutte des (page 512) deux chambres pourrait se
terminer par la défaite de la chambre élective. En tout cas, la défaite et ses
humiliations seraient incontestablement réservées à l'une ou à l'autre
chambre, sans que la composition d'aucune d'elles fût changée. De là rivalité
de pouvoir, tracasserie, déconsidération, guerre, entraves jetées à travers
toutes les mesures urgentes, et tous les résultats naturels d'une pareille
lutte.
Messieurs, le système que vous
propose la commission n'offre aucun de ces inconvénients, et j'y cherche
vainement une objection solide ; on le combat moins avec des raisons, qu'avec
des souvenirs d'un autre régime ; et c'est là une logique peu sûre.
Moins sûre encore est celle qui
consiste à nous effrayer d'un mot. Quoi ! dit-on, vous voulez des fournées, mais
ce mot dit tout. Messieurs, j'ai beau le retourner dans tous les sens, je ne
puis découvrir ce qu'il a de si effroyable. Je sais quel est quelquefois
l'empire d'un mot dont personne ne se rend compte, et je me rappelle qu'au dire
d'un historien, il y eut une époque de la révolution française où le mot veto
inspirait une telle frayeur, que le peuple, dans les rues de Paris, parlait
du veto comme d'un monstre qui devait dévorer les petits enfants. Je ne
puis croire que. nous en soyons là pour les fournées.
Le poète a eu raison de le dire, la
destinée des mots est bien changeante : j'étais à Paris il y a onze ans, et à
cette époque, je vous le garantis, c'était une chose bien populaire, bien
libérale et bien précieuse aux yeux de tous les amis de la liberté qu'une
fournée. M. Decazes venait d'introduire dans la chambre des pairs soixante
pairs libéraux ; c'est à cette époque, je crois, que le mot méprisant de fournée
fut introduit dans la polémique des journaux, et par qui le fut-il ? Si je
ne me trompe, par
Il y a une idée que quelques
personnes ont peine à comprendre, idée cependant bien simple, bien indubitable
et qui renferme toute la question. C'est que là où il existe deux chambres, le
ministère n'a pas de plus grand danger à redouter que de les voir en guerre
l'une contre l'autre. Dès qu'il y a lutte entre les deux chambres, que
l'une rejette ce que l'autre adopte, les affaires ne peuvent plus marcher, un
ministère qui ne peut parvenir à les mettre d'accord est un ministère mort, le
gouvernement est devenu impossible. Ce fut là, messieurs, lors de
l'émancipation catholique en Angleterre, le principal argument du ministère
Wellington devant la chambre des pairs ; la lutte des chambres sur ce point,
dirent-ils, est devenue tellement sérieuse que, si elles ne se mettent
d'accord, il n'y a plus de gouvernement possible. La chambre des pairs céda ;
et si elle ne l'avait pas fait, si elle s'était obstinée, quel autre moyen de
salut restait-il, je le demande, que de faire une nouvelle nomination de pairs
?
Ne craignez donc pas que lorsque vous
aurez une chambre élective vraiment nationale, le ministère se plaise à nommer
des sénateurs anti-nationaux : ce serait de gaieté de cœur provoquer la lutte
entre les deux chambres, c'est-à-dire la mort du ministère lui-même.
Cependant, répondra-t-on, voyez dans
quel sens ont été faites les nominations de l'ancienne première chambre.
Messieurs, le vice n'est pas dans ces nominations seulement, il était dans
la majorité de la chambre élective. Si,
à l'époque où ces nominations ont été faites, le parti indépendant avait eu
dans la deuxième chambre une majorité forte et redoutable, les nominations à
la première chambre auraient été bonnes ; si le ministère avait reconnu qu'il ne
pouvait plus marcher qu'avec le parti national, il n'aurait plus appelé à la
première que des hommes qui ne l'empêchassent pas de se diriger dans ce sens.
La première chambre a joui, je le sais,
de très peu de considération. Mais pourquoi ? Parce que chez nous le pouvoir
n'a jamais senti le besoin de lui donner quelque influence morale. L'opposition
n'a eu la majorité dans la deuxième chambre que par hasard et grâce à une
dizaine de voix sur lesquelles elle ne pouvait jamais compter d'une manière
certaine. Le ministère qu'avait-il besoin contre elle d'un pouvoir modérateur ?
qu'y avait-il là à modérer ? Mais si la majorité avait été forte et constante
dans le sens national, alors ? soyez-en sûr, le pouvoir aurait bien senti la
nécessité de donner quelque influence morale à la chambre modératrice ; il y
aurait appelé, non plus des courtisans invalides, mais des hommes
considérés et respectables dont la voix fût écoutée avec quelque faveur par la
nation.
Messieurs, notre première chambre est
une preuve frappante de ce qu'aurait de
funeste la limitation du nombre des sénateurs. Vous le savez, (page 513) elle était limitée. Eh bien !
supposez que l'opposition fût parvenue, au moyen des élections du Brabant
septentrional et de quelques autres en Hollande, à obtenir une véritable
majorité dans la deuxième chambre ; supposez que cette chambre eût refusé tout
subside tant que la responsabilité ministérielle, la liberté de l'enseignement
et le jury en matière de presse n'étaient pas concédés ; supposez que le
ministère, forcé par la nécessité, eût cédé. Des projets de loi sur la responsabilité
ministérielle, la liberté de l'enseignement et le jury sont présentés à la
deuxième chambre, et acceptés par elle à la presque unanimité. Mais la première
chambre s'obstine dans l'ancien système, elle rejette le tout. La première
chambre est au complet, le nombre de ses membres est limité ; quel moyen y
aurait-il eu de sortir de cette situation autrement que par le coup d'État ou
par une révolution ?
Au surplus, si l'on craint encore que
de son propre mouvement le ministère ne mette les deux chambres en guerre l'une
contre l'autre, c'est-à-dire qu'il ne se tue de ses propres mains, l'amendement
que la section centrale vous propose prévient même cette crainte. Le ministère
ne pourra dépasser le nombre de soixante qu'avec l'autorisation de la chambre
élective, et comme la chambre élective ne se plaira pas apparemment à donner
des armes contre elle, elle ne donnera son autorisation que lorsqu'il y aura
nécessité de ramener la majorité du sénat à sa propre opinion.
Mais la chambre élective, dit-on,
peut être mal composée. Alors il faut bien qu'on puisse changer dans son sens
la majorité du sénat. Messieurs, tout le gouvernement représentatif repose sur
cette donnée première, que la loi électorale est bonne, et la chambre élective
par conséquent bien composée. Si vous partez de la supposition contraire, si
vous voulez faire une constitution dans la prévision d'une chambre élective
antinationale, vous allez construire tout votre édifice à rebours et à
contre-sens. Plus de refus du budget, plus de soumission des ministres à la
majorité parlementaire, plus d'accusation des ministres. Indépendance du sénat,
indépendance du pouvoir exécutif peuvent seules nous sauver. J'oubliais une
objection.
Un orateur a dit que la
non-limitation du nombre des sénateurs anéantissait la responsabilité
ministérielle, car, a-t-il ajouté, quand un ministre sera mis en accusation, le
monarque nommera un certain nombre de nouveaux sénateurs, et par ce moyen
l'acquittement sera certain.
On a oublié deux choses : la
première, qu'il n'est pas décidé encore que les ministres seront jugés par le
sénat ; la seconde, qu'il y a dans le projet de constitution une disposition
bien simple qui ne rencontrera, je crois, aucune opposition dans votre
assemblée, et qui met un obstacle absolu au vice qu'on signale. C'est l'article
qui porte qu'en cas d'accusation des ministres, aucun des sénateurs nommés depuis
l'entrée au ministère de l'accusé ne pourra siéger au procès.
L'orateur entre ensuite dans divers
développements sur les amendements qui ont pour but l'élection du sénat ou la
présentation de candidats ; il s'attache particulièrement à démontrer que tous
tendent à affaiblir la chambre élective au profit d'un sénat qui ne sera jamais
que l'expression peu fidèle des intérêts généraux de la nation.
