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Congrès national de
Belgique
Séance du mardi 23 novembre
1830
Sommaire
1) Communication des pièces
adressées au congrès
2) Composition de la commission des
pétitions
3) Commission chargée de rédiger le
manifeste du peuple belge
4) Proposition sur l’exclusion des Nassau
de tout pouvoir en Belgique. Discussion générale (pour l’exclusion = P ;
contre l’exclusion= C) (C. Rodenbach (P), Pirson,
de Baillet (C), Raikem
(P), Le Grelle (C), de Robiano
(fait personnel), A. Rodenbach (P), de Langhe (C), Nothomb (P), Ch. de Brouckere (P), Werbrouck-Pieters (C), Raikem,
H. de Brouckere (P), J.-B.
Claes (C), Forgeur (P), Le Grelle, Jottrand (C), Dehaerne (P),
De Decker (P), Van de Weyer
(P), de Robiano
(P), Van Snick (P))
5) Communication du gouvernement
provisoire (arrêté ordonnant un service funèbre pour les braves morts pour la
cause nationale et l’érection d’un monument place des Martyrs)
6) Proposition sur l’exclusion des
Nassau de tout pouvoir en Belgique. Discussion générale (pour l’exclusion =
P ; contre l’exclusion= C) (de Stassart (P), Deleeuw
(P), de Theux (P), Blargnies
(P), H. Vilain XIIII (P), Lebeau
(clôture), Pirson, de Stassart)
(E. HUYTTENS, Discussions du Congrès national de Belgique,
Bruxelles, Société typographique belge, Adolphe Wahlen et Cie, 1844, tome 1)
(page 261) (Présidence de M. le baron Surlet de Chokier)
La séance s'ouvre à onze heures et demie. (P. V.)
Le procès-verbal de la dernière séance est lu et approuvé.
(P. V.)
COMMUNICATION DE PIECES
ADRESSEES AU CONGRES
M. Rogier écrit à l'assemblée qu'une mission l'empêche de se
rendre aux séances pendant quelques jours. (P.V)
___________________
Il est
fait hommage au congrès :
1° Par M.
Victor, d'une brochure intitulée : Quelques mots à M. de
Metternich ;
2°
Par M. Grenier, d'un Examen du projet de constitution
pour
-
Dépôt de ces ouvrages à la bibliothèque. (P. V.)
___________________
M.
Trioen, avocat à Anvers, demande l'abolition de la peine de mort.
M.
L'Epigne, de Bruxelles, présente un projet de constitution. (P. V.)
-
Renvoi de ces pièces à la commission des pétitions. (P. V.)
COMPOSITION DE
M. le président proclame les noms de dix membres, choisis dans les
sections, pour former la commission des pétitions ; ce sont MM. l'abbé de
Foere, Coppieters, Raikem, le baron de Pélichy van Huerne, de Behr, Constantin
Rodenbach, le comte de Celles, Du Bus, Destriveaux et Dumont.
COMMISSION CHARGEE DE REDIGER LE
MANIFESTE DU PEUPLE BELGE
M. le président invite la quatrième et la huitième section, qui n'ont pas
encore nommé de membre pour la commission chargée de rédiger le manifeste du
peuple belge, à y procéder incessamment. Les membres nommés sont MM.
Trentesaux, Isidore Fallon, Hippolyte Vilain XIIII, l'abbé Van Crombrugghe,
Lecocq, de Ryckere, de Gerlache et l'abbé Boucqueau de Villeraie. (J. F.,25
nov.)
Discussion
générale
M. le président
– L'ordre du jour est la
discussion de la proposition de M. Constantin Rodenbach, sur l'exclusion de la
maison d'Orange de tout pouvoir en Belgique. La parole est à l'auteur de la
proposition. (Attention marquée.) (J. F., 25 nov.)
M. Constantin Rodenbach – Messieurs, interprète fidèle
de la volonté nationale, lassée depuis quinze ans du joug tyrannique des
Nassau, je croirais trahir mon mandat, si je n'exprimais, en ce moment, toute
ma pensée.
Par
prudence, vous devez exclure cette famille du sol belge, pour être vraiment
libres, pour être en dehors de toute influence, pour que le peuple se soumette
à vos jugements, pour qu'il vous écoute, et ce n'est qu'à cette condition qu'il
vous écoutera. Vous le devez encore, pour ôter tout espoir à l'intrigue qui
s'agite dans l'ombre ; vous le devez pour anathématiser ces mots chéris des
Hollandais: intempestivité, inopportunité, qui, comme un veto perpétuel
, viennent entraver les délibérations les plus importantes.
C'est donc
comme condition de paix, c'est pour ramener la tranquillité dans les esprits,
que j'ai cru devoir soumettre au congrès une proposition qui tend à exclure à
jamais les Nassau de tout pouvoir en Belgique. Si cette exclusion est prononcée
avec solennité par mes honorables collègues, elle produira un bien immense,
tant dans l'armée que dans le peuple ; elle établira la confiance dans cette
assemblée, calmera les passions et neutralisera les préventions réciproques.
La famille
des Nassau est à jamais déchue ; jamais un Belge digne de ce nom n'entrera en
transaction avec la famille d'un roi sanguinaire. Le pacte qui nous unissait à
la maison d'Orange a été rompu le jour où son chef a voulu substituer à la loi
sa volonté et son opinion personnelle. Guillaume ne se montra jamais roi
que de
On
voudrait peut-être faire accroire que le prince d'Orange est étranger aux
scènes sanglantes qui se sont succédé dans notre pays. Mais, outre que ses
derniers rapports avec son père peuvent éclaircir plus d'un doute, il est
évident qu'il attendait le résultat pour profiter de la victoire, ou s'assurer
un moyen de salut en cas de défaite, comme il avait donné à son frère le temps
d'organiser et de concentrer ses troupes, pendant qu'il amusait le peuple de
cette capitale par des promesses fallacieuses, dont les suites funestes ont
trop bien prouvé la fausseté. Ne soyons pas dupes de ces odieuses déceptions ;
ne nous rendons pas la risée de l'Europe. Dans quel intérêt peut-on désirer ce
retour ? dans celui de quelques courtisans peut-être, à qui il faut à toute
force des clefs de chambellan, une livrée, une cour, des fêtes. Mais c'est le
peuple qui a fait la révolution ; c'est du peuple seul que nous devons nous
occuper. Le bien-être du pays, voilà la seule considération qui doive (page 263) nous
diriger. Les gouvernements appartiennent aux capacités, aux
intelligences. Rejetons sans pitié les oripeaux et les décorations de théâtre.
Le pays n'a besoin ni d'idolâtres du pouvoir, ni d'excellences, mais d'hommes
capables, énergiques et dévoués à la chose publique.
La famille des Nassau a toujours été fatale à
Plus d'Orange ! c'est mon cri de guerre ; c'est un vœu aussi sacré
qu'aucune parole jurée. Jusqu'au dernier jour je les combattrai, sinon avec
succès, du moins avec persévérance.
Je vote pour l'exclusion à perpétuité de la famille
des Nassau. (U. B., suppl., 25 nov.)
M. Pirson – Je désire
développer mon amendement. (C., 25 nov.)
M. de Langhe
– Je crois, M. le président, qu'on doit suivre l'ordre des inscriptions ;
si quelqu'un a des amendements à faire, il les fera après que les orateurs
auront été entendus sur la proposition.
- Adopté. (J. F., 25 nov.)
M. le comte de Baillet – Messieurs,
liberté en tout et pour tous : point de privilèges, point d'exclusions, voilà
les principes qui triomphent aujourd'hui. Vous voudrez bien permettre à ceux
qui les ont toujours professés, de les appliquer maintenant à la proposition
de notre honorable collègue, et de motiver le vote qu'ils vont émettre. Après
que le pacte fondamental de 1815 nous eut été imposé malgré nous, en violant le
premier des huit articles du traité de Londres qui prescrivait formellement le
commun accord des deux parties contractantes ; après le système de fiscalité, d"astuce et
d'improbité politique suivi pendant seize ans avec une opiniâtreté invincible,
après la séparation sanglante de
M. Raikem – Messieurs, l'exclusion des membres de la famille de
Nassau, de tout pouvoir en Belgique, est maintenant une nécessité qui ne peut
guère être contestée.
Et ce
sont les Nassau eux-mêmes qui ont creusé l'abîme qui s'est entr'ouvert sous
leurs pas.
Ils ont
successivement détruit toutes les libertés publiques ; et ils ont poussé
l'imprudence jusqu'au point d'en assumer la responsabilité.
En
établissant des prisons d'État, Napoléon
avait enlevé au jury toute son importance. Sa chute entraîne pour nous celle
des prisons d'État. Mais on nous enlève bientôt l'institution du jury. Dès
1814, le ci-devant roi, n'étant que gouverneur général de
Un arrêté
est rendu dans des circonstances extraordinaires; c'est celui du 20 avril
1815. Son existence devait naturellement cesser avec les causes qui la lui
avaient donnée. Son auteur le reconnaît lui-même, en ne le faisant pas publier
dans la partie du territoire qui, en 1815, passe sous sa domination. Et
cependant, l'application s'en fait pour satisfaire des vengeances ministérielles.
On pousse l'astuce jusqu'au point de présenter comme un bienfait une légère
modification. Et la loi du 6 mars 1818 avait plutôt supposé l'existence de cet
arrêté, qu'elle ne lui avait donné la force obligatoire que l'état des choses
alors existant devait lui faire refuser.
La loi
fondamentale du 24 août 1815, que l'on présenta comme acceptée par les Belges,
et qui, dans la réalité, avait été refusée, l'enfermait des germes de
corruption. Elle supposait que le chef de l'État pouvait dispenser de
l'observation de la loi. C'était lui fournir le moyen de se jouer du pouvoir
législatif.
Les
statuts provinciaux et municipaux étaient remplis de dispositions vagues et
obscures, que l'on ne manquait jamais de faire tourner au profit du pouvoir.
Le même
vague, la même obscurité, se reconnaissaient dans les lois, surtout dans
celles sur la presse. Elles étaient des règles de plomb, que l’on pouvait faire
fléchir à son gré.
Le
gouvernement précédent avait été jusqu'au point de vouloir régler ce qui est hors
de la domination de l'homme. Il avait voulu assujettir les consciences et
prescrire aux pères de famille (page 265)
l'éducation qu'ils devaient donner à leurs enfants.
En outre,
une prédilection marquée pour les Bataves l'excluait de l'affection des Belges.
Et une telle exclusion est maintenant un signe certain de l'exclusion de tout
pouvoir.
Le peuple
accuse les ministres. L'un d'eux nie impudemment sa responsabilité. Il n'est,
dit-il, que le serviteur du roi. Et celui-ci consent à se charger des iniquités
d'un ministère oppresseur. _ Vous savez, messieurs, quels en ont été les résultats.
Une
conduite différente de la part d'un prince eut, dans les temps anciens, des
résultats différents.
La part
active qu'ont prise les Liégeois dans les derniers événements, le zèle
patriotique qu'ils ont déployé, méritent sans doute qu'on parle de leurs
ancêtres. Des députés des anciennes provinces belgiques ont rappelé d'anciens
souvenirs. Un Liégeois peut parler, avec fierté, de cet amour de la liberté
dont Liége a montré que le flambeau n'était pas éteint.
Dans
le XIV siècle, lorsque Jean d'Arkele était prince de Liège, un bourgmestre de
Thuin, Jean de Harchées, se montra le zélé défenseur des droits du peuple. Son
amour pour la liberté fut traité de sédition. Il trouva la mort où il n'aurait
dû rencontrer que des couronnes civiques.
Le corps
sanglant de ce généreux martyr de la liberté, porté dans nos villes, fit courir
aux armes. Les assassins de Jean de Harchées, les officiers qui avaient ordonné
son trépas, furent accusés publiquement.
Le prince
Jean d'Arkele se garda bien de couvrir de son inviolabilité les meurtriers de
Jean de Harchées. Il écouta les propositions qui lui furent laites de la part
du peuple. Le prince et le peuple déclarèrent, de commun accord, que les
personnes qui ont mis à mort Jean de Harchées demeurent à toujours bannies hors
du pays. Il en fut de même à l'égard des officiers de justice, qui
l'avaient fait mettre à mort. Un tribunal fut établi pour juger les
officiers du prince, qui abuseraient de son autorité. C'est notre fameux
tribunal des vingt-deux, dont l'institution, qui date de l'an 1373,
s'est maintenue jusqu'à la fin du siècle dernier. L'exécution de ses décisions
était confiée à tous les citoyens.
D'après
les règles de son institution, décrétées en 1373, le prince ne pouvait pas
prendre sur lui le fait de ses officiers. Vainement aurait-il voulu le faire,
il ne pouvait être écouté. Par une heureuse fiction, Ie prince, qui avait tout
pouvoir pour faire le bien, était incapable de faire le mal. Il ne pouvait agir
que par ses officiers. Et si un acte quelconque émané de lui portait atteinte
aux lois et aux libertés du pays, cet acte était réputé le résultat de la
suggestion de ses ministres. Ceux-ci en étaient responsables.
Telle est,
messieurs, la responsabilité ministérielle que nos ancêtres avaient comprise,
et pendant plus de quatre siècles elle produisit les plus heureux effets. Le
peuple aima les institutions qui garantissaient sa liberté.
La
conduite du ci-devant roi fut bien différente de celle du prince Jean d'Arkele.
Le peuple belge accuse les ministres. Deux des principales villes lui font
solennellement demander le renvoi du chef de ses ministres. Il nie leur
responsabilité, il réclame ses droits, tandis qu'il méconnaît ceux du peuple.
Et tandis que la plus belle moitié de son royaume lui échappait, il osait
encore dire, quoique d'une voix moins assurée : Je maintiendrai. Qu'a-t-il
maintenu? Van Maanen en Hollande. (Rires.)
Ces
exemples doivent nous instruire. Ils sont une preuve sensible que la
responsabilité des ministres est la sauvegarde des monarchies
constitutionnelles. Mais il faut qu'elle soit fortement organisée. Il faut une
autorité élevée qui soit appelée à les juger. Il faut des mesures larges et
vigoureuses d'exécution.
En France,
cette responsabilité n'a été jusqu'ici qu'un vain mot ; c'était la
reconnaissance d'un droit dont elle pouvait réclamer l'exercice.
La leçon
la meilleure, c'est l'exemple. Les princes auront sans doute compris qu'ils ne
peuvent impunément conserver un ministère qui déplaît à la nation. Que les
rois se souviennent qu'ils ne sont que les serviteurs des peuples, et
lorsqu'ils l'oublient, ceux-ci savent les en faire souvenir.
L'exclusion
des Nassau vient donc d'eux-mêmes ; elle est une suite nécessaire de
l'indépendance du peuple belge, du droit qu'il a d'élever au pouvoir, un prince
de son choix.
L'assemblée
s'est prononcée pour un chef héréditaire, vous allez lui conférer des droits
et à lui et à sa postérité ! Dès lors, il y a nécessité d'exclure non-seulement
le ci-devant roi, mais encore toute sa postérité ! Lorsqu'on veut élever un
édifice nouveau, l'on commence par démolir l'ancien.
Vous avez
entendu la grande majorité des sections se prononcer en faveur de la
proposition soumise, en ce moment, à l'assemblée. Quelques-uns, en se montrant
toutefois opposés à la famille de Nassau, ont néanmoins émis une opinion
différente.
(page 266) Les uns craignent de se lier
sur le choix du chef de l'État, d'autres ont pensé que la proposition était
prématurée ; ils en ont demandé l'ajournement; d'autres ont manifesté des craintes
pour les villes d'Anvers et de Maestricht ; d'autres, enfin, ont demandé le
rejet des mots à perpétuité.
Voyons si
ces motifs peuvent faire quelque impression.
Ne pas
vouloir se lier sur le choix du chef de l'État, présente une idée de liberté
qui séduit au premier abord. Mais qu'on y réfléchisse bien. Exclure les Nassau
sera également un acte de notre liberté ; et, puisque nous ne voulons plus des
Nassau, leur exclusion ne fera que rendre plus libre le choix du prince que
nous sommes appelés à donner à
L'ajournement
de la proposition serait un mal présent ; aucun bien ne peut en résulter pour
l'avenir. On le sait déjà, les Nassau ne seront pas appelés au trône de
Dès lors,
nous ôterons .aux grandes puissances jusqu'à la pensée de vouloir nous imposer
un descendant des Nassau. Et ne craignons pas qu'une guerre générale en soit le
résultat. Nous n'avons pas encore perdu le souvenir que l'État n'a pas de
fille. Les rois savent, aussi bien que nous, qu'on ne fait plus la guerre
pour des raisons de famille.
Les
craintes manifestées pour les villes d'Anvers et de Maestricht me paraissent sans
fondement. Les Nassau nous ont fait tout le mal qu’ils pouvaient nous faire.
Et s'ils voulaient en venir à une guerre d'extermination, ce qui me semble
impossible, qu'ils craignent pour eux-mêmes ; que les Hollandais tremblent dans
leurs foyers.
Les Nassau
exclus, les Hollandais seront obligés de traiter avec nous de puissance à
puissance. Ils devront observer les lois de la guerre. Ne pas les exclure,
c'est leur laisser le pouvoir de faire le mal. Ils s'imagineraient que nous
n'osons nous soustraire à leur joug.
Enfin, on
a critiqué l'expression à perpétuité. Mais, en déclarant que le chef de
l'État serait héréditaire, vous allez appeler une nouvelle famille. Dès lors,
dans le sens qu'on doit attacher à ce mot, cette famille nouvelle sera appelée à
perpétuité. L'exclusion à perpétuité des membres de la famille de
Nassau est donc une conséquence nécessaire du choix que vous êtes appelés à
faire. Ne pas les exclure à perpétuité, ce serait supposer que la famille
du nouveau chef de l'État pourrait un jour être exclue par eux.
Je voterai
pour les conclusions du rapport, et je rejette tout ajournement. (U. B.,
suppl., 26 nov.)
M. Le Grelle – Messieurs, ce n'est qu'en tremblant que
je prends la parole après l'honorable préopinant, modèle d'éloquence, que vous
venez d'entendre, et si j'ose franchir pour la première fois les degrés d'une
tribune, c'est que l'amour du bien public, et surtout votre indulgence, me
tiendront lieu de talent.