M. Devaux, en terminant, demande quel
sera l'effet d'une chambre élective sur l'esprit des hommes influents des deux
pays qui nous montrent aujourd'hui le plus de sympathie ; il demande si on ne
s'exposera pas à éloigner du trône de
M. le baron Beyts prend la parole pour expliquer son
projet ; il ne veut ni élection exclusive par le chef de l'État, parce que ce
serait tout accorder à la royauté, ni élection exclusive par le peuple, parce
que ce serait peut-être tomber dans le maratisme ; il faut, pour la
formation du sénat, combiner l'influence du roi et celle du peuple,
c'est-à-dire accorder au roi l'élection sur présentation par les électeurs,
(C., 18 déc.)
M. Blargnies
– Messieurs, nous
voulons tous une institution qui puisse arrêter le mal, soit de la part du
pouvoir exécutif, soit de la part de la chambre des communes. C'est là l'idée
dominante de tous ceux qui sentent la nécessité de deux chambres. Je ne peux
admettre l'amendement de M. Jottrand, parce qu'il donne trop de pouvoir à la
démocratie contre le chef de l'État ; car, comme l'a dit M. Devaux, un système
qui tend à faire nommer le sénat par les électeurs nous donnera deux chambres
démocratiques au lieu d'une. Ces deux chambres rivaliseront ensemble de
popularité, et, au lieu de modérer le mouvement, la chambre haute ne fera que
le hâter. Je ne veux pas non plus du système de la section centrale, parce
qu'il ne peut pas entrer dans mon esprit de donner au souverain l'influence
que lui donnerait nécessairement le droit (page
514) de nommer les sénateurs, surtout s'il le pouvait en nombre illimité.
Je ne veux ni sénat en nombre illimité, ni fournées. On a dit que les
institutions devaient être faites en défiance des hommes. Certes, si on doit
se défier d'un homme, c'est bien d'un roi, qui cherchera toujours à étendre son
pouvoir, quelques barrières que l'on cherche à lui opposer. Aussi je ne veux
pas lui donner, outre sa prérogative, le pouvoir de nommer des sénateurs en
nombre illimité, ni d'en dénaturer l'esprit par des fournées. Ces
motifs me font donner la préférence à mon système, qui consiste à faire nommer
les sénateurs par les conseils provinciaux.
Notez que je suppose les conseils
provinciaux nommés par le peuple ; ils seront le résultat d'une élection
directe faite sans distinction d'ordre : les conseils seront donc composés
d'hommes d'élite, à qui sera confié par le peuple le gouvernement de la
province ; et si on les a jugés capables de gouverner une province, est-il
impossible qu'ils puissent à la fois et bien administrer et envoyer de bons
députés à la chambre haute ? Personne n'oserait le nier : Non, messieurs, les
conseils provinciaux, composés comme je viens de le dire, connaissant parfaitement
les localités, les habitudes, les mœurs, les besoins de leur province, ne pourront
faire de mauvais choix. J'ai cité à l'appui de mon opinion l'exemple des états
provinciaux (et ce n'est pas, comme on l'a dit, le seul argument invoqué à
l'appui de mon système, mais comme une des nombreuses considérations à faire
valoir en sa faveur) ; j’ai cité, dis-je, l'exemple des états provinciaux
sous l'ancien gouvernement, qui, malgré leur mauvaise composition, ont sinon
toujours, du moins quelquefois envoyé de bons députés aux états généraux. Eh
bien ! je trouve dans mes conseils provinciaux des états provinciaux
perfectionnés par l'élection directe faite sans distinction d'ordre : par
cette idée, j'évite les deux écueils que tout le monde a signalés ; j'établis
un pouvoir modérateur qui, ne devant rien au pouvoir exécutif, ne pourra être
nuisible par sa servilité, et qui sera en même temps distinct du pouvoir démocratique,
car il n'émanera pas directement de lui. Sous tous ces rapports, je trouve plus
rassurante la nomination des sénateurs par les conseils provinciaux ; ce moyen
a encore l'avantage de satisfaire aux exigences de M. Devaux. Il veut que nous
fassions une large part à l'aristocratie. Son but sera rempli, car les conseils
enverront des hommes nécessairement distingués par leurs lumières, influents
par leur position ; ils seront choisis parmi les grands propriétaires, puisque,
pour être admis au sénat, je veux que l'on paye 1,000 fl. d'impôt foncier. On a
répété une objection contre ces conseils provinciaux, à laquelle il est bien
aisé de répondre. Les uns ont dit que les corps administratifs ne seront pas de
bons électeurs, qu'en leur confiant la nomination des sénateurs on fausse
l'administration. Un autre, d'un seul trait, fait disparaître les
administrations provinciales : Du jour, dit-il, où vous en ferez des collèges
électoraux, vous n'aurez plus d'administrateurs, vous n'aurez que des hommes à
bonnes intentions politiques, dont les efforts tendront moins à administrer
qu'à faire des élections conformes aux vues du pouvoir. Ces arguments, permettez-moi
de le dire, ne sont que des phrases de pure convention. Je vais vous les
traduire et vous verrez où ils nous conduiraient, c'est comme si l'on disait :
Un bon administrateur ne saurait être un bon électeur ; il suffira de posséder
toutes les qualités qui font le bon administrateur pour perdre à l'instant
même toutes celles qui vous rendent capable d'être un bon électeur. Alors,
messieurs, vous n'avez qu'à rayer de la liste électorale tous les
administrateurs. Vous sentez jusqu'où irait une semblable proposition.
Les membres des conseils provinciaux
tels que je les suppose ne seront pas des administrateurs ordinaires ; ce
seront de hauts administrateurs nommés directement par le peuple ; ce seront de
hauts administrateurs qui risqueront de n'être pas réélus s'ils envoient de
mauvais membres à la chambre haute. Si les conseils provinciaux font de mauvais
choix, le peuple pourra et devra s'en prendre à lui qui les aura nommés ;
ceux-ci auront par conséquent un grand intérêt, s'ils veulent être réélus, à
ne choisir que des. hommes dignes de la confiance de la nation et capables de
remplir la haute mission qui leur sera confiée. Enfin pour donner à toutes ces
garanties un nouveau degré de force, vous ajoutez les réélections après six
ans des membres de la chambre haute. Voilà, messieurs, quels sont les
développements que j'ai cru devoir vous présenter sur mon amendement. (U. B.,
19 déc.)
M. de Muelenaere – Messieurs, hier j'ai voté pour l'établissement
d'un sénat ; aujourd'hui je viens développer les motifs qui me feront voter
contre l'art. 1er tel que le propose la section centrale. Si j'ai
bien compris les orateurs qui m'ont précédé, ils demandent une chambre haute
pour opposer une digue aux passions tumultueuses, et pour entourer le trône
d'un rempart contre les atteintes possibles de l'élément démocratique ;
jusque-là, messieurs, je vois la part que l'on fait (page 515) au pouvoir : rien de mieux ; mais prenons garde que le
sénat ne puisse, à l'aide du pouvoir exécutif, devenir oppressif et dangereux
pour les libertés publiques. Il me semble que là doit se porter notre
sollicitude ; car, si nous devons faire la part du pouvoir et de ses
prérogatives, nous devons aussi prémunir la liberté contre les attaques du
pouvoir ; car une expérience éternelle nous prouve que le pouvoir cherche sans
cesse à abuser de sa force et qu'il s'étend toujours jusqu'à ce qu'il trouve
des limites. Ce n'est que par une bonne constitution, où les pouvoirs divers
seront parfaitement définis et limités, que nous pourrons empêcher les
attaques du souverain contre les libertés publiques. Par le seul fait que le
sénat se trouvera placé entre le souverain et la chambre des communes, il me
semble que le chef de l'État n'exercera que trop d'influence sur lui. Or,
quelle ne sera pas cette influence s'il a la nomination de tous les membres du
sénat ! C'est un écueil que je voudrais éviter autant dans l'intérêt du pouvoir
souverain que dans celui de la nation. Voilà les motifs qui me décideront à
voter contre l'art. 1er de la section centrale.
Il m'est difficile de me prononcer,
en ce moment, sur les divers amendements proposés ; toutefois, je n'hésiterai
pas à donner mon suffrage à celui qui se rapprochera le plus d'un système où le
chef de l'État et le peuple contribueraient en semble à la nomination du sénat,
parce que, de cette manière, vous forcez le sénat à rester ce que vous voulez
qu'il soit, c'est-à-dire, corps intermédiaire entre le pouvoir exécutif et la chambre
élective : rouage que je crois utile
dans le gouvernement représentatif.
Si on objecte que le sénat n'opposera
plus de digues suffisantes aux débordements populaires, je répondrai que cela
est nécessaire. D'abord, une institution purement aristocratique sera toujours
impuissante pour cela. Au reste, pensez-vous que le peuple ne sera pas assez
sensé pour sentir le but de nos nouvelles institutions ? et pensez-vous que les
électeurs ne sauront pas discerner les qualités désirables dans les candidats ?
Rien n'empêcherait d'ailleurs de déterminer les conditions d'admission au sénat
: alors les garanties se trouvent dans les conditions d'éligibilité, dans un
âge plus mûr, dans une grande fortune, dans un cens plus considérable, et dans
telle autre condition que vous jugerez à propos de poser. Je le répète donc,
je voterai contre l'art. 1er de la section centrale, me réservant de
m'expliquer plus tard sur les amendements proposés. (U. B., 19 déc.)
M. le comte de Celles
– Il me paraît,
messieurs, que l'article en discussion est le suivant :
« Les sénateurs sont nommés par le
chef de l'État et choisis dans toutes les provinces, en observant, autant que
possible, la proportion de leur population. »
Cet article me donne le droit de
développer l'opinion contraire : j'éviterai cependant le plus possible de dire
aujourd'hui ce que j'aurais voulu dire hier.
Vous avez décidé hier
hypothétiquement que nous aurions un sénat ; il me parait ou que ces,sénateurs
auront trop de reconnaissance au pouvoir qui 1es nommera pour agir librement,
ou qu'ils tâcheront d'étendre leur pouvoir et de le rendre permanent à l'aide
de la couronne, qui de son côté s'appuiera sur eux.
Et de deux choses l'une : ou ce
sénat, qui est une invention toute moderne, quoi qu'on en dise, cherchera à
devenir une pairie anglaise et à ne pas rester une pairie métisse telle qu'on
veut l'essayer ici ; ou il aura, dis-je, une tendance à obtenir la transmission
du titre, à établir des magistratures, etc. ; ou il sera dans un état de
servilité complète.
Je dis qu'il aura une tendance à
devenir pairie anglaise, que les sénateurs chercheront à augmenter leur
puissance : non que je leur suppose de mauvaises intentions ; mais il est de
l'essence de tout pouvoir de chercher à se consolider, et l'on s'imagine
volontiers que c'est pour le plus grand bien du pays que l'on étend ses
attributions. Je ne crois pas réussir à faire partager mes craintes à la
majorité de cette assemblée, je ne l'espère pas ; mais n'importe, si ce que je
viens de dire n'a pas lieu, j'ai peur que la servilité ne soit le partage de
votre pairie non héréditaire, et qu'elle ne forme une camarilla, ainsi que cela
s'est vu dans des pays voisins. C'est de la chambre haute et non de la chambre
basse que sortent les camarillas.
Ces pairs que nous allons improviser
seront-ils mus par des sentiments mauvais ? Non, sans doute ; mais il arrivera
telle circonstance où le ministère leur dira : Voici une loi adoptée dans la
chambre basse ; cette loi vous paraît bonne, mais prenez-y garde, vous allez
voir la démagogie surgir de tous côtés ; rendez-nous encore le service de la repousser,
soutenez le trône ! Alors on répondra : M. le ministre, ce que vous me demandez
est repoussé par l'opinion publique, je vais me déshonorer aux yeux du peuple
; mais vous le croyez utile pour sauver le pays, je vous donne ma voix. - Ce
que je vous raconte là n'est pas une fiction, c'est à peu près une anecdote de
la loi mouture. (Sensation.)
Ces gens-là seront-ils donc tout à
fait méprisables ? je ne le crois pas, mais ils ne resteront pas (page 516) les mêmes : ils vieilliront,
ils perdront ce courage moral si nécessaire aux hommes publics, ils n'auront
plus ce désintéressement, apanage de la jeunesse, et, ainsi que je l'ai dit, ou
ils tendront à devenir de véritables pairs, ou ils deviendront serviles.
Peut-être pensez-vous, messieurs, que je suis dominé par la puissance d'anciens
souvenirs ; il n'en est pas ainsi : depuis le jour où j'ai réfléchi sur la
première chambre, mon opinion a toujours été la même ; aussi ai-je constamment
brigué l'honneur de ne pas en être.
On nous a dit : Prenez garde,
l'Europe sera en émoi, si le sénat n'est pas nommé par le chef de l'État. On
nous a montré les armées en marche pour s'opposer à notre constitution.
Si nous faisons notre constitution
sous l'influence des autres peuples, nous serons sans doute fort embarrassés
dans la question qui nous occupe ; car j'en vois un qui n'est pas content du
tout de sa pairie, qui veut en changer : l'hérédité de cette pairie, condition
essentielle à mon avis, est devenue chanceuse, et rien ne garantit son avenir.
Croyez-moi, messieurs, laissons faire les autres et faisons à notre guise : je
n'ai aucune notion, quant à moi, que l'on s'occupe à l'extérieur des
institutions que nous allons nous donner, et si c'est par rapport à notre
souverain futur que l'on veut avoir un sénat, je dirai d'abord que je ne sais
ce qu'il voudra, puisqu'il,n'est pas encore nommé. On a dit qu'il reculerait
devant une seule chambre : j'avoue, messieurs, que mes souvenirs historiques
ne me rappellent point d'exemple d'un souverain refusant une couronne à cause
d'un article de constitution. Mais on nous a dit : C'est un article essentiel.
Mais, dirai-je à mon tour, nous avons dans notre constitution d'autres articles
essentiels sur lesquels j'espère qu'on ne fléchira pas : si quelque chose
pouvait effrayer notre futur souverain, ce serait sans doute la liberté
d'association, que j'espère voir établir de la manière la plus large par le
congrès. Certes il y aurait des peuplés étonnés de voir s'établir chez nous des
couvents de capucins (on rit) : il faut appeler les choses par leur
nom. Eh bien, qu'ils viennent, ils seront reçus. Nous avons eu des clubs et
nous les avons laissés faire : faut-il, parce que nous établissons des
principes purs et vrais de liberté, craindre à tout instant l'intervention ?
Non, messieurs ; poursuivons notre route, établissons la liberté la plus large
de la presse, des cultes ; maintenons la liberté absolue d'association que le
gouvernement provisoire a eu la gloire de proclamer le premier.
On nous a dit : Prenez-y garde : vous
dites sans cesse ce que vous ne voulez pas, mais vous ne dites pas ce que vous
voulez ; vous ne voulez pas deux chambres, comment voulez-vous la vôtre ? Je
croyais m'être expliqué et avoir dit que je voulais avec une seule chambre un
pouvoir municipal et provincial fortement organisé, une liberté de la presse
pleine et entière, une responsabilité réelle des ministres et de tous les
agents du pouvoir. Dans les pays où deux chambres sont établies, il n'y a ni
responsabilité réelle des ministres, ni liberté de la presse parfaitement
établie, ni liberté municipale. J'avais dit que, si on le jugeait nécessaire,
on pourrait faire une part à la propriété dans les élections.