Je ne vous
rappellerai pas, messieurs, que j'ai contesté dans l'une de vos dernières
séances la priorité à la proposition de M. Rodenbach, parce que je l'ai crue intempestive,
inutile et dangereuse. Ces motifs, fondés alors, existent encore
aujourd'hui : de nouveaux vaisseaux de guerre hollandais, véritables machines
infernales, sont venus augmenter les forces navales qui menacent la ville
d'Anvers de leurs foudres... L'on m'objectera, sans doute, que la suspension
d'armes, dont il nous a été donné hier une communication officielle, doit faire
évanouir toutes nos craintes ; ce serait une erreur, messieurs : une suspension
d'armes ne présente aucune garantie contre une reprise d'hostilités ; et
n'avons-nous pas vu, un jour de récente et déplorable mémoire, un armistice
conclu le matin, grâce au dévouement de trois généreux citoyens (MM. Du Bois,
Osy et Verdussen), qui ont su braver un plomb meurtrier pour le salut de leurs
fières, et dont les fastes de ma ville natale mentionneront toujours les noms
avec orgueil ; n'avons-nous pas vu, dis-je, un armistice du matin, rompu après
quelques heures, pour faire place à une scène de dévastation et d'horreur ?
D'ailleurs la suspension d'armes qui vous rassure ne rend-t-elle pas plus
intempestive et plus dangereuse que jamais l'adoption immédiate d'une
proposition qui semble devoir augmenter les difficultés des négociations ?
Si des
renseignements que je reçois à l'instant sont exacts, de hautes considérations
politiques, basées sur une mission diplomatique, militent fortement pour
l'ajournement de la question : j'ajouterai qu'avant l'ouverture de cette
séance, un fonctionnaire supérieur de la province d'Anvers, et très à portée de
connaître la disposition des esprits, m'a dépeint sous les plus noires couleurs
l'effroyable résultat que notre résolution intempestive pourrait produire sur
les destinées de mes malheureux cohabitants.
Je ne
fatiguerai pas davantage votre attention (page
267) par un développement ultérieur de ces puissants motifs ; je me
permettrai seulement d'y joindre quelques réflexions qui vous engageront,
j'espère, à différer l'exclusion proposée, jusqu'à ce que la constitution que
le peuple belge attend de vous nous fasse délibérer sur le choix du chef futur
de l'État.
Exclure de
la souveraineté une famille quelconque, serait reconnaître en quelque sorte à
cette famille des droits qu'elle n'a pas. Évitons cet écueil, messieurs, et
plaçons le choix du congrès sur un terrain tellement large, que tout individu,
sans distinction d'âge, de naissance, de rang ou de fortune, puisse régner sur
nous ; que le mérite seul emporte nos suffrages, et que ces suffrages soient
aussi indépendants qu'illimités.
J'entends
tous les jours avec plaisir, avec enthousiasme, vanter les avantages,
l'exercice et l'étendue d'une liberté que je regarde comme notre plus bel
apanage ; mais ne serait-ce point nous priver d'une portion de cette précieuse
liberté, que d'imposer à nos votes des limites prématurées ?
Considérez,
messieurs, que le choix prochain du chef de l'État décidera de fait une
question qu'il serait dangereux de laisser emporter par l'empire de
l'exaltation et l'entraînement des esprits ardents. Ce choix aura le même
résultat qu'une déclaration inopportune, que la diplomatie toujours ombrageuse
ou une vengeance aveugle pourraient envisager comme une insulte.
Quand deux
chemins aboutissent au même but, et que l'un d'eux, suspendu sur un précipice,
ne présente que des écueils, le voyageur prudent le préfère-t-il à l'autre
qu'il parcourra sans danger?
Et
ces dangers, messieurs, ne pensez pas qu'ils soient le fruit d'une imagination
craintive. Sans vouloir revenir ici sur la triste position de deux villes qui
ont, je crois, quelques droits à votre commisération, et dont vous ne voudriez
pas sacrifier fa prochaine délivrance au bonheur imaginaire de proclamer dès à
présent une exclusion que la force des choses amènera naturellement sous très
peu de jours, je porterai seulement vos regards sur les immenses intérêts
matériels que nous avons à régler avec
Ne nous
dissimulons pas que l'indépendance de notre sol, et la séparation entière de
Il y a
cette différence notable entre l'exclusion par choix et l'exclusion par déclaration,
que le choix établit une simple préférence, tandis que la
déclaration proclame l'indignité.
Mais en
proclamant l'exclusion à perpétuité, n'usurperiez-vous pas une partie des
droits de la génération future, et si le siècle à venir différait d'opinion
avec nous, croyez-vous qu'il respecterait davantage notre décision, que les
Français n'ont respecté le testament de Louis XIV ?
Une
exclusion perpétuelle n'enfreindrait-elle pas aussi ces principes d'éternelle
justice que M. l'abbé de Foere a si profondément développés à celte tribune. Je
sais, messieurs, qu'il fut des temps barbares où les fils innocents étaient suppliciés
à côté de leurs pères ; je sais qu'alors, par un bouleversement total des idées
d'équité, les crimes des pères devenaient les crimes des enfants ; mais
aujourd'hui la religion, d'accord en ce point avec la philosophie, a dissipé ce
préjugé funeste et sanguinaire.
L'inexorable
histoire a tracé en lettres de sang l'action cruelle du despote qui, par un
détestable abus de pouvoir, a fait jaillir le sang du malheureux d'Armagnac
sur ses tendres enfants placés au pied de l'échafaud ; et nous, messieurs,
plus cruels en un sens que Louis XI, envelopperions-nous dans une seule proscription
un père coupable, des enfants au berceau et des générations à naître ?
Bornons-nous donc à exclure par le fait, sans
exclure par les mots, et si des malheurs réels peuvent être la suite d'une
résolution anticipée, j'invoquerai en faveur de mon opinion l'impartialité avec
laquelle vous avez naguère entendu professer la doctrine peut-être vraie, que
la (page 268) domination française
serait désirable pour nous, si seule elle devait nous préserver de terribles
malheurs, et moi, messieurs, je vous conjure de détourner les malheurs que je
redoute pour ma chère patrie, non pas en sacrifiant notre liberté, notre
indépendance si noblement proclamée dans cette enceinte, mais en cessant
de vouloir obtenir par une mesure anticipée, acerbe, et qui portera toujours un
cachet de haine, ce que vous obtiendrez sans irritation et sans péril par le
libre choix du chef de l'État.
Je suis
persuadé que plusieurs membres du congrès désirent ajourner l'exclusion, sans vouloir
la souveraineté de la famille de Nassau ; mais si ces honorables députés sont
obligés de voter sur la proposition, telle qu'elle leur a été soumise par M.
Rodenbach ou par la section centrale, l'intention de leur vote sera mal
interprétée, et la nation, jalouse de connaître les véritables sentiments de
ses mandataires, sera trompée dans son espoir.
Ce motif,
dont vous apprécierez toutes les conséquences, est bien propre à faire désirer
la fusion de la question d'exclusion dans celle du choix du chef de l'État.
Je termine
en déclarant, messieurs, que telle sera aussi l'intention de mon vote négatif,
de manière qu'en me prononçant contre l'exclusion à perpétuité, je me
déclarerai non pour l'admission, mais pour un ajournement de la question.
Mon
vote sera négatif, parce que je veux prévenir d'incalculables malheurs, et
conserver, jusqu'à l'époque du choix du chef de l'État, toute l'indépendance
et la liberté dont je suis heureux et fier de jouir. (C., suppl., 25 nov.)
M. le comte de Robiano – J'ai besoin de
prévenir mes collègues que je n'ai eu aucune conversation avec l'honorable
membre, et qu'ainsi ce n'est pas moi qu'il a pu désigner en parlant de craintes
que je ne partage aucunement. (J. F., 25 nov.)
M.
Le Grelle – Je déclare, messieurs, que ce n'est pas M. de Robiano que j'ai voulu désigner,
mais un fonctionnaire dont les intérêts touchent de près à ceux d'Anvers. (J.
F., 25 nov.)
M. Alexandre Rodenbach , Je
dirai quelques mots sur l'intempestivité, l'inopportunité qui ont été
prononcées à cette tribune. Les canons qui ont mitraillé Bruxelles, l'incendie
d'Anvers et les actes de cruauté commis par les Hollandais étaient beaucoup
plus intempestifs. (Bravo.)
-
L'honorable membre, vu la cécité dont il est affligé, prie M. le vicomte
Charles Vilain XIIII de lire son discours. M. le vicomte Charles Vilain XIIII
lit ce discours; il est ainsi conçu :
Messieurs, nous n'avons pas à délibérer sur la question de l'exclusion
des Nassau ; c'est un fait accompli ; nous ne pouvons que le sanctionner.
Représentants du peuple, nous sommes ici par sa volonté, parce qu'il a repris
les droits que les Nassau, aidés de douze cent mille baïonnettes, lui avaient
usurpés.
Mettre en question l'exclusion des Nassau serait mettre en doute notre
propre existence comme représentants de la nation. L'exclusion des Nassau a
été prononcée par le peuple ; nous, qui sommes l'expression de ce peuple et son
organe, nous devons déclarer sa volonté, parce qu'elle éclate de toutes parts.
Plus une révolution a été sanglante, plus sont criminels ceux qui
voudraient la prolonger ou ravir ses fruits à ses victimes ; vous savez,
messieurs, si elle a été sanglante, vous connaissez les victimes, et vous
n'ignorez pas ce que la nation attend de nous. L'on m'objectera peut-être que
le prince d'Orange n'est point solidaire pour tous ces forfaits ; mais
personne, je crois, n'est la dupe de la trame hypocrite que trahissait chaque
jour la coïncidence des actes d'Anvers et de
Ses titres à la couronne, les voici ; écoutez-les bien : homme de race
hollandaise, membre d'une famille imposée à
La famille des Nassau en Belgique ! entendez-vous ce cri de réprobation
qui s'élève ? Le peuple, qui désormais doit compter pour quelque chose, a
prononcé l'anathème contre eux ; prononçons aussi l'anathème. Hâtons-nous, car
le bruit répandu que cette question allait être soulevée dans notre sein, il
agité tout le peuple. Il est là qui attend ! Messieurs, en est-il encore qui
hésitent ? en est-il un seul assez ennemi de son pays pour oser s'avilir en
élevant la voix pour des traîtres et des parjures ?
Ombres magnanimes! Ombres de nos braves de Mérode, Jenneval, Felner,
Niellon , van Eeckhout, Eyman, et vous tous, inconnus, mais (page 269) illustres, apparaissez dans ces lieux; que
votre vue arrête les paroles sacrilèges qui ne doivent point souiller cette
enceinte! qu'elle glace la langue de ceux qui oseraient se faire les apologistes
de nos bourreaux !... (U. B., suppl.
25 nov.)
M. de Langhe – Messieurs, parmi les règles que doivent s'imposer les
assemblées délibérantes, une des plus importantes, selon moi, est de se mettre
le moins possible en contradiction avec elles-mêmes, Pour ne pas tomber dans
cet inconvénient, elles doivent éviter avec soin de s'engager à prendre ou à
ne pas prendre telle résolution dans telle circonstance à venir. Y a-t-il lieu
en ce moment à faire une exception à cette règle générale ? je ne le pense pas.
Je crois, comme l'a dit un de nos honorables collègues, que la famille d'Orange
a peu ou point de chances de monter au trône de
Le peuple,
dira-t-on, désire avec impatience savoir à quoi s'en tenir sur l'exclusion des
Nassau. Tout le monde parle au nom du peuple, et tout le monde parle
différemment. A qui entendre ? qui faut-il croire? Pour moi, je pense que la
grande masse du peuple, tant dans les provinces que dans la capitale, attend
avec confiance la décision de ses représentants qui ne veulent et ne peuvent
vouloir que le bonheur de la patrie. S'il y a quelque agitation, ne faut-il
pas l'attribuer principalement à ceux qui cherchent à exciter les passions et à
semer la méfiance ? Ainsi que les rois, les peuples out leurs flatteurs ; comme
les flatteurs des rois, ceux des peuples n'ont en vue que leur intérêt
particulier. Peu leur importe que le peuple soit plongé dans la misère par la
cessation du travail, suite inévitable des désordres. Eu remuant la société,
ils n'ont qu'un but, c'est d'arriver à la surface. Espérons que le bon sens
qui caractérise le peuple belge lui fera reconnaître ses véritables amis, et
qu'il écoutera les hommes qui ont élevé la voix pour défendre ses droits, lorsqu'il pouvait y
avoir quelque courage à les défendre, tandis que la plupart de ceux qui
aujourd'hui lui répètent sans cesse qu'il est tout, restaient muets, parce
qu'ils pensaient peut-être qu'il n'était rien.
Persuadé,
comme je le suis, que l'assemblée ne peut, sans imprudence, s'engager pour
l'avenir, le puis-je du moins comme individu ? Ici, messieurs, veuillez me
pardonner de vous parler de moi, c'est le seul moyen de développer toute ma
pensée. Si quelquefois j'ai été à même de montrer un peu de caractère, j'ai dû
cet avantage au soin que j'ai eu de ne prendre aucun engagement d'avance. J'ai
toujours laissé aux événements et à la discussion la possibilité de modifier ma
manière de voir, tant que je n'étais pas appelé à la manifester
définitivement. Je ne trouve pas de motifs suffisants de cesser d'en agir
ainsi. N'ayant pas l'habitude de cacher mes sentiments, je ne puis néanmoins
faire connaître que mon opinion d'aujourd'hui, sans me lier pour celle de
demain. Je suis loin d'être favorable au prince d'Orange, et si j'avais à
voter en ce moment, je ne voterais pas pour lui, non à cause des injures qu'on
lui a prodiguées et qui ne prouvent rien à mes yeux, mais parce que je ne lui
connais pas assez de caractère pour nous gouverner dans les circonstances
actuelles, et surtout parce que je vois qu'une partie de la nation est
tellement prononcée contre lui, que je craindrais que sa présence ne fût le
signal de la guerre civile, malheur que je voudrais éviter avant tout. Je ne prendrai qu'un seul
engagement, et je le prends à la face du ciel : c'est de faire le sacrifice de
mon opinion personnelle, toutes les fois que je croirai pouvoir assurer par là
le repos et la prospérité de mon pays !
Je sais,
messieurs, que ce que je viens de dire n'est pas populaire. Je le regrette,
parce que l'estime de tous mes concitoyens m'est précieuse ; mais jamais le
désir de l'obtenir ne me fera dévier de la ligne de mon devoir. On me
qualifiera comme on voudra ; fort de ma conscience, je mépriserai toute
qualification qui pourrait être considérée comme injurieuse. Je veux rester
libre dans cette enceinte ; si je cessais de l'être, il serait indigne de moi
d'y figurer et je me retirerais à l'instant. Mais les sentiments de mes
honorables collègues et ceux de la nation me donnent la certitude que je ne
serai jamais réduit à une pareille extrémité.
Me voilà,
messieurs, tel que je suis, tel que j'ai toujours été, tel que j'espère être
toujours, ne parlant, n'agissant que d'après une entière conviction, et aussi
peu disposé à me soumettre (page 270)
aveuglément aux exigences
populaires qu'à celles du despotisme.
Je voterai
contre la proposition, à moins que la discussion, dont je ne refuse pas les
lumières, ne me fasse changer d'avis. (U. B., 26 nov.)
M. Nothomb – Messieurs, si je n'avais vu dans
cette discussion qu'un vaste champ ouvert aux personnalités de tout genre, je
me serais abstenu d'y prendre part, heureux de laisser tout entier à d'autres
le triste et facile mérite d'accuser des grandeurs déchues ; mais je place la
question plus haut, j'y rattache tous les principes, toutes les idées qui
doivent présider à notre réorganisation nationale.
La
décision que vous allez prendre n'est pas nouvelle ; elle existe déjà ; vous
l'avez prise dans votre séance du 18 en proclamant l'indépendance, en
affranchissant
Il ne faut
pas se le dissimuler, messieurs, les traités de 1815 nous avaient placés sous une double
souveraineté : sous la souveraineté du peuple hollandais et sous celle de la maison d'Orange.
Votre
indépendance ne peut exister qu'à deux conditions : déchéance du peuple et de
la dynastie qui ensemble regardaient
Lorsqu'on
veut être libre, messieurs, on ne conserve pas une main dans les chaînes ; on
les dégage toutes les deux. En proclamant notre indépendance, nous avons rendu
impossible tout retour à la domination hollandaise. Repousser le peuple
hollandais, et supposer la possibilité de l'avènement d'un prince hollandais,
serait à la fois établir et détruire le même principe, annuler et sanctionner
les traités de 1815. En vain dira-t-on que nous ne pouvons nous lier pour
l'avenir, nous et les générations futures ; toute loi est faite pour l'avenir.
C'est un acte de providence nationale que nous exerçons ; la postérité le
ratifiera, si, comme nous, elle veut l'indépendance.
L'exclusion
de la dynastie hollandaise n'est pas plus étrange que l'exclusion de
Je ne mets
pas les membres de la famille d'Orange sur la même ligne que les autres princes
étrangers ; je les place ou plutôt je les laisse hors du droit commun ; ils se
sont eux-mêmes fait une condition exceptionnelle. Les princes d'Orange font
dériver ce qu'ils appellent les droits de leur maison des traités de 1815, que nous
ne pouvons reconnaître et auxquels ils ne renoncent point ; ils se prévalent
d'une usurpation, d'un abus de la force, et nous ne pouvons nous exposer à
légitimer leurs prétentions. Toute autre dynastie se présente pure de tout
esprit d'usurpation, et disposée à rendre hommage sans réserve à notre souveraineté
nationale. L'avènement d'un prince d'Orange serait la contre-révolution ; tôt
ou tard il nous dirait: Je règne en vertu, non de l'élection de
1830, mais des traités de 1815; je
n'ai pas librement renoncé aux
droits de ma maison.
La
déchéance et l'exclusion des Nassau ne sont donc que des conséquences de la
proclamation d'indépendance. C'est le double corollaire d'un principe déjà
reconnu.
Cette
déclaration est une mesure politique d'une grande portée.
Elle
n'augmentera pas les embarras du choix du chef de l'État, elle les diminuera.
Elle ouvrira un vaste concours européen et amènera peut-être des combinaisons
politiques très avantageuses.
Elle
exercera une grande influence sur les déterminations des puissances
étrangères. Nous préviendrons beaucoup d'intrigues et nous dominerons la
diplomatie. Jusqu'aujourd'hui
Notre
révolution nous a exposés à trois sortes de guerres : une guerre européenne,
une guerre civile, ou une guerre contre
(page 271) Mais quoi que nous fassions,
celle-ci est inévitable, et nous ne devons pas la redouter.