On nous a dit que ce n'était pas la
noblesse qu'on entendait par le mot aristocratie, mais la propriété, et que si
on ne lui faisait pas sa part, elle la ferait elle-même. Je crois que l'on ne
se fait pas sa part, et, sans cela, n'aurions-nous pas à craindre que le clergé
ne fît aussi la sienne ? Mais la nation fera la part de chacun. Nous verrons
des soutanes dans nos assemblées futures comme il y en a ici, et quant à moi,
je me félicite de les y voir, et je suis charmé des rapports que j'ai eus avec
ceux qui les portent.
Mais, dit-on encore, l'aristocratie
voudra tout envahir. Rétablissons les mots, messieurs ; au lien de l'appeler propriété,
appelons-la noblesse, et alors je demanderai : A quelle époque cette
noblesse a-t-elle été si effrayante, si hostile au peuple ? Parmi les
défenseurs de la patrie, n'en est-il pas un à Berchem qui porte un nom illustre
? Il n'avait pas quitté son château seulement, pour voler au secours de
Je l'ai dit ailleurs, lorsqu'on
accusait les nobles et les prêtres : ils se sont toujours montrés les soutiens
du peuple ; je l'ai dit à La Haye, à propos des pétitions, et en répondant à
Donker-Curtius, qui trouva sans doute que j'avais raison, car il ne répondit
rien.
Prenons-y garde, nous a-t-on dit, la
révolution pourrait continuer ; arrêtons-la, jouissons de ses bienfaits, mais
n'allons pas au delà.
Ce n'est pas moi, dans ma position
sociale, et déjà avancé dans ma carrière, que l'on accusera d'être
révolutionnaire ; mais n'y aurait-il aucun danger à arrêter cette révolution
sans recueillir ses fruits, à établir une chambre haute, parodie de ce sénat
conservateur qui ne conserva rien, ou doublure de la première chambre des
Pays-Bas, dont vous avez entendu la réprobation unanime ?
Je ne crois pas aller au delà d'une
sage liberté, et je crois qu'une chambre haute, qui pourrait devenir une
camarilla, présenterait beaucoup de dangers ; car les révolutions ne viennent
pas d'en bas, mais d'en haut. - J'ai dit. (U. B., 19 déc.)
M. Van Meenen – Je serais disposé à adopter l'art. 1er
de la section centrale, si je lui voyais quelque chance de succès, et si je ne
craignais en l'appuyant de compromettre le système des deux chambres lui-même.
C'est donc en désespoir de cause que je me l'attache aux amendements, parce que
je crois qu'il nous faut une troisième branche du pouvoir : non pas que je la
considère, ni comme représentant l'aristocratie, ni comme nécessaire à la
défense du pouvoir souverain contre le peuple ; mais parce que j'y cherche un
troisième rouage régulateur du mouvement législatif, un troisième support pour
la stabilité de nos institutions que je vois déjà chanceler sur deux seuls
appuis. Je cherche un moyen de conciliation, et puisque je ne dois pas espérer
de voir la nomination du sénat confiée au souverain, je ne voudrais pas non
plus la confier aux électeurs, car je veux trouver quelque chose qui
différencie le sénat de la chambre élective ; et puisqu'il est évident que
l'élément populaire, le mouvement progressif, trouvera toujours une
représentation convenable dans la chambre élective, tâchons, dans le sénat, de
représenter l'âge, la maturité, la stabilité. Je m'accommoderai donc, par le
besoin que j'éprouve d'une conciliation, des amendements que je croirai les
plus propres à rendre aussi bonne que possible une institution objet d'une si
vive affection pour les uns et d'une si grande répugnance pour les autres. De
ce nombre est l'amendement de M. Blargnies, sauf quelques modifications que je
crois nécessaires. j'y trouve une garantie pour la bonté des choix, en ce
qu'ils seront confiés à un conseil composé d'hommes honorables et indépendants.
J'y trouve une égale garantie contre l'immobilité, par cette considération que
la chambre haute sera élective et temporaire. Ainsi il y aura mouvement ;
il n'y aura pas fixité, immobilité de
choses et de personnes ; la chambre haute ne précipitera pas le mouvement, mais
elle pourra le suivre. Je voudrais cependant qu'au lieu de ne composer le
sénat que de quarante-cinq membres, on en portât le nombre aux deux tiers des
membres de la chambre élective, et si je ne craignais pas que la matière nous
manquât, je proposerais qu'il fût en nombre égal. Il est clair, en effet, que
quelques tendances que l'on redoute de ce corps, elles s'organiseront en
raison directe du nombre moindre de ses membres. Ainsi, si vous redoutez les
penchants aristocratiques, ils seront plus à craindre de la part de quarante
individus que de cent. Si vous craignez que le sénat ne soit suborné, traîné à
la remorque par le chef de l'État, la séduction sera plus difficile sur cent
membres ou sur un nombre égal à celui de la chambre élective que sur quarante
ou quarante-cinq membres. Il n'y aurait donc de raison de s'arrêter au nombre
de quarante-cinq, que si nous craignions de nous étendre au delà de la matière
éligible. D'après tous ces motifs, j'adhérerai à l'amendement de M. Blargnies
avec le sous-amendement de M. Jottrand. Je dois dire, avant de terminer, que
je suis peu touché de l'argument qui consiste à dire qu'en confiant l'élection
du sénat aux électeurs de la chambre élective, nous établirons une lutte entre
les deux chambres, et qu'il y aura rivalité de popularité entre elles : je
suis complètement rassuré sur ces dangers. Il y aura entre les chambres assez
d'éléments différents pour que la chambre sénatoriale ait ses avantages, et
l'autre les siens. Quant à la rivalité de popularité, rarement dans les corps
représentatifs vous la verrez exister ; il est plutôt à craindre de voir la
chambre haute pencher vers le pouvoir.
On a dit que la proposition de M.
Blargnies tendait à transformer des corps administratifs en collèges électoraux
; les conseils provinciaux s'occuperont plutôt des intérêts politiques que de
ceux de l'administration de leur province. A cette objection M. Blargnies a
répondu qu'avec ce raisonnement on déclare tous les administrateurs inhabiles à
être électeurs, et qu'il faut les rayer des listes électorales. je ne suis pas
satisfait, de cette réponse. Il ne s'agit pas de savoir si les qualités
administratives possédées par un individu sont (page 518) exclusives des qualités qui constituent un bon électeur ;
mais il s'agit de connaître l'effet que produirait sur une administration sa
conversion en collège électoral. Je pense que les exemples de nos états
provinciaux doivent nous avertir de la nécessité d'éviter de convertir les
conseils de provinces en collèges d'élection. Ayons des collèges électoraux
organisés par un bon système électoral, et ne craignons pas de nous en
rapporter aux électeurs du soin de choisir de bons sénateurs. N'établissons pas
dans notre système représentatif deux degrés d'élection. Je finis, messieurs,
comme j'ai commencé, en disant que je voterais volontiers pour le projet de la
section centrale, si je croyais le faire avec quelques chances de succès. Dans
la conviction contraire, je me décide pour le système de M. Blargnies avec l'amendement
de M. Jottrand, à moins que la discussion ultérieure ne vienne jeter dans mon
esprit de nouvelles lumières, et me faire changer d'opinion. (U. B., 19 déc.)
M.
Lebeau – Messieurs, l'attention soutenue que vous avez prêtée au discours de M. de
Celles me fait présumer que l'honorable orateur ne s'est pas écarté de la
question. J'espère que vous voudrez bien entendre la réponse que j'ai à lui
faire, avant d'aborder l'art. 1er du projet de la section centrale.
Prenez garde, nous a dit M. de Celles
: vous voulez constituer un sénat sans hérédité, sans les prérogatives
essentielles à un corps de cette nature ; vous allez compromettre la liberté
publique ; les pouvoirs sont, de leur essence, envahissants : en vain vous
aurez circonscrit les attributions de votre sénat ; avec l'aide du chef de
l'État il arrivera bientôt à établir l'hérédité, les majorats, les
substitutions, à former enfin une véritable pairie anglaise. Cette sorte
d'argumentation, qui manque rarement son effet, surtout quand elle est présentée
d'une manière spirituelle, ne prouve rien : c'est un reproche banal, car s'il
est prouvé que malgré tous les obstacles que nous pourrons lui opposer, le
sénat renversera toutes les barrières, non seulement il ne fallait pas
l'établir, mais il fallait nous garder de voter la monarchie, car les rois ont
été beaucoup plus loin dans leurs envahissements que quelque chambre
délibérante que ce soit ; et il faudrait aussi s'abstenir d'élever aucun
pouvoir, car tous, comme l'a dit M. de Celles, sont envahissants de leur
nature.
Cependant vous avez voté la
monarchie, parce que vous vous en êtes reposés sur la constitution du soin
d'assigner des limites au pouvoir royal : il en sera de même du sénat ; vous
apporterez les mêmes soins à déterminer le cercle dans lequel il doit agir.
On
vous a parlé de camarilla. Je n'en veux pas non plus, car je suis auteur d'un
amendement qui a pour but d'exclure de la chambre haute les chambellans,
écuyers, aumôniers de cour, et tout le cortége des serviteurs : que si jamais
la camarilla envahissait le sénat, je demanderai à l'honorable membre si le
seul respect d'une représentation vraiment nationale et populaire suffirait
pour anéantir l'influence de cette camarilla.
On nous a beaucoup parlé de la
première chambre du ci-devant royaume des Pays-Bas ; car, Dieu merci, les
adversaires du projet de la section centrale ont trouvé là un texte qui ne
leur a pas manqué. - Qu'il me soit permis de sortir du système bâtard de
gouvernement représentatif sous lequel nous avons trop longtemps gémi, pour
nous porter dans le vrai. - Et alors, je, vous montrerai lord Wellington,
plaidant à la chambre des pairs d'Angleterre la cause de l'émancipation
catholique, que cette chambre repoussait malgré le vœu de la nation. Milords,
disait-il, la nation veut que le scandale de l'asservissement d'une partie de
la nation cesse ; elle veut que l'ilotisme politique de l'Irlande finisse ; la
chambre des communes le veut ; le peuple le veut ; il faut céder, milords, ou
livrer la patrie à des déchirements intérieurs.
Qu'a fait alors la chambre des lords
? elle a cédé, et une majorité imposante est venue rendre l'Irlande à la vie
civile et politique. Voilà, messieurs, le véritable gouvernement
représentatif.
Si la chambre élective des Pays-Bas,
au lieu d'avoir méprisé l'opinion publique, eût repoussé la loi mouture, le
petit colloque dont vous a parlé M. le comte de Celles n'aurait pas eu lieu
dans la première chambre. - Croyez-vous que si le ministère eût eu en face de
lui une majorité vraiment populaire, il se fut engagé jusqu'à présenter cette
loi, même en usant du droit qu'il avait de la faire passer d'abord à la
première chambre ? Non, messieurs, c'est la servilité de la chambre élective
qui a causé l'adoption de la loi mouture : si cette chambre n'avait pas trahi
son mandat, la chambre haute eût elle-même refusé son suffrage. - Il ne faut
pas se placer dans une véritable parodie du gouvernement représentatif, pour
venir décréditer cette forme de gouvernement qui a obtenu l'assentiment des
publicistes les plus distingués de l'Europe.
On a fait un appel à la
susceptibilité nationale, en disant que nous ne devons pas nous laisser influencer
par les décisions des cabinets étrangers. Messieurs, quand on vous a dit de
songer à cette influence, on vous a parlé le langage de la prudence : certes,
l'orateur qui vous a ainsi conseillés possède autant que qui que ce soit le
sentiment de la dignité nationale, et n'a voulu vous engager à rien qui fût
indigne de vous. Vous savez d'ailleurs que lorsqu'on a essayé d'intervenir dans
nos affaires, le congrès tout entier s'est soulevé d'indignation, et vous savez
quelle réponse a été faite à cet égard : la chambre est jugée, aucune
interprétation n'est possible.
Mais, qu'on y prenne garde : si les
intérêts de notre industrie et de notre commerce nous font renoncer à
l'élection d'un prince indigène, si nous devons choisir en France ou en
Angleterre le prince appelé à nous gouverner, il importe de ne pas nous placer
en opposition avec les idées reçues chez ces deux peuples, à la vive sympathie
desquels notre pays doit de ne pas être déjà un champ de carnage.
On nous a dit qu'il se présenterait
des princes, quelles que soient les conditions que nous ayons à leur imposer :
mais je réponds à cela que le prince que nous devons élire a droit d'attendre
de nous une constitution qui établisse son pouvoir d'une manière qui puisse le
faire respecter, et qu'il faut que le mandat qu'il accepte ne le dégrade point.
On nous a beaucoup parlé de liberté
d'association, de liberté religieuse, du plaisir que l'on avait à voir des
soutanes ici (murmures ; à la question !)... Vous avez entendu M.
de Celles, vous devez m'entendre. Rien de tout cela ne se rapporte à
l'établissement d'une première chambre ; tous ces droits peuvent également être
garantis avec un sénat mis en harmonie avec la royauté constitutionnelle,
aussi bien qu'avec une chambre unique ou un sénat bâtard.
On a évoqué le souvenir du sénat
conservateur, qui, vous a-t-on dit, ne conserva rien : cet exemple est encore
de ceux qui prouvent trop et ne prouvent rien ; s'il pouvait s'élever des
doutes à cet égard, on pourrait arguer de la servilité de telle chambre
élective, pour prouver le danger des assemblées.
Messieurs, si des concessions ne font
pas cesser la divergence qui existe entre les partisans d'un sénat, pour la
première fois depuis qu'il y a des assemblées délibérantes, la minorité fera la
loi. Mes amis et moi, nous avons soutenu un système que l'expérience de
plusieurs peuples a prouvé le meilleur ; cependant nous sommes prêts à faire
des concessions pour ramener l'unité parmi les partisans du sénat. Déjà
quelques personnes qui pensaient que l'hérédité est la condition essentielle
d'une chambre haute, renoncent à cette hérédité ; d'autres, qui penchaient pour
un nombre illimité de sénateurs, consentent à voter pour un nombre fixe.
Accordons ces points, pourvu que l'incompatibilité des emplois publics avec
les fonctions de sénateur soit prononcée, et que la première nomination soit
attribuée au congrès lui-même. Vous voyez que nous ne sommes pas partisans
exclusifs d'un système inflexible ; nous faisons à la concorde le sacrifice de
quelques-unes de nos opinions ; nous espérons que nous ne serons pas les seuls,
et qu'un rapprochement pourra s'opérer entre la majorité de l'assemblée.
Je ne puis adhérer à l'amendement de
notre honorable collègue M. Blargnies, qui consiste à confier aux conseils
provinciaux l'élection du sénat. Messieurs, la politique ne partage point, et
si les conseils provinciaux sont électeurs, vous aurez des sénateurs, mais ni
canaux, ni routes, ni écoles.
Du reste, ce système rétablit le
double vote et crée une sorte d'aristocratie électorale. Il a été frappé
d'animadversion et ici et en France, et vous voulez que le produit de cette
élection par cascade puisse résister à une chambre populaire ? Mais, dit-on, si
la couronne a le choix des sénateurs et que la chambre élective soit mauvaise,
il n'y a plus de garantie. Si alors le ministère n'est pas d'accord avec la
chambre élective, il la casse ; s'il est d'accord avec elle, c'est qu'à
l'avance il avait corrompu les électeurs, et il est plus difficile de corrompre
la nation que cinquante à soixante sénateurs. Mais si la nation est corrompue,
vainement prendrez-vous toutes les précautions possibles votre charte sera
une lettre morte, et vous direz à cette nation : Vous étiez indigne de la
liberté que nous avons voulu vous donner. (U. B., 19 déc.)