Messieurs,
toutes les révolutions ont leur question de personne, c'est celle devant
laquelle on hésite le plus longtemps, elle se tient renfermée au fond des
esprits, mais il suffit de quelque hardiesse pour la poser. Dès lors une
solution devient nécessaire, une espèce de fatalité s'y attache, et toutes les
fins de non-recevoir deviennent impuissantes. Chacun est obligé de se produire
au dehors dans ce qu'il a de plus intime, de répudier pour toujours le passé et
de se livrer à l'avenir sans réserve et comme à discrétion. C'est la question
de personne qui compromet les hommes ; tout peut se pardonner, hors une
opinion. La présente discussion fera donc époque dans la vie de chacun de
nous; à la suite du nom de chacun se placera son vote comme une action
importante. Je ne me cache aucune de ses conséquences.
Je voterai
l'exclusion des Nassau à perpétuité. (U. B., 26 nov.)
M. Charles de Brouckere – Mes anciennes relations, ma position actuelle me font un
devoir, messieurs, de monter à cette tribune ; d'autres, peut-être, se trouvent
dans une situation analogue à la mienne ; mes paroles, dans ce cas, ne seront
pas perdues pour l'assemblée.
Un oui qui
me fut arraché me mit, par ma nomination de commandant de garde urbaine, en
relation avec le prince d'Orange ; j'avais lieu de m'en applaudir, lorsque le
message du 11 décembre et la destitution de plusieurs collègues me
firent regarder comme un outrage, une humiliation, de tenir par des liens
quelconques au gouvernement.
Je repris
mes habitudes et ne revis aucun homme du pouvoir jusqu'au 5 septembre dernier.
Alors et depuis, plusieurs entretiens me firent croire que le prince d'Orange
épousait notre cause. J'ajouterai qu'une mission de paix et de réparation dont
il voulait me charger me retint à la Haye ; qu'à mon retour, le croyant joué
aussi bien que moi, je fus le voir à Anvers.
Je lui
exposai cette fois que son père et son frère étaient perdus à toujours, que
jamais ils ne pourraient rentrer dans notre patrie encore saignante de leurs
exploits ; que quant à lui, suivant moi, il n'avait qu'un seul moyen de
conserver quelque espoir : rompre avec les siens, agir en citoyen belge et se
soumettre à la décision du congrès.
Les
événements d'Anvers, messieurs, ont bouleversé toutes mes idées. Non que je
croie le prince coupable de participation au meurtre ou à l'incendie ; mais son
départ d'Anvers alors qu'il fallait agir au lieu de faire des proclamations ;
son débarquement sur le sol hollandais ; le discours d'ouverture des étais
généraux ; l'arrêté par lequel le roi de Hollande retire les pouvoirs à son
fils bien-aimé ; les explications données par les journaux semi-officiels
d'outre Moerdyk ; toutes ces circonstances, dis-je, ont motivé un jugement que
je ne prononce pas, par souvenir d'illusions qui me furent chères, par respect
pour le malheur.
Toujours
est-il qu'aujourd'hui je suis convaincu que le prince d'Orange ne peut, pas
plus que les autres membres de sa famille, aspirer à monter sur le trône de
Je ne
rends pas ainsi, comme l'a cru un orateur, le fils solidaire des fautes de son
père ; mais un nouvel État ne peut tomber entre les mains d'un enfant : quand
une nation se reconstitue, elle a besoin de force, de stabilité ; une régence ne
peut garantir ni l'une ni l'autre.
Tous les
princes de la famille déchue seraient les hommes d'une restauration, et, je le
répète, toute restauration est impossible. Elle l'est plus pour nous que pour
tout autre pays. D'abord, parce que
Les
peuples ne se font pas décimer sans vouloir recueillir quelque fruit de leur
dévouement. Le sang belge qui a arrosé notre sol doit le fertiliser.
Tout le
monde ou à peu près est d'accord sur ce point, mais pourquoi, dit-on, faut-il
le déclarer publiquement ? Le choix d'un monarque n'entraînera-t-il pas avec
lui l'exclusion ?
Sans doute,
la question sera résolue par l'élection d'un chef héréditaire. Mais à quoi bon
différer ? pourquoi entretenir des doutes funestes ? pourquoi ne pas déclarer
de suite ce que nous sommes décidés à vouloir ? II ne suffit pas que nous
connaissions mutuellement nos intentions, nos pensées sur l'avenir du pays ;
dès qu'il y a accord de volontés, il est important, nécessaire, que la nation
le sache.
Qu'on eût
différé de faire la proposition, je le conçois ; mais une fois faite, il est
impossible de (page 272) l'écarter
sans donner un aliment aux passions, sans plonger le pays dans une fatale
incertitude.
Je ne vous
entretiendrai pas plus longtemps, messieurs, de l'opportunité de la déclaration
d'exclusion, Vous le savez, il y a deux ans, dans cette même enceinte, je n'ai
eu à combattre que l'intempestivité, l'inopportunité d'une mesure que je
proposai : je fus battu par ces mots magiques, et
Quant à
l'argument tiré de la situation d'Anvers, par un des orateurs qui m'ont
précédé, il est tel que si le congrès s'y arrête, il doit, dès aujourd'hui,
suspendre le cours de ses délibérations ; ne pas constituer l'État, car le
choix du chef entraînera l'exclusion ; déclarer enfin le provisoire indéfini,
d'autant plus que, par l'armistice, la position d'Anvers peut ne pas changer
de sitôt.
La
désignation à perpétuité a effrayé quelques membres de l'assemblée ; ils
y ont vu une stipulation qui liait les, générations futures. La forme du
gouvernement que vous avez décrétée hier, messieurs, ne lie-t-elle donc pas
les mêmes générations ? Par le fait de l'établissement d'une monarchie
héréditaire, l'exclusion ne devient-elle pas perpétuelle, pour autant que les
institutions humaines peuvent revêtir ce caractère ?
Décidé
à ne pas concourir à l'élection d'un prince de la maison d'Orange-Nassau,
j'adopterai la proposition telle qu'elle a été amendée par la section centrale,
persuadé qu'ainsi nous contribuerons à enlever des prétextes dont la malveillance
se saisit avec avidité pour fomenter des troubles, et à calmer des inquiétudes
réelles ; nous éclairerons l'Europe sur notre situation même par un vote
d'exclusion. (U. B., 26 nov.)
M. Werbrouck-Pieters – Lors de la discussion sur la
question de savoir si la seconde proposition de M. Constantin Rodenbach aurait
eu la priorité sur la première, j'avais demandé la parole ; mais voyant
plusieurs autres membres la réclamer avec un plus grand empressement que moi, je
n'ai point insisté ; d'abord, parce que je n'aurais pu que répéter faiblement
tout ce que mes honorables collègues d'Anvers, qui ont pris part à la
discussion, et ensuite M. Destouvelles et M. le comte d'Arschot, avaient, me
semble-t-il, démontré d'une manière fort claire et avec cette énergie et ce ton
que donne la conviction.
En second
lieu, parce que le mal ne gît point dans la question de savoir si l'examen de
la proposition devait avoir la priorité ou non, mais dans la proposition même.
Or, plus de cinq membres l'avaient appuyée, et plus de dix voix
demandaient son renvoi
aux sections ; donc, quant à moi, il m'importait peu qu'elle obtînt l'honneur
de cette priorité ou non. La proposition était faite.
Et enfin,
en troisième lieu, j'avais entendu un langage et de bruyants applaudissements
qui, permettez-moi de le dire, me paraissaient sortir des lois réglementaires
que nous nous sommes imposées et des usages parlementaires ; les mots intrigues,
machinations, argent, arrière-pensée et je ne sais quels autres, rien moins
qu'honorables pour cette assemblée, étaient venus jusqu'à moi et troubler
l'ordre de mes idées au point que, si j'avais improvisé les observations
qu'ils m'inspiraient, j'aurais pu peut-être franchir les bornes d'une
modération dont je ne sortirai qu'autant que je m'y verrai forcé par mes
adversaires.
Il s'agit
aujourd'hui de la question au fond.
La
nation belge déclarera-t-elle tous les membres de la famille de Nassau exclus à
perpétuité de tout pouvoir en Belgique ?
Avant
d'entrer en discussion et d'émettre mon vote, qu'il me soit permis de faire ici
ma profession de foi politique : Elle sera courte.
Ma
conviction seule a toujours réglé et réglera toujours mon vote. Je n'en dois
compte qu'à elle et à l'Être suprême qui en est le juge.
Jamais je
ne me laisserai influencer, pas plus par les clameurs et les vociférations d'un
parti, quel qu'il soit, que par la corruption d'aucune espèce. Ceux qui m'ont
connu aux états généraux savent que ce n'est pas sur moi que peuvent planer
les soupçons d'intrigues, d'argent, d'arrière-pensée, et même du désir des
places. Plusieurs de mes anciens collègues qui siégent sur nos bancs, et moi,
en avons donné plus d'une preuve. Nous n'avons pas attendu pour défendre nos
droits et la liberté, nous l'avons fait lorsqu'elle était enchaînée et qu'il y
avait peut-être quelque danger à le faire. En un mot nous avons fait nos
preuves, nos antécédents sont là, et nous pouvons encore soumettre nos actions
politiques à la plus sévère critique.
Je
combattrai la proposition qui vous est soumise, sous les deux rapports
seulement de son inopportunité et des conséquences qu'elle peut avoir, non pour
telle ou telle ville, mais pour toute la nation. (Murmures.)
Écoutez-moi,
messieurs, je vous prie, avec indulgence et avec cette impassibilité que j'ai
eue en entendant les discours qui ont été prononcés dans un sens contraire à
mon opinion. Voilà, messieurs, en quoi consiste la véritable liberté de
la (page 275) tribune,
et non en voulant imposer violemment son opinion aux autres.
La proposition me paraît intempestive.
J'essayerais en vain, messieurs, de vous le
démontrer avec cette logique, avec ce talent dont notre honorable collègue M.
Destouvelles, et autres, vous ont donné des preuves, lors de la discussion du
16 de ce mois, et même aujourd'hui ; mais je ne puis cependant passer sous
silence les motifs qui me font personnellement regarder la proposition comme
incontestablement intempestive. Eh ! messieurs, jamais, quoi qu'on dise, quoi qu'on
fasse, je ne croirai que nous sommes retournés à cette époque de fatale mémoire
où on osa proclamer audacieusement cette maxime qui a coûté tant de larmes et
des flots de sang :
« Périssent
les colonies plutôt qu'un principe. »
Il ne s'agit pas ici de principe, je le sais, mais
d'une opinion.
Voudrait-on remplacer cette maxime par celle-ci : Périssent le
commerce maritime de
Non! je me hâte de le proclamer en votre nom, parce que je suis
convaincu que telle n'est point votre pensée, car si c'était ainsi, je me
tairais et je gémirais sur ma triste patrie
Non, messieurs, il ne sera pas dit et il n'est pas vrai qu'un Belge,
député par ses concitoyens pour faire connaître à la nation ce qu'il craint
être la vérité puisse être noté, injurié, poursuivi et persécuté pour ses
opinions et son vote ; mais le fût-il, il remplira son mandat quand même.
Les opinions et les votes sont libres ; la majorité doit seule décider
; ce qu'elle a prononcé a droit à notre respect et à notre soumission, et nous tous
les premiers devons donner l'exemple de ce respect et de cette soumission.
En d'autres
temps, j'ai dit la vérité aux rois, je la dis ici avec plus de confiance à la
nation, qui dans mon
opinion est plus digne de l'entendre et qui m'écoutera mieux.
Si les Nassau eussent cru et apprécié l'opposition dans laquelle
plusieurs honorables membres qui sont parmi nous, ainsi que moi, avons figuré,
ils n'auraient point couru le risque d'être expulsés et exclus de tout pouvoir
par la nation belge.
Lorsqu'il s'agit de constituer un nouvel État dont les intérêts
matériels sont encore à régler, soit par la force des armes, soit par ses
communications diplomatiques ou ses traités ; lorsque ce pays a été en
communauté d'intérêts avec un tout, dont il se sépare, n'y a-t-il donc aucun ménagement ou réel ou
politique à prendre, tant que la partie avec laquelle il s'agit de régler et de
liquider dans ce divorce politique est dans une position plus ou moins
favorable pour pouvoir nuire à l'autre, sans que celle-ci ait encore eu le
temps d'acquérir assez de moyens pour pouvoir immédiatement de son côté user
de représailles ? ne peut-on pas lui conseiller de rendre le mal pour le mal ?
n'est-il pas convenable, dis-je, de procéder dans une telle position avec tant
soit peu de prévoyance et quelque arrière-pensée ?
Est-ce
bien le moment, quand on négocie un armistice, une évacuation de territoire,
de prendre une détermination qui peut augmenter encore la haine et aller
jusqu'à réduire au désespoir un ennemi qui dès lors ne ménagera plus rien ?
Oui,
messieurs, est-ce bien dans un pareil moment, je le demande encore, qu'il faut
adopter un extrême, une mesure sans retour ? Et que dirait-on si, dans une
contestation entre deux particuliers que des tiers voudraient concilier, l'un
commençait à frapper l'autre et à le blesser dans ses plus chères affections,
enfin par déclarer qu'il ne veut plus entendre parler ni de lui, ni des siens !
serait-ce là, croyez-vous, messieurs, un bon moyen pour discuter de sang-froid
et aplanir les difficultés existantes ? Voilà, messieurs, il me parait, la
position dans laquelle nous placerait l'adoption de la proposition,
J'abandonne
ces réflexions à votre sagesse. Quant à moi, ces questions que je me suis
faites il moi-même, m'ont jeté dans une très grande perplexité. Après les avoir
méditées longtemps et mûrement, la voix de la plus intime conviction m'a
imposé le rigoureux devoir de refuser mon vote à la proposition. Oui,
messieurs, je recule devant l'idée, et je vous l'avoue sincèrement, de la responsabilité
qui peut résulter, il me semble, et peser sur moi, si j'avais la faiblesse de
me laisser aller à toute autre résolution par quelque considération que cela fût.
La
proposition est encore intempestive à mon avis, parce que je n'ai entendu ni ne
connais aucun motif déterminant pour que, lors même qu'elle fût jugée
nécessaire, utile, et sans inconvénient aucun, il soit urgent de la prononcer,
avant de savoir quelles conditions la nation veut imposer à son futur chef. Car
à Dieu ne plaise que j'admette la supposition que je ne veux pas caractériser,
mais que j'ai entendu faire dans cette enceinte, que tant que cette résolution
ne sera pas prise, il y aura parmi nous des âmes timorées qui n'oseront point
se prononcer dans tel ou tel sens !
(page 274) Pour ce qui me concerne, je
déclare ici que cette résolution, fût-elle prise, ne peut avoir la moindre
influence sur mes opinions à l'égard de toutes autres questions indépendantes
de celle-ci, et je le répète encore, mon vote ne dépendra jamais que de ce qui
me paraîtra le plus convenable à mon pays eu égard à ce pays même et autres qui
l'entourent et dont les influences diplomatiques ou de forces possibles feront
constamment aussi le sujet de mes méditations et de mon attention.
Je
pourrais ici, messieurs, vous faire un bien triste tableau des pertes et
malheurs dont notre pays aurait pu être préservé, tout en atteignant Ie même
but, si en toutes choses on eût déployé autant de prudence et de prévoyance
que de courage et de bravoure ; mais à quoi bon ? Ne vous a-t-on pas dit que
les habitants de Maestricht et les Anversois n'avaient qu'à faire comme
ailleurs ? leur courage doit suffire. Quand j'entends un tel langage, en
vérité, messieurs, je ne sais que penser, que dire.
Cette
utopie valeureuse nous a déjà valu plus d'un malheur, plus d'un brave dont la
patrie pleure la perte.
On voulait
prendre des frégates et toute une flottille à coups de fusil et avec trois ou quatre
pièces de canon La prudence voulait des moyens différents d'attaque ; le
courage en décida autrement, et vous savez, messieurs, quels désastres s'en
sont suivis sans que tous les habitants, eussent-ils pu être armés et tous
être des Césars, auraient pu l'empêcher.
Voilà la
vérité.
On a
été plus loin encore, et je le dis à regret et avec amertume, mais je le dois
puisque ceci me regarde personnellement en ma qualité de président de section,
pour les reproches faits à cette section ; un orateur (M. Raikem), parlant de
la proposition qui nous occupe, a dit :
Ma section a fini son travail. Je crois que toutes les sections sont dans la
même position que nous ; il en est une qui n'a pas achevé son travail.
C'est une négligence qui ne tend qu'à retarder la discussion d'une question
vitale. Des nouvelles que je reçois m'annoncent de grands désordres ; il faut
les prévenir, sans quoi nous marchons vers l'anarchie (remarquez bien ceci, je
vous en prie), et lorsque les entrailles sont menacées, songera-t-on à sauver
les extrémités, en d'autres termes à sacrifier les extrémités pour sauver les
entrailles ?
Je n'avais
pas compris l'orateur, sans quoi j'aurais répondu sur-le-champ. Ce fut au sortir
de la séance que plusieurs de mes concitoyens qui avaient été dans la salle, me
demandèrent si je n'avais pas entendu comme eux et éprouvé les sentiments
pénibles dont ils étaient affectés. La chose me fut confirmée par les journaux
qui ajoutèrent que la motion avait été même applaudie.
.Je vous l'avoue, messieurs, je n'aurais pas cru que les extrémités, et
l'orateur a dû y comprendre, s'il n'a voulu les désigner plus particulièrement,
Maestricht et Anvers, je n'aurais pas cru, dis-je, que ces deux places si
importantes pour la nation belge pouvaient être ravalées à ce point au sein du
congrès même sans y trouver une seille voix pour prendre leur défense. Est-ce
bien, messieurs, un Belge qui a tenu ce langage ? Est-ce un homme ami ardent
de l'union et de la concorde ? Est-ce là le langage de l'humanité ? Un
malfaiteur, un malheureux souffrant reçoit du secours de la main charitable du
Samaritain et n'est point offensé par un aussi profond mépris. Sacrifier les
extrémités pour sauver les entrailles, est-ce là le sort qui nous est réservé ?
Que peuvent faire de plus les Hollandais ? Est-ce là le seul remède qu'on veut
porter à nos maux ? Un médecin humain ne laisse pas mourir son malade sans
faire quelques efforts pour le sauver, et ne l'abandonne que lorsque tout
espoir de guérison est perdu
N'y a-t- il donc ici d'autres remèdes que le sacrifice?
Je laisse aux cœurs généreux belges à penser quelle impression doit
faire un pareil langage sur les parties de
Je ferai à mon tour une demande : Qu'est-ce qu'un corps privé de tous
ses membres ?