M. de Langhe – Les raisons si bien déduites par
l'honorable préopinant, pour la défense du projet de la section centrale, me
permettront d'être bref. J'aurais désiré de contribuer à une conciliation
désirable entre les diverses opinions qui nous divisent ; il faut cependant
s'accorder sur un système qui réponde à tous les cas possibles : Or, je ne
trouve ce système que dans le projet de la section centrale. Il faut que le
sénat soit entouré de considération ; il faut qu'il soit nommé à vie surtout,
parce qu'un corps inamovible est toujours indépendant. On craint l'esprit de
corps ? on a raison, car l'esprit de corps pourrait entraîner le sénat à
adopter des mesures préjudiciables à la nation. Il faut donc un moyen de rompre
cet esprit de corps. Comment forcerez-vous. le sénat à adopter des lois qu'il
se sera obstiné à refuser ! Si, après un premier veto, il est forcé de
passer outre, vous le déconsidérez. Si vous le forcez à se réunir pour
délibérer avec la chambre élective, il y viendra avec des dispositions hostiles
: de là des conséquences fâcheuses. Vous aurez donc recours aux fournées ? Oui,
messieurs. Mais, dit-on, les (page 520)
fournées déconsidéreront le sénat. Mais, messieurs, les fournées laissent à
chacun son opinion : à peine les nouveaux pairs seront-ils entrés dans la
chambre, qu'ils chercheront à se pénétrer de son esprit, bientôt la fusion
s'opérera, et les dangers disparaîtront. Je crois donc que le projet proposé
par la section centrale est le plus raisonnable ; cependant, je sacrifierai
volontiers mon opinion, et je voterai pour l'amendement qui aura le plus de
chances de succès, car j'aime mieux avoir un sénat défectueux que de n'en avoir
pas du tout. (U. B., IOdée.) 1
M. le président – Il y a encore un orateur 1 inscrit.
Avant de l'entendre,je demanderai au congrès s'il veut une séance ce soir. (Oui !
oui !) Je prie aussi d'y venir, si on la veut. (On rit.) (U. B., 19
déc.)
- L'assemblée consultée décide, par
assis et levé, qu'il y aura séance ce soir à sept heures et demie. (P. V.)
M. le président – J'invite la commission chargée de
l'examen du projet de loi sur la chambre des comptes, de se réunir demain à
neuf heures. (U. B., 19 déc.)
Suspension de la séance
Il est quatre heures et demie, la
séance est suspendue. (P. V.)
La séance est reprise à sept heures
et demie. (P. V.)
M. le président – La parole est à M. Surmont de
Volsberghe. (U. B., 19 déc.)
M. Surmont de Volsberghe
y renonce. (U. B., 19 déc.)
M.
Charles Le Hon – Le système qui fait du sénat une chambre élective, est
incomplet ; ce corps sera-t-il dissoluble ? C'est une question grave, neuve,
que les partisans du système électif n'ont pas traitée ; elle présente
d'immenses difficultés, il faut les résoudre, si l'on veut faire prévaloir
cette opinion. Le système qui attribue la nomination des sénateurs au chef de
l'État est connu dans toutes ses parties et dans toutes ses conséquences ; il a
pour lui l'expérience. On a exagéré les dangers de l'institution d'une première
chambre laissée au choix du prince. (c., 18 déc.)
M. Nagelmackers est prêt à faire de nombreuses
concessions ; il appuie l'amendement de M. Blargnies ; il y a un moyen de faire
cesser le dissentiment qui pourrait exister entre le sénat et la chambre
élective, après une dissolution : c'est de faire délibérer et voter les
chambres en commun. (C., 18 déc.)
M. Forgeur – Partisan d'une chambre unique, il se
placera dans le système de la majorité ; dans cette hypothèse, il accorde la préférence
au projet de M. Blargnies. Les deux chambres électives pourront voter en
commun, quand tous les moyens de faire cesser le dissentiment seront épuisés.
Le système de M., Blargnies doit plaire aux membres de la majorité, puisqu'il
présente le principal avantage de l'institution d'une première chambre, il
empêche la deuxième de précipiter ses décisions ; il doit convenir à la
minorité, puisque la chambre haute émane du peuple comme la deuxième chambre.
La chambre haute étant nommée par les conseils provinciaux et non directement
par les électeurs, aura un caractère particulier, et constituera un pouvoir
neutre. Les conseils provinciaux offrent assez de garanties d'élection, et
l'administration n'en souffrira pas. Le pays ne s'effrayera pas de ce mode
d'élection qu'on dit à deux degrés, il en comprendra facilement la nécessité.
Le ministère est accusable devant la chambre haute et tentera toujours de la
corrompre ; une chambre haute nommée à terme par les états provinciaux est plus
à l'abri de la corruption. (C., 18 déc.)
M. Charles de Brouckere – Partisan d'une chambre unique, il se
placera aussi pour un moment et provisoirement dans le système de la majorité ;
il ne peut admettre l'amendement de M. Blargnies. Ce système est illibéral. La
première chambre est indépendante ; le ministère et la deuxième chambre ne
pourront rien contre cette chambre qu'il est impossible de modifier pendant la
durée du terme. Pour faire cesser le dissentiment, on propose la réunion ; ce
sera placer en présence deux ennemis ; une chambre vaincra l'autre par sa
force numérique. Dès que la réunion cessera, le même dissentiment se reproduira.
Dans l'hypothèse des deux chambres, le seul système admissible est celui de la
section centrale. (C., 18 déc.)
M. le président
– La parole est à M.
Beyts, sur la position des questions. (J. F., 18 déc.)
M.
le baron Beyts monte à la tribune. (J. F., 18 déc.)
M.
Charles Le Hon dit qu'avant de parler sur la position des questions, il conviendrait de
mettre aux voix la clôture de la discussion de l'article 1", afin qu'on
ne revienne plus sur le fond de la question. (J. F., 18 déc.)
M.
le baron Beyts – Avant de parler sur la position de la question, je désire.
Répondre en trois mots aux objections de M. de Brouckere. (J. F., 18 déc.)
M. le président – Allons ! M. Beyts promet d'être bref.
(J. F., 18 déc.)
M.
le baron Beyts – Bref, très bref, (page
521) M. de Brouckere a confondu mon système avec celui de M. Blargnies.
Lisez,mon projet ; les deux chambres ne sont pas identiques, et M. de Brouckere
conclut qu'elles seront en opposition. Soit ! mais mon article pare à cet
inconvénient. On les réunit pour les faire délibérer ensemble. Le projet de M.
Blargnies présente une bien plus grande chance de division que le mien.
Remarquez donc que cette première chambre ne sera que la moitié en nombre de la
chambre élective, et quand il y aura différend, le peuple, le peuple lui-même
sera juge du différend. M. de Brouckere a plaidé pour que la chambre élective
l'emporte toujours, et moi je plaide pour que la raison l'emporte. (C., 18
déc.)
M. Destouvelles et M. de Foere
demandent la parole. (U. B., 19 déc.)
De toutes parts – Aux voix ! aux voix ! la clôture !
(U. B.. 19 déc.)
M. le président – La clôture de la discussion de
l'art. 1er étant demandée, je dois la mettre aux voix. (U. B., 19
déc.)
- La clôture est prononcée. (P. V.)
M.
le baron Beyts demande
la parole sur la position des questions. (C.. 18 déc.)
M. Forgeur – C'est au président à poser les questions, M. Beyts pourra
réclamer. (C., 18 déc.)
M. le président – Un honorable membre dans lequel j'ai
beaucoup de confiance, M. Defacqz, m'a proposé une série de questions que je
vais vous soumettre :
« Les sénateurs seront-ils nommés par
les électeurs ? sera-ce des électeurs payant un cens plus élevé ? sera-ce les
mêmes électeurs ? sera-ce les états provinciaux ?
« Seront-ils élus par le chef de
l'État sur présentation ?
« Les sénateurs seront-ils nommés
directement et sans présentation par le chef de l'État, etc. ? » (U. B., et J.
B., 19 déc.)