Ce n'est point tout encore ; si l'orateur avait cité les faits avec
vérité et exactitude, il n'aurait pas dit à la nation qu'une seule section
n'avait pas achevé son travail, et que c'était une négligence qui tendait à
retarder la discussion. Cette accusation s'adresse à moi, parce que moi seul
je fis l'observation que ma section ne s'en était pas occupée encore. Eh bien!
je dois répondre et je réponds, j'en appelle aux membres de ma section qui s'y
étaient rendus, si je ne leur ai pas proposé d'examiner la proposition, et si
ce n'est pas à leur demande que cet examen fut renvoyé à la séance suivante de
la section. Un autre fait avancé par l'orateur, tout aussi inexact, c'est
qu'il n'y aurait eu que cette seule section qui fût dans ce cas, car la
deuxième, la sixième, la dixième s'y trouvaient également. Voilà la vérité,
messieurs; qu'on juge maintenant du mérite de la sortie qu'on a faite aussi
injustement contre la huitième section que j'ai l'honneur de présider.
Messieurs, soyons prudents et modérés, justes (page 275) et vrais ; évitons désormais tout ce qui
pourrait troubler l'harmonie qui doit régner parmi nous. Pour être forts et considérés
et de la nation et du monde qui nous contemple, écartons de nos discussions
tout ce qui peut aigrir ou blesser l'amour-propre. La liberté s'allie très-bien
avec la modération; tâchons que celle-ci soit toujours sa compagne fidèle, et
nos travaux n'en iront que mieux.
Je reviens
à la proposition, et j'aborde le second et dernier point de mon discours : des
conséquences qui me paraissent devoir résulter de l'adoption de la proposition.
Supposons
que l'exclusion jusqu'au dernier des rejetons de la famille de Nassau soit
prononcée ; dès ce moment ils ne sont plus rien pour nous ; et nous, plus rien
pour eux.
Cependant,
messieurs, je le répète, toutes nos provinces ont encore à discuter avec eux
des intérêts matériels très considérables, et cependant nous fermons pour ainsi
dire la porte à tout arrangement à l'amiable.
De cette
adoption résultera nécessairement une interruption continue et beaucoup plus
prolongée de relations et de communications; notre commerce réduit à rien,
faute de celles-ci, en souffrira plus longtemps les entraves ; les vexations en
augmenteront, et partout où les deux nations belge et hollandaise se
rencontreront, elles se heurteront.
La
suspension des hostilités aux conditions connues et pour dix jours seulement
n'ôte rien à la force de ce raisonnement.
Ce serait
ici le moment d'examiner l'état du commerce réciproque des deux nations ; mais
cela m'entraînerait dans des longueurs, et je veux ménager les moments précieux
de l'assemblée ; d'ailleurs nous tous, qui sommes appelés à consolider le
commerce maritime de
Je sais, messieurs, que c'est là l'effet ordinaire de l'état de guerre,
mais je pense aussi que l'adoption de la proposition ne contribuera pas à
rapprocher l'époque de la cessation de cet état de guerre, et que c"est là
encore une des conséquences qui peuvent en résulter.
On observera peut-être que
Eh! messieurs, que fera encore
(page 276) Ne croyez
pas, messieurs, qu'en vous faisant connaître franchement les
conséquences que j'aperçois dans une résolution affirmative, je sois plus orangiste
que personne ; ceux qui me donneraient cette qualification ou ne me connaissent
pas ou se trompent.
Au grand jour, lorsqu'il s'agira de nommer le chef de l'État, on verra
si mon vote ne sera point d'accord avec le vœu de mes concitoyens. Ce que je
désire, c'est qu'avant de prononcer, vous daigniez méditer tant soit peu
toutes ces conséquences, que je crains peut-être à tort, mais toujours avec
conviction, afin qu'un jour la nation ne nous reproche point d'avoir agi avec
légèreté, avec précipitation.
Il est des circonstances, messieurs, dans lesquelles
la politique impose à l'homme qui préside aux destinées de sa patrie, qu'il
aime et chérit, l'obligation de consulter le cœur humain et les leçons de
l'expérience.
Nous sommes aujourd'hui dans ce cas, je pense. Je vote contre la
proposition. (U. B., 29 nov.)
M. Raikem – Je demande
la parole pour un fait personnel. En rappelant quelques- unes de mes paroles
prononcées avec la conviction que le salut du peuple est la suprême loi, on a
demandé : Est-ce là le langage d'un véritable Belge, d'un ami de
l'humanité ? C'est du moins celui de quelqu'un qui veut le salut de sa
patrie.
Je ne veux que rappeler ce qui s'est passé à Liége lorsque nos
volontaires marchèrent au secours de Bruxelles. Le général Van Boecop menaça
aussi d'incendier la ville; mais nous lui répondîmes : « Vous pouvez nous
incendier, nous perdrons tout ce que nous possédons, et la vie s'il le faut ;
mais le peuple veut marcher au secours de Bruxelles, il veut la liberté, et il
saura la conquérir, quelque prix qu'elle doive lui coûter. (Bravo!
applaudissements.) (U. B., suppl., 25 nov.)
M. le président donne
lecture de l'article du règlement qui interdit les signes d'approbation et
d'improbation. (C., 25 nov.)
M. Henri de Brouckere – J'ai fait
partie de la majorité qui, dans une de vos séances précédentes; s'est opposée
à la priorité que l'on réclamait en faveur de la proposition qui nous occupe,
sur celle de M. le comte de Celles. Les membres de cette majorité, on vous l'a
dit, messieurs, se sont vus, par suite de leur vote, en butte à des soupçons,
je dirai même à des reproches aussi graves que peu fondés.
Si la même question de priorité nous était soumise aujourd'hui, je
n'hésiterais pas, je l'avoue, à la résoudre dans le même sens.
Je n'entrerai point dans le développement de tous les motifs qui me
firent contribuer à retarder une décision qui me paraissait n'être rien moins
qu'urgente, et qui n'est point sans inconvénients ; je vous dirai seulement,
que ce qui surtout me fit reculer devant cette décision, c'est qu'elle devait
nécessairement nous engager dans un précédent dangereux. Appelés que nous
sommes à élire le chef de l'État, fallait-il commencer par restreindre, par
borner votre choix ? Non que le mien dût tomber sur l'un de ceux dont on
voulait faire déclarer l'exclusion ; mais d'autres demandes du même genre,
peut-être même plus générales encore, ne pourraient-elles pas suivre cette
première démarche ?
Toutefois cette considération m'a paru devoir céder devant d'autres
considérations qui, selon moi, sont décisives, tranchantes, et qui me
détermineront à voter aujourd'hui pour la proposition : non que je sois revenu
de l'idée qu'il eût mieux valu qu'elle n'eût point vu le jour ; mais soumise à
notre décision, nous ne pouvons sans danger, ce me semble, nous refuser à la
résoudre affirmativement : soumettons-nous à la nécessité. Et si nous ne le
faisions pas, le peuple belge, jusqu'ici si plein de confiance dans ses
mandataires, commencerait, messieurs, nous n'en pouvons plus douter,
commencerait à concevoir des inquiétudes ; les ennemis de la tranquillité et du
bon ordre lui montreraient notre hésitation comme le pronostic d'une décision
qu'il repousse si hautement ; nous nous exposerions ainsi à favoriser les
troubles, il faire naître des dissensions intestines.
Le rejet de la proposition aurait une autre conséquence encore, non
moins positive, non moins pressante. Et, en effet, la famille d'Orange ne s'en
emparerait-elle pas avec empressement, pour faire croire aux cabinets étrangers
que la majorité de la nation nourrit encore le désir et l'espoir de la voir
rappeler au trône de
Je voterai pour la proposition, amendée comme elle l'a été par la
section centrale, ou conçue comme l'a proposé la section à laquelle j'appartiens,
(page 277) c'est-à-dire en ces termes : Le
Congrès déclare exclus à perpétuité de tout pouvoir en
Belgique Guillaume
Frédéric, prince d'Orange-Nassau, et tous les membres de sa famille appelés à
lui succéder en vertu de la loi fondamentale de 1815; car il me paraît au moins superflu
de comprendre dans notre déclaration d'exclusion les branches de la famille de
Nassau avec lesquelles le peuple belge n'a jamais été en relations et qui, dans
aucun cas, n'auraient pu former de prétentions au trône des Pays-Bas.
Messieurs,
qu'il me soit permis d'ajouter quelques mots encore. Il serait à désirer qu'on
mît moins de légèreté à interpréter les opinions, à soupçonner le patriotisme,
je ne dirai pas seulement des individus, mais même de populations tout
entières. Les journaux nous ont appris par exemple, et des nouvelles
particulières me l'ont confirmé, que l'on a signalé la ville de Ruremonde
comme imbue d'un esprit peu favorable à notre révolution, et que par suite elle
s'est vue exposée à des menaces dont l'exécution eût eu pour elle les plus
funestes résultats. Messieurs, on a méconnu, on a calomnié mes concitoyens. La
ville de Ruremonde, située entre Maestricht et Nimègue, ayant Venloo dans son
voisinage, sans cesse entourée de troupes hollandaises, privée pendant des
semaines entières de toute communication avec les villes de
Oui,
messieurs, je le déclare au nom de tous les habitants de la ville et du district
de Ruremonde: ils sont Belges ; ils prennent la part la plus vive à la gloire
nationale. Aujourd'hui, grand nombre d'entre eux ont pris volontairement du service
dans vos légions ; et s'il s'agit un jour de défendre l'indépendance de la
patrie, vous les verrez rivaliser de courage et de patriotisme avec les
habitants de Bruxelles et de Liége ; vous les verrez se montrer dignes du nom
de Belges. (U. B., 29 nov.)
M. Claes (d’Anvers) – Et moi aussi, j'aime la liberté,
ai-je entendu dire dans cette assemblée. C'est l'expression d'un sentiment bien
juste et bien naturel. C'est précisément parce que je l'éprouve que je voterai
contre la proposition de M. Rodenbach. On vous a dit que le roi Guillaume
n'avait maintenu que Van Maanen en Hollande. Oublie-t-on qu'il se maintient
encore à Anvers, à Maestricht et dans d'autres parties de notre territoire ?
Quelle urgence y a-t-il de nous occuper sans délai de l'exclusion des
Nassau ? le peuple en a-t-il manifesté le désir ? où sont les pétitions qui
l'expriment ? On a dit que la nation est agitée ; oui, sans doute, elle est
agitée, mais qu'on lui rende son industrie, son commerce, et l'agitation
cessera. (Murmures.) Je le déclare, je ne suis pas porté pour la maison
d'Orange, mais nous avons des intérêts à régler ; nous ne pouvons fouler aux
pieds ces intérêts sans violer notre mandat : et nous ne pouvons nous occuper
de l'exclusion de la famille des Nassau sans enchaîner notre liberté. La nation
sentira bien que ce n'est pas pour favoriser cette famille que nous aurons
différé de prononcer son exclusion, elle comprendra que ce délai n'aura eu lieu
que pour cause d'inopportunité. Ce n'est pas seulement en faveur d'Anvers que
je parle ici, c'est dans l'intérêt général. Les Hollandais ont tout notre
commerce maritime entre les mains. (J. A., 26 nov.)
M. le président rappelle que les personnes qui se tiennent dans les
tribunes doivent être découvertes. (C.. 25 nov.)
M. Forgeur – Si je prends un instant la parole, c'est uniquement
pour motiver mon vote.
Ce vote sera affirmatif. .
J'aurais,
pourquoi m'en défendrais-je ? j'aurais vivement désiré ne pas voir paraître la
proposition de M. Rodenbach.
Il me
semble qu'il eût été digne du congrès national de laisser dans un dédaigneux.
Oubli une dynastie déchue, et qui doit renoncer à la pensée de régner parmi
nous.
Il me
semble qu'il eût été imposant le spectacle d'un congrès national assez grand,
assez généreux, pour ne plus s'occuper d'un ennemi vaincu,
Il me
semble enfin que prononcer l'exclusion à perpétuité de la dynastie déchue, par
le choix d'un autre chef héréditaire, eût été plus solennel, moins empreint de
précipitation et de passion.
Mais
enfin la proposition est faite ; elle a été appuyée, renvoyée aux sections.
Elle doit être discutée.
Pourquoi
donc reculer devant un fait inévitable, devant une nécessité impérieuse ?
La proposition
d'exclusion est l'équivalent de cette question adressée au congrès :
Voulez-vous
élire pour chef héréditaire un membre de la famille d'Orange-Nassau ?
C'est, en
d'autres termes, et comme on l'a fort (page
278) bien observé, une élection négative que vous allez faire.
Or, je le demande franchement au congrès, je le demande à ces hommes
honorables qui ont si longtemps combattu pour nos libertés, en présence du
pouvoir dans toute sa puissance, qui ne répondrait à cette question que je
répète:
Voulez-vous élire pour chef héréditaire un prince
d'Orange-Nassau ?
Non, mille fois non.
Parce que cette dynastie est antipathique au peuple
belge.
Parce que son retour serait le signal d'une guerre
civile.
Parce qu'il est impossible de réunir ce que le sang
a séparé.
Parce que l'histoire nous apprend que toute restauration n'est qu'un
replâtrage, qui tôt ou tard rend nécessaire une nouvelle révolution.
J'ajouterai enfin, au risque de me contredire :
Parce que, si l'exclusion n’est pas prononcée, des candidatures qui
pourraient assurer le bonheur de la nation, protéger ses intérêts matériels,
seraient comprimées par des sentiments de convenance et de retenue bien
naturels.
Les honorables députés d'Anvers sont, il est vrai, préoccupés des plus
vives craintes ; ils voient dans l'adoption de la proposition le présage d'une
destruction imminente. Qu'ils se rassurent. Tout est consommé à cet égard, et
le retour des désordres qu'on a fait si cruellement subir à leur belle cité
est désormais impossible. D'ailleurs, les sections n'ont-elles pas prononcé ?
L'exclusion n'est-elle pas le vœu de l'immense majorité et de la nation et du
congrès ? L'Europe,
Il y a plus: ces mêmes députés d'Anvers, citoyens avant tout, ne
viennent-ils pas vous dire que, lorsque le moment sera venu, leur vote sera
national ? Ainsi, quelle que soit la décision, adoption immédiate, ajournement
de la proposition, il n'en est pas moins vrai que l'exclusion à perpétuité est
dès maintenant prononcée. - Le fait existe : il n'y manque que la déclaration.
Encore une fois, pourquoi la reculer ? Les temps nous en imposeraient-ils une
autre, contraire à notre conviction, à notre indépendance, à notre honneur
national? et la nation n'est-elle pas décidée à tout, plutôt que de souffrir
l'humiliation de se voir replacée sous le joug qu'elle a brisé ?
Messieurs, une longue discussion va s'engager. Quarante-trois orateurs sont
inscrits. (Rumeur.) Pourquoi ? les uns pour faire déclarer dès
maintenant une exclusion à perpétuité que les autres veulent faire résulter du
fait de l'élection d'un chef héréditaire.
Ainsi
une question de temps va encore nous faire perdre des moments précieux.
Je
vous en adjure, messieurs, ne reculons pas devant ce qui est devenu une
nécessité.
N'entretenons
pas une agitation réelle ou factice dans le pays.
Ne
prononçons pas en cédant à des sentiments généreux, sans doute, un ajournement
fatal et indéfini.
N'autorisons
pas la nation à soupçonner des intentions perverses, là où je ne puis voir que
des intentions droites et loyales.
Tâchons
enfin de terminer un débat oiseux, inutile, et qui, si malheureusement il
changeait de gravité, pourrait dégénérer en insulte gratuite au malheur.
Je voterai
donc pour l'exclusion à perpétuité. (U. B., 26 nov.)
M. Le Grelle, pour un fait personnel – J'ai dit que
je voulais conserver mon entière liberté, en me réservant mon vote à l'époque
de l'élection. (C., 25 nov.)
M. Jottrand – Messieurs, ne voyez pas en moi un de ces orateurs
présomptueux qui s'élancent au milieu d'une question, indifférents sur le
choix du parti qu'ils vont défendre, et comptant bien produire de l'effet sur
leur auditoire, à quelque sujet qu'ils s'attachent.
Ne me
considérez pas non plus comme un de ces parleurs qui, après s'être rendu â
eux-mêmes la justice de reconnaître qu'ils ont peu de portée dans le talent,
espèrent toutefois se faire une réputation parlementaire en s'attachant avec
opiniâtreté à défendre tout ce qu'il y a de plus déraisonnable ; hommes qui
renoncent à la modestie après l'acte modeste de ne s'apprécier que ce qu'ils
valent, et cherchent alors à se faire remarquer en prenant une position
abandonnée de tous, incapables qu'ils sont de se distinguer parmi ceux qui
suivent la route commune.
Non,
messieurs, la présomption d'insuccès qui résulte, pour l'opinion que je viens
défendre, d'une première épreuve faite dans vos sections, n'est pas, comme on
pourrait vouloir le faire entendre, ce qui me détermine à la maintenir.
Mais je
suis entré dans cette assemblée avec une intelligence de mon mandat différente
de celle manifestée par beaucoup de nos honorables collègues.
(page 279) Je me crois choisi sous
l'obligation formelle de manifester mon opinion, sans égard à celle de voisins,
sur les bancs où je siége; sans égard surtout à celle de l'extérieur,
S'il
arrive que cette opinion n'ait point changé en moi, pour avoir changé ailleurs,
je me crois tenu de l'exprimer, ne comprenant aucunement l'utilité de nos
discussions et de la votation qui doit les suivre, si l'épreuve des sections
devait être regardée, le moins du monde, comme une épreuve définitive.
Avant
d'être choisi par les électeurs du district de Bruxelles, pour faire partie de
cette assemblée, j'avais publié ce qu'on est convenu d'appeler une profession
de foi parlementaire, bien que la foi,
proprement dite, soit incompatible, à mon avis, avec nos devoirs de députés, et
que nous devions toujours demeurer soumis à l'empire du raisonnement et de la
conviction.
Cette profession
de foi témoignait de mes opinions sur la question de notre indépendance ;
sur celle de la forme de notre gouvernement futur que, dans mon sens, je
déclarais devoir être monarchique ; sur la question enfin du monarque à
choisir par nous.
A propos
de cette dernière question, je déclarais embrasser avec ardeur l'espoir
d'achever notre révolution sans le moindre sacrifice de notre honneur, ou même
de nos préjugés nationaux. Mais je déclarais ouvertement aussi que si les faits
sur lesquels je comptais sincèrement pour terminer de cette manière, venaient à
ne pas se réaliser par une cause quelconque indépendante de ma volonté, et en
dehors de mes prévisions, je regarderais le prince d'Orange, ou l'un de ses
fils, comme admissibles à l'autorité de chef de la nation belge, plutôt que
de livrer le pays à la république ou à la domination étrangère.
Pour peu
que l'on veuille m'accorder de bon sens, on concevra qu'une pareille
déclaration n'a pas été faite par moi sans que j'y aie d'abord réfléchi. Et,
bien que, d'après moi, elle ne dût pas me lier au delà de mon changement
d'opinion opéré par les voies ordinaires du raisonnement, j'étais tenu de la
mûrir avant de la publier, pour ne pas exposer les électeurs auxquels je
m'adressais à se tromper dans le choix que cette déclaration pouvait les
déterminer à faire.
Si cette
déclaration était déterminante pour eux, il fallait qu'ils pussent compter que
celui qui la faisait n'abandonnerait pas ensuite trop facilement sa manière de
voir ; qu'il ne l'abandonnerait pas, par exemple, pour le seul motif que
d'autres ne l'embrassaient pas, ou cessaient de l'embrasser, ou pour le motif
bien moins concluant encore qu'il y aurait, en la conservant, quelque peu
d'impopularité à encourir. .
Or,
messieurs, je vous ferai remarquer que, depuis l'époque à laquelle je fis
publiquement la déclaration dont je viens de parler, c'est-à-dire depuis le 30
octobre, postérieurement aux événements d'Anvers, il ne s'est rien passé
autour de nous qui puisse légitimer le moins du monde un changement d'opinion
de ma part, si vous voulez bien admettre qu'avant de l'exprimer, je l'avais
assez mûrie pour ne pas devoir en changer à la légère, et surtout pour des
motifs étrangers à cette opinion en elle-même.
Aussi,
messieurs, quand il s'est agi de voter avec vous sur la question de
l'indépendance de notre patrie, je me suis trouvé, sans rien changer à ma
profession de foi sur ce point, entièrement dans le sens de la décision qui a
été prise par l'assemblée.
Aussi,
n'ai-je pas eu à modifier davantage mon opinion déjà publiée, sur la forme de
notre gouvernement futur, pour me trouver encore dans la majorité qui a décidé
hier l'adoption de la forme monarchique.
Mais si
les deux exemples que je viens d'alléguer suffisent pour prouver que les
événements n'ont rien apporté qui dût changer mon opinion première sur la
question de notre indépendance et de la forme de notre gouvernement futur, je
sens qu'il me faut établir d'une autre manière la preuve que les événements
n'ont rien apporté non plus qui dût changer mon opinion première sur la
question du choix d'un monarque pour notre Belgique indépendante et
monarchique. .
Je me suis
déclaré prêt à choisir ce monarque en dehors de la famille d'Orange ; j'ai manifesté
hautement ma préférence pour un chef qui ne fût pas de cette famille ; j'ai
justifié même l'espérance que j'avais de trouver ce chef parmi nous.
Mais ce
chef, l'avons-nous trouvé ? L'avons-nous cherché même jusqu'à ce jour ? Et
quand nous l'aurions cherché et trouvé, avons-nous son acceptation ? Rien de
tout cela. Ces questions doivent trouver, dit-on, leur solution plus tard, et
personne cependant ne me répond qu'elles la trouveront.
Ceux qui
peuvent en prendre leur parti dès aujourd'hui, et qui ont, à tout événement,
choisi leur pis-aller dans la république ou la domination étrangère, doivent,
je le conçois, s'inquiéter moins que moi de la possibilité absolue de la
solution dont je viens de parler.
(page 280) Mais si la majorité de la
nation, ne voulant à aucun prix de la république, ni de la domination
étrangère, préférait plus tard céder sur d'autres répugnances pour éviter l'un
ou l'autre de ces deux écueils, est-ce à moi de contribuer sans nécessité à
lui fermer les voies, à moi qui ne veux non plus à aucun prix de la république
ni de la domination étrangère ?
Je précise
mieux mon idée : disposé avec tout le monde, et comme tout le monde, à en finir
sans la famille d'Orange, mais à la condition principale, et d'ailleurs déjà
arrêtée par nous, de l'exclusion irrévocable de la république et de la domination
étrangère, je veux, et, quoi qu'on en dise, je veux, avec beaucoup de monde,
que l'on suive un ordre de solution plus favorable dans tous les cas à ceux qui
ont déjà exclu la république et la domination étrangère, qu'à ceux qui
considèrent encore l'un ou l'autre de ces deux moyens comme des pis-aller
sortables.
Et je
prends ici l'occasion toute naturelle de récuser en quelque sorte, dans la
décision de la question qui nous occupe, tous ceux qui ont laissé entrevoir,
dans nos discussions antérieures, qu'ils se prononçaient dans tel ou tel sens,
suivant qu'il devait mener plus tôt vers une réunion à un pays voisin, ou vers
le système de la république. Je récuse même ceux qui ont dit qu'ils voulaient
de notre indépendance ne fût-ce que pour en faire l'essai. Je les
récuse, en ce sens, qu'il ne leur sera pas interdit pour cela de déclarer leur
vote, mais en ce sens que nous soyons tous invités à réfléchir aux éléments
particuliers dont se forme nécessairement leur opinion sur la question qui nous
occupe.
Leurs
motifs de décision ne sont pas les mêmes que pour nous qui tenons, avant tout,
à constituer
D'ailleurs,
si j'ai bien compris ceux des orateurs qui m'ont précédé et qui ont parlé dans
le sens de la proposition de M. Rodenbach, ils n'ont fait valoir, que deux
espèces de raisonnements : les premiers tendent seulement, à mon avis, à
prouver la nécessité et la justice d'une déclaration de déchéance de la famille
d'Orange-Nassau ; les seconds tendent à prouver la nécessité de leur exclusion
à perpétuité, mais ils se fondent exclusivement sur des motifs que tout homme
indépendant doit réprouver.
Ils ont
dit, ces orateurs, que le ci-devant roi Guillaume et son fils Frédéric avaient
fait à notre pays tout le mal que pouvaient lui faire un tyran et le bourreau
exécuteur de ses ordres. Ils ont déroulé devant nous le tableau véridique des
violations, successives que le père et le fils ont fait subir à nos lois, (des
lois qu’ils avaient jurées), ont fait subir même aux principes sacrés de
l'humanité.
Tout cela
établit irrévocablement que la famille d'Orange-Nassau a perdu tous les droits
qu'elle n'a pas respectés, et qu'il est équitable de prononcer contre elle une
déchéance que l'Europe ne contestera pas, et que moi tout le premier je
proclamerai comme j'ai proclamé notre indépendance.
Mais quand
on a parlé de l'exclusion à perpétuité, non-seulement du ci-devant roi
Guillaume, non seulement de son fils Frédéric, non-seulement même du prince
d'Orange, mais encore de tous les membres de la famille, aujourd'hui et à a
jamais, le raisonnement a changé de nature : c'est l'opinion du peuple qu'on a
invoquée, ce sont les passions populaires qu'on a alléguées. On a dit que
l'opinion du peuple ne permettrait jamais le choix d'un membre, quel qu'il fût,
de la famille d'Orange, quand même ce choix, fait dans l'exercice complet de
notre volonté nationale, pourrait devenir utile aux intérêts du pays, de l'aveu
même de ceux qui sont appelés à délibérer sur ces intérêts.
C'est ici, messieurs,
que le raisonnement de ces orateurs ne me paraît pas admissible.
D'abord,
l'opinion du peuple n'est connue dans cette assemblée que par des allégations
de plusieurs députés, allégations de bonne foi, parce que ces députés
rapportent les impressions qu'ils ont reçues, mais allégations qui pourraient
être contredites par ceux qui ont pu recevoir ailleurs, des impressions
différentes.
L'assemblée
elle-même nous a déjà offert l'exemple du danger qu'il y aurait de compter,
pour déterminer son vote, sur des rapports d'opinions faits dans tel ou tel
sens, parce que l'on a consulté, par hasard ou par choix, telle ou telle
fraction de l'assemblée. N'avons-nous pas vu déjà des décisions prises dans
notre sein contrairement aux prévisions de quelques-uns de nous qui proclamaient
d'avance et dans leur conviction une décision tout autre ? Qui nous dira que
les mêmes erreurs de jugement n'ont pas lieu quand on nous rapporte l'opinion
du peuple, l'opinion extérieure.
Mais
j'admets que l'on ne se trompe pas sur (page
281) l'opinion extérieure en la proclamant généralement hostile aux
membres de la famille de Nassau autres que le ci-devant roi et son fils
Frédéric, et, si l'on veut, autres que le prince d'Orange.
J'admets, dis-je,
que l'opinion extérieure exclut aveuglément tout ce qui porte le nom d'un roi
qui nous a fait tout le mal possible. Toutefois je prends acte en même temps de
l'aveu que l'on fait que cette opinion est passionnée.
Or, les
opinions passionnées ne doivent pas être consultées par nous qui sommes envoyés
ici pour discuter librement, et avec le mandat de n'agir que d'après notre
sentiment, d'après notre manière d'envisager les faits, d'après notre aptitude
à en apprécier convenablement la nature et les conséquences.
J'ai fait
sur moi-même l'expérience de tous les inconvénients qu'il y a d'adopter comme
règle de décision les opinions passionnées.
Déterminé
comme je l'ai toujours été, comme je le suis toujours, à n'agir que dans
l'intérêt de mon pays, je me suis, dans le cours même de notre l'évolution,
surpris à changer de manière de voir sur les moyens de solution pour les
affaires de
En
recherchant les causes de ces variations, j'ai trouvé qu'elles étaient dues aux
inspirations passionnées que je recevais des événements. J'en ai conclu qu'il
ne fallait pas se hâter de décider d'après l'impression reçue dans telle ou
telle circonstance, et qu'il était plus sage d'attendre jusqu'au dernier jour
utile, pour me prononcer sur une question de quelque importance.
Le dernier
jour utile pour me prononcer sur la question de l'exclusion définitive de tous
les membres de la famille d'Orange n'est pas encore venu ; je crois, en
conséquence, devoir ajourner mon vote.
Je ne puis
admettre la proposition de l'honorable M. Rodenbach, parce qu'elle me lierait
sans nécessité et même d'une manière qui, dans mon opinion, pourrait plus tard
devenir préjudiciable au pays.
Ayant
exclu d'une manière absolue la république et la réunion à l'étranger comme
moyens de solution pour les affaires actuelles de
Je suis
porté à choisir de préférence ce chef en dehors de la famille d'Orange. Mais
ignorant entièrement, jusqu'à ce jour, ce qui pourra se réaliser d'efficace
pour le pays dans le choix de tel ou tel candidat, je ne veux en exclure aucun ;
bien décidé cependant à n'élire que celui dont la plus grande majorité de la
nation serait, au moment de l'élection, disposée à reconnaître les
titres.
En
attendant, je crois que le même principe qui nous a fait décréter
l'indépendance de
J'attendrai
l'issue de la discussion sur la proposition de M. Rodenbach, pour faire, au
sujet de cette déclaration de déchéance, telle proposition qui pourrait encore
convenir. (U. B., 27 nov.)
M. l’abbé Dehaerne – Messieurs, l'honorable
préopinant a dit que nous ne pouvons pas légèrement prononcer l'exclusion des
Nassau, parce que nous pourrions bientôt changer d'avis. Il avoue que, depuis
le commencement de la révolution, il a déjà, comme plusieurs autres, changé
plusieurs fois d'opinion, et il attribue ces divers changements à une
exaltation ou une passion passagère. Je ne dis pas que M. Jottrand ait parlé
avec passion, mais il se peut qu'il ait parlé avec un peu de chaleur ; et ne
serait-il pas possible, messieurs, que l'opinion qu'il vient d'émettre soit
l'effet de cette exaltation à laquelle l'honorable membre se dit sujet ? Je
vous avoue, messieurs, que, par cette raison, les preuves de M. Jottrand n'ont
produit aucun effet sur mon esprit, et je pensé que la majorité ne les a pas plus
goûtées que moi.
Plusieurs
honorables membres nous ont fait entendre que la déclaration de l'exclusion
serait intempestive. Lors de la question de priorité à accorder à la
proposition de l'exclusion sur celle relative à la forme du gouvernement, on
nous parlait aussi de l'intempestivité de cette priorité ; mais on ne renvoyait
pas à un terme si éloigné l'opportunité de la proposition dont nous sommes
saisis ; ou nous disait : Attendons jusqu'au 20, alors les places seront
évacuées. Je vous le demande, messieurs, quel effet doivent produire sur le
public ces raisons d'intempestivité et d'inopportunité ? Nous ne devons pas
craindre le peuple, nous ne devons pas avoir peur, je le sais; mais nous devons
craindre pour le peuple, et par conséquent nous devons éviter les fâcheux
effets que peuvent produire ces questions oiseuses et intempestives ; car, si
intempestivité il y a, c'est bien à jeter ces mots en avant ; il n'y a pas
seulement de l'intempestivité, il y a du danger.
La
principale raison que l'on a fait valoir, dans (page 282) les séances précédentes, en faveur de la monarchie
constitutionnelle, c'était qu'elle est dans les vœux de la généralité de la
nation. Si cet argument a pu entraîner la majorité de cette assemblée,
certes, il produira le même effet dans la discussion qui nous occupe à présent,
d'autant plus qu'on ne saurait se faire la moindre illusion sur le vœu de la
nation entière relativement à l'exclusion des Nassau. De Liége à Bruges, de
Luxembourg à Bruxelles, il n'y a qu'une voix ; partout on entend le cri à
bas les Nassau ! L'exclusion de cette famille est écrite en caractères
de sang sur le sol de
Mais on demande : Le peuple a-t-il donc toujours raison ? tout ce qu'il
veut est-il juste par cela seul qu'il le veut? quoiqu'il ait bien fait de
chasser des tyrans, peut-il faire peser sa réprobation sur toute une famille,
et cela à perpétuité ? Il est vrai, messieurs, que le peuple n'a pas toujours
raison et que sa volonté ne crée pas la justice ; car, si cela était, ce qui
est vrai en deçà du Moerdyk serait faux au delà. Il est une loi que le peuple
doit respecter ; il est une voix qui dit à toutes les nations : Vous viendrez
jusqu'ici et vous n'irez pas au delà. Mais une fois qu'un peuple s'est soulevé,
qu'il a brisé ses fers, qu'il ne veut plus de ses oppresseurs, qu'il a accompli
sa légitime révolution, alors, messieurs, sa volonté est sa raison, son
courroux est la justice ! Il ne faut plus alors demander s'il est juste
d'exclure à jamais toute une famille et d'envelopper, dans une même
proscription, la postérité innocente et les pères coupables ; le peuple le veut
ainsi, cela suffit ! Il est impossible que la dynastie règne encore paisiblement ; donc elle n'a plus le droit
de régner. L'histoire de tous les changements de dynasties le prouve: on ne
sacrifie pas une nation pour une famille ; les peuples ne sont pas faits pour
les rois.
Telle est
la vengeance du peuple belge, vengeance qui est juste, quoi qu'on en dise ;
vengeance qui frappe les enfants, parce qu'ils appartiennent au père, qui ne
laisse pas au père l'espoir de se voir jamais revivre sur le trône pour faire
expier à nos descendants les affronts qu'il a soufferts de nous. Telle est la
malédiction qui pèse sur Guillaume et sur toute sa race.
Une main
invisible semble lui tracer sa condamnation comme à un autre Balthazar: Vous
ne régnerez plus! (Profonde sensation.)(U. B., 28 nov.)
M. De Decker
– Messieurs, il existe
au pays un fort parti d'orangistes : ceux qui parlent en faveur de la famille
d'Orange ont .souvent allégué les besoins du commerce et de l'industrie comme
un motif entraînant, et comme si leur bien-être dépendait de la conservation
de cette famille. Comme membre du parti industriel de cette assemblée, je vais
envisager la grave question qui nous occupe, sous ce point de vue.
Quelle
influence pourrait avoir le choix du prince d'Orange sur nos relations
commerciales?
.La
liberté n'a pas de délices, lorsqu'elle est accompagnée de misères ; c'est
pourquoi le commerce et l'industrie occupent un des premiers rangs dans la
prospérité et le bonheur de la société, et méritent donc bien qu'on fasse le
sacrifice d'un peu de haine pour leur bien-être ; mais il n'en est pas ainsi de
la situation de notre industrie.
Le prince
d'Orange ajoutera-t-il quelque chose à notre force, à notre droit de protéger
notre industrie ? Au contraire, si nous l'acceptons, il ne saura gré de sa
nomination qu'à ceux personnellement qui y auront coopéré, et à la diplomatie
étrangère qu'il croira toujours son plus ferme appui : il craindra donc toujours
d'appuyer aucune mesure énergique en faveur de notre commerce et de notre
industrie. Mais, me dira-t-on, qu'avons-nous besoin de ces mesures énergiques,
dont vous semblez pressentir la nécessité ? le prince d'Orange nous rendra
notre débouché en Hollande et dans ses colonies, et nos fabriques ne
seront-elles pas de nouveau florissantes ?
Je
commence par contester que nos fabriques étaient florissantes : Gand et
Verviers étaient dans la détresse avant notre révolution ; puis, je soutiens
que ces débouchés, faibles palliatifs d'un système radicalement vicieux, sont
perdus pour nous avec le prince d'Orange comme avec tout autre.
(page 283) Si le prince d'Orange est
l'ami du roi de Hollande, notre liberté et nos intérêts seront toujours en
danger ; s'il n'en est pas l'ami, il sera toujours un obstacle à tout arrangement.
Quant aux
colonies, messieurs, dont la perte a paru jeter l'alarme chez nos fabricants,
l'heure de la liberté a peut-être déjà sonné pour elles ;
Nous
trouverons un débouché bien plus grand et plus certain dans notre propre
consommation à l'intérieur, en adoptant un système de douane prohibitif : nous
exclurons par là les marchandises anglaises et d'Allemagne, qui nous inondent
d nous importent dix fois plus que nous n'envoyons aux colonies; et pourquoi
aller chercher il quatre mille lieues un débouché que l'on trouve chez soi, et
que la première guerre sur mer peut nous ravir?
Des intérêts
particuliers seront froissés, sans doute, mais la patrie avant tout ; nous
aurons bientôt trouvé de nouvelles relations ; ne sommes-nous pas un peuple
actif et laborieux? N'avons-nous pas dû lutter assez pendant le règne de
Guillaume, le protecteur du commerce ? Encore pourtant n'avons-nous pas été
abattus par nos ravisseurs du Nord
Je promets
une ère de prospérité pour notre belle patrie ; nous formerons un peuple, pour
la première fois libre, et nous jouirons en paix du fruit de nos travaux.