M.
Jottrand – Si l'on procède ainsi, il y aura minorité sur toutes les questions. (U.
B., 19 déc.)
M. le président – Commencera-t-on par la question sur
les conclusions de la section centrale ou par la première question posée par
M. Defacqz ? (J. B., 19 déc.)
M. Raikem demande la priorité en faveur de
l'amendement de M. Lebeau ; les autres amendements ne sont pas des amendements,
mais des propositions distinctes qui détruisent tout le système. (C.. 18 déc.)
M.
Charles Le Hon – On pourrait commencer par décider si le chef de l'État
interviendra dans l'élection du sénat. (J. B., 19 déc.)
M. Raikem s'élève contre la marche que propose
le préopinant. (C., 18. déc.)
M. Destouvelles appuie
la proposition de M. Le Hon, mais trouve le mot intervenir inconvenant,
car cette intervention suppose une autre action que celle du souverain (murmures
prolongés), donc la question suivante doit avoir la priorité : Le chef de
l'État élira-t-il les sénateurs ? (J. B., 19 déc.)
M. le baron de Stassart réclame la priorité en faveur de son amendement. (C., 18 déc.)
M. Charles de Brouckere (Aux voix ! aux voix !) – Il faut faire une distinction : une
proposition ne peut être réputée amendement que si elle ne détruit pas
complètement l'art. 1er de la section centrale. Dans ce sens
l'amendement qui propose de faire nommer le sénat par le chef de l'État, sur
présentation, doit obtenir la priorité. (Aux voix ! aux voix !1)
(C., 18 déc.)
M. l’abbé de Foere
– M. Defacqz a fait un amendement, il faut avant tout l'admettre à le
développer. (Bruit.) (C., 18 déc.)
M. Defacqz – J'ai officieusement soumis des questions au président
; je n'ai pas fait d'amendement. (C., 18 déc.)
M.
Devaux – Vous
avez fait un règlement et vous ne devez pas l'abroger ; les amendements doivent
être mis aux voix avant la question principale, et tout ce qui est déposé sur
le bureau, changements, modifications, propositions additionnelles ; doit être
considéré comme amendement. (U. B., 19 déc.)
M. Forgeur – Ce procédé s'écarte des observations de MM. Defacqz et Le
Hon. Il n'est pas admissible ; il y a deux systèmes, le système de M. Blargnies
et celui de la section centrale ; il faut commencer par celui de la section centrale
qui a pour lui une probabilité. (Aux voix !) (J. B., 19 déc.)
M. le président – Mon embarras vient de ce qu'à côté
des amendements sont venus se placer des systèmes nouveaux. (U. B., 19 déc.)
M. Van Meenen – II y a deux systèmes en présence : l'un qui consiste à faire
nommer les sénateurs par le chef de l'État, l'autre qui consiste à les faire
élire : l'un est celui de la section centrale, l'autre celui de M. Blargnies ;
toutes les autres propositions sont des, modifications de l'un et de l'autre ;
il faut mettre aux voix le projet de la section centrale qui a
incontestablement la priorité ; après avoir épuisé les amendements qui y ont
rapport, si cette proposition est rejetée, alors on en viendra à la proposition
de M. Blargnies. (U. B., 19 déc.)
(page
522) M. le baron Beyts – Et mon amendement ?... (On rit.) (U. B., 19 déc.)
M. le président – Il faut en finir. (U. B., 19 déc.)
M.
Charles Rogier demande
qu'on en revienne au système de ce matin. (U. B., 19 déc.)
M. le président – On va vous lire les amendements sur les
conclusions de la section centrale (J. B., 19 déc.)
Un des secrétaires en donne lecture. (C., 18 déc.)
M. Jacques retire l'amendement qu'il a proposé.
(P. V.)
- L'amendement de M. le baron de
Stassart n'est pas appuyé. (P. V.)
Celui de M. le baron Beyts est
appuyé. (C., 18 déc.)
M.
Charles Rogier demande
qu'on vote en dernier lieu sur cet amendement. (C., 18 déc.)
M. Van Meenen ne
partage pas cette opinion. (C., 18 déc.)
- L'amendement de M. le baron Beyts
est mis aux voix et rejeté.
On donne lecture de l'amendement de
M. Lebeau ; il est ainsi conçu :
« Cependant les quarante premiers
sénateurs seront nommés par le congrès national, ils devront réunir les
conditions d'habilité requises par la présente constitution.
« Toute fonction salariée,
révocable par le chef de l'État, autre que celles de ministre, d'ambassadeur,
d'officier général de terre et de mer, est incompatible avec la dignité de
sénateur. » (C., 18 déc.)
Cet amendement est appuyé. (J. F., 18
déc.)
M. Lebeau est admis à le développer. (J. F., 18 déc.)
M. le chevalier de Theux de Meylandt demande la division de cet amendement.
(J. B., 19 déc.)
M. Destouvelles prend la parole et donne quelques explications. (J. F., 18
déc.)
- Sur l'observation de M.
Destouvelles, M. Lebeau déclare qu'il omettra la désignation du nombre. (C., 18
déc.)
M.
De Lehaye – ne croit pas que le congrès ait le droit de nommer des
sénateurs. (C., 18 déc.)
M. Raikem propose le sous-amendement suivant à
la première partie de l'amendement de M. Lebeau :
« Les sénateurs seront nommés la
première fois par les électeurs qui nommeront la chambre élective. » (C.,
18 déc.)
M. Lebeau
partage l'avis de M. Raikem et retire la première partie de son amendement. (J.
F., 18 déc., et P. V.)
M. Le Grelle la reprend parce qu'il ne veut pas
que le sénat soit nommé par d'autres que par le chef de l'État. (U. B., 19
déc.)
- Le sous-amendement de M. Raikem est
appuyé. (C., 18 déc.)
M. Raikem développant son amendement – L'ex-roi
en 1815 abusait des premières nominations ; il faut. prévenir cet abus. Le
congrès néanmoins n'a pas reçu de mandat pour nommer des sénateurs. (C., 18
déc.)
M. Alexandre Gendebien – Je demande la parole. Je crois que nous venons de
saisir le dernier mot des partisans de la nomination par le chef de l'État.
Tous nos malheurs nous sont venus de ce que le roi Guillaume nommait lui-même
les membres de la première chambre. Je ne m'attendais pas, je l'avoue, lorsque
j'ai fait le sacrifice de mon opinion en faveur de la république, que l'on
viendrait nous proposer de rétablir des institutions qui ont amené la
révolution. (U. B., 19 déc.)
- Le sous-amendement de M. Raikem est
mis aux voix et rejeté. (P. V.)
M. Le Grelle est admis à développer l'amendement
de M. Lebeau, qu'il a fait sien. (U. B., 19 déc.)
M. Van de Weyer – Si vous décidez aujourd'hui que la première nomination du
sénat sera faite, vous déciderez en même temps que la deuxième nomination
appartiendra au roi, et nous verrons se reproduire tous les maux que nous avons
endurés pendant quinze années. (U. B., 19 déc.)
M. le baron de Stassart propose, comme sous-amendement :
« Les sénateurs seront nommés
pour la première fois par le chef de l'État sur des listes triples de
candidats présentés par les électeurs appelés à choisir la deuxième chambre. »
(C., 18 déc.)
M. le président – Je vais mettre aux voix le
sous-amendement de M. de Stassart au sous-amendement de M. Le Grelle ; il nous
faudra un dictionnaire pour désigner cette foule d'amendements de toute
espèce. (U. B., 19 déc.)
Le sous-amendement de M. le baron de
Stassart est appuyé. (J. F.. 19 déc.)