Ce que nous
perdons du côté de
Je conçois
un vaste plan, mais dont je ne puis prévoir toute l'étendue, et dont je ne puis
non plus assurer la possibilité, celui dont parlait, il y a quelques jours, un
membre distingué de cette assemblée, M. de Brouckere : je veux dire la suppression
des lignes de douanes entre les deux pays. J'ajouterai à son appui, que les
désavantages que pourraient y trouver des intérêts particuliers, ne seraient
peut-être pas à comparer à l'énorme économie que produirait cette suppression
; car depuis Dunkerque jusqu'à Luxembourg, ces lignes mangent une grande
partie de leur revenu. J'en conviens, l'idée est grande et peut-être
chimérique ; mais depuis peu nous avons vu souvent des choses auxquelles nous
ne nous attendions pas. Je n'ai pris en considération que l'industrie et le commerce
intérieurs, qui fleurissent toujours ensemble. Je laisse à d'autres, plus
versés dans la matière, de s'expliquer sur la navigation et le haut commerce ;
mais on ne saurait toutefois me nier que l'activité de celui-ci dépend en
grande partie de l'activité du commerce intérieur ; là où il y a une grande
consommation, se placent aussi les grands marchés.
Pourquoi
donc regretter cette famille, par rapport aux affaires ? Est-ce parce qu'elle
a entièrement anéanti nos distilleries, et avec elles notre commerce de
détail, ou parce qu'elle a bientôt détruit notre commerce de toiles, jadis la
source de nos richesses ? Il nous en arrive annuellement plus de deux mille
pièces, dans les fines, de Bichfeld, en Allemagne, tandis que nos fileuses et
nos tisserands n'ont que du pain sec à manger, Serait-ce peut-être parce
qu'elle a presque entièrement perdu notre belle fabrique de dentelles, qui
seule donnait de l'occupation à plus de cent mille femmes ? Cette fabrique,
unique dans le monde par sa beauté, et qui faisait au lointain la gloire de
notre pays, peu s'en fallut qu'elle ne fût perdue entièrement. Je vous
entretiens là, messieurs, seulement de quelques articles concernant nos
Flandres ; que serait-ce si je devais vous énumérer les pertes des autres
provinces !
J'ai
parcouru tout récemment quatre ou cinq de nos belles provinces, et je me suis
convaincu que le cri de réprobation est général contre les Nassau, (page 284) et qu'il n'y a qu'un choix à
faire entre l'exclusion de cette famille et la guerre civile. Songez bien,
messieurs, aux horreurs que pourrait faire naître votre vote ; cette belle
patrie pourrait devenir une terre malheureuse, et le fruit de tant de
sacrifices serait perdu à jamais. Que ceux qui sont encore dans le doute
aillent à la place des Martyrs méditer leurs paroles, et nous verrons s'ils se
prononceront en faveur d'un Nassau. Et la dignité nationale, veut-elle un
Nassau ? Non, l'Europe entière nous désapprouverait, et
Les
grandes puissances nous laissent un choix libre, et c'est leur intérêt ; car si
nous sommes heureux et contents de notre sort, nous chérirons notre
indépendance, et nous verserons notre sang pour la conserver ; tandis que,
n'étant point parfaitement libres ni heureux, nous nous jetterions avant peu
dans les bras de
M. Gendebien (père) déclare renoncer à la parole. (U.
B., suppl., 25 nov..)
M. Van de Weyer monte à la tribune. (Vives marques d'attention.) Dans
une improvisation remarquable par sa précision et sa lucidité, l'orateur réfute
victorieusement les objections faites contre la proposition et en démontre
l'utilité – Du moment, dit-il, où j'ai vu que la maison d'Orange avait des
adversaires et que ces adversaires demandaient l'ajournement de la
proposition, j'ai cru qu'il était convenable de répondre à leurs objections.
Le motif qui me fait voter pour l'exclusion de la famille des Nassau, c'est que
cette famille est le véritable auteur de notre révolution; ce n'est qu'à la
dernière extrémité que nous avons opposé la force et le choc des armes à là
violence. L'honorable membre rappelle les humbles représentations faites au
roi et aux princes, avant d'en venir aux armes ; deux de nos puissantes villes
sont encore sous le joug, mais nous n'abandonnons pas ces villes ; un armistice
vient d'être conclu. Cependant faudrait-il pour cette raison même ne rien
décider, et ces villes seront-elles toujours dans cette assemblée comme la tète
de Méduse ? Les puissances ne peuvent avoir aucun doute sur cette question,
elle est posée depuis trois semaines, elle ne les a pas empêchées de proposer
une suspension d'arme s; cette question n'a donc pas agité la diplomatie. La
libre navigation, les relations existent, les intérêts matériels ne doivent
donc pas nous arrêter. Si vous laissez à cette famille le moindre espoir, vous
perpétuerez la révolution.
Mais,
dit-on, faut-il prononcer l'exclusion à perpétuité ? Nous le devons comme
citoyens ; en effet, si nous voulons admettre encore les Nassau, nous obligeons
les braves couverts de blessures honorables à quitter le pays ; des citoyens
courageux à se cacher pour ne pas s'exposer aux vengeances d'une famille qui ne
leur pardonnerait jamais la part qu'ils eurent dans notre glorieuse révolution.
On a parlé
des intérêts que des Anversois ont en Hollande, mais les Hollandais en ont
également avec nous. D'ailleurs, comme un honorable membre l'a fait observer,
la certitude est acquise que l'exclusion aura lieu. Mais je ne partage pas ce
que ce membre a dit : qu'il aurait été plus conforme à la dignité du congrès
de ne pas discuter cette question. Il y avait à la fois dignité et devoir de
proclamer cette exclusion ; comment pourrait-on autrement traiter de la
couronne de
M. le comte de Robiano – Messieurs, plusieurs
membres du congrès pensent que la question de l'exclusion des Nassau est
intempestive, prématurée, peu généreuse ; qu'elle nous est imposée par les
masses, et qu'il serait dangereux de céder aux exigences populaires.
Combattons
brièvement ces diverses objections. Un motif urgent de s'occuper de la question
de l'exclusion perpétuelle des Nassau, c'est le travail (page 285) présent de la diplomatie. Il faut que les puissances
voisines connaissent de la manière la plus prompte et la plus précise notre
décision irrévocable. Montrons-leur un peuple entier repoussant leur faible
protégé ; faisons-leur craindre la perte de toute leur popularité chez leurs
propres peuples, qui tous éprouvent pour nous une sympathie si vive qu'elle
pourrait d'un moment à l'autre devenir une coopération, une imitation même.
Les rois,
frères entre eux, renoncent bien vite à celle solidarité fraternelle, et
craindraient de compromettre leur crédit, leur puissance et leurs trésors pour
un roi dont ils croiraient le procès perdu sans appel. Il faut leur fournir le
plus clairement possible un argument sans réplique à opposer aux sollicitations
des Nassau : l'impossibilité de réussir.
Mais,
dira-t-on, montrons-nous grands et nobles dans notre victoire, généreux envers
un ennemi vaincu ! Fausse délicatesse, messieurs, sensibilité déplacée ! Cet
ennemi vaincu marche vers Maestricht, tient Anvers sous le joug, y renforce sa
flotte, formidable cordon de foudres toujours menaçantes ; cet ennemi intrigue
à Londres, il espère, que dis-je? il croit réussir !
Il est
noble de pardonner, d'oublier, oui sans doute ; mais il n'y a aucune noblesse à
commettre une injustice. C'en serait une de négliger envers nos commettants des
précautions contre un adversaire infatigable, à demi désarmé seulement, vivant
encore au milieu de nous, et contre lequel le peuple belge attend de nous, non
des insinuations polies, mais le glaive ou du moins le bouclier.
Je
paraîtrai avancer un paradoxe en soutenant que, même envers le prince d'Orange,
c'est un procédé louable de ne lui laisser immédiatement et pour l'avenir
aucun espoir. Le prince frappe à notre porte : Ouvrez-moi, dit-il, que je
m'assoie sur votre trône, c'est pour votre bien que je désire y monter, je vous
gouvernerai à merveille. Ne voyez-vous pas, messieurs, que la délicatesse
exige qu'on lui réponde : Passez plus loin, on ne peut vous ouvrir ici ; le
temps que vous perdez à nous solliciter vous serait peut-être utile pour
obtenir quelque autre place. Voilà, messieurs, ce qu'il me semble qu'il faut
répondre aux solliciteurs à qui l'on ne veut, à qui l'on ne peut rien donner.
Il faut parler franc et non leur donner de l'eau bénite de cour, et sous ce
rapport les déclarations bien précises de M. Van de Weyer méritent toute la
reconnaissance du prince.
Mais la
clause à perpétuité effraye ; on fait grand bruit du besoin qu'ont
certains députés de rester libres jusqu'à la fin; ce désir de rester libre ne
me paraît qu'une paraphrase de ce mot : j'ai peur. Nous est-il
d'ailleurs permis devant nos mandataires de conserver la liberté de les livrer
?
On prétend que les masses du dehors veulent nous imposer cette exclusion
et qu'il ne faut point céder aux ordres des masses ! Et qui donc, messieurs,
nous a procuré l'insigne honneur de siéger ici ? qui représentons-nous au
congrès national ? Je me fais gloire de le publier, je me vante d'être l'élu de
la nation, du peuple, de ces masses si ignoblement désignées. De quoi, je vous
prie, se compose l'héroïque population de notre patrie ? qui sont nos 400,000
pétitionnaires ? Ne feraient-ils point partie de ces masses méprisées? Leur bon
sens comprit, aussi bien que les sommités de la société, l'injustice, la gène
humiliante de notre longue oppression. Qui, messieurs, souffrait le plus de
nos odieux impôts, l'abatage et la mouture ? Et quand l'avare Hollande comptait
cruellement combien de bouchées d'un pain noir étaient indispensables à la
nourriture du pauvre ouvrier, du laboureur, de sa femme et même de son enfant,
est-ce nous, sont-ce les masses qui en souffraient davantage ? Mais sans
chercher plus loin, qui donc dans cette ville, dans le jardin qui touche à ce
palais, dans ce jardin tout cicatrisé par les boulets et la mitraille, dans ce
palais même , qui, dis-je, exposait son sang et sa vie ? qui courait à l'ennemi
sans tactique et sans chef ? C'étaient nos patriotiques masses. Combien est-il
de familles marquantes qui aient offert leurs fils en holocauste à la patrie ?
combien de noms historiques l'histoire insérera-t-elle sur le noble nécrologe
de notre révolution ?.. Un silence éloquent me répond ; les masses nous ont
assis dans cette enceinte ; mais si c'est par elles, c'est aussi pour elles que
nous y siégeons. Et qu'on ne pense point cependant que, transfuge odieux et
sans équité, je ne rende point une justice éclatante à ce qu'a fait notre
noblesse ! Heureusement dans cette enceinte même et hors de cette enceinte nos
yeux et les souvenirs de quinze années nous montrent, à peu d'exceptions près,
toute la noblesse étroitement unie avec le peuple, résistant la première aux premiers
empiétements du pouvoir, dédaignant les menaces, puis les dédains, l'exclusion
de la cour, et toutes les bouderies maladroites du Tartufe couronné ; mais
c'est précisément par suite de cette union, chef-d'œuvre de la loyauté et du
bon sens qui caractérisent notre pays, que nous ne balancerons point,
messieurs, de reconnaître hautement les insurmontables répugnances de la
nation, répugnances dont nous avons tous la conviction la plus intime, sans que
nous ayons besoin de pétitions pour nous en convaincre, comme (page 286) un honorable collègue semblait le
désirer. Eh ! quelle pétition serait aussi éloquente que tant de mousquets ,et
de glaives, que non seulement nos jeunes gens, mais les hommes mariés, mais les
enfants font briller aux yeux de l'ennemi fuyant à leur aspect ?
Balancerons-nous,
messieurs, de répondre au désir du peuple, aux cris d'indignation de notre
vaillante armée ? pourrions-nous hésiter de promettre à la nation,
à l'armée, que ces Nassau, qu'ils ont combattus, ne reviendraient jamais leur
commander de nouveau, se souvenir de leur patriotisme, éclaircir
insensiblement leurs rangs et neutraliser lentement, mais invinciblement, tous
les biens qu'ils nous avaient si chèrement procurés ?
La
république, messieurs, avait tous mes désirs, l'heureuse expérience de notre
gouvernement provisoire qui, au milieu des difficultés de tout genre et même à
la vue des baïonnettes hollandaises, nous donnait successivement presque toutes
les lois nécessaires à la liberté et au bonheur du pays ; cette expérience
renforçait mon opinion. De graves inconvénients ont frappé la très grande
majorité de cette assemblée. M. Van de Weyer vous a exposé ses motifs, qui sont
aussi les miens, pour se joindre aux voix nombreuses qui demandent la
monarchie, mais la monarchie la plus républicaine possible. Un Nassau peut-il
être ce roi républicain ? Messieurs, depuis le moindre de nos valets jusqu'au
plus relevé des employés de l'État, nous voulons qu'il soit affectionné à sa
besogne. C'est la première des conditions pour qu'il s'en acquitte bien.
Appliquons cette maxime à la royauté, qui n'est dans une monarchie
constitutionnelle, et qui ne devrait être dans une monarchie quelconque, que le
premier des emplois que le peuple confie ou concède ou plutôt impose dans son
propre intérêt. Qui croira que c'est avec affection, avec plaisir qu'un prince
d'Orange viendrait se rendre l'exécuteur de nos lois nouvelles, de ces lois,
présent inestimable de quelques semaines de notre gouvernement provisoire, de
ces lois inutilement sollicitées pendant des années et toujours éludées avec
une mauvaise foi sans égale ? N'est-ce pas le prince d'Orange qui présidait le
conseil lors des fatales ordonnances ?
Quel est
donc ce fils qui sollicite si obstinément le triste honneur de combattre toutes
les maximes, toute la conduite, toute la vie de son père ? Quel motif d'intérêt
si puissant pour nous le porte à se présenter pour défenseur de la cause belge,
sans que personne l'y invite ? On le voit trop : le seul désir de ressaisir, et
tout prix, une proie qui lui est échappée, anime cet aspirant ; à tout
prix, oui, malgré les dégoûts, les déboires, les déclarations personnelles et
directes qui lui furent adressées jusque dans les rues de Bruxelles. Ce
contentement tout facile ne serait qu'une inconséquence de conduite
surprenante et scandaleuse si elle n'était en même temps une comédie
fallacieuse et dont la déception dangereuse est une injure au bon sens de la
nation.
Tranchons
dans le vif, messieurs, éloignons des esprits de toutes les classes la crainte
de retomber sous une nouvelle ère d'astuce et de tromperie. Trop
d'antécédents, et particulièrement les circonstances présentes, nous prouvent
qu'admettre encore un Nassau, serait exposer
On objecte
qu'un fils du prince est né Belge et peut revendiquer tous les droits aux
emplois en Belgique. C'est une forte raison de plus d'enlever ce fantôme de
prétention.
J'ai
parlé de notre armée. Obéissante comme par enchantement, un mot l'enchaîne sur
cette limite hollandaise qu'elle brûle de franchir. Un invincible lien de
respect et de confiance retient ces braves volontaires qu'aucun obstacle
n'arrêta ; mais, messieurs, s'ils la perdaient cette confiance, s'ils vous
voyaient prêts à les laisser retomber dans l'esclavage, cette armée si docile,
qu'ai-je dit ? toute notre population désespérée, voulant se délivrer
elle-même, comme elle l'a déjà fait, sans tenir compte de vos décisions
équivoques, se précipiterait sur Anvers, s'armerait tumultueusement de ses
tisons encore fumants, porterait le fer et le feu dans les provinces sans
frontières de
M. Van Snick – Messieurs, vous avez, dans une de
vos dernières séances, proclamé l'indépendance de
Le sol de
la patrie vous a répondu par un long tressaillement ! Cette terre si longtemps
asservie et tributaire, aujourd'hui affranchie, tout entière à ses enfants, va
doubler sa fécondité et ses largesses ; l'étranger n'exploitera plus les
trésors que son sein renferme, ils serviront désormais à notre propre
enrichissement, à notre propre bonheur. Ce sol, remué par des mains libres et
laborieuses, promet à
Messieurs,
une proclamation non moins solennelle, attendue avec non moins d'impatience
par la nation, fait, en ce moment, l'objet des délibérations du congrès :
La
déchéance du roi Guillaume de Nassau, l'exclusion de sa famille à perpétuité,
de toute domination et de tout pouvoir en Belgique.
(Car il
m'a paru que la proposition de M. Rodenbach emportait implicitement, mais
nécessairement, ce double objet : c'est sous ce double aspect que je me
permettrai de l'envisager.)
Messieurs,
je ne pense pas qu'il puisse y avoir, parmi nous la moindre hésitation quant au
premier membre de cette proposition.
En
l'absence même d'un contrat écrit entre les nations et leurs chefs, il y a, de
la part de ceux-ci, un engagement tacite, mais non moins sacré, de gouverner avec
justice les différentes parties de leurs États : les peuples n'ont consenti
à les élever si haut au-dessus d'eux qu'à cette condition : s'ils y manquent,
ils perdent le droit de régner : eux-mêmes ont fait cesser dans leurs sujets
les devoirs qui étaient le corrélatif de ce droit. Cette doctrine si
simple, si naturelle, que l'oreille des rois ne veut pas entendre, mais que
leur raison leur révèle, malgré eux, à chaque instant, lorsque la flatterie et
l'enivrement du pouvoir ne l'ont point tout à fait éteinte, cette doctrine,
dis-je, doit recevoir toute son application, lorsqu'un pacte écrit et juré a
réglé de la manière la plus expresse les droits et les devoirs réciproques des
peuples et de leurs chefs.
A son
avènement au trône, Guillaume, prince d'Orange-Nassau, responsable comme il l'a
voulu depuis lui-même, jure au peuple belge de maintenir, de défendre
la loi fondamentale ; de ne souffrir jamais qu'on s'en écarte... Dès le premier
moment, à peine a-t-il fait ce serment, qu'il souffre que l'article 4 du pacte
social soit violé dans la personne d'étrangers que cet article et nos habitudes
hospitalières avaient appelés au milieu de nous.
Ce n'est
point à ces étrangers seulement qu'il manquait, par cette infraction flagrante
; c'est la nation belge tout entière, dont il se prétendait l'organe, qu'il
calomniait, en la déshéritant, aux yeux des nations, de cette réputation dont nous jouissions et dont nous étions
si fiers, d'être le peuple du monde le plus ami de l'hospitalité, cette vertu
des premiers temps à laquelle les Romains crurent devoir élever un temple !
Il avait
juré de maintenir les droits de tous et de chacun de ses sujets.
Bientôt
il nous enlève le droit inaliénable de
parler notre langue.
Un idiome
barbare, imparfait, devient le langage privilégié, la langue sacrée sans
la connaissance de laquelle tout accès aux emplois est interdit.
Une foule
innombrable de Belges se trouvent tout à coup privés de leur état et de tous
moyens d’existence.
Une véritable confiscation est prononcée à leur
détriment au profit de la population hollandaise !
Peut-être le roi Guillaume a assez fait,
peut-être la réflexion va l'arrêter dans cette route qui devait le conduire à
sa perte !
Non,
messieurs, il ne sait, il ne veut prévoir que notre mécontentement et nos cris,
sans en pressentir les suites ; et bientôt, ordre est donné à ses parquets de faire
revivre l'arrêté de 1815 et d'en requérir l'application contre tout Belge qui
oserait faire entendre trop haut ses plaintes et ses remontrances.
Le despotisme a tout combiné pour le succès de
ses tentatives.
La défense des accusés, les vérités qu'elle va
proclamer pourraient avoir de l'écho dans la nation, eh bien ! toute défense
leur sera interdite, leurs bouches doivent rester fermées, s'ils n'entendent,
s'ils ne parlent le hollandais. Ainsi les Belges se trouveront dépouillés du
droit naturel et sacré de la défense, de ce droit que les peuplades les plus
sauvages ne contestent point à ceux des leurs qu'elles croient devoir mettre en
jugement.
De là,
messieurs, ce refus toujours continué du jury : en présence de jurés belges, de
qui la langue hollandaise n'eût pas été connue, on n'eût pu nous condamner sans
nous entendre. Force eût été de nous permettre de nous justifier en français,
et c'est là ce que le roi Guillaume ne voulait pas...
Depuis ce
moment,
Chaque
année, et plus souvent encore, lorsque le maître trouva bon d'en exprimer le
désir, l'arrêté du 20 avril 1815 fut tour à tour appliqué à nos honorables
citoyens : cet arrêté, qui, à lui seul, eût pu servir de Code pénal complet à
l'inquisition ; cet arrêté, dont l'existence soutenue et toujours invoquée par
l'autorité, établit cette dernière en état d'infraction permanente à la loi
fondamentale.
Messieurs,
il faut plaindre amèrement et sincèrement les Belges de s'être trouvés,
pendant (page 288) quatorze ans,
sous l'empire toujours menaçant d'une pareille législation : mais il faut
plaindre plus sincèrement encore ceux de nos magistrats qui, par leur docilité
aux suggestions d'un pouvoir usurpateur, ou par leur ignorance des plus simples
notions constitutionnelles, en ont tait l'application à leurs plus vertueux
compatriotes.
Vous qui
êtes appelés à leur donner des successeurs, vous qui êtes aujourd'hui les
dispensateurs de ces emplois si élevés, songez à l'importance de vos choix !
Dans leurs mains vont reposer nos vies, notre honneur, nos libertés, tout notre
avenir. Que cette immense responsabilité frappe sans cesse vos regards, votre
attention; et vos choix seront toujours heureux !
Cependant,
messieurs, il restait aux Belges un moyen de faire entendre leurs plaintes : le
droit de pétition est consacré dans la loi fondamentale. Nous usons de ce droit
; nous adressons à la seconde chambre l'expression de nos besoins et de nos
souffrances ; le ciel jamais ne repousse la prière des mortels ; la majorité
hollandaise, avec une dédaigneuse obstination, rejette nos pétitions comme
l'ouvrage d'une poignée de factieux ; et bientôt le roi Guillaume
lui-même (la postérité ne le croira point) nous déclare des infâmes à la
face de l'univers !!!... Je m'arrête ici, messieurs ! Je ne veux soulever ni
indignation ni haine ; je n'ai prétendu vous faire qu'un récit succinct de
l'administration du roi Guillaume ; de cette administration qu'un ministre
prévenu a décorée d'une si inconcevable épithète.
Le peuple
anglais, si bon juge en cette matière, a fait justice de cette qualification ;
mais il faut que les peuples se ressouviennent que cette administration
éclairée n'avait depuis longtemps en Belgique que la plume vendue de
quelques étrangers pour soutien, et pour apologiste, que la langue abhorrée
d'un forçat !
Parlerai-je,
après cela, de ces arrêtés créateurs d'impôts, de ces autres arrêtés qui ne
manquaient jamais d'accompagner les lois, pour en fausser l'esprit et en faire
toujours tourner l'application au profit du fisc ou du pouvoir ?
Toutes ces
déviations de la loi fondamentale, quelque dommageables, quelque pernicieuses
qu'elles aient été pour
Cet acte a
révélé toute sa pensée ; on a vu là que, malgré toutes ses protestations,
toujours démenties par le fait, il est vrai, d'attachement à la loi
fondamentale, il ne l'avait jamais regardée comme un lien.
Cet acte,
le plus extraordinaire de tous ceux par lesquels des rois aient osé mentir à
leur conscience et à leur peuple, a fait connaître à
Comme si
ce n'eût été assez de ces infractions successives au pacte social, on parla de coups
d' État, et de la suspension totale de la loi
fondamentale. On sait quel était l'objet et quel a été le résultat de cette
menace.
Cependant,
messieurs, que faisait
Je
vote pour la déchéance de Guillaume Ier, prince d'Orange-Nassau.
Messieurs,
avec votre permission, j'aborderai maintenant le point que je regarde comme
faisant le second membre de la proposition de notre collègue M. Rodenbach, je
veux dire : l'exclusion à perpétuité du prince d'Orange et de toute la
famille de Nassau, de toute domination et de tout pouvoir en Belgique; je
voterai cette exclusion. Voici mes motifs :
Le prince
d'Orange, que
Appelé au
pouvoir, nous aimâmes à croire que notre sort allait en être allégé ; nous
aimâmes à croire qu'appelé dans le conseil, il s'appliquerait à dessiller les
yeux de son père, et il lui montrer l'abîme où il allait s'engloutir lui et sa
dynastie. Vain espoir ! le fils lui-même partagea l'aveuglement et
l'entêtement du père. Les partialités continuèrent, la presse resta asservie,
le régime des arrêtés fut maintenu dans toute sa rigueur, et enfin ce fut sous
sa présidence au conseil que parut le manifeste du despotisme, le message du 11
décembre.
Si à tout
cela vous ajoutez sa conduite à Tervueren, lors du pétitionnement, vous
resterez (page 289) convaincus
que jamais le prince n'a rien entendu, ou, ce qui est la même chose, n'a jamais
rien voulu entendre aux nécessités constitutionnelles, ce premier besoin des
nations modernes.
D'un autre côté, si le prince d'Orange, comme il paraît avoir voulu
toujours l'insinuer, eût porté un cœur tout belge, il devait, dès les
premiers jours de notre révolution, embrasser tout franchement notre cause et
combattre avec nous pour en hâter, en assurer le triomphe : loin de là, il nous
quitte et nous abandonne à nos propres destinées; et, tandis que son frère
s'applique à nous remettre sous le joug, par le fer et par le feu, lui, par
d'autres moyens, il est vrai, mais tous aboutissant à la même fin, s'étudie à
entraver la marche et la consommation de notre révolution.
Parierai-je de sa conduite dans les derniers temps à Anvers ? Puisse sa
conduite lui épargner tous remords ! puisse-t-il se justifier aux yeux de la
postérité ! Mais nous, messieurs, nous serons toujours en droit de lui dire : «
Si vous étiez devenu Belge, il fallait prendre place dans nos rangs ! il
fallait rester à Anvers, pour y lutter avec nous contre Chassé, ou pour
conjurer, par votre présence, l'orage effroyable qui devait bientôt gronder et
éclater sur cette cité ! Vous n'avez fait ni l'un ni l'autre :
Mais encore si, en se retirant, le prince d'Orange avait dirigé ses pas
vers cette France, notre alliée, notre amie ; mais non, c'est au gouvernement
anglais, jusqu'alors notre détracteur, qu'il va confier ses prétendus regrets.
Cette fâcheuse détermination est bien propre, messieurs, à faire naître des
préventions contre la sincérité de sentiments que le prince affecte à notre
égard. Il ne sera, du reste, toujours permis de douter que l'homme qui
entretenait des relations amicales avec le ministre Van Maanen ait jamais été
l'ami, le protecteur sincère de
Je ne crois point devoir rappeler ici les bruits
qui ont couru sur la conduite privée du prince: je me plais à croire qu'ils
sont tout entiers l'ouvrage de la malignité : mais dans les temps où nous
vivons, il faut que la conduite domestique du chef d'un État soit pure, même de
tout soupçon ; et
Jamais la probité n'a exercé sur la terre un aussi grand empire que de
nos jours ; dans la personne de l'illustre et immortel Canning elle fixait sur
l'Angleterre tous les regards, toutes les espérances des hommes vertueux ; dans
la personne de Louis-Philippe elle a commandé le silence aux cabinets de
l'Europe. Il faut que
D'autres
considérations d'un ordre de choses moins élevé nous font un égal devoir de repousser
le prince d'Orange. Jamais ce prince n'oubliera que c'est à nous qu'il doit la
perte de la moitié des domaines qu'il se croyait appelé à gouverner. Toujours
il regrettera cette perte ; et s'il est vrai que les rois aiment toujours à
agrandir le territoire de leur domination, il est plus vrai encore, si l'on
peut parler ainsi, qu'ils désirent recouvrer ce qu'ils ont perdu.
Le prince d'Orange se trouvera donc irrésistiblement porté à vouloir,
aussitôt qu'il le pourra, nous rattacher à
L'Angleterre,
Cette seule considération me paraît si importante, si décisive, qu'elle
me semble de nature à convertir les amis les plus endurcis du prince d'Orange,
s'il lui en reste encore dans la nation. D'un autre côté, ni le frère, ni les
neveux de celui qui a mitraillé nos concitoyens par milliers, qui a promené
l'incendie et la dévastation dans nos cités, ne peuvent reparaître parmi nous ;
les souvenirs attachés à son nom sont trop propres à réveiller des haines et à
provoquer des vengeances, pour qu'eux-mêmes puissent s'y trouver en sûreté. Les
Belges, je le sais, et je me hâte de le dire, ne sont ni des assassins ni des
meurtriers. Mais celui qui a vu mourir son père sans défense, par les mains des
soldats de Frédéric, celui qui a vu expirer sa mère ou sa sœur dans les flammes
que ce prince lui-même avait allumées, pourront bien croire n'obéir qu'au cri
de la nature en immolant à leurs mânes celui qu'ils auraient supposé à tort ou
à raison être l'auteur ou le complice de tant de maux. Finalement,
ressouvenons-nous des leçons que nous présente l'histoire : les restaurations
n'ont fait que préparer des contre-révolutions, et puis encore des révolutions
; les Stuarts et la branche aînée des Bourbons sont là pour l'attester à l'
univers !
Messieurs, élèvera-t-on aujourd'hui des doutes (page 290) sur
l'opportunité actuelle de la déclaration de l'exclusion de la famille de Nassau
? La nation attend de nous avec la plus vive impatience cette déclaration :
c'est la main de fer de la nécessité à qui rien ne résiste qui vient nous
l'arracher : apprenons à nous soumettre à sa loi toute-puissante. D'ailleurs,
dès que nous aurons prononcé l'exclusion de la famille de Nassau, ceux des
candidats qui aspirent à l'honneur et à la dignité de chef des provinces
belgiques, et qui peut-être, par un reste d'égards pour la famille déchue, ont
gardé jusqu'ici le silence, élèveront la voix, et nous feront bientôt connaître
leurs intentions ; nous apprendrons à peser leurs titres et leurs droits, dans
le temps même que nous consacrerons à la confection de la loi fondamentale ;
et peut-être, quand nous aurons achevé cet important travail, serons-nous, par
là , à même de proclamer incontinent le chef de l'État belge. Messieurs, sans
doute on demandera quelle peut être l'utilité des mots à perpétuité conservés
dans la proposition. Pour chacun de nous cette épithète, j'en conviens,
me semble tout à fait inutile, parce qu'il entre bien dans notre intention commune
que l'exclusion soit définitive et irrévocable ; mais je la crois très utile
pour d'autres : par elle, nous sommes assurés de n'être nulle part soupçonnés
de conserver une arrière-pensée.
Je
voterai donc, sans haine comme sans crainte, et tout entier aux inspirations de
ma conscience, l'exclusion à perpétuité de la famille de Nassau de tout pouvoir
ou de toute domination en Belgique. (U. B., 29 et 30 nov.)
COMMUNICATION
DU GOUVERNEMENT PROVISOIRE
Il est donné
lecture d'un message du gouvernement provisoire qui transmet au congrès
l'arrêté ci-après :
« Le
gouvernement provisoire de
« Comité
central,
« Vu
la dépêche du bureau du congrès national, en date du 20 novembre 1830, ainsi
conçue :
« Au
nom du congrès national, le bureau du congrès invite le gouvernement provisoire
à ordonner qu'un service funèbre soit célébré dans l'église de SS. Michel et
Gudule, pour tous les braves morts pour la cause nationale. Le congrès y
assistera en corps. »
« Arrête:
« Art.
1er. Un service funèbre sera célébré, aux frais de l'État, dans
l'église des SS. Michel el Gudule, à Bruxelles, le samedi 4 décembre prochain,
pour tous les braves morts pour la cause nationale.
« Art.
2. Après la cérémonie religieuse, il sera solennellement procédé à la pose de
la première pierre du monument à élever, place des Martyrs de la liberté, conformément
à l'art. 2 de l’arrêté du 25 septembre 1830, et consacré à transmettre à la
postérité la reconnaissance de la patrie et les noms des braves morts pour la
liberté.
« Art.
« Bruxelles,
le 22 novembre 1830.
« SYLVAIN
VAN DE WEYER, ALEXANDRE GENDEBIEN, COMTE FÉLIX DE MÉRODE,
« Par
ordonnance,
« Le
secrétaire, J. VANDER LINDEN. »
Discussion
générale
M. le baron de Stassart – Messieurs, comment les Nassau pourraient-ils remettre
le pied sur le sol belge ? A Dieu ne plaise que j'insulte au malheur de ces
princes, mais les horribles scènes de Bruxelles et d'Anvers ont rendu leur
retour impossible. Les peuples se lèveraient en masse pour les repousser, et ce
serait peut-être (page 291) le signal
d'une indomptable anarchie. Eh ! qu'attendre des prétendues restaurations
politiques ? On sait trop ce qu'elles ont produit dans
d'autres contrées. Les méfiances, les haines, des prétentions toujours prêtes à
renaître, des vengeances plus ou moins sourdes ; voilà quel serait chez nous le
cortége d'un Nassau. Notre commerce et notre industrie auraient, pour
avantage, d'insupportables hostilités commerciales de la part des Hollandais
qui ne nous pardonneront jamais notre émancipation, et, du côté des douanes
françaises, un redoublement d'entraves. Le premier coup de canon tiré sur nos
frontières suffirait d'ailleurs pour rompre de fragiles, d'odieux liens, mais
non toutefois sans compromettre notre indépendance politique, si
glorieusement conquise. Plus de Nassau, messieurs, plus de Nassau ! c'est le
cri général des Belges ; puisse-t-il trouver de nombreux échos dans cette
enceinte ! Il importe, il est urgent, qu'à cet égard la diplomatie étrangère
sache à quoi s'en tenir ; nous préviendrons par là de fâcheuses intrigues et
nous détruirons de coupables espérances. L'Europe, qui connaîtra notre volonté
ferme, notre irrévocable volonté, se gardera bien de s'y montrer défavorable ;
elle ne voudra point, par une opposition mal calculée, nous précipiter dans les
bras d'auxiliaires qui ne demanderaient pas
mieux que de faire cause commune avec nous. Je vote en faveur de la
proposition d'exclure à perpétuité les Nassau de tout pouvoir en Belgique, et
je fais aujourd'hui ce que sans doute vous ferez presque tous avant trois
semaines, lorsqu'il s'agira de procéder au choix du chef héréditaire de l'État.
(U. B., suppl., 25 nov.)
M. Deleeuw – Je
regrette, messieurs, que nous ayons été obligés d'aborder trop tôt une question
aussi grave que celle qui nous occupe. Mais une fois soulevée, il était
important de la décider promptement, afin de faire cesser toute incertitude et
toute espérance contraire au vœu national. Nous avons entendu le rapport de la
section centrale, et déjà l'on peut pressentir le sentiment de la majorité de
cette assemblée. C'est un motif pour être laconique ; aussi je me propose de
l'être. j'
Messieurs, jetons un voile funèbre sur le passé; n'exhumons pas, pour en
former un nouvel acte d'accusation, tous les faits qui ont forcé la nation
belge à repousser la famille des Nassau.
La nation a
fait justice, elle l'a faite avec énergie : cela doit suffire.
Il me semble inutile de discuter, par rapport à cette famille, des
droits qui sont perdus sans retour, et qui probablement ne trouveront pas de
nombreux défenseurs dans cette assemblée.
J'examinerai brièvement la question d'exclusion sous un rapport plus
essentiel, sous le seul peut-être qu'il nous importe de bien l'apprécier :
celui de nos relations politiques et commerciales avec les puissances
étrangères.
Croyez-vous, messieurs, en faisant abstraction de la déclaration de non
intervention, croyez-vous que l'Angleterre,
Quant à moi, messieurs, je ne le pense pas.
La sainte alliance des rois est brisée ; c'est
maintenant le tour de l'alliance des peuples. Ce principe fécond ne peut plus
être arrêté. Les peuples de l'Europe ne passent plus, comme de faibles
troupeaux sans défense, d'un joug superbe sous un joug avilissant. Ils
commencent à s'enquérir de leurs véritables intérêts, à concevoir les bonnes
institutions et les moyens de se les procurer ; ils marchent enfin vers la
civilisation politique, et malheur aux gouvernements qui voudraient comprimer
cet essor !