M. le baron de Stassart le développe. (U. B., 19 déc.)
M. Lebeau, avec
véhémence : On vient de dire, messieurs, qu'on avait pris, en quelque sorte, en
flagrant délit, les partisans de (page
523) la nomination des sénateurs par
le chef de l'État : les partisans de cette nomination n'ont rien à cacher, ils
ont proclamé leurs opinions à la face du ciel, et il ne sied pas à ceux qui,
pendant trois jours, n'ont pris aucune part à cette discussion, de venir les
attaquer maintenant. On les accuse de vouloir ramener l'attirail du despotisme
: sans notre glorieuse révolution, ces hommes, que l'on attaque, on le sait du
reste, gémiraient maintenant sous les verrous. Au reste, ceux auxquels je
m'adresse auraient mieux fait de venir nous apporter le tribut de leurs
lumières que de venir, au dernier instant, surprendre la décision de
l'assemblée par l'autorité de leur parole. (U. B, 19 déc.)
M. Alexandre Gendebien – Lorsque j'ai indiqué ce que je croyais être le dernier
mot des partisans de la nomination par le chef de l'État, je n'ai fait que
répéter les paroles de l'honorable M. Raikem : il est vrai que je n'ai point
assisté à la discussion des trois derniers jours ; mais l'honorable M. Lebeau
doit savoir que je suis souvent retenu par des travaux indispensables au bien
de l'État. Je n'en persiste pas moins à soutenir que vous ramenez le despotisme
dès l'instant où vous voulez donner au chef de l'État le pouvoir de nommer les
membres du sénat. (Plusieurs. voix : C'est la discussion générale ! A la question
!) (U. B., 19 déc.)
M. Forgeur – Vous rentrez dans la discussion générale ; il serait
dangereux de le permettre. (C., 18 déc.)
- Le tumulte est effroyable, Tout le
congrès parle à fois. (U. B., 19 déc.)
M. Lebeau adresse
de vives interpellations à M. Alexandre Gendebien. (U. B., 19 déc.)
M. Alexandre Gendebien – Il y a peu de générosité à me fermer la bouche quand
vous écoutez patiemment ceux qui veulent m'accabler. (U. B., 19 déc.)
M. Destouvelles – Il ne s'agit pas de générosité, il s'agit d'ordre. (U. B., 19 déc.)
M. le président essaye en vain de prendre la parole ;
il agite plusieurs fois la sonnette. (C., 18 déc.)
M.
Liedts,
d'une voix forte –
Votre président demande la parole. (Le silence se rétablit peu à peu.)
(C., 18 déc.)
M. le président, avec gravité – Messieurs, il est naturel qu'en improvisant,
et surtout dans une séance du soir, on manifeste ses opinions avec quelque
énergie. Mais il y a loin de là à une imputation de mauvaise intention. Nous
sommes tous convaincus qu'il n'y a pas eu mauvaise intention. (Adhésion de
toutes parts.) (C.. 18 déc.)
- Le sous-amendement de M. le baron
de Stassart est mis aux voix et rejeté, ainsi que celui de M. Le Grelle. (P.
V.)
La deuxième partie de l'amendement de
M. Lebeau est mise aux voix et adoptée. (P. V.)
Une discussion s'engage sur la mise
aux voix de l'art 1er du projet de la section centrale, amendé par
M. Lebeau. (Le tumulte recommence.) (U. B.. 19 déc. et P. V.)
M. le président – Vous voyez ce que c'est que les
séances du soir ; messieurs, nous ne sommes pas assez calmes. (U. B., 19 déc.)
- On demande l'appel nominal au
milieu du bruit. Quelques personnes réclament avec force. (U. B., 19 déc.)
M. Forgeur – Si cinq membres sont de mon avis (un grand nombre de
députés se lèvent), il faut que ce mode soit suivi. (C., 18 déc.)
- Il est procédé au vote par appel
nominal. (C., 18 déc.)
173 membres y prennent part : 76
votent pour, 97 contre ; en
conséquence l'art. 1er de la section centrale, amendé par M. Lebeau, est
rejeté. (P. V.)
Ont voté pour : MM. de Man, Annez de
Zillebeecke, de Selys Longchamps, Devaux, François Lehon, Henri de Brouckere,
Masbourg, Du Bus, Vergauwen-Goethals, Werbrouck-Pieters, de Coninck, Du Bois,
Lecocq, le baron Osy, le baron de Pélichy Van Huerne, Cauvin, d'Hanis van
Cannart, Van Meenen, Wyvekens, Eugène de Smet, Charles de Brouckere, Hippolyte
Vilain XIIII, Pirmez, Fleussu, le baron Joseph d'Hooghvorst, le baron de
Terbecq, de Rouillé, le comte de Baillet, le baron Frédéric de Sécus, Serruys,
le baron de Viron, le baron de Stockhem, Nothomb, le marquis de Rodes, Van
Hoobrouck de Mooreghem, le baron de Liedel de Weil, le comte d'Arschot, Albert
Cogels, le baron de Leuze, Coppieters, Vandenhove, le comte de Quarré, Gustave
de Jonghe, le vicomte de Jonghe d' Ardoie, Raikem, de Ville, Lefebvre, le baron
Van Volden de Lombeke, le vicomte de Bousies de Rouveroy, Barbanson, le marquis
Rodriguez d'Évora y Vega, de Gerlache, le comte de Bergeyck, de Langhe, de
Behr, le chevalier de Theux de Meylandt, de Sebille, Surmont de Volsberghe,
Destouvelles, Zoude (de Saint-Hubert), Le Grelle, le comte Cornet de Grez, le
comte d'Ansembourg, Bosmans, le vicomte Desmanet de Biesme, le marquis d'Yve de
Bavay, de Lehaye, Domis, le baron de Sécus (père), Lebeau. le comte de
Renesse, Henri Cogels, Huysman d'Annecroix, Charles Le Hon.
Ont voté contre : MM. Marlet, de Labeville, l'abbé de Foere,
le vicomte Charles Vilain XIIII, de Tiecken de Terhove, Destriveaux, Van Innis,
Le Bon, Le Bègue, de Decker, l'abbé Dehaerne, Deleeuw, Nagelmackers, Ooms,
Gendebien (père), Jottrand, Leclercq, Mulle, Defacqz, François, de Schiervel,
d'Hanens-Peers, l'abbé Wallaert, Blargnies, Lesaffre, Nalinne, Thienpont,
Alexandre Rodenbach, Morel-Danheel, Buyse-Verscheure, Jean-Baptiste Gendebien,
Jules Frison, de Nef, l'abbé Verbeke, Camille de Smet, Liedts, Dumont,
Bredart, de Thier, Lardinois, Trentesaux, Henry, Goethals-Bisschoff, le comte
Werner de Mérode, Helias d'Huddeghem, le comte de Celles, Van de Weyer, le
baron de Woelmont, Théophile Fallon, Thonus, l'abbé Andries, l'abbé Verduyn,
Charles Rogier, Forgeur, le comte Félix de Mérode, Alexandre Gendebien, le
baron de Coppin, Roeser, l'abbé Joseph de Smet, Thorn, le baron Surlet de
Chokier, le baron de Stassart, Janssens, le baron d'Huart, Buylaert, Claes
(d'Anvers) , Seron, Gelders, Goffint, Pirson, Speelman-Rooman, le baron Beyts,
Fendius, Charles Coppens, Constantin Rodenbach, d'Martigny, Van Dorpe, Claus,
Simons, Hennequin, Nopener, David, Beaucarne, Verwilghen, Béthune, l'abbé Van
Crombrugghe, le baron de Meer de Moorsel , Van Snick, Wannaar, Davignon,
Jacques, Van der Looy, Watlet, Berger, Blomme, Dams. (C., 18 déc.)
17 membres étaient absents avant la
fin de la séance ; ce sont : MM, de Robaulx, l'abbé Vander Linden, Teuwens,
Collet, Delwarde, Van der Belen, Maclagan, de Muelenaere, le comte Duval de
Beaulieu, Dehemptinne, l'abbé Pollin, de Ryckere, Fransman, l'abbé Boucqueau de
Villeraie, Olislagers de Sipernau, Peemans, Barthélemy. (C., 18 déc.)
La séance est levée ; il est onze heures.
(P. V.)