Je suis convaincu, messieurs, que lorsque nous aurons prononcé
l'exclusion de la famille d'Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique, les
grandes puissances de l'Europe ne tenteront rien pour nous en faire repentir :
elles ont à s'occuper de plus grands intérêts, et ne les négligeront pas pour
ceux du prince d'Orange, qui, il est vrai, et comme vous l'a fort bien fait
observer l'honorable M. de Brouckere, n'est point solidaire du cruel entêtement
de son père ni des mesures que son frère a exécutées, mais qui, pour ne nous
avoir pas compris, pour n'avoir pris que des résolutions faibles et tardives,
et manquant d'ailleurs d'énergie alors qu'il était temps encore de se rallier
à nous, a perdu toute notre confiance. Il est évident, messieurs, que les
quatre puissances que j'ai citées, convaincues que la dynastie d'Orange-Nassau
ne peut plus récupérer ce qu'on avait bien voulu lui accorder par les traités
de Vienne, de Londres et de Paris, porteront uniquement leur attention sur nos
institutions politiques dans leur rapport immédiat avec
L'Angleterre nous observe d'un œil inquiet ; elle, surtout, a le plus
grand intérêt à ce que notre organisation intérieure soit stable et ne donne
aucune chance â de nouvelles perturbations, qui (page 292) seraient suivies vraisemblablement de notre réunion à
L'attention de la diplomatie du Nord se porte donc tout entière sur nos
rapports avec
Sympathisons donc avec
Reste à examiner, messieurs, notre position actuelle à 1'égard de la
famille d'Orange. La citadelle d'Anvers, il est vrai, et la ville de
Maestricht sont encore en son pouvoir, et l'on paraît redouter beaucoup de
malheurs pour ces deux villes importantes, si le congrès prononce l'exclusion.
Messieurs, ces craintes font honneur aux députés qui les ont manifestées
; elles prouvent combien leur sont chers les intérêts de leurs commettants ;
mais je ne puis les partager. Je crois, messieurs, que tout le mal que pouvait
nous faire la vengeance du roi de Hollande est consommé ; je crois que les
grandes puissances ne permettraient point de nouveaux actes de barbarie gratuite contre un des pays les plus riches, les plus
intéressants de l'Europe ; elles auraient au contraire un intérêt général à
l'empêcher. Au reste, s'il en était autrement, je répéterais ce que nous a dit
si énergiquement notre honorable collègue, M. Raikem. La loi du talion serait
rigoureusement exercée, et nous saurions encore combattre pour notre
indépendance.
Je me
bornerai, messieurs, à ces courtes observations, et, sans passion, sans haine,
mais uniquement dans l'intérêt de mon pays, je vote pour l'exclusion à
perpétuité de la famille d'Orange-Nassau de tout pouvoir en Belgique. (U. B.,
29 nov.)
M. le chevalier de Theux de
Meylandt
– La discussion qui nous occupe est une des plus graves et des plus
importantes; il est à désirer que la proposition obtienne un assentiment
presque unanime ; les motifs les plus impérieux doivent vous déterminer à
l'adopter.
En
déclarant l'indépendance du peuple belge à l'unanimité, nous avons déjà
implicitement déclaré que la maison d'Orange-Nassau n'a plus de droits de
souveraineté sur ce peuple ; cette conséquence est immédiate et nécessaire.
Pour quels
motifs refuseriez-vous donc de déclarer maintenant que la famille
d'Orange-Nassau est exclue à perpétuité de tout pouvoir en Belgique ?
Cette
exclusion blesse-t-elle les droits de cette maison ? Est-elle commandée par
l'intérêt public ? N'est-elle pas dangereuse ? Tels sont les chefs principaux de
la discussion.
Sous le
premier rapport, la déclaration d'indépendance a tranché la question. Mais,
dira-t-on, l'exclusion à perpétuité frappe de jeunes enfants et même les
enfants à naître. Sans doute elle les frappe, mais elle ne leur fait aucun
tort, puisqu'ils n'ont ni n'auront aucun droit ; c'est une vérité incontestable
que, si nous sommes libres d'élire un chef, nous pouvons aussi déclarer que
nous n'en voulons pas un de cette famille.
Sous le
rapport de l'intérêt public, les considérations se réunissent en foule ;
divers orateurs vous ont dépeint avec force l'aversion du peuple pour toute
cette famille comme un obstacle insurmontable.
Le
caractère despotique de cette famille attesté par l'histoire est un second
motif d'exclusion ; c'est ce caractère, dans la personne de notre ex-roi, qui a
causé et fait consommer notre révolution.
Ce
caractère, et il est utile de le remarquer, est encore personnel au prince
d'Orange lui-même ; on doit se rappeler les efforts qu'il a faits pour (page 293) empêcher la manifestation de nos
justes griefs par la voie légale des pétitions, et combien de désagréments ont
essuyé à sa cour des citoyens amis de leur pays ! et cependant n'aurait-il pas
dû au contraire soutenir nos intérêts en qualité d'héritier présomptif du trône
et en retour de l'amour que lui avaient témoigné les Belges ?
Un
caractère de famille aussi prononcé est à redouter jusque dans ses enfants, et
cette crainte suffirait, si d'ailleurs leur bas âge n'était un obstacle
invincible, dans un moment où nous avons besoin d'un chef personnellement
capable de raffermir l'ordre public et de consolider l'indépendance de
l'État.
Les mots à
perpétuité sont regardés par plusieurs honorables membres de cette
assemblée comme renfermant une disposition inconvenante, exorbitante ;
toutefois, en y réfléchissant bien, on doit demeurer convaincu que cette
disposition est nécessaire, parce qu'il faut repousser des prétentions qui
subsisteront à perpétuité, par une exclusion perpétuelle.
La nation
hollandaise et son chef regarderont toujours
Nous
devrons donc à perpétuité être en garde contre l'ennemi voisin déclaré
ou caché ; mais comment serions-nous en garde, si nous prenions jamais pour
chef un membre de la famille de nos ennemis ? ce chef ne pourrait-il pas s'unir
un jour à notre ennemi, c'est-à-dire il sa propre famille, pour tenter de
rétablir l'union avec
Voyez avec
quel soin toutes les nations ont banni de leur sein à perpétuité toute la
famille de leurs princes déchus; combien ces nations ont même redouté leur
séjour dans les pays voisins! et nous qui avons des motifs tout particuliers,
nous qui prétendons à la solidité du jugement, à la fermeté du caractère, à
l'amour de la liberté, nous serions assez inconséquents pour vouloir nous
réserver ou à nos successeurs la liberté de reprendre cette dynastie !
Messieurs,
faisons-y bien attention; nous réserver cette faculté, serait nous réserver la
faculté de nous déshonorer, et de rendre notre nation un1 sujet de. risée pour
toute la terre ; une telle faculté est indigne de nous et de nos successeurs.
Le peuple belge a conquis sa liberté, il ne la remettra plus aux mains de
cette dynastie ; voilà le sens et le but de la déclaration sur laquelle nous
délibérons.
Mais on a objecté que cette déclaration ne sera peut-être pas stable.
Je réponds que si, par un malheur imprévu et à jamais déplorable, une
guerre étrangère, contre laquelle nous sommes d'ailleurs assez rassurés,
ramenait la famille exclue, notre déclaration serait annulée, il est vrai,
mais elle ne le serait que par une force irrésistible, incapable d'en détruire
la justice, incapable de détruire les motifs raisonnables et honorables qui
l'ont dictée.
On a encore objecté que peut-être on obtiendrait plus d'avantages
commerciaux sous un prince de cette famille ; mais ces avantages, s'il en est,
ne pourraient résulter que d'une réunion intime des deux pays, chose désormais
impossible. Or, dès que nous demeurons séparés,
Il nous reste à examiner si l'exclusion n'est pas imprudente tandis que
les villes d'Anvers et de Maestricht sont encore occupées par les Hollandais :
mais, messieurs, nous devons être assurés que les Hollandais ne quitteront pas
ces villes tant que nous n'aurons pas prononcé l'exclusion, tant qu'il leur
restera quelque espoir de nous dominer directement ou indirectement. Prononçons
donc l'exclusion au plus tôt, dans l'intérêt même de ces villes ; agissons avec
fermeté, avec persévérance, et bientôt nous serons reconnus par les puissances
voisines et par
Ne craignons plus de vengeances sur Anvers ou sur Maestricht, ces
vengeances seraient réprouvées par les puissances, elles seraient suivies d'une
juste invasion de nos troupes en Hollande. Ces motifs sont capables de contenir
nos ennemis, partout ailleurs que derrière les murs d'une forteresse.
Craignons plutôt, pour ces portions très précieuses de notre territoire,
craignons pour notre territoire entier des dangers plus probables que
pourraient nous susciter les manœuvres et les intrigues de
Excluons donc définitivement et
franchement à perpétuité tous les membres de la famille d'Orange-Nassau ;
cette exclusion est. Opportune ; elle est fondée sur les intérêts évidents de
la patrie, sur son honneur, sur sa dignité ; elle doit donc être prononcée par
un assentiment général de cette assemblée. (C., suppl., 25 nov.)
(page 294) M. Blargnies a dit en
substance – Le peuple ne verrait dans le rejet de la proposition qu'une
sentence favorable à nos anciens oppresseurs. Nous ne devons pas négliger cette
occasion de donner une grande leçon. La guerre n'est pas à craindre. En prenant
une attitude ferme, nous préviendrons les intrigues diplomatiques. Si nous ne
prononcions pas l'exclusion, tous les efforts des puissances alliées
tendraient à nous imposer un prince d'Orange. Nous encouragerions dans le pays
un parti qui, jusqu'à présent, n'a pour arme qu'un sophisme. Nous serions en
hostilité avec l'opinion publique et sous l'influence étrangère. L'indépendance
que nous avons proclamée serait illusoire. (C., 25 nov.)
M. Hippolyte Vilain XIIII – Je
croirais indigne de la majesté du congrès, indigne de la gloire du peuple belge
de venir au milieu de cette assemblée accabler d'invectives et d'outrages les
membres proscrits d'une famille déchue, d'arriver après la victoire pour
déverser l'opprobre sur nos oppresseurs absents et déployer la facile audace
d'insulter à un ennemi abattu. Après quinze années de souffrances et
d'humiliations, la nation s'est levée d'une seule fois pour briser ses liens ;
lasse du vain emploi des doléances et des suppliques, lasse d'en appeler à la
justice partiale du souverain, et aux droits toujours méconnus de l'humanité,
elle en a appelé à la force, et d'un seul effort elle a jeté au delà de ses
frontières et ses maîtres et les satellites d'un peuple étranger à ses mœurs et
à ses habitudes. Que cela suffise;
Ainsi
donc, messieurs, autant que possible, ne faisons point de l'acte que nous
allons prononcer une question de personnes ni de réaction, mais une question de
nécessité politique ; que l'Europe puisse dire que c'est la froide raison qui
nous l'a dicté et non la passion; que c'est l'urgence des temps et non la
mutinerie qui nous a fait frapper d'exclusion toute une famille de rois.
Vainement alors on viendra nous demander de quel droit nous proscrivons cette
dynastie que l'alliance des rois nous avait choisie en 1814. Forts de nos
souvenirs d'alors et de notre calme d'aujourd'hui, nous répondrons qu'à ce
congrès de Vienne nous n'étions point partie contractante ni même consultée ;
qu'ainsi le droit qui nous a donné une famille n'était que le droit de la force
; que ce même droit nous l'invoquons aujourd'hui pour la repousser ; que
cependant, sous les premières années de ce règne imposé, la nation s'est
montrée prête à le subir, fatiguée qu'elle était d'une guerre longue et
sanglante, et pleine de confiance dans un chef qui lui venait au nom de la
liberté, entouré des prestiges d'une antique illustration, et tenant à la main
un contrat consacrant les garanties populaires ; nous ajouterons que cette
nation se serait par le temps habituée à sa nouvelle existence politique et
aurait accepté et l'alliance du peuple hollandais et la souveraineté des
Nassau si ces Nassau n'eussent voulu comme à plaisir la faire plier sous des
habitudes répugnant à son caractère, la faire gémir sous des impôts destructifs
de sa prospérité commerciale et agricole, l'amener enfin, par un système de
tromperies et de déceptions longuement et habilement combiné, dans la
situation la plus misérable où puissent exister les hommes, celle d'être
exploité par d'autres hommes qui devraient être leurs concitoyens et qui ne
sont que leurs oppresseurs. Voilà ce que nous dirons pour justifier l'acte
solennel que nous allons décréter, déclarant que la juste autorité des gouvernements
doit émaner du consentement des gouvernés, et que toutes les fois qu'une forme
de gouvernement devient destructive de la liberté et du bonheur des citoyens,
ceux-ci ont le droit de la rejeter et de l'abolir ; que si on exige l'autorité
des antécédents et de l'histoire pour valider cette proscription, nous
montrerons le grand exemple des Stuarts (page
395) expulsés par les chambres d'Angleterre dans la glorieuse révolution de
1688. Nous ouvrirons enfin les pages de nos propres annales, et vous y lirez,
non sans étonnement, messieurs, qu'en l'année 1581 , les états généraux des
provinces confédérées des Pays-Bas, avec l'assentiment du prince d'Orange,
prononcèrent l'expulsion de Philippe Il de toute souveraineté en Belgique,
qu'ils transférèrent au duc d'Alençon, frère du roi de France ; tant il est
vrai de dire que, dès cette époque, la doctrine de la résistance légale des
peuples que l'on opprime n'était plus mise en doute dans nos contrées, et que
les nations n'appartenaient plus aux rois. Voilà pour le droit et les faits.
Venons à l'opportunité de la mesure.
Plusieurs
personnes mettent en doute qu'il soit utile en ce moment de soulever cette
question et opinent qu'il est dangereux de la trancher. Mais probablement elles
ne mettent point en doute que l'opinion .publique est dans ce moment grandement
agitée sur cette question vitale ; que tant qu'elle ne sera pas résolue, les
partis s'aigriront de plus en plus, les intrigues tant étrangères qu'intestines
auront plus de prise sur les esprits, et que, dans l'alternative du rejet ou de
l'acceptation de cette famille lors de l'élection du chef héréditaire, l'inquiétude
de la nation sera grande sur le résultat, et la position du congrès difficile
par le vague qu'il laissera planer sur cette suprême décision. Si le congrès au
contraire aborde franchement la proposition et la résout par l'exclusion, il
aura d'abord opéré un bien que personne ne peut nier: celui d'avoir
tranquillisé les esprits sur les prétentions futures d'une famille redoutable
à son bonheur ; d'avoir rallié des opinions divergentes, et ôté aux intrigants
tout prétexte plausible pour remuer les masses. Dans cette nouvelle occurrence,
la marche de l'assemblée sera mieux tracée ; libre qu'elle sera de toute
faction, elle pourra procéder avec calme et maturité à l'examen du pacte constitutionnel.
Cette résolution aura en outre l'avantage de soulever les voiles dont se
couvre la politique étrangère et de fixer ses derniers doutes. Car enfin les
grandes puissances sont d'accord ou ne le sont pas sur nos futures destinées ;
elles veulent le retour des Nassau ou ne le veulent pas. Si elles sont d'accord
et veulent ce retour, alors du moins par l'acte d'exclusion nous aurons fait
acte de vie et d'indépendance, nous aurons protesté par avance contre cette
sanglante restauration ; je dis sanglante, car ce n'est que par le fer et le
feu qu'elle peut s'opérer. En outre nous connaîtrons dès ce jour notre sort ou
plutôt celui qu'on nous destine, et pour cela vaut mieux plus tôt que plus tard
pour nous y préparer et conjurer l'orage. Si au contraire elles ne sont pas
d'accord ou renoncent de bonne foi à soutenir cette famille, ou il y aura
désunion entre elles, et cette désunion ne peut nous être fâcheuse; ou bien
plutôt, et tous les pronostics semblent justifier cette dernière prévision,
elles nous laisseront le champ libre sur le choix du chef héréditaire. J'ajoute
même que voyant notre ferme décision d'exclure les Nassau, ces puissances
viendront probablement nous offrir de nouveaux prétendants à la couronne. Le
congrès, pendant la discussion de la constitution, aura le temps de peser
leurs mérites, de calculer pour le pays l'avantage de l'adoption de l'un d'eux,
et de couronner enfin par le choix d'un prince digne des Belges l'œuvre de sa
nouvelle régénération.
Voilà, messieurs, les principaux
résultats de la décision que sans doute va prendre le congrès. Elle ôtera à une
famille les dernières espérances de nous gouverner ; elle calmera les inquiétudes
encore sourdement agitées du peuple ; elle provoquera sans doute les mesures
de conciliation des grandes puissances, et assurera plus que vous ne le pensez
la consolidation de notre nouvel édifice social. Elle prouvera enfin, ainsi que
la résolution que vous venez de fixer sur la forme du gouvernement, que le
congrès est aussi ferme que modéré dans sa marche politique ; qu'il sait
repousser les maîtres qui l'accablent, et sagement réprimer l'exécution de
projets chimériques ou dangereux, et qu'il ne veut pas plus de l'oppression par
les Nassau, que des agitations civiles ou de la guerre par la république. (U.
B., 29 nov.)
M.
Lebeau – Je pense que la question est suffisamment
débattue ; je demande que la clôture soit mise aux voix. (C., 25 nov.)
Plusieurs
membres – La clôture ! la clôture ! (C., 25
nov.)
M. Pirson – Nous
faisons ici les fonctions d'un grand jury national : on pourrait engager les
députés qui se proposent de parler coutre à prendre la parole. (C., 25 nov.)
M. le baron de Stassart – La clôture
ne peut être mise aux voix ; il faut que la discussion soit complète ; je
demande une séance du soir. (Tumulte; le président agite la sonnette.)(C.,
25 nov.)
Plusieurs voix – A demain.
(E., 25 nov.)
M. de Gerlache – Je suis
inscrit, je désire beaucoup motiver mon vote ; clore ainsi une. discussion est
contraire à tous nos usages parlementaires. (C., 25 nov.)
M. Barthélemy – Je demande
que la séance soit ajournée à demain. (C., 25 nov.)
(page 396) M. le comte d’Arschot – Nous avons entendu avec patience les orateurs qui nous ont
précédés ; qu'ils aient les mêmes égards pour ceux qui veulent encore porter la
parole. (J. F., 20 nov.)
Des
voix - A demain. - D'autres – Non ! (U. B.,
suppl., 20 nov.)
M. le président met la clôture aux voix ; elle est rejetée. (U. B.,
suppl., 20 nov.)
M. le président – Y aura-t-il séance ce soir ?
(U. B., suppl., 20 nov.)
Des
voix - Oui, oui; non, non. (U. B., suppl.,
25 nov.)
M. le président – Alors c'est pour demain. (Presque
tous les membres quittent leurs places. M. le président agite sa
sonnette.) - En
place !... nous nous retirons comme des écoliers qui s'échappent de la classe
; veuillez m'entendre, j'ai quelque chose à vous dire, ne serait-ce que l'ordre
du jour.
Demain,
réunion dans les sections à neuf heures, séance publique à dix. (U, B., suppl.,
25 nov.)
- Il
est cinq heures; la séance est levée. (P. V.)